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MEMOIRE Semestriel d’analyse des crises humanitaires - N° 1 - Septembre 2010 0017092010 Haïti Aide internationale : Dr. Jekyll ou M. Hyde ? Bienfaits et conséquences des Organisations internationales, Etats, ONG et médias après le séisme du 12 janvier 2010

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MEMOIRESemestriel d’analyse des crises humanitaires - N° 1 - Septembre 2010

0017092010

HaïtiAide internationale :

Dr. Jekyll ou M. Hyde ?Bienfaits et conséquences des Organisations internationales, Etats, ONG

et médias après le séisme du 12 janvier 2010

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S O M M A I R E4. EDITO

« La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais se dont on se souvient et comment on s’en souvient »

62. Sources

MEMOIRE se veut transparent. Afin que vous puissiez juger par vous-même de l’origine de nos sources et de leur contexte,nous vous les transmettons, dans la mesure où elles ne compromettent pas l’intégrité physique, sociale, professionnelle, identitaire ou vitale de nos collaborateurs.

5. Qu’est-ce qu’une organisation non gouvernementale ?

5. Les concepts d’Humanitaire et d’action humanitaire

6. L’évolution de la notion d’aide humanitaire

7. Les acteurs du processus de l’aide humanitaire 

8. Humanitaire, média et information

12. Le Collectif Haïti de france : 22 ans au service de la démocratie en Haïti

17. Haïti en chiffres

18. La culture haïtienne : d’importante, elle est devenue capitale et salvatrice

20. Haïti : ressources et enjeux pour les puissances occidentales

24. Haïti ou la chronique d’un désastre annoncé

28. Rencontres au sommet : des conférences pour parer l’urgence et organiser la reconstruction

33. Haïti : jeu d’acteurs et autres curiosités

49. Les conséquences du séisme sur le secteur médiatique haïtien

52. Média internationaux : information, humanitaire et dérives

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1

NOTIONS ET CONCEPTS CLES

OUVERT À DOUBLE TOUR...

HAÏTI

ANALYSE DE LA CRISE HUMANITAIRE EN HAÏTI

L’OBSERVATOIRE DES MÉDIA

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EDITORIAL

« La vie n’est pas ce que L’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient »

[Gabriel Garcia Marquez, ViVre pour le raconter]

idée de MEMOIRE est née en 2010, à la suite d’un désastre sans précédent - le tremblement de terre en Haïti du 12 janvier - et d’un constat non

moins alarmant : la mise au rebut par les médias, ou presque, des entreprises menées par des hommes et des femmes,

des associations, des institutions, des populations entières, une fois l’événement traité dans ce qu’il a d’actuel, de sanglant, d’alarmant, d’excitant parfois, bref, de vendeur. Les causes ? Qu’importe, puisque c’est déjà arrivé ! Les conséquences ? Oui, c’est important, la misère, la faim, la maladie, l’héroïsme occidental, ça fonctionne bien ! Certes, mais les conséquences, les autres, les réflexions, l’union, l’aide, l’entraide, les actions pour s’en sortir ? Et les combats ? Ceux pour exister, ceux qui ont lieu dans les hautes sphères, à coups de pelles à tartes pleines de millions de promesses et de dollars pour obtenir la plus grosse part du gâteau ? Ah oui...mais non, personne ne veut le savoir. Il faut vendre du rêve, et surtout celui qu’il y a plus pauvre et démuni ailleurs, pour se sentir soi-même heureux et utile ! Soit.

Et l’information pour l’information ? Balivernes ! Cela ne changera rien. C’est sûr, ne pas partir est le plus sûr moyen de ne pas arriver ! L’arrivée mon pauvre ami, mais elle est innaccessible ! Aujourd’hui peut être, mais demain ? Silence...

MEMOIRE revêt donc un triple sens : la mémoire d’hier, l’Histoire, pour comprendre les crises ou événements actuels, celle de l’instant, comme constat, et celle de demain, de la continuité, de l’action.

Alfred Sauvy1 disait : « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, il deviennent des sujets. » Nous pensons donc que l’information, malgré ce qu’en disent ses détracteurs, a toute son importance si elle est suivie sur le long terme, car elle permet à chacun d’identifier un problème, de le faire sien, d’y adhérer ou de le refuser, donc d’agir pleinement selon ses codes, et non selon ceux que l’on souhaiterait lui imposer. Et n’est-ce pas cela que d’être citoyen ? N’est-ce pas là la première des actions ?

Haïti a essuyé un revers inqualifiable de la nature, conséquence d’un revers non moins inqualifiable d’hommes durant des décennies. Mais Haïti a connu par son histoire bien des combats, perdus pour certains, mais remportés pour d’autres, et non des moindres. Sur l’emblème national on peut lire : « L’union fait la force ». Celui des Haïtiens, gouvernants comme citoyens, mais également celui la communauté humaine toute entière, du Nord comme du Sud, des plus riches aux plus démunis. Dans cet élan, chacun y va de son aide, l’action est partout, de toutes sortes, mais chacun se jauge, se teste, craignant que le voisin tire un peu trop la couverture à lui. On observe et on surveille donc, afin de pouvoir, un jour, rendre des comptes et faire un bilan que l’on souhaite aussi positif que le séisme n’a été catastrophique. Mais qui surveille les surveillants ? Nous, peut être, à notre humble niveau, en vous informant différement, et vous, surtout, car la connaissance est à la base du gouvernement d’un peuple par lui-même.

Quentin Léal

1 Démographe, sociologue et économiste français (1898-1990)

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Directeurs de publication : Vincent CHARBONNIER, Dana POPESCU

Directeur de rédaction : Paul VERMANDE

Rédacteur en chef : Quentin LEAL

Assistants de rédaction : Michèle BABINET, Reynold HENRYS, Maguy VERMANDE

Dépôt légal : septembre 2010, Université Lumière Lyon 2, Quentin LEAL

MEMOIRE

L’

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NOTIONS ET CONCEPTS CLES

L’appropriation des termes d’ONG, d’humanitaire, de crise humanitaire, par les médias et la population est aujourd’hui flagrante et générale. Cependant, ils recouvrent des significations et une histoire particulières, impossibles à occulter si l’on veut comprendre et analyser les rapports entre l’action humanitaire, les médias, le public et les personnes qui la composent.

Qu’est-ce qu’une organisation non gouvernementale

Le terme d’organisat ion non gouvernementale (ONG), apparaît pour la première fois dans la charte des Nations Unies en 1945. Il s’y trouve en effet mentionné à l’article 71 qui, à propos du rôle du Conseil Economique et Social, détermine un cadre juridique des relations entre le système de l’ONU et le mouvement associatif. Le Conseil Economique et Social reconnaîtra ensuite comme ONG toute organisation dont la création ne résulte pas d’accords intergouvernementaux. Ce terme s’impose donc peu à peu, au détriment de celui d’Organisation Internationale qui était utilisé dans les années 30. Pour définir ce qu’est une ONG, les juristes internationalistes, en France, s’appuient sur les travaux de Marcel Merle, qui la décrit comme « tout groupement, association ou mouvement constitué de façon durable par des particuliers appartenant à différents pays en vue de la poursuite d’objectifs non lucratifs1 ». Philippe Ryfman 1. Marcel Merle cité par Ph. Ryfman, La Question

développe le principe d’ONG à travers cinq caractéristiques essentielles :

- la notion d’association, c’est-à-dire le regroupement de personnes privées pour défendre un idéal ou une conviction et assurer la réalisation d’un dessein commun non lucratif comportant un certain caractère de permanence ;

- le rapport à la puissance publique au niveau national aussi bien qu’international et la volonté d’inscrire son action dans une volonté citoyenne, hors du pouvoir des Etats et des organisations interétatiques, et de viser ainsi la constitution d’un nouvel espace autonome de la sphère de compétence de ces derniers, ce qui n’exclut nullement de créer des liens avec eux ;

- la référence à des valeurs, que celles-ci soient qualifiées d’humanitaires et/ou de solidarité, lesquelles impliquent humanitaire, ed. Ellipses, 1999, p. 23.

un engagement librement consenti, non seulement de ne pas desservir l’Autre mais encore de lui porter assistance chaque fois que c’est possible et dans la mesure de ses moyens, sans différenciation d’origine, d’opinion, de race, mais aussi avec l’obligation de ne pas nuire ; - l’articulation de plus en plus affirmée entre ONG, démocratie, droits de l’Homme, participation et société civile dont elles se considèrent à la fois comme une émanation et un élément clé ;

- le caractère universaliste, ou, à tout le moins, l’aspiration à une Humanité unique, transcendant les frontières nationales et les distinctions entre les hommes vivant sur une seule et même planète.

les concepts d’humanitaire et d’action humanitaire

La tâche qui vise à donner une définition à l’humanitaire est extrêmement difficile et ne demeure pas sans danger quant à la définition même du concept « d’action humanitaire ». Afin de tenter de s’approcher d’une définition la plus précise possible, il est nécessaire d’étudier différentes approches.

Le dictionnaire Historique Le Robert de la langue française fait remonter le terme « humanitaire » à 1835, dans le sens de ce «qui vise au bien de l’humanité2 ». Dans la seconde moitié du siècle, le Grand Dictionnaire Universel Larousse du XIXè siècle

2. Ph. Ryfman, ibid., p. 15.

donne comme acceptation : « qui intéresse l’humanité3 ». L’Oxford English Dictionnary (1930), quant à lui, donne un sens voisin du français en évoquant tant « la prise en considération des intérêts de l’humanité ou du genre humain en général4 », que ce qui est relatif à l’humanité ou à la pratique d’une action de compassion : la philantropie.

Aujourd’hui, l’usage nominal progresse de plus en plus puisque Le Petit Larousse lui donne comme signification «l’ensemble des

3. Ph. Ryfman, ibid., p. 15. 4. Ph. Ryfman, ibid., p. 15

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organisations humanitaires et des actions qu’elles mènent5 ». Les dictionnaires témoignent ainsi de l’évolution et de la notoriété sociale de ce mot qui tend encore à se renforcer en implicant le terme d’action.

Ce concept d’action humanitaire lui non plus, ne fait pas l’hunanimité, et plusieurs approches tendent à le caractériser. D’un point de vue juridique, « l’humanitaire », en terme d’action, émane de la Cour Internationale de Justice de La Haye (CIJ). Dans un arrêt du 27 juin 1986, la CIJ désigne comme humanitaire «une aide alimentaire, en médicaments, en vêtements, par opposition à la fourniture d’armes, de munitions, de véhicules ou de matériels suceptibles de causer des dommages ou la mort ».

D’un point de vue civil, Jacques Lebas, ex-président de Médecins du Monde la considère comme « le geste même de secourir, d’aller vers l’autre, de l’aider6 », auquel on pourrait ajouter ne définition de Philippe Ryfman, plus représentative des réalités concrètes : « l’action humanitaire est une assistance fournie par un seul ou une conjonction d’acteurs, s’insérant à des niveaux variés dans un dispositif international de l’aide régie par un certain nombre de principes, et mise en oeuvre (au nom de valeurs considérées comme

5. Ph. Ryfman, ibid., p. 15 6. J. Lebas, F. Veber, G. Brucker, Médecine hu-manitaire, Flammarion, 1994, p. 11.

universelles), au profit de populations dont les conditions d’existence du fait de la nature (catastrophes), ou de l’action d’autres hommes (conflits armés internes ou internationaux), sont bouleversées, et l’intégrité physiqque atteinte, voire la survie même compromise ».

Il souligne également combien il faut prendre conscience que le terme « humanitaire » recouvre l’interaction de plusieurs notions, sans hiérarchie particulière :

- le mouvement, c’est-à dire se déplacer d’un lieu où prévaut une « normalité » des conditions de vie à un autre , où une crise, naturelle ou engendrée par l’homme, s’est produite ; - l’acteur, aussi bien en tant qu’organisation, Etat ou agence quelconque, que comme individu les représentant qui va à la fois agir en réponse à la crise et se projetter dans l’espace de l’intervention sur le terrain ;

- l’opérateur : il est toujours un acteur mais au surplus, physiquement présent sur le terrain ;

- le temps, c’est-à dire la nécessité d’être présent et d’agir soit dans une contraction temporelle qualifiée par le mot « urgence », soit sur une durée plus ou moins longue, soit successivement sur les deux plans ;

- l’espace humanitaire, qui concerne le champ dans lequel va se déployer l’aide,

c’est-à dire la réaction de l’opinion et son potentiel soutien, ou son indifférence ainsi que l’attitude des gouvernements ici ; la réception par la population et les autorités locales là-bas ; la géopolitique globale dans laquelle elle va s’inscrire ; les contraintes qu’elle va rencontrer ; le degré de protection dont elle va ou non bénéficier ; - le bénéficiaire : la population vulnérable, en danger ou victime pour laquelle on agit ;

- l’assistance et la nature de l’aide : le dispositif, la logistique et les missions assignées ;

- la référence à des valeurs et idéaux de l’ordre de l’impératif moral et considérés comme de portée universelle ;

- le respect de principes déontologiques et de règles éthiques.

Enfin,l’approche intergouvernementale du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), agence des Nations Unies, définit l’action humanitaire comme « un vaste concept qui couvre un éventail d’activités mises en oeuvre par des institutions aussi nombreuses que diverses ». Le HCR y inclut aussi le déminage, le respect du droit international humanitaire, le lobbying sur des gouvernements, et même des interventions militaires pour préserver la sécurité d’une population déplacée ou touchée par la guerre.

L’évolution de la notion d’aide humanitaire

Actuellement, l’action humanitaire est essentiellement perçue comme une pratique et une assistance matérielle, mais elle est d’abord une idée dont on peut retracer le cheminement sur les plans religieux depuis plus de deux millénaires, et philosophique, à partir de la Renaissance.

Ainsi, dans le judaïsme, pratiquer la charité ou « tsedaka » à l’égard de l’étranger, de l’orphelin ou du pauvre est une obligation d’ordre moral et légal. Le christianisme va s’alimenter à la source juive pour édifier, à partir du concept de charité, une tradition d’action caritative intense. Comme les autres monothéismes, l’islam recommande

de l’assistance aux démunis. Celle-ci s’exprime par l’obligation pour le musulman de pratiquer l’aumône, « zakat ».

Dans la réflexion sur les sociétés et les rapports entre les être humains à l’intérieur de celles-ci, les Lumières vont s’attacher à redéfinir l’amour des hommes en dehors de toute sphère religieuse. Le terme « charité », considéré comme ayant une connotation trop chrétienne, est progressivement remplacé par les mots « bienfaisance », « philantropie », « humanité ». Dans l’Europe des guerres napoléonniennes, l’événement fondateur, à l’international, est la guerre d’indépendance grecque (1821-1829) : fonds et Henri Dunant

(1828-1910)

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vêtements sont collectés en faveur des insurgés grecs. Parallèlement, naît en Grande Bretagne, en 1823, la « British and Foreign Anti-Slavery Society » qui, en dix ans, parviendra à obtenir du Parlement l’abolition générale de l’esclavage.

Il est aujourd’hui possible de considérer, rétrospectivement, que l’humanitaire moderne a connu une première période qui s’étend de la bataille de Solférino (1859) au début de la guerre du Biafra (1967) qui marque, dans le contexte de la décolonisation, le commencement du deuxième siècle de l’humanitaire moderne.

La création de la Croix Rouge par Henry Dunant, en 1863 est l’acte fondateur de cet humanitaire moderne hérité de la charité chrétienne et des Lumières. Bouleversé par le spectacle des agonisants et des blessés laissés sans soins sur le champ de bataille de Solférino, le 24 juin 1859, Henry Dunant improvise un service sommaire de secours pour soigner indistinctement les victimes des deux camps. Cette idée novatrice constitue la première base de l’humanitaire que nous connaissons aujourd’hui. La seconde innovation majeure consistera à la mise en avant de la neutralité du sauveteur. La recherche du soutien de l’opinion publique pour faire pression sur les gouvernements sera la troisième idée novatrice développée par Dunant.

Suite à la création du Comité International de Secours aux blessés, embryon du Comité International de la Croix Rouge, Henry

Dunant passe à l’étape suivante : créer des normes juridiques internationalement reconnues et respectées, permettant aux sociétés de secours de mener leurs actions d’assistance. C’est la première convention de Genève. Deux autres suivront, pour aboutir à ce que l’on appelle aujourd’hui le droit international humanitaire.

REPERES 1859 : bataille de Solférino, point de départ de l’action

d’Henri Dunant et de l’humanitaire moderne.

1863 : création du Comité International de Secours aux blessés.

1864 : première convention de Genève, ratifiée par 12 pays.

1906 : deuxième convention de Genève

1919 : traité de Versailles, création de la Société des Nations (SDN).

1929 : troisième convention de Genève.

1945 : fin de la SDN, création de l’Organisation des Nations Unies

(ONU)

1949 : quatrième convention de Genève.

Les acteurs du processus de l’aide humanitaire 

Quatre acteurs principaux interviennent dans le processus de l’aide humanitaire : le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, les Etats, les Organisations Internationales et les ONG. Leurs rôles sont différents et évoluent en fonction du contexte international.

Lorsque l’on évoque La Croix-Rouge Internationale, il faut savoir que

l’on parle d’une institution privée, non étatique, présente à l’échelle mondiale, mais composée de particuliers. Il s’agit d’une structure unique à trois composantes : La Croix-Rouge, Le Croissant-Rouge et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), regroupées dans le « Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ». Le CICR bénéficie d’une reconnaissance internationale puisqu’il est à l’origine et garant du droit international humanitaire.

L’Organisation des Nations Unieswww.un.org/fr/

1945 : création

Rôle : l’organisation a pour finalité la paix internationale. Ses objectifs sont de faciliter la coopération dans les domaines du droit international,

de la sécurité internationale, du développement économique, du progrès social et des Droits de l’homme.

Nombre d’Etats membres : 192

Nombre d’Etats au Conseil de sécurité : 15 dont 5 permanents (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie)

Secrétaire général : Ban Ki Moon

Composition :

L’Assemblée générale où tous les États membres sont représentés, chacun ayant des responsabilités différentes ;

Le Conseil de sécurité qui décide de certaines résolutions en faveur de la paix et la sécurité

Le Conseil économique et social qui aide à la promotion de la coopération économique et sociale et au développement ;

Le Secrétariat qui assure la gestion au jour le jour de l’ONU ;

La Cour internationale de justice qui est le principal organe judiciaire.

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Selon Charles Zorgbibe, cela lui confère un rôle à part de celui des autres acteurs en le chargeant « d’une véritable mission de service public international1 ».

Dans l’absolu, les Etats sont tous égaux, chacun exerçant sa souveraineté sur un territoire, l’idéal étant qu’ils fassent valoir leurs intérêts sans se détruire mutuellement et sans contrevenir au système international dont tous font partie. Ils coopèrent entre eux à de nombreux niveaux, s’échangeant des services, s’épaulant et pouvant se prêter réciproquement assistance. Cette assistance humanitaire est dotée, à la fois, d’une dynamique propre puisqu’elle peut être un des vecteurs de la politique étrangère d’un Etat, ou encore un des éléments d’une intervention internationale. Cette intervention peut être unilatérale ou menée au nom de la communauté internationale. Mais avec la croissance de la mondialisation, les Etats se trouvent obligés de reculer et de donner la place à d’autres acteurs que sont les organisations internationales et non gouvernementales.1. C. Zorgbibe, cité par Ph. Ryfman, ibid, p. 21

Les Organisations Internationales (OI) conservent pour trait commun d’être « fondées et constituées par des Etats et animées par les représentants des gouvernements qui sont qualifiés pour agir au nom des Etats ». Selon Charles Zorgbibe, trois traits les caractérisent : - la volonté politique de coopération inscrite dans la charte constitutive ;

- l’appareil permanent et la structure qui permettent une continuité dans le fonctionnement de l’organisation ;

- les compétences et le processus de décision qui expriment leur autonomie comme acteur du système international.

Ces OI ont été établie par des accords ou traités internationaux comme la Charte des Nations-Unies ou les traités successifs constitutifs de l’Union Européenne.

Les ONG, quant à elles, sont la manifestation du phénomène associatif dans la vie internationale, ce qui entraîne une difficulté

de définition. Plus ou moins connues du grand public, ces associations atteignent, vers la fin des années 1970, une début de reconnaissance grâce au mouvement du « sans frontiérisme », terme calqué sur le nom de Médecins Sans Frontières, fondé en 1971.

Rony Brauman signale que, à cette période, l’accélération de la mondialisation des échanges, créant des interdépendances et ingnorant nations et frontières, a permis à des individus et des groupements privés d’accroître leur rôle, alors que celui des souverainetés nationales s’affaiblissait. Depuis cette période, on constate une montée en puissance des ONG. Un sondage2 effectué en 1999 les place même en seconde position derrière l’ONU et devant l’Union Européenne et le gouvernement, parmi « les trois principales institutions qui devraient être le plus directement responsables de l’aide et du développement des pays les plus pauvres ».

2. Sondage réalisé par l’Institut français de sondage Lavialle (ISL) sur 1 000 personnes de 15 ans et plus résidentes en France métropolitaine.

Humanitaire, média et information 

On constate que, jusqu’à la guerre du Biafra, l’Humanitaire est un phénomène européen. A l’époque de cette guerre, « théâtre de la première grande opération humanitaire privée en Afrique1 », Rony Brauman signale une double mutation : l’humanitaire s’installe dans le tiers-monde, s’inscrit dans une perspective Nord-Sud lorsque l’information passe elle aussi de l’écrit à l’image, du temps différé à l’instantané. Ce conflit, selon Jean-Christophe Rufin, est « le nouveau Solferino », et les organisations de solidarité internationale décident de rompre avec la tradition solidement ancrée de la neutralité et du silence. A partir de ce moment, apparaît la réthorique victimaire de la part des ONG, comme substitut à l’explication politique du conflit par les médias.

Mais la montée en puissance des médias et des ONG, qui développent un vrai rôle médiatique et de communication, peuvent être considérés comme les meilleurs ennemis tant ils ont besoin l’un de l’autre malgré certaines dérives.

Des années 70 à aujourd’hui, on assiste à un recul de la présence des médias sur les terrains de conflits, pour plusieurs raisons telles que la protection du personnel civil, ou la défense d’intérêts nationaux ou d’actions peu reluisantes. Deux exemples sont flagrants : le pouvoir de la presse lors de la guerre du Vietnam, qui a amené la société américaine à se mobiliser en masse contre 1. R. Brauman, R. Backmann, Les médias et l’humanitaire, éthique de l’information ou charité-spectacle, ed CFPJ, p. 16.

son gouvernement, et la première guerre du golfe, au début des années 90. Lors de cette campagne américaine, aucun journaliste n’était autorisé à suivre le conflit au sein de l’armée, les informations émanant uniquement de l’Etat Major. Dès lors, on comprend mieux l’intérêt de l’humanitaire pour les médias.

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L’intérêt de l’humanitaire pour les médias

Les organisations humanitaires agissent dans des pays en guerre ou nécessitant une intervention et connaissent en général bien le terrain : le ou les gouvernements locaux, leur politique, les besoins de la population, les problèmes inhérents à la vie ou au déplacement dans le pays, etc. Elles ont effectué, la plupart du temps, une analyse préliminaire à leur intervention sur place et sont à même de répondre rapidement, précisément et spécifiquement aux nombreuses questions des journalistes. Cependant leurs connaissances ne sont pas exhaustives. Les ONG assurent de plus une certaine « veille humanitaire » qui peut être utile aux médias, en cas de crise comme en période normale pour réaliser des points d’information sur la situation de tel ou tel pays.

Par ailleurs, dans les situations d’urgence, les humanitaires sont les premiers à être sur le lieu de la catastrophe et servent aux médias de premiers témoins capables de faire un état des lieux de la situation, alors même que les journalistes ne sont pas encore sur place. René Backmann remarque ainsi que « les médias [..] jugent absurde de se priver d’une véritable armée de correspondants et d’experts bénévoles, et de renoncer à des reportages lointains réalisés à moindres frais2 ». Il parle à ce sujet de « tentation de la facilité ». Car les ONG ont accumulé, au fil du temps, des compétences et une expérience dont les médias auraient tort de se priver.

Lors des interventions d’urgence, en cas de guerre par exemple, les ONG obtiennent des autorisations d’entrée dans le pays, de déplacement et d’action qui peuvent se révéler utiles aux journalistes 2. R. Brauman, R. Backmann, ibid., p. 92.

voulant se rendre dans un pays complètement coupé du reste du monde. Ce point est à mettre en relation directe avec le point suivant, à savoir l’accès à la logistique des ONG.

En place dans un pays connaissant une crise humanitaire, les ONG mettent généralement en œuvre un réseau de transports (avions, voitures, convois protégés), un réseau de communication (téléphone, fax) et une logistique sur place (habitat). Cela constitue un sérieux avantage pour toute personne désirant se rendre dans le pays concerné par l’intervention humanitaire. Comment se rendre à Gorazde alors que l’enclave bosniaque est coupée du monde, si ce n’est par un convoi humanitaire ? Et comment atteindre les montagnes du Kurdistan turc ou les hauts plateaux éthiopiens ?La nécessité de couvrir « l’évènement humanitaire » dans un

bref délai de temps, implique donc une notion de rentabilité du déplacement, qui se traduit par une efficacité dans la recherche d’interlocuteurs susceptible de répondre au mieux aux attentes des journalistes. La présence préalable des humanitaires sur le terrain et leur collaboration leur sont alors précieuses.

Cette propension à profiter des avantages des ONG, à la fois humains et matériels, amène naturellement à poser la question de l’indépendance du travail des journalistes sur place. Comment, dès lors, critiquer le travail de telle ou telle ONG qui vous a hébergé et promené pendant la durée de votre séjour ?

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L’intérêt des médias pour l’humanitaire

Le premier point important en terme de communication pour les ONG est celui d’informer le public c’est-à-dire de faire connaître à celui-ci une situation d’urgence, un évènement grave ou nécessitant une intervention humanitaire. Cette information du public, dans un souci de neutralité, passe nécessairement par l’intermédiaire des médias. Cette prise de conscience de la nécessité d’informer l’opinion publique est apparue lors de la crise du Biafra en 1968. Les humanitaires présents au Nigeria ont décidé d’utiliser les médias pour dénoncer la famine organisée par le gouvernement nigérian. A ce propos Rony Brauman écrit dans Les médias et l’humanitaire « soigner ne suffisait plus, il fallait aussi témoigner, accuser ».

Grâce à cette information par l’intermédiaire des médias, les ONG tentent de mettre sur l’agenda médiatique une situation précise et ainsi de mobiliser l’opinion publique pour pouvoir faire pression sur les gouvernements afin qu’ils agissent, prennent position et/ou débloquent des fonds.

Cependant, comme le rappellent Gorm Rye Olsen et Nils Carstensen, les spécialistes de la politique étrangère restent sceptiques vis-vis de « l’effet CNN » et soutiennent que les médias ont rarement de réels effets sur les décisions de politique étrangère importantes, en particulier quand les gouvernements ont déjà une politique formulée fermement3. Les cas du Rwanda ou de la Bosnie au début des années quatre-vingt dix en sont les exemples les plus flagrants. Plus proche de nous, la guerre en Irak a montré très clairement que la mobilisation de la population n’influence pas forcément la politique étrangère des gouvernements.

Il s’agit aussi de faire appel à l’esprit de justice et de charité de tous pour collecter des fonds et permettre aux ONG de mener leurs actions. L’exemple classique est l’appel « à l’insurrection de la bonté » pour les sans-abri, lancé par l’Abbé Pierre en 1954.

Les ONG ont également besoins des médias pour se faire connaître du public, avoir une image reconnue, associée à des actions 3. Gorm Rye Olsen et Nils Carstensen, Médias et crises humanitaires : un amour de vacances.

spécifiques et à une éthique. Par ailleurs, elles paraissent dès lors plus crédibles auprès des donateurs potentiels. Chaque passage à la télévision a autant d’effet qu’une campagne de communication, mais à moindre frais. Outre les interventions dans les journaux télévisés en cas de crise humanitaire, plusieurs ONG participent à des émissions en lien avec leur domaine d’action.

De même que les ONG ont besoin d’être reconnues, les bailleurs veulent voir leurs actions médiatisées. S’ils entendent parler d’une mission à laquelle ils ont participé ils seront rassurés quant à la destination et à l’utilité de leur investissement. Les donateurs ont besoin de reconnaissance et ils la trouvent à travers la médiatisation des actions menées grâce à leurs fonds.

Une relation ambiguë

Les médias n’ont que rarement le temps de faire une analyse complète de la situation et s’en tiennent à quelques éléments qu’ils trouvent plus percutants que d’autres. Il peut en découler une erreur d’interprétation ou une incompréhension du public, ce que déplorent les ONG. De la même façon, les humanitaires tentent parfois de faire passer un message auquel les médias préfèrent un fait plus marquant.

De plus les médias ne s’intéressent pas à certaines crises, phénomène qui a donné naissance au concept de « crises oubliées », pour des questions de rentabilité évidentes puisqu’il paraît que les crises oubliées ne font pas vendre. Pour qu’une situation soit une « bonne histoire », selon Constanza Adinolfi4, il faut qu’elle rassemble trois critères : les gens ont envie d’en entendre parler, les journalistes ont envie d’en parler et les leaders politiques pensent que l’on peut ou l’on doit en parler. Quant à Rony Brauman il dégage quatre conditions nécessaires mais non suffisantes pour qu’une crise soit médiatisée : les images doivent être disponibles sous forme d’un flux continu ; la crise en question ne doit pas être concurrencée par un autre évènement ; il doit y avoir un acteur-médiateur pour « authentifier » la victime ; la victime doit être innocente. En rassemblant ces différents éléments, on voit que la médiatisation d’une crise dépend à la fois de facteurs liés à la 4. Directrice d’ECHO

crise elle-même et à la disponibilité de l’agenda médiatique.

Les organisations humanitaires essaient de sensibiliser et de mobiliser la population. C’est pourquoi elles ont tendance à préférer la télévision qui a un impact plus fort que la presse écrite. Le dilemme est posé aux humanitaires : faut-il donner une information plus complète (donc meilleure ?) qui ne touchera que peu de monde ou une information réduite, mais à un public plus large ? Certes la presse ouvre ses colonnes aux responsables des ONG, mais il faut rappeler que le seul journal télévisé de TF1 rassemble chaque soir entre 8 et 9 millions de téléspectateurs, ce qui est supérieur à la diffusion de l’ensemble des quotidiens nationaux et régionaux en France.

En effet les ONG sont de plus en plus elles-même productrices d’information, en particulier à travers leurs journaux ou autres newsletters envoyés à leurs donateurs et même parfois diffusés plus largement. Ce type d’information ne vient évidemment pas concurrencer les médias car leur échelle de diffusion est incomparable. Néanmoins elle entre dans des champs d’action qui leur étaient jusqu’ici exclusivement réservé, par exemple l’information, la sensibilisation et la mobilisation.

Un des aspects néfastes de ces rapports ambigus est la dégradation du contenu de l’information ; nous assistons dès lors à une évolution de l’information vers la communication. L’heure est alors à la recherche d’un grand protocole compassionnel qui réuni tous les acteurs dans le consensus et non pas aux analyses critiques de l’origine des crises.

Suite au séisme qui a eu lieu en Haïti le 12 janvier 2010, décrit par Ban Ki-moon comme « la plus grave crise humanitaire depuis des décennies5 », il est donc de notre devoir, en tant qu’organe de presse écrite, de comprendre et diffuser les causes de cette crise sans précédent, ses répercussions, les actions mises en place et l’implication des médias dans le dispositif d’urgence et de post urgence.

5. in L’Express, 17 janvier 2010. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/haiti-la-plus-grave-crise-humanitaire-depuis-des-decennies_842588.html

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 10

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MEMOIRE soutient la campagne« Solidaires des éleveurs haïtiens »

La campagne en trois mots…Deux constats :

Aujourd’hui, en Haïti les revenus des paysans sont insuffisants pour accéder aux besoins de base. La production de lait souffre de deux handicaps : - Les difficultés de commercialisation (manque d’organisation de la filière)- La concurrence des produits importés (de l’Union Européenne et des Etats-Unis par exemple)

Pour améliorer cette situation, l’ONG haïtienne Veterimed, a initié la création d’un réseau de micro laiteries où les paysans peuvent vendre leur lait. Ils s’assurent ainsi un revenu plus stable.

Bien souvent, les paysans n’ont pas les moyens d’acquérir une vache. Veterimed, le Collectif Haïti de France, Agronomes et Vétérinaires sans frontières et MEMOIRE proposent de les soutenir en investissant dans l’achat d’une vache permettant à une famille rurale d’augmenter ses revenuset de participant à la recapitalisation du milieu paysan

Comment participer à la campagne ?

1/ Vous investissez dans la campagne « Solidaires des éleveurs haïtiens ». Pour confier une vache à un paysan, il faut compter 550 euros dont 520 euros pour l’achat et le suivi de la vache (investissement) + 30 euros de frais de campagne (don).

Une personne - ou un groupe de personnes s’étant entendu au préalable - verse la totalité des 550 euros.

2/ Les fonds sont envoyés en Haïti. Veterimed se charge d’acheter la vache et de la confier à une famille qui bénéficie des revenus du lait et commence à se constituer un cheptel.

3/ Au bout de 4 ans, vous avez le choix entre :

Récupérer l’argent investi plus les intérêts (3,5 % / an)

Réinvestir, en confiant la vache à une autre famille

Doter le fond haïtien Promolèt (formation d’éleveurs, appui technique à des laiteries et promotion commerciale des produits laitiers). Dans ce cas, l’investisseur effectue un don déductible d’impôts.

(Les détails de l’investissement sur 4 ans sont disponibles sur simple demande)

NB : Vous pouvez aussi participer à la campagne sous forme de don, pour le montant que vous désirez (voir les conditions sur le bon d’investissement).

Bon d’investissement solidaire(Cochez la case correspondant à votre choix

et complétez le verso)

J’investis dans l’achat d’une vache au bénéfice d’un éleveur haïtien.

Je verse les 550 euros (520 + 30) au Collectif Haïti de France qui les transfèrera à Veterimed en Haïti.

Si c’est un groupe de personnes, qui choisit d’investir ensemble, la transaction et la communication passe par une personne relais dont les coordonnées sont données au verso.

Cet investissement donne droit à une adhésion annuelle au Collectif Haïti de France et à l’abonnement à son bulletin mensuel pendant un an. Le Collectif Haïti de France s’engage en échange, à verser les fonds reçus à Veterimed, et à informer de l’évolution du projet deux fois dans l’année, pendant les 4 ans.

Je participe sous forme de don pour un montant de …………………..euros.

Dans ce cas, je ne récupère pas la somme versée au bout des 4 ans, comme c’est le cas pour l’investissement. Par contre, si je le désire, je peux recevoir un reçu fiscal, me permettant de déduire une partie du don de mes impôts. Si vous participez sous forme de don, vous ne recevez pas les nouvelles du projet deux fois par an. Mais vous pouvez les consulter sur :

www.collectif-haiti.fr /veterimed.php

MEMOIRE

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OUVERT À DOUBLE TOUR...

Pour chaque numéro, une ONG spécialisée sur la question. nous aide à y répondre. Pour ce numéro de MEMOIRE sur la crise humanitaire qui secoue Haïti depuis le 12 janvier 2010, Le Collectif Haïti de France nous a ouvert ses portes. Paul Vermande, président, Emeline Sauvignet, coordinatrice, et Cindy Drogue, chargée de mission partenariat reviennent sur le travail effectué par le Collectif depuis sa création et sur le maillage complexe du réseau de solidarité avec Haïti.

Le Collectif Haïti de France : 22 ans au service de la démocratie et du développement en Haïti

Fondé en 1988 alors qu’Haïti vit des heures sombres, le Collectif Haïti de France axe son objet sur la promotion d’un processus démocratique au sein du pays. D’informel, le Collectif devient une association loi 1901 en 1991. Depuis il s’est fixé plusieurs objectifs qui se traduisent par quatre axes majeurs de travail réalisé par deux salariés, un stagiaire et une équipe bénévole.

ar son rôle de « plateforme pays », le CHF ne réalise pas directement des projets en Haïti, mais soutient les associations membres dans leurs projets, par un accompagnement au montage et au partenariat avec des institutions et associations

haïtiennes. Néanmoins, il accompagne, de façon financière, des initiatives menées par les Haïtiens eux-mêmes, comme l’agence de presse Alterpresse1 ou l’ONG Veterimed2. Le coeur de son activité réside dans la transmission d’informations concernant Haïti, le plaidoyer et la coordination entre les acteurs oeuvrant pour ce pays.

Rassembler les associations franco-haïtiennes pour les aider à mutualiser leurs expériences, leurs informations et leurs moyens financiers

et humains

Avec 83 associations et 154 individus membres, le Collectif Haïti de France (CHF), a fort à faire pour rassembler et coordonner l’ensemble des acteurs associatifs adhérents qui sont totalement indépendants. Si le pari est osé, le jeu en vaut néanmoins la chandelle, puisqu’une action pour le développement à plus de chance d’aboutir sur le long terme si chacun des participants est au fait de ce que fait son voisin.

Ainsi, Le CHF a impulsé, l’idée de regroupements régionaux ou départementaux, entités vouées à l’échange et au partage d’informations, de compétences et d’idées. Conscients que les quelques 300 associations et ONG françaises travaillant pour et en Haïti ne sont pas toutes membres du Collectif, mais néanmoins 1. Voir encadré 1 2. Voir encadré 1

Le réseau alternat if haït ien d’information AlterPresse est une

agence lancée a la fin de l’année 2001 par le Groupe Medialternatif. AlterPresse s’inscrit dans la dynamique du Droit a l’Information et à la Communication.

Le champ d’action prioritaire d’AlterPresse est l’information sur les processus politiques, économiques, sociaux et culturels impliquant les acteurs des mouvements sociaux, des mouvements d’entreprenariat collectif, des organismes de promotion et de défense des droits humains, des organismes d’appui au développement, des institutions de recherches et d’éducation non formelle, de l’université, etc.

www.alterpresse.orgwww.medialternatif.orgwww.collectif-haiti.fr/ alterpresse-et-la-fokal.php

VETERIMED est une organisation non gouvernementale (ONG) d’aide au développement, créée en 1991, par un groupe de professionnels haïtiens, qui veulent contribuer au

développement du pays grâce à des actions en milieu paysan.

VETERIMED s’est donné pour mission d’aider, par la formation, la recherche et l’appui technique en santé et production animale, les éleveurs haïtiens à augmenter leur production et leurs revenus.

www.veterimed.org.htwww.collectif-haiti.fr/veterimed-et-avsf.php

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 12

P

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des mouvements sociaux haïtiens ; « la promotion d’une agriculture paysanne et familiale en Haïti », et « une politique migratoire française prenant en compte les réalités de vie des Haïtiens en France pour les améliorer, ainsi que la prise en compte de la situation du pays post -séisme pour agir en fonction. »

Agir pour une solidarité effective

Aux actions de plaidoyer écrites s’ajoute des actions concrètes. En collaboration avec leurs partenaires de France métropolitaine,

Le Collectif Haïti de France : 22 ans au service de la démocratie et du développement en Haïti

importantes, les administrateurs décident, en 2005, de créer l’Espace de Partenariat Franco-Haïtien (EPFH), en remplacement de la Commission Mixte pour Haïti, dissoute en 1995 par le gouvernement Juppé. Ouvert à tous, c’est un espace visant à contribuer et à améliorer les actions des participants par une meilleure connaissance de chacun et stimuler les dynamiques collectives entre les différents acteurs liés à Haiti.

En terme d’action, ces rassemblements aboutissent, tous les deux ans, à des rencontres nationales et régionales, sortes

d’université d’été thématique. Les Rencontres Nationales ont eu lieu, en septembre 2006 en Ile de France, en octobre 2008 dans la région lyonnaise. Cette année, elles se dérouleront en novembre en Midi-Pyrénées.

Ce rassemblement et ces réf lexions dépassent même le cadre national, et passent à l’échelon européen puisque le CHF est membre de la Coordination Europe-Haïti. Créée en 2001, c’est un réseau d’ONG originaires de huit pays européens dont l’activité principale est d’entreprendre des plaidoyers en faveur d’Haïti, à l’attention des instances décisionnaires européennes, après des phases de dialogue et d’échanges.

Entreprendre des actions de plaidoyer

En inscrivant, dans ses statuts, l’objectif de «concourrir au développement solidaire et endogène d’Haïti», il est normal d’entreprendre des actions de plaidoyer afin d’influer sur les décisions politiques des coopérations françaises et européennes, nous explique Paul Vermande, président du Collectif Haïti de France. « Ces plaidoyers sont basés sur les expériences de terrain de l’ensemble de nos partenaires français, européens et haïtiens, qui font de même envers leurs gouvernements. »

Trois thèmes sont particulièrement abordés : « le développement et la reconstruction d’Haïti après le séisme de janvier 2010 par les Haïtiens eux-mêmes », et donc une meilleure prise en compte de la voix

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 13

des DOM-TOM, et d’Haïti, le Collectif participe à l’organisation et à la réalisation de manifestations, de conférences, d’événements et de mobilisations concernant la défense des droits humains et le respects des droits élémentaires tels que se nourrir, se soigner et accéder à l’éducation.

Entre avril et juin 2010, le CHF a ainsi participé à plusieurs mobilisations pour les Haïtiens résidant et travaillant en France mais toujours en situation irrégulière, et pour la mise en place effective des promesses gouvernementales sur le regroupement familial après le séisme du 12 janvier 2010. Il a également organisé des conférences sur la situation et l’avenir d’Haïti, avec des personnalités telles que Gotson Pierre, fondateur du groupe haïtien Médialternatif, Michèle Duvivier Pierre-Louis, ex première ministre haïtienne, ou Lorraine Mangonès, directrice exécutive de la Fondation Connaissance et Liberté (Fokal).

Enfin, il renouvelle son soutien à l’ONG haïtienne Veterimed, en organisant, en septembre, une soirée de lancement pour la nouvelle campagne des programmes « Solidaires des éleveurs haïtiens » et « Lèt agogo. »

Informer et communiquer

Afin que la situation en Haïti ne soit pas oubliée, le Collectif Haïti de France a créé, en 1990, un bulletin hebdomadaire

d’actualité intitulé « Une Semaine en Haïti » (USH). A l’origine destiné à la communauté haïtienne de France, il est enregistré sur un répondeur téléphonique chaque semaine, mais le succès pousse le Collectif à l’éditer en version papier (deux pages).

Depuis 2009, les articles qui le composent sont rédigés par des journalistes haïtiens de l’agence Alterpresse, puis mis en page par le stagiaire chargé de mission information/communication. L’hebdomadaire est ensuite envoyé, par e-mail et courrier postal à 180 abonnés, et plus de 600 personnes

partenaires, journalistes, membres d’ONG ou de collectivités locales en France et en Haïti. Depuis 2010, il est également traduit en espagnol et diffusé dans la Caraïbe et en Amérique latine par un partenaire du CHF.A partir de 1996, les actualités d’USH sont reprises, de façon condensée, dans le mensuel « Nouvelles Images d’Haïti » (NIH). Composé de quatre pages, il est passé à huit page depuis le séisme. Il est composé d’un article de fonds qui met en exergue une problématique inhérente à Haïti, ou une initiative entreprise par des Haïtiens. Quatre rubriques viennent étayer cet article : « l’actualité du mois », informations tirées de l’hebdomadaire ; « vu dans la presse et l’édition », extraits d’articles et de livres ayant trait au sujet de l’article ou à l’actualité du moment ; « l’association ou le projet du mois », qui met en avant une association membre ou un de ses projets selon l’actualité et la pertinence ; « l’actualité du Collectif Haïti de France », qui revient sur les événements passés ou à venir concernant le CHF (compte-rendus de conseil d’administration, rapports de missions...). NIH est entièrement rédigé par des membres du Collectif, organisé en commission de rédaction, et mis en page par le chargé d’information, qui a un rôle de rédacteur en chef. Il est uniquement diffusé au adhérents du CHF, par e-mail ou courrier postal.

Ces deux outils d’information sont complétés par un site internet. Remis en forme et à jour par le stagiaire, la nouvelle mouture a été mise en ligne en juin 2010. Il s’accompagne

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Pour plus d’informations

Le Collectif Haïti de France

21 ter, rue Voltaire 75011 Paris 01 43 48 31 78 infocom@collectif-Haïti.fr / [email protected] www.collectif-haiti.fr

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 14 MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1

d’une newsletter bimensuelle accessible par simple inscription via le site.

Afin de diffuser des informations concernant ses actions, le Collectif a également développé un pôle communication. Il comprend la création et la diffusion de tracts, d’affiches, de communiqués et de dossiers de presse concernant des événements organisés par le Collectif, ou auxquels il participe. Ces documents de communication sont destinés aux journalistes et plus largement à l’ensemble des contacts du CHF.

Enfin, le chargé de communication est également responsable de la création et du suivi des événements tels que ceux cités ci-dessus.

Emeline Sauvignet, coordinatrice du CHF, souligne que le séisme du 12 janvier, bien que catastrophique et dramatique, a cela de positif qu’il a permis de renforcer ces axes de travail, du point de vue de leurs poids et de leurs importance, mais également du point de vue de leurs masses et du rôle prépondérent que peuvent jouer le Collectif Haïti de France et ses partenaires dans la solidarité envers Haïti en reconstruction.

La solidarité avec Haïti : un réseau important et tentaculaire

Le Collectif Haïti de France, en tant que « plateforme pays », joue un rôle important dans le réseau de solidarité avec la première république noire de l’Histoire.

En France et en Europe, ce réseau rassemble plus de 500 associations et ONG, réunies au sein de collectifs ou de plateformes nationales et européennes. Ces entités, nombreuses, s’entrecroisent et rendent parfois difficile la visibilité pour qui souhaite s’investir ou donner pour Haïti, mais sont capitales pour une meilleure coordination et union sur les questions de plaidoyer et de projet.

Le CHF, qui gère le secrétariat et anime les rencontres mensuelles de l’Espace de Partenariat Franco-Haïtien (EPFH), auquel participe régulièrement 15 ONG - membres ou non membres du CHF - travaille également avec Coordination SUD, plateforme de

coordination nationale des ONG, et avec la Coordination Europe-Haïti (COEH).

Ce réseau de solidarité avec Haïti compte également de nombreux individus qui s’engagent bénévolement ou financièrement. Avec 154 individus membres (2010), bénévoles, donateurs ou investisseurs dans le programme « Solidaires des éleveurs haïtiens », le CHF en a l’exemple tous les jours. Cependant, ce n’est rien en comparaison de l’activité soutenue de la diaspora haïtienne de France3. Forte d’au moins 120 000 membres en France métropolitaine et les DOM-TOM4, selon les estimations, la diaspora des différents pays, elle contribue, via les transferts d’argent, à l’équivalent de 25 % du PIB d’Haïti.

« Depuis le séisme, il y a une recrudescence d’individus souhaitant s’investir bénévolement pour Haïti, toutes origines confondues. D’autre part, si la formation de nombreuses associations familiales

pour venir en aide à Haïti est un indicateur positif de l’implication

de la société française, cela rend plus difficile la coordination de l’action sur le terrain », souligne Emeline Sauvignet.

Dans un entretien accordé à La Tribune5, Michèle Striffer, vice-présidente de la Commission développement du Parlement européen souligne le « travail remarquable des ONG en Haïti », mais déplore, du fait de leur nombre important - au moins 1 000 - le manque de coordination sur le terrain.

Et Paul Vermande de conclure : « on comprend alors mieux la nécessité de se regrouper, d’échanger et de se coordoner en France et en Europe, afin que les actions sur le terrain soient plus efficaces. Le chaos provoqué par le séisme ne pourra se régler par des actions humanitaires isolées, mais par un partenariat actif entre ONG, associations internationales et société civile haïtienne ».

3. Voir p. 47

4. Guadeloupe, Martinique, Saint Martin et Guyane.

5. X. Harel “ La reconstruction d’Haïti est au point mort faute de coordination” , in La Tribune, 1er juillet 2010

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CHF

associations non membres

du CHF

ConcordCOEH

Coordination SUD

a s s o c i a t i o n s membres

d’un collectif régional

et du CHF

a s s o c i a t i o n s membres

du CHF, non membres

d ’un collec tif régional

a s s o c i a t i o n s membres,

non membres du CHF

COHE

EPFH

collectifs régionaux/départementaux

{échelon européen

{échelon national

{échelon local

{échelon régional

Structures du réseau de solidarité avec Haïti par échelon géographique

Fait partie du Collectif Haïti de France qui centralise l’information pour les échanges

Fait partie de, ou concerne directement des structures autre que le CHF

- - - - Echanges non formalisés

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 15

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Le Collectif Haïti de France près de Chez Vous c’est...

Au niveau Départemental

Le Collectif 35 des Amis d’Haïti06 87 42 99 60 / [email protected]

Le Collectif Haïti de [email protected]

Le regroupement des associations de [email protected]

Au niveau Régional

Le Collectif Haïti des Associations de Midi-Pyrénées (CHAMP)

09 54 00 05 80 / [email protected]

Le Réseau Rhône-Alpes pour Haïti (CADR, Lyon)

04 78 50 99 36 / [email protected]

Le Collectif des Associations de PACA06 30 55 37 87 / [email protected]

L’Adhésion au Collectif permet...

A une Association

de participer à un réseau mettant en place des actions collectives :

• des rencontres régionales et nationales

• des campagnes relayant les actions de nos partenaires haïtiens

• des diffusions d’informations sur les projets et événements des associations

• des envois réguliers d’actualité (NIH, USH, newsletter)

A un Individu • de recevoir des informations régulières sur Haïti et des nouvelles des associations en France

• de soutenir le travail d’information entrepris par le Collectif depuis 1990

• de participer activement à toutes les actions du Collectif

Vous Avez Envie d’Aider Haïti et d’Agir à nos Côtés :

Devenez Bénévoles...

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Pour toute adhésion au Collectif Haïti de France, vous recevrez gratuitement le bulletin mensuel d’information

Nouvelles Images d’Haïti

Adhesion associative 50 € + Abonnement d’1 an au bulletin hebdomadaire d’actualité

Une Semaine en Haïti

version mail (5 abonnés) 15 €

Adhesion individuelle 20 € + Abonnement d’1 an au bulletin hebdomadaire d’actualité

Une Semaine en Haïti

version mail 15 €

version papier 40 €

version papier 40 €

Le Collectif Haïti de France21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris

01 43 48 31 [email protected]

www.collectif-haiti.fr

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HAÏTI

Nom : République d’Haïti

Nom créole : Repiblik Ayiti

Données générales

Situation géographique : Caraïbes Superficie : 27 750 km2 Capitale : Port-au-Prince Monnaie : Gourde (1 € = 50,45 gourdes)Langues : créole haïtien, français Nombre de régions : 10Pays frontalier : République Dominicaine

Indices

% de la population sous-alimentée (2005) : 58 %Indice de développement humain1 (IDH ; 2006) : 0,52 (149 rang sur 182 pays) Taux d’alphabétisation 15 ans et + (2003) : 52,9 %Indice de corruption2 (2008) : 1,4 Nombre de médecins pour 1 000 habitants (2001) : 0,3

1. Indicateur, calculé par l’ONU, du niveau de développement d’un pays, tenant compte, à parts égales, de l’espérance de vie à la naissance, du taux de scolarisation et d’alphabétisation et du PIB par habitant. Il est compris entre 0 (mauvais), et 1 (bon).

2. Cet indice est construit à partir de plusieurs sondages d’opinion d’experts se prononçant sur leur perception du niveau de corruption dans les secteurs publics d’une centaine de pays. Par cet indice, on peut classer les pays sur une échelle de 0 à 10; 0 indiquant un degré de perception de la corruption élevé et 10 indiquant un degré de corruption perçu comme très faible.

Démographie

Population (2010) : 9 203 083 habitantsDensité de population (2010) : 331,6 hab/kmEspérance de vie à la naissance (2010) : 61,38 ansfemmes : 63,14 anshommes : 59,67 ans Taux de fécondité (2009) : 3,81Taux de natalité (2009) : 29,1 ‰ Taux de mortalité (2009) : 8,65 ‰Mortalité infantile (2009) : 59,69 ‰Taux d’accroissement naturel1 (2009) : 2,4 %

1. Différence entre le taux de natalité et le taux de mortalité.

Economie

PIB (2008) : 6 966 millions (US $)PIB par habitant (2008) : 1300 (US $, valeur PPA1)

Taux de croissance (2008) : 1,3 %

1. PPA : parité de pouvoir d’achat. Taux qui permet la conversion de monnaies en éliminant la différence de pouvoir d’achat entre celles-ci.

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 17

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est après l ’ i n d é p e n d a n c e d’Haïti en 1804, qui mit fin définitivement à l’esclavage, que

l’on voit apparaître des « œuvres » typiquement haïtiennes. Ces œuvres sont d’abord inspirées par la religion vaudou, car on bat tambour lors des cérémonies, les murs des temples sont ornés de représentations de saints (confondus avec les esprits ou « loas ») et sur le sol des temples sont tracés les « vèvès », symboles géométriques personnifiant ces mêmes esprits, et qui seraient repris des dessins des Arawaks, premiers habitants de l’île. Toutefois, le vaudou a été censuré et persécuté pendant plus de deux siècles, à la fois par les premiers chefs d’Etat et par les Eglises catholique et protestante ; ce n’est que depuis les années 1980 qu’il est admis comme religion, au même titre que les autres, et que les artistes peuvent s’en inspirer ouvertement.

La peinture, une inspiration vaudou, historique et

ensoleillée

La peinture haïtienne prend donc racine dans ces premières représentations, mais elle s’est surtout développée au début du 20e siècle, sous l’impulsion du peintre américain Dewitt Peters qui a créé le « Centre d’Art » à Port-au-Prince, de Selden Rodman, professeur d’anglais, et de plusieurs écrivains qui ont séjourné dans l’île, notamment le Cubain Wifredo Lam, les Français André Breton et André

Malraux.

Parmi les milliers de peintres haïtiens, on peut citer les plus connus : tout d’abord des femmes peintres, minoritaires : Luce Turnier, Tamara Baussan, Michèle Manuel ; puis les auteurs des fresques ornant l’église Sainte-Trinité (écroulée lors du séisme du 12.01.10) : Hector Hyppolilte, Wilson Bigaud, Préfète Duffaut, Castéra Bazile ; le peintre du « panthéon vaudou » : André Pierre ; un portraitiste génial : Mario Benjamin ; le « maître des masques » Tiga et, avec lui, les peintres de l’école « Saint-Soleil » qu’il a créée : Prosper Pierre-Louis, Richard Antilhomme, Saint-Jean Saint-Juste, Louisianne Saint-Fleurant, Levoy Exil qui ont peint, disaient-ils « inspirés par les loas » ; et enfin, last but not least, Barbara Prézeau, peintre et plasticienne qui

a créé la fondation Africa-America, pour rapprocher l’art des deux continents…

« La littérature haïtienne est la plus vénérable et a longtemps

été la plus riche des littératures ultramarines en langue

française »

Bien que la population haïtienne soit de langue créole et que la langue française, « butin » de la guerre d’indépendance, ne soit parlée que par une minorité d’Haïtiens, les écrivains haïtiens de langue française sont nombreux, et de plus en plus célèbres, comme le montrent les nombreux prix littéraires qu’ils obtiennent ces dernières années. Comme pour les peintres, il n’est pas possible de les citer tous ! Dès 1804, les

La culture haïtienne : d’importante, elle est devenue capitale et salvatrice

Peinture, sculpture, littérature, musique, langue créole… Il est impossible de parler d’Haïti sans évoquer sa culture artistique et ces artistes qui ont fait grandir cette île. Car en Haïti, les artistes, écrivains, musiciens ou peintres sont considérés comme des sauveurs. Des sauveurs par ce qu’ils expriment et comprennent l’émotion et les besoins de la population là où l’Etat est inexistant. Aujourd’hui, six mois après le séisme, ces artistes sont d’autant plus importants : des textes qui paraissent et des peintures qui représentent la catastrophe, il faut surtout retenir que l’expression de ces oeuvres sont celles d’un peuple, car comme le dit Lyonel Trouillot : « Avec nos morts, avec nos mots, nous qui sommes revenus du déluge de pierre écrivons pour trouver une place dans le monde des vivants ».

C’

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 18

Le «Serment des ancêtres», peint en 1822 parGuillaume Guillon Lethière, est un tableau hautement symbolique pour les Haïtiens et pour la démocratie. Offert à la jeune République d’Haïti par le peintre né en Guadeloupe d’un

père colon et d’une mère esclave, il représente la rencontre entre le général noir Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint Louverture, et le chef des mulâtres de Saint-Dominique, Alexandre Pétion. Cette rencontre marqua le début du

processusqui mena à l’indépendance d’Haïti, en

1804.

Très abimé par le séisme, il sera restauré en Haïti avec l’aide du Centre de recherche et de restauration des

musées deFrance

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premiers ont écrit des livres sur l’histoire de leur pays : Pierre Flignaud, Pompée Valentin, Juste Chanlatte, Beaubrun Ardouin. Puis tout au long des 19e et 20e siècles, pièces de théâtre, poésie, essais et romans ont vu le jour : Julien Lhérisson s’est rendu célèbre par son roman « La famille des Pitite-Caille », Jean Price-Mars par ses poèmes, Jacques Roumain par ses romans dont le plus célèbre est « Les gouverneurs de la rosée », Jacques-Stéphen Alexis par sa quadrilogie romancée « Compère Général Soleil, Les arbres musiciens, L’Espace d’un cillement, Romancero aux étoiles », mais dont la carrière si prometteuse a été interrompue par les balles de Duvalier ; René Depestre, connu pour son premier roman « Hadriana dans tous mes rêves », mais qui vit en exil en France ; Frankétienne, le démiurge du langage, qui mêle créole et français dans sa « spirale » langagière ; Jean Métellus, médecin et poète ; Anthony Phelps le poète ; Lionnel Trouillot, romancier et dramaturge ; Gary Victor, le chantre des sociétés secrètes du vaudou ; Dany Laferrière, qui vit au Canada et qui a obtenu l’an dernier le prix Médicis pour son roman-poème « L’énigme du retour ». Après le séisme, plusieurs des écrivains pré-cités ont écrit sur l’événement, se faisant la voix du peuple pour exprimer le choc. D’aucuns en Haïti disent même que les artistes, et particulièrement les écrivains, sont bien plus considérés et respectés que les politiques, car ils sont le peuple et entendent les mêmes souffrances.

Sans oublier la tradition des contes, et la conteuse haïtienne célèbre en France, Mimi Barthélemy.

La musique, entre symphonie et simplicité

Si en Haïti, la musique de variété est moins présente que dans la grande île voisine de Cuba, de nombreux groupes musicaux peaufinent chaque année de nouvelles chansons pour la fête de Carnaval ; ces chansons qui passent à la radio et dans les boîtes de nuit, seront sur toutes les lèvres pendant les « 3 jours gras ». Le Carnaval n’a pas eu lieu cette année, du fait du séisme, mais les années précédentes, le Carnaval de Port-au-Prince et de Jacmel attiraient du monde et la vente de CD était importante. Les groupes musicaux qui ont recherché les racines africaines, s’appellent

« groupes racines », tels RAM, Boukman Expérience, Ti-Coca… Wiclef Jean, jeune musicien de variétés d’origine haïtienne et vivant aux Etats-Unis, a eu un grand succès avec son groupe les Fugees et il est très présent sur le front humanitaire en Haïti.

La musique classique est surtout représentée par l’orchestre symphonique de la Sainte-Trinité à Port-au-Prince et l’orchestre de Jacmel, qui se reconstituent après le séisme. Leur répertoire comprend les grands classiques européens, ainsi que des compositeurs haïtiens.

La musique paysanne est jouée par des « bandes à pied » ou « raras », qui sortent chaque fin de semaine, depuis Noël jusqu’à Pâques. Les instruments sont sommaires : trompes en bambou ou en métal appelées « vaccines », hochets, sifflets… Les paroles sont inspirées du vaudou.

Lors des cérémonies vaudou, les tambours, de différentes tailles, ont un caractère sacré : leur sonorité et leur rythme sont associés aux loas invoqués. La musique est très souvent dansée, soit danses profanes, de salon ou folkloriques, soit danses rituelles et sacrées, pratiquées en l’honneur des divinités vaudou.

La sculpture, un art moins représenté mais représentatif

De nombreux ouvrages décrivent la peinture haïtienne, mais la sculpture – sur bois, racines, pierre, argile, métal - est moins bien servie, sauf « la sculpture bidon » ou « fers découpés » qui a fait l’objet de plusieurs livres. Cet art/artisanat est

fortement inspiré des mythologies grecque et vaudou et est bien illustré par Serge Jolimeau et ses successeurs.

S’il est impossible de comparer la sculpture haïtienne avec l’importance que cet art tient en Afrique, il est néanmoins flagrant que sa représentation, à travers le vaudou, est similaire à la culture Yoruba très présente en Afrique de l’Ouest et centrale. Appelée animisme en Afrique, le vaudou rejoint effectivement les croyances

La langue créole

Reynold Henrys, haïtien de France, explique que le créole haïtien n’est pas considéré comme une langue à part entière par les francophones, mais comme un dialecte, un patois ou une langue régionale. Selon lui, c’est sa proximité avec le français qui lui donne cette image, car, à l’inverse des français, les américains et espagnols parlent mieux créole.

Claudine Michel définit très bien le créole en lien avec la culture vaudou : « Dans le vaudou, à l’inverse des manifestations religieuses et séculières occidentales, le concept de « l’art pour l’art » n’existe pas. Chaque mot, chaque objet, a une fonction, souvent libératrice, qui canalise l’énergie et qui donne force et puissance au peuple contre les systèmes oppressifs… Ce même principe s’applique bien à notre créole haïtien, moyen d’expression à la fois simple et complexe, imagé et métaphorique, musical et rythmique, malicieux et sarcastique, qui est un mode d’expression authentique, engageant et libérateur dans la vie de tous les jours, aussi bien que dans les pratiques religieuses (et potentiellement dans les domaines éducatifs et politiques) ».

Le créole, une langue à part entière : proverbes...

« Men anpil, chay pa lou »Plus on a de bras, moins la charge est lourde (L’union fait la force.)

« Pa jete vye chodyè pou chodyè nèf »Ne jette pas ta vieille marmite pour une marmite neuve (C’est dans les vieux pots qu’on fait la bonne cuisine).

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Un Haïtien travaillant le fer (photo : Collectif Haïti de France)

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Haïti : ressources et enjeux pour les puissances occidentales ?

La première république noire de l’Histoire était surnommée la perle des Antilles, et à juste raison. De part ses ressources et sa situation géographique, elle a été, tout au long de son histoire, une source de convoitise pour les pays occidentaux, notamment la France et les Etats-Unis.

uite au traité de Ryswick (1697), la partie occidentale de l’île d’Hispaniola devient une colonie française. Commence alors une agriculture industrielle largement tournée

vers l’exportation pour la métropole.

La première culture d’exportation est le tabac, qui marque la transformation des aventuriers en planteurs. Rapidement négligée, l’indigo et le roucou prennent le relais et marquent le début de l’intérêt du capital marchand des ports comme Nantes, Bordeaux et La Rochelle. Les vagues d’immigration successives de

commerçants de la métropole font passer le nombre d’indigoteries de 182 en 1713 à

3 445 en 1739, période à laquelle l’indigo comnnaït son apogée avec une production annuelle estimée à deux millions de livres. Cette généralisation de la grande culture est également permise grâce à « l’importation » massive d’esclaves, au rythme de 33 000 par an. Jusqu’en 1770, Haïti, alors nommée Saint-Domingue, reçoit 800 000 esclaves, véritables marchandises du capitalisme de l’époque, représentant, en valeur, la moitié des importations de la colonie.

Le sucre, qui deviendra rapidement la production prépondérante de l’île et le principal pilier de la prospérité de la colonie est, chronologiquement postérieur à l’indigo. La canne à sucre, quintessence du mode Courbe de l’évolution de la population

de Saint Domingue au XVIIIè siècle

Quelques repères historiques

1492 : Christophe Colomb débarque dans la baie du môle Saint-Nicolas. Il prend possession de l’île et la baptise Hispaniola. Haïti est alors peuplée d’Indiens Taïnos (ou Arawaks).

1503 : Les premiers esclaves noirs sont implantés en Haïti. Dans les années qui suivent les Indiens Taïnos sont décimés.

1679 : Première révolte d’esclaves marrons à Saint-Domingue sous la direction de Padrejean dans la région de Port-de-Paix.

1697 : Louis XIV se fait céder la partie occidentale de l’île d’Hispaniola (traité de Ryswick). Les colons français commencent à s’installer.

1791 : Déclenchement de l’insurrection des esclaves dans le nord de Saint-Domingue (nuit du 22 au 23 août). Sous la conduite de chefs prestigieux, tels Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre Petion, c’est le début d’une guerre qui aboutit en 1804 à la proclamation de l’Indépendance.

1792 : Les hommes de couleurs et noirs libres sont admis à voter.

1794 : Ratification de l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue par la Convention le 16 Pluviôse de l’an II (4 février).

1801: Toussaint Louverture organise une armée de 51 000 hommes (dont 3 000 Blancs) et entre dans Sainto-Dominguo. Il unifie l’ensemble de l’île.

1802 : L’esclavage est rétabli dans les colonies françaises par Napoléon. Débarquement du Général Leclerc au Cap Français, nord de Saint-Domingue (février).

1803 : Toussaint Louverture est capturé par traîtrise, emprisonné en France, il meurt dans le Jura. Victoire de Dessalines contre Rochambeau (la Bataille de Vertières, 18 novembre).

1804 : Indépendance d’Haïti après la victoire des anciens esclaves sur les troupes françaises (1er janvier).

1825 : Charles X reconnaît la souveraineté d’Haïti en échange du versement de 150 millions de francs or pour indemniser les colons (dont les fortunes avaient été bâties sur l’esclavage). Ce tribut sera ramené à 60 millions, mais Haïti mettra plusieurs décennies pour « rembourser » la France.

1915-1934 : Occupation d’Haïti par les troupes américaines.

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 20

S

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de production esclavagiste est également la principale monnaie d’échange du commerce triangulaire : jusqu’à l’indépendance américaine (1783), les navires de Nouvelle-Angleterre viennent massivement vendre à Saint-Domingue ce dont les colons ont besoin. En retour, ils chargent du sucre et du rhum dont ils font usage pour acheter des esclaves sur la côte africaine.

La seconde révolution de l’agriculture coloniale se dessine à partir du milieu du XVIIIè siècle avec la culture du café. La poussée caféière dans le sud et l’ouest de l’ïle réduit la primauté du Nord sucrier : à partir de 1767, les trois cinquièmes des esclaves sont dirigés vers les cafèteries, alors que les sucreries se contentent de renouveler leur force de travail mais ne s’étendent plus. En 1789, il représente 34% de la valeur des exportations - 48% pour le sucre - soit 79 millions de livres contre 7 millions en 1755.

Trois facteurs, d’ordre commercial, écologique et social, sont à l’origine de ce succès. Le premier est le développement du marché en Europe et le fait que le café

soit moins soumis que le sucre aux guerres maritimes avec l’Angleterre. Le second émane de la souplesse des exigences écologiques du caféier qui s’adapte bien à Saint-Domingue dans des zones délaissées par le développement sucrier. Enfin, le troisième facteur qui explique l’explosion caféière est son coût de production moins élevé que celui du sucre, qui permet à une nouvelle classe de se positionner : les esclaves affranchis et les « petits blancs », méprisés et envieux de la grande bourgeoisie coloniale. C’est une des raisons pour laquelle le café sera la seule grande culture coloniale qui sera réappropriée par les systèmes paysans après l’Indépendance.

Outre le sucre et le café, des productions secondaires de coton et de cacao viennent compléter les ressources haïtiennes, donc l’économie coloniale.

Présent dès la fin du XVIIè siècle, le coton est considéré comme ayant une rentabilité inférieure à celle du café et représente 14% dans la valeur des exportations. Néanmoins, il est apprécié pour son faible besoin en main

d’oeuvre et, une fois de plus, ses capacités à occuper des zones impropres à la culture de la canne à sucre.

Le cacao, quant à lui, est introduit par d’Ogeron en 1665 afin de sédentariser les boucaniers. Son exportation, qui commence en 1737, atteint 600 000 livres en 1789, poids dérisoire en comparaison du sucre et du café, auquel il est souvent associé dans les plantations. Après l’indépendance, il connaîtra une expansion corrélative à celle de la paysannerie.

Les enjeux pour les puissances occidentales

Les ressources agricoles haïtiennes ont été, pendant plus d’un siècle, capitales pour la France. Suite à l’indépendance de l’île, en 1804, les enjeux deviennent autres. Le premier est financier, puisque le peuple haïtien contacte, en échange de son indépendance, une dette, un tribu qu’il mettra plusieurs décennies à honorer, plongeant le pays dans un état critique qui

1956 : Les États-Unis organisent le renversement du président Magloire.

1957 : Le docteur François Duvalier, dit « Papa Doc », s’empare du pouvoir avec l’appui de l’armée.

1964 : François Duvalier se proclame président à vie. Se méfiant de l’armée, il crée une milice, tristement célèbre, « les Tontons macoutes ».

1971 : Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc », devient président à vie à l’âge de 19 ans, à la mort de son père.

1986 : Jean-Claude Duvalier est chassé du pouvoir par des manifestations populaires (7 février) et se réfugie en France.

1990 : Jean-Bertrand Aristide, le curé des bidonvilles, est élu président avec près de 70 % des voix.

1991 : Un sanglant coup d’État renverse Jean-Bertrand Aristide, qui s’exile au Vénézuela puis aux États-Unis suite à l’élection de Bill Clinton.

1994 : Débarquement des troupes américaines qui rétablissent le président Aristide dans ses fonctions.

1996 : Fin du mandat d’Aristide. Il est remplacé à la présidence par l’un de ses proches, René Préval.

2000 : Jean-Bertrand Aristide est réélu président lors d’une consultation marquée par une très faible participation, boycottée par l’opposition et la communauté internationale (décembre). Les bailleurs de fonds suspendent leurs programmes de coopération.

2001 : Une mystérieuse attaque du palais présidentiel sert de prétexte à une vague de répression de l’opposition.

2003 : Attaque de l’Université de Port au Prince par des partisans du pouvoir (5 décembre), point de départ de l’amplification d’un mouvement important de contestation du pouvoir.

2004 : Commémoration du bicentenaire de l’indépendance. Fin février, départ du Président Jean-Bertrand Aristide, sous les pressions internes et internationales. Gouvernement intérimaire mis en place (Boniface Alexandre président et Gérard Latortue premier Ministre). L’ONU vote la création de la Minustha (force des Nations Unies). La communauté internationale et le gouvernement mettent en place le Cadre de Coopération intérimaire. Septembre : la tempête Jeanne ravage les Gonaïves.

2006 : René Préval est réélu président de la République (mai).

2010 : Le 12 janvier, un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter frappe Haïti, faisant plus de 300 000 morts, 600 000 déplacés et 1,2 millions de sans abri.

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a des répercussions encore aujourd’hui. Le second enjeux, qui perdure de nos jours, est le français. En effet, Haîti est le seul pays des Caraïbes faisant partie de la francophonie, même si l’on estime à seulement 20 % le nombre d’haïtiens parlant et écrivant le français. Cette situation géographique ou l’espagnol est majoritaire est un espace d’ouverture inespéré pour la renommée de la France, et la propagation de tout ce qui la concerne, au niveau culturel ou politique, et appuie également la légitimité des départements d’Outre-mer. Cependant, malgré l’importance que cela peut revêtir, il est à préciser qu’aucun chef d’Etat français, depuis l’indépendance, n’a mis le pied sur l’île avant Nicolas Sarkozy - quatre heures - le 17 février 2010.

Il est également à noter que les relations commerciales entre les deux pays sont modestes. Selon le Quai d’Orsay, les échanges s’élèveraient, en 2006, à 27 millions d’euros d’exportations françaises, et 6,2 millions d’importations, dont les deux tiers seraient de l’essence de vétiver, plante très utilisée dans la parfumerie. Le ministère des Affaires étrangères précise que « peu d’entreprises sont installées en Haïti », ajoutant que si « Air France et Total sont les plus connues, quelques sociétés, notamment de conseils ou de services, ont remporté des appels d’offres internationaux dans le domaine de l’environnement1 ». La chambre de commerce et d’industrie franco-haïtienne indique, quant à elle, que la France est présente au sein de plusieurs secteurs de l’économie haïtienne, tels que les produits pharmaceutiques, les matériaux de construction, les équipements électroniques et électriques, l’automobile, l’imprimerie et la maroquinerie.

Certains historiens expliquent le manque de liens entre ces deux nations, pourtant unies par l’histoire et la culture, par l’indépendance haïtienne, qui a engendré, selon eux, un traumatisme dû à la perte d’une des colonnies les plus prospères pour le royaume, auquel s’ajoute celui de la défaite militaire. Raisonnement plausible puisqu’Haïti est quasiment absent des chapitres de l’histoire française de l’éducation nationale. D’autres analystes lient la faiblesse des échanges à la fragilité de l’économie d’Haïti ou à une culpabilité feinte par rapport à la dette versée à la France.

Jean-Gilles Gesler, journaliste haïtien, réfute ces raisons historiques, et définit les enjeux pour la France à travers l’intérêt que l’île représente d’un point de vue géopolitique plus qu’économique. Jacques Soppelsa, professeur de géopolitique à Paris I va également dans ce sens : « Haïti est une priorité pour la France en raison d’intérêts géopolitiques, car le pays est sous influence américaine ». Ces enjeux, précise-t-il, poussent la France à s’investir plus politiquement, comme le prouve son intervention durant la phase militaire de la crise de 2004. A l’inverse, son investissement pour le développement est bien moindre qu’en Afrique, de façon directe, puisque ce lien se fait essentiellement par des subventions aux ONG et associations, là où l’investissement est mis en avant par l’Etat concernant les pays africains. Cet investissement dans le développement d’Haïti est, selon ce professeur, étroitement lié à la question politique de l’émigration haïtienne vers la métropole, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane2.

1. C. MARTIN, “Des relations commerciales modestes entre la France et Haïti, in Le Point, 13 janvier 2010 2. Voir p. “la diaspora haïtienne”

Pour les Etats-Unis, Haïti revêt des intérêts qui sont essentiellement stratégiques, politiques et économiques.

La proximité géographique d’Haïti et sa position stratégique dans les Caraïbes a suscité l’intérêt des administrations américaines dès la seconde moitié du XIXè siècle. Son indépendance a été reconnue par les Etats-Unis en 1862, et l’île a toujours été considérée

comme une base navale potentielle. Les dirigeants américains craignaient également une occupation étrangère de ce territoire car les puissance européennes de l’époque étendaient largement leur sphère d’influence dans cette zone. En 1868, le président Andrew Johnson évoque même l’idée d’annexer l’île d’Hispaniola toute entière afin d’assurer une présence américaine dans les Caraïbes. Cette suggestion, non suivie d’effets, n’a pas empêché les USA d’être actifs dans les eaux haïtiennes dix-sept fois entre la reconnaissance

Détail des échanges commerciaux entre les USA et Haïti

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Détail des échanges commerciaux entre les USA et Haïti

de son indépendance et le début de l’occupation du territoire haïtien en 1915. L’armée américaine quitte Haïti en 1934, dans le cadre de la politique de Roosevelt baptisée « politique de bon voisinage », basée sur la coopération et les échanges commerciaux plutôt que sur la force pour maintenir la stabilité dans les Amériques. A la lecture des chiffres concernant les échanges commerciaux3, on ne peut nier l’importance que revêtent ces deux pays l’un pour l’autre,

et la différence de politique et d’action concernant la France et les Etats-Unis. Cependant, les luttes de ces puissances occidentales sur ou autour du territoire haïtien, si elles le servent parfois, peuvent être un frein voire un problème pour le développement du pays, notamment concernant l’agriculture et la souveraineté alimentaire, alors que ces puissances légitiment parfois leurs choix politiques en en 3. encadré

brandissant l’étendart ; mais il n’est point de justifications qui puisse cacher ces luttes d’intérêt...Et le séisme, s’il apporte aux Haïtiens la possibilité de reconstruire un nouvel état en le débarrassant de ce qui le rongeait auparavant, est également une manne commerciale pour les puissances. Dans un document intitulé « Haïti demain : objectifs et stratégies territoriales pour la reconstruction » réalisé par le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT) et une quarantaine d’experts internationaux, en mars 2010, des promesses de restructuration complète du territoire haïtien sont émises. Grand bien leur fasse, mais ces travaux vont nécessiter un coût financier, matériel, technique, technologique et humain considérable que le pays ne détient pas, main d’oeuvre mise à part, quoique nécessitant une formation. Gageons que les entreprises spécialisées dans la construction antisismique, les réseaux routiers, aéroportuaires, hydraulique ou de télécommunication seront européennes et nord-américaines. S’il semble évident qu’il ne peut en être autrement, qu’au moins soit donné aux Haïtiens la formation leur permettant de développer ces compétences, l’autorisation, sans achats de brevets, de développer des techniques et la capacité de construire eux-mêmes ce nouvel Haïti, sans quoi la perfusion auquelle le pays était soumis réapparaitra, et ses chimères avec.

L’enjeu agro-alimentaire est également très présent. Outre le don de semences non endémiques par des multinationales, la question de l’aide alimentaire apportée à la population pose deux problèmes au niveau local, mais fait le bonheur des entreprises du secteur.

S’il a été nécessaire, lors de la phase d’urgence, d’apporter l’aide alimentaire, via le FAO (Food and Agriculture Organisation), le PAM (Programme Alimentaire Mondial) et une multitude d’ONG, plus de six mois après la catastrophe, la continuité du programme à grande échelle est dangereuse. Elle crée une habitude de consommation de produits majoritairement importé, mettant en danger le marché local, et ancre des réflexes d’achat tournés vers ces produits. Comment ne pas se servir de l’exemple de Nestlé et de son lait en poudre qui est préféré au lait maternel ou à la production nationale dans de nombreux pays d’Afrique ? De la même manière, elle ampute les agriculteurs et éleveurs de revenus car ils ne peuvent concurrencer une gratuité. Enfin, elle retarde la prise en compte de l’importance de l’agriculture pour Haïti, les semées et les récoltes des saisons 2010 et 2011. Le riz faisait déjà l’objet d’une importation massive en provenance des Etats-Unis et de Chine, et le mécanisme en cours ne pousse pas à l’optimisme concernant la construction d’un milieu agricole national fort qui réduirait les dépendances d’Haïti envers les grands producteurs mondiaux.

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ANALYSE DE LA CRISE HUMANITAIRE EN HAÏTI

Haïti ou la chronique d’un désastre annoncé

ardi 12 janvier 2010, 22h53 à Paris. 16h53 en Haïti. Un séisme d’une magnitude de 7,3 sur l’échelle de Richter frappe le pays. 60 secondes, 60 longues secondes. Bilan humain : 300 mille morts et disparus, placés

dans des fosses communes par le Centre National des Equipements (CNE), 600 mille déplacés et 1,2 millions de sans abris. Fin mars, la Direction de la protection civile et la commission de la santé faisaient état d’au moins 500 000 personnes nécessitant des soins et plus de 8 000 amputations réalisées. En juillet, le Réseau National de Défense des Droits Humains1 (RNDDH) estime à 806 000 le nombre de personnes touchées par une déficience physique. De nombreux camps de réfugiés improvisés ont vu le jour dans et autour de la capitale, sur les places et sur certains terrains privés. Fait de tentes et d’abris de fortune en bois et en tôle, ils sont des foyers potentiels d’épidémies en raison de l’insalubrité, du manque d’eau, de l’amoncellement des déchets et de la densité de population.

Huit propriétés totalisant cent cinquante carreaux de terre (1 carreau = 1.29 hectare) ont été réquisitionnées par l’Etat pour relocaliser les victimes hors de la ville afin de faciliter le déblayement. Six mois après le séisme, seulement 5 000 personnes, soit 3.8 % des déplacés auraient été relocalisé sur ce site géré par l’ONU, nommé Corail Cesselesse. Une partie des victimes a donc quitté tentes et bâches pour en retrouver de nouvelles, dans un espace isolé, ou l’accès aux services de base est difficile. Ces sites, dépourvus d’électricité, se trouvent dans des zones sans activité économique, ce qui rend difficile une quelconque reprise d’activité pour les personnes qui s’y trouvent. Malgré cette relocalisation, les travaux de curage de la capitale sont quasiment inexistants.

1. Analyse de la situation du pays six mois après le séisme, RNDDH, juillet 2010

Des habitants tentent malgré tout de déblayer et de reconstruire eux-mêmes leurs maisons malgré l’interdiction de réalisation de travaux de construction et de réparation des maisons. Le plan de reconstruction et d’évaluation des bâtiments du gouvernement se

fait toujours attendre. Quelques agences internationales élaborent des projet d’évacuation des décombres sous le label « cash for work », littéralement « argent contre travail ». Cependant, les véhicules ayant servit durant la phase de secours ont laissé la place à un matériel non adéquat au vu du chantier : des brouettes, des pioches et et des pelles. Les gravats,évacués sur les voies de circulation, créent des embouteillages qui handicapent la ville.

en haut à gauche : traitement des archives récupérées à Port-au-prince.

à droite : Un haïtien bénéficiant du programme « Cash for work » d’US Aid.

ci-contre : une partie du camps de Corail Cesselesse.

La catastrophe naturelle qui a frappé Haïti est lourde de conséquences et de responsabilités pour, et de la part d’Haïti, d’abord, mais également pour le reste du monde. Six mois après l’événement, MEMOIRE revient sur les origines de ce drame et analyse les actions mises en oeuvre.

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 24

M

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Aucune crise sanitaire ne s’est déclarée, mais la saison cyclonique qui débute à la fin de l’été pourrait créer de forts dégâts supplémentaires en terme de vies humaines. Haïti et sa population en connaissent les risques, mais, en 2004, malgré un état « stable », en comparaison d’aujourd’hui, la tempête Jeanne avait fait plus de 3 000 morts, et les quatre ouragans de 2008 plus de 800. Aucune victime n’a pour l’instant été déploré, mais plus de 95% des réfugiés vivent encore dans ces camps qui deviennent encore plus invivables et dangereux lors des averses tropicales.

A ces importantes pertes humaines s’ajoutent des pertes matérielles et culturelles sans équivalent estimées à 8 milliards de dollars américains. Citons, en exemple, que 23 des 40 hôpitaux du pays se sont effondrés, ou que les cinq villes les plus proches de

l’épicentre sont entre 40% et 90% détruites, soit l’équivalent de 250 000 bâtiments écroulés ou endommagés. Cela représente approximativement 60 millions de tonnes de gravats, soit l’équivalent de 1 000 camions pendant 1 000 jours. L’agence de presse haïtienne Alterpresse souligne que, d’après l’OCHA2, seulement 250 mille mètres cube de gravats, sur 20 millions, ont été déblayés en six mois.

Ces pertes matérielles ont entraîné deux problèmes majeurs : un nombre important de sans abris, conséquence directe de la destruction de la région la plus peuplée, ainsi qu’un exode massif vers les autres régions, qui n’étaient pas à même de recevoir quelques 600 mille réfugiés. Enfin, d’un

2. Agence de l’ONU : Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs)

point de vue administratif, l’effondrement des palais présidentiel, de justice, de l’éducation nationale, des impôts et de la culture et de treize des quinze ministères a provoqué la perte d’une partie importante des archives, notamment concernant l’état civil et les titres de propriété.

La disparition de plusieurs entreprises, de commerces et la décapitalisation du commerce formel et informel ont également exacerbé le taux de chômage qui atteignait déjà 49 % dans la capitale avant la catastrophe. >>

Zones affectées par le séisme et déplacements de population (USAID - OCHA)

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Une mobilisation internationale importante

Face à l’ampleur de la catastrophe, la communauté internationale s’est fortement mobilisée, plus encore qu’en 2004 suite au tsunami en Asie du Sud-Est. Les dons privés s’élèvent à deux milliards de dollars, et les promesses des Etats atteignent dix milliards. Le dispositif d’aide d’urgence a été mis en place rapidement, l’armée américaine en tête. Certains déplorent cette mainmise de Washington sur l’aéoroport de Port-au-Prince, qui aurait créée des dysfonctionnement et retardée l’arrivée de secours, de matériel et de vivres en provenance d’Europe, du fait d’un transit par la République Dominicaine voisine. Certains parlent même d’invasion. Certes, Haïti et cet évènement sont propices à une lutte économique entre Etats. Certes, les Etats-Unis ont pris la direction des opérations. Certes, l’armée n’est peut être pas la première réponse à apporter, mais il reste que c’est la plus à même de réagir rapidement, instantannément, que leur logistique dépasse de loin celle des ONG, et que l’histoire nous a montré - l’ouragan Katrina - la violence qu’engendre ce type de catastrophe.

Quelques 10 000 ONG et associations sont actuellement présentes en Haïti, et l’ONU, à travers sa mission et ses différentes agences ne compte pas moins de 13 500 personnes, dont 11 578 pour la MINUSTAH et 1 235 Haïtiens. Les pays représentés par le secteur de la solidarité ou l’ONU ont, par ailleurs, subit des pertes dans le tremblement de terre, même si cela reste de l’ordre du détail en comparaison des civils haïtiens.

« La faille géologique est moins responsable que celle

de l’Etat haïtien »

Dans ce qui fait qu’un séisme fait plus ou moins de victimes, il y a les caractéristiques propres de l’événement : sa magnitude, la profondeur de l’épicentre, la durée de la secousse, le type de sol et les caractéristiques géophysiques du lieu où il se produit. Dans n’importe quelle région aussi peuplée que celle de Port-au-Prince, un séisme du type de celui-là aurait fait mal, mais pas autant si la gestion politique n’était pas aussi tumultueuse et calamiteuse.

Il est impossible pour la population et surtout pour ses gouvernants de feindre l’ignorance concernant la situation sismique d’Haïti

puisque l’histoire de ce pays est parsemée de catastrophes de ce genre. Chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. L’an dernier (2009 ndlr), il y a eu dans le monde 17 séismes d’une magnitude supérieure à 7 sur l’échelle de Richter3. Moins de 2000 personnes sont mortes lors de ces séismes. Pourtant, la majorité d’entre eux ont touchés l’Indonésie, dont la population est 15 fois plus nombreuse que celle d’Haïti, et dont les villes, à l’image de Djakarta, compte deux fois plus d’habitants que l’ensemble de la population haïtienne.

En conséquence, si la pauvreté rend très vulnérable la population, ce n’est pas le facteur le plus accablant. Lui même trouve une partie de ses origines dans la gestion des différents gouvernements qui se sont succédés.

Port-au-Prince, la capitale, est encerclée de quartiers, de bidonvilles où la construction

3. Statistiques du United States Geological Surveyhttp://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eqarchives/year/

Un quartier en ruine à la périphérie

de Port-au-Prince

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de bâtiments sans normes, fait de matériaux de mauvaises qualité, échappent à toutes les règles d’urbanisme. Ces défauts sont exacerbés par l’inexistante gestion cadastrale de la part du ministère et la poursuite, dans les années 80, de l’abandon d’une politique agricole nationale au profit de l’importation, qui a exacerbé un exode rural massif Ajoutez à cela, en raison de la forte concentration de population, la pauvreté, et vous obtenez le résultat malheureux que nous connaissons. D’autre part, selon plusieurs Haïtiens de France, l’Etat haïtien est inexistant, c’est-à dire qu’aucun service public, pompiers ou policiers, n’est capables de répondre à ce genre d’évènement. Aucun plan d’urgence n’a jamais été mis en place ou réfléchi malgré la répétition des cyclones, tempêtes et autres séismes, et aucune éducation aux réactions à avoir en cas d’alerte n’a été dispensée à la

population.

Soulignons également que la concentration des institutions dans la capitale, l’absence de décentralisation, au point que les régions sont appelées « le pays en dehors », et que la présence de près d’un quart de la population totale haïtienne soit concentrée dans cette zone y sont pour beaucoup.

Peter Hallward, dans The Guardian, invoque

« les décennies de politique néolibérale d’ajustement et d’intervention néo-impériale » comme cause du «dépouillement du gouvernement d’Haïti de toute capacité significative d’investir dans son peuple ou d’organiser son économie ». S’il est correct d’attribuer aux conditions socio-économiques existantes en Haïti une part de responsabilité dans les dégâts causés par le séisme, la situation politique haïtienne depuis 1990 et l’élection de Jean-Bertrand Aristide est continuellement parsemée de crises. Bien sûr, les puissances occidentales ont une résponsabilité historique dans la situation actuelle du pays, mais sont-elles responsables de la réélection dAristide en 2000, quatre ans après sa destitution, ou de celle de René Préval en 2006, alors que celui ci était arrivé au pouvoir entre 1996 et 2000 ? Cela reste encore à prouver, tout

comme le rôle de ces puissances dans le jeu de corruption et de détournement de fonds qui touche le pays.

Jacques Soppelsa explique qu’il n’est pas pertinent de « se focaliser sur les moments qui ont été identifiés comme des crises en Haïti mais sur des facteurs structurels de l’état de fragilité du pays ». Ces facteurs structurels, cités précédemment, peuvent, en effet, être masqués par les

périodes d’alternances, le problème étant qu’ils perdurent même en période de « paix ». L’analyse de Johan Galtung4 qui différencie la paix «structurelle» de la paix «conjoncturelle» explique bien que la paix conjoncturelle n’est que l’absence de guerre , ou de crise. Dans le cas d’Haiti,où les causes profondes de la crise ne sont pas éradiquées, on entendra donc par «crise» un état de fragilité qui dure et non un phénomène conjoncturel même répété.

Malgré les différentes interventions internationales, de forces armées ou d’ONG, Haïti est et reste un pays souverain. Les décisions et les choix pris, ou leur absence et leurs conséquences lui sont donc majoritairement imputables.

Une des conséquences directes de cette instabilité, et de l’absence de l’Etat est la fuite d’une grande partie de l’intelligencia, le départ d’Haïti de nombreux universitaires ou diplômés, qui, ne pouvant exprimer leurs compétences sur leur sol, le quittent, ou n’y reviennent pas faute d’emplois. Cela fragilise et handicape un peu plus les changements nécessaires et voulus par la population haïtienne, l’opposition et la société civile qui sont néanmoins très actives, mais muselées par de nombreux côtés.

La catastrophe qu’a essuyé Haïti en janvier 2010 pourrait donc, à terme, être un mal pour un bien, un drame pour reconstruire le pays sur de nouvelles bases, les anciennes, gangréneuses, ayant été balayé par le séisme. Mais cela implique la réalisation des promesses de dons et

d’actions, et la prise en considération par l’ensemble des acteurs, de l’implication de la population haïtienne et des organisations qui la composent.

4. J. Galtung Peace by Peaceful means, Oslo,

1996.

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L’urgence, la post-urgence et le développement sont les phases ordonnées et identifiables del’action humanitaires. Selon l’importance de la crise, elles sont mesurables dans le temps et l’espace, mais Haïti, une fois n’est pas coutume, se démarque : plus de six mois après la catastrophe, l’urgence est toujours de mise. Pourquoi ? La saison cyclonique peut être, l’époque mondiale difficile sans doute, à moins que la crise qui découle du séisme du 12 janvier en Haïti, considérée comme « la pire catastrophe humanitaire jamais connue »selon le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, ne place les réponses habituelles des nombreux acteurs face à leurs propres limites. C’est le temps du grand nettoyage pour Haïti toute entière, et, peut être le temps pour les acteurs humanitaires de repenser le système...

e séisme en Haïti, qui restera certainement l’événement le plus important de 2010, a sucité de nombreuses réactions. Les messages de soutien et les dons sont venus du monde entier,

comme si chacun avait ressenti la secousse et le chaos. Cette ampleur a obligé les acteurs à se rencontrer, se confronter même, lors de conférences. Celle des collectivités locales (villes et régions du monde) le 23 mars à Fort-de-France (Martinique), celle de la « diaspora » haïtienne, au même moment, au siège de l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) à Washington (USA), et surtout celle des donateurs, le 31 du même mois, à New York, où se retrouvaient ONG, bailleurs européens, américains et autres décideurs. Nombre de questions ont été abordées, par nombre de participants, dont les rôles sont parfois flous.

Conférence internationale des villes et régions du monde

Le 23 mars 2010 s’est tenue à Fort de France, Martinique, la Conférence internationale des villes et régions du monde pour Haïti dans la perspective de la conférence des donateurs qui se tiendra le 31 mars à New York. La conférence a été organisée par la France (mission interministérielle pour la reconstruction d’Haïti) avec l’appui du conseil régional, du conseil général, de la communauté de communes, de la préfecture et de la chambre de commerce et d’industrie de la Martinique. Elle a rassemblé plus de 250 participants, essentiellement des élus et agents de collectivités territoriales. Haïti était

représentée par son ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales et pas moins de 45 maires et présidents d’associations d’élus. Des élus de neuf pays partenaires étaient présents : Bénin, Brésil, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Japon, Mali, Pays-Bas.

Chacune des séquences de la conférence aura été coprésidée par un maire haïtien et un maire d’une grande ville étrangère et aura permis tout à la fois des échanges fructueux et la formulation de propositions concrètes. Les élus haïtiens se sont activement préparés à la conférence en produisant, après une série d’ateliers départementaux, un seul1 document de propositions unique. Les propositions émanant de la Conférence ont nourri le Plan de développement haïtien et ont servi à alimenter l’intervention des deux représentants des collectivités locales lors de la conférence de New York.

La Conférence a été ouverte par les allocutions de deux membres du gouvernement français, Mme Marie-Luce PENCHARD, ministre de l’outre mer, et M. Alain JOYANDET, secrétaire d’Etat à la coopération et à la francophonie, et de M. Paul-Antoine BIEN AIMÉ, ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales de la République d’Haïti. D’une manière générale, les interventions ministérielles ont souligné que la décentralisation ne devait pas se faire contre l’Etat mais avec l’Etat, que ses enjeux dépassaient largement la conférence des donateurs

1. Résultats de la Conférence internationale des Villes et Régions du Monde pour Haïti, Radio Kis-keya, 30 mars 2010. http://radiokiskeya.com/spip.php?article6672

et que la coopération décentralisée serait indispensable à la reconstruction.

Dans son allocution, Mme Claire-Lydie PARENT, maire de Pétion-ville, a souligné la volonté des collectivités haïtiennes d’être reconnues comme des acteurs majeurs du renouveau économique et social du territoire dont elles ont la charge. Dans la phase qui a suivi le séisme, les élus ont su se mobiliser avec des moyens très faibles au service des populations, sur les territoires sinistrés et sur les territoires qui ont accueilli les personnes déplacées.

Les échanges, à travers quatre ateliers thématiques – développement urbain et aménagement du territoire, ressources humaines, f inances publiques, développement économique local - ont permis à de nombreux élus étrangers, représentants de villes ou de fédérations de collectivités engagées en Haïti, de mettre en valeur leur expérience et l’assistance technique qu’ils sont prêts à mettre à la disposition de collectivités haïtiennes. Les maires haïtiens, quant à eux, ont fait part des difficultés qui sont les leurs, à savoir : gérer tout à la fois l’urgence humanitaire, l’engagement de premières opérations de reconstruction et la planification d’un développement durable de leur territoire. Les débats ont permis aux représentants des villes et régions du monde de mettre en évidence la très grande disponibilité des collectivités étrangères et de préciser la nature de l’appui qu’ils pourront apporter à leurs homologues aussi bien en matière d’assistance technique qu’en matière d’aide à projet. Ces appuis ne sauraient toutefois

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 28

Rencontres au sommet : des conférences pour parer l’urgence et organiser la reconstruction

L

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remplacer l’allocation aux collectivités locales haïtiennes par une fraction de l’aide fournie par la communauté internationale. Les élus haïtiens souhaitent l’amélioration de leur capacité à percevoir dans la durée des ressources fiscales et parafiscales endogènes.

L’intervention de clôture de M. Charles JOSSELIN, ancien ministre de la coopération, président de Cité Unies France, a mis en exergue la forte légitimité des élus haïtiens dans la conduite du processus de reconstruction au niveau local, du fait à la fois de leur représentativité politique et de leur engagement sans faille dès le lendemain du séisme. Fort de ce constat, il a proposé que soient portées à la Conférence de New York les mesures suivantes destinées à renforcer leur capacité d’intervention : l’introduction d’une ligne de financement spécifique au bénéfice des collectivités territoriales dans le dispositif multi-bailleurs qui doit être acté par la communauté internationale (fonds fiduciaire) ; la mise en place d’une organisation et d’une procédure spécifique pour la coopération décentralisée avec les communes directement affectées par le séisme ; le renforcement de la coordination entre les collectivités locales engagées dans

le soutien à leurs homologues haïtiennes, tant au niveau global que sur des thématiques ou des géographies plus spécifiques, par la mise en place d’une plateforme de la coopération décentralisée pour Haïti. Cette coordination devrait garantir la possibilité d’initiatives individuelles des collectivités locales tout en assurant un partage optimal de l’information ; la consolidation du cadre juridique de la décentralisation en Haïti.

M. Pierre DUQUESNE, ambassadeur, chef de la mission interministérielle française pour la reconstruction d’Haïti (MIRH), a salué la qualité des travaux, qui auront permis de faire émerger des propositions susceptibles de nourrir le plan de développement haïtien en et la contribution des collectivités territoriales à la conférence de New York. La conférence des villes et régions du monde pour Haïti aura également fourni une occasion précieuse de rencontres et d’échanges sur des projets concrets entre collectivités haïtiennes et partenaires étrangers. Sur bien des thèmes elle aura fait apparaître des préoccupations communes avec les travaux intergouvernementaux en cours ainsi qu’avec les débats des autres acteurs non gouvernementaux (diasporas, secteur privé, ONG).

Sur le fond, la conférence aura fait émerger le besoin de tirer parti de la catastrophe du 12 janvier pour traduire dans les faits la décentralisation en Haïti et la déconcentration des services de l’Etat qui lui est indissociable ; la nécessité d’exploiter le savoir-faire régional détenu par les territoires de la Caraïbe dans le cadre d’un développement de la coopération décentralisée de proximité ; la capacité des élus haïtiens à faire taire leurs éventuelles divergences pour porter une vision partagée du développement national, porteuse d’espérance mais aussi d’idées concrètes telles que, par exemple, le développement des infrastructures portuaires pour mieux tirer parti de l’importante façade maritime du pays ; certains défis à relever pour mener à bien la reconstruction : maintien de l’effort dans la durée, élargissement des ressources fiscales nationales et locales, effort accru de transparence et de redevabilité, attention portée aux plus fragiles, et d’abord aux jeunes et aux personnes âgées2.

2. Conférence internationale des villes et régions du monde pour la reconstruction d’Haïti. http://www.franceonu.org/spip.php?article4359

Forum de la diaspora haîtienne (OEA, Washington). (photo : Juan Manuel Herrera - OAS/OEA)

de gauche à droite : Albert R. Ramdin (secrétaire général adjoint de l’OEA), Edwin Paraison (ministre des Haïtiens vivant à l’extérieur), Marie St. Fleur (représentante

de l’Etat du Massachusetts et représentante de la diaspora), José Miguel Insulza (secrétaire général de l’OEA).

Forum de la diaspora haïtienne

Au même moment,du 21 au 23 mars, quelque cinq cents représentants et associations de la diaspora haïtienne aux États-Unis, au Canada, en France, en République Dominicaine et dans les autres pays des Caraïbes ont participé au Forum convoqué par l’Organisation des États Américains (OEA), à Washington (USA) au siège de l’Organisation . Le but de ce forum était de promouvoir l’échange d’idées sur la reconstruction et l’avenir d’Haïti suite au séisme. Il revêt une importance toute particulière puisque la diaspora haïtienne, qui compte plus de deux millions de personnes, s’investit depuis longtemps pour Haïti à travers différents réseaux, dont le réseau associatif et celui des transferts d’argent. Ces transferts vers Haïti représentent la masse la plus importante de transfert mondial vers le pays d’origine par rapport au PIB du pays.

Parmi les participants aux travaux figurent notamment le Secrétaire général de l’OEA,

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José Miguel Insulza, le Secrétaire général adjoint de l’OEA, Albert R. Ramdin, Edwin Paraison, Ministre des Haïtiens vivant à l’étranger ; Hillary R. Clinton, Secrétaire d’État des États-Unis, par vidéo et par le biais de son Chef de cabinet, et au moins 17 organisations d’Haïtiens vivant à l’étranger et d’autres groupes sociaux, professionnels, religieux, universitaires, des organisations non gouvernementales, ainsi que du secteur privé.

Au cours de la séance d’ouverture tenue dans la Salle des Amériques au siège de l’OEA à Washington, le Secrétaire général Insulza a souligné l’urgence pour la communauté des donateurs internationaux de verser les fonds nécessaires permettant au gouvernement haïtien de fournir les services dont il est responsable et l’importance de créer une institution chargée de coordonner les efforts internationaux.

Le Forum a permis d’élaborer une stratégie de coopération établissant les points clés pour le relèvement, la reconstruction et le développement d’Haïti. En outre, la réunion s’est appuyée sur les travaux de la communauté internationale et les engagements proposés lors de la Conférence de Montréal du 25 janvier, ainsi que sur les résultats de la Réunion technique de haut niveau des pays donateurs qui a eu lieu les 16 et 17 mars en République dominicaine.

Les conclusions et recommandations ont été rendues dans un document intitulé « Contribution à un programme stratégique de reconstruction et de développement »afin d’être discutée à la conférence des donateurs et servir à alimenter le plan de reconstruction du gouvernement de René Préval. Ce compte rendu de 53 recommandations émanent des six ateliers réalisés : les besoins humanitaires urgents, l’assurance d’un processus de reconstruction transparent, le développement économique, le renforcement de la gouvernance, le développement durable et le développement social.

Respectivement, il en ressort pour chaque atelier que la diaspora1 :1. Forum de la diaspora haïtienne : contribution à un programme stratégique de reconstruction et de développement. disponible sur http://www.oas.org/fr/sre/dai/docs/HaitiFrench.pdf

- reconnaît et appuie les efforts déployés par le Gouvernement haïtien et le secteur privé pour faire face aux urgences après le tremblement de terre. Elle note avec satisfaction qu’ils ont insisté auprès de la communauté internationale pour que l’aide alimentaire soit achetée de préférence auprès des producteurs locaux et des fournisseurs nationaux pour éviter la contraction de la production nationale. Elle se réjouit également des efforts entrepris avec l’aide de la communauté internationale pour évaluer l’intégrité structurelle des habitations qui existent et pour mettre en œuvre les programmes « argent contre travail ».

- exhorte le gouvernement à accroître la responsabilité grâce à une plus grande transparence et à une surveillance accrue de tous les financements des travaux de reconstruction (publics ou privés) en créant un bureau de l’Inspecteur général. Ce bureau devra conduire des audits et des investigations pour empêcher la fraude, le gaspillage et les abus, et ses conclusions feront l’objet d’une diffusion publique.

- est prête à jouer son rôle dans la promotion de capitaux d’investissement, tels que les capitaux-risque, en faveur d’un investissement social à Haïti ; elle est prête également à offrir ses compétences diversifiées dans les domaines des marchés des capitaux, de la technologie, de l’ingénierie, de l’énergie verte, etc. Les propositions de la Diaspora pour promouvoir un développement durable s’articulent autour de deux axes principaux : une plus grande participation de la Diaspora et des recommandations sectorielles spécifiques.

- estime qu’il est impératif de reconstruire et de consolider la gouvernance démocratique.

Selon elle, la justice sociale, la primauté du droit, le respect des libertés civiles et la protection de la propriété privée sont des éléments clé pour la création d’un environnement propice à la croissance et au développement économiques.

- estime que la gestion des catastrophes naturelles devrait être une priorité à long terme de l’État. Si Haïti ne peut pas contrôler la survenue de catastrophes naturelles, il doit gérer la vulnérabilité et les risques qui en découlent.

- estime qu’il faut moderniser les lois et les règlements qui régissent l’abandon

des enfants, leur placement dans des familles d’accueil, chez des parents, les adoptions nationales et internationales. Des travailleurs sociaux spécialisés dans l’établissement de modèles pour le bien-être social des enfants et des experts juridiques de la Diaspora sont prêts à avoir des entretiens et à former des partenariats avec le ministère des Affaires sociales, notamment l’Institut du Bien-Être Social et de Recherche, pour fournir une formation et un appui technique. Les ONG qui travaillent avec des enfants devraient se faire connaître

du ministère avant d’avoir accès aux enfants ; leur travail devrait faire l’objet d’’un suivi. Concernant l’éducation, Les membres de la Diaspora dans les milieux universitaires souhaitent collaborer avec le gouvernement et le secteur privé pour offrir leurs services dans la mise en oeuvre des recommandations concernant cette dynamique.

En outre, le Secrétaire général a affirmé que la communauté internationale devait aider Haïti et son gouvernement dans tout ce qui était nécessaire. « Je saisis cette occasion pour exprimer mon soutien aux mesures visant à permettre la pleine participation du peuple haïtien et du gouvernement d’Haïti élu démocratiquement dans le processus de reconstruction. Nous exhortons la communauté des donateurs internationaux pour qu’elle aborde cette question dans les plus brefs délais, car ne pas le faire entraînera des conséquences non souhaitables. Le Gouvernement d’Haïti a besoin de notre appui afin de fournir des services comme le droit et l’ordre, l’administration publique et la protection sociale, car il est le mieux placé pour le faire, ainsi que pour préparer les programmes de reconstruction qui peuvent

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« la gestion des catastrophes naturelles devrait être une

priorité à long terme de l’État. Si Haïti ne peut pas contrôler la survenue de

catastrophes naturelles, il doit gérer la vulnérabilité

et les risques qui en découlent »

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être financés par la communauté internationale », a-t-il ajouté.

Le Secrétaire général Insulza a lancé un appel aux Nations Unies et aux principaux donateurs pour qu’ils prennent l’initiative de créer « une institution forte vouée à la reconstruction d’Haïti avec la participation des principaux donateurs, de l’OEA, des organisations régionales et des Caraïbes qui sont à même d’assurer la direction et la coordination de ces efforts ».

Pour sa part, le Secrétaire général adjoint de l’OEA, Albert Ramdin, a fait l’éloge du caractère inclusif du Forum qui rassemble les représentants de tous les secteurs de la Diaspora et leur offre

l’occasion de définir concrètement comment venir en aide à leurs concitoyens. « Si tous ces différents acteurs unissent leurs efforts, nous allons aider Haïti à se relever plus rapidement, plus efficacement et de façon plus transparente2 » a-t-il déclaré.

« Je considère ce Forum comme une manifestation d’espoir, de force et de détermination du peuple haïtien et je suis fier de l’honneur qui échoit à notre Organisation des États Américains d’appuyer vos efforts, » a conclu le Secrétaire général Insulza.2. Communiqué de presse “ La Diaspora haïtienne se réunit à l’OEA pour planifier la reconstruction d’Haïti après le séisme ”, 23 mars 2010, http://www.oas.org/OASpage/press_releases/press_release.asp?sCodigo=E-083/10

Conférence internationale des donateurs pour un nouvel Haïti

Tenue le 31 mars à New York au siège des Nations Unies, la conférence des donateurs a été un événement charnière après le séisme. Elle a permis, outre le constat de l’aide déjà réalisée depuis le 12 janvier, de poser les bases décisionnelles, i n s t i t u t i o n e l l e s , financières et actives de la reconstruction d’Haïti. L’ensemble des participants - délégations de 150 pays et organismes i n t e r n a t i o n a u x , représentants de la société civile haïtienne, organisations non gouver nementales , gouvernements locaux, diaspora haïtienne et secteur privé - s’est rencontrés au préalable afin de présenter un plan d’action.

La conférence a démontré l’importance de l’engagement international déployé en faveur d’Haïti en récoltant un total de 9 milliards de dollars dont 5 milliards pour 2010 et 2011. Cette aide doit permettre d’appuyer le vision et le plan d’action présenté par le gouvernement haïtien, qui vise, entre autres, à renforcer l’autorité de l’Etat, l’efficacité des gouvernements et des institutions locales et nationales. Les participants ont affirmé l’importance des financements à court terme qui doivent se focaliser sur la protection des plus vulnérables, la gestion des services

sociaux essentiels et la poursuite des programmes liés à la santé, à l’éducation et à la protection sociale.

La conférence a également permis de mettre en avant six principes : l’appropriation,

la coordination, l’efficacité, l’inclusion, la responsabilité et la trasparence, et la durabilité.

Par appropriation les participants entendent « l’alignement de leur aide sur les priorités du gouvernement d’Haîti et l’implication du peuple haïtien dans l’élaboration et la mise en oeuvre des projets et programmes ». Par ailleurs, ils ont accueilli favorablement la création par le gouvernement Préval, d’une Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH).

Les acteurs ont convenu de renforcer leur coordination en se consultant régulièrement, notamment par le biais de la CIRH et la création d’un fonds de reconstruction dont la Banque mondiale serait l’agent fiscal. Cela doit permettre de canaliser les ressources de

manière plus efficace et d’améliorer la coordination.

En terme d’efficacité, il est apparu de façon unanime que le travail doit être mené ensemble. l’adhésion aux principes des bonnes pratiques humanitaires et les leçons du passé en sont, selon les organisateurs, les principaux garants.

L’ensemble des parties prenantes à la reconstruction - le peuple haïtien, la société civile, les ONG, les g o u v e r n e m e n t s , la diaspora, la

MINUSTAH et la CARICOM - ont tous des compétences, des ressources et des perspectives distinctes qui leur confère un rôle particulier. C’est pourquoi les conférenciers souhaitent que chacune d’entre elle soit inclue dans le processus et puisse contribuer de façon active aux efforts mis en oeuvre.

L’importance des dons surpasse les attentes les plus optimistes. Cette réponse responsabilise d’autant plus le gouvernement d’Haïti et les participants et les obligent à

Conférence des donateurs le 31 mars au siège de l’ONU à New York (Photo Afriscoop)

de gauche à droite : Hilary Clinton, Ban Ki Moon (secrétaire général de l’ONU), René Préval (président d’Haïti) et Bill Clinton (coprésident de la

CIRH)

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faire preuve d’une transparence maximale. Un système de suivi en ligne doit être mise en place pour rendre compte de la fourniture de l’aide, en insistant sur les performances et les résultats des actions menées. La CIRH et l’Autorité de déveleppement haïtienne (ADH), qui la remplacera, seront quant à elles dotées d’une unité spéciale chargée des questions de suivi et d’une obligation de compte auprès du peuple haïtien et du public international.

Enfin, la communauté internationale, si elle envisage l’avenir d’Haïti avec espoir, estime que son appui ne sera pas de courte durée. Par conséquent, elle a réitéré son soutien « jusqu’à ce qu’Haïti réussise à mener à son terme l’effort de reconstruction », et précisé qu’elle se réunirait de façon bi-annuelle pour traiter les questions du suivi, des promesses de dons et de la collaboration.

Des promesses et des déclarations de bonnes intentions

mises en doute

Entre les réunions préparatoires à la conférence des donateurs, point d’orgue de la machine de reconstruction d’Haïti, les promesses de dons et les principes actés, plusieurs organisations internationales et hatiennes dénoncent un manque d’action et un discours politique émoussé.

Deux Françaises, Sandrine Chopin et Bénédicte Hermelin (Coordination SUD) participaient aux journées de préparation et à la Conférence des donateurs pour les ONG. Outre leur rapport de mission, elles ont fait une restitution publique de cette mission, le 14 avril. Elles ont constaté que le groupe des organisations communautaires haïtiennes s’était effectivement réuni à Port-au-Prince, le 19 mars, mais qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une concertation entre représentants de la société civile. Le Bureau de l’envoyé spécial des Nations Unies, Bill Clinton, n’avait travaillé qu’avec deux organisations haïtiennes,

Zanmi Lasante et Koz Pèp, ainsi qu’avec ATD Quart Monde. Les ONG haïtiennes et européennes, notamment françaises, ont donc fortement critiqué la forme adoptée pour cette pseudo-consultation de la société civile haïtienne, et la non transparence du procédé.

Concernant la consultation de la communauté internationale des ONG sur la reconstruction d’Haïti, plusieurs réunions préparatoires régionales ou continentales avaient eu lieu à Bruxelles et à Washington. Lors de la consultation internationale des ONG, co-organisée par l’Union Européenne, Inter-Action et le Bureau de l’envoyé spécial des Nations Unies

pour Haïti, le 25 mars à New York, aucun membre du gouvernement haïtien n’était présent. Trois ONG haïtiennes (le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés – GARR – Haïti Response Coalition et la Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains – POHDH) ont critiqué l’absence de concertation du plan du gouvernement. L’envoyé spécial, Bill Clinton, a clôturé la rencontre sans parler de la reconstruction mais en invitant les ONG à répondre à l’urgence.

Durant la conférence de New York, il n’a pas non été mentionné comment seront distribués les dons entre les différents acteurs, notamment le gouvernement haïtien, les organisations internationales et haïtiennes. Ces dernières craignent de ne pas être impliquées à la hauteur de leur capacités

dans le processus, que la population soit sous l’emprise internationale et que la gestion des fonds par le gouvernement ne soit pas aussi transparente que promis.

En juillet, six mois après la catastrophe, Les différentes organisations de défense des droits humains en Haïti dénonçaient l’augmentation de la violence dans la capitale et dans les camps, la lenteur du processus de mise en place de la CIRH, l’absence du mouvement associatif haïtien en son sein et leurs difficultés de participer aux clusters - réunions des acteurs par thématiques d’action - hebdomadaires sur la base de l’ONU.

Cette mise en place tardive s’explique en partie par l’absence de réalisations des dons. Début juillet, seul le Brésil, la Norvège et le Vénézuela avaient versé leur contribution au fonds de reconstruction. Bill Clinton, coprésident de la commission et envoyé spécial des Nations Unies en Haîti, quant à lui, pouvait difficilement travailler, puisqu’il soutenait par sa présence l’équipe de football des Etats-Unis en Afrique du Sud !

Le gouvernement d’Haïti, n’est pas non plus épargné, puisque nombre d’associations nationales dénoncent l’empressement et l’intérêt porté à la campagne électorale pour les élections du 28 novembre, au détriment d’actions et de réalisations concrètes pour enrayer la situation d’urgence qui règne encore à Port-au-Prince et ses environs.

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Selon Elisabeth Byrs, porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), c’est « la pire crise que les Nations Unies ait dû vivre jusqu’ici ». Présente en Haïti depuis 1993, l’ONU a vu son mandat évoluer au gré des situations du pays1. La dernière force internationale, active depuis 2004, est la Mission des Nations Unies pour la stabilité en Haïti (MINUSTAH). 47 pays y participent. Son mandat concerne le dialogue politique et les élections, le renforcement des capacités de l’Etat, le maintien de la sécurité publique, la réforme de

1. Voir Encadré “ L’ONU en Haïti ”

Vue aérienne du siège des Nations Unies à Port-au-Prince, Haiti (UN Photo/Logan Abassi)

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Haïti : jeu d’acteurs et autres curiosités

Les Nations Unies et la Commission intérimaire pour la reconstruction

endant les six mois écoulés, de nombreuses associations, ONG et institutions internationales ont, avec leurs moyens propres, tenté de diminuer les souffrances des haïtiens touchés par le séisme, en apportant soins, aide alimentaire, abris provisoires et accès à l’eau potable. A partir d’avril beaucoup

d’élèves ont pu reprendre la classe sous des hangars, des tentes ou des espaces aménagés.

Mais sept mois après, l’action humanitaire fait face à certains défis, notamment la sécurité physique et alimentaire, à l’approche de la saison cyclonique, de plus d’un million de personnes hébergées dans des camps de fortune et la lenteur du déblocage de l’aide internationale. Sur les deux milliards de dollars américains promis pour 2010, 700 millions seulement ont été alloués et 260 déboursés. Enfin, en dépit des opérations menées dès le lendemain de la catastrophe, les débris laissés par le séisme continuent de constituer un obstacle majeur. A Port-au-Prince. 250 000 mètres cubes de débris ont été enlevé sur deux millions. Actuellement, les autorités seraient partagées entre la décision de laisser la population déblayer elle-même les sites, pour récupérer ensuite

les débris empilés, ou engager des équipements pour déblayer en priorité les zones qualifiées « rouge », c’est-à dire à détruire et à reconstruire.

Pour les personnes vivant sous tente dans des conditions difficiles : sanitaires problématiques, services de bases limités, insécurité – notamment pour les femmes, dénonce le Service jésuite aux réfugiés et migrants (SJRM) - sans parler des camps non officiels ignorés par les organisations humanitaires, il n’y a pas de réponse concrète et pertinente. et pas de politique de « sécurité sociale » pour les millions de personnes déplacées. Pas non plus pour ceux qui ont été accueillis avec solidarité dans les régions rurales, ni pour les accueillants qui, sans aide, partagent logement et ressources qui faisaient déjà défaut avant la catastrophe. Pas de signe concret d’un relèvement national et d’une mise en place planifiée des changements fondamentaux indispensables. Néanmoins, chacun agit pour le mieux, avec comme finalité la réhabilitation de la nation haïtienne. Retour sur ces nombreux acteurs et leurs actions qui cachent souvent des réactions inversement proportionnelles...

P

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l’Etat de droit et les droits de l’homme. Aujourd’hui, cela revient à reconstruire le squelette de l’Etat haïtien, alors que cet appui était, à l’origine, destiné à soutenir une évolution et des réformes. Mais la situation actuelle est telle que la MINUSTAH est surtout présente en appui aux ONG, à la police, et au maintien de l’ordre au milieu du chaos ambiant des camps de réfugiés et des zones les plus sinistrées.

Selon des études menées par les Nations Unies, le déploiement de forces sous l’étendard de cette organisation supra nationale serait le moins coûteux, le plus efficace et la seconde capacité de mobilisation. Le budget des opérations de maintien de la paix atteignait sept milliards de dollars pour 2007-2008, soit 0.5 % des dépenses militaires mondiales d’un montant de 1 232 milliards en 20062. Elles auraient permis, en 63 interventions, à 45 pays de réaliser des élections démocratiques, de désarmer 400 000 combattants et d’amener ces pays sur la voie de la stabilité durable plus qu’aucune autre armée nationale, dont seule celle des Etats-Unis a la capacité de déployer plus de soldats.

Cependant, cette force unique ne peut pas, à elle seule, apporter le soutien nécessaire à Haïti. Elle est donc appuyée par un système onusien composé de six agences ou programmes : le Programme alimentaire mondial (PAM), l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Organisation des Nations Unies pour la culture, le science et l’éducation (UNESCO), et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Actifs depuis de nombreuses années en Haïti - 1963 pour le PAM - l’ensemble de ces agences ainsi que les ONG qui oeuvrent pour réguler la crise humanitaire sont coordonnées par l’OCHA, le Bureau de coordination des affaires humanitaires.

La Commission Intérimaire pour la reconstruction d’Haïti

La CIRH, dont la création a été approuvée fin mars lors de la conférence des donateurs de New York, a été enterrinée le 21 avril suite à une déclaration du président Haïtien René Préval. Composée de 26 membres, elle est co-présidée par le premier ministre haïtien Jean-Max Bellerive et le représentant de l’ONU en Haïti, Bill Clinton. Sa mission est d’assurer la coordination et le déploiement efficaces des ressources et de répondre aux préoccupations relatives à la responsabilisation et à la transparence afin de maximiser les appuis fournis par les bailleurs de fonds internationaux.

Son mandat, d’une durée de 18 mois, relatif au prolongement de l’Etat d’urgence voté par le parlement haïtien le 16 avril, consiste à mettre en oeuvre le Plan de Développement pour Haïti soumis par le gouvernement. Elle donne son approbation à des propositions de projets évalués en fonction de leur conformité et de leur coordination avec ce plan. À la fin de son mandat,

2. Note d’information, Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, février 2008. http://minustah.org/pdfs/fact_sheet/factsheet_FRA.pdf

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La MINUSTAH

2004 : un conflit armé a éclaté dans la ville des Gonaïves et les combats ont touché quelques jours plus tard d’autres villes. Les insurgés ont progressivement pris le contrôle d’une grande partie du nord du pays. M. Aristide a quitté le pays. le Représentant permanent d’Haïti auprès de l’Organisation des Nations Unies a présenté la demande d’assistance du Président intérimaire, par laquelle l’autorisation était donnée aux contingents internationaux d’entrer en Haïti.

Afin de parvenir à un large consensus politique, un pacte politique dénommé le « Consensus de transition politique » a été signé par le Premier Ministre, au nom du Gouvernement de transition, les membres du Conseil des sages, les représentants des groupes politiques et les organisations de la société civile. Les signataires sont parvenus à un accord général sur la transition politique, qui sera caractérisée par la tenue des élections municipales, parlementaires et présidentielles en 2005 et prendra fin avec l’installation du nouveau président élu.

Début 2005, la plupart des acteurs politiques semblent être favorables à l’instauration d’un dialogue national et à l’organisation d’élections conformément au calendrier proposé par le Conseil électoral provisoire. Le Gouvernement de transition a continué à défendre le pacte intitulé « Consensus de transition politique », qui a été signé le 4 avril 2004.

En été 2005, le gouvernement de transition a continué d’être en butte à de graves difficultés dans des domaines essentiels, tels que la sécurité, les droits de l’homme et les conditions de vie, ainsi qu’aux critiques de divers secteurs de la société. Les tensions politiques et les problèmes de sécurité ont atteint leur paroxysme lorsque le journaliste et poète de renom, Jacques Roche, a été retrouvé assassiné le 14 juillet, quatre jours après son enlèvement.

Début 2006, l’événement le plus marquant a été la tenue des élections nationales libres et régulières, qui ont abouti à la constitution d’un parlement largement représentatif et d’un gouvernement multipartite à l’issue de consultations générales. 45 partis politiques et 33 candidats présidentiels étaient en liste et plus de 60% des électeurs inscrits ont participé à l’élection présidentielle et au premier tour des législatives le 7 février 2006. M. René Préval est devenu Président de la République d’Haïti le 14 mai. Dans son discours d’investiture, il a demandé qu’il soit fait place au dialogue pour apporter la stabilité dans le pays. Le 30 mai, le président a nommé Jacques Edouard Alexis au poste de Premier Ministre.

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Composition de la CIRH

Les membres de la CIRH ayant droit de vote sont les suivants :

- Deux co-présidents

- Trois représentants du Gouvernement haïtien, à savoir deux personnes nommées respectivement par le pouvoir exécutif, le judiciaire et les autorités locales

- Un représentant nommé par le Senat, le choix se faisant sur une liste soumise par les partis politiques y étant représentés

- Un représentant nommé par la Chambre des Deputés, le choix se faisant sur une liste soumise par les partis politiques représentés

- Un représentant nommé par les syndicats et un représentant nommé par le monde des affaires

- Un représentant de chacun des principaux bailleurs de fonds ayant choisi de siéger au Conseil et ayant offert pour la reconstruction d’Haïti une contribution d’au moins 100 millions de dollars au titre de dons sur une période de deux ans ou d’au moins 200 millions au titre d’allègement de la dette (à ce jour, cette liste de donateurs comprend : Canada, Brésil, Union européenne, France, États-Unis, Venezuela, BID, Nations Unies, Banque mondiale)

- Un représentant de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et un seul représentant, sur la base d’un roulement, des autres pays bailleurs de fonds.

La Commission inclura les membres suivants, n’ayant pas droit de vote :

- Un représentant de l’Organisation des États américains (OEA) - Un représentant de la communauté des ONG haïtiennes - Un représentant de la Diaspora haïtienne

Pour être exécutoires, les décisions de la CIRH doivent être confirmées par le Président de la République.

Le Secrétariat de la CIRH

Il comporte des services de planification, de communications et de gestion de projets, une équipe de conseillers sectoriels et des bureaux attribués au secteur privé et aux ONG.

Ce secrétariat est composé d’experts d’Haïti, de la Diaspora haïtienne, et de personnes détachées par les principales institutions financières internationales et les bailleurs de fonds. Les modalités de fonctionnement seront définies ultérieurement et soumises pour approbation au Conseil.

les fonctions de la CIRH seront transférées à la Régie pour le Développement d’Haïti (RDH), laquelle aura pour tâche d’assurer la planification et la coordination à long terme requises pour la mise au point et la validation des stratégies de reconstruction, la préparation et l’évaluation desprojets proposés aux fins de financement et de mise en oeuvre, ainsi que la coordination et le suivi de l’aide globale. Les missions, les attributions ainsi que la durée du mandat de la RDH seront établies par la loi.

Les attributions de la CIRH seront exercées dans le cadre de l’état d’urgence. Elle dispose, en conséquence, des pouvoirs

nécessaires en vue d’exercer efficacement sa mission.

Le principe de la CIRH se base sur l’exercice d’une commission équivalente suite au tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud-Est en 2004. Si elle est accueillie positivement, certains déplorent néanmoins quelques limites. Promulgué en avril, la commission a tenu sa première réunion seulement le 17 juin, et les dons promis n’ont, en date de juillet, été honoré que par le Brésil, la Norvège et le Venezuela.

En parallèle de la CIRH, un fonds fiduciaire multi-donateurs (FFMD) a été créé afin

d’harmoniser les programmes nécessitant des financements avec les fonds disponibles.

Malgré tout, Six mois après le séisme, les organisations pour les droits humains et les médias haïtiens s’indignent de la situation d’urgence qui règnent encore en Haïti et le manque de coordination des structures de l’aide. La longue mise en place de la CIRH et l’attente des financements y sont pour beaucoup, mais pas seules en cause : La loi sur l’état d’urgence inquiète les associations haïtiennes, par le fait qu’elle permet au gouvernement en place d’avoir la main mise sur les élections à venir, mais aussi car les haïtiens, élus locaux et représentants civils

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Les Etats-Unis

Peu après le séisme, l’axe Canada - Etats-Unis - Brésil est apparu comme une évidence. Le Canada car c’est la deuxième nation accueillant le plus d’Haïtiens, le Brésil car c’est le pays le plus important et le plus prospère économiquement d’Amérique du Sud. Quant aux Etats-Unis, leur leadership mondial mis à part, ils sont surtout la nation médiane de cet axe, la première en terme d’accueil de la diaspora et surtout celle qui a le plus de poids et de moyens. Au point même de faire capituler Cuba concernant l’embargo. Les détracteurs des Etats-Unis, de part le monde y vont d’ailleurs avec plaisir sur les origines du séisme. Mais si les uns comme les autres apportent leur aide, l’oncle Sam reste seulen tête en capacité d’action rapide si l’on occulte la force de l’ONU....

Les Etats tiers

Après la catastrophe du 12 janvier, la mobilisation des Etats a été rapide et la plus importante de l’histoire. Des Amériques à l’Europe, en passant par l’Afrique, nous avons tenté de détailler l’aide des uns et des autres... La Chine et l’ensemble des pays d’Asie sont absents de notre dossier, non parce que leur aide n’a pas été importante, mais parce qu’elle a plus été représentée par un apport aux Nations-Unies - MINUSTAH et agences - plus que par une aide mobilisant des moyens humains et financiers civils comme étatiques.

sont en minorité face au décideurs mis en place. Quant à la présence armée, des forces de l’ONU comme des autres forces militaires en présence, les avis sont partagés . Si certains reconnaissent que le rôle de la MINUSTAH reste indispensable comme force d’appui à la police nationale et comme présence dissuasive contre le crime organisé, d’autres, en revanche, estiment que le pays n’est pas en situation de conflit. Un ministre a d’ailleurs confier : « ce n’est pas de militaires dont nous avons besoin, mais des policiers pour assurer la sécurité publique ; ce n’est pas des tanks que nous voulons mais des grues, des tracteurs et des motoculteurs ». Tous souhaiterais donc que la mission de stabilisation d’Haïti se concentre sur les problèmes sociaux et la reconstruction réelle plutôt que sur la sécurité.

Annonce des fonctions et de la composition de la CIRH par les co-présidents (de gauche à droite) M. Bill CLINTON, envoyé spécial des Nations Unies pour Haïti, M. Jean Max BELLERIVE, premier ministre

d’Haïti

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Bill Clinton, Barack Obama et George W. Bush réunis pour l’annonce de l’aide américaine et la fondation Clinton-Bush, Washington, le 18 janvier

(photo AP Image)

Cuba a exceptionnellement ouvert son espace aérien aux Etats-Unis pour évacuer les victimes du séisme

Depuis la rupture des relations diplomatiques entre Washington et La Havane, en 1961, aucun avion américain n’était autorisé à entrer dans l’espace aérien cubain. Raul Castro vient de lever cette interdiction, temporairement et pour un motif bien précis : seuls les appareils chargés d’évacuer vers la Floride des victimes du tremblement de terre haïtien seront autorisés à survoler l’île communiste.

Durant les premiers jours de l’urgence, les Etats-Unis ont transféré vers leur base militaire de Guantanamo les personnes les plus gravement blessées. Car Guantanamo n’est pas qu’une prison de haute sécurité pour terroristes présumés, c’est aussi un hôpital d’urgence, utilisé en cas de catastrophe naturelle.

Le feu vert cubain a permis de réduire de 30 minutes le vol entre la base américaine, située à Cuba, et Miami, en Floride. Cette coopération exceptionnelle entre les deux pays ouvre la voie à la mise en place d’un pont aérien médical entre Haïti et les Etats-Unis, via Guantanamo.

D’un accord, très limité, sur l’espace aérien, à la levée de l’embargo américain sur Cuba, il y a encore un océan. Mais cette initiative contribue à la diplomatie des «petits pas» initiée par Barack Obama depuis son arrivée à la Maison Blanche.

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Difficile de faire un état des lieux de l’aide américaine. Parce que les Etats-Unis sont présents sur tous les fronts. Nation ayant le plus de poids à l’ONU d’une part, nation débloquant le plus de fonds de l’autre, et nation la plus présente dans l’ensemble des rapports entre Haïti et un pays tiers pour finir. mais si les chiffres qui suivent parlent d’eux mêmes, les Haïtiens, et et les dirigeants de certains pays dénoncent la mise sous tutelle et l’occupation stratégique du pays pars les Etats-Unis.

Le gouvernement des États-Unis a mobilisé des ressources humaines et matérielles pour contribuer aux efforts de secours. Sur les instructions du président Obama, il s’agit d’une mobilisation de tous les services gouvernementaux sous la direction de l’USAID qui mène une opération rapide, énergique et coordonnée. Les forces militaires jouent un rôle indispensable d’appui à cette opération humanitaire, notamment afin de rendre possible la chaîne logistique et la distribution d’une aide vitale. Les secouristes travaillent jour et nuit à livrer toujours plus d’aide, plus vite et plus efficacement à plus de sinistrés.

Coordination internationale

À la demande du gouvernement haïtien, les États-Unis continuent à coordonner leurs secours à Haïti avec les Nations unies et avec la communauté internationale. Cette coordination qui intéresse une bonne trentaine de pays et des centaines d’ONG vise à la distribution de vivres et d’eau dans tout le pays

Le 21 janvier en début de journée, la secrétaire d’État Hillary Clinton s’est entretenue à Washington de la situation en Haïti avec le ministre britannique des affaires étrangères David Miliband et avec la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton. Mme Clinton a souligné l’importance vitale du partenariat en cours à Haïti, où les États-Unis et des pays de l’Union européenne travaillent côte-à-côte aux opérations de secours et de sauvetage, ainsi que la nécessité d’une « action internationale coordonnée et intégrée en faveur de la reconstruction et du rétablissement de la prospérité et des chances de progrès en Haïti ».Aux Nations unies, le représentant permanent adjoint des États-Unis Alejandro Wolff a attiré l’attention des médias sur le caractère largement international des opérations de secours d’urgence en Haïti. Au cours de cette conférence de presse qui précédait un nouvel appel international aux dons en urgence, M. Wolff était accompagné du sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires John Holmes et des représentants d’Haïti, du Brésil, du Canada, de la France et de l’Uruguay.

Santé et aide médicale

Le navire-hôpital USNS Comfort a accueilli des patients venus d’hôpitaux et d’installations médicales internationales sur place en Haïti. Avec ses 850 membres d’équipage, ses près de 1 000 lits d’hôpital et ses 11 salles d’opération, il offre toute la gamme des services médicaux. Dix jours après le séisme, plus de 7 000 patients avaient été soignés par les 5 équipes d’aide aux soins médicaux d’urgence (DMAT) détachées du ministère de la santé et des services sociaux et par 1’équipe chirurgicale internationale en Haïti (toutes financées par l’USAID/OFDA). Ces équipes ont soigné 2 169 patients durant la seule journée du 20 janvier.

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Aéroports et ports maritimes

Dès le 12 janvier, l’armée de l’air américaine a pris le contrôle de l’aéroport de Port-au-Prince à la demande du gouvernement haïtien. Le département d’État continue de coordonner l’arrivée de l’aide et du personnel en coopération étroite avec les partenaires internationaux et les ONG. Il s’agit d’un dispositif consultatif organisé avec les autorités haïtiennes et l’ONU en vue d’assurer, outre le trafic militaire et civil américain, l’arrivée de douzaines de vols d’autres pays. Le PAM y a notamment installé une cellule de coordination chargée d’aider à établir les priorités des vols et à contrôler le mouvement de l’aide humanitaire de l’aéroport jusqu’aux zones en Haïti qui en ont le plus besoin

Le port maritime de Port-au-Prince commence à recevoir des navires. Il fonctionne à 30 % de sa capacité normale. Le port de Jacmel, au sud-ouest de Port-au-Prince, est actuellement capable d’accueillir de jour certains bateaux. Des équipes de plongeurs de l’armée de terre et de la marine des États-Unis, accompagnées d’équipes spécialisées dans les travaux de construction sous-marine, continuent d’examiner les dégâts structurels que le séisme a provoqués dans le port.

Sécurité

Au 21 janvier, quelque 13 000 militaires dont 10 000 embarqués et 3000 au sol participaient à l’opération d’aide d’urgence.En coordination avec l’USAID, l’Équipe militaire d’assistance en matière d’information (MIST) a distribuée 43 800 radios ainsi 60 000 autocollants précisant les fréquences et 60 000 brochures expliquant le mode d’utilisation des radios. Cette initiative de distribution des radios s’inscrit dans le cadre de l’effort général visant à informer le peuple haïtien grâce à l’émission d’avis au public FM/AM par la Voix de l’Amérique et CJTF Haïti.

Évacuation et sauvetage

Le nombre total de personnes évacuées d’Haïti par les États-Unis se monte à environ 10 500, dont 8 300 ressortissants américains. L’USAID a consacré plus de 36 millions de dollars au déploiement des équipes

américaines de recherche et de sauvetage en Haïti (6).

Eau et nourriture

Dans les premières semaines, il était prévut la livraison aérienne de 14 000 bouteilles d’eau et de 14 500 rations quotidiennes et plats prêts à consommer. a distribué Plus de 400 000 plats prêts à consommer et rations quotidiennes et plus de 600 000 bouteilles d’eau auraient été acheminés. L’USS Carl Vinson a produit près de 380 000 litres d’eau par jour. Des citernes sont en cours d’installation dans chaque zone de la ville et la population peut maintenant trouver de l’eau potable sur 45 sites de distribution. Enfin, l’USAID a livré 9 unités de purification de l’eau destinées à produire 900 000 litres d’eau potable au bénéfice de 90 000 personnes par jour.

Adoptions et orphelins

La secrétaire d’État Hillary Clinton a annoncé que le département d’État avait créé un groupe de travail en association avec les ministères de la sécurité intérieure et de la santé et des services sociaux. Il est Chargé de s’occuper des orphelins et des mineurs non accompagnés, d’assouplir le processus d’adoption pour faire en sorte que ces familles soient réunies aussi rapidement que possible. Hilary Clinton a ajouté qu’il « veille à ce que des protections adéquates soient en place afin de protéger les enfants qui se trouvent sous notre garde ». Un groupe de travail interministériel a été créé pour concentrer ses efforts sur les besoins humanitaires des enfants les plus vulnérables. En outre, le gouvernement Obama collabore avec les nombreux membres du Congrès.

Lundi 18 janvier, la ministre de la sécurité intérieure Janet Napolitano avait annoncé une « mesure d’exception humanitaire » en faveur de certains orphelins haïtiens. « Nous sommes entièrement acquis au principe de la réunification des familles et nous devons veiller avec la plus grande vigilance à ne pas séparer les enfants de leurs proches qui sont encore vivants mais déplacés en Haïti, ainsi qu’à éviter d’aider sans le savoir des criminels qui se livrent à la traite des enfants en profitant de la situation désespérée du pays. Pour ce faire, nous décourageons fermement l’emploi d’avions privés aux fins

de l’évacuation d’orphelins. Tous les vols doivent être convenablement coordonnés avec les autorités haïtiennes et américaines afin d’obtenir les autorisations nécessaires avant leur arrivée aux États-Unis », a t-elle précisé.

Aide humanitaire

Au 20 janvier, l’USAID avait versé 90 millions de dollars en faveur de l’appel international de l’ONU, dont 22 millions de dollars au titre de l’aide non alimentaire et 68 millions de dollars au titre de l’aide alimentaire. En outre, une somme supplémentaire de 73,9 millions de dollars en aide bilatérale au titre des opérations de recherche et de sauvetage et d’autres formes d’assistance avait été engagée au 20 janvier, portant l’aide totale de l’USAID à Haïti à près de 165 millions de dollars. Au cours de la conférence des donateurs du 31 mars, la secrétaire d’Etat américaine a annoncé une contribution de 1,15 milliard de dollars, le président haïtien René Préval ayant fixé à 3,8 milliards de dollars le montant dont Haïti aurait besoin dans les 18 prochains mois pour démarrer sa reconstruction.

Accusation d’occupation, polémiques et élucubrations

Le Venezuela, la Bolivie et une partie de la population haïtienne ont violemment critiqué le déploiement militaire des Etats-Unis en Haïti, où 13 000 soldats américains ont été déployés. L’»empire» américain «s’empare d’Haïti sur les cadavres et les larmes de son peuple», a accusé le président socialiste vénézuélien Hugo Chavez. « Ils ont commencé par l’aéroport », a affirmé le chef de file de la gauche radicale latino-américaine, ajoutant : « si vous voulez pénétrer dans les ruines du palais présidentiel d’Haïti, là se trouvent les Marines des Etats-Unis » car des soldats américains avaient pris position près du palais présidentiel dans le cadre de leurs opérations d’aide aux victimes.

«Ils se sont emparés d’Haïti de façon éhontée, sans consulter l’ONU ni l’OEA (Organisation des Etats américains)», a-t-il ajouté.

Le président bolivien, Evo Morales, s’est joint aux critiques et a assuré avoir demandé à l’ONU une « réunion d’urgence pour

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rejeter » la présence américaine qu’il a qualifiée d’» occupation militaire » dans une déclaration. « Il n’est pas possible que les Etats-Unis utilisent une catastrophe naturelle pour envahir et occuper militairement Haïti », a-t-il ajouté.

La population haïtienne dénonce également ce déploiement massif de militaires. Un ministre du gouvernement diant que « ce n’est pas des chars dont nous avons besoin mais des médecins ».

Et la polémique d’enfler encore à travers la diplomatie française en la personne d’Alain Joyandet : « le rôle des Etats-Unis, qui assument de facto la la coordination des secours en Haïti et contrôlent l’aéroport de Port-au-Prince, doit être précisé par l’ONU », a estimé, lundi 18 janvier, le secrétaire d’Etat français à la coopération. “ L’ONU est en train de travailler. J’espère que nous aurons une décision. J’espère que les choses seront précisées quant au rôle des Etats-Unis”, a déclaré le ministre sur Europe 1 , au retour d’un déplacement en Haïti. “Il s’agit d’aider d’Haïti, il ne s’agit pas d’occuper Haïti, il s’agit de faire en sorte qu’Haïti puisse reprendre vie”, a-t-il ajouté.

Le secrétaire d’Etat français a confirmé qu’il avait dû intervenir personnellement auprès des Américains, samedi à Port-au-Prince, pour obtenir l’autorisation d’atterrir pour un avion d’aide français. Sur place, Alain Joyandet avait alors indiqué avoir élevé une protestation officielle auprès des Etats-Unis. Mais à Paris, le ministère des affaires étrangères avait assuré qu’il n’en était rien et que la coordination franco-américaine s’effectuait “de la meilleure façon possible” sur le terrain. Ces réactions réveilleraient-elles la blessure qu’est Haïti pour la France, vexée de perdre une seconde fois la mainmise de ce pays qui promet de juteux contrats, ou faut-il y voir, comme certains pays d’Amérique latine, un rejet des politiques américaines qui les ont desservies par le passé ? Peu importe sans doute., l’important étant que l’aide soit la plus rapide et la plus impactante possible pour les victimes.

Toujours est-il que les Etats-Unis provoquent à chaque fois des réactions virulentes. Dans le cas du séisme, ces réactions vont jusqu’à la théorie du complot. Selon Russia Today, le président du Venezuela, Hugo Chávez Frías,

a évoqué la possibilité que les Etats-Unis aient provoqué la série de tremblement de terre de janvier aux Caraïbes, dont celui qui a dévasté Haïti. Selon VivéTv (Vénézuela) ce sont les armées russes qui ont évoqué cette éventualité. Chacun se renvoie la balle de cette élucubration purement anti américaine, la chaine sud américaine évoque même un rapport de la flotte russe du Nord qui indiquerait que le séisme qui a dévasté Haïti est clairement « le résultat d’un essai par l’US Navy de son arme sismique ».

La France

Le 31 mars 2010, M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes a participé à la « conférence internationale des donateurs pour un nouvel avenir en Haïti » au cours de laquelle il a annoncé que l’aide française s’élèverait à 180 millions d’euros pour 2010-2011. A cette somme s’ajoute l’annulation de la dette bilatérale d’un montant de 56 millions d’euros ainsi que les contributions directes de la France à l’aide européenne et multilatérale. Ainsi, le montant total de l’aide française sur deux ans s’élève à 326 millions d’euros.

Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, s’est rendu en Haïti le 17 février 2010. Au cours de sa visite, il a annoncé à titre bilatéral le versement sur deux ans d’une enveloppe d’aide.

La France contribue au personnel de la MINUSTAH : à la fin avril 2010, la France fournissait un contingent de 195 policiers et gendarmes participant à la réorganisation de la police nationale haïtienne.

Réponse de la France dans le mois qui a suivi le tremblement de terre :

Evacuations et rapatriements

Du 13 janvier au 18 février, cinq rotations aériennes quotidiennes entre Haïti et les Antilles françaises ont permis d’évacuer 3.007 personnes, dont 1.311 Français, 1.217 Haïtiens, 50 Européens, 57 ressortissants de nationalités tierces et 372 enfants adoptés. Plus de 150 accueils ont été organisés par les services français dans les aéroports des Antilles françaises et de métropole. 29 décès et 4 disparitions de Français sont à déplorer.

La phase de première urgence

La mobilisation de la France a été immédiate. La première équipe de secours international venait des Antilles françaises et est arrivée le 13 janvier à 12h35 (heure locale). Onze avions affrétés par le Ministère des Affaires étrangères et européennes, trois à cinq rotations aériennes entre les Antilles françaises et Haïti (avions militaires et DASH 8 de la Sécurité Civile) et l’engagement de deux bâtiments de la Marine Nationale les 19 et 24 janvier ont permis de déployer sur zone jusqu’à 1.173 personnels français et près de 2.000 tonnes de matériel humanitaire. Ce matériel comprenait notamment 1.500 tentes, 500 couvertures, 200 bâches, 14 groupes électrogènes.

La phase de sauvetage des populations mise en œuvre dès le 13 janvier par près de 250 sauveteurs de la Sécurité Civile s’est achevée le 22 janvier. Travaillant sur 19 chantiers, les sauveteurs français ont extrait 16 survivants des décombres.

L’assistance médicale aux populations haïtiennes a débuté le 13 janvier. Elle est montée en puissance le 18 janvier avec la mise en place d’un hôpital de campagne de la Sécurité Civile (70 personnels médicaux), complétée par quatre détachements médicaux d’appui (soit 48 équipes). Au total, les 160 personnels médicaux, incluant des effectifs venus des SAMU, ont permis de réaliser plus de 17.000 consultations, 2.550 hospitalisations et 1.300 interventions chirurgicales. Cette phase s’est achevée le 22 février avec le repli de l’hôpital de campagne.

Quatre unités de production d’eau ont été installées du 16 janvier au 17 février pour répondre aux besoins de 40.000 personnes. Elles ont permis de distribuer 689.000 litres d’eau.

De l’urgence à la reconstruction

Le désengagement complet du dispositif de secours français a été programmé pour la fin février.

Dans cette deuxième phase, plusieurs opérations d’acheminement d’aide humanitaire ont été effectuées par les moyens français, qui ont également participé à la construction de plusieurs villages de

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tentes à Port-au-Prince et Hinche.

Le Président de la République, premier chef d’Etat français à se rendre en Haïti, a annoncé sur place le 17 février une aide financière de 326 millions d’euros sur deux ans, et un soutien à la reconstruction de l’hôpital de l’université d’Etat à Port-au-Prince.

Une aide matérielle supplémentaire a été apportée aux Haïtiens avec 1.000 tentes, 16.000 bâches, près de 2.500 lits, plusieurs centaines de lots d’éclairage le tout permettant d’abriter temporairement 200.000 personnes. 250 véhicules (police, gendarmerie, ambulances, voitures de pompiers) ont également été envoyés.

Une mission interministérielle pilotée par M. Pierre Duquesne a été chargée de coordonner et de mettre en œuvre l’aide française, et de préparer la conférence de New York sur la reconstruction en Haïti du 31 mars 2010 (cf. ci-dessus). Les Antilles françaises ont accueilli une conférence internationale des collectivités locales dans la perspective de la conférence de New York (Consulter notre dossier spécial).

La coopération française dans le cadre de la reconstruction

Les actions de la coopération française bilatérale se sont considérablement développées depuis le départ du président Aristide et l’élection de René Préval en 2006, et le séisme du 12 janvier implique un approfondissement important de la coopération française dans le cadre de la reconstruction.

Dès le lendemain du tremblement de terre du 12 janvier, les premières équipes françaises de secouristes sont arrivées en provenance de Martinique et de Guadeloupe, déployant jusqu’à 1170 personnes sur place pour venir en aide aux sinistrés.

L’appui financier de la France est déjà mis en œuvre : annulation de la totalité de la dette haïtienne envers la France (56 M €), déblocage de 20 M € d’aide budgétaire, dont 5 M € dès le mois d’avril (incluant 1 M € pour l’achat de semences en vue de la campagne

agricole). 15 M € d’ici au 30 septembre et vingt autres millions d’euros sont prévus en 2011 sous forme d’aide budgétaire.

« La France apporte son appui au rétablissement des capacités de l’État haïtien,

à la formation des cadres administratifs, à la fourniture d’équipements et de véhicules pour la police et la sécurité civile. Notre pays s’attachera à la remise sur pied du système de santé en participant, notamment, à la réhabilitation-reconstruction de l’Hôpital-

L’Europe

Le 31 mars 2010, lors de la conférence internationale des donateurs pour Haïti, Mme Catherine Ashton, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé que l’Union européenne débloquerait 1,235 milliard d’euros (soit 1,6 milliards de dollars) pour le Plan d’action pour le relèvement et le développement d’Haïti. Ce montant s’ajoute aux 295 millions d’euros déjà engagés en matière d’aide humanitaire.

Elle a également précisé que les citoyens européens avaient collectés 650 millions d’euros, ce qui portait l’aide totale de l’Union européenne à près de 3 milliards de dollars.

Au 1er mars 2010, l’Union européenne a fait état des chiffres suivants concernant son aide à Haïti :

- 315 millions d’euros d’aide humanitaire (120 millions d’euros de l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne + contributions de 18 Etats membres).- 100 millions d’euros d’aide non-humanitaire, destinée notamment à renforcer les capacités d’action de l’Etat haïtien.- 200 millions d’euros mobilisés à plus long terme par le fonds européen de développement.

Le Conseil de l’UE a décidé que l’Union fournirait, en réponse à l’appel lancé par les Nations unies :

- des conseils et des équipements techniques afin d’ouvrir des voies facilitant l’acheminement de l’aide,- une capacité logistique maritime permettant de se passer des installations portuaires,- une contribution collective de l’UE de 320 policiers, destinée à renforcer temporairement la capacité de police de la MINUSTAH. Cette contribution comprend celle des Etats membres de l’UE qui participent à la force de gendarmerie européenne dont font partie la France, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie et l’Espagne.

Le Conseil a également approuvé la proposition, formulée par la Haute Représentante, de mettre en place, à Bruxelles, une cellule baptisée « EUCO Haïti », chargée de coordonner l’apport, par les Etats membres, des moyens militaires et de sécurité pour répondre aux besoins recensés par les Nations Unies. EUCO fera pendant au Centre de suivi et d’information de la Commission européenne, qui coordonne les contributions des Etats membres en matière de protection civile1.

1. http://www.franceonu.org/spip.php?article3867#Reponse-de-l-Union-europeenne

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Université d’État de Port-au-Prince et apporte son soutien à des centres de santé maternelle et infantile. La France conduira par ailleurs une étude de faisabilité en vue de la mise en place d’un système de couverture maladie minimum pour les populations les plus défavorisées et participera à la mise en place d’un cadastre ».

En matière éducative, la coopération française travaille en particulier à la re-scolarisation d’urgence des enfants et des adolescents : les premiers Volontaires du Service Civique sont déjà à pied d’œuvre (une centaine sont attendus) et notre réseau universitaire, notamment dans les Antilles et en Guyane, se mobilise pour apporter son concours à la reconstruction de l’université

haïtienne grâce à des programmes de formation à distance, des stages et l’accueil de 700 étudiants et universitaires haïtiens supplémentaires (environ 1300 étudiants haïtiens fréquentaient les établissements français en 2008-2009).

La France prévoit de mener une opération de rénovation urbaine et de construction d’au moins 1000 logements dans deux quartiers populaires touchés par le séisme à Port-au-Prince et à Jacmel. D’ores et déjà, une soixantaine de chantiers de réhabilitation, de déblaiement et l’installation de camps d’accueil ont été effectués par des volontaires des régiments du Service militaire adapté (SMA) de Martinique et de Guadeloupe et par des régiments du Génie.

L’action de la France s’inscrit également dans un cadre européen. L’Union européenne (Commission et États membres) a mobilisé près de 295 M € d’aide humanitaire immédiate. Pour la poursuite de l’assistance humanitaire, la reconstruction et l’appui budgétaire au gouvernement haïtien, l’Union européenne mobilise au total 1,235 Md € pour 2010 et 2011. Dans le cadre de la force de gendarmerie européenne, la France met par ailleurs, deux escadrons de gendarmes mobiles à disposition de la mission des Nations unies sur place, la MINUSTAH (146 gendarmes formant une unité de police constituée ou FPU).

Sur le plan diplomatique et dans les

enceintes impliquées dans la reconstruction, la France fait partie du groupe restreint des partenaires-clé d’Haïti qui, outre les grandes organisations multilatérales (ONU, Banque mondiale, BID, UE), regroupe les États-Unis, le Canada, le Brésil et l’Espagne. Aux Nations unies, elle est un membre actif du Groupe des amis d’Haïti chargé de préparer les résolutions du Conseil de sécurité sur ce pays.

Représentée par le ministre des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner, la France a co-présidé la Conférence internationale des donateurs pour un nouvel avenir en Haïti, organisée le 31 mars 2010 au siège des Nations unies à New York. La France siège par ailleurs

au sein de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), en la personne de Pierre Duquesne, qui rassemble à parité des représentants haïtiens et internationaux.

En matière de coopération culturelle et linguistique, la programmation française s’appuie sur les activités des 6 Alliances françaises implantées dans le pays, dont certaines, comme celle de Jacmel, ont été très endommagées, de l’Institut français d’Haïti, dont les salles de cours sont en phase de reconstruction et du lycée Alexandre Dumas qui accueille environ 700 élèves. Dès cette année la France mène, avec des partenaires de la Francophonie, des opérations de restauration du patrimoine,

comme celle du célèbre tableau le « Serment des ancêtres », des dons de livres, l’installation de bibliothèques dans les camps et la constitution d’une bibliothèque numérique haïtienne, ou apporte son soutien aux médias audiovisuels par des dons de programmes et des sessions de formation. Un nouveau cadre de coopération a d’ailleurs été engagé lors de la visite, fin juin, du ministre de la culture, Frédéric Mittérand.

La coopération décentralisée, mise en œuvre par les collectivités territoriales françaises, est dynamique, notamment en matière de formation des élus locaux ou de gestion municipale (Conseil général de Savoie, Conseils régionaux de Bretagne, d’Aquitaine, d’Alsace et d’Île-de-France,

Le président haïtien René Préval et son homologue français Nicolas Sarkozy, à Haïti, le 17 février 2010 (Photo : THONY BELIZAIRE / AFP)

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Communauté d’agglomération de La Rochelle, Villes de Suresnes, de Strasbourg, etc...). On peut cependant regretter que le montant total engagé pour ces actions ne soit pas plus important.

Déjà avant le séisme, la coopération régionale avec les départements français d’Amérique (DFA) avait été relancée par les financements ouverts sur les Fonds de coopération régionale (FCR) de la zone Antilles-Guyane. Ces coopérations concernent les secteurs suivants : l’éducation (coopération entre l’Université Antilles-Guyane et l’École normale supérieure de Port-au-Prince) ; la santé (formation des médecins haïtiens en Guadeloupe, appui à l’école d’infirmières sages-femmes de Port-au-Prince, etc.) ; la justice et la sécurité (lutte contre le trafic de stupéfiants, brigades financières et des mineurs) et la culture.

En matière de coopération policière et militaire, outre la participation française à la MINUSTAH, la professionnalisation de la Police judiciaire haïtienne fait l’objet d’un appui de long terme de la France. L’objectif est de doter cette police d’équipements adaptés (création d’un institut médico-légal, d’un fichier central de la police judiciaire) ; de renforcer son réseau (création d’antennes de la direction centrale de la police judiciaire) ; de former ses agents (envoi de formateurs spécialisés pour animer des stages, aide à la création d’une brigade financière et d’une brigade de protection des mineurs en partenariat avec l’UNICEF).

Enfin, l’aide alimentaire française, dont une forte composante est consacrée aux achats locaux, permet de soutenir l’agriculture du pays. Elle a atteint 5,8 M € en 2008 et 3,5 M € en 2009.

Malgré ce tableau enchanteur, de nombreux haïtiens et associations critiquent les politiques françaises. La venue de Nicolas Sarkozy, pendant quatre heures, était attendue, car historique. Cependant, la parole forte n’a pas été liée au geste, notamment concernant les dettes et les excuses françaises envers Haïti, indique une association de défense des droits humains. D’autres, en France comme en Haïti, dénoncent la non tenue des promesses faites par le gouvernement français concernant l’immigration haïtienne. En effet, Eric Besson, ministre de l’immigration, avait

annoncé une simplification des mesures concernant les demandes de visas et de regroupement familial, ainsi que la suspension des expulsions, mais sans effet réels. Or, lorsque l’on sait l’état désastreux dans lequel se trouve l’état civil haïtien, comment peut-on demander la présentation de pièces détruites par la catastrophe ? Comment peut-on laisser des orphelins errer et survivre seuls sachant que leur seule famille est en France ? Tous sont également unanimes concernant le parcours du combattant et les coûts exorbitants d’une telle demande, dont l’issue est souvent négative.

Le don de livres et de manuels scolaires en langue française est remise en question car le créole reste la langue parlée par l’ensemble de la population contre 20% pour le français. Cette image est représentative, selon le Réseau Education Sans Frontières (RESF), du pré carré que représente Haïti pour la France, et du manque de considération du créole comme langue à part entière. Christian Lionet, spécialiste de Haïti et de l’économie du développement en relève un autre exemple tenant à minimiser les orgines haïtiennes : « le prix Médicis, un des principaux prix littéraires, a été attribué en 2009 à un écrivain francophone, Dany Laferrière, pas à un écrivain haïtien ». Preuve en est, à nouveau que le don, fut-il humain ou financier, ne doit pas empêcher la considération.

La République Dominicaine

Bien que les deux pays partagent la même île, ils partagent également une histoire conflictuelle bâtie sur le ressentiment et la méfiance mutuelle. Haïti a occupé la République Dominicaine de 1822 à 1824, une brève période marquée par une dictature brutale et des soulèvements violents. Longtemps après leur indépendance, les Dominicains en ont conservé un profond sentiment anti-haïtien. En 1937, par exemple, entre 12 000 et 25 000 Haïtiens vivant le long de la frontière ont été massacrés par les forces armées dominicaines, et ce ressentiment ne s’est jamais réellement calmé. Dans les années récentes, il s’est manifesté sous la forme d’une opposition violente à l’immigration en provenance d’Haïti, et un traitement quasi esclavagiste des haïtiens travaillant dans les plantations de canne à sucre. L’un comme l’autre ne

sont pas en reste, d’autant qu’Haïti voit d’un mauvais œil cette comparaison constante avec son voisin chez qui tout semble aller pour le mieux, du commerce au tourisme, vantés par les occidentaux.

Suite à la tragédie, les Dominicains ont apporté à leurs voisins Haïtiens une réponse rapide et charitable. Ils ont ouvert leur frontière aux Haïtiens nécessitant des soins, interrompu les expulsions d’immigrés illégaux Haïtiens, et envoyé des millions de dollars en fournitures de première urgence — ainsi que du matériel lourd destiné à l’évacuation des débris et une armée de volontaires pour en prendre les commandes. Un certain réchauffement dans les relations en a découlé. Une fois passé l’urgence la

plus pressante, la République Dominicaine s’est engagé à hauteur de 110 millions de dollars pour la construction d’une université haïtienne qui sera près d’un tiers plus grande que toutes les universités haïtiennes réunies. Parallèlement, les violences en Dominique contre les migrants Haïtiens se sont interrompues. «Depuis le séisme, on n’a plus rapporté d’agressions violentes» indique Michele Wucker, directeur exécutif du World Policy Institute et auteur de Why the Cocks Fight: Dominicans, Haitians, and the Struggle for Hispaniola (le pourquoi d’un combat de coqs : Dominicains, Haïtiens et la lutte pour Hispaniola). Les officiels dominicains ont également contribué de façon importante à permettre l’accès des organisations humanitaires internationales à leur voisin ravagé par le tremblement de terre, indique Wucker. À tous les niveaux de l’administration Dominicaine, on a

Jean Max Bellerive, premier ministre haïtien et Leonel Fernandez, président de la République Dominicaine, lors d’une conférence préparatoire à celle des donateurs de

New York

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tendu la main à son homologue haïtien. Le mois dernier encore, les responsables Dominicains saisissaient sur les marchés dominicains l’aide alimentaire volée, pour la renvoyer à Haïti. L’ancien président Clinton a compris cette évolution et, lors d’une récente conférence des donateurs parrainée par les Nations Unies, il a fait un éloge appuyé des responsables dominicains pour leur «stupéfiant changement d’attitude». Le pays a d’ailleurs rejoint la CIRH.

Selon des experts, le tremblement de terre a suscité plus qu’une aide en vue du sauvetage et de la reconstruction d’Haïti : il a entraîné une modification du schéma narratif de ces deux nations. «Les ultranationalistes ne peuvent plus exploiter le mythe de l’invasion haïtienne pour cultiver le sentiment nationaliste» confirme Bridget Wooding, sociologue à la Faculté Latino-Américaine de Sciences Sociales et qui travaille sur les questions Haïtienno-Dominicaines. «Il s’agit d’une opportunité sans précédent de changer le cours de l’histoire». L’évolution n’est pas uniforme. Il existe une certaine ambivalence dans la classe politique dominicaine au pouvoir. Préoccupé d’éviter un afflux massif de réfugiés, à l’approche de la saison des cyclones, depuis quelques semaines le gouvernement surveille sa frontière d’un peu plus près, et a commencé à expulser les Haïtiens sans papiers (y compris ceux qui étaient entrés pour obtenir des soins médicaux suite au séisme). Le parlement dominicain a même adopté un amendement constitutionnel refusant la citoyenneté aux enfants d’immigrants Haïtiens sans papiers. Une modification législative proposée en 2009, et mise en œuvre quelques semaines seulement après le tremblement de terre.

Côté haïtien, la gratitude pour toutes ces ouvertures est teintée d’inquiétude quant à la persistance des sentiments xénophobes. «Que les lynchages et les décapitations aient cessé, c’est une bonne nouvelle» indique Marselha Margerin, du Robert F. Kennedy Center for Justice and Human Rights. «Il est néanmoins trop tôt pour savoir si ce changement est définitif». Les activistes Haïtiens et les organisations de droits de l’homme militent pour des lois garantissant le droit à la citoyenneté aux dominicains d’ascendance Haïtienne — et une politique d’immigration pour les Haïtiens qui soit équivalente à celle qu’on applique aux autres immigrants. Ils appellent également à une

réactivation de la commission binationale formée en 1996 pour adresser les problèmes de frontière et les politiques de migration, ce qui suppose un niveau de coopération auquel ces deux pays avaient renoncé. Mais même si le séisme ne suscite pas au final une transformation radicale des attitudes de part et d’autre de la frontière, il a engendré beaucoup de changements par rapport aux postures antérieures au tremblement de terre. «Le gouvernement dominicain a été prompt à apporter son aide» confirme Margerin. Il existe également une «fenêtre d’opportunité pour adresser les questions importantes».

L’Afrique

Malgré les difficultés rencontrées par de nombreux pays du continent africains, beaucoup d’entre eux se sont engagés dans l’aide. Responsables politiques, figures religieuses, étudiants et artistes et population ont fortement réagi à l’annonce du tremblement de terre. Sur les quarante-sept nationalités que compte la MINUSTAH, 13 sont africaines, et ce soutien en forces humaines est appuyé par des promesses de dons. Si les montants paraissent dérisoires face à ceux promis par l’Europe ou les Etats-Unis, quelques 21 pays ont promis un total de 51 millions de dollars.

Au rang des pays africains ayant fait les contributions les plus importantes, on compte le Maroc, avec 33 millions de dollars, le Ghana, pour 3 millions, la République Démocratique du Congo et la Guinée équatoriale ont promis, respectivement, 2.5 et 2 millions. Le président sénégalais Abdoulaye Wade a même promis un don de terre aux Haïtiens souhaitant revenir sur le continent de leurs ancêtres.

La solidarité citoyenne n’est pas en reste. Les entreprises et associations charitables sud-africaines ont financé l’envoi de 40 urgentistes, d’unités canines de recherche et d’autres spécialistes de la protection civile, et de nombreux pays comme le Kenya ont organisé des récoltes de fonds, d’aliments et de vêtements. Les Eglises, elles aussi, recueillent les contributions des fidèles et les artistes organisent de nombreux concerts au profit des sinistrés. A ce niveau, c’est au Sénégal que la réponse a pris les formes les plus variées : outre les terres promises

par Wade, la chanteuse Coumba Gawlo Seck accompagnée de nombreux artistes, a enregistré une chanson pour Haïti. Le comité d’initiative Sénégal-Haïti a, quant à lui, proposé d’offrir des bourses d’études. Le professeur Boubacar Barry de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar s’explique : « plusieurs Haïtiens étaient venus enseigner dans les pays d’Afrique. L’Afrique a donc une dette à l’égard d’Haïti ».

Cette implication africaine, peu relayée par les médias occidentaux est l’expression d’une affinité historique avec l’île, peuplée presque exclusivement de descendants d’esclaves africains. « Nous apportons notre soutien au peuple haïtien qui est un peuple africain frère, un peuple noir » déclare Oumar Waly Zoumarou, porte-parole des syndicats sénégalais. Une coalition de partis politiques burkinabe relaye également un message identique : « Haïti inspire une certaine fierté. La première république noire du monde a chassé les propriétaires d’esclaves et mis fin à la domination coloniale de la France plus d’un siècle et demi avant que la plus grande partie de l’Afrique obtienne sa propre indépendance ».

Cependant, cet engouement laisse certains africains et haïtiens perplexes et interrogatifs. Selon un article d’Afrique Rédaction, l’offre est perçue comme un non-sens et relance les questions liées à la non-redistribution des richesses : « compte tenu des besoins et de la pauvreté endémique dans laquelle vivent les populations africaines, il est de bon aloi de rappeler à nos dirigeants qu’ils devraient commencer par pratiquer la charité chez eux avant de traverser l’Atlantique. […] Bien des gens touchés par le drame d’Haïti ont individuellement ouvert les cordons de leur bourse. Si les dirigeants africains avaient puisé dans leurs propres poches, on n’aurait rien à redire et la charité aurait conservé sa belle robe de noblesse ». Il est assez incroyable, en effet, que ces pays, dont la plupart reçoit une aide des instances supra-nationales, s’engagent, mais, ce qui l’est plus encore est le silence de ces mêmes instances face à l’annonce des dons africains. Ne devraient-elles pas reconnaître cette solidarité, et enjoindre les gouvernements à faire bon usage de ces fonds pour régler leurs propres désagréments ?

En Haïti, l’écrivain Eric Sauray a vivement critiqué l’annonce du président sénégalais,

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En juillet, Michèle Striffer faisait état de la présence de 10 000 ONG1 en Haïti. Le 12 du même mois, les médias internationaux faisaient le constat d’un immobilisme quant à l’évolution de la situation. Difficile donc de savoir qui fait quoi, comment, avec quels fonds et pour qui.

La seule certitude, c’est que les hommes et femmes qui composent ces ONG, sur le terrain comme au siège, ne sont, en quelque sorte, que les ouvriers d’une chaîne dont la partie visible n’est que les millions offerts par les chefs d’Etats et la population. Des « petites mains » sans lesquelles ce ne serait pas possible. Car si l’ONU, la Banque mondiale, le PAM ou les Etats sont en mesure de concentrer des ressources, financières, alimentaires ou matérielles, leur distribution reste incertaine sans l’aide de ces organisations civiles qui ont une connaissance technique et empirique du problème. Certaines sont présentes en Haïti depuis plus de vingt ans. Elles sont donc bien implantées et ont développé un réseau de partenaires important. D’autre, en revanche, se sont ruées dans le pays après la catastrophe, avec peu de connaissances sur Haïti. Certaines, enfin, ont été créées après le séisme, expression d’un soutien important. Cependant, cet ensemble et le nombre d’associations provoque un problème important de coordination. S’il ne faut pas minimiser leur action, six mois après le séisme, la situation reste préoccupante pour de nombreux secteurs associatifs haïtiens, dont les droits humains, les mouvements paysans et le milieu médical.

En mai, plusieurs associations haïtiennes de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) présentaient leur compte rendu de mission dans des camps de réfugiés. Intitulé « Haïti, une nation ébranlée2 », ce rapport s’appuie sur des témoignages de réfugiés, ainsi que sur des entretiens avec les autorités haïtiennes et la communauté internationale, la MINUSTAH, l’OCHA, et le PAM. Il y est constaté que la rapidité d’exécution des ONG et la responsabilité qu’elles ont prises pour la protection de la population dans l’urgence a permis de sauver de nombreuses vies, tout comme la coordination par regroupement de compétences – clusters – a permis d’acheminer et de distribuer une aide importante.

Cependant, les failles et les faiblesses de cette gestion de l’aide humanitaire apparaissent. Elles se situent essentiellement dans les

1. X. HAREL, « La reconstruction est au point mort faute de coordination », in La Tribune, 1er juillet 2010 2. FIDH, « Haïti, une nation ébranlée : pour une reconstruction fondée sur les droits humains et incluant le peuple haïtien, mai 2010, http://www.fidh.org/Haiti-une-nation-ebranlee-Pour-une-reconstruction

domaines de l’information du public concerné, de la coordination des actions, et surtout de la relation avec les organisations et les acteurs de la société civile haïtienne. Pour toutes ces raisons, le bilan que dressent les organisations de droits humains et autres personnalités de la société civile haïtienne sur l’action internationale durant ces deux premiers mois est assez critique et pointe en particulier :- la gestion de la distribution de l’aide humanitaire : en plus du manque de communication et d’information sur la nature et les modalités des opérations de distribution, un grand nombre de camps éparpillés dans toute la zone métropolitaine n’ont pas été intégrés dans les circuits de distribution ;- le manque de coordination entre les différents acteurs internationaux et l’absence d’interaction avec les acteurs nationaux, voire l’exclusion de ces derniers notamment à cause de l’utilisation systématique de l’anglais comme langue de travail et la difficulté d’accéder aux clusters ;- l’absence de cohérence dans les stratégies suivies par les différents acteurs dans la distribution de l’aide alimentaire, de l’eau ou des abris. Il a fallu attendre le mois d’avril pour que l’aide alimentaire

soit composée à hauteur de 20 % de produits locaux ;

Les organisations non gouvernementales

QUELQUES CHIFFRES...

Selon l’OCHA1, entre le 12 janvier et le 16 avril :

- 3,5 millions de personnes de Port-au-Prince, Jacmel et Léôgane ont reçu une aide alimentaire

- 1,3 million ont reçu de l’eau potable

- 1 million ont été pourvues en abris d’urgence

- 510 000 ont bénéficié de kits d’hygiène

1.OCHA, Haïti earthquake situation report n°34, 16 avril 2010, http://oneresponse.info/Disasters/Haiti/Coordination/publicdocuments/OCHAsitrep34.pdf

insistant sur l’idée que pour les Haïtiens, « l’Afrique est une terre d’imagination, pas de recours », et évoquant la possibilité d’un « second échec pour ceux qui sont prêts à faire le chemin à l’envers après l’avoir fait par bateau en tant qu’esclaves ». Liliane Pierre Paul, de Radio Kyskeya (Haïti) ajoute à cette notion de fantasme, l’idée

que cela représente pour les Haïtiens : « je ne suis pas sûre que le président Wade ait pris toute la mesure de son offre ».

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Dans un article du journal Le Monde3, Alain Deloche, chirurgien et président de la Chaîne de l’espoir met en exergue le principal problème de la présence de tant d’aide humanitaire : « la destruction du tissu économique par les ONG. La médecine gratuite est en train de détruire le système de santé en Haïti ». Six mois après le séisme, la situation des hôpitaux, des médecins, des personnels soignants est tout simplement effrayante : il n'y a plus de moyens et les patients ne sont plus prêts à recourir à des soins qui ne soient pas gratuits… Des hôpitaux sont obligés de fermer. Un autre a réduit de moitié ses effectifs de médecins, personnels soignants et administratifs. Les cabinets médicaux, les cliniques, les hôpitaux sont en situation de grand dysfonctionnement. Et, lorsque les établissements réussissent vaille que vaille à se maintenir, ils ne trouvent plus d'infirmières ni de jeunes médecins pour y exercer car les ONG les recrutent, avec des salaires beaucoup plus élevés.

Sur le même principe, Frédéric Apollin, directeur des opérations d’Agriculteurs et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) en Haïti, parle du secteur agricole lors d’un interview à Métro4. Dans le secteur rural, l’aide alimentaire internationale peut déstructurer la production locale. Si on importe trop et que les produits locaux que produisent les paysans ne sont pas incorporés rapidement à l’aide alimentaire et sont mis en concurrence directe avec des produits importés, ça va encore être un choc pour l’agriculture paysanne haïtienne. Le premier enjeu est que cette aide alimentaire puisse acheter localement les produits des paysans : ici il y a du lait, des fruits disponibles. Certes la production haïtienne ne couvrira jamais tous les besoins mais cela permettrait de dynamiser les paysans et de leur donner 3. A. DELOCHE, « En Haïti, quand le remède peut tuer le médecin », in Le Monde, 23 juillet 2010, 4. A BOGAERT, « L’aide alimentaire peut destructurer la production locale », in Métro, 3 mars 2010.

du revenu.« Il faut avant tout éviter de ne pas prendre en compte les dynamiques existantes. En milieu rural, il y a des organisations qui produisent, transforment, commercialisent des aliments. Il faut soutenir ces initiatives ». Il précise également qu’il est possible de régler le problème des semences sans en importer massivement de l’extérieur : « s’il y a des zones déficitaires en semences, d’autres disposent d’une offre. Il faut organiser très rapidement l’échange de semences entre régions haïtiennes en s’appuyant sur les organisations paysannes, en leur donnant les moyens financiers d’agir en ce sens, plutôt que d’importer massivement des semences de l’extérieur ». Sachant qu’en

plus, sur une liste officielle des semences demandées par l’Etat, on voit apparaître pas mal de semences hybrides, donc OGM, qui n’aideraient pas Haïti à atteindre la souveraineté alimentaire, sans parler des conséquences sanitaires et écologiques de ce genre de semences. Les mouvements paysans5 ont d’ailleurs fortement réagi et manifesté, début juin, à l’annonce d’un don de 475 tonnes de semences de la part de la multinationale Monsanto, qui n’est pas connue pour son côté bio. Il conclut en précisant qu’il est nécessaire de contrôler l’aide alimentaire qui entre en Haïti car 5. « Déclaration des paysans haïtiens et de leurs alliés contre le gouvernement Préval, la multinationale Monsanto et toutes les multinationales qui détruisent la vie sur la planète », Hinche, 4 juin 2010,

les aides précédentes au pays ont eu des effets désastreux : « Le riz américain a envahi le marché et est en concurrence directe avec le riz haïtien, les cuisses de poulet en provenance des Etats-Unis et qui sortent congelées des containers entrent directement en concurrence avec les volailles élevées ici. Elles ont même changé les habitudes alimentaires du pays, où l’on mangeait plus traditionnellement du cabrit (petite chèvre) et du cochon ».

Ces deux professionnels techniques et humanitaires sont également d’accord sur un point : la prodigieuse solidarité internationale qui s'est manifestée lors du tremblement de terre a constitué une

aide essentielle pour ce pays, mais en Haïti, comme ailleurs, les ONG n’ont pas vocation à s’installer définitivement. Il serait dramatique de prendre le risque de voir le système médical haïtien détruit lorsqu'elles se retireront. Or, elles se retireront et, si le pays a vécu sous perfusion, il ne survivra pas à l'arrêt de la machine. Mais rien ne sera possible si la solidarité internationale, encore si forte, ne déplace pas ses modes d'intervention et d'assistance pour se mobiliser autour de l'aide aux structures locales, à la formation tant dans le médical que dans l’agriculture pour préserver, développer et moderniser ce qu'il reste du système local. C'est une autre forme d'urgence. C'est peut-être aujourd'hui la première.

De janvier à mars, de grandes files d’attentes entouraient les points de distribution proches des camps. Aujourd’hui, les points de distribution et les files d’attente sont

rares (photo RNDDH)

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 45

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 46

Le gouvernement : entre incapacité et

préoccupations électorales

Comme le reconnaît le président lui-même, tout le monde, au sein de l’État haïtien, s’est avéré totalement dépassé par les événements et incapable d’assurer la protection de ses citoyens. « Nous étions aussi traumatisés que le peuple haïtien » a confié le président Préval aux délégués de la FIDH.Durement touchés par des pertes humaines et par l’effondrement des sièges de leurs administrations, la Présidence, les ministères et la Police n’ont pas été en capacité de prendre la direction des opérations de sauvetage et de gestion de l’aide aux populations sinistrées. Ils n’ont malheureusement pas non plus offert à leur peuple une parole de réconfort. Il a été rapporté maintes fois à la délégation que le silence, qui dure encore aujourd’hui, des plus hautes autorités de l’État et l’absence visible de leadership dans la conduite des opérations de protection et d’aide d’urgence ont été ressentis très négativement par la population qui s’est sentie, et se perçoit encore aujourd’hui, abandonnée à son sort.

Déjà faible avant le séisme du 12 janvier, l’État haïtien a été en grande partie dévitalisé et,deux mois après, aucune administration centrale n’était encore fonctionnelle. Devant cette défaillance de fait, les agences des Nations unies, les ONG et les militaires étrangers ont rapidement exercé la responsabilité de protéger les populations sinistrées en danger en occupant le terrain de l’aide humanitaire d’urgence, tout en y impliquant le gouvernement. Celui-ci, par ailleurs, à travers ses bulletins d’information se félicite des actions qu’il mène, en partenariat avec la communauté internationale. Mais les Haïtiens ne sont pas dupes de ces effets de manche.

Le climat politique, avant le séisme de janvier, était déjà marqué par des tensions internes importantes autour de la composition du très contesté Conseil Électoral Provisoire, qui allait organiser les élections pour la législature qui va plancher

sur les propositions d’amendement constitutionnel. L’imbroglio politique est à son comble. Pour certains interlocuteurs, il n’est pas réaliste de prévoir des élections à la date du 28 novembre, compte tenu de l’état de désorganisation du pays, des déplacements massifs de population, des nombreux décès et disparitions avec des incidences lourdes sur le registre électoral, et du coût d’une telle opération, à un moment où la priorité doit être de répondre aux urgences.Pour d’autres, au contraire, il n’est pas acceptable de prolonger l’actuel Exécutif (ouvertement critiqué et souvent discrédité pour son incapacité à exercer un véritable leadership) au-delà de son mandat constitutionnel. Il en va de la crédibilité et de la légitimité des institutions de la République et, de surcroît, vu son histoire, Haïti a sans aucun doute besoin de respecter un rythme démocratique régulier.

Aussi, le gouvernement actuel de René Préval, ainsi que des états tiers dont le Canada, les Etats-Unis et la France, souhaitent le maintien des élections à la date prévue. Cela s’explique en partie, au niveau international, par le fait que la reconstruction, synonyme de marché,

ouvre des perspectives contractuelles intéressantes pour les acteurs ayant participé à l’urgence suite à la catastrophe. En effet, les négociations commerciales qu’engage le processus de réhabilitation du territoire haïtien seront, pour les pays concernés, plus faciles à mener et plus rapides dès lors que l’interlocuteur est le même pour les années à venir. Le gouvernement actuel, quant à lui, estime que les actions menées depuis le tremblement de terre et les aides internationales lui seront favorables. Cependant, dans le cas où le vote ne pourrait avoir lieu en novembre, la majorité actuelle de Préval souhaite - pour des raisons de prise de pouvoir tardive de sa part - qu’il ait lieu en mai 2011. Le jeu de campagne ouvre la voie à de nombreuses questions, concernant les candidats - Wyclef Jean, chanteur vivant au Etats-Unis depuis l’âge de huit ans - la légitimité du Conseil électoral provisoire (CEP), et l’affairement des élites politiques qui se focalisent sur cet aboutissement, laissant la situation urgente actuelle de côté.

De son côté, l’opposition, qui représente un tiers du Parlement, se compose de plusieurs partis - l’Organisation du Peuple

Les Haïtiens : de l’incapacité de l’Etat à la force du peuple

Résumé de l’actualité du mois d’août 20101

Des signes de mobilisation sociale et politique apparaissent

Différents acteurs ne se reconnaissent pas dans ce qui est en cours en Haïti. Ils veulent rechercher des concertations pour la mise en œuvre collective d’actions susceptibles de créer de nouvelles formes de gestion territoriale.

Un ensemble d’organisations sociales appelle les citoyens à se mobiliser pour faire respecter leurs droits politiques, notamment celui de pouvoir choisir des personnes crédibles pour les représenter, et ce dans des élections transparentes.

Des secteurs politiques projettent de renforcer la mobilisation antigouvernementale par des manifestations. La PAPDA (Plateforme de plaidoyer pour un développement alternatif) appelle à une mobilisation citoyenne pour la mise en place d’un projet national à la place de la « dynamique bureaucratique » de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) dont la deuxième réunion, prévue le 22 juillet, a été reportée sine die sans explication.

1. Sur la base de l’hebdomadaire « Une Semaine en Haïti », n° 973, 974, 975 du 26 juillet au 18 août 2010. Source : Le Collectif Haïti de France et Alterpresse

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en Lutte (OPL), Fusion des sociaux-Démocrates Haïtiens et Convention Unité Démocratique - qui traversent un problème d’entente. Ce manque d’union ne leur permettant pas de représenter une réelle alternative, ils préfèrent remettre à plus tard les élections, mais contestent leur tenue en mai 2010, la constitution fixant la prise de fonction présidentielle au mois de février. D’autre part, si l’on ajoute, aux problèmes d’union, celui d’un projet politique qui n’est pas réellement différent de celui du gouvernement actuel, l’on peut comprendre le refus de l’opposition. En effet, cela lui laisserait un peu de répit pour tisser de réelles ententes et péparer un projet national plus à même de répondre aux attentes de la population.

Pour compliquer encore les données du problème, la mise en place de la CIRH est considérée, par certaines associations comme « un mécanisme de transition qui ne tient pas compte de ces échéances électorales haïtiennes ». Pour entériner cette décision, le gouvernement haïtien a fait adopter le 15 avril 2010 une loi qui s’inscrit dans le cadre de la « Loi d’urgence » consécutive au séisme du 12 janvier et qui confère toutes les responsabilités au pouvoir exécutif pendant une période de 18 mois (avril 2010 – décembre 2011). Des organisations haïtiennes du secteur des droits humains ont exprimé leurs inquiétudes devant « la légèreté déconcertante [avec laquelle] cette décision a été prise de dégager pour cette période des voies et moyens qui échappent à toute juridiction et à tout contrôle des instances institutionnelles haïtiennes ». Elles lancent en conséquence « un appel urgent pour la formation d’une plate-forme de vigilance et de plaidoyer incluant des associations de la société civile, les organes de presse et les instances internationales concernées pour que le peuple haïtien soit protégé par la réalité d’un État de droit »4.

La population et les associations haïtiennes

Globalement, ce qui provoque l’admiration et le respect, c’estl’incroyable force de vie et de dignité additionnée à une grande capacité d’adaptation dont ont fait preuve les Haïtiens pendant et après le séisme. Il ne faut pas oublier que la très grande majorité des personnes qui ont été sauvées

ont été tirées des décombres par leurs voisins, à mains nues, sans aucun secours venu d’ailleurs.

Avant que l’aide internationale ne s’organise, les gens ont su se soutenir, s’entraider, partager le peu qu’ils avaient. Aujourd’hui encore, il nous a été confirmé que l’entraide et la solidarité dans les camps jouent un rôle essentiel pour maintenir le tissu social et permettre aux gens de « tenir debout », malgré les difficultés sans nom de la survie quotidienne et l’angoisse pour l’avenir. Cette « résilience » pourrait toutefois se transformer en désespoir, et éventuellement en violence, si les sinistrés ne constatent pas rapidement que des mesures sont prises pour les sortir des conditions de vie dégradantes dans lesquelles ils se trouvent, même s’il ne s’agit que de solutions temporaires.

Dans tous les camps, des responsables des « comités d’organisation » des sites se sont mis en place. Il s’agit d’hommes et de femmes jeunes, qui se sont proposés spontanément pour aiderà organiser des tâches collectives : sécurité, nettoyage, etc. On peut penser que cette expérience va contribuer à faire émerger des nouveaux leaders qui ont su faire preuve de responsabilité pendant la phase d’urgence et qui représentent un potentiel précieux pour l’avenir.

Le très important réseau associatif qui existe en Haïti, même s’il a été durement touché, comme tout le monde dans la zone du séisme, a repris son travail. C’est le cas tout particulièrement des associations de femmes qui représentent une force essentielle pour défendre et promouvoir les droits humains en général, et les droits des femmes en particulier, et pour faire des propositions constructives pour la création d’une « Haïti nouvelle » sans exclusion. L’importance du rassemblement des femmes lors 8 mars - Journée Internationale de la Femme -, et les nombreux rapports de mission, de rencontre et d’observation réalisés par les représentants des droits humains ou les mouvements paysans sont une illustration on ne peut plus concrète de l’ampleur de cette force. Cela témoigne de la qualité et de l’engagement de leurs membres pour veiller à ce que les droits des plus vulnérables ne soient pas ignorés ou bafoués, pour organiser et former

des militants locaux, pour réclamer une réforme de la justice, la fin de la corruption et de l’impunité des profiteurs et des criminels. Tout ce capital de courage, de compétences, de volonté de servir la collectivité est la plus grande chance pour la « refondation » du pays. Cependant, même s’ils sont les interlocuteurs privilégiés des ONG internationales concernant la reconstruction, de nombreux débats ont lieu sur le bien fondé et la façon de peser dans la balance politique. Ce passage d’une structure civile, sociale et alternative plurielle vers le champ politique pourrait être réalisé par la création d’une Assemblée populaire par l’ensemble des mouvements sociaux haïtiens...

La diaspora est fortement impliquée mais souffre de

reconnaissance

Plutôt que de diaspora, il est préférable de parler des Haïtiens de l’extérieur. Estimés à plus de deux millions, dont la majorité vit aux Etats-Unis, au Canada et en France, les Haïtiens de l’extérieur sont représentés, en Haïti, par le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE) en la personne de M. Edwin Paraison.

Leur rôle concernant Haïti n’est pas à négliger, car outre leur implication dans le processus de reconstruction, à travers le forum de la diaspora de mars

20101 les Haïtiens de l’extérieur sont

1. Voir en p.31 « Rencontres au sommet : des conférences pour parer l’urgence et organiser

MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 47

M. Edwin PARAISON, ministre des haïtiens vivant à l’extérieur, durant

son séjour à Paris en mai 2010 (Photo :A. D. McKenzie/IPS)

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 48

MEMOIRE : Six mois après le séisme, quel constat peut-on tirer de l’action des Haïtiens vivant à l’étranger ?

Frantz CADET : Beaucoup d’haïtiens en capacité de mener des opérations de premiers secours et de conservation du ’’non détruit’’ (médecins, infirmiers, nutritionnistes, secouristes, électriciens, entrepreneurs en bâtiments et responsables d’associations en partenariat avec des organismes haïtiens) se sont précipités pour offrir leur aide, leur soutien, leurs compétences et leurs moyens matériels et financiers. Ceux qui ont pu nourrir, vêtir et abriter les populations en difficulté, sont très satisfaits de l’avoir fait, mais en revanche regrettent l’absence de planification des actions et de mutualisation des moyens avant, de coordination des intervenants et de concertation sur leur avancée durant les opérations ; d’évaluation et de mise en commun des résultats après.

Je connais l’apport du Consul Honoraire d’Haïti à Bordeaux qui disposait de 250 000 € pour offrir aux habitants des camps de la place Ste Anne 1000 repas chauds par jour durant 2 mois.

Je connais d’autres associations médicales qui ont aussi porté secours et distribué des soins, sans pouvoir faire un bilan réel de leur action.

D’autres organismes comme la Fondation Max CADET (Offre de Soins Dentaires aux démunis de Port-au-Prince) ont plutôt réfléchi à la meilleure façon de remodeler leur structure et relancer plus durablement leurs activités de soins. La FMC a recherché un soutien financier plus structurant et l’a obtenu auprès de la Fondation de France. Grâce à son projet de Cabinet dentaire mobile et à l’aménagement de containers en Clinque 8 fauteuils seront fin octobre en capacité d’accueillir 170 patients/jour et d’en soigner 150 comme avant le 12 janvier dernier.

M : L’importance de la diaspora est-elle vraiment prise en compte par les organisations internationales et par les instances politiques haïtiennes ?

FC : La diaspora souffre :

- de ne pas être reconnue par les ONG internationales qui veulent assurer d’abord leur pérennité dans les actions d’intervention et dans l’accaparement des subventions dédiées au développement. Les ONG haïtiennes ont de faibles moyens au regard des ceux confiés par la Coopération Internationale ONG internationales.

- d’être rejetée par les responsables politiques d’Haïti, qui voient dans ces porteurs de compétences extérieurs, une énorme concurrence dans la conquête des postes à responsabilités du pays. Le refus de la double nationalité en est une preuve.

M : Vous avez effectué un voyage en Haïti en juillet. Selon vous, quel est le point de vue des Haïtiens sur l’aide de la diaspora ?

FC : Les haïtiens attendent de la Diaspora qu’elle les aide à sortir de l’impasse. Dépourvus de moyens existentiels ils ont du mal à concevoir des projets durables et viables suscitant l’octroi de fonds d’investissement. Que la Diaspora vienne s’installe, crée de l’activité et nous embauche, c’est ce que semblent dire les haïtiens qui n’ont jamais eu la confiance du système bancaire haïtien.

Le surréalisme (politique, religieux, social et économique) dans lequel vivent les haïtiens ne laisse pas augurer de bonnes relations entre Haïti et sa diaspora autrement qu’à travers les petits chèques de fin mois (près de 2 milliards l’an) qui assurent leur survie.

une force importante d’engagement, tant financier que solidaire, et ce bien avant le séisme. Ils représentent le montant le plus inportant de transfert d’argent vers le pays d’origine, et sont les acteurs, les observateurs et les représentants du peuple haïtien. A travers un réseau associatif dense en France et ailleurs – le Collectif Haïti de France et la Plateforme des Associations franco-haïtiennes – ils sont actifs sur de nombreuses questions internes à Haïti, mais également externes, comme l’immigration vers leur pays d’accueil ou en République Dominicaine, la promotion de la démocratie, la question de la dette financière et historique ou la culture.

la reconstruction », Le forum de la diaspora haïtienne.

En France, depuis le séisme, ils se sont fortement mobilisés pour que soit mises en pratique les promesses d’accueil des sinistrés ayant une famille résidant en métropole ou dans les DOM-TOM (Martinique, Guadeloupe et Guyane) ainsi que pour la régularisation des haïtiens sans papiers qui vivent et travaillent sur le territoire sans jouir de leurs droits, à travers les associations en présence, mais également en créant, de façon spontanée, leur propre association. Regards sur la diaspora par Frantz Cadet, professeur retraité de l’enseignement professionnel, secrétaire du Collectif Haïti de France depuis 2008, président du Collectif Haïti des associations de Midi-Pyrénées (CHAMP) et participant au Forum de la diaspora qui a eu lieu à Washington.

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 49

L’OBSERVATOIRE DES MÉDIA

Poser la question du rôle des média lors de crises humanitaires renvoie, d’une part, aux fonctions essentielles de ces structures de communication, et, d’autre part, à l’importance de leur rôle fondamental qui implique le respect de notions étiques et déontologiques tant pour eux que pour le public. Chaque crise apporte son lot de constats et de critiques sur les média internationaux, et les journalistes et structures locales sont souvent absents sous la plume de leurs confrères.

Les conséquences du séisme sur le secteur médiatique haïtien

omme tous secteurs, les médias haïtiens ont subi leur lot de pertes humaines et matérielles. Et comme l’ensemble de

la population, malgré la tragédie, ils se sont unis pour sauver les leurs, le peuple s’entend, afin de satisfaire au métier qu’ils ont épousé. En Haïti, le métier de journaliste garde encore ses lettres de noblesse, lien entre la capitale et le pays « en dehors », lien informatif par excellence, par quintessence même.

A Port-au-Prince et dans la zone métropolitaine comme à Léogane, Petit Goave, Grand Goave ou Jacmel, de nombreux médias ont été touchés physiquement par le séisme et ont vu leurs locaux détruits ou endommagé et une grande partie de leur matériel disparaître sous les décombres. Dans les tout premiers moments après le séisme, seuls Signal Fm et Mélodie Fm étaient en onde, alors qu’aujourd’hui presque toutes les radios sont dans les airs. Les agences en ligne Haïti Press Network, l’Agence haïtienne de presse et l’agence AlterPresse n’ont jamais cessé de publier des informations, alors que cette dernière a perdu ses locaux, totalement détruits. Le journal “Bon nouvèl” a disparu et Le Matin est publié de façon irrégulière. Le Nouvelliste a perdu de nombreux abonnés. S’il a réduit son tirage de plusieurs milliers d’exemplaires, le journal a repris son rythme quotidien mais ses suppléments comme le Ticket magazine ne paraissent plus.

A Léogane, où la mission de l’OSI s’est rendue, la situation pour les médias est très difficile à l’image des autres villes de province touchées par le séisme. Seules trois radios continuent à émettre, dont Cool FM depuis une tente plantée dans les ruines de la ville (voir photo). Les radios diffusent des programmes pour les enfants, de la musique et des temps d’antenne où la population peut s’exprimer. Les habitants contribuent à la mise en onde de la radio en apportant l’énergie nécessaire pour faire fonctionner la génératrice, à l’instar d’autres radios à travers le pays, surtout communautaires.

Concernant les radios communautaires, les bureaux de la Société d’animation

et de communication sociale (Saks) et du Réseau des femmes journalistes des radios communautaires (Refraka) ont été entièrement détruits. Selon l’Amarc, l’association mondiale des radiodiffuseurs communautaires, 12 de ses membres ont été affectés par le séisme. Radyo zetwal peyizan, entièrement détruite, a pu être remise en onde avec l’appui de l’Amarc.

Une partie importante des journalistes des médias ont été mis en disponibilité suite au séisme. Les journalistes qui ont gardé leur travail ont vu leur salaire réduit. Les problèmes énergétiques que connaissaient les médias et particulièrement les radios auparavant sont décuplés par la rareté des ressources et le matériel endommagé

Les locaux de Radio IBO après le séisme (photos : RADIO FRANCE / Laurent Groult - Alain Faucher)

C

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 50

à travers les zones touchées. A Port-au-Prince, plus encore en province, les revenus publicitaires des médias sont faibles. Le séisme a touché le secteur des affaires et l’assiette publicitaire, déjà restreinte avant le séisme face à la multitude des médias existants, s’est encore réduite. Dans la capitale, le secteur est à ce niveau avant tout soutenu par les banques et les compagnies de téléphonie mobile, ainsi que par les annonces des organisations humanitaires et offres d’emplois.

L’aide aux médias après le séisme

Le ministère de la culture et de la communication est venu en appui à certains médias suite au séisme afin qu’ils puissent continuer leur travail d’information et garder leur personnel. Plusieurs actions sont menées afin de rendre plus accessible l’information des organisations humanitaires pour les médias haïtiens, tel le CDAC mis en place par les Nations unies. Neuf jours après le séisme, Reporters sans frontières a ouvert un centre opérationnel des médias afin de créer un espace d’accueil pour que les journalistes, principalement de la presse écrite et en ligne, puissent continuer leur travail en mettant à leur disposition des ordinateurs, de l’électricité, un lieu de réunion. L’organisation Internews a produit le bulletin d’information de service public Enfomasyon nou dwe konnen diffusé sur 27 radios de la capitale. Certaines d’entre elles tentent aujourd’hui de reprendre ce travail au sein de leur rédaction. International Media Support (IMS) a appuyé la mise sur pied de la Baz Lambi qui accueille diverses associations de journalistes, en collaboration avec l’Unesco qui mène également des actions de soutien aux médias. Des médias occidentaux, à l’image de Radio France et RFI ont aidé plusieurs stations à revenir sur les ondes, et réalisent des émissions avec des radios locales. Courrier International, a, quant à lui, consacré un numéro spécial à Haïti et à permis aux journalistes des deux quotidiens haïtiens, Le Nouvelliste et Le Matin, d’écrire dans leurs colonnes, faute de pouvoir paraître. >

L’Institut Panos Caraïbes continue son travail avec les jeunes journalistes dans les radios en province et soutient la production de reportages par des journalistes de la capitale. L’Amarc appuie les radios communautaires qui comptent parmi ses

membres et les réseaux locaux qui les soutiennent. Malgré la présence de ces différentes réponses, certains patrons de médias et journalistes se plaignent cependant de promesses non tenues, même s’ils avouent qu’il est difficile de soutenir tout le monde.

Une organisation pour continuer à informer

A Cité-Soleil, le bidonville de la capitale aux quarante quartiers, le directeur administratif de Radio Boukman, joue du marteau et de la scie pour installer un local en bois. Obligée comme les autres, de revoir à la baisse ses plages de programmation, la station a augmenté ses effectifs contre toute attente. «En fait, nous avons fusionné notre service des sports et notre service culture, et ajouté d’autres collaborateurs à l’équipe de la salle des nouvelles. Nous étions cinq journalistes avant le séisme. Maintenant, dix», se félicite Hilaire J e a n -L e s l y , le jeune

directeur de la programmation.

A Petit-Goâve, Radio Echo 2000 s’est associée, dès le 14 janvier, à ses seize concurrentes de la région en un Réseau des Médias de Petit-Goâve, destiné à durer un an. Fonctionnant chacune à 50% de leurs capacités depuis le 12 janvier, les stations présentent en relais trois heures de programmes entièrement consacrés au séisme. Il s’agit d’informer des conséquences du séisme, de relayer les besoins des populations mais aussi de sensibiliser ces dernières à certaines règles sanitaires, voire à indiquer les réflexes à prendre en cas de prochaine magnitude 7. Cet objectif occupe d’ailleurs les deux premiers tiers du programme commun «spécial séisme», le dernier relevant de l’information générale. Le Réseau a choisi comme support l’antenne bien nommée de Radio Men Kontré («mains jointes» en créole), dont une voiture abrite le studio.

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 51

«Aucune des douze sections communales de Petit-Goâve n’a été épargnée et la ville a subi 70% de destructions. La reconstruction prendra du temps mais au moins, le Réseau y participe», assure le secrétaire général du Réseau et directeur de Radio Préférence, Guyto Mathieu. Michelène Hilaire, directrice de Men Kontré et coordinatrice du Réseau en veut pour preuve les «venues à l’antenne des représentants municipaux, mais aussi de la Minustah, de l’armée américaine et des ONG internationales».

Gotson Pierre, le coordinateur de l’agence en ligne Alterpresse (Méd ia l t e rna t i f ) , devra compter avec l’aide extérieure, n o t a m m e n t pour relancer le développement du son et de la vidéo sur son site. Mais le journaliste veut aussi voir plus large : « si les médias sont des acteurs de la reconstruction, alors il faut aller là où l’information passe et remonte le moins, c’est-à-dire les camps de déplacés ». C’est pourquoi il a mis en place un projet de télécentre et cybercafé mobile à destination de ces populations sans moyens de communiquer ni de recevoir les nouvelles», explique-t-il. Il souhaite également que soit créé un large réseau s’appuyant sur les reources journalistiques et non journalistiques afin que l’information continue à être diffusée à destination du plus grand nombre.

Le rôle des média haïtiens dans la reconstruction

La reconstruction du pays après le séisme du 12 janvier pose des problèmes d’habitat, d’infrastructures, d’enjeux politiques, de rapports sociaux et de création culturelle.

Ils mettent en présence des forces de statu quo et d’autres œuvrant en faveur de la transformation sociale profonde. Les média, comme observatoire du processus de reconstruction, ont donc un rôle capital à jouer dans la recherche du progrès, du développement, de la paix et de la dignité humaine. Cependant, comme le souligne le Programme international pour le développement de la communication (PIDC) de l’UNESCO, ils sont tout aussi

capables de « servir à asseoir des intérêts personnels et aggraver les inégalités sociales en excluant les opinions critiques et marginalisées ».

Afin de garantir ce rôle d’observateur, Gotson Pierre, fondateur du Groupe Médialternatif, a exposé les principales lignes et éléments à prendre en compte, lors d’une table ronde organisée par l’UNESCO et l’IMS (International Media Support) le 3 mai 2010. Il part du principe qu’une information fiable, documentée, attentive aux secteurs marginalisés, aux mouvements sociaux, aux communautés, et disponible pour des audiences à l’intérieur et à l’extérieur du pays favorise indéniablement

l’expression et la vigilance citoyenne face au processus de reconstruction.

Cette information se doit d’être professionnellement correcte - déontologique et éthique - mais également articulée socialement – du global au local – afin d’alimenter un débat critique sur les interventions, d’aider à la prise en compte de thématiques sociales, communautaires et de développement. Selon Gotson Pierre,

ce sont ces débats et cette prise en compte par l’information de l’ensemble de la population qui permettront de « promouvoir une vraie vision et une mobilisation nationale, et en finir avec les deux pays que forment la capitale et le reste du territoire ».

Comme certaines radios l’ont déjà fait depuis la catastrophe, Gotson Pierre souhaite que soit créé un réseau le plus large possible, alliant nouvelles technologies de l’information et média, capable d’utiliser les r e s s o u r c e s ,

journalistiques et non journalistiques, pour la production et la diffusion de l’information. Cette action participative pluraliste et inclusive, conclut-il, « contribuera à la quête de la satisfaction des besoins et aspirations de la majorité de la population dans une société en dialogue avec elle-même pour son propre renouvellement ».

Ci-dessus et ci-contre : Le projet de Télécentre Mobile mis en place par le groupe Médialternatif. Destiné aux jeunes entre 15 et 25 vivant dans les camps de réfugiés de se tenir informé, de continuer leur activité ou

de découvrir l’outil informatique et internet.(Photo : Collectif Haïti de France, juillet 2010)

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 52

Média internationaux : information, humanitaire et dérives

e 13 janvier 2010, impossible d’ignorer le séisme en Haïti. Rivalisant de titres et de photos plus évocatrices les unes que les autres, la presse et l’ensemble des média

mondiaux ont bousculé bouclages et éditions. Un mois plus tard, l’urgence haïtienne était relayée en page interne, ou en reportages de quelques minutes montrant des sapeurs pompiers à l’œuvre…puis plus rien, ou si peu : le constat des pertes, des reportages sur l’adoption, sur la difficulté de vivre dans le pays « le plus pauvre de l’hémisphère nord ». Fin mars, Haïti refait surface, sort la tête de la presse grâce à la conférence des donateurs qui a lieu à New York. Il y est question d’aide internationale, de milliards, d’Etats… certainement de quoi relever les points de sondage des politiques en déclin, mais de quoi leur apporter du négatif : Haïti, puis la crise grecque. Autant de milliards promis, on ne sait comment, alors que les français, les européens et les américains – entre autres - vivent dans un climat étrange. La presse joue son rôle, transmet l’information, puis le silence revient. L’excuse de l’actualité, de l’information qui en chasse une autre est-elle la vraie raison ? Il y a de quoi en douter.

L’été arrive. En cette saison propice aux plaisirs, à la consommation, il n’y a aucune raison d’inquiéter le contribuable. La presse reste donc quasiment muette jusqu’au 12 juillet. C’est bien connu, le constat six mois après est nécessaire, sinon obligatoire. Et celui de la presse française et internationale est sans équivoque : la reconstruction est au point mort. Malheureusement réaliste pour certaines choses, ce constat doit être nuancé car la presse n’a pas joué son rôle dans la totalité ! En effet, entre journalistes et envoyés spéciaux présents à Port-au-Prince pour « l’occasion », rien n’a changé,

le chaos règne toujours, les gravats, les bâtiments en ruines et les camps de réfugiés sont toujours visibles. Pourtant, les ONG, l’ONU et ses agences travaillent sans relâche, tout comme les haïtiens qui rivalisent d’ingéniosité et d’innovations pour recréer un espace de vie, une activité, et s’en sortir, à l’image des médias ou d’organisations paysannes. Avant de traiter le sujet, ont-ils pris connaissance

des raisons, de l’histoire qui font de cette catastrophe la pire crise humanitaire résultant d’une catastrophe naturelle depuis deux siècles ? Non, sans doute, le temps leur a manqué ! Le temps sur place également ! Mais pour la suite, il est plus difficile d’invoquer cette excuse. Nous savons que nombre de journalistes haïtiens n’ont pu exercer leur métier, alors pourquoi ne pas s’appuyer sur leur expérience et leur connaissance pour parfaire les analyses ? Ils ont préféré s’appuyer sur les ONG internationales, présentes depuis plus de vingt ans pour certaines, quelques semaines pour d’autres. Faut-il en conclure que les humanitaires sont des sources plus fiables

que la population, elle-même ne servant que de vitrine du désastre ? Ce lien entre média et ONG, parfois exclusif à l’image du service public français qui a offert une tribune particulière à La Fondation de France, en fait grincer plus d’un, journaliste comme humanitaire.

Une question se pose donc : comment la presse, censée nous informer de ce qui

se passe réellement peut-elle être crédible sans s’immerger au sein des structures de l’aide et des camps de réfugiés ? De par leur rôle, les journalistes – même s’ils sont sous le joug d’actionnaires – sont ils conscients que l’information qu’ils donnent n’est pas juste ? Et se rendent-ils compte qu’avec ce genre d’informations, ils entrainent dans leur sillage des justifications problématiques ? Car si l’humanitaire vit des heures fastes, face à de tels messages, la majorité comprendra que donner ne sert à rien puisque rien n’avance, et, pire encore, pourquoi donner si je ne sais pas où va mon don. De nombreux sites d’informations tels que Slate, Médiapart ou Rue89, ainsi que des ONG comme Médecins du Monde se sont interrogés sur le rôle des médias lors de crises humanitaires, et les dérives qui en découlent. S’ils sont tous

unanimes concernant la difficulté de suivre au jour le jour les répercussions d’une telle catastrophe sur le long terme, chaque crise provoque néanmoins son lot de dérives dont nous pâtissons tous, mais pas seulement.

Un pays entier tel qu’Haïti en pâtit. Il est facile de présenter un pays par ses clichés, fussent-ils vrais, mais peu digne d’un vrai travail journalistique. Les clichés français comme la baguette, le vin rouge et le béret nous exaspèrent souvent, alors imaginons ce que les termes de « pays le plus pauvre de l’hémisphère nord » à eux seuls peuvent générer chez les haïtiens. Si c’est une réalité, cela génère une image d’incapacité

L

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 53

de gestion, donc, pour simplifier de « sous développement ». Les mots ont une force, un poids important, et des conséquences non moindres. Cela implique beaucoup de responsabilité, mais elle semble ne pas être omniprésente dans certains cas, en presse écrite notamment. Les radios françaises sont bien plus exemplaires, notamment France Culture, qui a traité de nombreux sujets tout au long des mois écoulés, comme le don, la diaspora, les problèmes d’immigration des haïtiens, pour finir par une semaine complète dédiée à Haïti du 9 au 13 août. Mais qui dit presse, dit également dessins et caricatures. Ils sont déssiminés tout au long de ce numéro, mettant en exergue un texte, un article une citation. D’autres sont des articles à eux seuls, satiriques parfois, humoristiques toujours, et plus que tout réalistes face à l’image d’Haïti pour les occidentaux.

Plutôt que de reprendre l’ensemble de ces problèmes, qui sont bien décrits par d’autres journalistes, MEMOIRE a choisi de vous les présenter sous forme de revue de presse.

Néanmoins Il aurait été facile mais peu professionnel de vous laisser vous débrouiller seuls avec ces articles, qui tirent à boulets rouges sur les médias, ou une partie d’entre eux.

Ces exemples, s’ils sont symptomatiques des dérives dans lesquelles peut nous entrainer la mondialisation à outrance, la recherche de la gloire, l’empressement informatif pour l’audimat, la compétitivité donc l’argent, ne nous dédouanent pas, nous, le public, de responsabilités. Car ne nous en cachons pas : si nous n’étions pas si friands de ce genre d’information-spectacle, il y en aurait sans doute moins, et leur diffusion serait certainnenent moins importante. Il en va donc de notre responsabilité de signaler ce genre d’erreurs ou de connivences, car elles ne servent ni l’humanitaire, ni le journalisme mais nous permettent surtout d’assouvir notre plaisir. Les jeux du cirque ne sont pas si loin, après tout, et le public beaucoup plus nombreux.

Comme pour le Tsunami en 2004, les médias appellent leur lecteurs, auditeurs et téléspectateurs aux dons pour aider les victimes du séisme du 12 janvier en Haïti. Sur place, ils pallient parfois même les défaillances des secours, s'improvisant secouristes d'un jour. Bouleversement des programmes sur le service public : dimanche 24 janvier, France Télévisions et Radio France diffuseront un grand concert de solidarité avec Haïti en direct du Zénith de Paris. France 2, TV5, France inter et RFO seront de la partie. France 2 a même dû reléguer un match de foot sur France 3. Le grand concert, gratuit, sera une sorte de "Téléthon pour Haïti", avec des artistes "français" et "internationaux". Reportages et duplex de journalistes de France 2 depuis Haïti émailleront le show.

L'initiative vient après une forte mobilisation du service public en faveur des dons aux sinistrés : dès le 13 janvier, soit quelques heures après le séisme, Radio France et France Télévisions se sont

"associées" avec la Fondation de France, appelant leur public à donner à cette organisation en particulier. La Fondation de France est une organisation privée qui finance des projets sur le terrain. Le Monde s'est ensuite ajouté au partenariat.

Cette "exclusivité" entre ces médias et la Fondation de France fait grincer des dents dans le milieu de l'humanitaire. Rony Brauman, ancien président de médecins sans frontières, était invité sur le plateau de Médias le magazine le dimanche 17 janvier.

"Là où je trouve qu'il y a un dépassement de limite, c'est lorsque des médias publics se mettent au service d'une ONG, d'une institution privée.""On avait déjà eu ça au moment du Tsunami, j'avais trouvé ça très choquant, et en plus très pervers (...) les journalistes deviennent des collecteurs de fonds (...) alors qu'on attend de l'information".

Autre critique : Bruno Frappat, ancien président du directoire et président

d'honneur du groupe Bayard, déplore, lui, sur son blog, le "black out" dont sont victimes les associations chrétiennes : "Depuis maintenant quatre jours, le service public - Radio-France et France-télévisions - s'est associé à la Fondation de France pour demander aux auditeurs et aux téléspectateurs d'envoyer leurs dons à ladite Fondation. (...) Tout cela est bel est bon, en termes de charité... comme de communication. Mais, entre-t-il dans les missions du service public, de faire le black-out total, lors de ses nombreux appels sur ce thème, au sujet des autres organisations qui œuvrent, elles aussi, à soutenir le peuple haïtien ? Ce partenariat avec l'honorable Fondation de France interdit-il d'évoquer l'existence du Secours-catholique Caritas France, des initiatives lancées par la Fédération protestante, par la Croix Rouge, par le Secours populaire et tant d'autres ? Quel est le sens de cette exclusivité ? Est-elle au service des seuls Haïtiens ? On aimerait que quelqu'un nous éclaire sur ce point."

La fonction humanitaire des médias

La fonction humanitaire des médias, autre qu’informative, réside dans sa diffusion massive de messages d’appel aux dons. Les ONG ne pourraientt rêver meilleure publicité, d’autant plus qu’elle est gratuite, et pourtant...Ce sont souvent les organismes les plus importants, les plus connus et pesant le plus lourd financièrement qui sont représentés, car ils sont les plus à même de réagir vite et de gérer un tel afflux de dons. Cependant, lorsqu’un seul d’entre eux est représenté, nous sommes en droit de nous interroger sur la raison d’un tel choix.

Les médias au secours des Haïtiens S. GINDENSPERGER, in Arrêts sur images, le 19 janvier 2010

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 54

Les journalistes, ces héros...

Lorsque les journalistes se mettent en scène au détriment de l’information, on oscille entre télé-réalité, série télévisée et voyeurisme sans grand intérêt journalistique. Et lorsqu’un journaliste se mue en secouriste, qui n’est pas sa fonction première, on le félicite. Pourquoi ? pour avoir simplement agi comme des humains plutôt que comme des journalistes ? Ne soyons pas trop durs. Les médias sont utiles dans ce genre de situation, et ces actions restent isolées. A moins qu’elles ne prennent de plus en plus d’importance dans le paysage médiatique...car n’oublions pas que ce qui arrive aujourd’hui aux Etats-Unis, arrivera demain chez nous, à moins que cela arrive déjà....

Les secousses du séisme en Haïti ont été ressenties jusque dans les salles de rédaction américaines, où à grands coups d’images choc et de fins mots, chacun cherche à valoriser l’action de la bannière étoilée.

A chacun son angle de vue pour observer la tragédie haïtienne. Ici, des caméras jouent des lentilles pour capter une image de cadavre, là un reporter tient dans ses bras un bébé déshydraté, comme autant de méthodes journalistiques. Aux Etats-Unis, le traitement médiatique de l’intervention américaine en Haïti connait des succès et des ratés parmi lesquels l’observation de tendances symptomatiques propres à la presse américaine.

Journaliste : une vie de super-hérosTout d’abord, on constate que les Etats-Unis sont très friands des reportages

embarqués auprès des sauveteurs et qu’il est plus fréquent de lire un article consacré à une équipe de secouristes qu’à un camp de victimes. Ainsi, les journalistes suivent volontiers des interventions en direct, comme Jonathan Serrie de « Fox News » qui observe les dégâts de l’île à bord de l’hélicoptère du 22ème commando des Marines.

Le pendant de ces reportages du côté des sauveteurs est que le journaliste peut brusquement devenir un « acteur » voire un « héros » de l’action qu’il rapporte. Le meilleur exemple de cette tendance nous vient de CNN. La chaîne d’informations possède en effet son lot de reporters-vedettes parmi lesquels figure Anderson Cooper. Connu des téléspectateurs américains pour son brushing gris et son regard ténébreux, il a réussi (excusez du peu) à sauver un gosse d’un lynchage devant les caméras. Idem

pour le Dr Sanjay Gupta, neurochirurgien d’Atlanta et « reporter médical » pour cette même chaîne, qui a pu opérer du crâne une petite haïtienne en présence de son photographe.

Comble de cette starisation des journalistes, il arrive que le reporter oublie de filmer la catastrophe et se consacre uniquement à lui. Ainsi, Adam Housley, journaliste à Fox News, organise ses interventions comme un journal intime si bien qu’à son arrivée à Port-au-Prince, il filme sa conversation avec un soldat, puis le tarmac de l’aéroport, mais rien sur le séisme.

D’autre fois, les images sont brutes et sans commentaires. Comme sur CNN où Tom Cohen diffuse des scènes d’émeutes avec comme titre de légende « Pillages ? » tout en affirmant qu’il ne sait pas ce qui se passe sur ce reportage.

Rayclid,(Bakchich info)

Les journalistes, secouristes d'un jourS. GINDENSPERGER, Arrêts sur images, le 19 janvier 2010

Pour autant, les journalistes ne se contentent pas, en Haïti, d'appels aux dons. Certains n'hésitent pas à prendre part aux opérations de secours. Cela donne à chaque fois des moments de télévision forts, comme sur France 2 lundi 18 janvier.L'envoyée spéciale de la chaîne Maryse Burgot, en reportage dans un orphelinat complètement détruit, découvre un enfant grièvement blessé, au nom évocateur de Jerry Lafrance. "Alors que nous nous apprêtons à tenter de trouver une solution pour cet enfant, cette femme, médecin militaire, arrive : elle est envoyée par l'ambassade de France à Port-au-Prince", commence la journaliste. Impossible de joindre qui que ce soit pour faire venir une ambulance (..) il faut prendre une décision alors que la nuit tombe. Ce n'est pas réglementaire pour ces hommes de la sécurité civile de transporter un enfant dans une voiture normale, la nôtre fera l'affaire."La journaliste devient à ce moment-là partie prenante au reportage

Haïti, « USA is watching you »AC DUCOUDRAY, bakchich info, le 21 janvier 2010

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 55

"Ces images ont été tournées la nuit dernière, avez-vous aujourd'hui des nouvelles du petit Jerry ?", demande David Pujadas à Maryse Burgot dans la foulée du reportage. "Les médecins nous ont dit qu'il avait un grave traumatisme crânien, mais que ses jours ne sont pas en danger. "

L'équipe de France 2 n'est pas la seule à avoir sauvé un enfant des décombres : un caméraman originaire de République dominicaine, travaillant avec une équipe de télévision australienne, a sorti des gravats la petite Winnie, là aussi sous l'oeil des caméras. La petite miraculée, entourée par une équipe de télévision, devient automatiquement un symbole.

Les images ont notamment été diffusées dans le 13 heures de TF1 du 16 janvier Les radios ne sont pas en reste : France Inter racontait le 18 janvier l'histoire d'un père qui souhaitait amener sa fillette "moribonde" à l'hôpital, et qui "ne doit son hospitalisation qu'à l'intervention d'un technicien de France Info". En effet, les militaires américains ont repoussé à l'entrée de l'hôpital le père de famille. C'est un technicien de France info qui a arrêté un camion de secouristes qui pénétrait dans la zone, afin d'y faire entrer l'enfant.

La catastrophe en Haïti pose de véritables défis médiatiques. Défi de la pertinence, du respect, défi aussi de bien mettre en contexte les informations sans sombrer dans le voyeurisme.

C'est le genre de situation où les médias marchent sur la corde raide. D'autant plus qu'ils n'ont pas le choix de sortir de leur réserve, jouant aussi le rôle de courroie de transmission pour les demandes d'aide, les collectes de fonds, etc.

Cette épouvantable tragédie sera sûrement un des événements médiatiques des dernières années. La porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, Élisabeth Byrs, déclarait ce week-end que le séisme qui a ravagé Haïti est le pire désastre auquel l'ONU a été confrontée, ce qui n'est pas rien. Mme Byrs ajoutait que, contrairement au tsunami de 2004 en Asie, les structures locales qui pouvaient soutenir l'aide étrangère ont éclaté.

Mais déjà vendredi, sur notre site Internet, des lecteurs lançaient un débat : y a-t-il trop de journalistes à Haïti ? Nuisent-ils à l'organisation des secours ?

Il est indéniable que l'on a absolument besoin des médias sur place pour témoigner de la situation, et les journalistes qui y sont envoyés doivent travailler dans des conditions difficiles, alors qu'ils baignent vraiment dans l'horreur, avec tous ces morts sur les trottoirs, et ces blessés «stationnés» dans des parcs sans aucun médicament.

Évidemment, quand on voit la vedette de CNN, Anderson Cooper, braquer son micro sur les cris d'une jeune adolescente qui

était ensevelie sous les décombres pendant que des secouristes tentaient de la sortir de là sans aucun outil, on a vraiment le goût de lui dire «lâche ton micro et va donc les aider à soulever le morceau de béton!» (la jeune femme a finalement été sauvée).

Pourtant, on doit accepter le fait que les médias se ruent en troupeau dans les rues de Port-au-Prince, parce que de toute façon le silence médiatique serait pire. Et le nombre de médias sur place est une garantie que l'organisation de l'aide sera surveillée. Peut-être pas une garantie à 100 %... mais croyez-vous vraiment que ce serait mieux si tous les médias partaient?

La présence de Radio-Canada, pour ne prendre que cet exemple, nous a fait prendre conscience samedi que le séisme avait fait d'énormes ravages à l'extérieur de Port-au-Prince, ce que l'on ne savait pas encore. Car Radio-Canada semble avoir été un des premiers médias à se rendre dans d'autres villes que la capitale, pour constater un degré d'horreur aussi élevé.

Tout est dans la façon de montrer les choses. Cette fin de semaine, TVA a diffusé un reportage de Richard Latendresse qui n'a vraiment pas fait honneur à la profession. Le journaliste a poursuivi un camion qui venait de ramasser des corps, se mettant lui-même en scène sans vergogne comme si l'on était dans un film («on va le suivre, on ne sait pas où il s'en va»), répétant sans cesse d'un ton mélodramatique que l'on était en train de voir des cadavres, filmant sans aucun problème le déversement de corps dans une décharge (ça peut se raconter à l'écran sans être obligé de le montrer!), terminant son reportage avec cette phrase insultante: «C'est n'importe quoi.»

Un lecteur du Devoir, Pierre Schneider, a suggéré sur notre site Internet que dans un tel événement on devrait plutôt créer un pool international de journalistes accrédités. Ceux-ci seraient les seuls à avoir accès au terrain, et ils alimenteraient les autres médias.

L'idée semble intéressante. Mais le journaliste du Journal de Montréal actuellement en lock-out, Fabrice De Pierrebourg, n'est pas d'accord. Intervenant lui aussi sur le site du Devoir, il fait valoir qu'il faut plutôt maintenir la diversité de l'information même dans la catastrophe. «Je ne crois pas que le journaliste de CNN va s'intéresser au sort des Québécois disparus par exemple», écrit-il.

«Le pire qu'il pourrait arriver aux Haïtiens et aux organismes humanitaires, ajoute-t-il, ce serait justement que les journalistes plient bagage. Sans images (dures), le reste du monde passera vite fait à autre chose.»

Point de vue similaire dans Le Monde d'hier. Un psychiatre français, qui travaille actuellement avec des ressortissants haïtiens, explique que, pour les Haïtiens, l'hypermédiatisation qui accompagne une telle catastrophe a un effet positif « dans le sens où elle signifie une solidarité vis-à-vis des victimes et de leurs familles ».

Le revers, ajoute-t-il, c'est que les médias, après quelques jours ou quelques semaines, vont se désintéresser de l'événement. «Ce moment est toujours vécu comme une souffrance supplémentaire, comme un véritable abandon». Question : dans un mois, est-ce que vous serez encore émus par le sort d'Haïti, alors que tout restera à reconstruire ?

Haïti, le défi médiatiqueP. CAUCHON, Le Devoir, le 18 janvier 2010

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 56

Comment écrire sur Haïti

Un jeune journaliste américain, Ansel Herz, 22 ans, travaille depuis septembre 2009 en Haïti. Présent lors du séisme, survivant donc, il donne une belle leçon de journalisme à ses compatriotes - via son blog - mais également à la presse française via le site the media trend.

L‘acteur Sean Penn participe à la gestion d’un camp de personnes déplacées, victimes du séisme en Haïti. Il a accusé les journalistes de ne plus couvrir Haïti. Il se trompe. Ces dix derniers mois, j’ai travaillé comme journaliste indépendant, sur le terrain à Port-au-Prince. Je suis un survivant du tremblement de terre, et j’ai vu les grands reporters aller et venir. Ils font un travail tellement formidable que je veux les aider. J’ai écrit ce guide pratique pour leur retour au premier anniversaire du tremblement de terre, en janvier!

Pour commencer, utilisez toujours l’expression « pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental ». Vous devez toujours rappeler à votre public la pauvreté exceptionnelle d’Haïti. Il est peu vraisemblable que d’autres articles aient mentionné ce fait.

Vous êtes frappé par la «résilience» du peuple haïtien. Ils survivront, peu importe leur pauvreté. Ils sont stoïques, ils se plaignent rarement, et de ce fait ils sont admirables. Le meilleur pauvre est celui qui souffre en silence. Une citation de deux phrases sur leur misère s’intègrera parfaitement dans votre article. C’est tout ce qu’il faut.

Lors de votre dernière visite vous êtes tombé sous le charme d’Haïti. Vous êtes tombé amoureux de sa culture colorée et vous vous êtes senti obligé de revenir. Vous prenez tellement soin de ces gens qui

travaillent dur. Vous êtes ici pour les aider. Vous êtes leur voix. Ils ne peuvent pas parler pour eux-mêmes.

N’écoutez pas si les Haïtiens parlent fort ou deviennent indisciplinés. Vous pourriez être en danger, et il vous faut alors partir. Les manifestations ne sont pas à prendre au sérieux. Les participants sont probablement tous payés pour être là. Tous les responsables politiques haïtiens sont corrompus ou incompétents. Vous devez alors trouver une autorité étrangère à Haïti qui évoquera en termes sévères la façon dont ils [les politiciens haïtiens] doivent rentrer dans le rang ou céder le pouvoir à des étrangers incorruptibles.

L’ambassade des Etats-Unis et les Nations Unies considèrent toujours que les manifestations sont une menace pour la sécurité. Ce sont toujours des troubles sociaux. Si les manifestants sont battus, gazés ou tués par les Casques bleus, ils l’ont probablement mérité car ils étaient « hors contrôle ». N’enquêtez pas sur leurs plaintes [où ils affirment] être en permanence victimes de violence.

Après le tremblement de terre de janvier

2010, tout était très violent. Des «pilleurs» se sont battus pour des biens «volés» dans des magasins qui s’étaient effondrés. Des prisonniers évadés ont semé la pagaille. Il n’était pas nécessaire d’être précis sur le nombre de personnes effectivement blessées ou mortes dans ces affrontements. L’essentiel tenait au fait que c’était effrayant.

Aujourd’hui, beaucoup de ces pillards sont devenus des « squatters » dans des camps « sordides ». Leurs villages de tentes sont « grouillants » de gens, comme des fourmilières. Vous avez vu vos collègues utiliser ces mots encore et encore dans leurs reportages, alors vous devriez le faire

aussi. Vous n’avez d’ailleurs pas le temps d’utiliser un dictionnaire avant le bouclage.

Mettez en valeur le fait que Port-au-Prince est surpeuplé. Ne parlez pas des grands espaces verts vides que l’on trouve autour de la ville. Bien sûr, il est impossible d’expliquer que les Marines américains, qui sont des occupants, ont forcé le passage d’une économie haïtienne rurale et en croissance à une gouvernance centralisée dans la capitale. Cela n’entre pas dans votre nombre de mots. D’ailleurs, c’est de l’histoire ancienne.

Si vous devez mentionner l’histoire d’Haïti, référez-vous vaguement à un longue lignée d’assoiffés de pouvoir et de dirigeants corrompus. Par exemple, les « Duvalier à la poigne de fer ». N’évoquez pas les 35 ans de soutien américain à cette dictature. La révolte des esclaves sur laquelle Haïti a été fondée sera « sanglante » et « brutale ». Ce vocabulaire ne s’applique pas aux modernes offensives américaines en Afghanistan et en Irak.

Aujourd’hui, Cité Soleil est le bidonville

Comment écrire sur HaïtiA. HERZ, The Media Trend (en français), Mediahacker (site du journaliste, en anglais), le 25 juillet 2010

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 57

le plus dangereux au monde. Il n’est pas nécessaire de prouver cette assertion. Il est « tentaculaire ». Encore une fois, il n’y a pas de temps pour consulter un dictionnaire. Évoquez des gangs impitoyables, des trous de balles, les porcs et les ordures. De la crasse partout. Des gens désespérés qui mangent des biscuits faits de poussière et de boue! Cela capte toujours l’attention du lecteur.

Restez collé aux gardes du corps que vous avez embauchés ou intégrez les troupes de l’ONU. Vous ne pouvez pas sortir seul pour raconter la vie des gens ordinaires qui vivent dans des quartiers où l’on est solidaire. [Expliquez:] Ce sont des victimes sans défense, qui saisissent toute l’aide qu’ils peuvent. Vous ne les avez pas vus répartir tranquillement la nourriture entre eux, bien que ce soit une pratique courante.

Il est préférable de parler des groupes qui viennent périodiquement de l’étranger pour fournir de la nourriture aux enfants affamés (prendre des photos!). Ne pas parler aux jeunes de Cité Soleil sur le fait qu’ils sont fiers de l’endroit dont ils sont originaires. Ce sont probablement les membres d’un gang. Presque tout le monde ici soutient l’ex-président Jean-Bertrand Aristide. Mais leurs points de vue ne sont pas pertinents. Il n’est pas nécessaire de mettre de la politique dans votre article.

Vous n’oublierez pas de faire un sujet sur les restaveks [lire celui-ci, publié dans Courrier International]. Les enfants esclaves. C’est tellement choquant. Il y

a peu de nouvelles informations sur les restaveks, donc contentez-vous de recycler d’anciennes statistiques. Le présenter comme un phénomène uniquement haïtien. Les travailleurs agricoles haïtiens réduits en esclavage dans le sud de la Floride, par exemple, ne sont pas aussi intéressants.

Lorsque vous reviendrez ici dans six mois, un grand nombre de personnes pauvres et désespérées n’auront toujours pas reçu d’aide, ou peu. Il y a de nombreuses grandes ONG étrangères inefficaces à Haïti. Clairement, quelque chose ne va pas. Une indignation, type « souffle coupé », sera le ton approprié.

Mais n’essayez pas d’aller au fond de la question. N’oubliez pas de mentionner que les travailleurs humanitaires font de leur mieux. Leurs intentions positives sont plus importantes que les résultats. Ne pas citer les noms des personnes ou des groupes peu performants. Les reportages sur les stocks alimentaires conservés dans des entrepôts individuels sont une bonne chose. Les enquêtes sur les raisons pour lesquelles les ONG ne parviennent pas à réaliser de progrès en Haïti sont ennuyeuses et trop difficiles. Ne pas explorer des alternatives d’origine haïtienne aux projets de développement étrangers. Il n’en existe aucun. Par principe, ne faire aucun article qui pourrait conduire à changer le système.

D’autre part, ici tout le monde aime Bill Clinton [Président des États-Unis de 1993 à 2001] et Wyclef Jean [chanteur de reggae et de rap, d'origine haïtienne]. Il n’y a aucun

avis divergent sur ce point. Ne jamais dire que ni l’un ni l’autre vivent ici. Peu importe que Clinton ait admis avoir détruit l’économie du riz haïtienne dans les années 1990. Peu importe que l’organisation de Jean ait à plusieurs reprises mal géré les fonds de secours. Cela c’est le passé. Ils représentent le meilleur espoir d’Haïti pour l’avenir. Leur voix compte, ce qui signifie que les médias doivent leur accorder une attention particulière, ce qui [du coup] signifie que leur voix compte, ce qui signifie que les médias doivent …

Enfin, lorsque vous visiterez à nouveau Haïti: restez dans les mêmes hôtels coûteux. Ne soyez pas proche de la population. Produisez beaucoup de sujets et faites de l’argent. Allez avec votre SUV de location dans un camp où vivent des personnes qui ont perdu leur maison et qui vivent toujours sous le vent et la pluie. Sortez dans la boue avec vos bottes imperméables. Un bloc-notes neuf à la main. Cette femme loqueteuse vous crie qu’elle a besoin d’aide, et non d’un étranger qui prenne sa photo. Son garçon de 3 ans est là, accroché à sa jambe. Ses bras sont levés, sa bouche ouverte, mais vous ne pouvez pas la comprendre parce que vous ne parlez pas le créole haïtien.

Enlevez le capuchon de l’objectif et prenez des photos. Lorsque vous aurez suffisamment capté du drame d’Haïti, prenez votre avion de retour.

La caricature et le dessin de presse ont pour but de mettre les défauts existant en avant, de façon humoristique. Concernant Haïti, ils dépassent parfois ce rôle et confortent le lecteur dans les clichés. Ces deux dessins de presse en sont une représentation parfaite, car ce qu’ils expriment a été relayé par la presse écrite et audiovisuelle. Etrange. Car on sait combien les réactions sont virulentes lorsque l’on touche aux monothéisme à travers Mahomet, le Pape ou la toute puissance du protéstantisme aux Etats-Unis...

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 58

Capture d'écran du Mandatory Kill de l'agence Sipa sur la photo du tremblement de terre au Sichuan légendée dans un premier temps par erreur comme un témoignage de la situation à

Port-au-Prince, le 14 janvier 2010. 20 MINUTES

La course à l’image

Un événement tel que le séisme en Haïti, fortement médiatisé, ne pourrait l’être sans images, photo ou vidéo. Cependant, ce besoin entraine parfois des erreurs qui remettent en question, la pertinence et la vérication des sources. Un document estampillé AFP ou Reuters ne laisse planer aucun doute, et pourtant. Cela pose aussi la question de la fiabilité de certains sites internet où tout un chacun peut mettre en ligne du contenu dont la véracité n’est pas toujours vérifiée.

Haïti: Le poids des mots, l'erreur des photosC. CHAUVEL, 20 minutes, le 14 janvier 2010

La diffusion des images de l'événement a été rapide, trop rapide. 20minutes.fr tente le décryptage d'un couac globalisé...Ce jeudi matin, dans Libération, une photo fait tache. Alors que le quotidien consacre plusieurs pages au tremblement de terre en Haïti, l’un des clichés montre en fait... un autre tremblement de terre, au Sichuan, en Chine, en mai 2008.Une confusion due à une cascade d ’ a p p r o x i m a t i o n s , notamment dans les agences de photos de presse, là où piochent - moyennant finances - les journaux et les sites Web d’infos pour illustrer leurs articles. Mais problème: aux premières heures de la catastrophe, mardi soir, aucune agence de photo n’est présente sur place, en Haïti. Pourtant, des clichés, tous les mêmes, ont commencé à affluer sur le fil de la plupart des agences. Des photos qui proviennent en fait... de Twitter.

Afin de pallier l'absence de photographes professionnels sur place, certaines agences auraient ainsi décidé, comme lors des manifestations en Iran en juin dernier, d’agréer des clichés trouvés sur le réseau social et pris par des soi-disant témoins sur place.

Le couac

Parmi celles-ci, la photo publiée dans

Libération. Une photo où l'on peut voir des immeubles effondrés et de nombreux sauveteurs, tout de rouge vêtus, mais qui n’était pas une photo de Port-au-Prince en ruines. «La photo du Sichuan? On l'a vu tout de suite», se vante Reuters à 20minutes.fr. Sauf que ladite photo a été diffusée par plusieurs agences de presse dont l'AFP, Chine Nouvelle, Sipa et Max PPP, avant d'être retirée peu à peu, soit de façon abrupte, sans explication, soit barrée de la mention «mandatory kill» (suppression obligatoire, en VF). Et cela n’a pas été le seul cliché dans ce cas.L'agence européenne EPA, basée en Allemagne, estime que les agences ne sont

pas responsables des erreurs commises par les sources originales. «On ne peut jamais être sûr à 100%, nous ne sommes pas responsables du copyright», précise l'agence à 20minutes.fr. La question ne se pose pas pour ce rédacteur en chef d'une agence de photo, qui a souhaité garder l’anonymat: «La situation est précipitée, on reçoit de tels flots d'images. Les erreurs arrivent tout le temps, ça ne me choque pas. Que les journaux se trompent, j'en ai rien à secouer».Le flux à vérifier

«L'erreur est humaine», reprend le service photo de Reuters. Rentrer en contact avec

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 59

La récupération, par les médias, d'images mises en ligne sur Internet par les témoins peut provoquer des contestations. Exemple avec le tremblement de terre d'Haïti du 12 janvier, où Daniel Morel, un photojournaliste indépendant se signale sur Twitter avec des messages contenant un lien vers le site TwitPic où il met en ligne des photos du drame, très vite reprises et diffusées par l'AFP. Morel et l'AFP s'affrontent depuis devant la justice américaine qui n'a pas encore tranché le litige.

L'affaire a été compliquée par le fait qu'un autre photographe qui n'en était pas l'auteur a repris les images de Morel sous son nom et c'est depuis son compte que l'AFP les a récupérées. Morel a mis en demeure l'AFP et ses clients dès le 12 janvier, puis l'AFP a riposté en attaquant Morel quelques semaines plus tard estimant que la mise en ligne via Twitter implique l'abandon de ses droits sur les photos en question.

Dès le 12 janvier dans la soirée, le jour même de la catastrophe Morel, très au fait des droits des photographes (c'est un ancien de l'agence Associated Press), fait appel à un cabinet d'avocat et met en demeure l'AFP, (plus le correspondant de l'AFP aux USA, l'agence Getty Images et leurs clients respectifs) de cesser immédiatement toute utilisation de ses photos.

Trop tard, récupérées sur Internet, plusieurs photos de Morel ont été diffusées par l'AFP et Getty Images, puis utilisées sur les sites de nombreux médias et dans des quotidiens sur papier. La photo de Morel, d'abord signée AFP/Getty Lisandro Suero, puis AFP/Getty Daniel Morel, montrant une femme avec la moitié du corps coincé dans les décombres a fait la Une de très nombreux journaux, (comme @si l'avait signalé), le 13 janvier pour la presse nord et sud-américaine, et compte tenu du décalage horaire, le 14 janvier en Europe, comme ci-dessous avec Libération et le journal belge Het Nieuwsblad.

Mais Morel n'a pas touché de droits de reproduction. Fin mars l'AFP via son bureau de New York demande des dommages et intérêts à Morel estimant ses réclamations, auprès d'elle et de ses clients, injustifiées. Fin avril, Morel contre attaque et demande 150 000 dollars de dédommagement pour chaque utilisation, illégale à ses yeux, de ses photos. Morel appuie sa demande avec des messages qui lui ont été envoyés via Twitter par plusieurs agences de presse dont l'AFP, souhaitant diffuser ses photos, qui prouveraient donc que l'AFP connaissait l'auteur des images.

La justice américaine tranchera, mais ce cas spectaculaire, risque de faire école : les médias seront plus méfiants à l'avenir, avant de diffuser des images d'une catastrophe ou d'un faits divers, le plus vite possible. Ils attendront sans doute d'avoir un accord en bonne et due forme de leurs auteurs

Haïti : contentieux entre l'AFP et un photographeG. KLEIN, Arrêts sur images, le 10 mai 2010 le 10/05/2010

des témoins (et possibles photographes) sur place n'est «pas toujours facile» ajoute le service photo de l'AFP à Paris à 20minutes.fr, qui assure vérifier soigneusement ses sources «amateurs». Une source «difficile à contrôler» sur les événements comme Haïti, confirme Sipa à 20minutes.fr, qui se défend d’avoir récupéré des clichés «directement sur le Net», mais qui a été prévenue par l’agence Chine Nouvelle pour son erreur sur le Sichuan.

Politiques d’agences

Interrogée par 20minutes.fr, Chine Nouvelle a confié s'être servie sur Radio Tele Ginen, un site haïtien qui a récupéré de nombreuses photos issues de Twitter en se déclarant «non responsable des contenus publiés».

Toute la difficulté, pour les agences de photos, est de vérifier en temps réel, les sources des images. Reuters a choisi la prudence en ne diffusant que les photos de ses propres photographes, quitte à en avoir moins, et moins vite. L’AFP photo a, elle, parfois accepté des photos en précisant qu’elles «venaient de Twitter».

Mais dans ce cas, comment faire la distinction entre le compte Twitter d’un vrai photographe comme Daniel Morel et celui d’un Lisandro Suero, inconnu au bataillon, qui diffuse, à la vitesse de la lumière, sur le site de micro-blogging des photos sans copyright. Et se fait ainsi une belle publicité. Contacté par 20minutes.fr, Lisandro Suero se dit «très occupé».

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 60

Séisme, mensonges et vidéoRue89, le 17 janvier 2010

Intox, mode d'emploi. D'un côté, des individus réactifs et fin connaisseurs du web. De l'autre, des journalistes pressés et mal formés à la vérification en ligne. La vidéo présentée par des médias comme celle de "l'ambassade de France à Haïti pendant le tremblement de terre", capturée à la va-vite sur des plateformes, passe pour un cas d'école.

Je suis - brrr - tout rouge de rage. Plusieurs médias auraient pu éviter de commettre une énorme bourde - aux conséquences désastreuses en terme de réputation.. Petite chronologie et analyse d'un cafouillage annoncé.

13 janvier 2010. Neuf heures du matin. Quelques heures après le tremblement de terre à Port-au-Prince, Citizenside reçoit une vidéo intitulée "Ambassade de France pendant le tremblement de terre à Haïti". Nous diffusons tous les jours des images d'amateurs qui veulent participer à l'actu. Dès le premier visionnage, Matthieu Stefani et Philippe Checinski, cofondateurs de Citizenside, ont un très gros doute. "Quelque chose cloche".

La séquence dure 57 secondes. Une caméra de surveillance, braquée sur des bureaux en open-space, semble capturer la sieste d'un chien.

Soudain, l'animal se lève et s'enfuit. Puis tout commence à tanguer. Un homme blanc, en t-shirt, de forte corpulence, s'échappe hors champ, non sans mal. Il est bientôt rejoint par ses collègues. L'image se brouille. Fin.

Nous échangeons nos impressions quand se produit un événement très, très étrange. Un tweet de Pascal Riché. Le cofondateur du site Rue89, évoque la même vidéo. Pour aussitôt émettre, lui aussi, des réserves.

La vidéo est cette fois diffusée sur Dailymotion. Mais aussi sur YouTube. Même pseudo, même titre, même date de publication, pendant la nuit (heure française) de la catastrophe en Haïti.

Vraiment intrigant. J'enquête.

Première interrogation : cette vidéo était-elle déjà en ligne avant même les premières secousses à Port-au-Prince? En moins de dix minutes, avec des moteurs de recherche classiques, je reconstitue l'histoire et en détermine l'origine. La séquence date du 9 janvier - soit trois jours avant la catastrophe en Haïti.

La scène se passe pendant un tremblement de terre dans le nord de la Californie. Notre manipulateur s'est contenté de zoomer sur l'image pour effacer la date d'origine, comme le note un autre journaliste de Citizenside, Nicolas Filio.

Le chien appartient à un couple d'employés d'un journal, le Times Standard, qui ont diffusé la vidéo sur YouTube. Le succès est immédiat : le flair du chien, qui aurait pressenti les secousses, fait le bonheur des internautes à travers le monde, qui la partagent ou la recopient. Partout. Même CNN tombe sous le charme et diffuse la séquence.

Je ne suis pas un labrador, mais j'hume comme un parfum de poudre dans l'air. Il est tôt. La vidéo est bien titrée, bien "taguée", avec des mots-clés comme "tremblement de terre", "Haïti", "France". Tout pour ressortir dans les premiers résultats des moteurs de recherche. Les médias hexagonaux se réveillent tout juste.

Aucun envoyé spécial n'enverra d'images avant quelques heures aux rédactions. Autant de bêtes affamées sans pitance, qui vont se précipiter sur le web.

En face, un individu très réactif, qui inonde simultanément toutes les plateformes vidéos. Pour la petite histoire - renseignements pris - notre expert es-manipulation est un fonctionnaire émargeant...au ministère de la Défense (peut-être en mal d'occupation pendant ses congés?). Notre homme poussera parfois le vice jusqu'à se présenter sous le nom d'un diplomate travaillant effectivement à l'ambassade de France à Haïti.

J'émets vite une série de tweets pointant vers le site de CNN. Difficile de faire plus explicite. Malheureusement, tout le petit

monde des médias n'est pas sur Twitter. Pire, tous ne suivent pas.Je ne m'arrête pas là et signale le problème de cette vidéo à YouTube et Dailymotion. Sans succès. J'écris au plaisantin via les commentaires (comme Rue89). Chou blanc : l'auteur se contente de les supprimer.

Mais la machine médiatique s'est réveillée, et doit nourrir des couvertures en direct sans beaucoup d'infos, et encore moins d'images. On évoque vite des milliers de morts. Je vois très vite la "fausse" vidéo diffusée sur le site d'un quotidien régional. J'appelle le rédacteur en chef. Le lien vers YouTube est aussitôt supprimé. Mais je ne peux pas prévenir tout le monde.

Je parie sur le bon sens des télévisions. Car il s'agit bien de bon sens.

Regardons la vidéo à nouveau. Un chien ? un homme blanc plutôt gras, habillé très, très décontracté? Dans les locaux d'une ambassade ? Et vous en voyez souvent, des vidéos de surveillance tournées dans l'enceinte d'une représentation officielle à l'étranger ?

Donc, le chargé de la sécurité aurait recopié la vidéo (relevant du secret défense) sur son ordinateur, coupé la séquence en ouvrant un logiciel de montage, avant de l'envoyer sur différentes plateformes en ligne? Sans crainte de se faire prendre et de perdre son emploi ? En pleine panique? Alors que l'ambassade de France est aussi touchée par le séisme ? Tsss. Tss. Et re-tsss.

13 janvier 2010. 20H30. Bilan des dernières heures : France 3 a présenté la vidéo de notre "ambassade" dans trois éditions. Autres belles prises dans le filet de notre manipulateur : la chaîne d'info BFMTV (qui retire vite la vidéo de l'antenne), qui s'est elle-même fournie auprès du service vidéo de l'AFP. L'Agence s'aperçoit relativement rapidement de son erreur, mais le mal est fait (Citizenside compte parmi ses actionnaires l'AFP, séquence honnêteté).

L'erreur est humaine. Personne n'est infaillible. La fatigue, la pression aidant, un journaliste peut rapidement commettre

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 61

une erreur.

Je reste étonné par le cas France 3. Trois éditions, jusqu'à 19h30 ? Avec autant de rédacteurs en chef, de chefs d'édition, de présentateurs?...

Question : ce cafouillage pouvait-il être évité ? Oui. Pour des questions de bon sens. Mais aussi parce que d'autres journalistes, plus à l'aise avec le web, ont flairé la supercherie. Tout comme certains internautes, qui ont repéré et capturé l'erreur des chaînes en direct.

Les journalistes manquent de formation. A la vidéo en ligne. Au web 2.0. Maîtrisent mal Google. Je n'écris pas ces mots uniquement parce que je suis également formateur (re-séquence honnêteté). Mais je vois trop de rédacteurs, vieux loups de mer,

dénigrant "l'Internet" avant de se précipiter sur YouTube pour y pêcher des poissons en plastique.

Je suis toujours étonné de voir des directeurs de rédaction s'interroger sur l'opportunité et l'urgence de mettre à niveau leur troupe sur la recherche en ligne, la vérification des documents amateurs.

Journalistes, rédacteurs en chef, formez-vous. Ou trompez-vous.

18/01/2010 : M6 bat le record toutes catégories, en diffusant cette même vidéo le dimanche 17 janvier 2010, soit quatre jours après la révélation de l'affaire par Rue89.com, LePost.fr, etc...

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 62

Principales sources

Ouvrages : P. RYFMAN, « La question humanitaire » ; R. BRAUMAN et R. BACKMANN, « Les médias et l’humanitaire, éthique de l’information ou charité-spectacle » ; N. KLEIN, « La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre » ; Université des Antilles et de la Guyane, groupe de recherche/formation SACAD (Systèmes agraires caribéens et alternatives de développement), Université d’Etat d’Haïti FAMV (Faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire), « Paysans, systèmes et crise, travaux sur l’agraire haïtien », tome 1 « Histoire agraire et développement ».

Articles : P. MORAL, « La France en Haïti », « De la crise en Haïti », in geopol-soppelsa.com, 7 et 9 mars 2008 ; C. MARTIN, « Des relations commerciales «modestes» entre la France et Haïti », in Le Point, 13 janvier 2010 ; C. RIBBE, « Le devoir particulier de la France envers Haïti », in Alterinfo, 14 janvier 2010 ; C. CHAUVEL, « Haïti, le poids des mots, l’erreur des photos », in 20 Minutes, 14 janvier 20010 ; « La catastrophe d’Haïti et la responsabilité des médias occidentaux », in Le Post.fr, 14 janvier 2010 ; F. STAMBACH, « Petites réflexions sur le drame haïtien », in Médiapart, 15 janvier 2010 ; « Aide à Haïti, les Etats-Unis déploient de gros moyens », in RFI, 16 janvier 2010 ; « Haïti serait « la plus grave crise humanitaire depuis des décennies » », in L’Express, 17 janvier 2010 ; P. RICHE, « Séisme, mensonges et vidéo », in Après la télé, 17 janvier 2010 ; P. CAUCHON, « Haïti, le défi médiatique », in Le Devoir, 18 janvier 2010 ; J-L. HEES, « Radio France au secours des radios haïtiennes », France Info, 18 janvier 2010 ; S. GINDENSPERGER, « Les médias au secours des Haïtiens », in Arrêts sur images, 19 janvier 2010 ; « La reconstruction d’Haïti passera par l’axe Canada-Etats-Unis-Brésil », in France Info, 21 janvier 2010 ; A-C DUCOUDRAY, « Haïti, USA is watching you », in Bakchich.info, 21 janvier 2010 ; P. DOUROUX, « Les français encore plus généreux pour Haïti que pour le tsunami », in Slate.fr, 23 janvier 2010 ; S. CESSOU, « L’Afrique au secours d’Haïti », in Libération, 27 janvier 2010 ; A. FOIX, « Reconstruisons le lien entre la France et Haïti », in Libération, 27 janvier 2010 ; J-G GESLER, « La France et Haïti : des relations en dents de scie que le séisme tente de normaliser », in derkeiler.com, 27 janvier 2010 ; « L’Aide des Etats Africains pour Haiti occultée par les médias », in Djamena Matin, 31 janvier 2010 ; E. CAILLEAU, « Polémique sur les dons en Haïti », in L’Express, 5 février 2010 ; « Les médias haïtiens peinent à sortir des décombres », in Haïtitempo, 7 février 2010 ; E. HARSCH, « Solidarité africaine avec Haïti », in Afrique Renouveau, 10 février 2010 ; B. HERVIEU(Reporters Sans Frontières), « Haïti, les médias en mode survie », in Slate.fr, 22 février 2010 ; F. DUVAL, « La France, ce grand ami aux petits gestes », in Courrier International, 25 février 2010 ; Z. MAALOUF, « Les journalistes haïtiens deux mois après le séisme », in RFI, 19 mars 2010 ; R COLBERT, « Jeux d’influences et d’alliances dans le processus de reconstruction », in Alterpresse, 25 mars 2010 ; J. INTERLANDI (traduit de l’américain par D. KORN), « Comment Haïti et la République Dominicaine ont fait la paix », in Le Nouvel Observateur, 16 avril 2010 ; G. PIERRE, « Haïti-reconstruction : rôle des médias », in Alterpresse, 3 mai 2010 ; M. MALENGREZ, « Médias, un aperçu du secteur après le séisme », Fokal, 12 mai 2010 ; T. LECLERE, « Haïti, avec nos morts, avec nos mots », in Télérama, 22 mai 2010 ; « Haïti ou les limites de la solidarité internationale », in Le Monde, 13 juillet 2010 ; « Un pays ne devrait pas dépendre de la communauté internationale », « La société civile veut un plus grand rôle dans la reconstruction », Irinnews, 15 juillet 2010 ; A. DELOCHE, « En Haïti, quand le remède peut tuer le médecin », in Le Monde, 23 juillet 2007 ; A. HERZ, « Comment écrire sur Haïti », in Media Trend, 25 juillet 2010 ; F. MAYEGA, « L’aide africaine a une saveur particulière », in Afrique Echos, 29 juillet 2010 ; ;

Rapports : Groupe Médialternatif, « Traitement du thème Haïti au niveau de la presse internationale », 2002 ; « Indicateur de développement des médias », UNESCO, 2008 ; Compte rendu de la réunion de réprésentants d’ONG nationales et de personnes déplacées, « Réflexions sur la reconstruction d’Haïti », 5 mars 2010 ; « Bulletin d’information du gouvernement haïtien », 8 mars 2010 ; Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT, Haïti), « Haïti demain, objectifs et stratégies territoriales pour la reconstruction » mars 2010 ; Position des secteurs sociaux haïtiens, « Les mouvements sociaux haïtiens prônent la rupture », 21 mars 2010 ; Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), « Troisième rapport sur la situation générale du pays », 12 mai 2010 ; Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), « Haïti une nation ébranlée, pour une reconstruction fondée sur les droits humains et incluant le peuple haïtien », mai 2010 ; Déclaration Kay Fanm, « Reconstruire Haïti exige une mobilisation nationale pour changer son image », 22 mai 2010 ; Déclaration des paysans haïtiens, « Contre le gouvernement Préval, la multinationale Monsanto et toutes les multinationales qui détruisent la vie sur la planète », juin 2010 ;

Sites internet : Agence haïtienne de presse en ligne Alterpresse, www.alterpresse.org ; Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR), www.garr-haiti.org ; Irinnews, www.irinnews.org ; OCHA, ochaonline.un.org ; Reliefweb, www.reliefweb.int ; ONU, www.un.org/fr ; MINUSTAH, www.minustah.org ; Gouvernement américain, www.america.gov ; USAID, www.usaid.gov ; Gouvernement français, www.diplomatie.gouv.fr ; Haïtilibre, www.haitilibre.com ;

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1 63

Remerciements à

Mme. Dana POPESCU, Directrice du Master 2 « Communication, Humanitaire et Solidarité » de l’Université Lumière Lyon II et directrice de ce travail ; M. Vincent CHARBONNIER, journaliste pour Le Monde et La Tribune, directeur de ce travail ; M. Paul VERMANDE, Président du Collectif Haïti de France et tuteur professionnel de ce travail ; M. Frantz CADET, Secrétaire du Collectif Haïti de France ; Mlle. Emeline SAUVIGNET, Coordinatrice du Collectif Haïti de France ; Mlle. Cindy DROGUE, Chargée de mission partenariat au Collectif Haïti de France ; M. Gotson PIERRE, journaliste, fondateur du groupe de presse haïtien Médialternatif et de l’agence de presse haïtienne Alterpresse ; M. Ronald COLBERT, journaliste pour Médialternatif et Alterpresse, rédacteur de l’hebdomadaire d’information Une Semaine en Haïti ; Mme. Michèle BABINET, rédactrice, secrétaire de rédaction et membre de la Commission information du Collectif Haïti de France ; M. Reynold HENRYS, rédacteur, secrétaire de rédaction et membre de la Commission information du Collectif Haïti de France ; l’ensemble des personnes et des associations rencontrées tout au long de ce travail.

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MEMOIRE - SEPTEMBRE 2010 - N° 1

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Haïti,, Port-au-Prince, juillet 2010 : la situation d’urgence qui persiste n’empêche pas les Haïtiens d’être actifs et créatifs (photos : Collectif Haïti de France, juillet 2010)