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Séminaire judiciaire 2018 L’autorité du pouvoir judiciaire Document de travail

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Séminaire judiciaire 2018

L’autorité du pouvoir judiciaire

Document de travail

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Document de travail pour le séminaire judiciaire 2018 : l’autorité du pouvoir judiciaire

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Table des Matières Introduction ............................................................................................................................................ 4

A. La séparation des pouvoirs ......................................................................................................... 4 1. La pertinence de la notion de séparation des pouvoirs s’agissant de la nomination des

juges ..................................................................................................................................... 4 2. Interventions indues, pressions et menaces contre les juges ............................................... 5 3. Préserver l’autorité de la procédure judiciaire : les commentaires du pouvoir exécutif

sur des procédures pendantes ............................................................................................. 6 4. Une exécution défaillante des décisions judiciaires peut porter atteinte à l’autorité du

pouvoir judiciaire .................................................................................................................. 7 5. Atteinte au principe de l’inamovibilité des juges .................................................................. 7 6. Procédures disciplinaires engagées contre des juges à la suite de prises de position

publiques .............................................................................................................................. 8 7. Applicabilité de l’article 6 § 1 aux litiges du travail concernant des juges – les juges

eux-mêmes peuvent bénéficier des garanties du procès équitable .................................... 9 8. Les procédures disciplinaires ou de révocation d’un juge doivent respecter les

garanties d’équité de la procédure .................................................................................... 10 B Responsabilité et responsabilisation des tribunaux et des magistrats.................................... 11

1. Responsabilisation : les critiques exprimées par les médias et les avocats ........................ 11 2. La responsabilité impose un devoir de discrétion et de réserve ......................................... 13

a. Les juges doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils formulent dans la presse des critiques concernant leurs affaires ........................................................................................................... 13

b. Les juges doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils expriment des critiques à l’encontre de collègues fonctionnaires, en particulier d’autres juges ............................................................. 14

c. Révocation d’un poste de juge – ingérence dans la vie privée et professionnelle sous l’angle de l’article 8 ............................................................................................................................... 15

d. Les juges ne doivent pas laisser leurs convictions religieuses personnelles les empêcher d’exercer leurs fonctions avec impartialité (article 9 de la Convention) ................................... 15

e. Les juges peuvent être soumis à un devoir de retenue dans l’exercice de leur droit à la liberté de réunion et d’association ............................................................................................ 16

3. Exonération des magistrats de toute responsabilité civile pour les actions prises dans l’exercice de leurs fonctions et droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention ...................................................................................................................... 16

4. Lanceurs d’alerte ................................................................................................................. 16 C Réactions du pouvoir judiciaire ................................................................................................. 17

1. Réaction du pouvoir judiciaire face à des attaques excessives touchant sa réputation émanant de campagnes de presse ou d’individus ............................................................. 17

2. Réactions du pouvoir judiciaire lorsque le gouvernement engage des réformes législatives .......................................................................................................................... 18 a. Les juges ont le droit de s’exprimer de manière proportionnée à propos des réformes ayant

une incidence sur le pouvoir judiciaire (liberté d’expression) ................................................... 18

D Stratégies de communication .................................................................................................... 20 1. Les relations des tribunaux avec le public avec une référence particulière au rôle qui

leur incombe dans une démocratie ................................................................................... 20 2. Les relations des tribunaux avec les médias ........................................................................ 20 3. Comment la Cour européenne des droits de l’homme communique-t-elle au sujet de

la Convention et de sa jurisprudence ? .............................................................................. 22 a. Le site Internet et les médias sociaux .......................................................................................... 22 b. Communication avec la presse .................................................................................................... 22 c. Hudoc, la base de données sur la jurisprudence ......................................................................... 23 d. Autres publications et outils d’information ................................................................................. 23

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e. Visiteurs ....................................................................................................................................... 24

Annexe .................................................................................................................................................. 25

Ce document a été préparé par le Greffe. Il ne lie pas la Cour.

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Introduction L’autorité du pouvoir judiciaire est préservée au travers de plusieurs facteurs, distincts mais interdépendants, qui sont traités dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »). Il s’agit donc d’une notion transversale, qui peut être examinée à travers le prisme de différents articles de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), tels que les articles 6, 8, 10 et 11, et de différentes catégories de requérants, parfois les juges eux-mêmes, parfois les parties à la procédure devant les juridictions internes, des avocats ou des journalistes.

La jurisprudence de la Cour reconnaît tant explicitement qu’implicitement le rôle spécial et fondamental dévolu à l’ordre judiciaire en tant que branche indépendante du pouvoir étatique, conformément aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’état de droit.

Le présent document de travail vise à mettre en évidence les principaux arrêts et décisions adoptés par la Cour sur les thèmes suivants : 1) la séparation des pouvoirs, 2) la responsabilité et la responsabilisation des tribunaux et des magistrats, et 3) les réactions du pouvoir judiciaire. La quatrième partie concerne les stratégies de communication et elle a pour objet de fournir certaines informations pertinentes non jurisprudentielles. Chaque thème est introduit par une référence aux textes les plus récents du Conseil de l’Europe ou du droit international en la matière, puis se divise en sous-thèmes en suivant la jurisprudence de la Cour.

A. La séparation des pouvoirs Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilité

Conseil consultatif de juges européens (CCJE), Avis no 18 sur « La place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l'État dans une démocratie moderne », 16 octobre 2015

Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Liste des critères de l'État de droit, adoptée par la Commission de Venise lors de sa 106e session plénière (Venise, 11-12 mars 2016)

« Défis pour l'indépendance et l'impartialité du système judiciaire dans les États membres du Conseil de l'Europe », rapport préparé conjointement par le Bureau du CCJE et le Bureau du CCPE à l'attention du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, 24 mars 2016

Situation de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit : Populisme - Le système de contre-pouvoirs est-il suffisamment puissant en Europe ? , rapport annuel du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, 2017

APCE, résolution et rapport Nouvelles menaces contre la primauté du droit dans les États membres du Conseil de l'Europe exemples sélectionnés, 25 septembre 2017

1. La pertinence de la notion de séparation des pouvoirs s’agissant de la nomination des juges

Il est essentiel dans toute démocratie que les juges soient indépendants des autres organes de l’État. Comme la Cour l’a elle-même observé, « la notion de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire (...) a pris une importance grandissante dans [sa] jurisprudence » (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV). La notion de séparation des pouvoirs revêt également une grande importance s’agissant de la nomination et de la sélection des juges. La manière dont ceux-ci sont

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nommés a une incidence sur la perception de l’indépendance judiciaire par le public. Les pouvoirs exécutif et législatif peuvent être impliqués dans le processus, pourvu que les juges ainsi nommés soient libres de toute influence et de toute pression.

En vertu de la jurisprudence de la Cour, la présence des termes « établi par la loi » à l’article 6 § 1 « a pour objet d’éviter que l’organisation du système judiciaire dans une société démocratique ne soit laissée à la discrétion de l’exécutif et de faire en sorte que cette matière soit régie par une loi du Parlement ». Cette expression concerne non seulement la base légale de l’existence même du « tribunal », mais encore la composition du siège dans chaque affaire. Dans l’affaire Gurov c. Moldova (no 36455/02, §§ 34-38, 11 juillet 2006), la requérante se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un « tribunal établi par la loi » en raison de l’expiration du mandat d’un des juges ayant siégé dans son affaire. Le gouvernement défendeur n’a pas contesté ladite expiration, mais argué que le juge en cause n’avait pas été démis de ses fonctions et qu’il existait, à l’époque des faits, une pratique consistant à autoriser les juges à continuer d’exercer leurs fonctions pour une période indéterminée, jusqu’à ce que le président du pays tranche la question de la durée de leur mandat. La requérante soutenait que cette pratique n’était pas prévue par la loi. La Cour a conclu que la participation dudit juge était sans fondement légal et que la requérante n’avait donc pas été entendue par un « tribunal établi par la loi ». Elle a en outre jugé que la prolongation tacite du mandat des juges était contraire au principe selon lequel l’organisation judiciaire dans une société démocratique ne doit pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif et a, dès lors, conclu à la violation de l’article 6.

Dans l’affaire Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine ([GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 49, CEDH 2013 ((extraits)), les deux requérants avaient été reconnus coupables par la Cour d’État de la Bosnie-Herzégovine (« la Cour d’État ») de crimes de guerre commis contre des civils pendant la guerre de 1992-1995. Le premier requérant se plaignait que la Cour d’État n’ait pas été indépendante au sens de l’article 6 § 1, notamment parce que deux de ses membres avaient été nommés par le Bureau du Haut-Représentant en Bosnie-Herzégovine pour un mandat renouvelable de deux ans. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison de douter que les membres internationaux de la Cour d’État aient été indépendants à l’égard des organes politiques de la Bosnie-Herzégovine, des parties à l’affaire et du Bureau du Haut-Représentant. Leur nomination s’était en effet inscrite dans la perspective d’un renforcement de l’indépendance des chambres de la Cour d’État chargées de juger les crimes de guerre et d’une restauration de la confiance du public dans le système judiciaire national. En outre, le fait que ces juges étaient des magistrats professionnels dans leurs pays d’origine respectifs, détachés à la Cour d’État, constituait une garantie supplémentaire contre les pressions extérieures. Certes, leur mandat était relativement court, mais cette circonstance était compréhensible compte tenu de la nature provisoire que revêtait la présence de membres internationaux à la Cour d’État et du fonctionnement des détachements internationaux. La Cour a donc jugé ce grief manifestement mal fondé.

2. Interventions indues, pressions et menaces contre les juges Une intervention du pouvoir exécutif dans une procédure judiciaire en cours peut révéler un manque de respect envers la fonction judiciaire même et porter atteinte aux garanties du procès équitable telles qu’établies par l’article 6 de la Convention. Cette disposition exige que les tribunaux nationaux soient indépendants et impartiaux. Aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer que le tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Dans l’affaire Sovtransavto Holding c. Ukraine (no 48553/99, CEDH 2002-VII), la société requérante se plaignait que, dans le cadre de l’action qu’elle avait engagée devant les juridictions internes pour obtenir une réparation adéquate, elle n’avait pu faire entendre sa cause de manière équitable par

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un tribunal indépendant et impartial en raison de pressions politiques importantes et du contrôle exercé en permanence sur ce procès par les autorités ukrainiennes, y compris le président du pays. Plusieurs responsables politiques, dont ce dernier, avaient en effet exhorté les juges à « défendre les intérêts des nationaux ukrainiens ». La Cour a estimé que les interventions du pouvoir exécutif de l’État dans cette procédure avaient emporté violation de l’article 6 § 1. Elle a en particulier insisté sur les « multiples interventions dans le procès des plus hautes autorités ukrainiennes », ajoutant que « [q]uels que soient les motifs invoqués par le Gouvernement pour justifier de telles interventions, la Cour estime que celles-ci, vu leur contenu et la manière dont elles ont été exercées (...), sont en soi incompatibles avec la notion de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. »

L’affaire Kinský c. République tchèque (no 42856/06, 9 février 2012) concernait les démarches entreprises par un ressortissant autrichien devant les tribunaux civils tchèques pour obtenir la restitution de biens confisqués après la Seconde Guerre mondiale. Le requérant dénonçait l’intervention de ministres dans la procédure, inacceptable à ses yeux. Plusieurs responsables politiques avaient en effet formulé des déclarations très négatives au sujet des décisions rendues dans des affaires du même type, y compris à propos des actions intentées par le requérant, mais aussi au sujet des juges en charge desdites affaires. Ils avaient clairement exprimé leur opinion selon laquelle les décisions juridictionnelles qui faisaient droit aux demandes du requérant étaient erronées et indésirables. La Cour s’est déclarée particulièrement préoccupée de ce qu’un haut responsable politique ait été présent à l’audience devant le tribunal de district dans le cadre de la présente affaire et se soit ensuite permis de faire une déclaration publique assimilant le requérant aux nazis et affirmant qu’il ferait « tout ce qui était en son pouvoir » pour empêcher le requérant et d’autres personnes dans sa situation d’obtenir gain de cause. Elle a également convenu avec la Cour constitutionnelle tchèque que « les activités de certains responsables politiques mentionnées par le requérant, qu’il s’agisse de déclarations aux médias ou autres, visant à créer une atmosphère négative autour des actions en justice intentées par le requérant ou constituant des interventions directes dans ces procédures, [étaient] inacceptables dans un système fondé sur la prééminence du droit ». La Cour a donc jugé que les doutes exprimés par le requérant quant à l’impartialité des juges ne pouvaient être qualifiés de subjectifs et injustifiés.

Dans l’affaire Ivanovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no 29908/11, 21 janvier 2016), le requérant, qui présidait la Cour constitutionnelle, avait été démis de ses fonctions à la suite d’une procédure de lustration dirigée contre lui. Alors que la procédure était pendante, le Premier ministre avait publié une lettre ouverte dans laquelle il accusait le requérant d’avoir collaboré avec les services de sécurité de l’ancien régime. Invoquant l’article 6, le requérant se plaignait que la procédure de lustration dans son ensemble avait été inéquitable et que la Cour suprême et la commission sur la lustration n’avaient été ni impartiales ni indépendantes. La Cour a attaché une importance particulière à la lettre ouverte mais n’a vu aucune raison de spéculer sur le point de savoir quel effet la déclaration du Premier ministre pouvait avoir eu sur le déroulement de la procédure de lustration. La Cour a dit que la déclaration, eu égard à son contenu et à la manière dont elle avait été formulée, était ipso facto incompatible avec la notion de « tribunal indépendant et impartial ». Ce qui était en jeu n’était pas la preuve réelle d’une influence ou de pressions exercées sur les juges mais l’importance de l’apparence d’impartialité. C’est pourquoi la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1.

3. Préserver l’autorité de la procédure judiciaire : les commentaires du pouvoir exécutif sur des procédures pendantes

Dans l’affaire Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, 27 janvier 2015), le ministre de l’Intérieur avait déclaré que le requérant était coupable avant même l’inculpation de celui-ci pour cambriolage.

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Le requérant alléguait que ces propos avaient porté atteinte à son égard aux droits protégés par l’article 6 § 2 de la Convention. La Cour a dit que l’atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement de déclarations d’un juge, mais également de celles d’autres agents ou autorités publics, y compris le président du parlement, le procureur, le ministre de l’Intérieur ou les fonctionnaires de police, et que l’absence d’intention de nuire à la présomption d’innocence n’exclut pas le constat de violation. Elle a toutefois observé qu’une distinction doit être faite entre les décisions ou les déclarations d’agents de l’État qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Ce qui importe, c’est le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées, y compris le choix des termes employés par les agents de l’État. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 2 au motif que les propos litigieux avaient été tenus au cours d’une conférence de presse la veille de la comparution du requérant devant le tribunal, qu’ils avaient identifié le requérant par son nom et donné à penser que ce dernier était un membre influent d’un groupe criminel ayant commis de nombreux cambriolages.

4. Une exécution défaillante des décisions judiciaires peut porter atteinte à l’autorité du pouvoir judiciaire

Dans l’affaire Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 176, CEDH 2004-V), le requérant avait droit à un terrain en compensation d’une propriété abandonnée du fait de modifications frontalières intervenues après la Seconde Guerre mondiale. L’adoption d’une nouvelle législation par le gouvernement avait toutefois empêché sa demande d’aboutir. Malgré une décision de la Cour constitutionnelle déclarant la nouvelle législation inconstitutionnelle, différents organismes publics et ministères avaient refusé d’exécuter ladite décision ou de s’y conformer et continué à empêcher, par des manœuvres d’obstruction, le requérant (et d’autres personnes) de percevoir une réparation équitable. La Cour a conclu à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 au motif que « cette attitude de la part d'organismes publics, qui dénote une tentative délibérée d'empêcher la mise en œuvre d'un arrêt définitif et exécutoire et qui, de surcroît, est tolérée, sinon tacitement approuvée par les pouvoirs exécutif et législatif de l'État, ne peut se justifier par aucune cause générale d'utilité publique ni par les intérêts de la communauté dans son ensemble. Au contraire, elle est de nature à saper la crédibilité et l'autorité du pouvoir judiciaire et à compromettre son effectivité, facteurs qui revêtent la plus grande importance du point de vue des principes fondamentaux qui sous-tendent la Convention ».

5. Atteinte au principe de l’inamovibilité des juges Selon les règles internationales, l’une des conditions nécessaires à l’indépendance du pouvoir judiciaire est que les juges soient inamovibles et qu’ils ne risquent pas d’être arbitrairement démis de leurs fonctions. C’est pourquoi la Cour doit examiner très attentivement les allégations concernant la cessation prématurée d’un mandat en raison d’opinions et de critiques exprimées publiquement par un juge dans le cadre de ses fonctions. Dans l’affaire Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, CEDH 2016), le requérant avait été élu président de la Cour suprême hongroise pour un mandat de six ans. Le gouvernement hongrois y avait mis fin trois ans et demi plus tôt que prévu à la suite de l’adoption d’une nouvelle législation. Le requérant alléguait en particulier qu’il n’avait pas eu accès à un tribunal pour contester la cessation prématurée de son mandat de président de la Cour suprême. Il se plaignait également d’avoir été relevé de ses fonctions parce qu’il avait publiquement, dans le cadre professionnel, pris position ou exprimé un avis sur divers aspects de réformes législatives qui concernaient les tribunaux. Il invoquait les articles 6 § 1 et 10 de la Convention. La Cour a observé que la cessation prématurée du mandat n’avait été examinée par

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aucun organe exerçant des fonctions judiciaires, et qu’elle n’aurait pas pu l’être en raison d’un texte de loi dont elle a jugé douteuse la compatibilité avec les exigences de l’état de droit. Eu égard à l’importance croissante que les instruments internationaux et ceux du Conseil de l’Europe ainsi que la jurisprudence des juridictions internationales et la pratique d’autres organes internationaux accordent au respect de l’équité procédurale dans les affaires concernant la révocation ou la destitution de juges, la Cour a considéré que l’État défendeur avait porté atteinte à la substance même du droit pour le requérant d’accéder à un tribunal. Les conclusions tirées par la Grande Chambre sur le terrain de l’article 10 seront abordées ci-après.

6. Procédures disciplinaires engagées contre des juges à la suite de prises de position publiques

Comme tous les êtres humains, les juges jouissent du droit à la liberté d’expression. L’État peut toutefois légitimement les assujettir à une obligation de réserve en raison de la fonction qu’ils occupent. La Cour a souligné que, eu égard à l’importance croissante qui s’attache à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice, elle se doit d’examiner attentivement toute ingérence dans la liberté d’expression d’un juge. Dans certaines circonstances, les juges peuvent également être amenés à s’exprimer sur des questions qui concernent le pouvoir judiciaire, les tribunaux ou l’administration de la justice et à jouer ainsi un rôle important. La peur d’être sanctionné pour s’être exprimé en faveur de l’indépendance judiciaire et de l’impartialité peut avoir sur eux un « effet dissuasif » (voir aussi la partie sur les « réactions »).

Dans l’affaire Wille c. Liechtenstein ([GC], no 28396/95, § 70, CEDH 1999-VII), la Cour a conclu qu’une lettre adressée au requérant (président du Tribunal administratif du Liechtenstein) par le prince de Liechtenstein afin de lui faire part de sa résolution de ne plus le nommer à aucune fonction publique traduisait une « réprimande pour la façon dont l’intéressé avait précédemment usé de son droit à la liberté d’expression ». Elle a observé que, dans cette lettre, le prince avait critiqué le contenu d’une conférence publique sur les fonctions de la Cour constitutionnelle donnée par le requérant, et fait connaître son intention de le sanctionner en raison de son opinion sur certaines questions de droit constitutionnel. Elle a donc conclu que l’article 10 trouvait à s’appliquer et qu’il y avait eu ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression.

Dans l’affaire Albayrak c. Turquie (no 38406/97, 31 janvier 2008), le requérant, juge de son état, avait fait l’objet d’une procédure disciplinaire en 1995 au motif notamment qu’il lisait des publications légales du PKK et regardait une chaîne de télévision contrôlée par ce parti. Il avait contesté toutes les accusations, soutenant qu’il adhérait aux principes fondamentaux de l’État et servait celui-ci en toute loyauté. Le Conseil supérieur de la magistrature avait toutefois jugé fondées les allégations portées contre l’intéressé et, à titre de sanction, l’avait muté dans une autre juridiction. Par la suite, il avait refusé à plusieurs reprises de lui accorder une promotion compte tenu de sa sanction disciplinaire antérieure. Quant à la proportionnalité de l’ingérence, la Cour n’a trouvé aucune mention d’un incident connu donnant à penser que le comportement reproché au requérant, notamment le fait de s’informer à travers des médias liés au PKK, ait eu une incidence sur l’accomplissement de ses fonctions de juge. Elle a en outre estimé que rien ne montrait que l’intéressé était lui-même associé au PKK ou qu’il se soit comporté d’une façon permettant de mettre en doute sa capacité à traiter impartialement des affaires concernant le PKK dont il pouvait avoir à connaître. Par conséquent, elle a conclu qu’en décidant d’engager une procédure disciplinaire contre le requérant, les autorités avaient attaché une importance décisive au fait que l’intéressé s’informait au travers de médias liés au PKK. Leur décision n’était donc pas fondée sur des motifs suffisants permettant de conclure que l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique ».

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Dans l’affaire Koudechkina c. Russie (no 29492/05, 26 février 2009), la requérante, juge de son état, alléguait que sa révocation de la magistrature à la suite de certaines de ses déclarations dans les médias avait porté atteinte à son droit à la liberté d’expression. La Cour a rappelé non seulement que l’article 10 s’étend à la sphère professionnelle, mais également que les employés ont à l’égard de leur employeur un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion, en particulier dans le cas des fonctionnaires. Elle a conclu à la violation de l’article 10 au motif que l’intéressée avait été privée d’importantes garanties procédurales dans le cadre de la procédure disciplinaire dirigée contre elle et que la sanction prononcée à son encontre (la plus sévère parmi celles encourues) était disproportionnée et, en outre, de nature à avoir un « effet inhibiteur » sur les juges souhaitant participer au débat public sur l’efficacité des institutions judiciaires.

Dans l’affaire Harabin c. Slovaquie (no 58688/11, §§ 150-153, 20 novembre 2012), c’est le comportement professionnel du requérant dans le contexte de l’administration de la justice qui était en cause. La procédure disciplinaire engagée à son encontre (après un refus d’autoriser que des agents du ministère des Finances procèdent à un audit qui aurait dû selon lui être réalisé par la Cour des comptes) concernait la manière dont il exerçait ses fonctions de président de la Cour suprême, et relevait donc de la sphère de son emploi dans la fonction publique. De plus, l’infraction disciplinaire dont il avait été reconnu coupable ne concernait pas des déclarations qu’il aurait faites ou des opinions qu’il aurait exprimées dans le cadre d’un débat public. La Cour a donc conclu que la mesure litigieuse ne constituait pas une ingérence dans l’exercice du droit garanti par l’article 10, ce pourquoi elle a jugé le grief tiré de cette disposition irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

Dans l’affaire Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, CEDH 2016), le requérant avait exprimé publiquement à titre professionnel, en sa qualité de président de la Cour suprême et du Conseil national de la justice, son avis sur divers aspects des réformes législatives qui concernaient les tribunaux. La Cour a jugé que la cessation prématurée de son mandat avait indubitablement eu un « effet dissuasif » en ce qu’elle avait dû décourager non seulement le requérant lui-même mais aussi d’autres juges et présidents de juridictions de participer, à l’avenir, au débat public sur des réformes législatives concernant les tribunaux et, de manière plus générale, sur des questions relatives à l’indépendance de la justice. La Grande Chambre a dit qu’il y avait eu violation de l’article 101.

7. Applicabilité de l’article 6 § 1 aux litiges du travail concernant des juges – les juges eux-mêmes peuvent bénéficier des garanties du procès équitable

Dans l’affaire Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, CEDH 2007-II), la Grande Chambre a défini les conditions d’application du volet civil de l’article 6 § 1 aux litiges du travail concernant des employés de l’État ou des fonctionnaires. Elle a considéré que, pour soustraire ces employés à la protection offerte par l’article 6 § 1, le droit interne doit expressément exclure l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou de la catégorie de salariés en question, et souligné que cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État.

Dans l’affaire Olujić c. Croatie (no 22330/05, 5 février 2009), le requérant était président de la Cour suprême croate lorsque le Conseil judiciaire national (« le CJN ») avait ouvert une procédure disciplinaire contre lui et l’avait révoqué de ses fonctions. La décision du CJN, d’abord annulée avec renvoi, avait été confirmée par le Parlement puis par la Cour constitutionnelle. Dans sa requête devant la Cour, le requérant formulait plusieurs griefs fondés sur l’article 6 § 1 de la Convention, tandis que le gouvernement croate soutenait que cette disposition n’était pas applicable à un litige concernant la révocation d’un juge de la Cour suprême du fait du statut de fonctionnaire de l’intéressé. La Cour a observé que si la législation nationale excluait l’accès à un tribunal dans ce cas

1. Cette affaire sera analysée de manière plus approfondie ci-après.

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de figure, cette exclusion n’était pas absolue. Elle a donc jugé que l’article 6 était applicable et que, le requérant ayant été révoqué de ses fonctions de juge et de président de la Cour suprême, son statut de président de la Cour suprême n’avait aucune pertinence aux fins de l’examen de l’applicabilité de ladite disposition. Elle a enfin conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de quatre facteurs, à savoir le défaut d’impartialité du président et de deux autres membres du CJN, le défaut de publicité des audiences dans la procédure disciplinaire engagée contre le requérant, une violation du principe de l’égalité des armes et la durée de la procédure.

Dans l’affaire Paluda c. Slovaquie (no 33392/12, 23 mai 2017), le Conseil judiciaire avait engagé une procédure disciplinaire contre le requérant, membre de la Cour suprême, et l’avait suspendu de ses fonctions avec effet immédiat. La décision de suspension entraînait une réduction de 50 % des émoluments de l’intéressé pendant la durée de la procédure disciplinaire. Le requérant avait formé plusieurs recours contre sa suspension, en vain. Il saisit alors la Cour, invoquant l’article 6 § 1 pour se plaindre d’avoir été privé d’un accès aux tribunaux pour contester la décision ordonnant sa suspension. La Cour a conclu à la violation, jugeant que le requérant n’avait pas eu accès à une procédure devant un tribunal au sens de l'article 6 § 1 en ce que le Conseil judiciaire n’était pas un organe de nature judiciaire et n’offrait pas les garanties institutionnelles et procédurales requises par l'article 6 § 1. Le Gouvernement n’a avancé aucune raison concluante pour justifier que le requérant ait été privé de pareille protection judiciaire.

8. Les procédures disciplinaires ou de révocation d’un juge doivent respecter les garanties d’équité de la procédure

La mission du pouvoir judiciaire dans un État démocratique est de garantir l’existence même de l’état de droit. Lorsqu’un gouvernement engage une procédure disciplinaire contre un juge, il y va de la confiance du public dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Il importe donc que les exigences de l’article 6 soient respectées.

Dans l’affaire Mitrinovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no 6899/12, 30 avril 2015), le requérant, juge de profession, alléguait que l’assemblée plénière du Conseil judiciaire d’État (« le CJE »), qui avait prononcé sa révocation pour faute professionnelle, ne pouvait pas passer pour un tribunal indépendant et impartial car le juge à l’origine de la procédure disciplinaire avait également pris part à la décision du CJE de le révoquer. La Cour a jugé que ce double rôle du juge avait entraîné un manquement aux critères d’impartialité tant subjective qu’objective. Elle a donc conclu à la violation de l’article 6.

Dans l’affaire Gerovska Popčevska c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no 48783/07, 7 janvier 20162), la requérante avait été destituée de son poste de juge pour faute professionnelle en 2007. Elle se plaignait que le Conseil national de la magistrature (« le CNM ») n’était pas un tribunal « indépendant et impartial » en ce que deux de ses membres, le juge D.I. et le ministre de la Justice d’alors, avaient participé aux étapes préliminaires de la procédure dirigée contre elle et s’étaient donc formé une idée préconçue au sujet de sa révocation. Par ailleurs, elle voyait dans la participation du ministre à la décision du CNM une ingérence de l’exécutif dans les affaires judiciaires. Dans sa décision de révoquer la requérante, le CNM s’était appuyé sur deux avis de la Cour suprême ayant constaté qu’il y avait lieu de conclure à une faute professionnelle. La Cour a observé qu’il n’était pas contesté que le juge D.I., membre de la formation plénière du CNM ayant statué dans la cause de la requérante, était aussi membre de la division et de la plénière de la Cour suprême à l’origine des deux avis. De plus, il apparaissait que le juge D.I. avait voté en faveur de

2. Voir aussi Jakšovski et Trifunovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 56381/09 et 58738/09, 7 janvier 2016, Poposki et Duma c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 69916/10 et 36531/11, 7 janvier 2016.

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l’avis de la plénière en sachant que celui-ci serait utilisé dans la procédure contre la requérante alors pendante devant le CNM. Dans ces conditions, l’intéressée avait des motifs légitimes de craindre que le juge D.I. fût déjà personnellement convaincu qu’elle devait être révoquée pour faute professionnelle avant même l’examen de la question par le CNM. La participation de D.I. à la procédure pour faute professionnelle devant le CNM était donc incompatible avec l’exigence d’impartialité découlant de l’article 6 § 1 de la Convention. Il en allait de même de la participation du ministre de la Justice de l’époque à la décision du CNM de révoquer la requérante, car le ministre avait précédemment demandé au CNM, lorsqu’il présidait la Commission nationale anticorruption, de réexaminer l’affaire tranchée par la requérante. De plus, sa présence au sein de cet organe alors qu’il était membre de l’exécutif avait porté atteinte à l’indépendance dudit organe dans l’affaire en question. La Cour a donc conclu que la cause de la requérante n’avait pas été examinée par un tribunal « indépendant et impartial » comme l’exige l’article 6 § 1 de la Convention.

Dans l’affaire Oleksandr Volkov c. Ukraine (no 21722/11, CEDH 2013), le requérant avait saisi la Cour d’un grief fondé sur l’article 6 concernant sa révocation de son poste de juge à la Cour suprême par le Conseil supérieur de la magistrature. La Cour a jugé que l’affaire faisait apparaître un certain nombre de problèmes sérieux concernant à la fois la procédure menée devant le Conseil supérieur de la magistrature et une apparence de parti pris de la part de certains des membres de ce conseil ayant statué en l’affaire du requérant. Elle a également considéré que le défaut de délai de prescription pour l’imposition d’une sanction disciplinaire dans des affaires concernant des membres de l’ordre judiciaire menaçait gravement la sécurité juridique, de même que le système de vote adopté lors de la séance plénière du Parlement, où plusieurs parlementaires avaient délibérément voté plusieurs fois en utilisant les cartes de vote de leurs collègues absents, en toute illégalité. Les conclusions de la Cour sur l’article 6 ont été appliquées dans l’affaire Kulykov et autres c. Ukraine (nos 5114/09 et 17 autres, 19 janvier 2017), dans laquelle 18 juges ukrainiens avaient été révoqués pour rupture de serment en vertu du régime disciplinaire en vigueur avant 2016.

B Responsabilité et responsabilisation des tribunaux et des magistrats

Les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire, 2002

La Résolution de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'éthique judiciaire, 2008

Magna Carta des juges, CCJE, CCJE (2013)3 Final, 17 novembre 2010

Conseil consultatif de juges européens (CCJE) Avis no 17 (2014) sur l'évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l'indépendance judiciaire, 24 octobre 2014

Prévention de la corruption chez les parlementaires, les juges et les procureurs en Europe, GRECO, Groupe d'États contre la corruption du Conseil de l'Europe, Quatrième Cycle d'évaluation, octobre 2017

1. Responsabilisation : les critiques exprimées par les médias et les avocats Le devoir de réserve des juges poursuit une finalité particulière : la parole du magistrat, contrairement à celle de l’avocat, est reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime mais aussi toute l’institution de la justice. Comme garant de la justice, le pouvoir judiciaire doit jouir de la confiance des citoyens pour mener à bien sa mission.

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S’il peut s’avérer nécessaire de protéger les autorités judiciaires contre des attaques gravement préjudiciables dénuées de fondement sérieux, le devoir de réserve interdisant aux magistrats visés de réagir (Wingerter c. Allemagne (déc.), no 43718/98, 21 mars 2002), cela ne saurait avoir pour effet d’interdire aux individus de s’exprimer, par des jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante, sur des sujets d’intérêt général liés au fonctionnement de la justice ou de prohiber toute critique à l’égard de celle-ci (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Morice c. France [GC], no 29369/10, CEDH 2015).

Dans l’affaire Morice c. France (précitée), le requérant avait été reconnu coupable d’avoir tenu des propos diffamatoires à l’égard de deux magistrats en charge d’une affaire médiatisée dans laquelle il intervenait en qualité d’avocat. Ces propos avaient été publiés dans un journal français. La Cour a rappelé que l’expression « autorité du pouvoir judiciaire » reflète notamment l’idée que les tribunaux constituent les organes appropriés pour statuer sur les différends juridiques et que leur aptitude à s’acquitter de cette tâche inspire au public respect et confiance. Elle a toutefois souligné qu’un avocat doit pouvoir attirer l’attention du public sur d’éventuels dysfonctionnements judiciaires et que, s’il est nécessaire de préserver l’autorité du pouvoir judiciaire et de la protéger contre certaines critiques, cela ne saurait avoir pour effet d’interdire aux individus de s’exprimer, par « des jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante, sur des sujets d’intérêt général ». Elle a donc estimé que la condamnation du requérant pour complicité de diffamation s’analysait en une ingérence disproportionnée dans l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression, ingérence qui n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 10 de la Convention.

Dans l’affaire Peruzzi c. Italie (no 39294/09, 30 juin 2015), le requérant, avocat de profession, se plaignait d’avoir été condamné à une amende de 400 euros et au paiement de 15 000 euros de dédommagement pour avoir diffamé un juge d’instruction dans le cadre d’une procédure de partage d’héritage dans laquelle il défendait les intérêts de deux clientes. Le requérant avait fait parvenir audit juge et à d’autres magistrats du tribunal de Lucques une lettre circulaire reprenant le texte d’une précédente missive qu’il avait adressée au Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM ») et dans laquelle il soutenait que le juge avait adopté des décisions injustes et arbitraires et qu’il s’était trompé « volontairement avec dol ou faute grave ou par manque d’engagement ». Si le nom du juge concerné n’était pas explicitement mentionné dans la lettre circulaire, celle-ci contenait toutefois des éléments qui pouvaient permettre à ses collègues de l’identifier. La Cour a jugé que le premier reproche concernant les décisions injustes et arbitraires pouvait s’analyser en un jugement de valeur qui se fondait sur une certaine base factuelle, en ce que le requérant avait été le représentant de l’une des parties dans la procédure judiciaire, et il ne pouvait donc être considéré comme une critique excessive. Concernant le second reproche, en revanche, celui-ci impliquait le mépris, de la part du juge, des obligations déontologiques propres à sa fonction de juge, voire même la commission d’une infraction pénale (abus de pouvoir). Or, le requérant n’avait produit aucun élément susceptible de démontrer l’existence d’un dol dans l’adoption des décisions qu’il contestait. Il n’avait, de plus, pas attendu l’issue de la procédure qu’il avait engagée contre le juge devant le CSM pour envoyer la lettre, qui ne pouvait que nuire à la réputation et à l’image professionnelle du juge concerné. La Cour a conclu que la peine infligée au requérant, à savoir une faible amende et le dédommagement pour les propos diffamatoires, pouvait raisonnablement passer pour « nécessaire dans une société démocratique » afin de protéger la réputation d’autrui et pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, et qu’il n’y avait donc pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Dans l’affaire Wingerter c. Allemagne ((déc.), no 43718/98, 21 mars 2002), antérieure à la précédente, le requérant, avocat de profession, soutenait que le blâme qu’il s’était vu infliger pour violation des règles déontologiques avait emporté violation de son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10. Il avait en effet été réprimandé pour une déclaration faite par écrit dans le cadre de conclusions d’appel où il contestait sa note d’honoraires. L’appel en question avait été

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formé dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre le client du requérant, M. K., au cours de laquelle plusieurs erreurs de droit avaient été commises par le juge et le procureur de Mannheim. Pour les juridictions internes, comme pour la Cour, l’allégation était toutefois désobligeante et sans justification valable. La Cour a donc conclu que, dans son contexte, la déclaration était de nature plus générale que spécifique et que, en tant que telle, elle accusait tous les juges, procureurs et avocats de Mannheim d’incompétence en matière de droit. Les erreurs de droit commises au cours de la procédure pénale dirigée contre M. K., même si elles étaient évidentes, ne pouvaient toutefois justifier de discréditer un groupe entier de professionnels. La Cour a également observé que le requérant avait simplement été réprimandé (la sanction la plus clémente) et elle a considéré que pareille sanction n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi par les tribunaux. Les motifs avancés par les tribunaux internes étaient en eux-mêmes pertinents et suffisants pour justifier pareille atteinte aux droits du requérant découlant de l’article 10.

Dans l’affaire Radobuljac c. Croatie (no 51000/11, 28 juin 2016) le requérant, avocat de profession, avait été condamné pour outrage à magistrat en raison des déclarations qu’il avait faites à propos de ce juge dans un recours contre une décision de ce dernier. Il affirmait que sa condamnation avait porté atteinte à sa liberté d’expression. La Cour a appliqué les principes établis dans l’arrêt Morice [GC] et considéré que l’article 10 est applicable tant aux avocats qu’au pouvoir judiciaire et qu’il protège à la fois la substance des idées et des informations exprimées et leur mode d’expression. La Cour a ajouté que, dans l’intérêt de leurs clients, les avocats doivent parfois protester contre l’attitude d’un tribunal ou s’en plaindre, mais il convient d’établir une distinction claire entre critique et insulte. La Cour a rappelé les précédents de sa jurisprudence concernant les insultes personnelles, qui englobent le fait de remettre en cause les compétences professionnelles d’un juge, de lui attribuer un comportement répréhensible comme mentir, altérer volontairement la réalité ou établir un rapport mensonger, ou encore parler d’un juge en le dénigrant. En l’espèce, les commentaires du requérant concernaient la manière dont le juge avait conduit la procédure et s’était comporté dans l’affaire concernant son client. Il ne s’agissait pas d’attaques personnelles sur le caractère ou les qualités générales du juge. L’atteinte aux droits du requérant protégés par l’article 10 était dès lors injustifiée.

2. La responsabilité impose un devoir de discrétion et de réserve

a. Les juges doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils formulent dans la presse des critiques concernant leurs affaires

Dans l’affaire Buscemi c. Italie (no 29569/95, § 67, CEDH 1999-VI), le requérant avait demandé que le président du tribunal pour enfants fût remplacé par un autre juge. Il alléguait la partialité du juge en raison du vif échange de vues qu’ils avaient eu dans la presse concernant le rôle du tribunal en matière de garde d’enfants. Il fut débouté de sa demande et l’enquête préliminaire aboutit à la conclusion que le juge n’avait trahi aucun élément confidentiel et qu’aucune atteinte n’avait dès lors été portée à la réputation et à l’honneur du requérant. Dans son arrêt, la Cour a souligné que la plus grande discrétion s’impose aux autorités judiciaires lorsqu’elles sont appelées à juger, afin de garantir leur image de juges impartiaux. Cette discrétion doit les amener à ne pas avoir recours à la presse, même pour répondre à des provocations. Ainsi le veulent les impératifs supérieurs de la justice et la grandeur de la fonction judiciaire. Le fait que le président du tribunal ait employé publiquement des expressions sous-entendant une appréciation négative de la cause du requérant avant de présider l’organe judiciaire appelé à trancher l’affaire était de nature à justifier objectivement les craintes du requérant à l’égard de son impartialité. La Cour a donc conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

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Dans l’affaire Lavents c. Lettonie (no 58442/00, §§ 118 et 119, 28 novembre 2002), le requérant, un homme d’affaires de premier plan accusé d’actes frauduleux dans le cadre de la liquidation d’une banque, avait en vain introduit des demandes en récusation contre la présidente de la cour régionale de Riga en raison des critiques qu’elle avait publiquement exprimées dans la presse à son égard et à l’égard de ses défenseurs. La Cour a constaté que, dans la presse, la juge avait critiqué l'attitude de la défense devant le tribunal, formulé des prévisions sur l'issue de l'affaire et exprimé son étonnement devant le fait que le requérant persistait à plaider non coupable de tous les chefs d'accusation, lui suggérant de prouver son innocence. Aux yeux de la Cour, de telles déclarations constituaient une véritable prise de position sur l'issue de l'affaire, avec une nette préférence pour un constat de culpabilité de l'accusé. Elle a estimé que pareilles déclarations n’étaient pas compatibles avec les exigences de l'article 6 § 1 et qu’elles avaient conduit le requérant à craindre un manque d'impartialité de cette juge. Elle a également relevé qu’il ressortait des déclarations de la juge à la presse qu’elle était convaincue de la culpabilité du requérant, auquel elle avait même suggéré de prouver au tribunal qu'il n'était pas coupable, allant ainsi à l’encontre du principe même de la présomption d'innocence, à savoir l'un des principes fondamentaux de tout État démocratique. Elle a donc conclu à la violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

b. Les juges doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils expriment des critiques à l’encontre de collègues fonctionnaires, en particulier d’autres juges

Dans l’affaire Di Giovanni c. Italie (no 51160/06, 9 juillet 2013), la requérante, présidente d’un tribunal à Naples, avait déclaré dans une interview accordée à un quotidien qu’un membre du jury d’un concours d’accès à la magistrature était intervenu en faveur d’un proche. Une enquête pénale était alors en cours à l’encontre d’un membre dudit jury qui était accusé d’avoir falsifié les résultats du concours dans le but de favoriser un candidat. D’autres articles parurent, associant le nom d’un magistrat napolitain aux faits délictueux liés au concours. La section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) jugea la requérante partiellement coupable d’avoir manqué à son devoir de loyauté et de respect envers les membres du CSM et un collègue aisément identifiable à partir de l’interview, et elle lui infligea un avertissement. La Cour a rappelé le devoir de réserve qui s’impose aux juges et conclu que l’atteinte à la liberté d’expression de la requérante était proportionnée, observant que les rumeurs graves que la requérante avait rapportées dans l’interview à propos d’un collègue juge identifiable, sans lui laisser le bénéfice du doute, s’étaient révélées totalement infondées et que la sanction qui lui avait été infligée était un simple avertissement. Elle a donc conclu à la non-violation de l’article 10.

Dans l’affaire Simić c. Bosnie-Herzégovine ((déc.), no 75255/10, 15 novembre 2016), le requérant se plaignait d’avoir été révoqué de ses fonctions de juge de la Cour constitutionnelle, invoquant les articles 6 § 1 et 10 de la Convention. Sa révocation était intervenue en raison d’une lettre qu’il avait adressée à de hauts représentants de l’État et d’interviews qu’il avait accordées aux médias (ainsi que d’une conférence de presse non autorisée) dans lesquelles il évoquait les travaux de la Cour constitutionnelle et accusait celle-ci de corruption. Pour ce qui est de l’allégation de violation du droit du requérant à la liberté d’expression, la Cour a observé que la décision de révocation découlait essentiellement des atteintes qu’il avait portées à l’autorité de la Cour constitutionnelle ainsi qu’à la réputation d’un juge. Elle a conclu que le grief formulé par le requérant sous l’angle de l’article 10 était manifestement mal fondé et a rejeté la totalité de la requête pour irrecevabilité.

En revanche, dans l’affaire Koudechkina c. Russie (précitée), la requérante alléguait que sa révocation des fonctions juridictionnelles qu’elle exerçait après qu’elle eut fait certaines déclarations dans les médias pendant sa campagne électorale avait emporté violation de son droit à la liberté d’expression. La Cour a conclu que l’intéressée avait été privée d’importantes garanties procédurales dans le cadre de la procédure disciplinaire et que la sanction qui lui avait été infligée était

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disproportionnée et de nature à avoir un « effet inhibiteur » sur les juges souhaitant participer au débat public sur l’efficacité des organes judiciaires.

c. Révocation d’un poste de juge – ingérence dans la vie privée et professionnelle sous l’angle de l’article 8

Dans l’affaire Özpınar c. Turquie (no 20999/04, 19 octobre 2010), la requérante avait été révoquée de ses fonctions de juge non seulement pour des motifs professionnels mais aussi en raison d’allégations concernant sa vie privée. La Cour a conclu que l’enquête menée sur la vie privée et professionnelle de l’intéressée, ainsi que la révocation qui en avait résulté, pouvaient être considérées comme portant atteinte à son droit au respect de la vie privée. La Cour a observé que les devoirs déontologiques d’un magistrat peuvent empiéter dans une certaine mesure sur sa vie privée, ce qui peut se produire par exemple lorsque sa conduite nuit à l’image ou à la réputation de l’institution judiciaire. En l’espèce, elle a toutefois jugé que la révocation de la requérante et la profonde incidence de cette mesure sur sa carrière n’étaient pas proportionnées au but légitime poursuivi, compte tenu aussi de l’absence de garanties qui a caractérisé la procédure litigieuse et de la motivation invoquée par les juridictions nationales.

Dans un certain nombre d’affaires ultérieures, la Cour a jugé que la révocation des requérants de leur poste de juge pour faute professionnelle constituait une atteinte à leur droit au respect de la « vie privée », compte tenu de l’effet de cette mesure sur leur carrière, leur réputation et leurs relations sociales et professionnelles, mais aussi sur leur confort matériel (Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, CEDH 2013, Kulykov et autres c. Ukraine, nos 5114/09 et 17 autres, § 138, 19 janvier 2017, et Erményi c. Hongrie, no 22254/14, 22 novembre 2016). Une affaire similaire est pendante devant la Grande Chambre (Denisov c. Ukraine, no 76639/11).

d. Les juges ne doivent pas laisser leurs convictions religieuses personnelles les empêcher d’exercer leurs fonctions avec impartialité (article 9 de la Convention)

Dans l’affaire Pitkevich c. Russie ((déc.), no 47936/99, 8 février 2001), la requérante, une juge de profession membre de l’Église de la foi vivante, avait été révoquée de ses fonctions pour faute professionnelle. Invoquant les articles 9, 10 et 14 de la Convention, elle soutenait que sa révocation constituait une ingérence injustifiée et discriminatoire dans l’exercice de ses droits à la liberté de religion et à la liberté d’expression. La Cour a rejeté ses griefs pour défaut manifeste de fondement. La conduite de la requérante jugée inappropriée dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles était définie avec précision. La base factuelle de sa révocation se rapportait exclusivement à ses activités officielles (intimidation de parties aux procédures devant le tribunal et promotion de l’Église dont elle était membre au détriment de l’intérêt de l’État à la protection de l’état de droit) et ne concernait en rien l’expression de ses opinions en privé. Pareils faits étaient donc « pertinents » aux fins de déterminer si la requérante était apte à exercer les fonctions de juge et mettaient en cause l’impartialité de celle-ci ainsi que l’autorité du pouvoir judiciaire. Reconnaissant une certaine marge d’appréciation à cet égard, la Cour a jugé que les motifs invoqués par les autorités en l’espèce suffisaient à justifier l’ingérence dans l’exercice par la requérante des droits reconnus par l’article 10 de la Convention.

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e. Les juges peuvent être soumis à un devoir de retenue dans l’exercice de leur droit à la liberté de réunion et d’association

Dans l’affaire Maestri c. Italie ([GC], no 39748/98, CEDH 2004-I), le requérant, qui était alors juge, avait fait l’objet d’une procédure disciplinaire en raison de son appartenance à une loge maçonnique, de 1981 à 1993, à l’issue de laquelle il s’était vu infliger un avertissement. Les autorités nationales affirmaient que l'adhésion d'un magistrat à la franc-maçonnerie était illicite du point de vue disciplinaire en raison de l'incompatibilité entre le serment du franc-maçon et celui du magistrat et de l'existence de très forts liens de subordination et de solidarité entre les francs-maçons. La Cour a estimé que l'exigence de prévisibilité des dispositions pertinentes n'était pas remplie et que, par conséquent, l'ingérence n'était pas prévue par la loi. Elle a donc conclu à la violation de l’article 11 de la Convention, sans toutefois statuer sur la compatibilité du statut de franc-maçon avec celui de juge.

3. Exonération des magistrats de toute responsabilité civile pour les actions prises dans l’exercice de leurs fonctions et droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention

L’affaire Sergey Zubarev c. Russie (no 5682/06, 5 février 2015) concernait le refus des juridictions nationales d’admettre pour examen l’action en diffamation dirigée par le requérant contre une juge, et ce pour des raisons d’immunité judiciaire. Avocat de profession, M. Zubarev avait entamé une action en diffamation contre une juge qui, en avril 2005, avait demandé au barreau d’engager une procédure disciplinaire contre lui en raison de sa conduite lors d’une procédure civile. La magistrate alléguait notamment que M. Zubarev, par son absence sans motif valable, avait causé des retards dans une procédure civile où il était l’un des représentants. En mai 2005, les tribunaux avaient déclaré irrecevable l’action de M. Zubarev en raison de l’immunité judiciaire dont la magistrate jouissait pour les actes commis dans le cadre de ses fonctions professionnelles de juge ayant présidé l’affaire civile. Cette décision avait été confirmée en appel en juin 2005. Invoquant en particulier l’article 6 § 1, le requérant alléguait que le refus des juridictions nationales d’examiner au fond son action en diffamation l’avait privé du droit d’accès à un tribunal. La Cour a estimé qu’un rapport raisonnable de proportionnalité pouvait passer pour avoir existé entre l’immunité de la magistrate dans le cadre de l’administration de la justice et le but légitime poursuivi dans l’intérêt public. Elle a donc conclu à la non-violation de l’article 6 § 1.

4. Lanceurs d’alerte Pour ce qui est des fonctionnaires du parquet, la Cour a conclu à la violation de l’article 10 dans l’affaire Guja c. Moldova ([GC], no 14277/04, CEDH 2008) à raison du renvoi d’un fonctionnaire du parquet général pour avoir laissé filtrer dans la presse des éléments indiquant une ingérence apparente du gouvernement dans l’administration de la justice pénale. Pour apprécier la proportionnalité d’une atteinte portée à la liberté d’expression d’un fonctionnaire en pareil cas, la Cour a tenu compte de divers facteurs : premièrement, l’existence d’une législation ou d’un règlement intérieur concernant la divulgation par des salariés d’irrégularités ; deuxièmement, l’intérêt public que présentait l’information divulguée ; troisièmement, l’authenticité des informations divulguées. Quant au préjudice causé à l’autorité publique concernée, la Cour a considéré que, malgré les effets négatifs sur le parquet général, l’intérêt général à ce que soient divulguées les informations faisant état de pressions et d’agissements illicites au sein de cette institution était si important qu’il l’emportait sur l’intérêt qu’il y avait à maintenir la confiance du public dans son indépendance. Après avoir soupesé les divers intérêts en jeu, elle a donc conclu que

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l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression du requérant, en particulier à son droit de communiquer des informations, n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

C Réactions du pouvoir judiciaire

1. Réaction du pouvoir judiciaire face à des attaques excessives touchant sa réputation émanant de campagnes de presse ou d’individus

Si les juges et tribunaux peuvent réagir aux attaques qu’ils perçoivent comme particulièrement excessives et prendre des mesures pour défendre la réputation du pouvoir judiciaire, ils doivent le faire d’une manière proportionnée.

Dans l’affaire De Haes et Gijsels (précitée), les requérants, journalistes de profession, avaient publié cinq articles dans lesquels ils critiquaient longuement, en termes virulents, des magistrats de la cour d’appel d’Anvers. Ils leur reprochaient d’avoir attribué, dans le cadre d’une procédure en divorce, la garde des enfants au père, un notaire belge. En 1984, son épouse et les parents de celle-ci avaient déposé contre lui une plainte pour inceste et sévices envers les enfants, laquelle avait cependant débouché sur un non-lieu. De manière inhabituelle, les magistrats citèrent les journalistes en justice afin d’obtenir réparation des dommages qu’ils prétendaient avoir subis. Le tribunal de première instance de Bruxelles puis la cour d’appel firent droit à leur demande. Les requérants alléguaient que leur condamnation par ces deux juridictions avait entraîné une violation de l’article 10 de la Convention. La Cour a entre autres déclaré que « l’action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un État de droit, a besoin de la confiance du public. Aussi convient-il de la protéger contre des attaques dénuées de fondement, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats de réagir ». La Cour a toutefois déduit des faits de la cause qu’il y avait bien eu violation de l’article 10. Si les commentaires des journalistes contenaient certes des critiques très sévères, celles-ci n’en paraissaient pas moins à la mesure de l’émotion et de l’indignation suscitées par les faits allégués dans les articles litigieux.

Dans l’affaire Oboukhova c. Russie (no 34736/03, 8 janvier 2009), la requérante (une journaliste) soutenait que la restriction apportée à son droit de publier des informations sur un accident de la route impliquant une juge et sur le procès judiciaire y afférent était incompatible avec l’article 10 de la Convention. Ladite restriction avait été ordonnée dans le cadre d’une procédure en diffamation engagée par la juge contre la requérante, qui avait publié un article reproduisant une lettre de l’épouse de l’autre conducteur impliqué dans l’accident indiquant que la juge avait abusé de sa fonction et de ses relations dans le monde judiciaire dans le cadre de la procédure à laquelle elle était partie à titre privé. La Cour a admis que l’allégation pouvait effectivement avoir porté atteinte à la réputation de la juge ainsi qu’à l’autorité du système judiciaire. Elle a toutefois jugé que si l’ordonnance répondait bien à l’objectif légitime visé, sa portée était beaucoup trop large. L’ordonnance, qui interdisait au journal et à la requérante de publier la moindre information concernant l’accident ou la procédure en justice avant que le tribunal ne se soit prononcé sur l’affaire de diffamation, avait une portée beaucoup trop large et disproportionnée et avait ainsi desservi l’autorité du pouvoir judiciaire en limitant la transparence de la procédure et en mettant en doute l’impartialité du tribunal. La Cour a donc conclu à la violation de l’article 10.

Dans l’affaire Poyraz c. Turquie (no 15966/06, 7 décembre 2010), le requérant, inspecteur en chef au ministère de la Justice, avait été chargé de procéder à une instruction au sujet d’un magistrat visé par des allégations d’inconduite professionnelle. Dans le rapport qu’il avait corédigé, le comportement professionnel du juge – entre-temps élu membre de la Cour de cassation – était sérieusement remis en cause par des témoignages l’accusant notamment de harcèlement sexuel. Le rapport avait filtré dans la presse et de nombreuses émissions télévisées avaient donné la parole au

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requérant, au juge et à des témoins. Visé par des accusations de complot politique à l’encontre du juge, le requérant avait soumis à la presse une déclaration écrite dans laquelle il affirmait que le juge faisait l’objet de quinze instructions et que c’était pour ne pas faire de morts qu’il ne révélait pas le nom de ses victimes de harcèlement. Le magistrat avait alors engagé contre lui une procédure civile pour faute personnelle. Le requérant fut condamné à verser des dommages et intérêts et forma en vain des pourvois en cassation. La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10. L’arrêt apporte quelques précisions concernant le droit à la liberté d’expression de personnes investies de responsabilités publiques. La Cour a en effet considéré que ces personnes doivent faire montre de retenue pour ne pas créer une situation de déséquilibre lorsqu’elles se prononcent publiquement au sujet de citoyens ordinaires qui, eux, ont un accès plus limité aux médias, et qu’elles doivent observer une vigilance accrue lorsqu’elles sont chargées de conduire des enquêtes renfermant des informations couvertes par une clause officielle de secret dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

2. Réactions du pouvoir judiciaire lorsque le gouvernement engage des réformes législatives

a. Les juges ont le droit de s’exprimer de manière proportionnée à propos des réformes ayant une incidence sur le pouvoir judiciaire (liberté d’expression)

Dans l’affaire Previti c. Italie ((déc.), no 45291/06, 8 décembre 2009), la Cour a considéré que les juges, en leur qualité d’experts en matière juridique, peuvent exprimer leurs opinions, y compris leurs critiques, concernant des projets de loi du gouvernement. Pareille prise de position, si elle est exprimée de manière appropriée, ne jette pas le discrédit sur l’autorité du pouvoir judiciaire ni ne compromet son impartialité dans une affaire donnée. Aux yeux de la Cour, « la circonstance que, en application des principes de la démocratie et du pluralisme, certains magistrats ou groupes de magistrats puissent, en leur qualité d’experts en matière juridique, exprimer des réserves ou des critiques à l’égard des projets de loi du gouvernement ne saurait nuire à l’équité des procédures judiciaires auxquelles ces projets pourraient s’appliquer ».

En l’espèce, le requérant était un avocat et une personnalité éminente de la vie politique nationale. En 1995, il fut accusé de corruption dans des actes judiciaires dans le contexte d’une affaire très médiatisée concernant le contrôle d’un grand groupe dans le secteur de la chimie, IMI/SIR. En novembre 1999, il fut renvoyé avec sept coaccusés devant le tribunal pénal. En mai 2006, il fut condamné à six ans d’emprisonnement par la Cour de cassation. La Cour a pris connaissance des déclarations faites par plusieurs magistrats à la presse et des articles parus dans une revue, ainsi que du document de l’Association nationale des magistrats (ANM). Dans leur ensemble, ces textes renfermaient des critiques du climat politique entourant le procès, des réformes législatives proposées par le gouvernement et de la stratégie défensive du requérant. Ils n’affirmaient cependant en rien la culpabilité de ce dernier. Toujours sans se pencher sur la question de savoir si l’intéressé avait ou non commis les faits qu’on lui reprochait, l’ANM avait en outre montré son opposition à la possibilité, pour un accusé, d’avoir accès à la liste des magistrats ayant adhéré à un courant de la magistrature. Aux yeux de la Cour, la circonstance que, en application des principes de la démocratie et du pluralisme, certains magistrats ou groupes de magistrats puissent, en leur qualité d’experts en matière juridique, exprimer des réserves ou des critiques à l’égard des projets de loi du gouvernement ne saurait nuire à l’équité des procédures judiciaires auxquelles ces projets pourraient s’appliquer. Elle a également observé que les juridictions appelées à connaître de la cause du requérant étaient entièrement composées de juges professionnels jouissant d’une expérience et d’une formation leur permettant d’écarter toute influence extérieure au procès et qu’il était loisible à des juges autres que ceux qui siégeaient dans l’affaire de formuler des

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commentaires sur la stratégie défensive, largement relatée et discutée par les médias, d’une personnalité éminente. La Cour a donc estimé qu’elle ne pouvait conclure que les commentaires émis dans le cadre de la procédure IMI/SIR avaient réduit les chances du requérant de bénéficier d’un procès équitable. Les griefs de ce dernier ont été rejetés pour défaut manifeste de fondement.

Dans l’affaire Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, CEDH 2016), le requérant alléguait qu’il avait été mis fin à son mandat de président de la Cour suprême en raison des opinions que, en sa qualité de président de cette juridiction et du Conseil national de la justice, il avait exprimées publiquement. Il avait exprimé des critiques sur des réformes constitutionnelles et législatives touchant les tribunaux, sur des questions relatives au fonctionnement et à la réforme du système judiciaire, à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges ainsi qu’à l’abaissement de l’âge auquel ceux-ci devaient prendre leur retraite, toutes questions dont la Cour a jugé qu’elles relèvent de l’intérêt général. Ses déclarations n’avaient pas dépassé le domaine de la simple critique d’ordre strictement professionnel. Prenant les événements en compte dans leur ensemble avec la manière dont ils s’étaient enchaînés plutôt que séparément comme des incidents distincts, la Cour a estimé qu’il y avait un commencement de preuve de l’existence d’un lien de causalité entre l’exercice par le requérant de sa liberté d’expression et la cessation de son mandat. Elle a conclu qu’il s’agissait d’une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Partant du principe que ladite ingérence était « prévue par la loi », elle a toutefois considéré qu’elle ne poursuivait pas le but légitime invoqué par le Gouvernement. Même si cela aurait suffi pour conclure à une violation de la Convention, la Cour a tout de même examiné si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique. Sur la question de la liberté d’expression des juges, elle a ainsi affirmé que « les questions concernant le fonctionnement de la justice relèvent de l’intérêt général ; or les débats sur les questions d’intérêt général bénéficient généralement d’un niveau élevé de protection au titre de l’article 10. Même si une question suscitant un débat a des implications politiques, ce simple fait n’est pas en lui-même suffisant pour empêcher un juge de prononcer une déclaration sur le sujet. Dans une société démocratique, les questions relatives à la séparation des pouvoirs peuvent concerner des sujets très importants dont le public a un intérêt légitime à être informé et qui relèvent du débat politique ». Selon la Cour, le requérant avait non seulement le droit mais encore le devoir, en tant que président du Conseil national de la justice, de formuler un avis sur des réformes législatives concernant les tribunaux après avoir recueilli et synthétisé les opinions des juridictions inférieures. Il a aussi fait usage du pouvoir qui l’autorisait à saisir la Cour constitutionnelle d’une demande de contrôle de certains textes ainsi que de la possibilité de prendre la parole directement devant le Parlement, et ce par deux fois, conformément au règlement du Parlement. De plus, la cessation prématurée du mandat du requérant a indubitablement eu un « effet dissuasif » en ce qu’elle a dû décourager non seulement le requérant lui-même mais aussi d’autres juges et présidents de juridictions de participer, à l’avenir, au débat public sur des réformes législatives concernant les tribunaux et, de manière plus générale, sur des questions relatives à l’indépendance de la justice. La Cour a donc estimé que, nonobstant la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales, l’ingérence dénoncée n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » et a donc emporté violation du droit à la liberté d’expression reconnu au requérant par l’article 10 de la Convention.

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D Stratégies de communication Avis no 7 du CCJE sur le thème « Justice et société », 25 novembre 2005

Voir en particulier les sections sur les relations des tribunaux avec le public avec une référence particulière au rôle qui leur incombe dans une démocratie (section A), et sur les relations des tribunaux avec les médias (section C), dont les points principaux sont présentés ci-dessous.

1. Les relations des tribunaux avec le public avec une référence particulière au rôle qui leur incombe dans une démocratie

Une information adéquate sur les fonctions et le rôle de la justice, en toute indépendance par rapport aux autres pouvoirs de l’État, peut ainsi contribuer de manière efficace à une meilleure compréhension des tribunaux, en tant qu’ils constituent la pierre angulaire des systèmes constitutionnels démocratiques, ainsi que des limites de leur activité. L’insertion de la justice dans la société suppose que l’institution judiciaire s’ouvre à l’extérieur et apprenne à se faire connaître. Il ne s’agit pas de promouvoir une justice spectacle mais de contribuer à la transparence de la justice. Cet effort d’ouverture des institutions judiciaires passe d’abord par des mesures générales d’information du public sur le fonctionnement des tribunaux.

Le CCJE rappelle à cet égard son Avis n° 6 (2004) concernant l’activité pédagogique des tribunaux et leur nécessaire ouverture aux visites susceptibles d’être offertes aux élèves des écoles et aux étudiants ou à tout autre groupe social manifestant de l’intérêt pour les activités judiciaires. Ce contact direct ne doit pas faire oublier qu’il incombe essentiellement à l’État de dispenser à l’ensemble de la population, à l’école et dans les universités, une formation civique qui comprenne un volet important sur la justice. Les tribunaux eux-mêmes devraient participer à la diffusion d’informations concernant l’accès à la justice (rapports périodiques des tribunaux, guides pour les citoyens, sites Internet, bureaux d’information, etc.) ; le CCJE a déjà formulé ses recommandations sur le développement de programmes éducatifs dans le but de présenter des informations spécifiques (telles que le caractère des procédures ; la durée moyenne de la procédure judiciaire dans les différents tribunaux ; les frais de justice ; les moyens alternatifs de règlement des litiges proposés aux parties ; les décisions les plus marquantes prononcées par les tribunaux).

La publicité des audiences, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), est généralement vue comme le seul contact avec le grand public, ce qui fait des médias les interlocuteurs exclusifs des tribunaux. Cet état de fait connaît actuellement une évolution rapide. On considère aujourd’hui que les devoirs d’impartialité et de discrétion qui incombent aux juges ne font pas obstacle à ce que les tribunaux tiennent un rôle actif dans l’information du public, ce rôle étant une véritable garantie de l’indépendance de la justice. Le CCJE est d’avis que les États membres devraient encourager un tel rôle, en élargissant et en améliorant la portée de ce « rôle éducatif ». Celui-ci ne se limite plus à rendre des décisions puisque les tribunaux souhaitent agir en tant que « communicateurs » et « facilitateurs ». Le CCJE considère que si ces derniers ont jusqu’à présent accepté de prendre part à des programmes éducatifs auxquels ils ont pu être invités, il est désormais nécessaire qu’ils en deviennent aussi des promoteurs.

2. Les relations des tribunaux avec les médias Les médias ont accès, en conformité avec les modalités et des limites établies par la législation nationale, à l’information judiciaire et aux audiences. Il ne s’agit pas d’empêcher les médias d’émettre des appréciations critiques sur l’organisation ou le fonctionnement de la justice. La justice devrait accepter le rôle des médias qui peuvent au demeurant, en tant qu’observateurs extérieurs à

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l’institution, mettre en évidence des dysfonctionnements et contribuer de manière constructive à l’amélioration de la pratique des tribunaux et de la qualité des services offerts aux usagers.

Les juges s’expriment avant tout par la motivation de leurs décisions et ne devraient pas expliquer eux-mêmes celles-ci dans la presse ou, plus généralement, s’exprimer publiquement dans les médias sur les affaires dont ils ont la charge. Il apparaît néanmoins utile d’améliorer les contacts entre les tribunaux et les médias : pour renforcer la compréhension de leurs rôles respectifs ; pour informer le public sur la nature, l’ampleur, les limites et la complexité de l’activité judiciaire ; pour rectifier les erreurs factuelles éventuellement commises dans la relation des affaires judiciaires.

Le développement d’un enseignement sur les institutions judiciaires et le déroulement des procédures devrait également être favorisé dans les écoles de journalisme.

Le CCJE estime souhaitable que chaque profession (juges et journalistes) définisse des guides de bonnes pratiques pour l’organisation de ses rapports avec les représentants de l’autre profession et la relation des affaires judiciaires.

Le CCJE recommande de mettre en place des mécanismes efficaces, qui pourraient prendre la forme d’un organe indépendant. Ces mécanismes auraient pour objet, en cas de difficultés suscitées par la relation dans les médias d’une affaire judiciaire ou de difficultés rencontrées par les journalistes dans l’accomplissement de leur mission d’information, de proposer des recommandations à portée générale susceptibles de prévenir le renouvellement des problèmes constatés.

Il faut aussi encourager le développement de services d’accueil et de communication dans les juridictions, non seulement, comme cela a déjà été indiqué, pour recevoir le public et guider les usagers des services judiciaires, mais aussi pour contribuer à la meilleure compréhension par les médias de l’activité juridictionnelle. Ce service, que les juges devraient superviser, pourrait ainsi avoir pour vocation : de communiquer des résumés des décisions aux médias ; de fournir des informations factuelles sur les décisions judiciaires aux médias ; d’être en contact avec les médias par rapport aux audiences qui suscitent une attention particulière du public ; d’apporter des précisions ou des rectifications factuelles sur des affaires ayant donné lieu à une relation dans les médias (par l’intermédiaire d’un porte-parole).

Le principe de la publicité de la justice suppose que les citoyens et professionnels des médias puissent avoir accès aux enceintes judiciaires où se déroulent les procès, mais le développement des moyens audiovisuels d’information confère aux événements relatés une amplification telle qu’elle transforme radicalement la notion de publicité de la justice. Si elle peut produire un effet bénéfique auprès du public quant à la connaissance du déroulement des procédures judiciaires et à l’image de la justice, on peut craindre en revanche que la présence de caméras de télévision dans les salles d’audience perturbe le bon déroulement des débats et modifie le comportement des acteurs du procès (juges, procureurs, avocats, parties à la procédure, témoins...).

Si les médias jouent un rôle essentiel dans la réalisation du droit du public à l’information et constituent, selon la terminologie de la Cour européenne des droits de l’homme, le « chien de garde de la démocratie », ils peuvent parfois porter atteinte à la vie privée, à la réputation ou à la présomption d’innocence dont les individus peuvent légitimement demander aux tribunaux d’assurer la réparation. La recherche du sensationnel et la concurrence commerciale existant entre les médias exposent au risque d’abus et d’erreurs. Dans le domaine pénal, les accusés sont parfois présentés publiquement par les médias avant tout jugement comme coupables d’infractions avant que la juridiction compétente ne se soit prononcée sur leur culpabilité. Même si la responsabilité de cette personne est ultérieurement écartée par la juridiction de jugement, cette personne n’en aura pas moins souffert du préjudice irrémédiablement causé par la publication déjà effectuée par les médias, qui ne sera pas effacé par le jugement.

Il faut donc que les tribunaux accomplissent leur devoir, en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, d’assurer un équilibre entre les valeurs qui se confrontent :

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protection de la dignité humaine, de la vie privée, de la réputation et de la présomption d’innocence d’une part, et de la liberté d’information d’autre part.

Lorsqu’un juge ou un tribunal est contesté ou attaqué par les médias (ou par des acteurs politiques ou autres de la société, par l’intermédiaire des médias) pour des raisons ayant trait à l’administration de la justice, le CCJE considère que le devoir de réserve des juges impliqués devrait leur interdire de réagir en utilisant les mêmes canaux. Le CCJE, gardant en mémoire le fait que les tribunaux devraient pouvoir rectifier les informations erronées diffusées par la presse, estime qu’il serait souhaitable que les pouvoirs judiciaires nationaux s’adjoignent les services de personnes ou d’un organe (par exemple le Conseil supérieur de la magistrature ou les associations de juges) qui soi(en)t prêt(s) à réagir de manière rapide et efficace à de telles contestations ou attaques, si nécessaire.

3. Comment la Cour européenne des droits de l’homme communique-t-elle au sujet de la Convention et de sa jurisprudence ?

a. Le site Internet et les médias sociaux L’élément central de la politique de la Cour en matière de communication est son site Internet (www.echr.coe.int), dont l’architecture permet l’accès aux documents de la Cour en 40 langues. Ce site offre une large gamme d’informations sur tous les aspects des travaux de la Cour, notamment les dernières nouvelles sur ses activités et les affaires qu’elle traite ; des renseignements sur sa composition, son organisation et sa procédure ; les documents qu’elle publie et les documents essentiels relatifs à la Convention ; des statistiques et d’autres rapports ; ainsi que des informations à l’attention des requérants potentiels et des visiteurs.

Les nouvelles sur la Cour peuvent également être consultées sur Twitter. On trouve en outre sur un compte Twitter à part les dernières publications dans plusieurs langues, les traductions ajoutées à la base de données de jurisprudence HUDOC et les autres nouveautés dans le domaine de la jurisprudence et des publications.

Grâce à une contribution volontaire de l’Irlande, toutes les audiences de la Cour sont intégralement filmées et retransmises sur le site Internet de la Cour, où elles sont disponibles en permanence.

b. Communication avec la presse Le service de presse de la Cour se compose d’attachés de presse qui sont à la disposition des journalistes pour répondre à des besoins spécifiques ainsi qu’à leurs questions dans différentes langues. Les communiqués de presse comportent notamment des résumés des arrêts ou des décisions rendus par la Cour, des informations sur les affaires pendantes ainsi que sur les activités de la Cour en général. Ils sont disponibles en français et en anglais et figurent sur Hudoc. Sont traduits dans des langues non officielles les communiqués de presse pour les affaires les plus médiatisées. Pour recevoir systématiquement les communiqués de presse de la Cour, il suffit de la suivre sur Twitter, de s’inscrire aux fils RSS ou de s’inscrire à sa liste de diffusion.

Chaque année en janvier se tient la conférence de presse de la Cour. À cette occasion, le Président présente les statistiques de l’année écoulée ainsi que les événements les plus marquants survenus au cours de cette période. Il répond également aux questions des journalistes. Le Président et d’autres membres de la Cour accordent parfois des interviews à la presse.

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c. Hudoc, la base de données sur la jurisprudence La base de données HUDOC contient les arrêts et décisions adoptés par la Grande Chambre, les chambres ou les comités, les affaires communiquées, les avis consultatifs, les résumés juridiques et les communiqués de presse de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions et rapports de l’ancienne Commission européenne des Droits de l’Homme et les résolutions du Comité des Ministres. L’interface HUDOC existe actuellement en français, en anglais, en russe, en espagnol et en turc. Il est prévu de développer des versions en bulgare, en géorgien et en ukrainien. Le programme de traduction a été un catalyseur important pour la création d’un réseau de partenaires assurant la traduction d’affaires et de publications dans ces langues.

d. Autres publications et outils d’information Le greffe de la Cour publie un certains nombres d’outils pour aider à comprendre la jurisprudence de la Cour et les textes officiels. La note d'information sur la jurisprudence, publiée tous les mois, contient un résumé des affaires les plus intéressantes. Les notes d’information sont actuellement intégralement traduites en italien, en russe et en turc. En outre, sont traduits dans d’autres langues les résumés des affaires particulièrement importantes. Le guide pratique sur la recevabilité détaille les règles et la jurisprudence applicables à la recevabilité, les guides sur la jurisprudence sont consacrés à plusieurs articles de la Convention, et les rapports de recherche sur la jurisprudence portent sur des thèmes transversaux. L’aperçu établi par le jurisconsulte apporte un éclairage précieux sur les arrêts et décisions les plus importants rendus par la Cour chaque année. Il souligne les aspects saillants des conclusions de la Cour et l’intérêt de ces conclusions pour l’évolution de la jurisprudence relative à la Convention. Il est publié deux fois par an et la version annuelle peut en être consultée dans chaque rapport annuel (« Aperçu de la jurisprudence »). Les manuels de droit européen sont publiés conjointement par la Cour, l’Agence des droits fondamentaux (FRA) de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Il existe également une publication conjointe de la CEDH et de la Cour inter-américaine des droits de l'homme.

Préparées par le service de presse, les fiches thématiques portent sur la jurisprudence de la Cour ainsi que sur les affaires pendantes concernant toute une série de questions transversales. Soixante fiches thématiques sont à l’heure actuelle disponibles, en français et en anglais, dont beaucoup ont été traduites en allemand, en espagnol, en grec, en italien, en polonais, en roumain, en russe et en turc avec l’aide notamment des États concernés et d’institutions nationales de défense des droits de l´homme. Ces fiches offrent au lecteur un aperçu rapide des affaires les plus pertinentes sur un sujet donné et elles sont régulièrement mises à jour pour refléter l’évolution de la jurisprudence. Le service de presse a également élaboré des fiches par pays couvrant chacun des 47 États membres du Conseil de l’Europe. Régulièrement mises à jour, ces fiches fournissent pour chaque État des informations générales et des statistiques ainsi que des résumés des affaires les plus importantes.

Un film de présentation de la Cour européenne des droits de l’homme a été conçu, réalisé et produit par l’Unité des relations publiques. Destinée à un large public, cette vidéo explique le fonctionnement de la Cour, rappelle les enjeux auxquels elle doit faire face et démontre l’étendue de son domaine d’activité à travers des exemples d’affaires. La Cour a également publié des vidéos de formation offrant une vue d’ensemble de sa jurisprudence. Les vidéos COURTalks-disCOURs visent à présenter aux juges, avocats et autres professionnels du droit ainsi qu’aux représentants de la société civile une vue d'ensemble de différents sujets tels que les conditions de recevabilité, l’asile ou le terrorisme. Elles sont disponibles dans plusieurs des langues non officielles du Conseil de l’Europe.

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e. Visiteurs Des visites d’information destinées aux professionnels et aux étudiants en droit sont régulièrement organisées. Les visiteurs peuvent également assister aux audiences publiques. En 2016, l’Unité des visites a accueilli 17 872 visiteurs.

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Annexe L’autorité du pouvoir judiciaire

Liste d’affaires

Albayrak c. Turquie, no 38406/97, 31 janvier 2008

Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016

Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 176, CEDH 2004-V

Buscemi c. Italie, no 29569/95, § 67, CEDH 1999-VI

De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I

Denisov c. Ukraine [GC], affaire no 76639/11

Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, 9 juillet 2013

Erményi c. Hongrie, no 22254/14, 22 novembre 2016

Gerovska Popčevska c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 48783/07, 7 janvier 2016

Gurov c. Moldova, no 36455/02, §§ 34-38, 11 juillet 2006

Guja c. Moldova [GC], no 14277/04, CEDH 2008

Harabin c. Slovaquie, no 58688/11, §§ 150-153, 20 novembre 2012

Ivanovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 29908/11, 21 janvier 2016

Jakšovski et Trifunovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 56381/09 et 58738/09, 7 janvier 2016

Kinský c. République tchèque, no 42856/06, 9 février 2012

Kudeshkina c. Russie, no 29492/05, 26 février 2009

Kulykov et autres c. Ukraine, nos 5114/09 et 17 autres, 19 janvier 2017

Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 118 et 119, 28 novembre 2002

Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, CEDH 2004-I

Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 49, CEDH 2013

Mitrinovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 6899/12, 30 avril 2015

Morice c. France [GC], no 29369/10, CEDH 2015

Obukhova c. Russie, no 34736/03, 8 janvier 2009

Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, CEDH 2013

Olujić c. Croatie, no 22330/05, 5 février 2009

Özpınar c. Turquie, no. 20999/04, 19 octobre 2010

Paluda c. Slovaquie, no 33392/12, 23 mai 2017

Peruzzi c. Italie, no 39294/09, 30 juin 2015

Pitkevich c. Russie (déc.), no 47936/99, 8 février 2001

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Document de travail pour le séminaire judiciaire 2018 : l’autorité du pouvoir judiciaire Annexe

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Poposki et Duma c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 69916/10 et 36531/11, 7 janvier 2016

Poyraz c. Turquie, no 15966/06, 7 décembre 2010

Previti c. Italie (déc), no 45291/06, 8 décembre 2009

Radobuljac c. Croatie, no 51000/11, 28 juin 2016

Sergey Zubarev c. Russie, no 5682/06, 5 février 2015

Simić c. Bosnie-Herzégovine, no 75255/10, 15 novembre 2016

Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, CEDH 2002 ‑VII

Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV

Toni Kostadinov c. Bulgarie, no 37124/10, 27 janvier 2015

Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, CEDH 2007-II

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Wingerter c. Germany (déc.), no 43718/98, 21 mars 2002