Sempé - Goscinny [Petit Nicolas] (1964) Le petit Nicolas a des ennuis

download Sempé - Goscinny [Petit Nicolas] (1964) Le petit Nicolas a des ennuis

of 72

Transcript of Sempé - Goscinny [Petit Nicolas] (1964) Le petit Nicolas a des ennuis

Semp - Goscinny

Le petit Nicolas a des ennuis1964

1

Joachim a des ennuis Joachim nest pas venu hier lcole et il est arriv en retard aujourdhui, lair trs embt, et nous on a t trs tonns. On na pas t tonns que Joachim soit en retard et embt, parce quil est souvent en retard et toujours embt quand il vient lcole, surtout quand il y a interrogation crite de grammaire ; ce qui nous a tonns, cest que la matresse lui ait fait un grand sourire, et lui ait dit : Eh bien, flicitations, Joachim! Tu dois tre content, nest-ce pas? Nous, on a t de plus en plus tonns, parce que si la matresse a dj t gentille avec Joachim (elle est trs chouette et elle est gentille avec nimporte qui), elle ne la jamais, jamais flicit. Mais a na pas eu lair de lui faire plaisir, Joachim, qui, toujours aussi embt, est all sasseoir son banc, ct de Maixent. Nous, on stait tous retourns pour le regarder, mais la matresse a tap sur son bureau avec sa rgle et elle nous a dit de ne pas nous dissiper, de nous occuper de nos affaires et de copier ce quil y avait au tableau, sans faire de fautes, je vous prie. Et puis, jai entendu la voix de Geoffroy, derrire moi: Faites passer ! Joachim a eu un petit frre ! A la rcr, on sest mis tous autour de Joachim, qui tait appuy contre le mur, avec les mains dans les poches, et on lui a demand si ctait vrai quil avait eu un petit frre. Ouais, nous a dit Joachim. Hier matin, Papa ma rveill. Il tait tout habill et pas ras, il rigolait, il ma embrass et il ma dit que, pendant la nuit, javais eu un petit frre. Et puis il ma dit de mhabiller en vitesse et nous sommes alls dans un hpital, et l, il y avait Maman; elle tait couche, mais elle avait lair aussi contente que Papa, et prs de son lit, il y avait mon petit frre. Ben, jai dit, toi tas pas lair tellement content ! Et pourquoi je serais content? a dit Joachim. Dabord, il est moche comme tout. Il est tout petit, tout rouge et il crie tout le temps, et tout le monde trouve a rigolo. Moi, quand je crie2

un peu, la maison, on me fait taire tout de suite, et puis Papa me dit que je suis un imbcile et que je lui casse les oreilles. Ouais, je sais, a dit Rufus. Moi aussi, jai un petit frre, et a fait toujours des histoires. Cest le chouchou et il a le droit de tout faire, et si je lui tape dessus, il va tout raconter mes parents, et puis aprs je suis priv de cinma, jeudi ! Moi, cest le contraire, a dit Eudes. Jai un grand frre et cest lui le chouchou. Il a beau dire que cest moi qui fais des histoires, lui, il me tape dessus, il a le droit de rester tard pour regarder la tl et on le laisse fumer! Depuis quil est l, mon petit frre, on mattrape tout le temps, a dit Joachim. A lhpital, Maman a voulu que je lembrasse, mon petit frre, et moi, bien sr, je nen avais pas envie, mais jy suis all quand mme, et Papa sest mis crier que je fasse attention, que jallais renverser le berceau et quil navait jamais vu un grand empot comme moi. Quest-ce que a mange, quand cest petit comme a ? a demand Alceste. Aprs, a dit Joachim, nous sommes retourns la maison, Papa et moi, et a fait tout triste, la maison, sans Maman. Surtout que cest Papa qui a fait le djeuner, et il sest fch parce quil ne trouvait pas louvre-botes, et puis aprs on a eu seulement des sardines et des tas de petits pois. Et ce matin, pour le petit djeuner, Papa sest mis crier aprs moi, parce que le lait se sauvait. Et tu verras, a dit Rufus. Dabord, quand ils le ramneront la maison, il va dormir dans la chambre de tes parents, mais aprs, on va le mettre dans ta chambre toi. Et chaque fois quil se mettra pleurer, on croira que cest toi qui las embt. Moi, a dit Eudes, cest mon grand frre qui couche dans ma chambre, et a ne me gne pas trop, sauf quand jtais tout petit, a fait longtemps, et que cette espce de guignol samusait me faire peur. Ah ! non ! a cri Joachim. a, il peut toujours courir, mais il ne couchera pas dans ma chambre! Elle est moi, ma

3

chambre, et il na qu sen trouver une autre sil veut dormir la maison ! Bah! a dit Maixent. Si tes parents disent que ton petit frre couche dans ta chambre, il couchera dans ta chambre, et voil tout. Non, monsieur! Non, monsieur! a cri Joachim. Ils le coucheront o ils voudront, mais pas chez moi ! Je menfermerai, non mais sans blague ! Cest bon, a, des sardines avec des petits pois? a demand Alceste. Laprs-midi, a dit Joachim, Papa ma ramen lhpital, et il y avait mon oncle Octave, ma tante Edith et puis ma tante Lydie, et tout le monde disait que mon petit frre ressemblait des tas de gens, Papa, Maman, loncle Octave, tante Edith, tante Lydie et mme moi. Et puis on ma dit que je devais tre bien content, et que maintenant il faudrait que je sois trs sage, que jaide ma Maman et que je travaille bien lcole. Et Papa a dit quil esprait bien que je ferais des efforts, parce que jusqu prsent je ntais quun cancre, et quil fallait que je devienne un exemple pour mon petit frre. Et puis aprs, ils ne se sont plus occups de moi, sauf Maman, qui ma embrass et qui ma dit quelle maimait bien, autant que mon petit frre. Dites, les gars, a dit Geoffroy, si on faisait une partie de foot, avant que la rcr se termine ? Tiens! a dit Rufus, quand tu voudras sortir pour aller jouer avec les copains, on te dira de rester la maison pour garder ton petit frre. Ah! oui? Sans blague! Il se gardera tout seul, celui-l! a dit Joachim. Aprs tout, personne ne la sonn. Et jirai jouer chaque fois que jen aurai envie ! a fera des histoires, a dit Rufus, et puis on te dira que tu es jaloux. Quoi ? a cri Joachim. a, cest la meilleure! Et il a dit quil ntait pas jaloux, que ctait bte de dire a, quil ne sen occupait pas, de son petit frre; la seule chose, cest quil naimait pas quon lembte et quon vienne coucher dans sa chambre, et puis quon lempche daller jouer avec les4

copains, et que lui il naimait pas les chouchous, et que si on lembtait trop, eh bien, il quitterait la maison, et cest tout le monde qui serait bien embt, et quils pouvaient le garder, leur Lonce, et que tout le monde le regretterait bien quand il serait parti, surtout quand ses parents sauraient quil tait capitaine sur un bateau de guerre et quil gagnait beaucoup dargent, et que de toute faon il en avait assez de la maison et de lcole, et quil navait besoin de personne, et que tout a, a le faisait drlement rigoler. Qui cest, Lonce ? a demand Clotaire. Cest mon petit frre, tiens, a rpondu Joachim. Il a un drle de nom, a dit Clotaire. Alors, Joachim sest jet sur Clotaire et il lui a donn des tas de baffes, parce quil nous a dit que sil y avait une chose quil ne permettait pas, cest quon insulte sa famille.

5

La lettre Je suis drlement inquiet pour Papa, parce quil na plus de mmoire du tout. Lautre soir, le facteur est venu apporter un grand paquet pour moi, et jtais trs content parce que jaime bien quand le facteur apporte des paquets pour moi, et cest toujours des cadeaux que menvoie mm, qui est la maman de ma maman, et Papa dit quon na pas ide de gter comme a un enfant, et a fait des histoires avec Maman, mais l il ny a pas eu dhistoires et Papa tait trs content parce que le paquet ntait pas de mm, mais de M. Moucheboume qui est le patron de Papa. Cest un jeu de loie jen ai dj un et il y avait une lettre dedans pour moi: A mon cher petit Nicolas, qui a un papa si travailleur. Roger Moucheboume. En voil une ide ! a dit Maman. Cest parce que lautre jour, je lui ai rendu un service personnel, a expliqu Papa. Je suis all faire la queue la gare, pour lui prendre des places pour partir en voyage. Je trouve que davoir envoy ce cadeau Nicolas est une ide charmante. Une augmentation aurait t une ide encore plus charmante, a dit Maman. Bravo, bravo! a dit Papa. Voil le genre de remarque faire devant le petit. Eh bien, que suggres-tu? Que Nicolas renvoie le cadeau Moucheboume en lui disant quil prfre une augmentation pour son papa? Oh non ! jai dit. Parce que cest vrai : mme si jen ai dj un, jeu de loie, lautre je pourrai lchanger lcole avec un copain pour quelque chose de mieux. Oh! a dit Maman, aprs tout, si tu es content que lon gte ton fils, moi je ne dis plus rien. Papa a regard le plafond en faisant non avec la tte et en serrant la bouche, et puis aprs il ma dit que je devrais remercier M. Moucheboume par tlphone. Non, a dit Maman. Ce qui se fait dans ces cas-l, cest encore une petite lettre.6

Tu as raison, a dit Papa. Une lettre cest prfrable. Moi, jaime mieux tlphoner, jai dit. Parce que cest vrai, crire, cest embtant, mais tlphoner cest rigolo, et la maison on ne me laisse jamais tlphoner, sauf quand cest mm qui appelle et qui veut que je vienne lui faire des baisers. Elle aime drlement a, mm, que je lui fasse des baisers par le tlphone. Toi, ma dit Papa, on ne ta pas demand ton avis. Si on te dit dcrire, tu criras ! Alors l, ctait pas juste ! Et jai dit que je navais pas envie dcrire, et que si on ne me laissait pas tlphoner je nen voulais pas, de ce sale jeu de loie, que de toute faon jen avais dj un qui tait trs bien et que si ctait comme a, je prfrais que M. Moucheboume donne une augmentation Papa. Cest vrai, quoi, la fin, non mais sans blague! Tu veux une claque et aller te coucher sans dner ? a cri Papa. Alors, je me suis mis pleurer, Papa a demand ce quil avait fait pour mriter a et Maman a dit que si on navait pas un peu de calme, cest elle qui irait se coucher sans dner, et quon se dbrouillerait sans elle. Ecoute, Nicolas, ma dit Maman. Si tu es sage et si tu cris cette lettre sans faire dhistoires, tu pourras prendre deux fois du dessert. Moi, jai dit que bon (ctait de la tarte aux abricots !) et Maman a dit quelle allait prparer le dner et elle est partie dans la cuisine. Bon, a dit Papa. Nous allons faire un brouillon. Il a pris un papier dans le tiroir de son bureau, un crayon, il ma regard, il a mordu le crayon et il ma demand: Voyons, quest-ce que tu vas lui dire, ce vieux Moucheboume? Ben, jai dit, je sais pas. Je pourrais lui dire que mme si jai dj un jeu de loie, je suis trs content parce que le sien je vais lchanger lcole avec les copains; il y a Clotaire qui a une voiture bleue terrible, et... Oui, bon, a va, a dit Papa. Je vois ce que cest.

7

Voyons... Comment allons-nous commencer ?... Cher monsieur... Non... Cher monsieur Moucheboume... Non, trop familier... Mon cher monsieur... Hmm... Non... Je pourrais mettre: Monsieur Moucheboume , jai dit. Papa ma regard, et puis il sest lev et il a cri vers la cuisine : Chrie! Cher monsieur, Mon cher monsieur, ou Cher monsieur Moucheboume? Quest-ce quil y a? a demand Maman en sortant de la cuisine et en sessuyant les mains dans son tablier. Papa lui a rpt, et Maman a dit quelle mettrait Cher monsieur Moucheboume , mais Papa a dit que a lui semblait trop familier et quil se demandait si Cher monsieur tout court a ne serait pas mieux. Maman a dit que non, que Cher monsieur tout court ctait trop sec et quil ne fallait pas oublier que ctait un enfant qui crivait. Papa a dit que justement Cher monsieur Moucheboume a nallait pas pour un enfant, que ce ntait pas assez respectueux. Si tu as dcid, a demand Maman, pourquoi me dranges-tu ? Jai mon dner prparer, moi. Oh! a dit Papa, je te demande pardon de tavoir drange dans tes occupations. Aprs tout, il ne sagit que de mon patron et de ma situation ! Parce que ta situation dpend de la lettre de Nicolas? a demand Maman. En tout cas, on ne fait pas tant dhistoires quand cest Maman qui envoie un cadeau! Alors, a a t terrible ! Papa sest mis crier, Maman sest mise crier, et puis elle est partie dans la cuisine en claquant la porte. Bon, ma dit Papa, prends le crayon et cris. Je me suis assis au bureau et Papa a commenc la dicte: Cher monsieur, virgule, la ligne... Cest avec joie... Non, efface... Attends... Cest avec plaisir... Oui, cest a... Cest avec plaisir que jai eu la grande surprise... Non... Mets limmense surprise... Ou non, tiens, il ne faut rien exagrer... Laisse la grande surprise... La grande surprise de recevoir votre beau cadeau... Non... L, tu peux mettre votre merveilleux cadeau... Votre merveilleux cadeau qui ma fait tant plaisir... Ah ! non...8

On a dj mis plaisir... Tu effaces plaisir... Et puis tu mets Respectueusement... Ou plutt, Mes salutations respectueuses... Attends... Et Papa est all dans la cuisine, jai entendu crier et puis il est revenu tout rouge. Bon, il ma dit, mets: Avec mes salutations respectueuses , et puis tu signes. Voil. Et Papa a pris mon papier pour le lire, il a ouvert des grands yeux, il a regard le papier de nouveau, il a fait un gros soupir et il a pris un autre papier pour crire un nouveau brouillon. Tu as un papier lettres, je crois? a dit Papa. Un papier avec des petits oiseaux dessus, que ta donn tante Dorothe pour ton anniversaire? Ctaient des lapins, jai dit. Cest a, a dit Papa. Va le chercher. Je ne sais pas o il est, jai dit. Alors, Papa est mont avec moi dans ma chambre et nous nous sommes mis chercher, et tout est tomb de larmoire, et Maman est arrive en courant et elle a demand ce que nous tions en train de faire. Nous cherchions le papier lettres de Nicolas, figure-toi, a cri Papa, mais il y a un dsordre terrible dans cette maison ! Cest incroyable ! Maman a dit que le papier lettres tait dans le tiroir de la petite table du salon, quelle commenait en avoir assez et que son dner tait prt. Jai recopi la lettre de Papa et jai d recommencer plusieurs fois, cause des fautes, et puis aussi cause de la tache dencre. Maman est venue nous dire que tant pis, le dner serait brl, et puis jai fait lenveloppe trois fois, et Papa a dit quon pouvait aller dner, et moi jai demand un timbre Papa, et Papa a dit Ah! oui , et il ma donn un timbre, et jai eu deux fois du dessert. Mais Maman ne nous a pas parl pendant le dner. Et cest le lendemain soir que jai t drlement inquiet pour Papa, parce que le tlphone a sonn, Papa est all rpondre et il a dit:9

All ?... Oui... Ah! Monsieur Moucheboume ! ... Bonsoir, monsieur Moucheboume... Oui... Comment? Alors, Papa a fait une tte tout tonne et il a dit: Une lettre ?... Ah! cest donc pour a que ce petit cachottier de Nicolas ma demand un timbre, hier soir!

10

La valeur de largent Jai fait quatrime la composition dhistoire ; on a eu Charlemagne et je le savais, surtout avec le coup de Roland et son pe qui casse pas. Papa et Maman ont t trs contents quand ils ont su que jtais quatrime, et Papa a sorti son portefeuille et il ma donn, devinez quoi ? Un billet de dix francs! Tiens, bonhomme, ma dit Papa, demain, tu achteras ce que tu voudras. Mais... Mais, chri, a dit Maman, tu ne crois pas que cest beaucoup dargent pour le petit ? Pas du tout, a rpondu Papa ; il est temps que Nicolas apprenne connatre la valeur de largent. Je suis sr quil dpensera ces dix nouveaux francs dune faon raisonnable. Nest-ce pas, bonhomme? Moi, jai dit que oui, et jai embrass Papa et Maman; ils sont chouettes, et jai mis le billet dans ma poche, ce qui ma oblig dner dune seule main, parce quavec lautre je vrifiais si le billet tait toujours l. Cest vrai que jamais je nen avais eu daussi gros moi tout seul. Oh ! bien sr, il y a des fois o Maman me donne beaucoup dargent pour faire des courses lpicerie de M. Compani, au coin de la rue, mais ce nest pas moi et Maman me dit combien de monnaie doit me rendre M. Compani. Alors, cest pas la mme chose. Quand je me suis couch, jai mis le billet sous loreiller, et jai eu du mal mendormir. Et puis jai rv des drles de choses, avec le monsieur qui est sur le billet et qui regarde de ct, qui se mettait faire des tas de grimaces, et puis la grande maison qui est derrire lui devenait lpicerie de M. Compani. Quand je suis arriv lcole, le matin, avant dentrer en classe, jai montr le billet aux copains. Eh ben, dis donc, a dit Clotaire, et quest-ce que tu vas en faire ? Je sais pas, jai rpondu. Papa me la donn pour que je connaisse la valeur de largent, et il faut que je le dpense dune

11

faon raisonnable. Moi, ce que jaimerais, cest macheter un avion, un vrai. Tu peux pas, ma dit Joachim, un vrai avion, a cote au moins mille francs. Mille francs ? a dit Geoffroy, tu rigoles ! Mon papa ma dit que a cotait au moins trente mille francs, et un petit, encore. L, on sest tous mis rire, parce que Geoffroy, il raconte nimporte quoi, il est trs menteur. Pourquoi nachterais-tu pas un atlas? ma dit Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la matresse. Il y a de belles cartes, des photos instructives, cest trs utile. Tu voudrais tout de mme pas, jai dit, que je donne de largent pour avoir un livre? Et puis les livres cest toujours Tata qui me les donne pour mes anniversaires ou quand je suis malade; jai pas encore fini celui que jai eu pour les oreillons. Agnan, il ma regard, et puis il est parti sans rien dire et il sest remis repasser sa leon de grammaire. Il est fou, Agnan! Tu devrais acheter un ballon de foot, pour quon puisse tous y jouer, ma dit Rufus. Tu rigoles, jai dit. Le billet, il est moi, je vais pas acheter des choses pour les autres. Dabord, tavais qu faire quatrime en histoire si tu voulais jouer au foot. Tes un radin, ma dit Rufus, et si tas fait quatrime en histoire, cest parce que tes le chouchou de la matresse, comme Agnan. Mais jai pas pu donner une claque Rufus, parce que la cloche a sonn et on a d se mettre en rang pour aller en classe. Cest toujours la mme chose: quand on commence samuser, ding dong, il faut aller en classe. Et puis, quand on a t en rang, Alceste est arriv en courant. Vous tes en retard, a dit le Bouillon, notre surveillant. Cest pas ma faute, a dit Alceste, il y avait un croissant de plus pour le petit djeuner. Le Bouillon a fait un gros soupir et il a dit Alceste de se mettre en rang et dessuyer le beurre quil avait sur le menton. En classe, jai dit Alceste, qui est assis ct de moi: Tas vu ce que jai? et je lui ai montr mon billet. 12

Alors, la matresse a cri: Nicolas! Quest-ce que cest que ce papier? Apportez-lemoi immdiatement, il est confisqu. Je me suis mis pleurer et jai port le billet la matresse, qui a ouvert des grands yeux. Mais, elle a dit, la matresse, quest-ce que vous faites avec a? Je ne sais pas encore, jai expliqu: cest Papa qui me la donn pour le coup de Charlemagne. La matresse, jai vu quelle se forait pour ne pas rigoler; a lui arrive quelquefois et elle est trs jolie quand elle fait a; elle ma rendu le billet, elle ma dit de le mettre dans ma poche, quil ne fallait pas jouer avec de largent et que je ne le dpense pas pour des btises. Et puis elle a interrog Clotaire, et je ne crois pas que son papa le payera pour la note quil a eue. A la rcr, pendant que les autres jouaient, Alceste ma tir par le bras et il ma demand ce que jallais faire avec mon argent. Je lui ai dit que je ne savais pas; alors il ma dit quavec dix francs, je pourrais avoir des tas de tablettes de chocolat. Tu pourrais en acheter cinquante ! Cinquante tablettes, tu te rends compte? ma dit Alceste, vingt-cinq tablettes pour chacun ! Et pourquoi je te donnerais vingt-cinq tablettes, jai demand ; le billet, il est moi ! Laisse-le, a dit Rufus Alceste, cest un radin! Et ils sont partis jouer, mais moi je men fiche, cest vrai, quoi, la fin, quest-ce quils ont tous membter avec mon argent ? Mais lide dAlceste tait trs bonne, pour les tablettes de chocolat. Dabord, jaime bien le chocolat, et puis je nai jamais eu cinquante tablettes la fois, mme chez mm, qui me donne pourtant tout ce que je veux. Cest pour a quaprs lcole, je suis all en courant dans la boulangerie, et quand la dame ma demand ce que je voulais, je lui ai donn mon billet et je lui ai dit: Des tablettes pour tout a, vous devez men donner cinquante, ma dit Alceste.

13

La dame a regard le billet, ma regard moi, et elle ma dit : O as-tu trouv a, mon petit garon? Je ne lai pas trouv, jai dit, on me la donn. On ta donn a pour que tu achtes cinquante tablettes de chocolat? ma demand la dame. Ben oui, jai rpondu. Je naime pas les petits menteurs, ma dit la dame; tu ferais mieux de remettre ce billet o tu las trouv. Et comme elle ma fait les gros yeux, je me suis sauv et jai pleur jusqu la maison. A la maison, jai tout racont Maman; alors elle ma embrass et elle ma dit quelle allait arranger a avec mon papa. Et Maman a pris le billet et elle est alle voir Papa qui tait dans le salon. Et puis Maman est revenue avec une pice de vingt centimes: Tu achteras une tablette de chocolat avec ces vingt centimes, ma dit Maman. Et moi, jai t bien content. Je crois mme que je vais donner la moiti de ma tablette Alceste, parce que cest un copain, et avec lui, on partage tout.

14

On a fait le march avec papa Aprs dner, Papa a fait les comptes du mois avec Maman. Je me demande o passe largent que je te donne, a dit Papa. Ah! jaime bien quand tu me dis a, a dit Maman, qui pourtant navait pas lair de rigoler; et puis elle a expliqu Papa quil ne se rendait pas compte de ce que cotait la nourriture et que sil fallait faire le march, il comprendrait, et quon ne devait pas discuter devant le petit. Papa a dit tout a ctait des blagues, que si lui soccupait daller acheter les choses, on ferait des conomies et on mangerait mieux, et que le petit navait qu aller se coucher. Eh bien, puisque cest comme a, tu feras les courses, toi qui es si malin, a dit Maman. Parfaitement, a rpondu Papa. Demain, cest dimanche, et jirai au march. Tu verras comme moi je ne me laisse pas faire! Chic, jai dit, je pourrai y aller, moi aussi ! Et on ma envoy me coucher. Le matin, jai demand Papa si je pouvais laccompagner et Papa a dit que oui, que ctaient les hommes qui faisaient le march aujourdhui. Moi jtais drlement content, parce que jaime bien sortir avec mon papa, et le march, cest chouette. Il y a du monde et a crie partout, cest comme une grande rcr qui sentirait bon. Papa ma dit de prendre le filet provisions et Maman nous a dit au revoir en rigolant. Tu peux rire, a dit Papa, tu riras moins quand nous serons revenus avec de bonnes choses que nous aurons payes des prix abordables. Cest que nous, les hommes, on ne se laisse pas rouler. Pas vrai, Nicolas? Ouais, jai dit. Maman a continu rigoler et elle a dit quelle allait faire chauffer leau pour cuire les langoustes que nous allions lui rapporter, et nous sommes alls chercher la voiture dans le garage.

15

Dans lauto, jai demand Papa si ctait vrai que nous allions ramener des langoustes. Et pourquoi pas ? a dit Papa. L o nous avons eu du mal, cest pour trouver o garer. Il y avait un tas de monde qui allait au march. Heureusement, Papa a vu une place libre il a lil, mon papa et il a gar. Bien, a dit Papa, nous allons prouver ta mre que cest facile comme tout de faire le march, et nous allons lui apprendre faire des conomies. Pas vrai, bonhomme? Et puis, Papa sest approch dune marchande qui vendait des tas de lgumes, il a regard et il a dit que les tomates, ce ntait pas cher. Donnez-moi un kilo de tomates, il a demand, Papa. La marchande a mis cinq tomates dans le filet provisions et elle a dit: Et avec a, quest-ce que je vous mets? Papa a regard dans le filet, et puis il a dit: Comment ? Il ny a que cinq tomates dans un kilo? Et quest-ce que vous croyez, a demand la dame, que pour le prix vous aurez une plantation? Les maris, quand a vient au march, cest tous du pareil au mme. Les maris, on se laisse moins rouler que nos femmes, voil tout! a dit Papa. Rptez a un peu, si vous tes un homme ? a demand la marchande, qui ressemblait M. Pancrace, le charcutier de notre quartier. Papa a dit: bon, a va, a va ; il ma laiss porter le filet et nous sommes partis, pendant que la marchande parlait de Papa dautres marchandes. Et puis, jai vu un marchand avec plein de poissons sur sa table et des grosses langoustes: Regarde, Papa ! Des langoustes ! jai cri. Parfait, a dit Papa, allons voir a. Papa, il sest approch du marchand, et il a demand si les langoustes taient fraches. Le marchand lui a expliqu quelles taient spciales. Quant tre fraches, il pensait que oui, puisquelles taient vivantes, et il a rigol.

16

Oui, bon, a dit Papa, combien la grosse, l, qui remue les pattes ? Le marchand lui a dit le prix et Papa a ouvert les yeux gros comme tout. Et lautre, l, la plus petite ? a demand Papa. Le marchand lui a dit le prix de nouveau et Papa a dit que ctait incroyable et que ctait une honte. Dites, a demand le marchand, cest des langoustes ou des crevettes que vous voulez acheter? Parce que ce nest pas du tout le mme prix. Votre femme aurait d vous prvenir. Viens, Nicolas, a dit Papa, nous allons chercher autre chose. Mais moi, jai dit Papa que ce ntait pas la peine daller ailleurs, que ces langoustes me paraissaient terribles, avec leurs pattes qui remuaient, et que la langouste cest drlement bon. Ne discute pas et viens, Nicolas, ma dit Papa. Nous nachterons pas de langouste, voil tout. Mais Papa, jai dit, Maman fait chauffer leau pour les langoustes, il faut en acheter. Nicolas, ma dit Papa, si tu continues, tu iras mattendre dans la voiture ! Alors l, je me suis mis pleurer ; cest vrai, quoi, cest pas juste. Bravo, a dit le marchand, non seulement vous tes radin et vous affamez votre famille, mais en plus, vous martyrisez ce pauvre gosse. Mlez-vous de ce qui vous regarde, a cri Papa, et dabord, on ne traite pas les gens de radins quand on est un voleur! Un voleur, moi? a cri le marchand, vous voulez une baffe? Et il a pris une sole dans la main. a cest bien vrai, a dit une dame; le merlan que vous mavez vendu avant-hier ntait mme pas frais. Mme le chat nen a pas voulu. Pas frais, mon merlan? a cri le marchand.

17

Alors il y a tout plein de gens qui sont venus et nous sommes partis pendant que tous se mettaient discuter et que le marchand faisait des gestes avec sa sole. Nous rentrons, a dit Papa, qui avait lair nerveux et fatigu ; il se fait trs tard. Mais, Papa, jai dit, nous navons que cinq tomates Moi, je crois quune langouste... Mais Papa ne ma pas laiss finir, il ma tir par la main, et comme a ma surpris, jai lch le filet provisions, qui est tomb par terre. Ctait gagn. Surtout quune grosse dame qui tait derrire nous a march sur les tomates, a a fait cruish , et elle nous a dit de faire attention. Quand jai ramass le filet provisions, ce quil y avait dedans, a ne donnait pas faim. Il faudra quon retourne acheter dautres tomates, jai dit Papa. Pour ces cinq-l, cest fichu. Mais Papa na rien voulu entendre et nous sommes arrivs la voiture. L, Papa na pas t content cause de la contravention. Dcidment, cest le jour ! il a dit. Et puis, nous nous sommes mis dans lauto et Papa a dmarr. Mais fais attention o tu mets le filet, a cri Papa. Jai plein de tomates crases sur mon pantalon! Regarde un peu ce que tu fais! Et cest l que nous avons accroch un camion. A force de faire le guignol, a devait arriver! Quand nous sommes sortis du garage o on avait emmen lauto cest pas grave, elle sera prte aprs-demain Papa avait lair fch. Cest peut-tre cause des choses que lui avait dites le camionneur, un gros. A la maison, quand Maman a vu le filet provisions, elle allait commencer dire quelque chose, mais Papa sest mis crier quil ne voulait pas de commentaires. Comme il ny avait rien manger dans la maison, Papa nous a emmens en taxi au restaurant. Ctait chouette. Papa na pas beaucoup mang, mais Maman et moi on a pris de la langouste mayonnaise, comme pour le repas de communion de mon cousin Euloge.

18

Maman a dit que Papa avait raison, que les conomies avaient du bon. Jespre que dimanche prochain, nous retournerons faire le march avec Papa !

19

Les chaises a a t terrible, lcole, aujourdhui! Nous sommes arrivs ce matin, comme dhabitude, et quand le Bouillon (cest notre surveillant) a sonn la cloche, nous sommes alls nous mettre en rang. Et puis tous les autres types sont monts dans leurs classes et nous, nous sommes rests seuls dans la cour de rcr. On se demandait ce qui se passait, si la matresse tait malade et si on allait nous renvoyer chez nous. Mais le Bouillon nous a dit de nous taire et de rester en rang. Et puis on a vu arriver la matresse et le directeur de lcole ; ils parlaient ensemble en nous regardant, et puis le directeur est parti et la matresse est venue vers nous. Les enfants, elle nous a dit, dans la nuit, une canalisation deau a gel et a crev, ce qui a inond notre salle de classe. Des ouvriers sont en train de faire des rparations Rufus, si ce que je dis ne vous intresse pas, vous me ferez tout de mme le plaisir de rester tranquille et nous allons donc tre obligs de faire la classe dans la buanderie. Je vous demande dtre trs sages, de ne pas faire de dsordre et de ne pas profiter de ce petit accident pour vous dissiper Rufus, deuxime avertissement. En avant ! Nous, on tait drlement contents, parce que cest amusant, quand il y a du changement lcole. L, par exemple, ctait chouette de suivre la matresse par le petit escalier en pierre qui descend vers la buanderie. Lcole, on croit quon la connat bien, mais il y a des tas dendroits comme a, o on ne va presque jamais parce que cest dfendu. Nous sommes arrivs dans la buanderie; cest pas trs grand et il ny a pas de meubles, sauf un vier et une chaudire avec des tas de tuyaux. Ah! oui, a dit la matresse, il faut aller chercher des chaises dans la salle manger. Alors, on a tous lev le doigt et on sest mis crier: Je peux y aller, mademoiselle ? Moi, mademoiselle ! Moi ! et la matresse a tap avec sa rgle sur lvier, et a faisait moins de bruit que sur son bureau, en classe.

20

Un peu de silence! a dit la matresse. Si vous continuez crier, personne nira chercher les chaises et nous ferons la classe debout... Voyons... vous, Agnan, et puis Nicolas, Geoffroy, Eudes, et... et... et Rufus, qui pourtant ne le mrite pas, allez dans la salle manger, sans vous dissiper, et l-bas on vous donnera des chaises. Agnan, vous qui tes raisonnable, je vous rends responsable de lexpdition. Nous sommes sortis de la buanderie drlement contents, et Rufus a dit quon allait bien rigoler. Un peu de silence! a dit Agnan. Toi, le sale chouchou, on ne ta pas sonn! a cri Rufus. Je ferai silence quand je voudrai, non, mais sans blague ! Non, monsieur ! non, monsieur! a cri Agnan. Tu feras silence quand moi je voudrai, parce que la matresse a dit que ctait moi qui commandais, et puis je ne suis pas un sale chouchou, et je me plaindrai, tiens ! Tu veux une gifle ? a demand Rufus. Et la matresse a ouvert la porte de la buanderie et elle nous a dit: Bravo! Je vous flicite ! Vous devriez dj tre de retour et vous tes encore en train de vous disputer devant la porte! Maixent, prenez la place de Rufus. Rufus, vous tiez averti, retournez en classe ! Rufus a dit que ce ntait pas juste et la matresse lui a dit quil tait un petit insolent, elle la averti encore une fois et elle lui a dit que sil continuait elle finirait par le punir svrement, et Joachim a remplac Geoffroy qui faisait des grimaces. Ah ! vous voici enfin ! nous a dit le Bouillon, qui nous attendait dans la salle manger. Et il nous a donn des chaises, on a d faire plusieurs voyages, et comme on a fait un peu les guignols dans les couloirs et les escaliers, Clotaire a remplac Eudes et moi jai t remplac par Alceste. Mais aprs, jai remplac Joachim, et pendant que la matresse ne regardait pas, Eudes a fait encore un voyage sans remplacer personne, et puis la matresse a dit quil y avait assez de chaises comme a et quelle voulait un peu de calme, sil vous plat, et le Bouillon est arriv avec trois chaises. 21

Il est drlement fort, le Bouillon, et il a demand sil y avait assez de chaises comme a, et la matresse a dit quil y en avait de trop et quon ne pouvait plus bouger tellement il y en avait, et quil faudrait en remporter, des chaises, et on a tous lev le doigt en criant: Moi, mademoiselle! moi! Mais la matresse a tap avec sa rgle sur la chaudire et cest le Bouillon qui a remport les chaises, et il a d faire deux voyages. Mettez les chaises en rang, a dit la matresse. Alors, on a commenc ranger les chaises, et il y en avait partout, dans tous les sens, et la matresse sest drlement fche; elle a dit que nous tions insupportables et cest elle qui a rang les chaises face lvier, et puis elle a dit de nous asseoir, et Joachim et Clotaire ont commenc se pousser parce quils voulaient tous les deux tre assis sur la mme chaise, dans le fond de la buanderie. Quoi encore? a demand la matresse. Vous savez que je commence en avoir assez, moi? Cest ma place, a expliqu Clotaire. En classe, je suis assis derrire Geoffroy. Peut-tre, a dit Joachim, mais en classe, Geoffroy nest pas assis ct dAlceste. Geoffroy na qu changer de place et tu te mettras derrire lui. Mais a cest ma place, prs de la porte. Moi, je veux bien changer de place, a dit Geoffroy en se levant, mais il faudra que Nicolas me laisse sa chaise, parce que Rufus... Ce nest pas un peu fini? a dit la matresse. Clotaire ! Allez au coin! Lequel, mademoiselle? a demand Clotaire. Parce que cest vrai, en classe, Clotaire va toujours au mme coin, celui qui est gauche du tableau, mais l, dans la buanderie, tout est diffrent et Clotaire nest pas encore habitu. Mais la matresse tait drlement nerveuse; elle a dit Clotaire de ne pas faire le pitre, quelle allait lui mettre un zro, et Clotaire a vu que ce ntait pas le moment de faire le guignol et il a choisi le coin qui est juste de lautre ct de lvier ; il ny a pas beaucoup de place, mais en se serrant, on arrive sy mettre au piquet. Joachim sest assis tout content sur la chaise du fond, mais la matresse 22

lui a dit que non, mon petit ami, ce serait trop facile; venez plutt devant o je peux mieux vous surveiller , et Eudes a d se lever pour donner sa place Joachim, et pour les laisser passer on a d tous se lever, et la matresse a donn des grands coups de rgle contre les tuyaux de la chaudire en criant: Silence! assis! assis! Mentendez-vous? assis ! Et puis la porte de la buanderie sest ouverte et le directeur est entr. Debout ! a dit la matresse. Assis! a dit le directeur. Eh bien, flicitations ! Joli vacarme ! On vous entend dans toute lcole ! Ce ne sont que galopades dans les couloirs, cris, coups sur les tuyaux! Magnifique! Vos parents pourront tre fiers de vous, bientt, car on se conduit comme des sauvages et on finit au bagne, cest bien connu! Monsieur le Directeur, a dit la matresse, qui est chouette comme tout et qui nous dfend toujours, ils sont un peu nervs, avec ce local qui nest pas conu pour les recevoir, alors il y a un peu de dsordre, mais ils vont tre sages maintenant. Alors, le directeur a fait un grand sourire et il a dit: Mais bien sr, mademoiselle, bien sr! Je comprends trs bien. Aussi, vous pouvez rassurer vos lves ; les ouvriers mont promis que leur salle de classe sera parfaitement en tat de les recevoir demain, quand ils viendront. Je pense que cette excellente nouvelle va les calmer. Et quand il est parti, on a t contents que tout se soit si bien arrang, jusquau moment o la matresse nous a rappel que demain, ctait jeudi.

23

La lampe de poche Comme jai fait septime en orthographe, Papa ma donn de largent pour macheter ce que je voudrais, et la sortie de lcole tous les copains mont accompagn au magasin o jai achet une lampe de poche, parce que ctait a que je voulais. Ctait une chouette lampe de poche que je voyais dans la vitrine chaque fois que je passais devant le magasin pour aller lcole, et jtais drlement content de lavoir. Mais quest-ce que tu vas en faire, de ta lampe de poche ? ma demand Alceste. Ben, jai rpondu, a sera trs bien pour jouer aux dtectives. Les dtectives ont toujours une lampe de poche pour chercher les traces des bandits. Ouais, a dit Alceste, mais moi, si mon pre mavait donn un tas dargent pour acheter quelque chose, jaurais prfr le mille-feuille de la ptisserie, parce que les lampes, a suse, tandis que les mille-feuilles, cest bon. Tous les copains se sont mis rigoler et ils ont dit a Alceste quil tait bte et que ctait moi qui avais eu raison dacheter une lampe de poche. Tu nous la prteras, ta lampe? ma demand Rufus. Non, jai dit. Si vous en voulez, vous navez qu faire septimes en orthographe, non mais sans blague! Et nous nous sommes quitts fchs et nous ne nous parlerons plus jamais. A la maison, quand jai montr ma lampe Maman, elle a dit: Tiens? En voil une drle dide! Enfin, au moins, avec a tu ne nous casseras pas les oreilles. Monte faire tes devoirs, en attendant. Je suis mont dans ma chambre, jai ferm les persiennes pour quil fasse bien noir et puis je me suis amus envoyer le rond de lumire partout: sur les murs, au plafond, sous les meubles et sous mon lit, o, tout au fond, jai trouv une bille que je cherchais depuis longtemps et que je naurais jamais retrouve si je navais pas eu ma chouette lampe de poche. 24

Jtais sous le lit quand la porte de ma chambre sest ouverte, la lumire sest allume et Maman a cri: Nicolas ! o es-tu? Et quand elle ma vu sortir de dessous le lit, Maman ma demand si je perdais la tte et quest-ce que je faisais dans le noir sous mon lit; et quand je lui ai expliqu que je jouais avec ma lampe, elle ma dit quelle se demandait o jallais chercher des ides comme a, que je la ferais mourir et quen attendant, Regarde-moi dans quel tat tu tes mis , et Veux-tu faire tes devoirs tout de suite, tu joueras aprs , et Il a vraiment de drles dides, ton pre . Maman est sortie, jai teint la lumire et je me suis mis au travail. Cest trs chouette de faire les devoirs avec une lampe de poche, mme si cest de larithmtique ! Et puis Maman est revenue dans la chambre, elle a allum la grosse lumire et elle ntait pas contente du tout. Je croyais tavoir dit de faire tes devoirs avant de jouer ? ma dit Maman. Mais jtais en train de les faire, mes devoirs, je lui ai expliqu. Dans lobscurit? Avec cette petite lampe ridicule ? Mais tu vas te crever les yeux, Nicolas! a cri Maman. Jai dit Maman que ce ntait pas une petite lampe ridicule, et quelle donnait une lumire terrible, mais Maman na rien voulu savoir et elle a pris ma lampe, et elle a dit quelle me la rendrait quand jaurais fini mes devoirs. Jai essay de pleurer un coup, mais je sais quavec Maman a ne sert presque jamais rien, alors jai fait mon problme le plus vite possible. Heureusement, ctait un problme facile et jai tout de suite trouv que la poule pondait 33,33 ufs par jour. Je suis descendu en courant dans la cuisine et jai demand Maman quelle me rende ma lampe de poche. Bon, mais sois sage, ma dit Maman. Et puis Papa est arriv et je suis all lembrasser, et je lui ai montr ma chouette lampe de poche, et il a dit que ctait une drle dide, mais quenfin, avec a je ne casserais les oreilles de personne. Et puis il sest assis dans le salon pour lire son journal. 25

Je peux teindre la lumire? je lui ai demand. Eteindre la lumire? a dit Papa. a ne va pas, Nicolas? Ben, cest pour jouer avec la lampe, jai expliqu. Il nen est pas question, a dit Papa. Et puis je ne peux pas lire mon journal dans lobscurit, figure-toi. Mais justement, jai dit. Je te ferai de la lumire avec ma lampe de poche, a sera trs chouette! Non, Nicolas! a cri Papa. Tu sais ce que a veut dire: non? Eh bien, non! Et ne me casse pas les oreilles, jai eu une journe fatigante, aujourdhui. Alors, je me suis mis pleurer, jai dit que ctait pas juste, que a ne valait pas la peine de faire septime en orthographe si, aprs, on ne vous laissait pas jouer avec votre lampe de poche, et que si javais su, je naurais pas fait le problme avec le coup de la poule et des ufs. Quest-ce quil a, ton fils? a demand Maman, qui est venue de la cuisine. Oh! rien, a dit Papa. Il veut que je lise mon journal dans le noir, ton fils, comme tu dis. La faute qui? a demand Maman. Ctait vraiment une drle dide de lui acheter une lampe de poche. Je ne lui ai rien achet du tout! a cri Papa. Cest lui qui a dpens son argent sans rflchir; je ne lui ai pas dit dacheter cette lampe idiote ! Je me demande quelquefois de qui il tient cette manie de jeter largent par les fentres ! Ce nest pas une lampe idiote ! jai cri. Oh! a dit Maman, jai compris cette fine allusion. Mais je te ferai remarquer que mon oncle a t victime de la crise, tandis que ton frre Eugne... Nicolas, a dit Papa, monte jouer dans ta chambre! Tu as une chambre, non? Alors, vas-y. Moi, jai parler avec Maman. Alors, je suis mont dans ma chambre et je me suis amus devant la glace; jai mis la lampe sous ma figure et a fait ressembler un fantme, et puis jai mis la lampe dans ma bouche et on a les joues toutes rouges, et jai mis la lampe dans ma poche et on voit la lumire travers le pantalon, et jtais en train de chercher des traces de bandits quand Maman ma appel pour me dire que le dner tait prt. 26

A table, comme personne navait lair de rigoler, je nai pas os demander quon teigne la lumire pour manger, et jesprais que les plombs sauteraient, comme a arrive quelquefois, et tout le monde aurait t bien content de lavoir, ma lampe, et puis, aprs dner, je serais descendu avec Papa la cave, pour lui donner de la lumire pour arranger les plombs. Il ne sest rien pass, cest dommage, mais heureusement il y avait de la tarte aux pommes. Je me suis couch, et dans mon lit jai lu un livre avec ma lampe de poche, et Maman est entre et elle ma dit : Nicolas, tu es insupportable ! teins cette lampe et dors ! Ou alors, tiens, donne-moi la lampe, je te la rendrai demain matin. Oh ! non... oh ! non, jai cri. Quil la garde, sa lampe! a cri Papa, et quon ait un peu de paix, dans cette maison! Alors, Maman a fait un gros soupir, elle est partie et moi je me suis mis sous ma couverture, et l, avec la lampe ctait chouette comme vous ne pouvez pas vous imaginer, et puis je me suis endormi. Et quand Maman ma rveill la lampe tait au fond du lit, elle tait teinte et elle ne voulait plus se rallumer! Bien sr, a dit Maman. La pile est use et cest impossible de la remplacer. Enfin, tant pis, va faire ta toilette. Et pendant que nous prenions le petit djeuner, Papa ma dit: Ecoute, Nicolas, cesse de renifler. Que cela te serve de leon: tu as utilis largent que je tavais donn pour acheter quelque chose dont tu navais pas besoin et qui sest tout de suite cass. a tapprendra tre plus raisonnable. Eh bien, ce soir, Papa et Maman vont tre drlement contents de voir comme jai t raisonnable. Parce qu lcole jai chang ma lampe qui ne marche plus contre le chouette sifflet roulette de Rufus, qui marche trs bien.

27

La roulette Geoffroy, qui a un papa drlement riche qui lui achte tout ce quil veut, apporte tout le temps des choses terribles lcole. Aujourdhui, il est venu avec une roulette dans son cartable, et il nous la montre la rcr. Une roulette, cest une petite roue avec des numros peints dessus, et o il y a une bille blanche. On fait tourner la roue, nous a expliqu Geoffroy, et quand elle sarrte, la bille se met en face dun des numros; et si on a pari que cest en face de ce numro quelle allait sarrter, bing! on a gagn la roulette. a serait trop facile, a dit Rufus. Il y a srement un truc. Moi, jai vu comment on y joue dans un film de cowboys, nous a dit Maixent. Mais la roulette tait truque, alors le jeune homme sortait son revolver, il tuait tous les ennemis, il sautait par la fentre pour monter sur son cheval et il partait au galop, tacatac, tacatac, tacatac! Ah ! je savais bien quil y avait un truc! a dit Rufus. Imbcile, a dit Geoffroy, cest pas parce que la roulette du film de cet imbcile de Maixent tait truque, que ma roulette est truque aussi! Qui est un imbcile? ont demand Rufus et Maixent. Moi, jai vu quon jouait la roulette dans une pice la tl, a dit Clotaire. Il y avait une nappe sur une table avec des numros, et les gens mettaient des fiches sur les numros, et ils snervaient drlement quand ils les perdaient, leurs fiches. Oui, a dit Geoffroy, dans la bote o il y avait ma roulette, il y avait aussi une nappe verte avec des numros et des tas de fiches, mais ma mre na pas voulu que jamne tout lcole. Mais a ne fait rien, on pourra jouer quand mme. Et Geoffroy nous a dit quon naurait qu parier sur des numros, et que lui ferait tourner la roulette, et que le numro qui sortirait gagnerait. Et avec quoi on va jouer, jai demand, puisquon na pas de fiches?

28

Ben, a dit Geoffroy, on a tous des sous. Alors, on va jouer avec les sous, tant pis; on fera comme si ctaient des fiches. Celui qui gagne prend tous les sous des copains. Moi, a dit Alceste, qui mangeait sa deuxime tartine de la rcr, mes sous, jen ai besoin pour acheter un petit pain au chocolat, la sortie. Ben justement, a dit Joachim, si tu gagnes les sous des copains, tu pourras acheter des tas de petits pains au chocolat. Ah! oui? a dit Eudes. Alors, parce que le gros a choisi par hasard un numro, il va se payer des petits pains au chocolat avec mes fiches? Jamais de la vie! Cest pas du jeu, a! Et Alceste, qui naime pas quon lappelle le gros, sest drlement fch, et il a dit quil allait gagner tout largent dEudes et quil mangerait les petits pains devant lui, quil ne lui en donnerait pas et que a le ferait bien rigoler, non mais sans blague. Bon, a dit Geoffroy, ceux qui veulent pas jouer, ils jouent pas, et puis voil! On ne va pas passer la rcr discuter! Choisissez vos numros! On sest tous accroupis autour de la roulette, on a mis nos sous par terre et on a choisi nos numros. Moi, jai pris le 12, Alceste le 6, Clotaire le 0, Joachim le 20, Maixent le 5, Eudes le 25, Geoffroy le 36 et Rufus na rien voulu prendre parce quil a dit quil nallait pas perdre ses sous cause dune roulette truque. Oh la la! Oh la la! Ce quil mnerve, celui-l! a cri Geoffroy. Puisque je te dis quelle nest pas truque! Prouve-le, a dit Rufus. Allez, quoi! a cri Alceste. On y va? Geoffroy a fait tourner la roulette et la petite bille blanche sest arrte devant le numro 24. Comment, le 24? a dit Alceste, qui est devenu tout rouge. Ah! Je vous avais bien dit quelle tait truque, a dit Rufus. Personne ne gagne ! Si, monsieur, a dit Eudes. Moi je gagne! Javais le numro 25, et le 25 cest le plus prs du 24.

29

Mais, o est-ce que tu as jou la roulette, toi? a cri Geoffroy. Tu as jou le 25 et si le 25 ne sort pas, tu as perdu et puis cest tout ! Jai bien lhonneur de vous saluer. Geoffroy a raison, a dit Alceste. Personne ne gagne et on recommence. Minute, a dit Geoffroy, minute. Quand personne ne gagne, cest le patron de la roulette qui ramasse tout! A la tl, en tout cas, ctait comme a, a dit Clotaire. On ta pas sonn, a cri Alceste, on nest pas la tl, ici! Si cest pour jouer comme a, je reprends ma fiche et puis jai bien lhonneur de vous saluer. Tas pas le droit, tu las perdue, a dit Geoffroy. Puisque cest moi qui lai gagne, a dit Eudes. Alors, on sest tous mis discuter, mais on a vu que le Bouillon et M. Mouchabire, qui sont nos surveillants, nous regardaient de lautre bout de la cour, alors on sest mis daccord. Allez, a dit Geoffroy, la premire fois, ctait pour de rire. On recommence... Bon, a dit Rufus. Je prends le 24. Je croyais que tu ne voulais pas jouer parce quelle tait truque, ma roulette? a demand Geoffroy. Justement, a dit Rufus. Elle est truque pour que ce soit le 24 qui sorte, tiens! On la bien vu au dernier coup. Geoffroy a regard Rufus, il a mis un doigt sur son front et il a commenc visser, et avec son autre main il a fait tourner la roulette. Et puis la bille sest arrte devant le numro 24, Geoffroy sest arrt de visser et il a ouvert des yeux tout ronds. Rufus, qui avait un gros sourire sur sa figure, allait ramasser les sous, mais Eudes la pouss. Non, monsieur, a dit Eudes, tu vas pas ramasser ces sous. Tu as trich. Jai trich, moi? a cri Rufus. Mauvais joueur, voil ce que tu es! Jai jou le 24 et jai gagn! La roulette est truque, cest toi-mme qui las dit, a cri Geoffroy. Elle doit pas sarrter deux fois de suite sur le mme numro.

30

Alors, l, a a t terrible, parce que tout le monde sest battu avec tout le monde, et le Bouillon est arriv avec M. Mouchabire. Arrtez! Silence! a cri le Bouillon. a faisait un moment que nous vous observions, M. Mouchabire et moi-mme. Regardez-moi bien dans les yeux! Quest-ce que vous manigancez ? Hmm? Ben, on jouait la roulette et ils trichent tous, a dit Rufus ; javais gagn, et... Non, monsieur, tu navais pas gagn, a cri Alceste. Et personne ne touchera mes sous! Jai bien lhonneur de vous saluer! Une roulette! a cri le Bouillon. Vous jouiez avec une roulette dans la cour de lcole! Et a, par terre ?... Mais ce sont des pices de monnaie! Regardez, monsieur Mouchabire, ces petits malheureux jouaient pour de largent ! Mais vos parents ne vous ont donc pas dit que le jeu est une abomination qui conduit la ruine et la prison? Vous ne savez donc pas que rien ne dgrade lhomme comme le jeu? Quune fois pris dans les griffes de cette passion, vous tes perdus, inconscients que vous tes! Monsieur Mouchabire, allez sonner la fin de la rcration; moi, je confisque cette roulette et cet argent. Et je vous donne tous un avertissement. A la sortie, nous sommes alls voir le Bouillon, comme chaque fois quil nous confisque quelque chose, pour lui demander de nous le rendre. Le Bouillon ne rigolait pas et il nous a regards avec des yeux en colre. Il a rendu la roulette Geoffroy en lui disant: Je ne flicite pas vos parents pour le genre de cadeaux quils vous font. Et que je ne vous revoie plus lcole avec ce jeu ridicule et nfaste! Les sous, cest M. Mouchabire qui nous les a rendus en rigolant.

31

La visite de mm Je suis drlement content, parce que mm vient passer quelques jours la maison. Mm, cest la maman de ma maman, je laime beaucoup, et elle me donne tout le temps des tas de chouettes cadeaux. Papa devait sortir plus tt de son travail, cet aprs-midi, pour aller chercher mm au train, mais mm est arrive toute seule en taxi. Maman ! a cri Maman. Mais nous ne tattendions pas si tt ! Oui, a dit mm, jai pris le train de 15 h 47, au lieu de celui de 16 h 13, cest pour a. Et jai pens que a ne valait pas la peine de dpenser une communication tlphonique pour vous prvenir... Comme tu as grandi, mon lapin ! Tu es un vrai petit homme ! Viens encore me faire un bisou. Tu sais, jai des surprises pour toi dans ma grosse valise, que jai laisse la consigne !... A propos, et ton mari, o est-il ? Eh bien, a rpondu Maman, justement, il est all te chercher la gare, le pauvre. Mm, a la fait beaucoup rire, a, et elle rigolait encore quand Papa est arriv. Dis mm! jai cri. Dis mm! Et les cadeaux? Nicolas! Veux-tu te taire! Tu nas pas honte? ma dit Maman. Mais il a parfaitement raison, mon petit ange, a dit mm. Seulement, comme personne ne mattendait la gare, jai prfr laisser ma valise la consigne; elle est trs lourde. Jai pens, gendre, que vous pourriez aller la chercher... Papa a regard mm, et il est ressorti sans rien dire. Quand il est revenu, il avait lair un peu fatigu. Cest que la valise de mm tait trs lourde et trs grosse, et Papa devait la porter avec les deux mains. Quest-ce que vous transportez l-dedans? a demand Papa. Des enclumes? Papa stait tromp ; mm navait pas apport denclumes, mais il y avait un jeu de constructions pour moi, et un jeu de 32

loie (jen ai dj deux), et un ballon rouge, et une petite auto, et un camion de pompiers, et une toupie qui fait de la musique. Mais tu las trop gt! a cri Maman. Trop gt, mon Nicolas? Mon petit chou? Mon ange? a dit mm. Jamais de la vie! Viens me faire un bisou, Nicolas. Aprs le bisou, mm a demand o elle dormirait, pour pouvoir commencer ranger ses affaires. Le lit de Nicolas est trop petit, a dit Maman. Il y a, bien sr, le sofa du salon, mais je me demande si tu ne serais pas mieux avec moi, dans la chambre Mais non, mais non, a dit mm. Je serai trs bien sur le sofa. Ma sciatique ne me fait presque plus souffrir du tout. Non, non, non! a dit Maman. Nous ne pouvons pas te laisser dormir sur le sofa ! Nest-ce pas, chri? Non, a dit Papa en regardant Maman. Papa a mont la valise de mm dans la chambre, et pendant que mm rangeait ses affaires, il est redescendu dans le salon, et comme il fait toujours, il sest assis dans le fauteuil avec son journal, et moi jai jou avec la toupie, et cest pas trop rigolo, parce que cest un jouet de bb. Tu ne peux pas aller faire a plus loin? ma demand Papa. Et mm est arrive, elle sest assise sur une chaise, et elle ma demand si elle me plaisait bien, la toupie, et si je savais la faire marcher. Moi jai montr mm que je savais, et mm a t trs tonne et drlement contente, et elle ma demand de lui donner un bisou. Aprs, elle a demand Papa de lui prter le journal, parce quelle navait pas eu le temps de lacheter avant le dpart du train. Papa sest lev, il a donn le journal mm, qui sest assise dans le fauteuil de Papa, parce que la lumire est meilleure pour lire. A table ! a cri Maman. Nous sommes alls dner, et ctait terrible! Maman avait fait un poisson froid avec des tas de mayonnaise (jaime beaucoup la mayonnaise) et puis il y a eu du canard avec des petits pois, et puis du fromage, et puis un gteau la crme, et puis des fruits, et mm ma laiss reprendre de tout deux fois,

33

et mme, pour le gteau, aprs la deuxime fois, elle ma donn un bout du sien. Il va tre malade, a dit Papa. Oh, pour une fois, a ne peut pas lui faire du mal, a dit mm. Et puis, mm a dit quelle tait trs fatigue par le voyage, et quelle voulait se coucher de bonne heure. Elle a donn des bisous tout le monde, et puis Papa a dit que lui aussi il tait trs fatigu, quil devait tre de bonne heure le lendemain son bureau, parce quil tait parti trs tt aujourdhui pour chercher mm la gare, et tout le monde est all se coucher. Jai t trs malade pendant la nuit, et le premier qui est venu, cest Papa qui est mont du salon en courant. Mm, qui stait rveille aussi, tait trs inquite, elle a dit que ctait pas normal, et elle a demand si on avait consult un docteur au sujet du Petit. Et puis je me suis endormi. Ce matin, Maman est venue me rveiller, et Papa est entr dans ma chambre. Tu ne pourrais pas dire ta mre de se dpcher? a demand Papa. a fait une heure quelle est dans la salle de bains ! Je me demande ce quelle peut bien y faire! Elle prend son bain, a dit Maman. Elle a le droit de prendre son bain, non? Mais je suis press, moi! a cri Papa. Elle ne va nulle part, elle ! Moi, je dois aller mon bureau! Je vais tre en retard! Tais-toi, a dit Maman. Elle va tentendre! Quelle mentende ! a cri Papa. Aprs la nuit que jai passe sur ce sofa de malheur, je... Pas devant le petit! a dit Maman, qui est devenue toute rouge et fche. Oh, et puis dailleurs, jai bien vu depuis quelle est arrive, que tu avais lintention dtre dsagrable avec elle! Bien sr, quand il sagit de ma famille, cest toujours la mme chose. Par contre, ton frre Eugne, par exemple... Bon, bon, a va, a dit Papa. Laisse Eugne tranquille, et demande ta mre de te passer mon rasoir et le savon. Jirai faire ma toilette dans la cuisine.

34

Quand Papa est arriv pour le petit djeuner, mm et moi, nous tions dj table. Dpche-toi, Nicolas, ma dit Papa. Toi aussi, tu vas tre en retard! Comment? a dit mm. Vous allez lenvoyer lcole aprs la nuit quil a passe? Mais regardez-le, enfin ! Il est tout plot, le pauvre chou. Nest-ce pas que tu es fatigu, mon lapin? Oh oui, jai dit. Ah, vous voyez? a dit mm. Moi, je crois tout de mme que vous devriez consulter un docteur son sujet. Non, non, a dit Maman, qui entrait avec le caf. Nicolas ira lcole! Alors moi je me suis mis pleurer, jai dit que jtais trs fatigu et drlement ple, Maman ma grond, mm a dit quelle ne voulait pas se mler de ce qui ne la regardait pas, mais quelle pensait que ce ne serait pas un drame si je nallais pas lcole pour une fois, et quelle navait pas si souvent loccasion de voir son petit-fils, et Maman a dit que bon, bon, pour cette fois seulement, mais quelle ntait pas contente du tout, et mm a dit que je lui donne un bisou. Bon, a dit Papa, je file. Jessaierai de ne pas rentrer trop tard, ce soir. En tout cas, a dit mm, surtout, ne changez rien vos habitudes pour moi. Faites comme si je ntais pas l.

35

Leon de code Quelquefois, en allant lcole, on se retrouve plusieurs copains, et l on rigole bien. On regarde les vitrines, on se fait des croche-pieds, on fait tomber les cartables, et puis aprs, on est en retard, et il faut drlement courir pour arriver lcole, comme cet aprs-midi avec Alceste, Eudes, Rufus et Clotaire, qui habitent pas loin de chez moi. Nous courions en traversant la rue pour entrer dans lcole (la cloche avait dj sonn), quand Eudes a fait un croche-pied Rufus, qui est tomb, qui sest relev et qui a dit Eudes: Viens un peu ici, si tes un homme ! Mais Eudes et Rufus nont pas pu se battre, parce que lagent de police qui est l pour empcher les autos de nous craser, sest fch ; il nous a tous appels au milieu de la rue, et il nous a dit: Quest-ce que cest que cette faon de traverser? On ne vous apprend donc rien lcole ? Vous allez finir par vous faire craser faire les pitres sur la chausse. a mtonne surtout de ta part, Rufus; jai bien envie den parler ton pre ! Le pre de Rufus est agent de police, et tous les agents de police connaissent le pre de Rufus, et des fois cest bien embtant pour Rufus. Oh! non, msieur Badoule, a dit Rufus. Je ne le referai plus! Et puis cest la faute Eudes, cest lui qui ma fait tomber ! Cafard ! a cri Eudes. Viens un peu ici, si tes un homme! a cri Rufus. Silence! a cri lagent de police. a ne peut plus continuer comme a; je vais moccuper de cette affaire. En attendant, allez lcole, vous tes en retard. Nous sommes entrs dans lcole, et lagent de police a fait avancer les autos qui attendaient. Quand nous sommes revenus de la rcr, pour la dernire heure de classe de laprs-midi, la matresse nous a dit: Les enfants, nous nallons pas faire de grammaire, comme le prvoit notre emploi du temps...

36

On a tous fait: Ah ! , sauf Agnan, qui est le chouchou de la matresse et qui sait toujours ses leons; la matresse a tap avec sa rgle sur son bureau, et puis elle a dit: Silence! Nous nallons pas faire de grammaire, parce quil est arriv tout lheure un incident trs grave : lagent de police qui veille sur votre scurit est all se plaindre M. le Directeur. Il lui a dit que vous traversiez les rues comme des petits sauvages, en courant et en faisant les pitres, mettant ainsi votre vie en danger. Je dois dire que, moi-mme, je vous ai souvent vus courir tourdiment dans les rues. Donc, et pour votre bien, M. le Directeur ma demand de vous faire une leon sur le Code de la route. Geoffroy, si ce que je dis ne vous intresse pas, ayez au moins la politesse de ne pas dissiper vos camarades. Clotaire! Quest-ce que je viens de dire? Clotaire est all se mettre au piquet, la matresse a fait un gros soupir, et elle a demand: Est-ce quun de vous peut me dire ce quest le Code de la route? Agnan, Maixent, Joachim, moi et Rufus, nous avons lev le doigt. Eh bien ! Maixent ? a dit la matresse. Le Code de la route, a dit Maixent, cest un petit livre quon vous donne lauto-cole et quil faut apprendre par cur pour passer son permis. Ma mre en a un. Mais elle na pas eu son permis, parce quelle a dit que lexaminateur lui a pos des questions qui ntaient pas dans le livre... Bon ! a va, Maixent, a dit la matresse. ... Et puis ma mre a dit quelle allait changer dautocole, parce quon lui avait promis quelle aurait son permis, et... Jai dit: bon! Maixent. Asseyez-vous! a cri la matresse. Baissez votre bras, Agnan, je vous interrogerai plus tard. Le Code de la route, cest lensemble des rgles qui rgissent la scurit des usagers de la route. Non seulement pour les automobilistes, mais aussi pour les pitons. Pour devenir un bon automobiliste, il faut dabord tre un bon piton. Et je pense que vous voulez tous devenir de bons automobilistes, nest-ce pas? Alors, voyons... Qui peut me dire quelles sont les

37

prcautions prendre pour traverser une rue ?... Oui, vous, Agnan. Bah! a dit Maixent. Lui, il ne traverse jamais seul. Cest sa mre qui lamne lcole. Et elle lui donne la main! Cest pas vrai! a cri Agnan. Je suis dj venu seul lcole. Et elle me donne pas la main! Silence! a cri la matresse. Si vous continuez tous comme a, nous allons faire de la grammaire, et tant pis pour vous si, plus tard, vous ntes pas capables de conduire convenablement une auto. En attendant, Maixent, vous allez me conjuguer le verbe: Je dois faire bien attention en traversant les rues et veiller ce que le passage soit libre, et ne pas mengager sur la chausse en courant tourdiment. La matresse est alle au tableau, et elle nous a fait un dessin, avec quatre lignes qui se croisaient. a, cest un carrefour, a expliqu la matresse. Pour traverser, vous devez emprunter les passages rservs aux pitons, l, l, l et l. Sil y a un agent de police, vous devez attendre quil vous fasse signe de traverser. Sil y a des feux de signalisation, vous devez les observer et ne traverser que quand le feu est vert pour vous. Dans tous les cas, vous devez regarder droite et gauche, avant de vous engager sur la chausse, et surtout, surtout, ne jamais courir. Nicolas, rptez ce que je viens de dire. Moi, jai rpt, et jai presque tout dit, sauf pour le coup des feux, et la matresse a dit que ctait bien, et elle ma mis 18. Agnan a eu 20, et presque tous les autres ont eu entre 15 et 18, sauf Clotaire qui, comme il tait au piquet, a dit quil ne savait pas que lui aussi devait couter. Et puis le directeur est entr. Debout ! a dit la matresse. Assis ! a dit le directeur. Eh bien! mademoiselle, vous avez fait la leon de Code vos lves ? Oui, monsieur le Directeur, a dit la matresse. Ils ont t trs sages, et je suis sre quils ont trs bien compris. Alors le directeur a fait un gros sourire et il a dit:

38

Trs bien. Parfait! Jespre que je naurai plus de plaintes de la police au sujet de la conduite de mes lves. Enfin, nous verrons tout a dans la pratique. Le directeur est sorti; nous nous sommes rassis, et puis la cloche a sonn; nous nous sommes levs pour sortir, mais la matresse nous a dit: Pas si vite, pas si vite! Vous allez descendre gentiment, et je veux vous voir traverser la rue. Nous verrons si vous avez compris la leon. Nous sommes sortis de lcole avec la matresse, et lagent de police, quand il nous a vus, il a fait un sourire. Il a arrt les autos, et il nous a fait signe de passer. Allez-y, les enfants, nous a dit la matresse. Et sans courir ! Je vous observe dici. Alors, nous avons travers la rue, tout doucement, les uns derrire les autres, et quand nous sommes arrivs de lautre ct, nous avons vu la matresse qui parlait avec lagent de police, sur le trottoir, en rigolant, et le directeur qui nous regardait de la fentre de son bureau. Trs bien ! nous a cri la matresse. M. lAgent et moi sommes trs contents de vous. A demain, les enfants. Alors nous avons tous retravers la rue en courant pour lui donner la main.

39

Leon de choses Demain, nous a dit la matresse, nous aurons une leon de choses tout fait spciale ; chacun de vous devra apporter un objet, un souvenir de voyage, de prfrence. Nous commenterons chaque objet, nous ltudierons, et chacun dentre vous nous expliquera son origine et les souvenirs qui sy rattachent. Ce sera, la fois, une leon de choses, un cours de gographie et un exercice de rdaction. Mais quel genre de chose il faudra apporter, mademoiselle ? a demand Clotaire. Je vous lai dj dit, Clotaire, a rpondu la matresse. Un objet intressant, qui ait une histoire. Tenez, a fait de cela quelques annes, un de mes lves a apport un os de dinosaure, que son oncle avait trouv en faisant des fouilles. Un de vous peut-il me dire ce quest un dinosaure ? Agnan a lev la main, mais on sest tous mis parler des choses quon apporterait, et avec le bruit que faisait la matresse en tapant avec sa rgle sur son bureau, on na pas pu entendre ce que racontait ce sale chouchou dAgnan. En arrivant la maison, jai dit Papa quil fallait que japporte lcole une chose qui serait un souvenir terrible de voyage. Cest une bonne ide, ces cours pratiques, a dit Papa. La vue des objets rend la leon inoubliable. Elle est trs bien, ta matresse, trs moderne. Maintenant, voyons... Quest-ce que tu pourrais bien emmener? La matresse a dit, jai expliqu, que ce quil y avait de plus chouette, ctait les os de dinosaure. Papa a ouvert des yeux tout tonns et il ma demand: Des os de dinosaure? En voil une ide! Et do est-ce que tu veux que je sorte des os de dinosaure ? Non, Nicolas, je crains fort quil ne faille nous contenter de quelque chose de plus simple. Alors, moi jai dit Papa que je ne voulais pas apporter des choses simples, que je voulais apporter des choses qui pateraient drlement les copains, et Papa ma rpondu quil 40

navait pas de choses pour pater les copains. Alors moi, jai dit que, puisque ctait comme a, ctait pas la peine dapporter des choses qui npateraient personne et que jaimais mieux ne pas aller lcole demain, et Papa ma rpondu quil commenait en avoir assez, et quil avait bien envie de me priver de dessert, et que ma matresse avait vraiment des drles dides; et moi, jai donn un coup de pied dans le fauteuil du salon. Papa ma demand si je voulais une claque, je me suis mis pleurer, et Maman est arrive en courant de la cuisine. Quoi encore ? a demand Maman. Je ne peux pas vous laisser tous les deux seuls sans quil y ait des histoires. Nicolas! Cesse de pleurer. Que se passe-t-il ? Il se passe, a dit Papa, que ton fils est furieux parce que je lui refuse un os de dinosaure. Maman nous a regards, Papa et moi, et elle a demand si tout le monde tait en train de devenir fou dans cette maison. Alors Papa lui a expliqu, et Maman ma dit: Mais enfin, Nicolas, il ny a pas de quoi en faire un drame. Tiens, il y a, dans le placard, des souvenirs trs intressants de nos voyages. Par exemple, le gros coquillage que nous avons achet Bains-les-Mers, quand nous y sommes alls en vacances. Cest vrai a! a dit Papa. a vaut tous les os de dinosaure du monde, ce coquillage! Moi, jai dit que je ne savais pas si le coquillage paterait les copains, mais Maman ma dit quils trouveraient a formidable et que la matresse me fliciterait. Papa est all chercher le coquillage, qui est trs gros, avec Souvenir de Bains-les-Mers crit dessus, et Papa ma dit que je pourrais pater tout le monde en racontant nos vacances Bains-lesMers, notre excursion lle des Embruns et mme le prix quon payait la pension. Et si a, a npatait pas les copains, cest que les copains taient difficiles pater. Maman a rigol, elle a dit quon passe table et, le lendemain, je suis parti lcole, fier comme tout, avec mon coquillage envelopp dans du papier marron. Quand je suis arriv lcole, tous les copains taient l, et ils mont demand ce que javais apport. 41

Et vous ? jai demand. Ah, moi, je le montrerai en classe, ma rpondu Geoffroy, qui aime bien faire des mystres. Les autres non plus ne voulaient rien dire, sauf Joachim, qui nous a montr un couteau, le plus chouette quon puisse imaginer. Cest un coupe-papier, nous a expliqu Joachim, que mon oncle Abdon a rapport de Tolde, en cadeau pour mon pre. Cest en Espagne. Et le Bouillon cest notre surveillant, mais ce nest pas son vrai nom a vu Joachim et il lui a confisqu le coupepapier, en disant quil avait dj interdit mille fois quon amne des objets dangereux lcole. Mais, msieur, a cri Joachim, cest la matresse qui ma dit de lapporter Ah? a dit le Bouillon. Cest la matresse qui vous a demand dapporter cette arme en classe? Parfait. Alors, non seulement je confisque cet objet, mais vous allez me conjuguer le verbe: Je ne dois pas mentir M. le Surveillant quand celui-ci me pose une question au sujet dun objet particulirement dangereux que jai introduit clandestinement dans lcole. Inutile de crier, et vous autres, taisez-vous, si vous ne voulez pas que je vous punisse aussi Et le Bouillon est all sonner la cloche, nous nous sommes mis en rang et, quand nous sommes entrs en classe, Joachim pleurait toujours. a commence bien, a dit la matresse. Eh bien, Joachim, que se passe-t-il? Joachim lui a expliqu, la matresse a pouss un soupir, elle a dit que dapporter un couteau ntait pas une trs bonne ide, mais quelle essaierait darranger a avec M. Dubon, et a, cest le vrai nom du Bouillon. Bon, a dit la matresse. Voyons un peu ce que vous avez apport. Mettez les objets devant vous, sur votre pupitre. Alors on a tous sorti les choses quon avait apportes: Alceste avait amen un menu dun restaurant o il avait trs bien mang avec ses parents, en Bretagne; Eudes avait une carte 42

postale de la cte dAzur ; Agnan, un livre de gographie que ses parents lui avaient achet en Normandie ; Clotaire a apport une excuse, parce quil navait pas bien compris, il croyait quil fallait apporter des os; et Maixent et Rufus, ces imbciles, ont apport chacun un coquillage. Oui, a dit Rufus, mais moi, jai trouv le mien sur la plage, la fois o jai sauv un homme qui se noyait. Ne me fais pas rigoler, a cri Maixent. Dabord, tu ne sais mme pas faire la planche, et puis aprs, si tu las trouv sur la plage, ton coquillage, pourquoi est-ce quil y a crit dessus: Souvenir de Plage-des-Horizons ? Ouais ! jai cri. Tu veux une baffe ? ma demand Rufus. Rufus, sortez! a cri la matresse. Et vous serez en retenue jeudi. Nicolas, Maixent, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez pas tre punis aussi Moi, jai apport un souvenir de Suisse, a dit Geoffroy avec un gros sourire, tout fier. Cest une montre en or que mon pre a achete l-bas. Une montre en or! a cri la matresse. Et votre pre sait que vous lavez apporte lcole? Ben non, a dit Geoffroy. Mais quand je lui dirai que cest vous qui mavez demand de lamener, il ne me grondera pas. Que cest moi qui ?... a cri la matresse. Petit inconscient ! Vous allez me faire le plaisir de remettre ce bijou dans votre poche Moi, si je ramne pas mon coupe-papier, mon pre va drlement me gronder, a dit Joachim. Je vous ai dj dit, Joachim, que je moccuperai de cette affaire, a cri la matresse. Mademoiselle, a cri Geoffroy. Je ne retrouve plus la montre! Je lai mise dans ma poche, comme vous me lavez dit, et je ne la retrouve plus Mais enfin, Geoffroy, a dit la matresse, elle ne peut pas tre bien loin. Vous avez cherch par terre ? Oui, mademoiselle, a rpondu Geoffroy. Elle ny est pas. Alors la matresse est alle vers le banc de Geoffroy, elle a regard partout, et puis elle nous a demand de regarder aussi, 43

en faisant attention de ne pas marcher sur la montre, et Maixent a fait tomber mon coquillage par terre, alors je lui ai donn une baffe. La matresse sest mise crier, elle nous a donn des retenues, et Geoffroy a dit que si on ne retrouvait pas sa montre, il faudrait que la matresse aille parler son pre, et Joachim a dit quil faudrait quelle aille parler au sien aussi, pour le coup du coupe-papier. Mais tout sest trs bien arrang, parce que la montre, Geoffroy la retrouve dans la doublure de son veston, le Bouillon a rendu le coupe-papier Joachim et la matresse a lev les punitions. Ctait une classe trs intressante, et la matresse a dit que, grce aux choses que nous avions apportes, elle noublierait jamais cette leon.

44

A la bonne franquette Moucheboume va venir dner ce soir la maison. M. Moucheboume cest le patron de Papa, et il va venir avec Mme Moucheboume, qui est la femme du patron de Papa. a fait des jours quon en parle la maison du dner de ce soir, et ce matin, Papa et Maman taient trs nervs. Maman tait occupe comme tout, et Papa hier la emmene au march en auto, et a, il ne le fait pas souvent. Moi je trouve a trs chouette, on dirait que cest Nol, surtout quand Maman dit quelle ne sera jamais prte temps. Et quand je suis revenu de lcole ce soir, la maison tait toute drle, balaye et sans housses. Je suis entr dans la salle manger, et il y avait la rallonge la table, et la nappe blanche toute dure, et au-dessus, les assiettes qui ont de lor tout autour et dont on ne se sert presque jamais pour manger dedans. Et puis, devant chaque assiette, il y avait des tas de verres, mme les longs tout minces, et a a ma tonn, parce que ceux-l, on ne les sort jamais du buffet. Et puis, jai rigol, jai vu quavec tout a, Maman avait oubli de mettre un couvert. Alors je suis entr en courant dans la cuisine, et l jai vu que Maman parlait avec une dame habille en noir avec un tablier blanc. Maman tait jolie comme tout avec les cheveux drlement bien peigns. Maman ! jai cri. Tu as oubli de mettre une assiette table ! Maman a pouss un cri, et puis elle sest retourne dun coup. Nicolas! ma dit Maman, je tai dj demand de ne pas hurler comme a, et de ne pas entrer dans la maison comme un sauvage. Tu mas fait peur, et je nai pas besoin de a pour mnerver. Alors moi jai demand pardon Maman; cest vrai quelle avait lair nerve, et puis je lui ai expliqu de nouveau le coup de lassiette qui manquait table. Mais non, il ne manque pas dassiette, ma dit Maman. Va faire tes devoirs, et laisse-moi tranquille. 45

Mais si, il manque une assiette, jai dit. Il y a moi, il y a Papa, il y a toi, il y a M. Moucheboume, et puis il y a Mme Moucheboume ; a fait cinq, et il ny a que quatre assiettes, alors quand on va aller manger, si toi, ou Papa, ou M. Moucheboume, ou Mme Moucheboume navez pas dassiette, a va faire des histoires Maman a fait un gros soupir, elle sest assise sur le tabouret, elle ma pris par les bras, et elle ma dit que toutes les assiettes taient l, que jallais tre trs raisonnable, quun dner comme a tait trs ennuyeux, et que cest pour a que moi je mangerais pas table avec les autres. Alors moi je me suis mis pleurer, et jai dit que ctait pas ennuyeux du tout un dner comme a, que a mamuserait drlement au contraire, et que si on ne me laissait pas mamuser avec les autres, je me tuerais; cest vrai, quoi, la fin, non mais sans blague! Et puis Papa est entr, de retour de son bureau. Alors, il a demand, tout est prt? Non, cest pas prt, jai cri. Maman ne veut pas mettre mon assiette table pour que je rigole avec vous ! Et cest pas juste ! Cest pas juste ! Cest pas juste! Oh! Et puis jen ai assez la fin, a cri Maman. a fait des jours que je travaille pour ce dner et que je me fais du souci! Cest moi qui nirai pas table! Tiens! Cest a! Moi je nirai pas a table! Voil! Nicolas prendra ma place, et voila tout ! Parfaitement ! Moucheboume ou pas Moucheboume, jen ai assez ! Dbrouillez-vous sans moi! Et Maman est partie en claquant la porte de la cuisine, et moi a ma tellement tonn, que jai cess de pleurer. Papa sest pass la main sur la figure, et il a profit que le tabouret tait libre pour sasseoir dessus, et puis il ma pris par les bras. Bravo Nicolas, bravo! ma dit Papa. Tu as russi faire de la peine Maman. Cest a que tu voulais? Moi jai dit que non, que je ne voulais pas faire de la peine Maman, que ce que je voulais ctait de rigoler table avec les autres. Alors Papa ma dit qu table ce serait trs ennuyeux, et que si je ne faisais pas dhistoires et je mangeais la cuisine, demain, il memmnerait au cinma, et puis au zoo, et puis on irait goter, et puis jaurais une surprise. 46

La surprise ce sera la petite auto bleue qui est dans la vitrine du magasin du coin ? jai demand. Papa ma dit que oui, alors jai dit que jtais daccord, parce que jaime bien les surprises et faire plaisir Papa et Maman. Et puis Papa est all chercher Maman, et il est revenu avec elle dans la cuisine et il lui a dit que tout tait arrang et que jtais un homme. Et Maman a dit quelle tait sre que jtais un grand garon et elle ma embrass. Trs chouette. Et puis Papa a demand sil pouvait voir le hors-duvre, et la dame en noir avec le tablier blanc a sorti de la glacire un homard terrible avec de la mayonnaise partout, comme celui de la premire communion de ma cousine Flicit, la fois o jai t malade, et jai demand si je pouvais en avoir, mais la dame en noir avec le tablier blanc a remis le homard dans la glacire et elle a dit que ce ntait pas pour les petits garons. Papa a rigol et il a dit que jen aurais demain matin avec mon caf, sil en restait, mais quil ne fallait pas trop y compter. On ma donn manger sur la table de la cuisine, et jai eu des olives, des petites saucisses chaudes, des amandes, un volau-vent, et un peu de salade de fruits. Pas mal. Bon, et maintenant, a dit Maman, tu vas aller te coucher. Tu vas mettre le pyjama propre, le jaune, et comme il est tt, tu peux lire. Quand M. et Mme Moucheboume viendront, jirai te chercher pour que tu descendes leur dire bonjour. Euh... Tu crois que cest bien ncessaire? a demand Papa. Mais bien sr, a dit Maman. Nous tions daccord sur ce sujet. Cest que, a dit Papa, jai peur que Nicolas fasse des gaffes. Nicolas est un grand garon et il ne fera pas de gaffes, a dit Maman. Nicolas, ma dit Papa. Ce dner est trs important pour Papa. Alors, tu seras trs poli, tu diras bonjour, bonsoir, tu ne rpondras que quand on tinterrogera, et surtout, pas de gaffes. Promis?

47

Moi jai promis, cest drle que Papa soit si inquiet. Et puis je suis all me coucher. Plus tard jai entendu quon sonnait la porte, quon criait, et puis Maman est venue me chercher. Mets la robe de chambre que ta donne mm pour ton anniversaire et viens, ma dit Maman. Jtais en train de lire une chouette histoire de cow-boys, alors jai dit que je navais pas trop envie de descendre, mais Maman ma regard avec de gros yeux, et jai vu que ce ntait pas le moment de rigoler. Quand nous sommes arrivs dans le salon, M. et Mme Moucheboume taient l, et quand ils mont vu, ils se sont mis pousser des tas de cris. Nicolas a tenu absolument descendre pour vous voir, a dit Maman. Vous mexcuserez, mais je nai pas voulu le priver de cette joie. M. et Mme Moucheboume ont encore pouss des tas de cris, moi jai donn la main, jai dit bonsoir, Mme Moucheboume a demand Maman si javais fait ma rougeole, M. Moucheboume a demand si ce grand garon travaillait bien lcole, et moi je faisais bien attention parce que Papa me regardait tout le temps. Et puis, je me suis assis sur une chaise, Pendant que les grands parlaient. Vous savez, a dit Papa, nous vous recevons sans faon, la bonne franquette. Mais cest a qui nous fait plaisir, a dit M. Moucheboume. Une soire en famille, cest merveilleux ! Surtout pour moi, qui suis oblig daller tous ces banquets, avec linvitable homard mayonnaise, et tout le tralala. Tout le monde a rigol, et puis Mme Moucheboume a dit quelle sen voudrait davoir donn du travail Maman, qui devait dj tre tellement occupe avec sa petite famille. Mais Maman a dit que non, que ctait un plaisir, et quelle avait t bien aide par la bonne. Vous avez de la chance, a dit Mme Moucheboume. Moi jai un mal avec les domestiques ! Cest bien simple, chez moi, elles ne restent pas.

48

Oh, celle-ci est une perle, a dit Maman. Elle est depuis longtemps avec nous, et, ce qui est trs important, elle adore lenfant. Et puis, la dame en noir avec le tablier blanc est entre et elle a dit que Maman tait servie. Et a, a ma tonn, parce que je ne savais pas que Maman non plus ne mangeait pas avec les autres. Bon, Nicolas, au lit ! ma dit Papa. Alors, jai donn la main Mme Moucheboume et je lui ai dit: au revoir madame , jai donn la main M. Moucheboume et je lui ai dit: au revoir monsieur , jai donn la main la dame en noir avec le tablier blanc et je lui ai dit: au revoir madame , et je suis all me coucher.

49

La tombola A la fin de la classe, aujourdhui, la matresse nous a dit que lcole organisait une tombola, et elle a expliqu Clotaire quune tombola, ctait comme une loterie : les gens avaient des billets avec des numros, et les numros taient tirs au sort, comme pour la loterie, et le numro qui sortait gagnait un prix, et que ce prix serait un vlomoteur. La matresse a dit aussi que largent quon ramasserait en vendant des billets servirait fabriquer un terrain pour que les enfants du quartier puissent faire des sports. Et l on na pas trs bien compris, parce quon a dj un terrain vague terrible, o on fait des tas de sports et, en plus, il y a une vieille auto formidable, elle na plus de roues, mais on samuse bien quand mme, et je me demande si, dans le nouveau terrain, ils vont mettre une auto. Mais ce quil y a de chouette avec la tombola, cest que la matresse a sorti de son bureau des tas de petits carnets, et elle nous a dit: Mes enfants, cest vous qui allez vendre les billets pour cette tombola. Je vais vous donner chacun un carnet, dans lequel il y a cinquante billets. Chaque billet vaut un franc. Vous vendrez ces billets vos parents, vos amis, et mme, pourquoi pas, aux gens que vous pourrez rencontrer dans la rue et vos voisins. Non seulement, vous aurez la satisfaction de travailler pour le bien commun, mais aussi vous ferez preuve de courage en surmontant votre timidit. Et la matresse a expliqu Clotaire ce que ctait que le bien commun, et puis elle nous a donn un carnet de billets de tombola chacun. On tait bien contents. A la sortie de lcole, sur le trottoir, on tait l, chacun avec son carnet plein de billets numrots, et Geoffroy nous disait que, lui, il allait vendre tous les billets dun coup son pre, qui est trs riche. Ah oui, a dit Rufus, mais comme a, cest pas du jeu. Le jeu, cest de vendre les billets des gens quon ne connat pas. Cest a qui est chouette.

50

Moi, a dit Alceste, je vais vendre mes billets au charcutier, nous sommes de trs bons clients et il ne pourra pas refuser. Mais tous, on tait plutt daccord avec Geoffroy, que le mieux ctait de vendre les billets nos pres. Rufus a dit quon avait tort, il sest approch dun monsieur qui passait, il lui a offert ses billets, mais le monsieur ne sest mme pas arrt, et nous, nous sommes tous partis chez nous, sauf Clotaire qui a d retourner lcole, parce quil avait oubli son carnet de billets dans son pupitre. Je suis entr dans la maison en courant avec mon carnet de billets la main. Maman ! Maman ! jai cri, Papa est l? Cest vraiment trop te demander dentrer dans la maison comme un tre civilis ? ma demand Maman. Non, Papa nest pas l. Quest-ce que tu lui veux Papa? Tu as encore fait une btise? Mais non, cest parce quil va macheter des billets pour quon nous fabrique un terrain o nous pourrons faire des sports, tous les types du quartier, et peut-tre quils y mettront une auto et le prix cest un vlomoteur et cest une tombola, je lui ai expliqu Maman. Maman ma regard, en ouvrant de grands yeux tonns, et puis elle ma dit: Je nai rien compris tes histoires, Nicolas. Tu tarrangeras avec ton pre quand il sera l. En attendant, monte faire tes devoirs. Je suis mont tout de suite, parce que jaime obir Maman, et je sais que a lui fait plaisir quand je ne fais pas dhistoires. Et puis, jai entendu Papa entrer dans la maison, et je suis descendu en courant, avec mon carnet de billets. Papa! Papa! jai cri. Il faut que tu machtes des billets, cest une tombola, et ils vont mettre une auto dans le terrain, et on pourra faire des sports Je ne sais pas ce quil a, a dit Maman Papa. Il est arriv de lcole plus excit que dhabitude. Je crois quils ont organis une tombola lcole, et il veut te vendre des billets. Papa a rigol en me passant la main sur les cheveux. 51

Une tombola! Cest amusant, il a dit. Quand jallais lcole, on en avait organis plusieurs. Il y avait eu des concours pour celui qui vendrait le plus de billets, et je gagnais toujours haut la main. Il faut dire que je ntais pas timide, et que je nacceptais jamais un refus. Alors, bonhomme, cest combien tes billets ? Un franc, jai dit. Et comme il y a cinquante billets, jai fait le compte, et a fait cinquante francs. Et jai tendu le carnet Papa, mais Papa ne la pas pris. Ctait moins cher de mon temps, a dit Papa. Bon, eh bien, donne-moi un billet. Ah non, jai dit, pas un billet, tout le carnet. Geoffroy nous a dit que son pre allait lui acheter tout le carnet, et on a t tous daccord pour faire la mme chose Ce que fait le papa de ton ami Geoffroy ne me regarde pas ! ma rpondu Papa. Moi je tachte un billet, et si tu ne veux pas, je ne tachte rien du tout ! Et voil. Ah ben a, cest pas juste ! jai cri. Si tous les autres pres achtent des carnets, pourquoi tu ne lachterais pas toi? Et puis, je me suis mis pleurer, Papa sest fch drlement, et Maman est arrive en courant de la cuisine. Quest-ce quil y a encore? a demand Maman. Il y a, a dit Papa, que je ne comprends pas quon fasse faire ce mtier aux gosses! Je nai pas mis mon enfant lcole pour quon me le transforme en colporteur ou en mendiant ! Et puis, tiens, je me demande si cest tellement lgal, ces tombolas ! Jai bien envie de tlphoner au directeur de lcole ! Jaimerais un peu de calme, a dit Maman. Mais toi, jai pleur Papa, toi tu mas dit que tu avais vendu des billets de tombola, et que tu tais terrible! Pourquoi est-ce que moi je nai jamais le droit de faire ce que font les autres? Papa sest frott le front, il sest assis, il ma pris contre ses genoux, et puis il ma dit: Oui, bien sr, Nicolas, mais ce ntait pas la mme chose. On nous demandait de faire preuve dinitiative, de nous dbrouiller quoi. Ctait un bon entranement qui nous

52

prparait pour les dures luttes de la vie. On ne nous disait pas: Allez vendre a votre papa , tout btement... Mais Rufus a essay de vendre des billets un monsieur quil ne connaissait pas, et le monsieur, il ne sest mme pas arrt ! jai dit. Mais qui te demande daller voir des gens que tu ne connais pas? ma dit Papa. Pourquoi ne tadresserais-tu pas Bldurt, notre voisin? Jose pas, jai dit. Eh bien, je vais taccompagner, ma dit Papa en rigolant. Je vais te montrer comment on fait des affaires. Noublie pas ton carnet de billets. Ne vous attardez pas, a dit Maman. Le dner va tre prt. Nous avons sonn chez M. Bldurt, et M. Bldurt nous a ouvert. Tiens! a dit M. Bldurt. Mais cest Nicolas et machin! Je viens vous vendre un carnet de billets, cest pour une tombola pour nous fabriquer un terrain ou on va faire des sports et a cote cinquante francs, jai dit trs vite M. Bldurt. a va pas, non ? a demand M. Bldurt. Quest-ce qui se passe, Bldurt? a demand Papa. Cest ta radinerie habituelle qui te fait parler, ou tu es fauch? Dis donc, machin, a rpondu M. Bldurt, cest la nouvelle mode a de venir mendier chez les gens? Il faut que ce soit toi, Bldurt, pour refuser de faire plaisir un enfant! a cri Papa. Je ne refuse pas de faire plaisir un enfant, a dit M. Bldurt. Je refuse simplement de lencourager dans la voie dangereuse dans laquelle lengagent des parents irresponsables. Et dabord, pourquoi est-ce que tu ne le lui achtes pas, toi, son carnet? Lducation de mon enfant ne regarde que moi, a dit Papa, et je ne taccorde pas le droit de porter des jugements sur des sujets que tu ignores dailleurs totalement! Et puis lopinion dun radin, moi... Un radin, a dit M. Bldurt, qui te prte sa tondeuse gazon chaque fois que tu en as besoin.

53

Tu peux la garder, ta sale tondeuse gazon! a cri Papa. Et ils ont commenc se pousser lun et lautre, et puis Mme Bldurt cest la femme de M. Bldurt est arrive en courant. Que se passe-t-il ici? elle a demand. Alors moi, je me suis mis pleurer, et puis je lui ai expliqu le coup de la tombola et du terrain des sports, et que personne ne voulait macheter mes billets, que ce ntait pas juste, et que je me tuerais. Ne pleure pas, mon lapin, ma dit Mme Bldurt. Moi, je te lachte, ton carnet. Mme Bldurt ma embrass, elle a pris son sac, elle ma pay, je lui ai donn mon carnet, et je suis revenu la maison, content comme tout. Ceux qui sont embts maintenant, cest Papa et M. Bldurt, parce que Mme Bldurt a mis le vlomoteur dans la cave, et elle ne veut pas le leur prter.

54

Linsigne Cest Eudes qui a eu lide ce matin, la rcr : Vous savez, les gars, il a dit, ceux de la bande, on devrait avoir une insigne! Un insigne, a dit Agnan. Toi, on ne ta pas sonn, sale cafard! a dit Eudes. Et Agnan est parti en pleurant et en disant quil ntait pas un cafard, et quil allait le lui prouver. Et pour quoi faire, un insigne ? jai demand. Ben, pour se reconnatre, a dit Eudes. On a besoin dun insigne pour se reconnatre ? a demand Clotaire, trs tonn. Alors, Eudes a expliqu que linsigne ctait pour reconnatre ceux de la bande, que a serait drlement utile quand on attaquerait les ennemis, et nous on a tous trouv que ctait une ide trs chouette, et Rufus a dit que ce qui serait encore mieux, ce serait que ceux de la bande aient un uniforme. Et o est-ce que tu vas trouver un uniforme? a demand Eudes. Et puis dabord, avec un uniforme, on aurait lair de guignols ! Alors, mon pre, il a lair dun guignol? a demand Rufus, qui a un papa qui est agent de police et qui naime pas quon se moque de sa famille. Mais Eudes et Rufus nont pas eu le temps de se battre, parce quAgnan est revenu avec le Bouillon, et il a montr Eudes du doigt. Cest lui, msieur, a dit Agnan. Que je ne vous reprenne plus traiter votre camarade de cafard! a dit le Bouillon, qui est notre surveillant. Regardez-moi bien dans les yeux ! Cest compris? Et il est parti avec Agnan, qui tait drlement content. Et il serait comment, linsigne? a demand Maixent. En or, cest chouette, a dit Geoffroy. Mon pre, il en a un en or. En or! a cri Eudes. Mais tes compltement fou! Comment tu vas faire pour dessiner sur de lor? 55

Et on a tous trouv quEudes avait raison, et on a dcid que les insignes, on allait les faire avec du papier. Et puis on a commenc discuter pour savoir comment il serait, linsigne. Mon grand frre, a dit Mai