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SENAT: OPERATION BAGDAD III par Hérold Jean-François Page 1 SÉNAT: OPÉRATION BAGDAD III Par Hérold Jean-François Publié le samedi 6 août 2011 Le vote du 2 Août 2011 au Sénat de la République est un appendice de l’opéra tion Bagdad qui a ensanglanté le pays à partir de septembre 2004. Ce vote consacre une fois de plus la réalité de l’impunité et encourage ceux qui regardent dans la même voie. Il suffit d’un peu d’audace pour se mettre à couvert, la nation ayant la mémoire courte, on pourra aisément se recycler en se faufilant dans les rangs de nos institutions où l’on accapare l’audience en parlant avec arrogance sans tenir compte de l’insulte faite aux victimes et à la société. Rien d’autre ne s’est passé au Sénat que ce nous venons de décrire… 2004, cela ne fait que sept années, tous les survivants aux violences déclenchées dans le pays pendant ladite période sont des acteurs ou des témoins qui ont subi ces faits même après les élections de 2006. Il n’y a aucune chance de provoqu er le doute portant certains à se demander si l’histoire a bien restitué les faits, si les victimes n’exagèrent pas. C’est l’histoire immédiate, pas de révisionnisme possible. Nous ne sommes pas en train de rapporter des péripéties vécues par nos grands parents et que nous restituons à partir de notes et de témoignages. Ceux qui ont vingt ans aujourd’hui et qui étaient des adolescents en 2004 savaient bien que pour que leurs parents les conduisent à l’école, malgré les embouteillages, ils ne pouvaient pas emprunter un raccourci en déviant vers Carrefour Péan, le Bel Air, Delmas 2 et autres espaces qualifiés à l’époque de non droit et contrôlés par de dangereux chefs de gangs psychopathes aux noms sonores et bizarres… Ceux qui en ces temps difficiles s’aventuraient à la mer du côté nord de la capitale, quelle que soit la paralysie observée sur la nationale numéro un, savaient bien qu’ils devaient prendre leur mal en patience, car dévier par la route 9 était se livrer en pâtures aux bandits qui régnaient en maître sur Cité Soleil. Ne parlons pas de faufiler sur la route des Dalles pour aboutir à Nan Beiny ou à Grand’ Ravine pour évacuer le stress des embouteillages de la route de Carrefour. L’actualité de ces temps là, c’était la terreur à la Saline, aux différents marchés publics, à la zone de Varreux où la plupart des commerces et entreprises avaient dû fermer boutique et abandonner les lieux pendant longtemps. Plus d’une centaine de policiers tués, cibles privilégiées de l’Opération, des centaines de c ivils liquidés, des enlèvements spectaculaires, des assassinats de paisibles citoyens et d’étrangers qui se sont oubliés en ces lieux et dont les voitures ont été criblés de balles. Des professionnels pleins de promesses, de jeunes enfants, des adultes enlevés dont les parents ont payé les rançons et dont l’on retrouvait malgré tout le cadavre torturé, mutilé sur des piles de fatras. Haïti, pendant le trop long laps de temps de l’opération Bagdad I et Bagdad II était une société endeuillée. Un long cortège de morts, de

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Publié le samedi 6 août 2011

Le vote du 2 Août 2011 au Sénat de la République est un appendice de l’opéra tion Bagdad quia ensanglanté le pays à partir de septembre 2004. Ce vote consacre une fois de plus la réalitéde l’impunité et encourage ceux qui regardent dans la même voie. Il suffit d’un peu d’audacepour se mettre à couvert, la nation ayant la mémoire courte, on pourra aisément se recycler ense faufilant dans les rangs de nos institutions où l’on accapare l’audience en parlant avecarrogance sans tenir compte de l’insulte faite aux victimes et à la société. Rien d’autre ne s’estpassé au Sénat que ce nous venons de décrire… 

2004, cela ne fait que sept années, tous les survivants aux violences déclenchées dans le payspendant ladite période sont des acteurs ou des témoins qui ont subi ces faits même après les

élections de 2006. Il n’y a aucune chance de provoquer le doute portant certains à se demandersi l’histoire a bien restitué les faits, si les victimes n’exagèrent pas. C’est l’histoire immédiate,pas de révisionnisme possible. Nous nesommes pas en train de rapporter despéripéties vécues par nos grands parentset que nous restituons à partirde notes et de témoignages. Ceuxqui ont vingt ans aujourd’hui et quiétaient des adolescents en2004 savaient bien que pour que leursparents les conduisent à

l’école, malgré les embouteillages, ilsne pouvaient pas emprunter un raccourci en déviant vers Carrefour Péan, le Bel Air, Delmas 2et autres espaces qualifiés à l’époque de non droit et contrôlés par de dangereux chefs degangs psychopathes aux noms sonores et bizarres… 

Ceux qui en ces temps difficiles s’aventuraient à la mer du côté nord de la capitale, quelle quesoit la paralysie observée sur la nationale numéro un, savaient bien qu’ils devaient prendreleur mal en patience, car dévier par la route 9 était se livrer en pâtures aux bandits quirégnaient en maître sur Cité Soleil. Ne parlons pas de faufiler sur la route des Dalles pouraboutir à Nan Beiny ou à Grand’ Ravine pour évacuer le stress des embouteillages de la routede Carrefour.

L’actualité de ces temps là, c’était la terreur à la Saline, aux différents marchés publics, à lazone de Varreux où la plupart des commerces et entreprises avaient dû fermer boutique etabandonner les lieux pendant longtemps. Plus d’une centaine de policiers tués, ciblesprivilégiées de l’Opération, des centaines de civils liquidés, des enlèvements spectaculaires, desassassinats de paisibles citoyens et d’étrangers qui se sont oubliés en ces lieux et dont lesvoitures ont été criblés de balles. Des professionnels pleins de promesses, de jeunes enfants,des adultes enlevés dont les parents ont payé les rançons et dont l’on retrouvait malgré tout lecadavre torturé, mutilé sur des piles de fatras. Haïti, pendant le trop long laps de temps del’opération Bagdad I et Bagdad II était une société endeuillée. Un long cortège de morts, de

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kidnappés, de personnes rançonnées, de commerçants ruinés, un règne de terreur dubanditisme sous les yeux impuissants de la police nationale et des forces des Nations-Unies.L’impunité totale qui nous a valu des assassinats spectaculaires, Natacha Kerby Dessources,Jacques Roche, Henri Paul Mourral le Consul honoraire de France au Cap-Haïtien, RonaldFrancillon, Bernard Lacarte, Alfredo Estriplet, Directeur Technique du Conatel, le jeune

Kareem Xavier (Kako) Gaspard et plus tard dans la même vague, le grand comédien FrançoisLatour pour ne citer que les cas les plus connus ou ayant fait le plus de bruit. Les banditsétaient tellement à l’aise qu’ils ont eue, une fois, même droit à la télévision pour filmerl’élimination de l’une de leurs victimes… Notre société souffre malheureusement d’amnésie cequi permet les anciens bourreaux de se déguiser et de porter toutes sortes de costume pours’imposer en toute imposture et nous imposer à nouveau leur loi. Ils sont immuables à causedu manque de vigilance de la nation. Les auteurs intellectuels de ces actes ou des dignitairesdu régime déchu qui, pour la plupart, ont cautionné l’Opération Bagdad I et II sontaujourd’hui, malheureusement, les voix tonitruantes qui du haut de nos respectablesinstitutions, s’imposent et opposent leur véto pour barrer la route à ceux qui ont eu le couragede les affronter pour que la société meurtrie puisse retrouver son sommeil.

Alors qu’en Argentine, au Chili et ailleurs en Amérique Latine, plus de trente ans après, lepassé des tortionnaires des régimes dictatoriaux et militaires les ont rattrapé pour leurdemander des comptes et les emprisonner malgré leur âge avancé d’aujourd’hui, en Haïti, sansqu’une décennie nous sépare des faits relatés, les protagonistes sont nos nouveaux dirigeantset nous nous trouvons dans une réalité où les anciens bourreaux de la nation sont ceux-làmêmes qui lui imposent leur loi… 

Ce n’est pas avec une telle situation que nous avancerons sur les sentiers de la démocratie, carcette dernière est incapable de s’accommoder de l’impunité garantis aux tenants de l’ancienÉtat délinquant pour la restauration duquel, ils avaient imposé à notre société le deuil et laterreur.

En Haïti, le mensonge comme stratégie politique est payant. Ceux qui présentaient les chefsde gangs comme des enfants du peuple que massacrait le gouvernement de transition sont prisdans leur propre propagande qu’ils nous vendent aujourd’hui comme la vérité historique. Etvoilà que les serviteurs de l’État de l’époque ont un profil de violateurs des droits de l’homme !Cette imposture ne doit pas continuer. Nous sommes le seul pays où la responsabilité de lacharge n’impliquerait aucune sanction quand sous nos ordres des dérapages, des bavures ouautres situations ont provoqué des morts ou des massacres. La fonction de dirigeant au plushaut niveau de l’État engage la responsabilité personnelle de celui qui est en charge. Lafonction de représentation dans ce cas implique aussi la prison, le cas échéant. Sans que l’onsoit forcément des assassins ou des criminels, les poursuites pénales vous concernent aupremier chef. A charge par vous de prouver votre innocence. Rien n ’est parfait en Haïti ouailleurs. Certains dossiers peuvent avoir été maltraités ou traités avec légèreté dans la pure

tradition d’abus de pouvoir de notre système politique. Mais ceux qui veulent occuper descharges politiques ici ou ailleurs doivent savoir aussi qu’en cas de problème, ils sont ceux-là àqui l’on demandera des comptes. La tradition d’impunité doit cesser pour qu’il apparaissedésormais normal que les tenants de l’État soient des justiciables au même titre que lecommun des citoyens et qu’en cas d’emprisonnement, ils ne jouent pas les martyrs, lesvictimes de représailles politiques, même s’il est certain que cela puisse être véritablement lecas, à l’occasion. De ce côté, nous devons faire beaucoup d’efforts de dépassement pour traiterles dossiers d’anciens dirigeants emprisonnés avec équité pour leur enlever l’auréole de

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martyrs qui les rendent aptes à entrer dans les bonnes grâces du pays ayant mauvaiseconscience. Dans notre système, un séjour en prison est souvent le baptême requis pour partirà la conquête du pouvoir et de ses avantages… 

L’acte politique du groupe majoritaire au Sénat de la République doit ouvrir les yeux de lanation, provoquer un électrochoc qui nous pousse à changer d’attitude quant à l’impunité.

Nous sommes en train de payer notre passivité comme société. Pour introduire ce filtreinfranchissable au-devant de nos institutions, nous devons être alertes aux faits et gestes desacteurs et opérateurs politiques. C’est de cette façon que nous les empêcherons de prendred’assaut des postes pour lesquels ils n’ont pas l’honorabilité requise. Chaque Haïtienne, chaqueHaïtien homme, femme politique, activiste ou pas doit désormais être comptable des délitscommis pour éviter que le jeu politique soit biaisé et que ceux qui, normalement aurait dû êtrehors jeu parce qu’en contravention avec la justice ne soient pas, par onction du peuplesouverain qui leur délègue indûment leurs droits, ceux-là qui imposent leur loi et barrent laroute aux tenants de l’État de droit. 

Enfin, le forfait du 2 Août 2011 au Sénat de la République, loin de décourager les potentielsserviteurs de l’État, doit renforcer leur détermination à assumer pleinement leursresponsabilités quand ils auront l’occasion d’être les décideurs aux timons des affaires de laRépublique. Ils doivent prendre les moyens de transformer l’État en renforçant sesfondements, c’est-à-dire la Justice et le système politique pour que désormais l’on puissedemander des comptes aux délinquants et que le système puisse aussi juger à bon droit ceuxqui étaient placés aux commandes et qui loin de chercher les voies et moyens pour faireprogresser le pays ont préféré créer plutôt les conditions de l’affaiblissement et de ladisparition de l’État. Ceci étant fait, les filtres seront posés et nos institutions ne risquent pasd’être des repaires d’imposteurs qui n’ont aucune qualité pour y siéger et dont la présenceserait une insulte pour la République. C’est la meilleure garantie pour que demain soitdifférent d’aujourd’hui… 

Source: http://radiokiskeya.com/spip.php?article7954