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Cas clinique Coma avec mydriase bilatérale au décours de lutilisation dun patch de scopolamine en réanimation Coma with bilateral mydriasis after use of transdermal scopolamine in ICU X. Repéssé, T. Geeraerts * , J. Pottecher, B. Vigué, D. Benhamou, J. Duranteau Département danesthésieréanimation chirurgicale, hôpital de Bicêtre, APHP, faculté de médecine, université Paris-Sud, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France Reçu le 5 mai 2007 ; accepté le 24 septembre 2007 Disponible sur internet le 24 octobre 2007 Résumé Nous rapportons le cas dun patient de réanimation, aux antécédents lointains de traumatisme crânien avec hydrocéphalie séquellaire dérivée, présentant un coma (score de Glasgow = 8) avec mydriase bilatérale peu réactive au décours de lutilisation dun dispositif transdermique de scopolamine (1 mg) prescrit en raison de sécrétions bronchiques abondantes. Après élimination dune complication cérébroméningée (tomoden- sitométrie et électroencéphalogramme normaux), les symptômes se sont amendés rapidement après ablation du dispositif transdermique de sco- polamine faisant évoquer un syndrome anticholinergique central. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract We report the case of an ICU patient with previous medical history of head trauma with hydrocephalus requiring ventricular derivation, presenting a coma (Glasgow Coma Score = 8) with bilateral mydriasis after the use of transdermal scopolamine (1 mg) for profuse bronchial secretions. Neurological explorations (CT-scan and electroencephalogram) confirmed the absence of organic cause to the neurological deteriora- tion. Neurological status rapidly and completely improved after removal of transdermal scopolamine suggesting a central anticholinergic syn- drome. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Scopolamine ; Transdermique ; Syndrome anticholinergique ; Mydriase ; Coma Keywords: Scopolamine; Transdermal; Anticholinergic syndrome; Mydriasis; Coma 1. Introduction Les médicaments parasympathicolytiques sont fréquemment employés en anesthésieréanimation. En particulier, la scopo- lamine transdermique possède des propriétés antiémétiques et pourrait être utilisée pour la prévention des nauséesvomisse- ments postopératoires [1]. Par ailleurs, elle diminue les sécré- tions buccales et bronchiques, et peut être employée chez les patients « hypersécrétants » [2]. Les effets secondaires les plus fréquemment décrits sont une sécheresse buccale et des trou- bles visuels à type de troubles de laccommodation [3]. Dans la période postopératoire, une sédation induite par des molécules anticholinergiques a également été décrite [4]. Nous rappor- tons, ici, le cas dun patient de réanimation présentant un coma, avec mydriase bilatérale, lié à un syndrome anticholiner- gique central, secondaire à la mise en place dun patch de sco- polamine prescrit à de faibles doses (1 mg) afin de diminuer les sécrétions buccales et bronchiques. 2. Observation Un patient de 47 ans a été admis dans notre service de réa- nimation chirurgicale pour la prise en charge dun choc sep- http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/ Annales Françaises dAnesthésie et de Réanimation 26 (2007) 10701072 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Geeraerts). 0750-7658/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2007.09.024

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http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/

Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 26 (2007) 1070–1072

Cas clinique

Coma avec mydriase bilatérale au décoursde l’utilisation d’un patch de scopolamine en réanimation

Coma with bilateral mydriasis after use of transdermal scopolamine in ICU

X. Repéssé, T. Geeraerts*, J. Pottecher, B. Vigué, D. Benhamou, J. Duranteau

Département d’anesthésie–réanimation chirurgicale, hôpital de Bicêtre, APHP, faculté de médecine, université Paris-Sud, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France

Reçu le 5 mai 2007 ; accepté le 24 septembre 2007Disponible sur internet le 24 octobre 2007

Résumé

Nous rapportons le cas d’un patient de réanimation, aux antécédents lointains de traumatisme crânien avec hydrocéphalie séquellaire dérivée,présentant un coma (score de Glasgow = 8) avec mydriase bilatérale peu réactive au décours de l’utilisation d’un dispositif transdermique descopolamine (1 mg) prescrit en raison de sécrétions bronchiques abondantes. Après élimination d’une complication cérébroméningée (tomoden-sitométrie et électroencéphalogramme normaux), les symptômes se sont amendés rapidement après ablation du dispositif transdermique de sco-polamine faisant évoquer un syndrome anticholinergique central.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

We report the case of an ICU patient with previous medical history of head trauma with hydrocephalus requiring ventricular derivation,presenting a coma (Glasgow Coma Score = 8) with bilateral mydriasis after the use of transdermal scopolamine (1 mg) for profuse bronchialsecretions. Neurological explorations (CT-scan and electroencephalogram) confirmed the absence of organic cause to the neurological deteriora-tion. Neurological status rapidly and completely improved after removal of transdermal scopolamine suggesting a central anticholinergic syn-drome.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Scopolamine ; Transdermique ; Syndrome anticholinergique ; Mydriase ; Coma

Keywords: Scopolamine; Transdermal; Anticholinergic syndrome; Mydriasis; Coma

1. Introduction

Les médicaments parasympathicolytiques sont fréquemmentemployés en anesthésie–réanimation. En particulier, la scopo-lamine transdermique possède des propriétés antiémétiques etpourrait être utilisée pour la prévention des nausées–vomisse-ments postopératoires [1]. Par ailleurs, elle diminue les sécré-tions buccales et bronchiques, et peut être employée chez lespatients « hypersécrétants » [2]. Les effets secondaires les plusfréquemment décrits sont une sécheresse buccale et des trou-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (T. Geeraerts).

0750-7658/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésdoi:10.1016/j.annfar.2007.09.024

bles visuels à type de troubles de l’accommodation [3]. Dans lapériode postopératoire, une sédation induite par des moléculesanticholinergiques a également été décrite [4]. Nous rappor-tons, ici, le cas d’un patient de réanimation présentant uncoma, avec mydriase bilatérale, lié à un syndrome anticholiner-gique central, secondaire à la mise en place d’un patch de sco-polamine prescrit à de faibles doses (1 mg) afin de diminuer lessécrétions buccales et bronchiques.

2. Observation

Un patient de 47 ans a été admis dans notre service de réa-nimation chirurgicale pour la prise en charge d’un choc sep-

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tique secondaire à une péritonite par ischémie du grêle et à unepneumopathie à Pseudomonas aeruginosa. Ce patient auxantécédents de traumatisme crânien grave (13 ans auparavant)était porteur d’une dérivation ventriculopéritonéale en raisond’une hydrocéphalie post-traumatique. La péritonite a nécessitéle changement de cette valve pour une dérivation ventriculaireexterne puis une dérivation ventriculoatriale à distance del’épisode septique. Après un long sevrage ventilatoire, en rai-son de surinfections pulmonaires récidivantes, le patient a étéextubé avec bonne tolérance clinique et gazométrique initiale.Toutefois, l’abondance des sécrétions bronchiques a conduit àmettre en place un dispositif transdermique de scopolamine.Un patch de scopolamine (Scopoderm® TTS, 1 mg, Novartis)était mis en place derrière l’oreille droite, alors que le patientétait conscient et orienté avec un score de Glasgow coté à 13(état neurologique habituel chez ce patient avec des troubles dulangage séquellaires). Les surveillances ultérieures ont fait étatd’une diminution progressive des sécrétions bronchiques aucours de la journée. Seize heures après l’instauration du traite-ment, une altération marquée de la conscience (score de Glas-gow coté à 8) et une mydriase bilatérale (à 4 mm, symétrique etpeu réactive) étaient notées par l’infirmière. La pression arté-rielle moyenne était alors égale à 74 mmHg et la fréquencecardiaque à 76 b/min. La glycémie capillaire était à7,5 mmol/l, la PaCO2 à 35 mmHg et l’ionogramme sanguinstrictement normal. La réalisation des dopplers transcrânienss’est avérée impossible du fait de l’absence de fenêtre tempo-rale chez ce patient. Dans ce contexte de dérivation ventricu-laire, un nouveau scanner cérébral a été réalisé et n’a retrouvéni dilatation des ventricules, ni anomalie parenchymateusepouvant expliquer cette aggravation neurologique brutale. Unélectroencéphalogramme a vérifié l’absence de crise comitiale.Il n’existait alors ni fièvre, ni hyperleucocytose. Parallèlementà ce bilan, il a été décidé de retirer le dispositif transdermiquede scopolamine devant l’hypothèse d’un syndrome anti-cholinergique. Le patient donnait alors des signes progressifsd’amélioration neurologique : la mydriase bilatérale régressaitprogressivement et huit heures après retrait du patch, le scorede Glasgow était évalué à 12 puis à 13 le lendemain. Cetterécupération complète nous a fait retenir le diagnostic de syn-drome anticholinergique lié à la scopolamine, avec manifesta-tion neurologique centrale prédominante.

3. Discussion

La scopolamine est un alcaloïde de la belladone aux proprié-tés parasympathicolytiques. Les dispositifs transdermiques descopolamine sont fréquemment employés pour diminuer le maldes transports [5], mais aussi à des fins de confort pour réduireles sécrétions trachéobronchiques [2]. La scopolamine transder-mique, à la dose de 1,5 mg, est également utilisée pour la pré-vention des nausées et vomissements postopératoires [1,3,6].L’effet indésirable grave de telles substances est le syndromeanticholinergique associant classiquement des signes neurologi-ques centraux, allant de l’agitation délirante au coma, à dessignes périphériques dont certains constituent l’objectif de la thé-rapeutique (diminution des sécrétions bronchiques, de la sueur,

de la motricité digestive, tachycardie, modifications pupillai-res…). Ce syndrome connu depuis 1958, suite à l’utilisation defortes doses d’atropine pour la sédation de patients psychiatri-ques [7], est de moins en moins rencontré dans sa forme typique.Si l’agitation et le délire sont souvent observés lors d’un surdo-sage en substances anticholinergiques, la sédation et la somno-lence sont plus particulièrement rencontrées dans le cadre d’unsyndrome anticholinergique postanesthésique [8,9]. Il semble eneffet que les médicaments de l’anesthésie masquent leurs effetspériphériques et potentialisent l’effet sédatif des molécules para-sympatholytiques. Le cas décrit ci-dessus montre qu’un tableaude somnolence, voire de coma peut être observé en réanimationaprès utilisation de faibles doses de scopolamine (1 mg), mêmeen dehors de toute sédation ou anesthésie récente. Si les asymé-tries pupillaires peuvent être observées lors d’utilisation de sco-polamine, elles semblent en rapport avec l’introduction acciden-telle de substance active (en général laissée sur les doigts)directement dans un des yeux [10–13]. Le syndrome anticholi-nergique se présente classiquement comme une mydriase bilaté-rale avec photophobie, cycloplégie et trouble de l’accommoda-tion par paralysie des muscles photomoteurs [7,9]. Ce tableau,associant coma et mydriase bilatérale, était d’autant plus trom-peur qu’il survenait chez un patient présentant une pathologieneurologique susceptible de s’aggraver (hydrocéphalie avecchangement récent de la dérivation ventriculaire). Il est possibleque les séquelles neurologiques post-traumatiques du patientaient contribué à accentuer les effets sédatifs de la scopolamineet l’apparition des effets secondaires décrits.

4. Conclusion

En anesthésie–réanimation, les effets de la scopolamine(diminution des sécrétions bronchiques, propriétés antiéméti-ques) semblent intéressants. Toutefois, la possibilité de surve-nue d’effets secondaires, comme la somnolence, voire le coma,ainsi que les modifications pupillaires, est importante à rappe-ler. Ainsi, lorsqu’une surveillance neurologique fiable estindispensable (réanimation ou période postopératoire), l’utilisa-tion et les effets secondaires de telles molécules doivent êtrediscutés et connus de tous les intervenants médicaux.

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