Sédir - La guerre de 1914 selon le point de vue mystique

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    La guerre de 1914

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    La guerre de 1914 selon le point de vue mystique.

    Sdir.

    TABLE DES MATIERES

    THORIE MYSTIQUE DE LA GUERRE3LE PATRIOTISME ET L'VANGILE..8LE SOLDAT CONSIDR COMME MYSTIQUE16LE DEVOIR MYSTIQUE DES CIVILS..23

    ***

    THORIE MYSTIQUE DE LA GUERRE

    Si, aprs avoir longtemps refus de paratre en public, vous me voyez ce soir devant vous, c'estl'insistance de mes Amis qui en est la cause. Au bout de huit mois d'efforts, de tnacit, de douleursstoquement subies, me disent-ils, on a besoin d'entendre nouveau les maximes ternelles quirassrnent et qui exaltent. De crainte de me tromper en me taisant encore, je me suis rendu cesraisons. Pardonnez-moi de n'avoir vous offrir que de paroles. Devant les catastrophes actuelles, toute

    parole me semble vaine: la moindre action dpasse les plus sublimes discours Mes infirmitsm'interdisent de combattre pour la Patrie: ce sera le chagrin de toute mon existence, l'humiliationingurissable, l'humiliation de soi-mme en face de soi-mme. Si j'avais eu cet honneur - ce bonheur -une balle ennemie aurait probablement libr mon esprit; il aurait reu mieux la communion

    patriotique; et, des champs de bataille invisibles, il aurait pu rpandre plus abondamment cette nergie

    transfiguratrice qui sauve l'avenir de la France. Le Destin m'a refus cette joie. Acceptez tout de mmele peu qu'il m'est permis de vous offrir.

    Vous n'allez entendre ni un cours, ni des confrences. Je n'ai pas eu le temps de rien prparer. Nouscauserons ensemble, trs simplement; nous nous entretiendrons d'abord, ce soir, de la Guerre en elle-mme, telle quelle est dans l'Invisible; puis nous rechercherons, la prochaine fois, les bases christiquesdu patriotisme. Dans la troisime causerie, nous regarderons la bataille, la mort du soldat, l'hpital, lacaptivit. Et dans la quatrime, nous examinerons si nous, les civils, nous remplissons nos devoirs. Ensomme, je ne ferai que dire tout haut ce que vous murmurent certainement tout bas, pendant vos veillesde mditations et de prires, les mes des hros-martyrs, vos fils, vos frres, vos poux, soit qu ilscombattent ici-bas, soit qu'ils continuent la lutte de l'Autre Ct, parmi les Anges de notre France

    confondus avec les Anges de notre Christ.La plupart d'entre vous sont accoutums mes faons de voir; je demande spcialement ceux quiviennent ici pour la premire fois d'attendre la fin de ces causeries avant de rejeter mes opinions. J'ai

    beaucoup de choses tranges vous expliquer, et aussi des choses dures que je me sens oblig de dire.Il y a des constatations dsagrables qu'il faut faire: pour se gurir, il faut d'abord se reconnatremalade. Tout le premier, je sais que je suis malade; nous sommes entre Franais, nous sommes entrespiritualistes, nous sommes entre chrtiens nous sommes en famille. Nous devons pouvoir tout nousdire sans nous blesser.

    *

    Abordons le ct le plus obscur et le plus angoissant du problme. Pourquoi Dieu permet-il la guerre?Que fait Dieu pendant que des millions d'hommes meurent dans ces carnages et ces atrocits? Cesquestions qu'on entend de toutes parts, je dois dire franchement que je les comprends mal. Je sais querien n'arrive sans la permission de Dieu. Je sais que le Christ est l, avec nous, avec vous, avec moi,

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    avec la mre et l'pouse et l'enfant, avec le soldat, avec le bless, avec l'agonisant. Il ne me faut riensavoir de plus. Le soldat ne questionne pas son gnral; et nous sommes en voie de devenir des soldatsdu Christ.

    Mais tout le monde n'a pas la mme incuriosit. Vos interrogations lgitimes seront peut tre satisfaitespar les ides suivantes.

    Nous ne percevons que des effets, jamais des causes. De mme que nous les civils ne savons de ce quise passe la frontire que ce que l'Etat Major veut bien nous rvler de mme les dieux ne nous

    laissent entrevoir que des pisodes locaux de la bataille de la Vie, ou des ensembles extrmementvagues. Cette ignorance est une preuve notre orgueil: c'est aussi une prcaution affectueuse de Dieu.Dnombrez les devoirs que nous impose notre petit bagage de renseignements sur la Vie, comptez combien de ces devoirs nous manquons; faites le bilan des justes pnalits que nous encourons de cechef. Que serait-ce si notre connaissance du monde tait complte? Quels dsquilibres chez nousentre le savoir et le pouvoir! Combien cette disproportion serait-elle norme et nfaste si nous savionstout, alors que nous ne pouvons presque rien. Et puis, cette ignorance est prcieuse. La raison, le

    jugement, les facults crbrales font partie du dveloppement naturel de l'homme. Mais sondveloppement surnaturel? L'effort qui nous projette par-dessus l'abme-frontire du fini et de l'infini,du cr l'Incr, du Royaume temporel au Royaume ternel, cet effort vers l'au-del du sensible et duconscient, le Christ le nomme: c'est la foi. Son domaine est l'ignorance. Tout ce que je connais, je n'ai

    plus y croire. Si donc en face du malheur, je ferme obstinment les yeux de ma raison, et si je me dis:Je ne comprends pas mais Dieu est l, il sait, Il voit, Il comprend, Il est bon, Il dispose tout pour mon

    bien; cette attitude absurde, selon la sagesse humaine, est la seule vraie, selon l'Absolu, o elle enlvemon coeur et mon esprit, d'un seul battement d"ailes.

    Dieu fait bien ce qu il fait. Il a organis le monde sur le binaire, comme dirait Pythagore. Tout va parcouples, par dualit, par antagonismes. La vie est une guerre universelle. La tuerie est partout. Cettefleur si pure, cette fort majestueuse, ces nobles montagnes, ce visage harmonieux, ne sont-ce pas lesthtres d'effroyables combats? Il serait banal de souligner cette antithse. Et nous voudrions que les

    peuples vivent en harmonie?

    Ne craignons pas de regarder en face les ralits. La Guerre, comme la Paix, sont des cratures deDieu: comme Satan, comme le saint, comme le hros, comme le bandit. La Guerre, vierge folle, et laPaix, vierge sage, sont deux soeurs immortelles; la premire seule n'a su rsister l'preuve. . Rien nenat que de la mort. Aucune clatante beaut ne jaillit que de mille laideurs obscures. Aucun sacrificene fleurit que sur le fumier des vils gosmes dfunts. Aucune concorde qui ne soit fille le la discorde.Regardez autour de vous: quelle srnit ne plonge pas ses racines dans l'angoisse? Quelle puissancene s'lve pas d'innombrables chutes? Aucune certitude ne vaut si le doute ne l'a pas forge. Si le cruelgosme n'avait d'abord durci les fibres d'un coeur, la tendresse ensuite et la bont ne pourraient habiteren lui. Vous qui suivez la voie troite, comment possdez vous un peu de douceur, de foi, de flamme,si ce n'est pour avoir vaincu la colre, l'indiffrence et la paresse?

    Il faut le redire et le crier, mme contre l'vidence apparente: Dieu est bon, le Pre seul est bon. Devantla mort des tres chers, devant la ruine, l'incendie, les tortures, la tentation surgit d'accuser Dieu; et

    plusieurs succombent cette tentation. Mais souvenons-nous des vrits videntes; rappelons le simplebon sens que l'horreur des catastrophes dconcerte. S'il n'y avait pas de haine entre individus, il n'yaurait pas de haine entre familles. S il n y avait pas de haine entre les familles, il n y aurait pas de haineentre les peuples. Dans un fruit pourri, la moisissure a commenc par une cellule imperceptible.L'pidmie qui ravage des provinces a d'abord tu un seul Individu, et chez cet individu elle ne futd'abord qu'un microbe infinitsimal.

    Voil l'erreur des pacifistes. Ils pensent abattre l'arbre en coupant ses frondaisons; c'est la racine qu ilfaudrait aller. D'ailleurs, ils dclarent eux-mmes leur faiblesse, puisqu'on les voit se disputer entre

    eux.

    Si donc, reconnaissant notre ignorance, nous comprenons que la racine de tout mal c'est dans notrecoeur, nous devons nous abmer dans l'humble repentir. Chacun d'entre nous soit comme individu, soit

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    comme citoyen, de combien de malheurs ne fut-il pas l'ouvrier, par ngligence ou par malice active?Vous rappellerai-je la thorie des existences antrieures? Ne savez-vous pas que le mal auquel nousconsentons, mme s'il reste dans la pense, tend prendre une forme matrielle? L homme est uncentre transformateur par qui tout l'invisible passe pour devenir visible. En outre de ses suites

    physiologiques et psychiques, le vice tend force d'annes revtir un corps; un fruit vnneux, unanimal venimeux, un marais pestilentiel, sont les formes physiques des vices autrefois cultivs par deshommes ou des peuples disparus. Une pense de vengeance laquelle on s'abandonne, au bout dequelques gnrations, aboutit un crime: le Christ montre ces choses ceux de Ses amis dont Il ouvre

    les yeux. Or nous avons ha, nous avons t cyniques, impudents, calomniateurs, nous avons dtruitdes confiances, souill des dlicatesses, fauss des voies: maintenant, les soldats de l'antchristralisent devant nos yeux l'horreur de la tratrise, de la cruaut, de la bassesse. La justice des dieux

    passe en ce moment.

    Je vous demande pardon, humblement de dire tout haut ces choses dures. Il vaut mieux que vous lesentendiez maintenant, et de la bouche d'un compagnon de misre, que de les entendre de la bouche du

    juste Juge, au jour redoutable de Son triomphe. Reconnaissons ensemble tous nos torts, d'un seul coup,et fond. Ensuite nous serons obligs, et capables d'en entreprendre la rparation.

    Mesurons notre tache. Je vous l'affirme devant la Vrit, elle est prsente, puisque c'est pour elle quenous nous sommes runis: le Mal subsistera jusqu' la fin du monde. Dieu pourrait bien l'anantir surl'heure; que dis-je: Dieu? la simple prire d'un homme libre mystiquement pourrait enchaner lestnbreuses lgions. Mais elles aussi doivent parvenir la Lumire; et c'est l'homme le rdempteur desdmons. Que les catholiques ne crient point l'hrsie. Ce que je vous dis l est la pense mme duChrist, et un Pre de l'Eglise, saint Augustin, l'a exprime en termes quivalents.

    Et si, contrairement Sa parole, le Verbe Jsus teignait le lumignon qui fume encore , si le mondedu Mal tait d'un coup rejet au nant originel, ce serait le pire malheur pour le genre humain. Si nouscomprenons quelque chose la Vrit, si nous entrevoyons l'ombre des splendeurs ternelles, si nous

    pouvons quelques gestes de bont, c'est grce au Mal. Nous n'avons jusqu'ici pas accompligrand'chose. Sans le mal, nous n'aurions rien fait, puisque nous n'aurions pas eu lutter. Nous serionsde pauvres cratures, innocentes, sans doute, mais inertes, ignorantes, passives. Ne maudissez donc nile Mal, ni la souffrance; aimez la bataille; recherchez-l. Les plus fervents serviteurs du Ciel ne

    portent-ils pas le litre de Soldats du Christ?

    Si nous pouvions seulement nous douter de l'avenir que le Pre nous rserve, nous n'aurions plus decraintes, et dans les pires dsastres, nos yeux intrpides garderaient l'extase des clarts divines uneseconde entraperues. Croyez-moi; je n'enfle pas la voix pour vous insuffler un faux enthousiasme; cedont je vous parle est rel et je reste trs en de de l'exactitude dans les images que je vous trace desmagnificences du Royaume. Donc, la guerre est une condition inluctable de la vie terrestre; neresterait-il qu'une poigne d'hommes ici-bas, qu'au bout de quelques annes, ils recommenceraient se

    battre; et encore pendant leur temps de paix, auraient-ils boulevers le sol, abattu les forts et massacrinutilement les animaux.

    *

    Tout, dans la cration se ralise, an moyen de clichs.

    Les clichs sont les types des choses, des tres et des phnomnes, qui prexistent au temps etsubsistent aprs lui. Ce sont les ides du Pre, vivantes et intelligentes, voyageant dans l'espaceuniversel, le long de routes traces au pralable. Voici quelle image je puis vous tracer des ces choses.Le Pre prend une portion du Nant; Il lui donne une charpente, une forme, et il fixe les emplacementsdes futurs foyers vitaux de cette cration, puis Il les relie tous ensemble par un rseau de chemins.Ensuite Il anime ce cosmos inerte; et chacune de ses innombrables cellules commence alors le travail

    spcial pour lequel Dieu l'a organise. Les occasions de mettre en oeuvre leurs facults sont les formesspirituelles de tout ce qui doit avoir lieu; nous appelons cela des clichs.

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    Tout est la matrialisation d'un clich: une plante, une race, une science, une ville, un phnomnechimique, une crise d'me. Et tout est, successivement un clich visiteur, puis une crature visite.

    Ces visites sont invitables. L'homme craignant l'preuve et l'preuve tant le seul moyen d'avancer, laNature ne permet pas qu'on vite le travail. Seul, un homme prt rentrer dans la maison du Pre estobi, lorsqu'il commande au monde des clichs.

    Je vous ai parl autrefois des esprits, des gnies, des dieux et des anges. Je vous ai montr que cesconceptions n'appartenaient pas seulement aux peuplades sauvages, ou aux hirophantes visionnaires

    de la Chine, de l'Inde, de l'Egypte, mais que la haute raison illumine des Pres de l'Eglise les avaitaccueillies; saint Thomas d'Aquin entre autres, parle des anges attachs chaque crature et de cesesprits mixtes qui ne sont ni des anges ni des dmons. Or, toutes les cratures, mme les trescollectifs, peuples. nations, races, sont des individus vivants dans l'invisible avec un moi, un librearbitre, une intelligence, qui ne sont ni la volont, ni l'intelligence globales des tres humainsconstituant ce corps collectif. Ce moi prexiste au corps, au territoire, au peuple, l'organisme social et

    politique: et subsiste aprs la transformation ou la disparition de ceux-ci. Les diffrentes classessociales sont les organes physiques des diffrentes facults de cet esprit collectif, de mme que lesystme nerveux, le coeur, tel muscle, telle circonvolution crbrale, sont les organes de nos facults

    psychiques et chaque cellule sociale, je veux dire chaque citoyen, reoit inconsciemment de l'esprit dela patrie les lumires spciales la fonction civique qu'il peut tre appel remplir.

    Les races, puis l'humanit terrestre en entier, puis les humanits qui, je le crois, vivent sur d'autresmondes, sont organises sur le mme plan; leur ensemble, le rgne hominal, c'est cet tre immense,que Moise nommait Adam, et que les anciens Sages appelaient: le grand homme cleste.

    Toutes ces hirarchies spirituelles suivent la loi de la cration; ces gnies sont toujours en lutte les unscontre les autres, chacun prend bien la route o le Pre l'a plac: mais ces routes se croisent; lesvoyageurs ne veulent point se cder; et si leurs disputes ont lieu un moment o l'chance approchedes dettes morales contractes par heurs corps physiques, qui sont ces nations terrestres, il s'en suitfatalement une guerre.

    Voil comment se passent souvent les choses de l'autre ct. Tout ceci n'est d'ailleurs pas nouveaupour la plupart d'entre vous; et comme nous avons dj tudi ensemble les transformations des forceset des phnomnes d'un plan un autre, je n'y reviendrai pas aujourd'hui.

    *

    Voici un autre cas assez frquent. Une nation heureuse s'endort, et devient improductive; le gnie de laTerre qui est un matre intress, s'apprte la rejeter, juste communie fait l'organisme humain descellules qui ne travaillent plus. Le mauvais ange de ce peuple se rjouit alors, parce qu il espre, lafaveur du trouble caus par cette expulsion, dvier le gnie national. Le bon ange, lui, essaie d'attiser lelumignon qui fume encore ; si le gnie ne l'coute pas, il recherche une cellule - un des citoyens de ce

    pays - capable de ressentir son influence et de lui servir d'instrument. S'il trouve, cela dclenched'ordinaire une rvolution. S'il ne trouve pas, il use d'un autre stratagme - car tout vaut mieux que laTorpeur: l'inertie, c'est le fond de l'Abme. Il va chercher un gnie voisin, et l'invite prendre contactavec le premier. De ce rapport de gnie gnie naissent toujours des heurts, car ces tres-l quelquegrands qu ils soient par rapport nous, n'ont pas dpass un certain stade de l'gosme. Cesmouvements spirituels, se matrialisant peu peu, engendrent la guerre, mais la catastrophe ne seralise que lorsque le cerveau du peuple, c'est--dire son gouvernement, a donn son adhsion.

    Les gouvernements jouent dans les nations le rle du systme nerveux conscient dans l'individu. C'est eux qu'aboutissent les courants de toute nature qui traversent leurs peuples; leur responsabilit estnorme. C'est pourquoi, outre les capacits intellectuelles spciales, toujours limites, ces personnages

    devraient possder le caractre le plus intgre, la moralit la plus haute, la matrise de soi la plusabsolue, et un coeur tout entier consum par le zle du Bien. Il faudrait qu'ils entendent parfaitementtoutes les demandes montant du peuple vers eux; et qu'ils soient assez purs pour discerner, dans les

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    intuitions reues du Gnie national, la mauvaise influence du mauvais ange, et l'inspiration vraie dubon ange. Tout homme d'Etat devrait tre, dans son intimit, un homme de prire.

    Cela, je vous l'ai dit depuis longtemps, et je puis le redire aujourd hui avec plus de force que jamais,maintenant que certains de nos chefs, aprs avoir constat leur impuissance en des cas dsesprs, ontrecouru la prire et ont vu le miracle leur rpondre.

    Le gouvernant incapable, obtus ou de mauvais vouloir, oblige l'ange, qui veut quand mme sauver le pays, se mettre en qute d'un instrument plus docile. Souvent, le Christ alors charge de cette

    recherche un envoy spcial; celui-ci choisit dans la masse du peuple un tre capable d'entendre savoix, et possdant les proprits physiques, fluidiques et mentales propres la mission dont il va trecharg. L'ambassadeur extraordinaire duque ce sujet quelquefois pendant de longues annes,quelquefois sans que celui-ci se doute de tout le travail mystrieux qui s'accomplit en lui. Puis le hrosest lanc, il ralise son oeuvre, il en meurt; les historiens ensuite la dissquent et n'en dcouvrent,comme l'anatomiste fait du cadavre, que les lments inertes. Tout le ct miraculeux et vivant de cettepope, l'intuition populaire seule s'en doute parfois, et l'exprime dans ses lgendes.

    Ceci eut lieu plusieurs fois en France: l'poque de la Guerre de Cent Ans, la fin de la Rvolution,lors de l'Anne Terrible. D'autres cas seraient signaler; mais ils sont encore trop rcents.

    *Les vues trs succinctes que je viens de vous exposer, dans le seul but de nous dcouvrir des motifs

    plus puissants vers l'action, demanderaient de longs commentaires. Elles soulvent des problmesextrmement ardus. Plus tard peut tre, quand notre France sera victorieuse, quand nous aurons rebtinos ruines, aplani nos champs dvasts, quand nous aurons reconstitu nos usines et nos commerces,quand nous aurons secouru les misres, quand nous aurons du temps enfin, pour prendre un peu derepos, alors, si le Ciel le permet, je vous expliquerai ces mystrieuses antinomies: la bont divine et lamchancet humaine, le martyre de Jsus qui n'empche pas les martyres patriotiques, la misricordeternelle qui permet des monstrueux bourreaux comme ceux d Outre-Rhin.

    Mais, pour le moment, que le coeur seul batte en nous, que nos bras seuls s'affairent. L' intelligencespculative, qu'elle dorme; elle ne nous a jou que des tours pendables depuis cinquante ans. Nousn'avons besoin de savoir que cette seule chose: malgr les apparences contraires, Dieu veut toujours le

    plus grand bien, le plus grand dveloppement, la plus grande batitude de sa crature. Si le chemin estdur, c'est elle qui l'a voulu. Evidemment le Pre peut inventer des moyens l'Infini pour amener deshommes l o il le dsire; soyez srs que le moyen qu'Il choisit est le meilleur. Ne veuillez pas touteforce tout comprendre de suite; est-ce que vous vous rvoltez contre le Gouvernement parce qu'il nevous invite pas tous ses conseils? Moi non plus, si je savais les causes secrtes de nos malheurs, si le

    bon Dieu ou le Christ m"avaient par impossible, admis leurs dlibrations, croyez-vous que je vousen ferais part? Certainement non, quoi qu'il puisse m'en coter. Et puis pourrions-nous comprendred'aussi vastes plans? Et tous nos frres les soldats, ont-ils exig de comprendre, avant de verser leur

    sang?Si notre France tout entire s'est ressaisie soudain, si elle s'est transfigure magnifiquement, si elle alev d'un bras intrpide le drapeau de l'honneur, de la civilisation, de la libert: son drapeau - moi, jecrois, je sais, qu'elle a pu faire cela parce que les esprits de ses enfants ont aperu, par del les horizonsterrestres, les cohortes angliques de la Justice expiatoire, de la Misricorde ternelle et de la Paix.

    Ce que contemple l'esprit de l'homme reste le plus souvent hors de la porte de son intelligence: c'estpourquoi c'est vos coeurs que je m'adresse; c'est par le coeur que l'esprit nous parle. Vos coeurs sesouviennent-ils du Guerrier pacifique qui autrefois mont sur une nesse, rentrait dans sa ville, on peutdire natale, et qui pleurait sur elle: Jrusalem, si tu avais reconnu au moins en ce jour ce qui te pourrait

    apporter ta paix!... Les jours viendront sur toi o tes ennemis t'entoureront, te briseront, toi et tesenfants... parce que tu n'as pas reconnu le jour o Dieu t'a visite. Que le sort de Jrusalem soitpargn Paris! Cela dpend de nous; les soldats ne peuvent pas faire plus; mais nous, les civils, nous

    pouvons davantage; nous n 'avons presque rien accompli. Combien de civils qui soient morts de

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    fatigue, force de veilles charitables, ou qui se soient dpouills entirement pour la Patrie? Une toutepetite proportion, en face des innombrables hrosmes milita ires.

    Rentrons en nous-mmes; regardons-nous sans indulgence. Quand un homme rencontre un saint, etque cette bndiction ne le transforme pas, je vous l'affirme, sept gnrations ne sont point coulesque le suicide est venu sur cet homme, pour apprendre exprimentalement que la Lumire ternelle,c'est la Vie. De mme, quand un peuple transgresseur de la loi divine s'obstine dans sa rvolte, septgnrations ne passent sans que les barbares n'arrivent chez lui; et la gnration qu'ils torturent estcelle-l mme qui a pch. J'ai recueilli ce sujet dans les hpitaux, des confessions biensignificatives.

    Entre toutes les raisons que je puis dcouvrir pour me convaincre que les immenses malheurs actuelsne sont pas immrits, je n'en retiendrai qu'une seule, de l'exactitude de laquelle je suis profondmentconvaincu. Les autres me paraissent trop mtaphysiques; elles blesseraient notre sensibilit vif; lesdire irait l'encontre du but que je me propose. Voici ce que je vous soumets.

    Ces massacres, ces flammes, ces cris de douleur, ces haines, ces larmes, ces blessures physiques etmorales, tout cela c'est la cristallisation matrielle des maux invisibles que nos fautes ont rpandu dansle monde vivant des esprits. Combien de fois ne vous ai-je pas adjur de vous abstenir des mdisances.Ce n'est rien une mdisance; c'est si vite dit, c'est si amusant; et puis, les auditeurs savent que cela ne

    tire pas consquence, puisque tout le monde en crible tout le monde. Cependant, dans le royaumecentral de l'Invisible, o plongent les racines, ou fleurissent les bourgeons de notre vie spirituelle, unemdisance est toujours un assassinat, avec son dcor complet de ruse, de violence, de cris, degmissements. Or, tout ce qui a lieu dans l'invisible tend se raliser dans le monde physique. Au boutd une priode plus ou moins longue, toute mdisance devient un meurtre. Ceci est invitable. Et,

    presque toujours l'assassin actuel est l'ancien mdisant.

    Jugez, par les suites d'un simple cart de langage, de la gravit d'une faute plus lourde.

    Mais, Dieu est bon? Certes, infiniment; c'est nous dont le coeur est dur. Ecoutez celle parabole.

    Voil un pauvre et un riche; celui-ci aime celui-l d'une affection vive et sincre. Le riche propose aupauvre: Je te prends mon service; puis, au bout de quelques annes, je te ferai mon hritier. - Non,rpond le pauvre; je veux bien gagner une belle aisance, mais mon ide. Prte-moi seulement de quoimettre en train mes projets. - Le riche prte; le pauvre perd: le riche prte encore, deux fois, trois fois,dix fois. Le pauvre, malhabile, continue perdre. Le riche, qui l'aime de plus en plus, mesure que cemaladroit s'enlise et s'aigrit, voudrait lui faire entendue raison. Le pauvre ne l'coute pas, et se fche.Alors n'arrivant rien par les bons procds, le riche essaie de faire le mchant. Il envoie au pauvrel'huissier. Le pauvre connat la vraie misre, la saisie, la prison. Enfin, il perd sa sotte fiert, cause detout mal, et accepte les conseils du bon riche qui, le voyant modeste enfin et reconnaissant, le consoleet lui lgue sa fortune.

    Ainsi Dieu voulait rendre les hommes heureux, mais les hommes n'ont pas accept; ils ont, forced'efforts, bti cette civilisation, cette science qui, cependant, s'effondrent chaque pas, parce qu'elless'lvent sur la Matire et sur le Moi. Alors le Pre envoie l'huissier: la guerre, l'pidmie, lacatastrophe. Mais Il ne chtie pas: Il ne s'offense pas; Il possde toute la patience et toute la bont. Il ne

    permet les ractions expiatrices que pour le minimum indispensable; ces paiements de dettesdeviennent des bndictions. Parce que, si, en justice, une souffrance ne fait que rparer exactement unmal commis, le Pre trs bon, donne son enfant qui a souffert, une petite douceur en plus pourl'encourager nouveau.

    *

    Un homme au sortir d'une maladie, un peuple l'issue d'une lutte dvastatrice, leurs esprits sont

    ensemencs de Lumires nouvelles. Actions et ractions, voil tout le jeu de la Vie. Cette guerre seraun effondrement du matrialisme, de la religion de la Science, de l'idoltrie de l'Intelligence. On agot de force la saveur amre de leurs fruits: violence, basses ruses, ignominieuses cruauts. La

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    Science reconduisant la barbarie, les hommes appelleront l'Amour, et courront au devant de laCharit.

    Ayons la sincrit de le reconnatre: les tragiques horreurs qui se droulent maintenant, au grand jour,avec un sinistre clat, ce sont les filles monstrueuses des Innombrables petites horreurs obscures quenous avons accumules pendant des gnrations. Ces mdisances, ces lchets, ces calomnies, cesfroces calculs de l'arrivisme, ces gestes cyniques du vice, ces tratrises la parole donne, ce volslgaux, ces meurtres aussi, les voil devant nous reprsentes par une soldatesque brutale.

    Si des monuments magnifiques tombent, si des chefs-d'oeuvres sont dtruits, c'est pour nousrapprendre l'cole svre de l'Art, l'austre religion de la Beaut, qui ne veut pas de fidles ambitieuxde fortune ou d'honneurs. Si des maisons par milliers sont en ruines, c'est pour nous dmontrer le nantde l'avarice: c'est la parole ternelle qui rsonne de nouveau nos oreilles enfin attentives: Chaque foisque vous n'avez pas donn manger, que vous n'avez pas donn boire, que vous n'avez pas vtu, quevous n'avez pas soign, que vous n'avez pas consol l'un de ces misrables dont tout le monde dtournela tte, c'est moi, moi le Verbe, moi le Seigneur, que vous n'avez pas fait ces choses. Si desinnocents sont massacrs, c'est parce que des criminels demeurrent impunis. Si des liens sacrs sontrompus par les mains ignominieuses d'une soldatesque dmoniaque, souvenons-nous de tant de

    promesses que nous n'avons pas tenues, de tant de paroles jures que nous avons trahies.

    Loin de moi l'affreuse pense d'un blme sur quiconque; loin de moi le misrable et cruel sentimentdu: C'est bien fait. Je suis oblig de dire ces choses dures; je vous les dis avec douleur; j'en prends malarge part; je le sais bien que je n'ai jamais entirement accompli mon propre devoir. Mais je brled'allumer dans le plus grand nombre de coeurs, dans tous cet incendie de repentir, pour purifier, poursauver, pour rgnrer; avec des hommes nouveaux se crera une France nouvelle, nette de tousfractionnements. L'union sacre existe pendant la guerre; mais songez quelle profondeur elle doit

    pousser ses racines en nous, pour qu'elle se perptue aprs la guerre!

    C'est ce labourage que je vous convie.

    Vous excuserez la hardiesse de mes exhortations cause de leur sincrit. Je sais que je touche des

    plaies encore ouvertes: je le fais avec infiniment de respect. Mais je ne puis pas dtacher mes regardsde l'oeuvre qui nous reste accomplir. Et puis, quand vous et moi, nous nous trouvons ensemble, cen'est pas un homme qui, spar d'eux, parle d'autres hommes; je suis avec vous, confondu dans vosrangs; c'est Dieu que nous parlons ensemble; et nous devons pouvoir avouer nos torts ouvertementsans qu'aucun de nous, surtout moi, critique les autres.

    Le genre bnisseur est nfaste. Reconnatre ses torts est dj le commencement de la rparation.Soyons durs envers nous-mmes. Nous avons tant faire pour que ce titre de Franais atteigne sa

    perfection en se confondant avec celui de Soldats du Christ!

    Des utopistes s'obstinent prcher l'amour de l'ennemi de sa Patrie. Qu'ils ont donc mal lu l'vangile!

    Aimons nos ennemis, certes, mais nos ennemis personnels; pardonnerai-je un brigand qui attaque untre dont j'ai la garde? Ce serait une tartuferie. Nous n'avons pas pardonner aux ennemis de laFrance. Il faut les empcher de nuire, par tous les moyens, pour toujours. Et cette lutte future, aprs lalutte sanglante, nous n'aurons pas trop de toutes nos forces pour la soutenir, jusqu' la mort.

    *

    Certes, il dpend de nous que la France souffre moins. Mais je dois dire ceux qui l'aiment d'un amourplus fort que la mort, d'un amour plus fort que la vie, je dois leur dire que notre Christ est avec elle:elle est sa fille. Elle sera victorieuse infailliblement; sa victoire sera la plus pure; et entre tous lesvainqueurs, ce sera elle la plus dsintresse au partage.

    Dieu a choisi la France pour servir de mre aux nations. Tout ce qu'il a donn aux autres peuples, c'estpar la France qu'ils l'ont reu; c'est elle qui porte le flambeau du monde. C'est par elle que la Libertvritable approche peu peu de la terre; cette Libert faite de l'harmonie rciproque de toutes lesliberts particulires; image de la Libert ternelle qui est l'atmosphre mme du royaume de Dieu.

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    Sans la France, depuis longtemps la Justice divine aurait balay l'Europe de dessus la terre. Nous avonsl'habitude de dire beaucoup de mal de nous-mmes, tandis que les autres cachent soigneusement leurstares. Humainement parlant nous tort d'agir ainsi; mais cette franchise nous vaut toutes les sollicitudesde la Misricorde. Il est arriv notre Patrie de sortir de la voie droite; le Ciel lui a toujours envoy un

    bras puissant pour la remettre dans le bon chemin.

    La France remplit entre les peuples le mme rle qu'un Saint parmi les hommes. Elle est initiatrice,elle est holocauste, elle est victime expiatoire. Elle doit donc plus que les autres souffrir, plus que lesautres peiner, et parfois bien qu'innocente. C'est pourquoi elle est belle; non seulement son corps estsplendide, ses paysages rsument tous les paysages terrestres, avec en plus je ne sais quoi d'Immatrielet d'ail; mais encore son atmosphre psychique est pure, humaine, sensible, et tonifiante, plusqu'aucune autre. De tout, de toute science, de tout art, de toute philosophie, de toute vie intrieure, detoute activit extrieure, la France offre des modles; de tout, elle est un microcosme, et elle runit ensoi la perfection de la Nature aux grces les plus mouvantes dont le Ciel ait jamais combl un peuple.

    Nous, les spiritualistes, et parmi nous ceux-l qui ont offert au Christ d'un voeu dfinitif, leur force etleur amour, quelles nergies le sentiment de l'lection au titre de Franais ne doit-il pas fomenter ennous! Le sort que confre ce privilge est tellement magnifique! Avez-vous jamais entendu ces

    paroles du Christ, graves et toutes belles; coutez-les rsonner dans le profond de notre coeur: Quandon parlera des guerres et de bruits de guerre, gardez-vous de vous en troubler, parce qu'il faut que celaarrive. Se soulvera, en effet, nation contre nation, royaume contre c royaume;... famines,tremblements de terre: tout cela ce seront les douleurs de l'enfantement.

    Les douleurs de l'enfantement! Quel enfantement? Dieu ne parle pas en symboles; tout au plus en paraboles, quand Il veut mnager la faiblesse de notre vue. Et Ses paroles restent quand mme desralits. Cet enfantement c'est celui de la terre nouvelle, du Royaume ternel enfin descendu; vousverrez alors, vous toucherez, vous exprimenterez l'Amour pur; vous en goterez les ineffables dlices.Toutes nos douleurs seront pays au centuple; leur souvenir ne sera plus qu'une fume derrire nous,au fond du val. Dans le concert de l'allgresse universelle, la France tiendra la premire place; et sonsol sacr, que ses fils fcondent aujourd'hui des flots d'un sang si pur, c'est celui-l mme sur quis'lveront les murailles brillantes de la cit terrestre de Dieu.

    Cet avenir est pour nous une certitude; vous pouvez sans crainte ouvrir vos coeurs ces esprances.Combien de fois n'avez-vous pas dit: Que ton rgne arrive! Vous allez tre exaucs. Mais tendez voscoeurs, athltes du Christ! Il n'y aurait pas de raison pour que, moi, je vous exhorte, si ce n'tait l'ardentdsir que vous rpondiez l'appel pathtique de la double Victoire: victoire militaire, Victoirespirituelle. Je le sais, tous et toutes, vous portez en vous la flamme qui fait l'hrone et le hros. Maisnous n'avons pas seulement la France conduire au triomphe; son matre aussi, notre Matre, le Christ,doit trouver par nos soins Ses sentiers aplanis. Plus que des hros, nous devons tre des saints; et cela,c'est difficile. Voil pourquoi je me suis permis de nous dire quelques vrits, bien que je n'aie le droitde dire de Vrits qu' moi-mme. Nous avons la chance rare que l'oeuvre patriotique soit prcismentl'aspect national de l'oeuvre christique. Ne laissons pas perdre ce privilge extraordinaire. Nous

    pouvons confondre dans un unique amour la France notre Mre, et Dieu notre Pre: donnons-leur pourtoujours et totalement notre coeur, notre me, nos forces et nos penses.

    LE PATRIOTISME ET L'VANGILE

    Le Patriotisme, qui est un des modes les plus hauts de l'amour fraternel, reoit des enseignements duChrist une confirmation irrfragable. Ceci est une vidence; mais il devint parfois ncessaire d'affirmer

    nouveau les axiomes.Jsus, qui. runir dans sa personne les archtypes de tous les sentiments nobles, apparat mes yeuxcomme le modle du citoyen et le modle du soldat. Il a toujours obi aux lois de Sa nation; Il l'a

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    toujours servie, puisqu'Il lui a donn le rayonnement immdiat de Son Oeuvre public. Il a toujourscombattu dans la bataille universelle et perptuelle que les Tnbres livrent la Lumire. Il a combattu

    jusqu' la mort physique; Il a combattu, on peut bien le dire, jusqu'aux approches de la mort de l'esprit.

    Le mystique trouvera donc en Jsus, par cette invocation ardente et vivante qui est une vocation, largle et l'Idal de son patriotisme. Dans la vie ordinaire, que fait ce mystique? Il aime d'abord sonChrist, et s'abme en ce coeur illimit. Il se revt de Jsus, il Le copie, il Le fait vivre en soi, il restauretoutes choses en Lui; aucun acte enfin, aucune pense, il ne se les permet qu'en demandant; que ferait

    Jsus ma place?Or, Jsus, c'est le prince de la patrie ternelle; et la France, c'est celle des patries terrestres quiressemble le plus la patrie divine. Jsus doit donc nous montrer le vrai patriotisme.

    *

    Que rpondre ceux qui demandent par quelle parole le Christ commande d'aimer sa patrie? On netrouve point un tel ordre dans l'vangile; saint Paul enseigne ce devoir; mais le Christ non pas.

    Le Christ ne dit pas aux pres et aux mres d'aimer leurs enfants; Il ne dit pas qu'on soit doux avec lesanimaux; et, Il ne recommande pas davantage aux Isralites d'aimer leur patrie. C'est qu'Il s'adresse

    des tres humains, non des diables ou des esprits lmentaires revtus de la forme humaine; Ils'adresse des fils d'Adam, porteurs de l'tincelle ternelle; en eux, certains aspects simples del'Amour doivent tre, sont inns.

    Chez des peuples de forte tension vitale, la foi patriotique se confond avec la foi religieuse. Cela seremarquait en Isral. Il en rsulte une certaine dformation de l'ide de Dieu; on la fait servir toutessortes des buts que guide l'gosme politique. Je ne m'garerai pas dans la thologie compare; mais,impossible de ne pas mettre en parallle l'antique Jhovah et tels dieux nationaux contemporains, tousaustres, durs, impitoyables, ne distribuant que des rcompenses matrielles, la richesse, la forceconomique, les multitudes d'esclaves, tout ce qui dpend du Prince de ce monde, et inspirant avanttout leurs peuples l'orgueil de se croire les peuples lus, en tte de tous les autres peuples. Lesquels

    des dieux nationaux ressemblent ce Pre que Jsus nous rvla? Le dieu des races slaves, celui de laPologne opprime, celui enfin de la France. Seul entre tous, ces trois peuples ont su ne pas dformerl'apparition surnaturelle. Si, parcourant leur histoire, nous en voyons les classes suprieures denombreuses fois trahir leur destin providentiel, la masse profonde des Slaves, dans les tnbres de sonignorance humaine, a gard une lueur de sa science divine. Et, plus tonnante encore, la masse

    populaire franaise a gard la mme lueur malgr son affinement, son ducation mentale et sonintellectualisme subtil.

    *

    Ici, encore, la France est privilgie. Quelle nation a si gnreusement offert de soi-mme aux autres?Laquelle possde un gal degr le sens de l'idal et le got religieux par excellence, le got dusacrifice? J'ai entendu des (...) prtendre que la Franais n'est capable que d'une religiosit moyenne,d'une bonne religiosit bourgeoise, et que la France n'a pas fourni de grands mystiques comme l'Italie,l'Espagne l'Allemagne. Au contraire, c'est la France qui a engendr les hommes les plus proches deDieu. Ses saints ne sont pas des dsquilibrs sublimes; ils gardent une sant intrieure admirable; ilssont souriants, aiss, forts avec de la grce, surhumains sans raideur. Aprs avoir patiemment dissqules visionnaires germaniques, aprs s'tre bloui aux flammes des moines italiens, aux extases desnonnes espagnoles, comme on aime revenir l'abb de Clairvaux. l'vque de Genve, Pascal, Vincent de Paul, au pauvre petit Cur d'Ars! Comme ceux-l nous montrent un Jsus ami; comme ilsnous en facilitent l'approche; comme leurs mthodes sont excellentes et pour tout le monde! Et lessaints inconnus, ceux qui vcurent tellement ensevelis dans leur humilit que ni la gloire humaine, ni la

    gloire ecclsiastique ne purent les apercevoir. Je vous raconterai quelque jour des histoires sur ceshommes. Et, en les mentionnant ici, je ne suis pas sorti de mon sujet.

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    Car je dsire faire comprendre d'abord combien l'homme a besoin de Dieu, lorsqu'il cherche hausserson coeur jusqu'au roc de la certitude. Le meilleur patriote sera le meilleur chrtien. C'est pourquoi leFranais trouvera toujours en lui des ressources inattendues, dans des circonstances o n'importe quelautre homme dsesprera. La science, la prvoyance, l'art d'organiser,. la discipline, toutes ces forcesont des limites; elles se rencontrent un moment donn, face face avec l'impossible. Celui des deuxadversaires qui triomphe alors, c'est celui qui possde de la foi, une foi mystique, une foi surnaturelle.Le mot impossible n'est pas franais, a-t-on dit; ce n'est point tant parce qu'un Franais saura mettreen oeuvre plus d'habilet ou d'nergie qu'un autre; c'est parce que le Franais toujours s'appuie sur une

    foi; il en vit; il croit en un homme, en un principe, en un sentiment, et cela lui donne la victoire. Quellene doit pas tre sa force lorsque c'est au Principe des principes qu'il croit; au Fomentateur omnipotentdes tous les enthousiasmes, l'Incarnation vivante de toute charit, au Librateur universel?

    Napolon a dit: C'est la force morale qui gagne les batailles; tous les jours nous vrifions l'exactitudede cette sentence. O prendre cette force morale? Quelle en est la source inpuisable? Comment nousl'assimiler? Voil ce que je dsirerait vous dire aujourd'hui.

    *

    La rponse ces trois questions est simple: c'est la mme rponse. Il faut prendre la force morale dansexemple de Jsus; la source en est le coeur de Jsus; nous l'assimilerons en imitant Jsus.

    De nombreux passages des vangiles montrent l'importance d'Isral dans les proccupations du Christ.C'est la partie de son oeuvre accomplie en Isral qu'il a voulu donner une gloire universelle; Il Se ditenvoy seulement aux brebis perdues d'Isral; c'est Isral qu'il dlgue d'abord ses aptres.L'argument du Grand-Prtre qui dcide de la mort du Juste, c'est qu' il vaut mieux qu'un seul hommemeure plutt que tout le peuple prisse . Et cette lamentation sur la ville impnitente, comme elle

    palpite d'un amour profond: Jrusalem, Jrusalem, qui tue les prophtes et qui lapide ceux qui te sontenvoys, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussinssous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu...

    C'est le souci de Son peuple qui d'abord courbe le front du Christ; ce sont les pchs de Son peuple qui

    d'abord meurtrissent Ses paules; et dans Ses oraisons nocturnes sur les montagnes dsertes, c'estd'abord le nom de Son peuple qui revient sur Ses lvres. Et Il savait d'avance Ses efforts inutiles! Et,malgr cela, Il lui a tout donn tout; car le moindre de Ses dons renferme tout, parce que c'est Lui quidonne.

    Veillons a ne pas imiter l'ingratitude d'Isral. La France est la patrie morale du Christ, la patried'adoption: le jour o

    Il nous ouvrira les yeux. nous serons blouis des splendeurs dont Il l'a comble.

    Tel est ce coeur immense, qui s'embrase d'un seul effort pour les cratures innombrables, et qui sait enmme temps dispenser chacune l'exacte mesure d'amour qu'elle est capable de contenir.

    La contemplation du Bni effraie la longue, et dcourage. Il est trop haut, Il est trop splendide, Ilcrase le contemplateur. Et cependant voici tout coup le Trs-Grand nos cts; Il s'est rapetiss

    presque notre taille; Il s'est couvert de voiles; Il veut qu'on puisse Le regarder longtemps,attentivement, commodment; car Il veut que nous L'imitions. Et seul de tous les dieux, Jsus estimitable, parce que, plus haut que les plus grands, plus modeste que Les plus petits, Il demeuretoujours rel, prcis, tangible, pratique.

    Ah! l'homme qui croit au Christ est plus fort que tout l'univers! Il porte constamment en soi l'idalmultiforme de tout ce que la vie peut lui demander n'importe quelle minute; concentr dans lesralisations successives chacune desquelles il se donne d'un total effort, il accomplit selon leur

    plnitude les heures de son existence, et, par la porte trs troite du Prsent, il entre, encore sur terre,dans la batifique Eternit.

    *

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    J'aimerais que nous puissions revoir ensemble notre histoire de France. Je sais que vous L'aimez, notreFrance; mais il me semble toujours qu'on peut l'aimer davantage, et encore davantage: on peut l'aimer l'infini. J'aimerais que nous regardions ensemble passer les Celtes, les Druides, et la dominationromaine; et le christianisme, et Genevive, et Charlemagne; la Sorbonne, saint Louis, Jeanne d'Arc; etHenri IV, et Louis XIV, et la Rvolution, -et le petit Caporal: tout enfin. Les moindres dtails de notrehistoire sont si rvlateurs!

    Et les lettres franaises, et l'art franais, tous ces nobles monuments, vastes, non dmesurs, d'uneordonnance libre et sobre; ce gnie clair; ces ailes qui montent, et qui savent redescendre, d'un mmelan o l'effort ne s'aperoit point; tous ces chefs-d'oeuvre enfin, dont chacun des chefs-d'oeuvrestrangers ne paraissent plus ensuite que les simulacres: quels trsors de sensibilit, d'intelligencesubtile, et de grce ne dnotent-ils pas?

    Il y a dans le Franais un fonds inalinable d'humanit, de gnrosit, de noblesse; il ne sait pas har. Jecausais un jour dans un jardin d'hpital, avec quelques blesss; j'tais parvenu leur faire raconter desanecdotes; entreprise ardue, car ces hommes d'action n'aiment point parler, sauf de leurs champs, deleur commerce, de leur famille, de ce qui tait leur vie, et que la guerre parpill; ils ignorent qu'ilssont des hros. L'un d'eux, un vigneron champenois, s'tait trouv, aprs la bataille de la Marne,repasser par son village. Il avait couru vers sa maison, il l'avait trouve en ruines, et dans la cave, safemme et sa petite fille, sans spulture, dormaient leur dernier sommeil. Mais le rassemblement avaitsonn, l'homme avait rejoint son escouade; il avait continu se battre; et il tait l maintenant, bless,veuf et seul dans le monde. Il racontait cela aux camarades. Et l'un d'eux lui dit. Quand on va rentrerchez eux, tu sais, on leur rendra tout cela, va, as pas peur! Mais le vigneron rpondit en hochant latte: On dit cela, oui, je sais bien; mais quand on y un sera, on aura jamais le coeur, on pourra jamaistoucher des femmes ou des enfants. Ce paysan soldat, c'est toute la France, terre de chevalerie,fief du Christ.

    La France, avant-garde des nations, est aussi leur arrire-garde. Comme le chien du Berger, elles'lance pour entraner le troupeau; elle en fait le tour, elle harcle ses retardataires, et ellerecommence, infatigablement. Et quoique le chien garde les moutons des loups et des voleurs, lesmoutons ne l'aiment pas, parce qu'il les empche de flner.

    Je juge autrement que l'historien les guerres et les conqutes. Les grands capitaines, les hommes d'Etatcroient agir librement, en toute connaissance de cause: ils sont mens par les gnies et les angesnationaux. Les grandes entreprises politiques ont toujours produit des rsultats inattendus. Un exempleseulement: Napolon croyait ne travailler que pour la France; certes, il a redonn la patrie son unit,sa cohsion; mais aux peuples vaincus il a t aussi utile. C'est grce Lui que l'Allemagne acommenc tre une; et son tour, aujourd'hui, l'Allemagne, par la rage de sa haine, fait que la Francese replace d'un lan la tte des nations.

    L'Etat spirituellement infrieur est presque toujours celui qui attaque parce qu'il se croit matriellementle plus fort.

    C'est ainsi que nous avons t si souvent des dupes dans les arrangements internationaux. Cela estbien: tre dupe ou victime, voil la meilleure manire d'clairer le fourbe ou l'agresseur. L'Evangile ledit; c'est le destin providentiel de la France. N'en dduisez pas que je vous conseille de mnager nosadversaires actuels. Tout au contraire; il faut que notre victoire soit clatante, dfinitive, crasante. Lecontraste entre le triomphe extrieur et la clmence intrieure augmente l'effet spirituel de celle-ci.

    Notre devoir unique est de lutter contre l'ennemi jusqu' la mort, et tout le monde, les femmes commeles hommes, les civils comme les soldats.

    L'me de la France n'est pas vindicative; nous pardonnerons toujours assez tt. - je dirais: trop tt, si jene me souvenais que nous avons avec nous Quelqu'un de plus fort que tous les canons et de plus sage

    que toutes les diplomates. L'me de la France ne peut tomber dans la fange; elle est une tincelleinsigne de 1'me de Jsus; elle est son ange parmi les nations; quand apparat en ce bas monde un deces hommes qui sont le sel de la terre , qui arrtent la corruption universelle, qui rassemblent les

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    soldats du Christ, et qui sment pleines mains les preuves clatantes de la sollicitude divine, c'esttoujours la France qu'ils choisissent pour patrie.

    Nous pouvons donc nous battre de toutes nos forces: jamais nous n'abuserons de la victoire.

    *

    Le Christ semble condamner la guerre, puisqu'il ordonne: Aimez-vous les uns les autres. Mais sinous nous aimions comme Lui nous a aims, aucun tat ne pourrait nous attaquer; notre patrie serait

    comme le saint dam la fort: non seulement les fauves lui sont inoffensifs, mais encore ils viennent luirendre hommage leur faon.

    Voici la diplomatie divine; d'une part: Aimez-vous ; d'autre part; Je ne suis pas venu apporter la paix,mais la guerre. La mthode providentielle de gouverner le monde apparut-elle jamais plusclairement? Jsus donne le prcepte et fournit l'obstacle grce auquel l'obissance au prcepte demandequelque effort; comme dira plus tard saint Paul: Sans la loi, pas de pch. Sentez-vous bien qu'il s'agitd'une cole, d'une priode d'exercice, au bout de laquelle un examen vous ouvrira de paisibles et

    joyeuses vacances?

    Pourquoi nous alarmer? Toute preuve n'aura qu'un temps. Le Pre a donn au Mal la mme force

    qu'au Bien, de faon que la lutte se perptue et se propage jusque dans les dernires retraites ol'adversaire puisse se rfugier. Mais Il a donn au Bien quelque chose dont le Mal est dpourvu, unetoute petite chose, presque imperceptible. C'est une certaine lueur, que l'on devine plutt qu'on ne lavoit; cela ressemble ces minutes d'avant l'aurore, o les tnbres nocturnes sont tout coup moinsopaques, bien qu'il fasse encore nuit noire; les tnbres ondulent, comme une grande tenture quel'esclave s'apprte carter. Et ce frmissement, puisqu'il faut lui donner un nom, c'est la douceur de laSagesse ternelle. Par cela, le Bien triomphera.

    Jsus est le grand Guerrier; Jsus a promis le Royaume aux violents; Jsus est venu mettre le feu sur laterre; Il l'affirme; Il insiste: Qu'il me tarde jusqu' ce que ce feu soit allum. Mais c'est avec les armesde l'Amour qu'il combat; avec la patience, avec l'indulgence, avec le sacrifice. Jamais Jsus ne s'est

    mis en colre; Il a fait quelquefois les actes de la colre, par exemple, en chassant les vendeurs duTemple; jamais cette folie n'a entam son calme; et Sa puissance de combattre n'est devenue que plusforte et plus invincible par cette constante matrise de soi.

    On ne s'imagine pas quelle vertu confre aux gestes de la haine d'tre excuts dans l'esprit del'Amour; leur nergie de rayonnement s'en trouve dcuple. L'homme assailli par la tentationsuccombera presque fatalement s'Il s'irrite et se dbat; de mme un pays, surtout quant l'agresseur est

    barbare, triomphera certainement, si sa dfense, quelque meurtrire qu'elle soit, reste calme et noble. Ne pas s'opposer des hordes d'assassins, sous prtexte d'humanitarisme, est une pure insanit;laissera-t-on un ivrogne son absinthe parce que la privation le ferait trop souffrir? Non, le Christ n'a

    jamais rien enseign qui ne soit d'accord avec le plus simple bon sens. Si nous ne pouvons arrter les

    bandits qu'en les tuant, il faut les tuer, le plus possible et au plus vite; si nous nous soucions de ce quileur tient lieu d'me, l'absence de haine dans nos coeurs pendant que nous les chtions, suffit implanter en eux le germe du remords, et prparer leur lointaine amlioration.

    Combattons comme Jsus. Dans les mondes o Il passe, Il sme le bien poignes,. surabondamment.Le mal s'irrite, bouillonne, et attaque les serviteurs du bien. Il s'enrichit de leurs dpouilles, il s'enalimente, et grandit, jusqu' sa limite. A ce moment Jsus reparat comme juge; Il reprend toutes cesflammes, devenues ardentes: celles de la Lumire, capables d'clairer davantage; celles des Tnbres,ayant atteint le paroxysme de leur fureur. Et il suffit alors au Juge de prononcer la sentence pour quel'axe de la plante subisse une rvolution, que toute sa biologie soit transforme, que ses habitantssoient transfrs ailleurs et remplacs par de nouveaux venus.

    Nous aussi, en nous sacrifiant au salut commun, nos esprits, dresss dans la Lumire, rpandront laLumire. Et de la violence sortira la douceur; de la bataille natra la paix.

    *

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    Car ce Jsus, en apportant la guerre, dispose les fondements de la paix. Dans les sillons creuss par 1esobus, des anges rpandent les semences de concorde. Les conflagrations comme celles o noussommes tmoins et acteurs, sont, en vrit, des jugements. Le Pacifique y assiste; Il est l, entour deSa Mre et de Ses Amis, ces saints et ces anges que les croyants invoquent, d'autres encore que peud'hommes connaissent. Comme dit le prophte, Il ne dispute pas, le fabricateur de la Paix; Il ne crie

    pas; on n'entend pas sa voix sur les places publiques; Il se montre trs patient; Il accorde aux craturestout le temps ncessaire pour se ressaisir et se tourner vers Lui: Il ne brise pas le roseau froiss; Iln'teint pas la mche encore fumante; certain de Sa victoire; Il la dsire seulement pour le repos qu'elle

    procurera au monde.Ainsi devons nous procder: servir la France en tout, par les fatigues militaires et par les labeurs civils,silencieusement, tenacement, jusqu' la limite de nos forces. Quand les muscles n'en pourront plus, lesnerfs marcheront; quand la machine physique sera puise, les innombrables ressources de la forcemorale donneront; et l'effort continuera.

    *

    Ceci est au-dessus des nergies humaines. Le Christ en lisant notre patrie comme Sa Patrie, s'estengag implicitement la pourvoir de vertus surminentes. De ses grves ses montagnes, de sesvilles ses forts, de ses campagnes jusqu'aux plus subtils rayonnements de son peuple, courent des

    souffles de l'Esprit. Et chacun des fils de France, ds que le danger collectif rveille en son coeur laflamme patriotique, reoit de ce mme Christ, dispensateur de l'Esprit, l'illumination ncessaire pour sehausser aux gestes hroques.

    Dans une socit, tout s'appuie sur l'individu; vidence certes; mais on a besoin de se redire lesvidences. Dans une organisation seulement humaine, les seuls efforts individuels qui lui profitent sontceux qui vont au but de cette organisation: un artiste ne peut pas faire servir directement son art unsyndicat de terrassiers. Mais dans le collectif: France, cause du Christ, une porte s'y trouve ouvertesur l'Absolu, et cause de cette porte, l'nergie la plus insignifiante, ou la plus disparate, peut servir etsert l'ensemble, parce que, elle aussi, toute petite, toute seule, peut rejoindre cet Absolu, son auteur.Le Christ est sur le chemin; Il accueille et Il recueille. Il transfigure et Il renvoie tout, sublime, sur ce

    peuple qu'Il a, ds l'origine, lu.

    Mais prenons garde; le Christ ne joue pas au despote: notre libre arbitre est le don le plus prcieux deSon Esprit; jamais Il n'use de contrainte; il attend notre bon vouloir; Il lance ses lumires, il envoie Sescohortes angliques; nous d'ouvrir les yeux, nous d'couter les appels ineffables; nous derpondre par les signaux de secours. Tous nos soins sont ncessaires pour que rien en nous n'arrtel'influence divine, car elle ne s'impose jamais, sauf au jour du jugement. Ceci est la pratique del'asctisme: une lutte svre contre notre paresse, notre avarice, notre indiffrence, contre nosgosmes, surtout contre les plus petits.

    Le souffle de l'Esprit est descendu: nous devons maintenant l'assimiler. D'abord le recevoir pleinement,

    qu'il pntre jusque dans les plus profonds replis de notre personnalit, que nous nous en saturions. Ilfaut pour cela nous faire humbles. L'humilit est la mnagre diligente, elle balaie en nous, elle lessive,elle met aux ordures tout le superflu, tout le laid, tout ce qui n'est pas Dieu. Les chambres intrieuresune fais nettes et vides, Jsus les meublera selon son got, selon l'usage auquel Il les destine; et toutsera bien. Etre humble, c'est la premire condition de la sant morale.

    Aprs, il faut que les souffles de l'Esprit christique s'incorporent la substance de notre esprit. Il fautque celui-ci dsire celui-l, qu'il en ait faim et soif, qu'il le rclame ardemment., Cela, c'est la prire.

    Non pas le marmotter de patentres, mais le cri du coeur, spontan, sans forme, sans rgle ni mesure,l'appel au secours. Je vous ai dit plusieurs fois que la prire force le miracle; bien des soldats saventcela, maintenant par exprience; parmi ceux qui me font l'honneur de se dire mes amis, il en est dont le

    coeur fut assez ferme pour pouvoir prier avec calme sous le tonnerre des artilleries, dans la rue desassauts, ou l'clair des baonnettes ennemies devant eux. Ceux-l, qui surent deux secondes reprendreleur sang-froid pour jeter Jsus l'appel dernier, ceux-l sortirent indemnes de l'infernale cohue; les

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    balles suivirent dans leurs vtements des trajets inexplicables. Car cette guerre fait fleurir les miracles,comme le printemps fleurit foison les talus des tranches.

    Portant ainsi en soi le don du Christ, ml la chair et au sang, le mystique patriote n'a plus qu'surveiller les occasions de travail. Les soldats veillent; inutile de le leur recommander; mais les civils?

    *

    Rcapitulons les prcdentes ides. Elles sont importantes: elles doivent faire corps avec notre

    conscience; il faut qu'elles soient l, toujours prtes, sans que la mmoire aie besoin de les chercher.Se faire humble, et veiller, c'est la base double et constante de l'attitude mystique. La prire et l'actionalternent; prire trs attentive et trs humble; action trs soigneuse et silencieuse.

    La prire, ces temps-ci, est chose particulirement grave: je vais essayer de vous le montrer.

    Jsus est l, tout prs, puisque nous sommes dans l'affliction; Il nous sollicite; Il nous attend. Lesobstacles que les diables et nous mettent en travers de Ses projets ne l'impatientent pas. Il nous plaint;Il s'ingnie utiliser pour notre avantage nos fausses manoeuvres. Toujours il atteint son but et nousrapproche de celui qu'il a dsign pour nous, mme lorsqu'Il parat les avoir l'un et l'autrecompltement manqus.

    Une indulgence aussi riche en ressources rduit singulirement le domaine de la Fatalit. On voitpourquoi la prire est si puissante. Ds que l'un de Ses enfants L'implore, le Pre trouve toujours surl'heure le moyen de changer de fond en comble Ses projets les plus complexes. Mais Il ne cde qu' lavoix de Ses enfants, de ceux qui ne travaillent que pour Lui, c'est--dire pour les autres, ou qui, aumoins, s'y efforcent de leur mieux. Je vous ai longuement parl de cela autrefois: je vous ai dit ce quesont les disciples, les serviteurs, et les amis du Christ, les laboureurs, les soldats et les chefs. Vous ensavez assez pour sentir les immenses avantages que l'humanit entire retire de rentre d'un seul d'entrenous dans l'une de ces phalanges. Et jamais les circonstances ne vous presseront plus imperieusmentqu'aujourd'hui de suivre une telle carrire.

    *

    Un mot encore, pour rectifier une thorie fausse, qu'on voit se rpandre actuellement.

    Le danger fait revenir vers Dieu beaucoup d'hommes indiffrents ou incroyants. D'autre part, chez lescivils, les diverses glises recommandent la prire collective comme plus puissante devant Dieu:. plusil y aurait de Franais priant pour la victoire, plus vite elle nous serait donne. Sous cette forme, lathorie est fausse; tout au moins elle prte quivoque. Cela voudrait dire que la quantit de priresimporte; cela ramnerait aux milliers d'invocations quotidiennes du bouddhisme, du brahmanisme, del'islamisme; ce serait ne voir dans l'acte de prier qu'un dgagement magntique; ce serait del'occultisme. N'oublions pas le conseil de Jsus: En priant, ne multipliez pas les paroles comme font les

    paens; ils s'imaginent en effet, que c'est force de paroles qu'ils se feront exaucer. Ne les imitez point,car votre Pre sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.

    La prire n'est pas un fluide ou un psychisme qui augmente avec le nombre de rcitants commeaugmente avec la nombre de tours l'intensit d'un dynamo. C'est la qualit qui importe dans la prire, etnon la quantit. Une minute de la prire d'un saint dpasse infiniment des heures de litanies rcites parune multitude de fidles mdiocres.

    Parmi ceux qui m'coutent, deux ou trois au moins savent par exprience ce que c'est que la patrouilleavance, la contre-attaque et l'assaut. Ils savent que s'ils sont l maintenant, c'est sans doute en vertud'une prire. Et cet appel sauveur, ils l'ont lanc tout seuls, n'importe comment, mais, coeur perdu:dans ces minutes-l, les formes tombent en morceaux, et la Vrit essentielle apparat. J'entends encoreun jeune soldat bless,. en traitement dans un hpital o je frquentais, me dire, avec quel accent deferveur heureuse, les prires uniques qu'il avait faites, et ses minutes d'extase dans ses nuits de garde,

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    seul, avec la mort rdant alentour. Oui, la vrit est simple, notre coeur est simple, notre Jsus estsimple; et lorsque ces trois deviennent Un, nos prires sont entendues.

    *

    Reprenons notre expos.

    Le mystique patriote a nettoy la chambre secrte de son coeur; Il s'est offert la visite divine, il l'areue, il en a profit. Il est prt pour l'action.

    Comment va-t-il sortir la suite du divin Voyageur? Comment pourra-t-il Le suivre?

    En L'imitant; en copiant Ses gestes: semer le bien; subir le mal; donner autrui son temps, ses forces,son intelligence, son affection; supporter les maux d'ancienne provenance, et les maux rcents que les

    bonnes actions nous amnent coup sr. Voil une autre sorte de prire, la prire de l'exemple; voil levritable humanitarisme, la charit vivante, le travail du soldat du Ciel.

    Remplacez le mot Ciel par le mot Patrie: vous avez le travail actuel de chaque Franais. Remplacez lemot: Enfer par les noms de nos ennemis; vous aurez, dans les maximes vangliques ainsi traduites, lecode du plus pur hrosme patriotique. De mme que le mystique tire toute sa force de Jsus,s'incorpore l'esprit de Jsus, et soulage Jsus dans son martyre perptuel, - de mme le patriote ne vitque par la Patrie; son coeur est une tincelle de l'ange de la Patrie; et ses fatigues augmentent la forcede cet ange.

    De mme que le Chrtien aperoit son Christ en tout homme, le patriote aperoit en tout compatriote legnie mme de son pays. Comme Jsus, dans un certain sens, est le Fils de l'homme, la France est lafille des Franais. C'est par l'Ame et par l'ange de la France que les dons du Christ descendent surnous. Comme Jsus en envoyant Sa Lumire Ses serviteurs, les modle peu peu Son image, laFrance, par tout ce qu'elle donne ses enfants, transforme leurs coeurs en son coeur. Jsus, ayantsouffert pour chaque homme, chaque homme depuis le Calvaire, porte en soi la lumire d'une deslarmes de Jsus. De mme, notre France a souffert et souffre encore pour chacun de nous; par suite,chacun de nous contient une tincelle de l'me de la France.

    Le mystique est humble: que le patriote ne se propose pas aux honneurs; je connais des soldats quicachent leurs exploits.

    Le mystique est charitable: que le patriote mette tout en commun avec ses frres; cela, on commence le faire.

    Le mystique est doux: que le patriote domine ses colres lgitimes. Toute colre qu'un refrne setransmue en une nergie invisible infiniment plus active et plus durable.

    Le mystique ne hait pas les dmons qui l'assaillent; il les arrte invinciblement, et les repousse. Lepatriote ne hara pas non plus les ennemis; sa haine retomberait plus tard sur son pays. Il les mettradans l'impossibilit de nuire, il les rejettera dans leurs repaires.

    Le mystique pardonne enfin: le patriote pardonnera aussi ceux qui lui ont nui personnellement. Maisde mme que l'envoy de Dieu sait rduire les oppresseurs et les tyrans, le patriote aussi saura dfendreet son pays et ses frres trop faibles; par les armes, d'abord; par des lois prohibitives, par des mesuresconomiques, par des barrires industrielles et commerciales. Dfendre la France, c'est dfendrel'instrument ethnique des desseins providentiels.

    *

    Et en prononant ces derniers mots, je sens tout coup comme les comparaisons que je viens d'tablir

    entre le mystique et le patriote sont inexpressives. Ces deux types sont plus proches que je ne le dis.Regardez le monde des astres. On y voit des plantes qui tournent par des groupes autour d'un plus petit nombre des soleils. Ceux-ci voluent autour de certaines toiles immenses; et tout l'normesystme se dirige vers un centre inconnu, quelque part, dans les tnbres des sommets firmamentaires.

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    Or, il y a une route droite - la Colonne du Monde - qui va du Centre inconnu une certaine toile, puis un certain soleil, puis une certaine plante, puis sur cette plante, et successivement, l'me d'unecertaine race, d'un certain peuple dans cette race, un certain individu dans ce peuple. Et cela continue

    jusqu'au sige de Lucifer dans le centre des Tnbres Extrieures.

    La France est situe l o le rayon direct traverse la terre. Plus bas commence le royaume du grandRvolt. L'individu, dans ce peuple de France, que touche ce mme rayon, je vous en parlerai plustard; ou mieux, vous en entendrez parler. Mais, ce qui importe, c'est que cette relation singulire soit

    renforce par nos soins. Et cela n'est possible que si le patriote devient serviteur du Christ.La patrie de la science matrielle nous a attaqus, comme un bandit en embuscade; l'univers a besoind'un spectacle rconfortant; la France doit montrer au monde qu'elle est la patrie de la libert, de laloyaut, de l'amour fraternel.

    Regardez un amour vritable; il donne son argent, son pain, sa sant, tout pour procurer celui qu'ilaime le moindre soulagement. Faites cela; faites cela aux inconnus d'abord, vos amis ensuite, vos

    proches en dernier lieu: car ceux-ci, vous les aimez naturellement; les inconnus, vous ne pouvez pasles aimer d'abord. Voil le vritable humanitarisme. Prenez le passant, le misreux au physique ou aumoral; parlez-lui; donnez-lui ce qu'il y a de bon chez vous et en vous. C'est Jsus mme que vous

    parlerez et que vous donnerez.

    Si vous saviez le bonheur que le Pre rserve Ses enfants! Les plus terribles souffrances, la maisonincendie, les siens gorgs, la ruine, l'agonie du soldat dans la glaise glace, les longs mois de prison,avec la famine et la maladie: tout cela, un certain jour, ne vous paratra plus qu'un songe. Vous aurezachet d'une piqre d'pingle la plus pure allgresse, la plus sublime batitude. Ah! si vous saviez ceque c'est que le Ciel! Il y a des hommes qui en out eu l'espace d'une seconde, un lointain avant-got: etcette seconde leur a suffit pour emparadiser leur existence sur terre et pour leur donner la force ensuited'accomplir dans des lieux infrieurs, la tche que Jsus leur avait confie.

    Or, s'il est vrai qu'en luttant pour la France on lutte pour Dieu, Il est encore,. si possible, bien plus vrai, plus direct en tout cas qu'en accomplissant de toutes ses nergies la loi de Dieu, on aide la France

    efficacement, on donne notre pays une force suprieure toutes les forces.Essayez, tentez l'exprience. Le Pre ne nous demande que Cela: des tentatives. Aussitt, Son Filsdescend, et Ses ange; et c'est eux qui, par notre intermdiaire, accomplissent l'oeuvre. Soyons lesinstruments de Dieu pour l'oeuvre de la Victoire.

    LE SOLDAT CONSIDR COMME MYSTIQUE

    Je me propose aujourd'hui, de passer rapidement en revue, la lumire de l'Evangile, tout ce qui serapporte la bataille et ses suites.

    Une bataille ne peut avoir lieu que par l'action d'un clich. Chaque type de clich sert tirer plusieursbatailles: mais, pour continuer ce langage photographique, toutes les preuves ne sont pas exactement pareilles; les conditions du milieu, l'tat des combattants, en modifient l'intensit ou les dtails. Audemeurant, la seule chose intressante retenir, c'est qu'une bataille est un phnomne normal de la vieethnique, prvu dans l'conomie providentielle, et toujours salutaire, en somme, dans ses effets.

    Voil des notions bien vagues, sans doute: nous ne sommes pas mrs pour en savoir davantage. Demme que ces enfants qui posent des questions indiscrtes et qui leurs parents rpondent: Tu saurascela quand tu sera grand , ces ides tranges, dont je ne vous parle que pour vous dire de ne point lescreuser, restent lointaines, non pas parce qu'elles sont trop subtiles, mais parce qu'elles sont diffrentes,

    qualitativement: elles appartiennent un autre mode de sentir et de penser. Pour l'atteindre, il nousfaudrait un long voyage circulaire; attendons; nul ne s'intresse plus que Dieu notre dveloppement.La connaissance prmature n'engendre que de l'orgueil; et rien ne rend l'Invisible impntrablecomme l'orgueil.

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    Le lieu d'une bataille est fix ds l'origine du continent ou il se trouve. Un rseau fluidique de plus en plus complexe se tisse autour de ce point pour y amener silencieusement toutes les particules semi-matrielles qui, un jour, se condenseront en tonnerres d'artillerie et en furieux corps corps. De lvient que certaines rgions semblent prdestines la bataille; un nodus de forces magntiquesspciales s'y localise, et s'y dveloppe avec les sicles; et les esprits des combattants anciens yvoquent des combattants nouveaux.

    De mme que, dans notre corps,, certains viscres sont plus particulirement le thtre de luttesacharnes entre microbes sains et microbes morbides, de mme, il y a des territoires o tout se trouvedispos en vue de la guerre: il y a des fureurs dans le psychique, dans le physiologique, dans le social,dans tous les plans. Le devoir, c'est de ne pas craindre ces cataclysmes quand il y a des tres faibles dfendre et des patrimoines spirituels sauvegarder.

    *

    Nous ne devrions point blmer ni mme juger nos ennemis; ils remplissent leur fonction de bourreaux;si l'humanit avait suivi la voie de l'amour fraternel, des mes d'assassin n'auraient pas trouv d'issue

    pour s'incarner sur la terre. Dieu laisse commettre des excs une arme brutale, parce

    que parmi ses victimes, il en est qui pardonneront. En vrit, ce pardon sera un feu dvorant dans le

    coeur des tortionnaires; aussi bas ceux-ci seront-ils descendus dans le crime, aussi haut monteront-ilsplus tard, - de longs sicles plus tard - dans le bien.

    Que le soldat, chaque jour, demande Dieu de diriger ses armes; du fond du coeur, en toute charit; et jamais ses balles n'iront frapper un innocent. Ne pas har l'ennemi particulier, c'est une force; ne pastre cruel envers l'ennemi commun, c'est une force: et cela se conquiert en purant son propre coeur.La parole du Christ reste vivante: Qui frappe par l'pe, prira par l'pe. Le soldat doit accepter cedestin; mais tout destin perd sa vigueur quand on l'affronte avec l'aide de la Lumire du Verbe.

    C'est pour cela, qu' propos de ces carnages effroyables, je ne fais que vous tourner vers Dieu. ParDieu, toutes les ractions fatidiques peuvent tre vites et toutes les faiblesses naturelles surmontes.

    Qu'il y ait besoin d'intrpidit attaquante ou d'immobile endurance, la vigueur des muscles ne suffitpas; la vigueur de l'esprit est ncessaire; ou plus exactement, il faut que notre me communique notreesprit sa toute-puissance victorieuse.

    Il ne s'agit pas, comme font nos adversaires d'employer des excitants, de rpandre des suggestionsartificielles, des mensonges ou du terrorisme. Il faut simplement, sainement, accomplir le devoir dechaque heure et demander l'aide d'En Haut. Celui qui, dsirant ne servir que Dieu et que la Francen'coute pas les voix dcourageantes de la fatigue aux mille formes, mais va constamment jusqu' lalimite de ses nergies, celui-l en reoit sans cesse de nouvelles et parvient dpasser cette limite.Cela c'est le vritable progrs; c'est cette violence sainte qui emporte d'assaut le Ciel. Il est crit: Necraignez pas ceux qui peuvent tuer le corps . Nos ennemis actuels sont rellement les ennemis duChrist; je vous l'ai dit bien des fois propos de panthisme, d'orientalisme, de surhumanisme; nosennemis peuvent tuer nos corps; mais ils ne peuvent atteindre dans nos esprits, ni la qualit deFranais, ni celle de Chrtiens; ils ne peuvent que sublimiser ces vertus.

    La mort pour une cause juste est une victoire. A condition qu'on l'affronte avec une conscience sereine,avec une certitude invincible, avec une confiance absolue dans les promesses de l'Ami divin, seuldispensateur des triomphes durables.

    *

    Il est demand au soldat d'aujourd'hui de faire toute minute figure de hros. La grandeur de notre

    cause exige cette transfiguration.Totalement matre de soi, prudent tout tour, puis intrpide jusqu' la tmrit, obissant et fertile eninitiatives, tel doit tre ce soldat. Si un ordre lui parait faux, qu'il demande au Ciel d'intervenir; l'erreur

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    tournera en heureuse manoeuvre. Jamais d'indiscipline, jamais de laisser aller; les instincts maintenus;et cependant toutes les fois que cela est possible donner au corps les soins, la nourriture et le sommeilncessaires. Les rglements disent bien tout cela; mais un rglement n'est bien observ que lorsqu'ons'en assimile l'esprit. Or, l'abngation et l'obissance militaires ne trouvent leurs racines vraies quedans l'esprit de l'vangile.

    Aujourd'hui plus que jamais, sur le front plus que partout ailleurs, la sagesse parfaite rside dans laconciliation des extrmes. Tche difficile, mais il faut le dire bien haut, nos dfenseurs s'en acquittentadmirablement. Et tout ce que je vous expose ici, ce n'est pas des recommandations: je me jugeraisinconvenant d'en adresser ces hommes admirables; c'est le simple expos de ce que, sans phrases,sans pose, ils accomplissent; j'essaie de vous dire la splendeur qu'ils rayonnent, comme en s'ignorant,afin que notre reconnaissance nous les civils, jamais ne tidisse, afin que nous la lguions toujoursfervente nos enfants et nos petits-enfants, afin que, dans nos travaux moins glorieux, nous nousefforcions de ne pas rester trop en dessous des exemples militaires.

    *

    Cette guerre, o l'utile tient beaucoup plus de place que le brillant, oblige le soldat suivre la mthodedu petit effort, tenace, mille fois renouvel, dont je vous ai si souvent entretenu, Cette mthode estfconde, pour le chrtien, en occasions d'asctisme. En dehors des mille privations que comporte la

    bonne camaraderie militaire, je sais des soldats qui, ayant dpass quelquefois leur devoir, ont eu enoutre le courage de laisser aller aux voisins citations et dcorations. Ceux-l ont accompli un actevraiment pur: et le Guerrier surnaturel, au jour de la grande revue des mes, ne les oubliera pas. Ilssont les soldats de la France et en mme temps des soldats du Christ: ils possdent le courage vritable.

    Le vrai courage n'est pas d'ignorer la peur, mais de dominer la peur. Le vrai courage, ce n'est pasl'accs soudain o l'on perd le contrle de soi; c'est de garder sa lucidit dans le moment qu'on se

    prcipite vers la mort. Le courage, ce n'est pas de subir un enivrement collectif; c'est d'tre hroquesans que personne ne le voie, tout seul dans la nuit; c'est d'tre toute minute prt: devant le dangermoral, trouver de la bravoure morale; devant le danger physique trouver l'nergie physique, mme sil'on est dbile ou malade. C'est faire face aux circonstances; c'est se hausser au-dessus des

    circonstances.

    Le mystique combattant a recours pour tout ceci une seule force: la foi. Je ne dis pas l'auto-suggestion des scientistes soi-disant chrtiens, ni des psychistes: je dis la foi surnaturelle.

    La foi forge au mystique un bouclier impntrable. S'il dit Jsus: Tu sais que la France a besoin detous ses enfants; et moi je sais que Tu aimes la France; il faut donc, s'il te plat, que tu me conserves

    pour elle. Si cet homme dit cela en toute conviction, en toute humilit, les balles ne l'atteindront pas,ni la maladie.

    La foi prvient la fatigue et la dcouragement; elle renouvelle nos forces sans mesure; condition

    qu'on les dpense pour les autres; elle dviera les obus, elle assainira les poisons, elle rendra invisibleaux ennemis la soldat gar; elle mettra dans les lettres de l'poux le rconfort et la patience pour leschers coeurs qui attendent au loin le retour victorieux.

    La foi peut tout, puisqu'elle incorpore notre esprit l'esprit vivant du Seigneur. Pour la recevoir, ilsuffit de chasser le doute. L'impossible n'est-il pas le domaine, le mode d'agir, et l'oeuvre mme duChrist? L'imprudence pour l'homme tide est une faute. Mais actuellement, les soldats vivent dansl'extraordinaire. C'est pourquoi ils vont de l'avant avec calme, avec scurit, avec joie.

    Ils se comportent, dirait-on, comme si d'un coup, le sens vrai de l'vangile leur tait apparu. Ces paraboles, ces sentences, que beaucoup, parmi eux, ont oublies, qu'ils coutaient le dimanche avec

    distraction, semblent entres en eux, incorpores leur chair spirituelle. Ils n'ont pas besoin qu'on lesleur redise; ce ne sont plus des paroles du dehors; ce sont des voix intrieures, ce sont les voix unies deleur sang, de leur chair, de leur sensibilit, de leur intelligence, de leur conscience, de leur tre total.

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    Plaise Dieu qu'une fois la paix venue, ils continuent s'en souvenir; qu'ils cherchent les entendre denouveau, qu'ils les mditent, afin que, dans la dtente amollissante de la scurit matrielle restaure,ces verbes de Lumire soient leur sauvegarde et leur phare.

    Les rcits qui nous reviennent du front m'merveillent par le stocisme solide qu'ils dnotent. Ilsemblerait que tous les soldats ont compris cette parole du divin Soldat: Celui qui veut sauver sa vie ence monde, la perd dans l'autre, et celui qui l'aura perdue cause de moi, la retrouvera - ou exactementtraduit: l'enfantera vivante. Paroles prcieuse aujourd'hui o la Mort est vraiment la matresse del'heure. Ces hcatombes, comme les catastrophes, comme les pidmies, sont bien des jugements, oles destins individuels cadrent avec le destin collectif, tout en conservant le pouvoir de modifier celui-ci. Encore une fois vous rpterai-je que l'attitude du dernier des combattants est importante. Et tout

    bien analys, elle se rsume en ceci: une acceptation sereine de la souffrance et de la mort pour leChrist. Tout est l, tout l'hrosme, toute la saintet, toute la grandeur. Et si peu de chose est ncessaire

    pour raliser ces miracles: que l'intention soit pure; cela suffit.

    Il n'est pas difficile de se garder dans le coeur un petit coin pour Jsus tout seul. Jsus ne demande pasque nous chassions de ce coeur ni le pre, ni la mre, ni l'pouse, ni l'enfant. Il dsire simplement quenous ne les aimions qu'aprs Lui et d'aprs Lui. Il demande au soldat de remettre les tres chers entreSes mains fidles, parce que la besogne de mourir pour un idal est une besogne ardue et qui ne souffre

    pas de distraction.

    Une belle mort est l'aboutissement splendide en vue duquel on devrait vivre. C'est le fleuron terminalde la couronne de douleurs. Quand le soldat la sent venir, lente ou soudaine, l'ambulance ou la

    bataille, qu'il garde encore le contrle de soi, parce qu'il lui reste encore un effort donner. A laseconde suprme, qu'il rassemble toutes les nergies dfaillantes de son corps et de son coeur, et qu'illance vers le Pre le dernier cri d'appel. Le voeu final d'un mourant doit jaillir comme la fleur unique et

    prcieuse des fatigues innombrables du pass. Et lorsque le coeur courageux s'arrte enfin de battre,lorsque son dernier battement a t une explosion de foi quand mme et d'amour, l'esprit qui s'envolemonte jusqu'aux pieds du Matre dposer son voeu dfinitif; et le Matre alors renvoie vers les frresd'armes demeurs sur la terre ces lgions invisibles sans lesquelles fusils, canons et forts ne servent

    jamais de rien.

    Souvenez-vous de ces choses; rappelez-les aux autres autour de vous; souvenez-vous que l'impossibleest le domaine de notre Matre, que l'incroyable seul est vrai, et que les ralits divines dpassentinfiniment nos imaginations les plus vertigineuses.

    *

    Les morts jamais ne sont plaindre: ils vont au repos; mais entre tous, les morts de la bataille sont envier: ils vont au triomphe. L'inquitude est seulement pour ce ct-ci du Voile. De l'autre ct, c'estla certitude. L-haut, les esprits des soldats continuent la lutte; mais, dfenseurs d'une cause juste, c'enest fini pour eux de ces batailles indcises, entremles d'hsitations, d'espoirs, de reculs, d'lans,

    coupes de cris de dtresse, aggraves du regret des tres chris qu'on sait anxieux au loin. Non! c'estune lutte qu'illumine le soleil vident de la victoire, c'est une lutte dans les claires campagnes querafrachissant les souffles de l'Esprit, c'est une lutte aux cts de Prsences radieuses: l'Ange de laPatrie, l'Archange de la race et les nobles anctres, ceux qui, autrefois, et jusqu' tout prs de noussurent vivre et mourir pour la terre du Christ, pour la France. C'est une lutte enfin, sans rles d'agonie,sans rictus de haine et sur les remous grandioses de laquelle plane la douceur indicible de la

    perptuelle intercdante, Mre de notre Matre.

    Ah! ils sont heureux nos morts! Qu'ils sont heureux! Ils voient la face des choses et non plus seulementleur envers. Finis les doutes, les remords et les hontes. Ils n'ont plus se demander: Est-ce que jetravaille suffisamment? Ai-je bien fait ce qu'il fallait, tout ce qu'il fallait? Le Juste les a reus au sortir

    des sombres portes. Chacun d'eux L'a vu comme son propre idal, debout, vivant, en personne. Chacuna pu mesurer ses propres imperfections sur ce modle parfait, la fois unique et divers. Ce n'est pas leJuge qui prononce le verdict: C'est le comparant lui-mme, c'est la voix de la conscience qui s'lveseule - enfin - dans l'tre. L'esprit du mort va de son propre mouvement la place qu'il a mrite. Il a

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    prouv la Misricorde, il sait mieux que le Pre est bon; par gratitude il recherchera de plus gnreuxtravaux. Il comprend que tout est bien, et il gardera dans les luttes futures la srnit intacte de saconfiance.

    Ne pleurons pas nos morts. Nous qui les avons vus partir, et qui restons, c'est nous qui sommes plaindre. Ce n'est pas la mort qui est terrible, c'est le spectacle de la mort. Quand l'homme de bienagonise, c'est le corps seul qui souffre, mais les assistants croient que c'est la personne psychique toutentire. Si le corps est dans la joie, c'est que l'esprit est dans la douleur; mais si le corps est la torture,l'esprit s'panouit dans cette allgresse ineffable que rayonna autour de soi le Martyr surnaturel, notreJsus.

    *

    Et puis personne ne meurt seul. La solitude n'est qu'une apparence. De l'homme qui recherche lasocit des hommes, les invisibles s'enfuient. Mais qui ne va vers les autres que pour donner, bien qu'ilreste souvent solitaire, les anges se pressent autour de son esprit. Toutefois il faut choisir set htesinvisibles, il faut les choisir les plus proches de Dieu; et pour cela, c'est Dieu qu'il faut chercher, non

    pas aucun des dieux de la Nature ou de la Science.

    Cette recherche l, elle se nomme l'action. Le soldat qui meurt pour sa patrie ralise un des gestes les

    plus purs qui soient. Autour de son pauvre corps agonisant se pressent donc les anges de Dieu, les vraisanges, ceux qui voient la face du Pre, les anges de l'Innocence et de l'Amour. Il n'importe pasbeaucoup qu'un aumnier soit l; cela importe si le mourant vcu dans la tideur religieuse; il dsirealors des consolations sensibles. Mais ce serait avoir de la bont divine une ide bien fausse que del'imaginer dpendante de telle prsence humaine, de telle parole ou de tel geste. Ce sont des hommesqui ont invent les rites; Dieu leur a donn leurs vertus, c'est vrai; mais Il prfre la libert; Il prfreles lans spontans. Toutefois, comme ses cratures aiment la complication, la rglementation, lesminutieuses observances, comme elles se figurent avoir besoin de toutes ces choses pour assurer leurs

    pas incertains, Dieu les laisse faire; Il intervient mme pour amliorer autant que possible cesinventions. Mais tout cela ne sert qu' apprendre le chemin de la Libert, le chemin der l'Amour.

    Plus une mort est belle, plus elle rassemble au martyre, plus elle se droule avec un concoursnombreux de spectateurs sympathiques et venrants. Il n'y a pas que les anges autour du moribond; il ya toutes sortes de prsences: les esprits de tous les tres qu'il connus; ceux de la maison familiale,ceux des animaux et des fleurs, des bois et des collines sur lesquels autrefois cet homme reposait desregards amicaux; il y a les anctres, graves et bienheureux; Il y a mme des esprits dont le corps vitmatriellement bien loin du champ de bataille. Car pour les esprits il n'y a point d'autres distances queles distances morales. Vous tous qui avez, sur la ligne de feu, quelqu'un vers lequel s'lancent lesinquitudes de votre tendresse, ne craignez point pour lui l'isolement: Si vous l'aimez comme il fautaimer, votre esprit est avec son esprit. Votre cerveau na le sait peut-tre pas: la tlpathie est unequestion de nerfs; mais votre coeur le sait bien, lui qu'illuminent ou qu'assombrissent des joies et destristesses, sans cause raisonnable; lui qui connat la nouvelle grave bien avant que le tlgraphe ne

    l'apporte.

    Et comme l'Intimit, la continuit de cette conversation mystrieuse avec nos absents dpendent duniveau de notre vie spirituelle, vous comprendrez pourquoi je vous recommande encore ce sujetl'union la plus troite avec le Matre de l'Esprit.

    Quand le coeur est pur,. tout autour de soi devient lucide.

    *

    Le soldat qui meurt au feu n'entre point de suite, je l'ai dj dit, dans le repos: son corps, oui; mais sonesprit continue se battre, presque toujours, parce que le corps n'accomplit rien de son propre

    mouvement. Les gardiens de la patrie sont l; ils accueillent cet esprit, ils lui font place, ils l'enrlent,et la lutte ne cesse pas. Mais c'est une autre lutte, en prsence des chefs spirituels; la dvotion

    populaire connat ces guides et s'adresse eux avec une confiance trs souvent justifie. Elle leur

  • 8/8/2019 Sdir - La guerre de 1914 selon le point de vue mystique

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    donne des noms, bien que ces tres suprieurs prfrent rester inconnus; ils craignent avec juste raisonqu'on les invoque directement; cette idoltrie altre la transmission de leur influence invisible, et encomplique singulirement les suites dans l'avenir. L'glise catholique recommande bien de ne prendreces saints que comme intercesseurs; mais combien cette recommandation est-elle nglige! Cependant

    jamais une prire ne parvient mieux, Jeanne d'Arc, sainte Philomne, n'importe quel saint, quelorsque elle est adresse leur Seigneur tous, au Christ. Seule, la Vierge fait exception cette rgle:c'est la seule crature qu'on puisse prier directement.

    Ce que l'glise nomme la communion des saints est un organisme collectif, une espce d'tat social,dont chaque membre doit obir des lois, comme responsable d'une fonction spciale, lui confie parle Christ. Nos demandes, toujours trs particulires, mettent souvent ces ministres spirituels dans dessituations compliques; leur travail en prouve du retard, et l'oeuvre de la Lumire en est entrave.

    Ainsi, ayons quelques scrupules dans nos prires, et essayons de ne les formuler qu'aprs avoir dit ennous-mme du plus profond du coeur: Que Votre volont soit faite et non la mienne .

    Ces restrictions ncessaires augmentent la force de l prire. La prire, la plus puissante de toutes lesnergies psychiques, a besoin d'obstacle, de compression, pour s'lancer avec plus de vigueur et decertitude. Il faut que tous le sachent, ceux qui attendent comme ceux qui combattent, ceux quilanguissent d'inquitude, comme ceux dont le sang teint goutte goutte les fleurs printanires au

    rebord de quelque foss: l'lan de nos esprits peut aider la victoire encore plus que l'lan de n