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Copyrights www.domuni.org 1 BERNARD BOLZANO INFINI MATHEMATIQUE ET INFINI DE DIEU Frère Jean-Michel Maldamé Sa vie et son œuvre Bernard Bolzano est connu de tous les étudiants en sciences mathématique ou physique, puisque, dès la première année d’études universitaires, ils apprennent le théorème de Bolzano-Weierstrass, porte d’entrée dans les « mathématiques modernes ». La plupart ignorent que Bolzano est né à Prague le 5 octobre 1781 et décédé dans la même ville le 18 décembre 1848. Entré à l’Université de Prague en 1796 pour étudier les mathématiques, la physique et la philosophie, à l’encontre de la volonté de son père 1 , Bolzano décida de devenir prêtre et a entrepris des études de théologie sans renoncer à ses études scientifiques, puisqu’il a présenté sa thèse 1 Son père d’origine italienne était marchand d’art et sa mère pragoise était d’un milieu commerçant. C’était une famille très pieuse de style italien, mais de culture germanique. La problématique de Bernard Bolzano est celle de l’université allemande.

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BERNARD BOLZANO INFINI MATHEMATIQUE ET INFINI DE DIEU

Frère Jean-Michel Maldamé

Sa vie et son œuvre

Bernard Bolzano est connu de tous les étudiants en sciences mathématique ou physique, puisque, dès la première année d’études universitaires, ils apprennent le théorème de Bolzano-Weierstrass, porte d’entrée dans les « mathématiques modernes ». La plupart ignorent que Bolzano est né à Prague le 5 octobre 1781 et décédé dans la même ville le 18 décembre 1848. Entré à l’Université de Prague en 1796 pour étudier les mathématiques, la physique et la philosophie, à l’encontre de la volonté de son père1, Bolzano décida de devenir prêtre et a entrepris des études de théologie sans renoncer à ses études scientifiques, puisqu’il a présenté sa thèse

1 Son père d’origine italienne était marchand d’art et sa mère pragoise était d’un milieu commerçant. C’était une famille très pieuse de style italien, mais de culture germanique. La problématique de Bernard Bolzano est celle de l’université allemande.

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de mathématiques en 1804. Ordonné prêtre le 7 avril 1805, il a soutenu un doctorat en philosophie sitôt après le 17 avril. Il a obtenu un poste d’enseignant à l’Université de Prague, en mathématiques et en science des religions. Élu doyen de la faculté de philosophie en 1818, il a été nommé à la Société Royale des Sciences de Bohême en 1819. Une très brillante entrée dans la vie intellectuelle donc !

Dès ces années de formation, les questions posées par Bolzano portent sur l’articulation de la raison et de la foi. C’est en partant des convictions et des méthodes de Leibniz que Bolzano ouvre une voie où il sera en conflit avec Kant et ses disciples (ce qui explique pourquoi il a été méconnu dans les universités européennes) et Hegel (ce qui explique pourquoi certains lui ont reproché un rationalisme trop sévère). Ces rapides remarques montrent que la science n’est pas un savoir cantonné dans une île, puisque son progrès est lié à des personnalités qui font le passage entre divers savoirs. Ainsi en étudiant l’œuvre de Bolzano, il paraîtra que la racine de son œuvre et l’unité de toutes ses parties sont le fruit d’un grand amour pour la vérité. De ce point de vue, nous exprimons un regret. Les études françaises sur Bolzano ne s’attachent qu’à son apport à la naissance des mathématiques modernes2. Cette lecture a les qualités de la spécialisation, mais ce faisant, elle ne respecte pas les motivations de la recherche et occulte les éléments qui font partie de la philosophie. L’étude actuelle de Bolzano est elle aussi limitée à la dimension épistémologique et de ce fait il y a une séparation entre la philosophie et la théologie3. Le but de cette conférence est de montrer que ces éléments doivent être unis. Nous le ferons en nous attachant à la question de l’infini selon les vœux de Bolzano lui-même qui écrit au début des Paradoxes de l’infini : « Les paradoxes mathématiques [sur l’infini] méritent toute notre attention, puisque la solution de questions très importantes de plusieurs autres sciences, comme la métaphysique ou la physique, dépend d’une réfutation satisfaisante de leur apparente contradiction » (§ 1).

1. Une vie engagée

Le jeune et brillant professeur de l’Université de Prague s’impose par ses travaux mathématiques4. La chaire qu’il reçoit n’est pas celle d’un mathématicien,

2 Ne sont accessibles au lecteur français que deux ouvrages ; Bernard BOLZANO, Les Paradoxes de l’infini, introduction et traduction par Hourya Sinaceur, « Les sources du savoir », Paris, Seuil, 1993, et De la méthode mathématique & Correspondance Bolzano-Exter, traduction française Carole Magné et Jean Sebestik, Paris, Vrin, 2008. Il ne s’agit ici que des fondements des mathématiques. Un numéro de la revue Philosophies est consacré à Bolzano, vol. 30, n° 1, 2003. 3 Nous rejoignons la critique faite par Jacques Courcier dans son « Bulletin de philosophie des sciences », RSPT, 77, n° 4, 1993, p. 602-605 constatant les carences de notations de H. Sinaceur dans sa traduction, signe d’une ignorance de la portée véritable des Paradoxes de l’infini. Le même jugement est réitéré : « Cet ouvrage est d’une parfaite érudition en ce qui concerne le secteur mathématique et logique, et d’une désespérante faiblesse en ce qui concerne l’autre moitié, plus théologique et plus philosophique » (RSPT, 79, n° 4, p. 619). 4 Ces travaux mathématiques portent d’abord sur des questions de géométrie : Considérations sur certains objets de la

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mais celle intitulée « science des religions » dont le propos est de présenter une philosophie des religions. La fondation de cette chaire est due à l’initiative de l’empereur François-Joseph qui voulait contrer l’influence néfaste des idées « révolutionnaires » venues de France. Il avait l’intention de donner aux étudiants une formation religieuse pour résister à leur influence subversive. L’action de Bolzano se fait dans le cadre de ses cours, mais aussi dans des conférences destinées aux étudiants qui étudient d’autres disciplines que la philosophie (Erbauungsreden – discours édifiants) et encore dans ses prédications liturgiques le dimanche.

1.1. Une morale politique

Si Bolzano a été choisi pour ses compétences multiples, il était sans doute le

moins qualifié pour cette tâche, puisque, dans son enseignement et dans sa prédication à Prague, Bernard Bolzano promeut les idées de liberté et d’égalité, au fondement de la vie sociale. Ces idées qui héritent ouvertement des Lumières contredisent l’absolutisme impérial et suscitent l’enthousiasme des étudiants tchèques. Les idées défendues par Bolzano sont subversives ; aussi, par décret impérial, il est démis de ses fonctions universitaires en 18195 et interdit de publication6. L’enseignement de cette époque est cependant connu, parce que des étudiants rassemblent notes et documents pour composer un livre publié en Allemagne en 1834. Cet ouvrage comporte quatre volumes sous le titre Lehrbuch der Religionwissenschaft – Manuel de science de la religion. Il s’agit d’une science des religions avec une présentation systématique. Le statut de cette édition n’empêche pas que

géométrie élémentaire, 1804. Dans l’introduction aux œuvres mathématiques de Bolzano, l’historien des mathématiques, Jan VOJŤEK, note : « Bolzano s’occupait dans ses études géométriques de questions fondamentales spécialement choisies, p. ex. de la théorie de la droite, de la théorie des parallèles, du problème de l’espace, de la notion de ligne et de surface, de leurs grandeurs, de leurs courbures et ainsi de suite. Le choix de ces sujets montre la profondeur de son entendement pour les questions de sciences géométriques les plus importantes, aussi difficiles qu’elles soient. Bolzano préparait une reconstruction systématique et complète de toute la géométrie, mais il ne nous a pas laissé un exposé complet de ses idées ; même ses travaux sur des problèmes spéciaux ne sont (ce qu’il fait souvent remarquer lui-même) que des essais, parfois incomplets. Néanmoins, les travaux de Bolzano sont originaux et remarquables surtout du point de vue logique, ce qui se manifeste par la conformité et la précision de la méthode dans l’arrangement de la matière et dans les démonstrations ; de nombreux détails portent le même caractère éminent. C’est pourquoi, il faut regretter que Bolzano n’ait pas eu le temps ni la force d’établir une construction systématique de la géométrie qui serait équivalente à sa grande œuvre en logique. » Bernard Bolzano Schriften, t. V, Geometrische Arbeiten, p. 4. 5 L’instigateur de cette mesure est l’aumônier de la cour, Jakob Frint. Celui-ci intentera un procès en hérésie, qui sera sans effet, puisque rien dans les écrits de Bolzano ne va à l’encontre de la foi. La question est celle du rapport entre l’absolutisme de Metternich, hélas appuyé par l’Église, et ce qui deviendra le Joséphisme, esprit des Lumières dans le catholicisme de l’empire. 6 Tous les auteurs notent aujourd’hui que cet interdit a été source de la méconnaissance de la pensée et de l’originalité de Bolzano qui est aujourd’hui reconnu comme un pionnier en matière de logique, de mathématique et philosophie de l’esprit. Cf. Bernard LAZ, Bolzano critique de Kant, Paris, Vrin, 1993.

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l’on puisse accéder à l’originalité de la philosophie en matière de religion et de vie politique ou sociale7.

Cette vacance universitaire ne contrarie pas trop Bolzano, car elle le libère

des charges administratives et des contraintes d’enseignement. Elle lui permettra de se consacrer à des recherches personnelles ; son état de prêtre lui permet d’avoir un statut social. On note que son activité est marquée par un fort engagement social dans le cadre des activités caritatives de l’Église de Bohême.

Cette activité est celle d’un intellectuel engagé comme le montre la

publication d’un ouvrage politique, Von dem besten Staate, Pour le meilleur État. La question abordée dans cet ouvrage est de savoir comment lutter contre le mal et diminuer la souffrance humaine. Bolzano constate que bien des maux sont dus à la mauvaise organisation de l’État. Il puise dans la tradition chrétienne une motivation pour une éducation qui forme à la « vertu », c’est-à-dire enseignement et rigueur morale. Il propose des solutions pratiques pour le logement des pauvres, pour l’élimination de la misère, pour l’organisation de l’entraide caritative et pour l’accueil des enfants abandonnés8. L’exposé très systématique s’appuie sur les principes de la liberté et de l’égalité. Bolzano récuse la censure. Il aborde la question de la propriété et les impôts. Tout ceci est fait dans un style philosophique : proposer des concepts clairs et déduire les conséquences pratiques nécessaires pour le bien de tous. Dans ces textes, Bolzano aborde aussi la question des nationalités. Dans l’empire austro-hongrois et en Bohême la question est bien complexe et vive9. Textes d’actualité !

1.2. Le statut des religions

L’ouvrage de Bolzano permet de voir quelle est sa philosophie de la religion.

Dans le premier volume, Bolzano part d’une définition de la religion10. Il entend le terme de religion dans le sens subjectif d’engagement de la conscience. Cet engagement de la personne est à la source de la morale et donc de l’action évoquée plus haut.

7 Une autre édition complétée sera publiée après sa mort, Dr. Bernhard Bolzano’s Erbauungsreden an die Akademische Jugend, 4 vol., Prague et Vienne, 1849-1852, une traduction partielle est faite en anglais, Selected Writings on Ethics and Politics, Amsterdam-New-York, Rodopi, 2007. 8 Les textes publiés anonymement reprennent des conférences faites aux étudiants de l’Université de Prague. Ueber die Wohlthätigkein. Dem Wohle der Leidenden Meshchheit gewidmet von einem Mehnschenfreunde, 1847 et Vorschläge zur Behebung des unter einem beträchtlichen Theile der Bewohner Prags dermal um sich greifenden Nothstandes, 1847. 9 Ueber das Verhältnis der beiden Volkstämme in Böhmen, 1847 ; après sa mort : Was ist Vaterland und Vaterlandsliebe ? Eine rede an die akademische Jugend im Jahre 1810 beantwortet, 1850. 10 Bolzano suit toujours cette méthode : il commence par donner des définitions – au sens premier du terme qui est de donner tous les éléments d’intelligibilité classés selon l’ordre logique.

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En lien avec les polémiques modernes, je relève que pour lui, l’histoire d’Adam et Ève n’est pas à entendre comme un événement historique, mais comme une leçon de morale qui une valeur d’exemplarité. La référence à Adam et Ève a pour effet de fonder l’égalité de tous les êtres humains. Il doit donc y avoir un sentiment de fraternité entre tous les humains. Ainsi, il y a place pour diverses religions dans une même nation.

Dans le champ des religions, Bolzano constate que le christianisme est la meilleure des religions à raison du primat accordé à l’amour du prochain et à l’exigence morale qui en résulte. Cette position est justifiée dans le deuxième volume qui cherche les éléments qui permettent de parler de révélation. La question des miracles est longuement étudiée. Il récuse la notion commune qui dit que le miracle échappe aux lois de la nature. Il voit dans le miracle une « occurrence insolite » qui fait signe au croyant. Dans ce volume, Bolzano entre alors dans une étude sur la valeur des propositions du discours chrétien ; il utilise le langage des moralistes cherchant le meilleur dans des situations confuses en qualifiant les autorités selon leur degré de probabilité. Passage donc de l’estimation du probable au calcul des probabilités11.

Dans cet ouvrage sur les religions, Bolzano reconnaît l’existence d’une

religion naturelle. La reconnaissance de l’existence de Dieu est partagée par les religions et cela repose sur une conclusion de la raison et universellement soucieuse de mener l’humanité dans la voie du bien. La religion naturelle reconnaît l’absolue perfection de Dieu et cela donne un fondement universel. Bolzano reprend la preuve cosmologique traditionnelle selon laquelle l’ordre du monde atteste l’action d’un créateur – divergence avec Kant donc.

Cette vision rationnelle de la religion a un effet de relativisation de l’autorité

de l’Église catholique. Bolzano constate que bien des éléments de la tradition chrétienne sont contingents et relatifs à des situations particulières. Il le manifeste à propos de la doctrine du mariage et sur le statut des clercs. Bolzano critique le pouvoir du clergé sur la société. Pour lui, le clergé doit rester dans sa fonction spirituelle et laisser le pouvoir politique aux laïcs. Un traité de 1845, Ueber die Perfectibilität des Katholicismus (De la perfectibilité du catholicisme), se situe dans la perspective d’un effort pour reconsidérer le statut de l’Église catholique et l’arracher à ses compromissions avec le pouvoir politique.

Dans ces pages, retranscrites par les étudiants assistant aux conférences, on

voit que le souci de Bolzano est de mettre la pratique religieuse en accord avec la raison et la morale. La quête spirituelle n’est pas réservée à l’ordre de l’intime, mais fonde une démarche de la raison, comme le montre le traité consacré à l’immortalité de l’âme, Athanasia, publié anonymement en 1827 et repris ensuite en

11 Cf. Ian HACKING, L’Émergence de la probabilité, Paris, Seuil, 2002.

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1838 sous son nom avec un complément volumineux (un tiers environ du volume qui fait 420 pages), qui est une sorte d’anthologie de textes théologiques sur la question de l’âme.

1.3. Esthétique

Bolzano est vraiment philosophe dans la mesure où il aborde d’autres thèmes. Les éléments esthétiques sont une partie importante du rapport au réel. Un traité de 1843 Abhandunge zur Aesthetik. Ueber den Begriff des Schönen (Traité d’esthétique : sur le concept de beauté) est consacré à cette question. Bolzano revient sur la question dans une conférence de 1847, publiée après sa mort. Il y a dans son traité une discussion avec Hegel, fondateur la discipline dite esthétique. Il est intéressant de noter que dans ce traité, Bolzano fait droit à la subjectivité.

L’esthétique implique la subjectivité humaine, car elle relève des facultés de la connaissance sensible. Pour Bolzano, ceci n’exclut pas que l’on puisse parler d’une beauté objective, en particulier dans la nature, œuvre de Dieu. Ainsi Bolzano tient une voie moyenne entre subjectivité humaine et objectivité de l’œuvre qui doit avoir sa consistance – les éléments d’ordre, de symétrie et de proportion sont essentiels à ses yeux. L’esthétique est une manière de renouer avec un souci de réalisme – qui est au cœur de sa critique spécifiquement philosophique de l’idéalisme allemand.

2. La Philosophie de Bolzano

Dans la retraite imposée par sa mise à l’écart de l’Université, Bolzano,

consacre ses forces à l’écriture de l’ouvrage Philosophie des sciences ou Théorie des sciences (en allemand Wissenschaftlehre), une œuvre philosophique majeure12, dont il faut parler plus en détail13. Elle reste en lien avec les travaux mathématiques qui demeurent la base de l’activité de son auteur14.

12 L’œuvre fut méconnue en son temps. Bolzano en était conscient quand il écrivait : « Si les vues exposées dans ce livre sont justes, elles feront la révolution dans plus d’une science : à savoir en métaphysique, en morale et en droit, en esthétique, en mathématique, dans la partie rationnelle de la physique, dans la théorie philosophique du langage et (Dieu nous garde) aussi en théologie », Correspondance Bolzano-Fesl, cité par J. SEBESTIK, Mathématique et théorie de la science chez Bolzano, Thèse, Paris, 1974, citée par Jacques LAZ, op. cit., p. 21. 13 Nous n’avons malheureusement pas lu cette œuvre inaccessible pour un lecteur français. Notre étude est, hélas, de seconde main. 14 Le travail de Bolzano mathématicien est bien connu. Il fit au début de sa carrière de la géométrie, mais sa remise en cause des éléments euclidiens alors reçus comme incontestables n’est pas suivie d’un travail systématique ; ses collègues Lobatchevski et Bolayi y travailleront avec Riemann. Bolzano a publié des études en analyse par un traité sur les séries convergentes (en 1817 – avant les travaux de Cauchy de 1821). Dans son étude de 1817 se trouve le célèbre théorème dit de Bolzano-Weierstrass. Le nom de Weierstrass est apparu à ce propos ; en effet l’œuvre de

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2.1. La logique

Bolzano est un des pionniers de la logique moderne15. La notion de logique est bien plus large au début du XIXe siècle, où elle désigne le mode rationnel de penser. La perspective de Bolzano s’inscrit dans une option réaliste, en ce sens que les concepts ne dépendent pas de l’esprit qui l’interroge ou la pense ; Bolzano marque la différence entre la conceptualisation scientifique et la psychologie ; il sépare la logique du langage commun.

1. Le premier point de sa manière de construire la logique est de poser qu’il existe des vérités en soi (Wahrheit an sich). L’expression désigne des affirmations qui sont vraies indépendamment du fait d’être pensées ou crues16. Ainsi dire que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil est une vérité en soi ; c’était vrai même quand on pensait le contraire ; une formule mathématique est vraie quel que soit le mathématicien qui la formule. Il faut distinguer la vérité d’une proposition d’avec la croyance en la vérité d’une proposition17. La démonstration de la vérité s’obtient par déduction selon les exigences de la raison18.

2. La deuxième étape de la philosophie impliquée dans cette présentation de la vérité des propositions est la question de la réalité. Sur cette question, il faut noter que Bolzano emploie deux termes, wirklich et wirksam. Le premier terme renvoie à une existence réelle (Wirklichkeit ou encore Existenz ou Sein19) ; le second terme renvoie à l’action. Ainsi la vérité d’une proposition logique se tient dans l’ordre de la déduction logique – pas dans l’existence physique ou mentale20.

3. La logique étudie les propositions, les phrases construites pour elles-mêmes. Il considère les différentes manières de construire une proposition et leur valeur de vérité. Le cœur de la question est le rapport entre le sujet de la proposition et le prédicat attribué au sujet. Il examine les divers modes des

l’Allemand a été connue avant celle de Bolzano ; le théorème a été présenté sous son nom, jusqu’à la découverte de l’antériorité de l’énoncé de Bolzano. Bolzano a introduit la notion d’ensemble dans deux ouvrages : Les Paradoxes de l’infini et Sur la grandeur. Ces ouvrages sont à la base des travaux de Dedekind et Cantor qui ont fondé explicitement la théorie des ensembles. 15 Husserl a présenté Bolzano comme « un des plus grand logiciens de tous les temps », Jacques LAZ, op. cit., p. 10. 16 Cette conviction apparaît dans un premier écrit de 1810, Beyträge zu einer begründeteren Darstellung der Mathematik, trad. fr. Jacques LAZ, Des contributions à une exposition des mathématiques sur de meilleurs fondements, dans Bolzano critique de Kant, Paris, Vrin, 1993, p. 169-192. 17 Cette tradition remonte à Aristote. Une proposition est démontrée par la science lorsqu’elle l’est à partir de sa « raison en soi » et non à partir de ce que nous en savons empiriquement. L’ordre de la science n’est pas celui de la connaissance, mais un ordre en soi qui en est indépendant. 18 L’argumentation se fait par reductio : si je dis : « Il n’existe pas de proposition vraie » et si je tiens que cette affirmation est vraie, alors il y a contradiction et la prémisse est fausse. 19 Les deux termes ne sont pas distingués – ce qui entraîne de nombreuses difficultés dans le monde des philosophes. 20 Dans le langage actuel dû à Karl Popper, on distingue trois mondes : le monde 1 qui est celui des objets matériels, le monde 2 qui est celui des pensées humaines et le monde 3 qui est celui des propositions logiques. Cette classification convient pour les distinctions faites par Bolzano.

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propositions : avec affirmation, avec négation, subjonctives ou disjonctives, propositions particulières21. Ces divers statuts des propositions sont classés à différents niveaux ; toutes ont une valeur d’affirmation d’existence (es gibt – il y a).

4. Les propositions ont un contenu (Inhalt) ; ce sont les idées que Bolzano étudie comme telles. Il y a des idées simples qui n’ont pas de parties et des idées complexes qui sont composées de plusieurs parties. Les idées ont un objet. Il y a des idées sans objet ou vides, quand elles sont contradictoires (gegenstandlos) ou imaginaire (un cheval ailé). Une idée peut avoir un contenu (gegenständlich) singulier ou général. À ce propos, Bolzano introduit la considération de l’extension (Umfang). Bolzano étudie les relations entre les idées en les formalisant de manière mathématique ; en étudiant les variations d’une proposition contenant une ou plusieurs idées, il introduit la notion de variable au sens mathématique.

5. La logique est l’étude de l’enchaînement des propositions dans un raisonnement. Il l’exprime en parlant de dérivabilité (Ableitbarkeit) qui a un sens plus général qu’aujourd’hui et qui se traduirait mieux par syllogisme ou déduction, mais Bolzano n’emploie pas ce terme (Schlüsse).

6. Bolzano introduit ensuite une considération qui ouvre des perspectives qui ont pris une grande importance dans la logique moderne, où intervient la probabilité. Il quantifie la valeur de vérité d’une proposition. Il entre dans la perspective des débats du temps qui se déroulent dans le cadre de la casuistique : celle-ci confronte l’autorité des auteurs de référence et mesure la valeur de leurs assertions par un classement de leur autorité et donc introduit un critère de jugement de l’opinion, qui est qualifiée de probable. La science donne des certitudes ; la conduite de l’action au contact d’un réel qui échappe donne lieu à une estimation qui doit être traitée comme une probabilité. Il faut aller au plus sûr. Cette étude des probabilités est utile dans les sciences, mais aussi dans les débats de société, comme on l’a vu plus haut. En matière religieuse ou politique, il n’y a pas de vérité absolue.

7. La méthode de Bolzano introduit alors à une considération proprement philosophique. La formalisation des propositions logiques présuppose un travail de l’intelligence qui élabore les concepts, les propositions, les jugements et les déductions par raisonnement logique. Une des questions posées par cette manière de faire est celle de l’origine des idées. La question de l’intuition est alors posée. Une autre question relève de l’ontologie ; dans une proposition bien formée, il y a un sujet et un prédicat. Est-ce que cela correspond à une structure ontologique : celle qui lie une substance (un terme métaphysique donc) et un accident ? La question est explicitement métaphysique.

2.2. Philosophie

21 On note que cette classification est devenue classique dans la philosophie logique après les travaux de Frege.

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La philosophie de Bolzano ne se réduit pas à l’épistémologie comme ont

tendance à le donner à penser les études qui se limitent à l’étude du maître ès logique et mathématique. Bolzano construit une philosophie qui s’inscrit dans la grande tradition européenne.

Pour aborder cette philosophie, je prendrai comme point de départ une

question révélatrice : la question des couleurs22. Qu’est-ce qu’une couleur ? Cette question touche tous les domaines du savoir humain. Le débat est classique ; en effet, la réaction romantique a été vive contre la considération scientifique de la couleur accusée de réduire le qualitatif au quantitatif. La figure de proue du romantisme allemand23, Goethe, polémique contre le réductionnisme scientifique dans son Traité des couleurs. Goethe s’écarte de la démarche analytique dont Newton a été le pionnier qui consiste à expliquer la lumière en la décomposant. Bolzano ne suit pas la position de Goethe ; il reconnaît la valeur de l’apport scientifique de Newton et de son étude de la lumière24. Bolzano considère que la couleur est le résultat d’une interaction entre la vue et le corps qui est éclairé. Il procède donc à des observations pour donner un fondement objectif à la couleur, mais il sait que la couleur n’est pas une entité existant pour elle-même (une entité qui serait ajoutée à une substance). La couleur est donc relation entre l’objet perçu et l’acte de percevoir. Si elle est un attribut du sujet coloré, la couleur n’est couleur que si elle est perçue. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de loi ni d’objectivité à la couleur perçue. Bolzano relève ceci à partir de la constance de la couleur qui est la même dans toutes nos perceptions. Il parle de « loi » pour dire le lien entre l’objet, la lumière et la perception. Cette théorie de la couleur a une incidence sur toute la philosophie de la connaissance où il y a une interaction entre le sujet connaissant et l’objet connu. Ceci vaut pour toute connaissance et donc pour la formation des concepts qui sont au principe de l’exposé logique de la vérité. Le concept de couleur formé est le fruit d’une perception ; celle-ci est source de vérité quand elle est prise dans une série avec des répétitions. Ainsi les sensations de bleu marine en différentes situations sont unifiées dans le concept de bleu marine. Il y a une association25 ; ainsi Bolzano donne-t-il la priorité au concept qui est le fruit d’une association. Bolzano évoque alors la question des aveugles. Un aveugle peut-il savoir ce qu’est une couleur qu’il ne voit pas ? Comme le concept est enraciné dans une expérience plurielle, étudiée au plan esthétique qui associe les

22 Bolzano se réfère à la couleur dans ses ouvrages ; non seulement dans sa philosophie, mais aussi dans le traité sur l’immortalité de l’âme et encore dans Les Paradoxes de l’infini. 23 Stephen J. Gould a le courage de considérer que Goethe mérite attention pour comprendre la vie et que ses propositions sur les formes vivantes ont un héritage dans la pensée scientifique et en particulier dans la théorie de l’évolution qui est une manière d’étudier des transformations. 24 Sans trancher le débat entre ceux qui privilégient l’aspect ondulatoire de la lumière et ceux qui privilégient l’aspect énergétique de ce que l’on appelle aujourd’hui photon – la question viendra plus tard. 25 Cette association est faite par les animaux qui distinguent les couleurs. Mais les animaux n’accèdent pas au concept. Le concept est enraciné dans une expérience plurielle, étudiée au plan esthétique qui associe les sons, les formes et les couleurs. Ainsi un aveugle peut comprendre ce qu’est une couleur – même s’il ne voit pas la couleur.

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sons, les formes et les couleurs, un aveugle peut comprendre ce qu’est une couleur quand on lui parle de couleur – même s’il ne la voit pas. Primat de la pensée donc !

Dans cette approche qui valorise l’élaboration du concept, Bolzano s’oppose

à la présentation que fait Kant des notions d’espace et de temps qui pour lui sont des formes a priori. Pour Bolzano, l’esprit se construit par son activité. Dans cette construction, il existe des moments fondateurs. Sur ce point Bolzano s’oppose à Kant26. La critique de l’idéalisme porte sur la notion d’intuition. Kant tient que la pensée repose sur des intuitions qui sont a priori. La conception des mathématiques par Kant suppose la position de définitions a priori ; à raison de l’évidence saisie par une intuition. Pour Bolzano au contraire, une intuition est le fruit d’un échange avec la réalité. Avant la « définition », il y a ce qu’il appelle la « désignation ». Le mouvement n’est pas seulement un processus d’abstraction. Bolzano s’écarte de l’empirisme anglo-saxon (Bacon, Hume…) pour qui à partir des formes perçues sensiblement l’esprit utilise des termes généraux. Ce travail est insuffisant, car il faut construire un concept qui puisse donner lieu à une définition rigoureuse. Bolzano définit donc deux étapes de la vie de l’esprit. La première est dans la construction du concept ; la seconde dans l’explicitation de sa richesse de compréhension. La première est dans la fondation d’un ensemble d’axiomes ; la seconde dans la construction d’une œuvre mathématique reposant sur ces axiomes. L’important est de ne pas donner les axiomes comme évidents a priori27.

Par exemple : la notion de nombre est définie a priori par Kant. Bolzano

reconnaît que la notion de nombre qui fonde l’arithmétique n’est pas immédiate dans l’esprit. Elle doit être construite à partir de ce qui est plus fondamental pour l’esprit humain. Les notions premières sont celles de liaison, d’affirmation et de négation. Ainsi pour Bolzano, il y a une mathesis qui est au fondement des mathématiques28 (algèbre, analyse, topologie, mécanique, arithmétique, géométrie…). La mathesis est un effort de cohérence qui a pour but de produire des définitions, à partir d’éléments premiers. À ce propos, Bolzano introduit la notion d’ensemble. Dans cette part d’invention raisonnée, le mode d’enchaînement n’est pas la démonstration mathématique, mais ce que Bolzano appelle une Deductio29 ; le mot se distingue du terme utilisé en mathématiques (Ableitung). Nous avons donc un primat de la logique sur les mathématiques30. C’est reconnaître le primat de l’esprit et de la pensée sur le raisonnement qui n’est qu’un moyen d’aller à la vérité.

26 Jacques LAZ, Bolzano critique de Kant, suivi d’un texte de Bernard Bolzano, Paris, Vrin, 1993. 27 Jacques Laz rappelle que Bolzano a été formé en mathématiques par la lecture d’un traité de mathématiques d’un professeur de Göttingen, Kästner (1719-1800). Il relève que ce maître s’interroge sur les termes habituels en mathématiques pour en donner une définition rigoureuse – ce qui l’amène à reconnaître que ce qui est donné comme évident ne l’est pas. 28 Allgemeine Mathesis. 29 Les logiciens modernes parlent de « métadéduction ». Le mot s’oppose à inductio, présent dans la philosophie scolastique. 30 Note critique : tout le problème de l’informatique est là. L’informatique soumet le raisonnement humain au processus mathématique des machines et cela réduit la pensée à être du calcul. Sur ce point, Bolzano se démarque de

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Ces considérations ouvrent sur une métaphysique. Du point de vue de l’histoire de la pensée, on peut dire que contre l’idéalisme moderne (Descartes, Kant, Hegel…) Bolzano fait un retour à Platon qui tenait pour la réalité des idées. Bolzano n’en reste pas à la seule dimension mathématique et logique. Il se confronte à la philosophie qui suppose que les idées sont la pensée de Dieu31.

2.3. Métaphysique de l’esprit

La démarche de Bolzano ne reste pas au seul plan de la philosophie de la

connaissance. Elle entre dans la question de la vie et tout particulièrement de la spécificité humaine. Pour cela il a écrit un ouvrage dont le titre, Athanasia ou fondement de l’immortalité de l’âme, établit un lien entre les différents savoirs32.

L’importance de ce traité est indiquée par le fait qu’il a connu deux éditions.

La première édition (1827) comporte un exposé argumenté de philosophie en quinze chapitres visant à établir l’immortalité de l’âme. La seconde édition (1838) contient le même exposé auquel Bolzano a ajouté une deuxième partie constituée par une accumulation de références à la tradition philosophique : un dossier très érudit d’histoire de la question qui montre que pour aborder une question métaphysique, on ne peut le faire a priori, mais en prenant acte de l’effort de la pensée humaine. Nous ne sommes pas dans une démonstration (Abteil), mais dans une Deductio. La science véritable ne doit pas se contenter de trouver la preuve du vrai, fût-elle certaine, par des voies subjectives ; elle a pour objet de déterminer selon l’ordre des raisons objectives ou des causes.

La démarche de la première partie se veut strictement philosophique. Seule la quinzième partie se réfère à l’autorité de la révélation chrétienne. La question n’est pas tranchée par un argument d’autorité, mais construite par une déduction rigoureuse à partir de l’expérience humaine. Ce n’est pas l’expérience naïve, mais une expérience réfléchie dans la tradition philosophique articulée au spectacle du monde33. Bolzano expose la richesse des êtres naturels ; il montre qu’ils se classent selon une échelle hiérarchique. Il reprend donc le thème de la grande

Leibniz qui entendait formaliser la pensée de manière à pouvoir tout déduire mathématiquement. 31 Bolzano se situe bien dans la tradition augustinienne. 32 Athanasia oder Gründe für die Unsterblichkeit der Seele (Athanasia ou fondement de l’immortalité de l’âme). Réédition : Bernhard BOLZANO, Athanasia, 1827-1838, Frankfurt am Main, Minerva, 1970. L’importance de ce livre est soulignée par Jacques COURCIER, « Apport de la philosophie anglo-saxonne de l’esprit pour le rapport entre philosophie et théologie : Bernard Bolzano, Hilary Putnam et Donald Davidson », Transversalités, ICP, p. 133-153. 33 Notons que cette démarche s’écarte de la démarche de Descartes déduisant l’existence de Dieu de sa perfection exprimée par le terme « infini ».

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échelle des êtres34. Le thème est traditionnel dans la tradition chrétienne. Les êtres sont hiérarchisés par leur perfection. Matière, vie… Puis, dans le monde de la vie, Bolzano voit se développer une hiérarchie. Les niveaux ne sont pas séparés, car il y a une continuité. Celle-ci n’est pas conceptuelle, car toute substance réelle est source d’action et de rayonnement.

Ainsi l’être humain est-il au sommet d’êtres vivants qui lui ressemblent, puisqu’avec eux il partage la perfection de vivre. Mais cette perfection est marquée par la richesse et la capacité d’une connaissance ouverte sur l’infini : rien ne rassasie le désir de l’être humain et cela atteste qu’il y a en lui une dimension qui l’arrache à la finitude des êtres matériels et des animaux. Cette aptitude mène à reconnaître que le principe de sa vie, son âme, n’est pas matérielle (ce n’est pas un organe parmi d’autres), mais qu’elle participe de l’esprit. Cette ouverture sur l’infini est un signe que l’âme humaine transcende la durée qui marque les vivants qui lui sont inférieurs ; cela conduit à parler d’immortalité. Cette immortalité n’est pas liée à la multiplicité, mais à la simplicité et à l’unité.

Cette reconnaissance est confortée par les exigences morales ; celles-ci

découlent de l’exigence de justice et de bonheur qui mène à considérer une vie après la mort où sera pleinement réalisé le bonheur. Cette conclusion est présentée non comme le fruit d’une preuve, mais comme l’opinion la plus probable eu égard à la tradition de sagesse qui habite l’humanité et qui fait l’objet de la deuxième partie.

Conclusion

La philosophie de Bolzano est une pensée de l’objectivité qui répond aux deux défis de l’empirisme et de l’idéalisme, voire du psychologisme.

3. Les paradoxes de l’infini

La pensée occidentale commence avec ce qu’il est convenu d’appeler le miracle grec. La pensée humaine a alors accompli un saut décisif qui caractérise notre culture. Le saut concerne tant la philosophie que la politique, la société civile que la vie religieuse, tant la science que les relations avec les autres cultures. Ce qui

34 Cf. Arthur LOVEJOY, The Great Chain of Beings, Havard University Presse, 1936. Le thème est important chez Leibniz : « Tous les êtres ne forment qu’une seule chaîne, dans laquelle les différentes classes, comme autant d’anneaux, se tiennent si étroitement les unes les autres qu’il est impossible aux sens et à l’imagination de fixer précisément les points où quelqu’une commence et finit ; toutes les espèces qui bordent ou qui occupent, pour ainsi dire, les régions d’inflexion et de rebroussement, devant être équivoques et douées de caractères pouvant se rapporter aux espèces voisines. »

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le caractérise, c’est le primat accordé à la raison et à son expression dans la parole. Le terme de Logos joue un rôle essentiel.

1.1. Perfection ou imperfection de l’infini ?

La nature est disposée selon un ordre tel que l’esprit humain peut le découvrir

et le comprendre, mais plus encore, l’esprit humain est pris dans cet ordre universel qui est tout à la fois matériel et spirituel. Dire raison, c’est dire lumière et transparence. Dire ordre, c’est dire symétrie et donc ce qui se mesure bien par sa répétition dans la permanence d’une forme. La cité grecque l’atteste. Les rapports de force y sont régis par le droit et la loi dont la force est la vérité. La science grecque l’atteste également : toute chose se mesure avec proportion selon une forme qui est comprise par la géométrie ou par le nombre. Il en va de même du temps inscrit dans le calendrier : il est bâti selon des cycles, liés au mouvement des astres, car le ciel s’accorde avec les travaux agricoles et les entreprises commerciales par voie de terre ou de mer. Ceci vaut surtout pour l’homme ; il est en effet compris comme un microcosme, puisqu’il tient tout en lui, selon un certain ordre ; il s’accorde à tout l’univers pour une synthèse qui rassemble tous les éléments du monde dans une proportion telle que la matière peut devenir le lieu de l’esprit. Dans ce contexte de pensée, ce qui s’oppose à cet idéal sera qualifié d’imparfait. L’imparfait, c’est ce qui n’a pas atteint la perfection requise ou qui l’a perdue. L’imparfait, c’est le non-fini, le « pas-fini » ou encore l’infini – en grec apeiron ! Dans le mot infini, le préfixe « in » est privatif – comme en grec le préfixe « a ». Le terme d’infini dit donc le manque et l’inachèvement – au sens de pas fini35. C’est par rapport à cette vision des choses qu’il convient de comprendre l’audace de la tradition monothéiste qui a revendiqué l’usage du terme infini pour nommer une perfection.

Le disciple de Platon, maître de la pensée antique, Plotin, a joué un rôle

fondateur pour donner un sens noble au terme infini. L’infini caractérise l’au-delà de la finitude, le pur intelligible qui n’a pas de limite36. Ce qui est fini est donc limité, enclos dans des déterminations qui le figent et le bornent tandis que ce qui est infini ne s’enferme pas dans des bornes, dans des limites ou dans des contraintes. Partout où une nature détermine l’être, partout où une essence

35 Sera « pas-fini » un discours qui commence et s’achève dans la confusion. Une explication ou a fortiori une démonstration qui s’arrêtent en cours de route, avant d’avoir été rigoureusement menées au bout de leur course. Sera infini le travail de l’artiste qui ne donne que l’ébauche de l’œuvre, ou qui la reprend sans cesse. Un travail qui n’est pas achevé et qui manque, comme disent les maçons, de finition, sera dit non fini. Mais aussi ce qui manque d’unité dans son style et qui sera dit mal fini. Un morceau de musique qui ne s’achève pas sur un accord parfait est lui aussi non fini, infini. 36 Une phrase tirée des Ennéades le dit de manière explicite : « Au concept de l’infini il appartient donc d’exclure tout manque et l’Intelligible est infini par excellence parce qu’il ne perd rien de lui-même [...]. Il faut admettre aussi qu’il est infini non point parce qu’il serait immense en grandeur et en nombre, mais parce que sa puissance n’a pas de bornes. » (Ennéades VI, 9, VI).

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détermine des propriétés, il y a un manque à la plénitude. La forme est une limitation, elle correspond à une définition. Au contraire, l’infini caractérise la perfection de l’être détaché de toute forme, parce que purement spirituel. Ou plus exactement, il n’est pas une qualification, ni une détermination, mais la caractéristique de l’absolu. La théologie chrétienne s’est accordée avec le refus du multiple dans la conviction de la perfection de l’unité et de l’unicité de Dieu.

1.2. La théologie de l’infini

La théologie chrétienne hérite du patrimoine biblique où la transcendance de

Dieu est fortement accentuée. Les grands docteurs chrétiens du Moyen Âge et les Maîtres spirituels, dans la vive conscience que la notion d’infini dit la perfection de Dieu et sa transcendance, ont réfléchi sur la valeur du langage et ils ont développé une analyse linguistique qui a un fondement logique, la doctrine de l’analogie.

L’analogie, ou mesure par égalité de proportion, permet d’accéder à ce qui ne

peut l’être directement37. Ainsi face à ce qui est insaisissable, celui qui désire le connaître emploie des comparaisons qui seront basées sur l’analogie, c’est-à-dire sur des similitudes. Celui qui n’a pas directement accès au savoir peut ainsi en comprendre quelque chose. La réalité de la similitude des rapports fonde la légitimité du procédé. Les théologiens médiévaux ont relevé que ce mode d’expression, et lui seul, permettait de parler de Dieu. Il contient en effet deux moments, un moment d’affirmation et un moment de négation. Les théologiens ont distingué entre deux registres de langage. Il y a des noms qui se présentent par manière d’affirmation, d’autres par négation. Le langage procède par affirmation, pour dire de Dieu qu’il est unique, bon, fort ou sage. Le langage procède par négation lorsque les termes ont pour premier moment d’exclure une réalisation considérée comme inconvenante pour Dieu. On dit ainsi de Dieu qu’il est immatériel, invisible ou immuable. Le préfixe privatif « in » dit bien que ce qui est premier dans la construction du terme est l’aspect de négation. C’est dans cet ordre de qualification que le terme infini a pris une grande importance. Le terme désigne donc la qualité de Dieu et marque sa différence avec les objets du monde. Dans l’expérience humaine, la finitude est vécue comme une peine. C’est une contrainte

37 Le terme d’analogie vient des mathématiques où il désigne l’égalité entre rapports. Il est donc repris au sein d’une logique de l’attribution de la matière suivante. Il y a analogie quand on peut écrire une égalité de deux rapports et dire, par exemple, que a est à b ce que x est à y. L’analogie peut être exprimée de manière mathématique sous forme d’égalité de deux fractions : a/b = x/y. On détermine ce que les mathématiciens appellent des classes d’équivalence. Cette opération a un aspect utilitaire. L’exemple le plus célèbre est la mesure de la hauteur de la grande pyramide, sur les bords du Nil. Il est impossible de le faire directement. Thalès a mesuré l’ombre portée de la pyramide et, en la comparant à celle de l’instrument de mesure, a pu en déterminer la hauteur. Ainsi l’analogie, égalité des proportions, permet de mesurer ce qui ne peut être atteint tangiblement.

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qui limite l’action ; c’est une souffrance que de devoir assumer la finitude. Aussi la négation de la finitude est-elle une qualité.

Pour cette raison, la notion d’infini peut être considérée comme une qualité

qui dit la grandeur de Dieu et sa différence avec toute réalité créée. L’aspect négatif ne signifie plus une imperfection, mais une suprême perfection. Ceci est devenu un point fondamental de la théologie chrétienne38. Ainsi Descartes voulant établir la certitude de l’affirmation de Dieu pose en principe que dire Dieu, c’est dire l’infini. La philosophie pense qu’il faut distinguer entre l’infini actuel qui est le propre de Dieu et de Dieu seul et l’infini potentiel qui est une marque d’imperfection. Ainsi le débat sur l’infini ne peut esquiver la dimension théologique de la question. La reconnaissance de la valeur de l’infini en mathématique ne pouvait être que l’œuvre d’un esprit qui était à la fois mathématicien, philosophe et théologien.

3.3. L’infini mathématique La question mathématique s’est posée dans l’étude du mouvement. Il faut

définir les concepts de vitesse instantanée, d’accélération, et généraliser la notion de courbe qui débouche sur les notions de fonction et de différentielle (ou fluxion). Le calcul introduit des éléments infinitésimaux (notés depuis Leibniz par « dx »). On considère qu’un « incomparablement plus petit » ajouté à une quantité finie ne la change pas de même qu’une quantité finie ajoutée à une grandeur « incomparablement plus grande » ne change pas cette dernière. On détermine une hiérarchie opératoire sur la croissance et la décroissance des fonctions. Mais ces considérations ne suffisent pas. Le premier traitement de l’infinitésimal a été opéré par Leibniz qui considéra que les termes écrits dans les équations sont des artifices de calcul puisque le résultat doit être exprimé en termes finis. Le passage par l’infinitésimal (les dx du calcul différentiel) sont, selon ses termes, des « fictions »39. 38 On voit un résumé de cette dialectique dans un texte de saint Thomas d’Aquin. « Objection : Dieu est absolument parfait, donc il n’est pas infini. Réponse : Il faut considérer qu’on appelle infini ce qui n’est pas limité. Or sont limitées, chacune à sa manière, la matière par la forme et la forme par la matière. La matière est limitée par la forme en tant que, avant de recevoir la forme, elle est en puissance à une multitude de formes ; mais dès qu’elle en reçoit une, elle est limitée à elle. La forme est limitée par la matière, car considérée en elle-même, elle est commune à beaucoup de choses ; mais par le fait qu’elle est reçue dans une matière, elle devient déterminément la forme de telle chose. La différence est que la matière reçoit sa perfection de la forme, qui la limite, de sorte que l’infini qui provient de la matière est imparfait par nature ; c’est comme de la matière sans forme. Au contraire, la forme ne reçoit pas de la matière sa perfection, mais bien plutôt, son amplitude naturelle est restreinte par elle. Il suit de là que l’infini, qui résulte de ce que la forme n’est pas déterminée par la matière ressortit au parfait. Or ce qui, dans tous les êtres, est le plus formel c’est l’être même [...]. Puisque l’être divin ne peut être reçu dans un sujet autre que lui, Dieu étant son propre être subsistant, il est manifeste que Dieu est à la fois infini et parfait » (Somme théologique, Ia, q. 7, a. 1, trad. fr. Paris, Cerf, 1984, p. 198) 39 La pensée de Leibniz est exprimée dans la Lettre à Des Bosses du 1er septembre 1706 : « Le calcul infinitésimal est utile, quand il s’agit d’appliquer les mathématiques à la physique, cependant ce n’est point là que je prétends rendre compte de la nature des choses ». La divisibilité des opérations mathématiques du calcul ne portent pas sur le réel ; l’infini relève de la pensée : « Les infinis ne sont pas des touts et les infiniment petits ne sont pas des grandeurs ». Il dit également : « On ne conçoit l’infini que par une pure fiction de l’esprit ». (Philosophische Schrifften, II, p. 315). Ce qui est infini c’est donc le processus, mais pas la réalité. Aussi « il n’y a pas de nombre infini, ni de ligne ou autre quantité infinie, si on les prend pour de véritables touts » (Nouveaux Essais sur l’entendement humain, II, chap. XVII).

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On peut donc faire référence à l’infini, mais il n’y a pas d’infini réel, au sens d’une quantité définissable par ce terme, donc pas de nombre et encore moins de réalité physique40. Cette vision des choses change avec Bolzano.

L’œuvre de Bolzano consacrée à cette question est présente dans une étude

intitulée Les Paradoxes de l’infini. Le terme de paradoxe renvoie à la tradition philosophique, puisque la question de l’infini et de la continuité avait été posée avec les paradoxes de Zénon d’Élée (toujours étudiés en philosophie). Le but de l’ouvrage est de montrer qu’il existe un infini actuel et que le concept rigoureux d’infini est le fondement de son emploi dans les autres domaines du savoir, physique et philosophie.

Dans cette étude, conformément à son habitude, Bolzano commence par

donner une définition stricte de l’infini. Il reprend la distinction entre infini potentiel et infini actuel pour reconnaître l’existence d’infini actuel dans le domaine des choses existantes. Pour ce faire, Bolzano considère les concepts mathématiques familiers (celui de nombre entier ou de fraction) ; il constate qu’il existe des ensembles infinis en acte, que rien logiquement n’empêche de concevoir comme des touts achevés : ainsi l’ensemble des entiers, une droite infinie et même un segment comportant une infinité d’éléments conceptuellement déterminés et saisissables. Il n’est pas nécessaire d’énumérer tous ces éléments pour concevoir la totalité. Il suffit de caractériser par une propriété (ou plusieurs propriétés). Une relation de récurrence simple définit la suite des entiers ; la donnée de deux points détermine un segment de droite. Ainsi on peut dire que l’infini actuel est réalisé.

Il lui faut construire à partir de cela le concept d’infini41. L’infini n’est pas ce

qui est compris dans l’étude des fonctions quand elles ne cessent de croître au-delà de toute borne fixée d’avance (on dit qu’elle « tend vers l’infini »). Pour Bolzano ce n’est pas l’infini comme tel – ce n’est qu’une variable42. Bolzano examine les divers sens du mot infini chez les mathématiciens pour dire que l’infini doit être une propriété intrinsèque43. Pour préciser ce que cela signifie, Bolzano introduit la distinction entre penser une totalité comme telle ou penser chacun des éléments qui

40 L’opinion commune des mathématiciens est exprimée par Karl Friedrich Cauchy (1777-1855) : « Je conteste qu’on utilise un objet infini comme un tout complet ; en mathématiques, cette opération est interdite ; l’infini n’est qu’une façon de parler », cité par Jean-Pierre LUMINET et Marc LACHIEZE-REY, De l’infini, Paris, Dunod, 2005, p. 109. 41 « Il reste à savoir si une simple définition de ce qu’est une pluralité infinie nous met en état de déterminer ce qu’est un infini en général » (op. cit., § 10). 42 « Une grandeur véritablement infinie, par exemple la longueur d’une droite illimitée dans les deux sens […] n’a justement pas besoin d’être variable » (ibid. § 11, p. 66). Une variable n’est que la représentation d’une grandeur, ce n’est pas une grandeur (§ 12, p. 70). 43 « Donner aux mots fini ou infini un sens tel qu’ils désignent une propriété intrinsèque déterminée des objets ainsi nommés finis ou infinis, mais en aucun cas le simple rapport de ces objets à notre pouvoir de connaître » (§ 12, p. 71).

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la constituent. La notion d’infini se rapporte à la totalité comme telle ; c’est ce qui fonde son objectivité44 (Gegenstandigkeit).

Bolzano aborde la notion de grandeur. Il distingue entre le nombre et la

grandeur. Les grandeurs sont les nombres entiers, les fractions rationnelles, les irrationnelles – ce sont des grandeurs finies même si leur expression symbolique comporte une infinité de chiffres ou de parties (comme pour les séries convergentes). Les grandeurs infinies sont celles auxquelles nul ne peut assigner ni un nombre entier, ni une fraction, ni une grandeur irrationnelle. Ceci écarte l’idée que l’on considère les infiniment grands ou les infiniment petits comme des variables croissant ou décroissant à l’infini et considérées de ce fait comme des quantités données de façon provisoire, voire fictive.

Pour montrer l’existence de cet infini actuel, Bolzano affronte le paradoxe dit

de la réflexibilité. Le paradoxe est le suivant. Si on considère un ensemble, si l’ensemble est fini, toute partie de l’ensemble est moindre que la totalité de l’ensemble. Ainsi dans l’ensemble des entiers de 1 à 100, les chiffres pairs sont moins nombreux que le nombre de ceux de l’ensemble. Mais ce n’est pas le cas quand il y a de l’infini. Par exemple, comparons la grandeur d’un segment de droite compris entre 0 et 1, avec celui qui est compris entre 0 et 2. Le premier segment est contenu dans le premier ; mais on passe de l’un à l’autre en multipliant par 2 tous les chiffres du premier et inversement par division par 2. Il y a donc à la fois égalité et non-égalité. Tel est le paradoxe ! Si l’on considère un ensemble de grandeur infinie, une partie de l’ensemble peut être aussi grande que l’ensemble ; ce qui contredit le principe selon lequel le tout est plus grand que la partie. On ne comprend pas comment une inclusion (celle de la partie dans le tout) peut être de grandeur égale à ce qui la contient45. Le paradoxe de l’infini est la réflexibilité ; c’est-à-dire que dans un ensemble infini on peut mettre en correspondance bi-univoque (un terme relié à un seul) une partie avec le tout46. Bolzano considère que cette propriété, qui servait jusqu’alors à récuser la notion d’infini actuel, doit être considérée comme la propriété qui définit l’infini47. Dans cette analyse, il y a trois concepts philosophiques à considérer : la multiplicité, la grandeur et l’infini. Ces trois concepts sont soigneusement distingués par Bolzano – ce qui lui permet de s’écarter de ses prédécesseurs. D’abord, les mathématiciens qui considèrent que l’infini est un horizon inatteignable, mais une simple représentation pour les calculs ; ensuite de la

44 H. Sincaceur traduit « objectualité ». 45 Galilée avait écrit à ce propos : « L’égal, le plus et le moins sont des attributs qui ne conviennent pas aux infinis, mais seulement aux quantités limitées », cité par François MONNOYEUR, Infini des mathématiciens, infini des philosophes, Paris, Belin, 1992, p. 179. 46 Bolzano prend comme exemple la comparaison de la grandeur d’un segment de droite compris entre 0 et 1, avec les nombres compris entre 0 et 2. Le premier segment est contenu dans le premier ; mais on passe de l’un à l’autre en multipliant par 2 tous les chiffres du premier. Il y a donc égalité et non-égalité. Tel est le paradoxe. 47 On dit aujourd’hui qu’un ensemble infini est équipotent à l’un de ses sous-ensembles propres. Cette formulation suppose une conceptualité qui viendra après Bolzano, mais introduite par la lecture des Paradoxes sur l’infini par Dedekind et Cantor.

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position de Leibniz48 qui tenait pour un infini actuel en mathématiques, mais considérant que cet infini n’était pas conceptualisable. Bolzano montre que l’on peut conceptualiser l’infini par une définition rigoureuse : celle qui est obtenue par ce qu’on appelle la réflexivité. Cette définition est ouverte sur une considération métaphysique. L’argumentation de Bolzano repose sur la distinction entre la grandeur et le nombre. Il en déduit que l’infini n’est pas prisonnier de son étymologie négative : ce n’est pas l’indéterminable.

Bolzano distingue entre l’infini de grandeur et l’infini de l’opération. Ainsi

quand on définit les célèbres chiffres que sont la racine carrée de deux, le nombre pi pour calculer la circonférence d’un cercle…, on a bien l’écriture d’une série infinie de chiffres, mais ce n’est pas une grandeur infinie. Plus généralement, la somme d’une série convergente est finie, même si son écriture suppose une infinité de chiffres. La discussion de cette différence enracine la conceptualisation dans la notion d’ensemble qui apparaît alors : une totalité est pensée sans qu’il soit utile d’énumérer tous ses éléments constitutifs.

Notons enfin que la notion d’infini est liée à celle de continuité quand elle est

exprimée par analyse mathématique. Le concept d’infini est donc introduit de manière claire. Mais il n’est pas

encore pleinement intégré dans le formalisme mathématique. Ce sera le fruit du travail de Georges Cantor qui respectera le langage de Bolzano en parlant de « transfini » ; Cantor proposera l’écriture de nombres qui différencient diverses formes d’infinis mathématiques.

Il est fort éclairant de voir que ce travail mathématique ne soit pas séparé

d’un souci plus large de fondement du savoir. En effet, Bolzano entre dans des questions philosophiques, épistémologiques et métaphysiques. Bolzano présente une cosmologie. Il marque une différence très nette entre le domaine de la physique et celui des mathématiques.

Le premier point porte sur les notions d’espace et de temps. Contre Kant,

Bolzano tient que l’espace et le temps ne sont pas a priori, mais des concepts élaborés par l’entendement. « Dans ma conception, le temps n’est rien de réel, au sens propre du terme, où nous attribuons la réalité seulement aux substances et à leurs forces. Je ne prends le temps ni pour Dieu lui-même, ni pour une substance créée, ni non plus pour un attribut de Dieu ou d’une substance créée ou d’une collection de celles-ci. C’est pourquoi le temps n’est pas non plus, pour moi, quelque chose de variable, mais bien plutôt ce en quoi toute variation a lieu » (§ 39, p. 136). Il en déduit une distinction claire : « Dieu et les êtres soumis au changement se trouvent de manière fort différente dans le temps. Les créatures, en effet, sont dans le temps 48 « Contenir signifie toujours être partie et je pense que la proposition, la partie est plus petite que le tout est aussi vraie dans l’infini que dans le fini », Infini des mathématiciens, op. cit., p. 181.

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dans la mesure où elles changent dans le temps ; tandis que Dieu demeure en tout temps invariablement identique à soi. C’est pourquoi Dieu est appelé éternel, tandis que ses créatures sont dites temporelles. Ce peut être une tâche difficile pour notre imagination de former une image sensible de ce que même le moment le plus court, la durée d’un clin d’œil, renferme déjà un ensemble infini d’intervalles de temps. Mais il suffit que l’entendement saisisse cela et le conçoive comme nécessaire. » (§ 39, p. 137).

À propos de l’espace, Bolzano retrouve les paradoxes de l’infini : « L’espace

a souvent été considéré comme une chose existante, confondu tantôt avec les substances qui s’y trouvent, tantôt avec Dieu lui-même, ou du moins avec un des ses attributs. Le grand Newton lui-même eut l’idée de définir l’espace comme sensorium de la divinité. […] Kant, enfin, eut la malheureuse idée, reprise encore aujourd’hui par de nombreux penseurs, de considérer l’espace ou le temps non comme quelque chose d’objectif, mais comme une forme purement subjective de notre intuition. » Bolzano insiste sur sa conclusion : « Pour moi, pas plus l’espace que le temps n’est une propriété des substances, mais seulement une détermination de celle-ci. J’appelle lieux les déterminations des substances créées qui indiquent la raison pour laquelle celles-ci, ayant en un temps déterminé telles qualités, apportent les unes aux autres précisément tels changements : et j’appelle espace la collection de tous ces lieux » (§ 40, p. 138).

À partir des définitions de l’espace et du temps, Bolzano propose une

géométrie confrontée au problème de l’infini. Il montre la validité du calcul intégral ou différentiel. Il relève les paradoxes de la mesure : « Certaines étendues spatiales couvrant un espace infini (i.e. ayant des points dont la distance est supérieure à toute distance donnée) n’ont toutefois qu’une grandeur finie : alors que d’autres étendues spatiales, enfermées dans un espace tout à fait fini (i.e. dont l’ensemble des points est tel que la distance de deux points quelconques ne dépasse pas une distance donnée), ont cependant une grandeur infinie ; ou bien que certaines étendues spatiales conservent une grandeur finie tout en décrivant une infinité de circonvolutions autour d’un point. » (§ 48, p. 152). Les paradoxes de l’espace et du temps sont résolus par une conceptualisation des rapports entre fini et infini en géométrie49. La question est celle du continu.

Après ces considérations cosmologiques, Bolzano entre dans le monde de la

physique. Il commence par établir que les concepts de la physique ne sont pas empiriques (§ 50, p. 154). Il prend l’exemple de la couleur rouge (§ 50 ; p. 155). Il

49 La considération de Bolzano se porte alors sur l’ensemble du monde avec l’importance des notions d’espace et de temps. Il s’agit de l’espace et du temps réel – et pas du concept. Il commence par situer l’infinité de l’espace et du temps pour montrer qu’il n’y a pas de contradiction à poser un univers : « Là où nous avons un ensemble infini, tout élément est surpassé par un plus grand (ou surpasse un plus petit) sans qu’aucun pourtant ne dépasse une grandeur finie donnée (ou ne soit inférieure à elle) » § 62. Cette cosmologie permet de penser ensemble un tout qui peut être dit à la fois fini et infini – ce n’est pas contradictoire, vu la notion d’infini. Dans la cosmologie de Bolzano, tout se tient et tout communique par un jeu de forces.

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faut noter que la physique du traité est caduque ; par exemple, Bolzano fait référence au calorique et à l’éther50. En continuité avec la réflexion sur la physique, la réflexion porte ensuite le statut de la réalité. Là, il ne s’agit pas de déduire abstraitement, mais de faire droit à la notion de cause qui se rapporte à une action inscrite dans le temps. L’action est le signe de la réalité51. Le terme de réel a en allemand la même racine que le verbe agir : « Ce qui est réel agit nécessairement : Was immer wirklich ist, dass muss ja auch wirken » (§ 51). Plus encore, il y a une interaction entre eux tous52. L’action n’est pas déterminée à l’avance : aussi Bolzano écarte l’idée de Leibniz sur l’harmonie préétablie (§ 52). Cette interaction permet à Bolzano de s’affronter à la difficulté suivante : la liaison entre les substances spirituelles et matérielles (§ 56) et de parler à ce propos d’interaction, pensée en terme de force. « Ma conception permet encore d’éviter le grand paradoxe de la liaison entre substances spirituelles et substances matérielles. On n’a vu que mystère, et pour les humains, insondable, dans la manière dont l’esprit pourrait agir sur la matière et réciproquement » (§ 56, p. 171). L’interaction suppose un contact qui est une mise en commun de la partie limite ou frontière. L’univers n’est pas vide. Il y a une continuité. Bolzano l’inscrit dans une vision hiérarchique de l’univers (§ 65).

Dans cette vision d’interaction, Bolzano tient compte de l’action de Dieu.

Cette action est la force créatrice. L’expression est faite dès le début de son exposé (§ 25). « Quand on est parvenu par une suite de conclusions tirées de vérités purement conceptuelles ou de toute autre manière, à la conviction essentielle qu’il est un Dieu, un Être qui n’a en aucun autre sa raison d’être, qui est pour cela précisément un tout parfait, i.e. réunit en lui toutes les perfections et toutes les forces qui peuvent simultanément coexister, et chacune au plus haut degré qu’elle puisse avoir dans sa coexistence avec les autres, on présuppose alors l’existence d’un être infini à plus d’un égard : dans son savoir, son vouloir, son action externe (sa puissance), un être qui sait infiniment (toutes les vérités), qui veut infiniment (la somme de tout le bien en soi possible), qui réalise toutes ses volontés grâce à sa force externe. Ce dernier attribut a pour conséquence l’existence en dehors de Lui d’êtres, à savoir les êtres créés, appelés par opposition à Lui êtres finis. On peut démontrer, cependant, qu’il y a de l’infini en eux à maint égard. » (§ 25, p. 94-95). 50 Les travaux sur la thermodynamique ont écarté la notion de calorique, comme fluide responsable de la chaleur et la théorie de la relativité a mis fin à l’emploi de la notion d’éther. L’éther est dans le traité ce qui permet l’unité de l’univers (§ 63). L’espace est continu grâce à l’éther (§ 68). 51 Dans Les Paradoxes sur l’infini, Bolzano écrit : « La première de ces opinions d’école, autrefois soutenues par les physiciens et dont on doit se débarrasser aujourd’hui, est l’hypothèse d’une matière morte ou complètement inerte, dont les parties simples, si tant est qu’elle en ait, identiques les unes aux autres et éternellement invariables, ne possèdent pas de forces propres, sauf celle que l’on appelle la force d’inertie. Ce qui est réel agit nécessairement et dispose donc de forces utiles à son action », op. cit., p. 167. 52 « Un deuxième préjugé scolaire consiste à croire scientifiquement interdite l’hypothèse d’une action immédiate d’une substance sur une autre », § 51, p. 168. « Toutes les substances du monde sont en interaction réciproque continuelle, le changement apporté à l’une d’entre elles par telle autre étant d’autant plus petit qu’est grande la distance entre les deux ; le résultat total de l’action de toutes les substances sur l’une d’entre elles – abstraction faite du cas où il y a une action divine immédiate – est un changement conforme au principe bien connu de continuité » (§ 60, p. 174).

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Ainsi la solution des paradoxes de l’infini permet l’affirmation de l’existence

de Dieu dont la nature est qualifiée par le terme « infini » et en même temps de jeter un regard sur le monde créé et y reconnaître que l’on peut parler à son propos de finitude ontologique (par différence avec Dieu), mais aussi d’infini (grâce à des outils donnés par les mathématiques et appliqués aux sciences de la nature).

Il me semble que cette philosophie a le mérite de clarifier la notion

mathématique d’infini, mais aussi de sortir des apories de la métaphysique, en premier lieu de celle de Spinoza qui identifie la nature et Dieu dans la très célèbre expression Deus sive Natura. La notion d’infini est aussi liée à l’ensemble des connaissances en matière de physique.

Cette approche de l’infini a le mérite d’instaurer des relations pacifiées entre

les sciences et la théologie. La question de l’infini est en effet un lieu qui n’a cessé d’être passionnel. En témoigne la démarche de Cantor qui fait un rapprochement mystique entre Dieu, l’infini, et les infinis mathématiques qu’il introduit dans le calcul.53

Conclusion

Bolzano représente une figure fondatrice de la modernité. Il a unifié sa réflexion en mettant en lien des domaines qui nous semblent hétérogènes, voire exclusifs les uns des autres. Il montre au contraire que la créativité suppose le souci de l’unité des savoirs. La crise culturelle actuelle vient manifestement de la spécialisation et de l’ignorance entre les départements du savoir ; la création intellectuelle est toujours le fruit d’une interaction entre spécialités. Les séparations entre disciplines détruisent la vie intellectuelle. C’est parce qu’il était philosophe et théologien qu’il a pu surmonter les apories liées à l’infini et plus largement les visions antagonistes de la réalité.

Bolzano donne aussi l’exemple d’une science qui ne peut se fonder que sur un acte de la pensée. La science donne des moyens d’action ; mais elle ne se tient comme science que par un acte de penser. Les concepts scientifiques ne sont pas réduits à leur mode opératoire. Plus encore, la grandeur de la science est d’être une quête de la vérité en soi.

Ainsi Bolzano montre par sa vie et par son œuvre que le chemin de la vérité est le moteur de toute pensée. Il ne se contente pas de la vérité abstraite ; il fait de

53 Pour Cantor, l’infini potentiel ne peut être pensé que sur fond d’infini actuel, de même l’infini mathématique ne peut être pensé que sur le fondement de l’infini divin ; voir Jean-Pierre BELNA, Cantor, Paris, Les Belles Lettres, 2000.

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l’exigence de vérité une exigence morale.

Il est donc important que cet homme ait été fidèle à son engagement dans le ministère presbytéral. Il est important qu’il ait résisté à la pression des autorités conservatrices et oppressives. Il s’inscrit là encore dans la perspective d’un catholicisme rénové tant au plan social qu’au plan des relations entre l’Église et l’État. Bolzano n’a pas laissé d’écrits mystiques ou purement spirituels, mais son souci de dire la grandeur de l’être humain par son âme immortelle l’inscrit dans la grande tradition théologique et philosophique de l’Église dont il fut serviteur. Son œuvre témoigne d’une grande sérénité ; quand on sait qu’il fut tuberculeux, on admire que d’un corps si fragile ait pu surgir une œuvre de cette ampleur.

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Résumé de Athanasia

Introduction Importance de la vie après la mort pour ceux qui réfléchissent.

Très peu de gens instruits sont conscients de leur immortalité.

Des raisons de ces hésitations résulte la raison d’exposer d’une nouvelle manière une argumentation de cette conviction.

Tout ce que l’Auteur va proposer, il ne le considère pas comme preuve de sa conclusion finale. La proposition de plusieurs sages du monde ne peut pas établir qu’il ne convient pas à la raison humaine de disserter sur un sujet comme l’âme qui est au-delà de la sensibilité, parce qu’elle se contredit elle-même. De toutes façons les raisons sont mal fondées et les affirmations de ces sages ébranlées.

Première partie : simplicité et indivisibilité de l’âme 1. Simplicité 1° Sens de cette proposition

Explication des notions de substance et d’accident.

Justification de la première notion : la substance existe.

Distinction entre substances auxquelles appartiennent certaines qualités de celles à qui appartient leur existence comme cause.

Qualité et cause.

Qu’est-ce qu’on nomme esprit ou âme des hommes.

2° Argumentation

Tout ce qui fait notre corps ne fait pas partie de notre âme, ni les organes des sens, ni notre cerveau, ni aucune partie visible de notre corps.

Est-ce que le siège des sensations est notre corps ?

Encore une preuve de ce qu’aucun organe de nos sens ni aucune partie de notre corps appartiennent à notre moi (Ich).

Quatre significations par lesquelles on attribue à une totalité certaines qualités.

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Dans aucune d’entre elles, l’acte de penser, de sentir, se rapporte à une totalité de cette façon qu’on puisse conclure de ce conglomérat à notre âme.

La lutte, que nous sentons parfois en nous, prouve-t-elle que nous avons plusieurs âmes ? Ou les pensées et les choses sont-elles à considérer comme des choses qui sont la somme des autres ?

Nous avons, par ailleurs des représentations et des sentiments simples. Ou bien est-ce que ce sont des relations (Verhältnis) entre les parties de notre moi.

3° Trois genres de relations Penser, etc., ne sont pas des relations spatiales ni des variations/dérivées ; ce

ne sont pas non plus des relations qui ne puissent être aperçues par comparaison. Ce ne sont pas non plus des influences qu’une partie de notre moi exercerait sur une autre.

2. Indivisibilité Les raisons qu’à tel ou tel moment des substances différentes remplacent

notre âme ne sont que mirage. On peut les réfuter totalement. Même dans la folie ou le sommeil d’hypnose, il n’y pas d’autre âme active en nous.

Les objections des matérialistes :

1° L’âme est censée être dans le corps : est-ce qu’elle ne doit pas occuper un lieu, quelque chose de spatial, donc de composé ?

2° L’âme est avec le corps dans une situation d’échange : est-ce qu’elle n’est pas quelque chose de corporel ?

3° L’âme a des représentations de composé : est-ce qu’elle n’est pas elle-même composée ?

4° Est-ce que la simplicité de notre âme n’est pas infirmée par notre expérience ?

Différence entre les perceptions non immédiates et des expériences au sens précis. L’existence de choses simples nous les avons plus immédiatement que celles des composés. Même ce que nous touchons avec les mains nous ne le connaissons que par des conclusions purement vraisemblables.

5° Est-ce que l’âme et le corps ne se développent pas ensemble : est-ce qu’il ne faut pas conclure de cela qu’à partir du fait que l’homme existe parce qu’engendré il résulte que l’âme et le corps appartiennent au même registre ?

6° Enfin, si l’âme est simple, comment peut-on expliquer son action sur le corps. Il n’était pas juste d’appeler la relation de l’âme au corps un mystère, pour chaque matière (stoff), il y a une action à distance (actio in distans).

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Deuxième partie : la perdurée éternelle de notre âme

La raison humaine, même la plus commune, suppose que les substances ne deviennent ni ne périssent. Nous comprenons beaucoup de choses sans que nous puissions élever dans la clarté de la conscience le fondement. Mais même si les sages se querellent encore au sujet de la preuve exacte d’une proposition, cela ne devrait pas nous faire douter.

Un préjugé qui se met au travers du chemin des substances éternelles.

En quel sens la cause peut-elle être avant son action ?

En quel sens deviennent-elles simultanées ?

Œuvrer (Schaffen) n’est pas produire dans le temps.

L’opinion de l’Auteur du contenu de la révélation divine. Pourquoi il ne cherche pas la doctrine du non-commencement du monde dans l’Écriture, mais qu’il croit cependant à un commencement et à une fin de l’humanité.

Troisième partie : Un progrès indéfini dans le perfectionnement de chaque homme bon

Chaque substance simple possède certaines forces, leur mesure est variable quand elles sont finies.

La loi de ces changements de substances simples.

Possibilité pour un progrès continu pour les substances qui ont une faculté de représentation. Chaque représentation laisse un effet qui se propage dans l’éternité.

Preuve de tels effets (Nachwirkung) dans l’expérience : leur prolongement (Fortdauer) même pour la cas où ils diminuent progressivement. Est-ce qu’on pourrait les comparer avec des vitesses ? Déjà dans le monde des corps, il arrive une immobilité complète après leur mouvement, combien plus rarement dans le monde des esprits. Chaque représentation fait croître la faculté de représentation. Ainsi enseigne l’expérience. Déjà de la notion de force dans des êtres simples, il s’en suit qu’elle doive grandir par l’exercice. Toutes les exceptions apparentes n’ont lieu que dans des choses composées et sont une preuve pour la proposition. D’où vient la fatigue après un travail intellectuel prolongé ?

D’où vient que la force de la terre diminue ? Exemple d’une force qui dure sans amoindrissement sur des millénaires. Mais l’Auteur n’affirme pas que le progrès dans la perfection soit complet et ininterrompu (allseitig).

Preuves :

De l’expérience pour la transition insensible pour une espèce à l’autre qui ne

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fait pas supposer une frontière de la vie et de la perception. Note : ressemblance des plantes et des animaux.

Preuve sans fioriture : Différence entre substances matérielles et spirituelles telle que l’Auteur les conçoit. Notre âme a la possibilité d’agir sur un ensemble infini de substances en même temps et immédiatement. L’Auteur suppose entre toutes les substances créées une différence de degré. Dans quelle mesure, il accorde aussi l’importance des masses inertes, lesquelles sont surtout les liquides. Comment peut-on représenter la naissance des organismes des paliers les plus inférieurs ?

D’où vient la formation de presque tous les liquides qui restent longtemps immobiles ? Dans chaque corps (humain ainsi qu’animal) existent plusieurs âmes. Pas seulement au moment de la naissance, l’âme humaine s’unit avec le corps, ni au moment de la conception, la manière de multiplier des polypes ou autres êtres organiques prouve l’existence de plusieurs âmes dans un organisme. Dans chaque membre du corps, chaque muscle, chaque fibre a une âme spécifique.

Combien est indécise la différence entre un ensemble indépendant et une partie de cette totalité. Question : d’où la ressemblance si mince entre les membres de notre corps et d’autres créatures indépendantes ?

L’influence considérable de l’âme pour la formation du corps.

Des considérations générales sur le nombre de vies dans le cosmos.

Il n’est pas nécessaire que chaque créature arrive dans les mêmes contrées de la création pour être formées comme une autre, ni qu’elle dure le même temps dans l’enfance et que si peu de semence arrive à leur plein épanouissement.

Quatrième partie : L’union durable de l’âme avec un corps

Ce que l’Auteur entend par cette union. Notion d’organe et de corps. C’est seulement dans les parties les plus inférieures de l’organisme que l’on peut craindre un retour à l’état inorganique.

L’expérience prouve que des êtres organiques, après leur soi-disant décomposition, non seulement restent dans un état organique, mais progressivement s’élèvent à des degrés plus grands d’organisation. Par conséquent, l’homme aussi sera perfectionné (vervolkommen werden) par la mort. Mais qui a jamais vu le corps amélioré ou sublimé avec lequel l’âme sort du cadavre décomposé ? Il ne peut pas s’agir d’une destruction/décomposition d’un corps qui serait une dissection en parties simples. C’est pourquoi il est impossible que notre âme soit arrachée du corps sans qu’elle prenne quelque partie avec elle. Dans la mort, il ne nous arrive rien d’autre que ce qui d’une certaine manière arrive quotidiennement. De toutes façons, aucune formation de la nature est si unique en son genre qu’on ne pourrait la comparer avec d’autres formations. Ainsi, sans comprendre la simplicité de l’âme, peut-on être convaincu de sa durée sans fin et de son

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perfectionnement.

Les objections viendraient en partie du fait que nous nous trouvons déjà au degré le plus élevé de la perfection des créatures et d’autre part, elles viendraient de fausses représentations. Tout le réel n’est pas limité et fini rétrospectivement (Rücksicht).

Pourquoi ne pouvons-nous pas nous former une parfaite représentation de l’étape suivante ?

Il y a trois possibilités sur le lieu où nous arrivons sitôt après la mort.

Est-ce une loi naturelle le fait qu’aucun corps de ce monde ne puisse céder une partie de sa masse à un autre ?

La vie future sera une vie active : sa félicité plus élevée est une pure conséquence des forces plus élevées.

Les cinq forces et énergies de l’âme.

Cinquième partie : de la croissance de notre capacité à connaître (Erkentnis Vermögen)

Sixième partie : la formation de notre capacité à sentir (Empfindung) Septième partie : Le perfectionnement de notre capacité de désir

(Begehren) Huitième partie : le perfectionnement de notre volonté Neuvième partie : la croissance qui s’opère dans nos forces dirigées

vers l’extérieur Dixième partie : le perfectionnement de notre corps futur Onzième partie : les environnements de la vie future Douzième partie : la réunification de ceux qui nous sont chers Treizième partie : du sommeil de l’âme Quatorzième partie : fondement venant de l’existence de Dieu

L’Auteur ne s’inquiète pas que certains de ses lecteurs ne seront pas sûrs de l’existence de Dieu parce que cette vérité s’impose d’elle-même à la raison. Les preuves habituelles de l’existence de l’âme à partir des attributs de Dieu ne sont pas satisfaisantes, mais l’Auteur ne refuse pas absolument cette façon de tirer des

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conclusions.

L’imagination la plus extrême ne peut indiquer un état du cosmos qui serait plus digne de Dieu que celui qui a été exposé ci-dessus.

Dieu doit conserver tout être qui use à bon escient de ses forces à condition que cet être ne soit pas impossible en soi.

Dieu doit par ailleurs nous conserver avec notre mémoire parce qu’il serait très grave de perdre cette mémoire. Parce que seulement avec elle nous l’utiliserons dans l’éternité ce que nous avons appris ici-bas. Et ce qui nous arrive dans l’éternité peut être pour nous beaucoup plus riche d’enseignement.

Ainsi Dieu peut faire advenir ici comme là bas des récompenses ou des punitions dans la mesure où c’est profitable pour la totalité. Seulement ainsi, tout le bien ou tout le mal imaginable peut être rétribué. Sur la terre n’a même pas lieu ce degré de sanction qui devrait avoir lieu. Et nous devons dans cet état de choses reconnaître un fondement pour notre immortalité. Si nous rencontrions au ciel personne que nous avons connu ici-bas, ce serait absurde (insensé). Si on ne les rencontrait pas, cela ne favoriserait pas la diversification de notre perfectionnement. Par conséquent, il convient que Dieu nous fasse retrouver ceux qui nous sont chers (lieben). Cela ne nous rend pas seulement plus heureux, mais meilleurs et sert au bien général (de tous). Ces opinions développées sur l’immortalité de l’âme doivent être pour nous réjouissantes parce qu’intelligibles (perceptibles) par la simple raison (blosse Vernunft).

La foi générale de tous les hommes à l’immortalité est déjà une preuve parce qu’elle n’est pas née de la persuasion.

Quinzième partie : fondement venant de la révélation

Parce qu’il est si capital que les hommes ne puissent pas mettre en doute leur immortalité, Dieu leur a donné des signes (la connaissance) que nous sommes immortels – plus d’une fois.

Il a réservé aux plus parfaits de notre humanité de rendre témoignage de cette vérité avec des paroles, mais de témoigner aussi par des actes.

On dit que l’enseignement chrétien ne tient pas debout parce qu’on ne tient pas compte de la nature figurative (bildlich) des textes.

Pourquoi les textes montrent-ils que la foi en l’immortalité a des avantages éthiques : énumération de ces avantages.

Et encore : objections et réponses : La condamnation du suicide ; Tuer est-ce faire du bien (envoyer au ciel) ? La vraie raison de ceux qui s’opposent à la foi en l’immortalité.

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Nous sommes pleinement en droit de considérer l’enseignement de l’immortalité comme une révélation spécifique.

Plan de la conférence

Sa vie et son œuvre............................................................................................................................. 1

1. Une vie engagée .............................................................................................................................. 2

1.1. Une morale politique .............................................................................................................. 3

1.2. Le statut des religions ............................................................................................................. 4

1.3. Esthétique ............................................................................................................................... 6

2. La Philosophie de Bolzano ............................................................................................................... 6

2.1. La logique ................................................................................................................................ 7

2.2. Philosophie .............................................................................................................................. 8

2.3. Métaphysique de l’esprit ...................................................................................................... 11

Conclusion .................................................................................................................................... 12

3. Les paradoxes de l’infini................................................................................................................. 12

1.1. Perfection ou imperfection de l’infini ? ................................................................................ 13

1.2. La théologie de l’infini ........................................................................................................... 14

3.3. L’infini mathématique ................................................................................................................ 15

Conclusion.......................................................................................................................................... 21

Résumé de Athanasia ....................................................................................................................... 23

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