SCI - 18 Septembre 2013

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Le jus de raisin a de l’avenir Saviez-vous que ce nectar sans alcool est plus sucré qu’un soda ? Pour y remé- dier et régler aussi les problèmes de production, une filière est créée. PAGE 3 Reprogrammation cellulaire : un pas de géant ! Des chercheurs espa- gnols ont obtenu, in vivo, des cellules souches iPS chez la souris. Un résultat salué par les scientifiques. PAGE2 En croisade pour les patients Le diabétologue André Grimaldi fait de l’accès aux soins pour tous son combat et rappelle aux médecins qu’ils ont des devoirs vis-à-vis des malades. PAGE7 carte blanche Angela Sirigu Neuroscientifique, directrice de recherche Centre de neuroscience cognitive (CNRS-université Lyon-I) (PHOTO : MARC CHAUMEIL) C haque année, les guides gourmands dévoilent leur classement des meilleures tables de la pla- nète. Des toques ou des étoiles sont décernées en fonction de l’excellence des plats créés par le chef. Mais comment les évaluateurs jugent-ils l’excellence ? Sur le goût de la nourriture, en se fiant aux sensations chimiques que les aliments suscitent dans leur bou- che ? Certainement, mais pas totalement ! Les récepteurs de la langue pourront nous faire apprécier le sucré, l’acide, l’amer, le salé des aliments et quelques sensations moins connues comme l’umami et le métallique, et les molécules plus volatiles iront sti- muler notre odorat en passant par la porte arrière de la fosse nasale. Si ce processus permet de trier les molécu- les gastronomiquement pertinentes, l’expérience ali- mentaire dépend aussi d’autres facteurs comme la vision, l’audition, la texture, la température ou le contexte social. Des représentations multimodales complexes sont assemblées par notre cerveau et modu- lent en profondeur l’expérience des saveurs. Le psychologue Charles Spence, de l’université d’Ox- ford, s’amuse à étudier ces effets, par exemple en demandant à des volontaires de déguster des chips en écoutant le son modifié de leur mastication dans un casque. Il a constaté qu’amplifier le son rend les chips fraîches et croustillantes, alors que l’abaisser les rend tristement molles. De même, un bonbon au caramel est plus sucré s’il est accompagné d’une musique à la tonalité aiguë. Com- me le souligne Barry Smith, neurophilosophe et direc- teur du CenSes (Centre d’étude des sens), à Londres, si l’information captée par notre langue est pauvre, notre perception des saveurs est enrichie par d’autres signaux sensoriels, mais aussi par des souvenirs : en Angleterre, les chips en paquet bleu ont un goût salé, celles en paquet vert sont à l’oignon et, lorsqu’on inverse les couleurs, c’est la confusion des saveurs ! L’effet de couleur est si fort qu’il n’épargne pas les experts. En 2001, Gil Morot et ses collègues de l’univer- sité de Montpellier ont montré que des apprentis œno- logues utilisent un vocabulaire associé au vin rouge (fruits noirs, violette, cuir…) lors de la dégustation d’un vin blanc teinté en rouge. Donc, au-delà des sensations gustatives immédiates, notre cerveau active une multi- tude d’associations sensorielles et mnésiques et celles- ci viennent biaiser nos préférences et nos émotions ali- mentaires. Le chercheur Read Montague, de Virginia Tech (Etats- Unis), a démontré ce phénomène directement en mesu- rant l’activité cérébrale des consommateurs de Coca- Cola et de Pepsi, à l’aveugle ou en connaissance de la marque. Comme l’explique Montague, bien que les deux boissons soient chimiquement quasi identiques, la plupart des gens ont une préférence pour l’une ou l’autre marque. Et, comme on pouvait s’y attendre, l’af- fichage de la marque avant de boire une gorgée de la boisson préférée modifie profondément l’activité céré- brale des sujets, activant fortement les régions asso- ciées à l’évaluation du plaisir comme le cortex ven- tromédian préfrontal, mais aussi l’hippocampe et le cortex dorsolatéral, impliqués respectivement dans le rappel des souvenirs et la contextualisation. Bref, tout autant qu’avec la langue, nous goûtons avec nos attentes et nos croyances. Experts gastrono- miques, seriez-vous en train de nous nourrir d’illu- sions ? p Le goût troublant du souvenir Guédelon, château-école Financé grâce aux deniers des visiteurs, ce château fort unique en Europe, situé dans l’Yonne, se construit dans les mêmes conditions qu’au Moyen Age. Un extraordinaire laboratoire où tailleurs de pierre, forgerons ou encore menuisiers confrontent leur pratique aux connaissances des scientifiques. Un dialogue fructueux. PAGES 4-5 Le château de Guédelon, en octobre 2012. FRANÇOIS FOLCHER Cahier du « Monde » N˚ 21357 daté Mercredi 18 septembre 2013 - Ne peut être vendu séparément

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David Fincher

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Page 1: SCI - 18 Septembre 2013

Le jus de raisin a de l’avenirSaviez-vousque cenectar sans alcoolestplus sucréqu’un soda?Pouryremé-dier et régler aussi lesproblèmesdeproduction, une filière est créée. PAGE 3

Reprogrammation cellulaire : unpas de géant!Des chercheurs espa-gnols ont obtenu, in vivo, des cellulessouches iPS chez la souris. Un résultatsalué par les scientifiques. PAGE 2

En croisade pour les patientsLe diabétologue AndréGrimaldi fait del’accès aux soins pour tous son combatet rappelle auxmédecins qu’ils ont desdevoirs vis-à-vis desmalades. PAGE 7

c a r t e b l an ch e

AngelaSiriguNeuroscientifique,

directrice de rechercheCentre de neuroscience

cognitive(CNRS-université Lyon-I)

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

C haqueannée, les guides gourmandsdévoilentleur classementdesmeilleures tables de la pla-nète. Des toquesoudes étoiles sont décernées

en fonctionde l’excellencedes plats créés par le chef.Mais comment les évaluateurs jugent-ils l’excellence?Sur le goûtde la nourriture, en se fiant aux sensationschimiquesque les aliments suscitentdans leur bou-che? Certainement,mais pas totalement!

Les récepteursde la languepourrontnous faireapprécier le sucré, l’acide, l’amer, le salé des aliments etquelques sensationsmoins connues comme l’umamiet lemétallique, et lesmolécules plus volatiles iront sti-mulernotre odorat enpassant par la porte arrièrede lafossenasale. Si ceprocessuspermet de trier lesmolécu-les gastronomiquementpertinentes, l’expérienceali-mentairedépendaussi d’autres facteurs comme lavision, l’audition, la texture, la températureou lecontexte social. Des représentationsmultimodalescomplexes sont assembléesparnotre cerveauetmodu-lent enprofondeur l’expériencedes saveurs.

LepsychologueCharles Spence, de l’université d’Ox-ford, s’amuseà étudier ces effets, par exemple en

demandantà des volontairesde déguster des chips enécoutant le sonmodifié de leurmasticationdansuncasque. Il a constaté qu’amplifier le son rend les chipsfraîches et croustillantes, alors que l’abaisser les rendtristementmolles.

Demême,unbonbonau caramel est plus sucré s’ilest accompagnéd’unemusiqueà la tonalité aiguë. Com-me le souligneBarry Smith, neurophilosopheet direc-teurduCenSes (Centred’étudedes sens), à Londres, sil’informationcaptéeparnotre langue estpauvre, notreperceptiondes saveurs est enrichiepard’autressignauxsensoriels,mais aussi pardes souvenirs: enAngleterre, les chips enpaquetbleuontungoût salé,celles enpaquetvert sont à l’oignonet, lorsqu’oninverse les couleurs, c’est la confusiondes saveurs!

L’effet de couleur est si fort qu’il n’épargnepas lesexperts. En 2001,GilMorot et ses collèguesde l’univer-sitédeMontpellier ontmontré quedes apprentisœno-loguesutilisentunvocabulaire associé au vin rouge(fruits noirs, violette, cuir…) lors de la dégustationd’unvinblanc teinté en rouge.Donc, au-delà des sensationsgustatives immédiates, notre cerveauactiveunemulti-

tuded’associations sensorielles etmnésiques et celles-ci viennentbiaiser nospréférences et nos émotions ali-mentaires.

Le chercheurReadMontague,deVirginiaTech (Etats-Unis), a démontré cephénomènedirectementenmesu-rant l’activité cérébraledes consommateursdeCoca-Cola et dePepsi, à l’aveugleou en connaissancede lamarque. Comme l’expliqueMontague, bienque lesdeuxboissons soient chimiquementquasi identiques,la plupart des gens ont unepréférencepour l’une oul’autremarque. Et, commeonpouvait s’y attendre, l’af-fichagede lamarque avant deboire une gorgéede laboissonpréféréemodifie profondément l’activité céré-brale des sujets, activant fortement les régions asso-ciées à l’évaluationduplaisir comme le cortex ven-tromédianpréfrontal,mais aussi l’hippocampeet lecortexdorsolatéral, impliqués respectivementdans lerappeldes souvenirs et la contextualisation.

Bref, tout autant qu’avec la langue, nous goûtonsavec nos attentes et nos croyances. Experts gastrono-miques, seriez-vous en train de nous nourrir d’illu-sions?p

Legoût troublant du souvenir

Guédelon,château-écoleFinancégrâce auxdeniersdesvisiteurs, ce château fortuniqueenEurope, situédans l’Yonne,

se construit dans lesmêmes conditionsqu’auMoyenAge.Unextraordinaire laboratoireoù tailleursdepierre, forgeronsouencoremenuisiers confrontent leurpratiqueauxconnaissancesdes scientifiques.Undialogue fructueux. PAGES 4-5

Le château deGuédelon, en octobre 2012. FRANÇOIS FOLCHER

Cahier du «Monde »N˚ 21357 datéMercredi 18 septembre 2013 - Nepeut être vendu séparément

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LepassésondégrâceauxrayonsXUnlaboratoireconsacréàl’étudedesmatériauxanciensvientd’ouvriràproximitédusynchrotronSoleil

Sandrine Cabut

Pourra-t-on un jour réparer desorganeslésésoumaladesenrepro-grammant des cellules souchesdirectement dans le corpshumain? Les résultats inéditsobtenus par des chercheurs espa-

gnolsmarquent en tout cas une nouvelle étapedans l’exploration du potentiel des cellules iPS(inducedpluripotentstemcells),cescellulespré-levéessurdesorganismesadultesetdont ledes-tin est modifié pour pouvoir recréer tous lestypes cellulaires. Pour la première fois, l’équipedeMariaAbad etManuel Serrano (Centrenatio-nalde recherchesur le cancer,Madrid) a réussi àfabriquer de telles cellules in vivo chez des sou-ris, en modifiant génétiquement ces animaux.Cerise sur le gâteau, celles-ci semblent encoreplusefficacesetpluspuissantesqueles iPSobte-nues jusqu’ici par les scientifiques. Les résultatsde ces travaux, publiés dans la revueNature du12septembre, sont salués par la communautéscientifique, qui reste cependant prudentequantà leurs futures applications.

Depuis leurmise au point en 2006-2007 parleJaponaisShinyaYamanaka,récompenséparleprixNobeldemédecineen2012, les cellules sou-ches iPS soulèvent de grands espoirs dans ledomaine de la médecine régénérative – desessaiscliniquessontd’ailleursentraindedémar-rer.Maisjusqu’àprésent,ellesontétécrééesuni-quement invitro, enéprouvette.

La stratégie inventée par Yamanaka consiste,grâce à un cocktail de quatre gènes judicieuse-mentchoisis,à faireretournerdescellulesmatu-

res, de peau par exemple, à un stade proche deceluidescellulessouchesembryonnaires(dédif-férenciation). Comme ces dernières, ces cellulesinduites,alorsditespluripotentes,peuventdon-nernaissanceà tous les typesde cellulesprésen-tes dans un embryon, et donc à tous les organeset tissus d’un organisme. Elles restent en revan-che incapables de générer un embryon entier,avecsesannexes(placenta,sangdecordon),com-me le font les cellules souches totipotentes,pré-sentes aux stades ultraprécoces –moins de huitcellules– dudéveloppement.

L’équipeespagnoleaconçudeslignéesdesou-ris transgéniquesprésentant les quatre facteursde transcription de Yamanaka, sous forme dor-mante. Puis ceux-ci ont été activés sélective-ment par un antibiotique (la doxycycline) mis

dans l’eau de boisson de ces rongeurs. Endeuxsemaines, ilsontdéveloppédes tératomes,c’est-à-diredestumeurscontenant,sousunefor-meplusoumoinsorganisée,touslestypescellu-laires. Pour les chercheurs, la présence de tellestumeurssignifiequ’il y abieneu reprogramma-tion en cellules pluripotentes. Autres indices deréussite, ils ontmis en évidence des cellules iPSdans le sang des souris reprogrammées, et desmarqueurs indirects de celles-ci dans des orga-nes comme l’estomac, lepancréaset le rein.

Ils ontmême eu la surprise de constater quelescellulesiPSainsigénéréesétaientplusuniver-sellesquedescellules iPS«standards»obtenuesinvitro,oudescellulessouchesembryonnaires:elles étaient capables de se différencier en n’im-porte quel type de cellule embryonnaire, maisaussi en cellule précurseur d’annexe de l’em-bryon, comme le placenta. En outre, l’injectionde ces iPS dans le péritoine d’autres souris ainduit la formationdepseudo-embryons,expri-mant des marqueurs embryonnaires et extra-embryonnaires.Touscesconstatssuggèrentquela reprogrammationinvivoafait remonterplusen amont les cellules dans leur processus dedédifférenciation que ne le font des manipula-tionsinvitro.L’équipeespagnolevamaintenants’atteler à élucider le mécanisme de ces super-pouvoirs.

Detelsrésultatsouvrent-ilslaporteàunestra-tégiedereprogrammationinvivochezl’hommepourrégénérerlefoie,lecœuroutoutautreorga-ne? Dans leur commentaire associé à l’article,deux spécialistes de l’universitéHarvard, à Bos-

ton (Etats-Unis), Alejandro de Los Angeles etGeorge Daley, estiment qu’il s’agit d’un pasimportantverscequipourraitdevenir«unoutilpuissant de la médecine régénérative, la repro-grammation in situ de tissus». Chez les amphi-biens,rappellent-ils,desmembresamputéspeu-vent repousser grâce à la formation de blastè-mes, des amas de cellules indifférenciées. Maisce processus n’a pas d’équivalent naturel chezlesmammifères.

«Onpeutimaginerpouvoirunjourréparerunorgane en induisant une reprogrammation invivo transitoire, éventuellement localisée, maison en est encore loin, a déclaréManuel Serrano,chercheur senior de l’équipe, lors d’une confé-rence de presse organisée par la revue Nature.Pour les cellules iPS standards, il a fallu sept anspour parvenir au stade des essais cliniques, ilnous en faudraaumoins cinq.»

Defait, si l’approcheestséduisante,safaisabi-lité chez l’homme et surtout son innocuité res-tent à démontrer. «Ce qui m’a le plus frappée,c’est la rapidité avec laquelle le traitement a faiteffet: des tératomes ont commencéà apparaîtreendeuxsemaines», commenteMathildeGirard,chargée de recherche sur les cellules iPS à l’I-Stem(Institutdescellulessouchespourletraite-ment et l’étude des maladies monogéniques),quisalueladémonstrationdesesconfrèresespa-gnols.Elle restetoutefois réservéesurdefuturesapplications humaines. «Chez la souris, tout estplusfacilequechezl’homme,ilestdifficiled’extra-poler. Enoutre, lorsque l’onvoit les tumeursainsiinduites,celainciteàlaprudence»,poursuit-elle.

«C’est une belle étude dont j’aurais bienaimé être l’auteur, relève, de son côté, Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche Insermà l’Institut de génomique fonctionnelle deMontpellier. Le plus révolutionnaire, et le plusinattendu, c’est que cette reprogrammation invivo permet de remonter encore plus loin dansle compte à rebours cellulaire. Ce ne sont pasencore des cellules totipotentes, mais on n’enest pas très loin.»

Quid du risque de tumeurs ainsi induites?« Il n’est finalement pas très étonnant de voirapparaître des tératomes avec un tel procédé,maisonpeut imaginerque leurdéveloppementest fonction de l’environnement tissulaire, etqu’on pourra un jour le contrôler, peut-êtrepour régénérer des tissus, des organes, voire desmembresmanquants,estimeJean-MarcLemai-tre. Pour cela, il serait particulièrement intéres-sant d’étudier pourquoi, dans les expériencesespagnoles, ces tumeurs se sont formées danscertains tissus, pas dans d’autres.»

En attendant les prochaines étapes de cesrecherchessur la reprogrammationinvivo, lescellules iPS standards commencent, elles, àentrer en expérimentation clinique. Au Japon,le recrutement est en cours pour une étudechez des patients atteints de dégénérescencemaculaire liée à l’âge (DMLA). Les premièrestransplantations rétiniennes de cellules déri-vées d’iPS devraient débuter dans les mois àvenir. Des essais sont aussi prévus aux Etats-Unis, dans d’autres pathologies touchant lapeau, le sang…p

SCIENCE&MÉDECINE a c t u a l i t é

David Larousserie

Le moderne au secours del’ancien. L’ancien au profitdumoderne.Telleestlaphi-losophie d’un laboratoire

francilien inauguré le 12septem-bre, Ipanema, pour Institut photo-nique d’analyse non destructiveeuropéendesmatériauxanciens.

Le côté «moderne» vient dubâtimentde 1800mètres carrés, àla peinture encore fraîche, quihébergeraunequarantainedeper-sonnes et qui possède plusieurssalles d’expériences. Il vient sur-tout de son voisin, le synchrotronSoleil, vaste construction circulai-re de 350mètres de circonférenceinstallée à Saclay (Essonne) et quiproduitdepuis2008despinceauxde lumière allant des rayons X àl’infrarougeenpassant par l’ultra-violet, pour sonder les secretsmicroscopiques de la matièreminérale et organique.

Le côté «ancien» est lié auxéchantillonsmissouscemicrosco-pe géant. « Il n’y aura pas seule-ment des œuvres d’art comme destableaux, ou de la verrerie. C’estaussidestinéà l’archéologieouà lapaléontologie avec des échan-tillons de terrain comme des fossi-les, des dents, des clous métalli-ques…», explique Loïc Bertrand,directeur de cette unité mixteentre le CNRS et leMuséumd’his-toire naturelle. La région Ile-de-France a financé la moitié des9millionsnécessaires auprojet.

«L’utilisation du rayonnementdes synchrotrons pour ce genred’étudesestassez récente, avecunepremière expérience à Orsay surdes pièces gallo-romaines à la findes années 1980», rappelle LoïcBertrand,qui cited’autrespremiè-res mondiales françaises. L’infra-rougeapermisdecomprendrel’al-tération des fibres textiles depuisles momies égyptiennes jusqu’àdestextilesmédiévaux.L’ultravio-

let a servi à étudier les pigmentsblancs des peintures à base d’oxy-dedezinc.«AvecSoleil,nousavonsmené cent projets», rappelle LoïcBertrandqui en espère 40à 50paran sur la nouvelle ligne PUMA(photons utilisés pour les maté-riaux anciens) du laboratoire, encours de constructionà Soleil.

Dansunpeuplusd’unan, grâceà cette installation, les chercheursétudieront selon différentes tech-niques leurs échantillons. LesrayonsX sont connuspour traver-ser la matière. Leur transmissionet absorption, comme pour uneradiographie médicale, rensei-gnent sur les composants d’unmatériau. La qualité du rayonne-ment issu de Soleil permet ausside «découper» tranche par tran-che les échantillons pour enconstruire la forme tridimension-nelle.Desdétails de taille inférieu-re aumicromètre seront visibles.

Ce n’est pas la seule manièred’utiliserce faisceau.Surunobsta-

cle, la lumièresediffractedansdif-férentesdirections, trahissantunestructure interne complexe. Fairevarier la couleur du faisceauenvoyé permet aussi d’étudier lachimiefinedumatériau; lesmolé-cules n’absorbant pas de lamêmemanière les diverses couleurs.

Précisions remarquables«J’attendsbeaucoupdecette ins-

tallationquipermetd’atteindredesprécisions remarquables», expli-que Claire Gervais de l’UniversitédesartsdeBerne.Elleespèrenotam-ment comprendre dans quellesconditionslebleudePrussesedéco-loreàlalumièreenétudiantlespro-cessus chimiques d’oxydoréduc-tion à l’œuvre. Quel est le rôle dusubstrat(huile,papier…)?Del’envi-ronnement thermique et hygro-métrique? Des réponses utilespour les conservateurs des collec-tions.

UndoctorantduMuséum,Pier-re Gueriau, compte beaucoup sur

unetechniqueditedecontrastedephase pour voir des détails trèssubtils. Il étudie des fossilisationsexceptionnelles, commedesmus-clesoudescuticulesd’insectestrèsdélicates à distinguer. « Il y a unevraie impatienceauMuséumpourl’ouverturede PUMA», ajoute-t-il.

Cette quête de connaissanceautour de l’ancien sert aussi au«moderne».«Onnepeutpasutili-ser les mêmes méthodes d’analysedes données pour les matériauxmodernesquepour lesanciens. Cesderniers sont souvent uniques etnous ignorons comment ils ont étéfabriqués. Nous manquons doncde ce que l’on appelle une “véritéterrain” pour calibrer nos analy-ses », explique Serge Cohen, lemathématicien d’Ipanema qui adéveloppéuntyped’analysestatis-tiqueparticulieretadémontrédesthéorèmes dans son domaine. Saméthode a permis de déterminerles lieux de fabrication de piècesmétalliques.Enattendantquebio-

logistes, chimistes ou physicienss’en emparent.

Le directeur insiste aussi sur lerôle des laboratoires à la disposi-tion des chercheurs. «Il faut pen-ser les expériences globalement,depuis les premières caractérisa-tions jusqu’à l’analyse des don-nées,enpassantpar lapréparationdeséchantillonset, biensûr, l’expo-sition au rayonnement synchro-tron», explique-t-il. Cette métho-dologieoriginaledevraiten retourbénéficier à d’autres communau-tésutilisatricesdu synchrotron.

«A notre connaissance, notreplate-forme sera unique au mon-de», insisteSebastianSchoder, res-ponsable de PUMA. Le projet, quiattend plus d’un quart de deman-des étrangères, est donc ambi-tieux.Maislesnuagesqui,ce12sep-tembre, planaient au-dessus ducentre se dissiperont-ils? Certainsemplois pérennes prévus audépart ne sont pour l’instant quedesCDD… p

De tels résultats ouvrent-ilslaporte àune stratégie

de reprogrammation invivochez l’hommepour régénérer

le foie, le cœurou toutautre organe?

Descellulessouchesauxsuper-pouvoirsUneéquipedechercheursespagnolsafranchiunenouvelleétapeenréussissantàcréerdescellulessouches

directementdansunorganismevivant.Unpasdeplusverslamédecinerégénérative

tous typesde cellulesembryonnaires

tous typesde cellulesembryonnaires

tous typesde cellulesembryonnaires etextra-embryonnaires

A : Phénomène naturel mis à profit en recherche biomédicaleB : Technique de Yamanaka : reprogrammation in vitroC : Technique nouvelle : la reprogrammation in vivo

Trophoblaste(futur placenta) Masse interne (futur embryon)

Facteurs dereprogrammation

PotentielBlastocyste : œuf de quelques jours

Cellules différenciées cultivées

Cellule souche IPS reprogrammée in vivo

Cellule souche IPS reprogrammée in vitro

Cellule souche embryonnaire

Souris génétiquement modifiéeavec facteurs de reprogrammation

Trois moyens de créer des cellules souches

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Source: NATURE

2 0123Mercredi 18 septembre 2013

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MédecineUnmode de vie sainmaintientla longueur des télomèresDenombreuxtravauxontdémontré lesbienfaitspour la santéd’unmodedeviesain, avecalimentationricheenfruits etlégumes,activitéphysiquerégulièreetluttecontre le stress.Uneétudeaméricaine,menéependantcinqansauprèsde35hommes, confirmentceseffetsauniveaumoléculaire.Chez les10d’entreeuxqui avaientmodifiédans lebonsens leurmodedevie, les chercheursontmesuréuneaugmentationde6%de lalongueurdes télomères,alorsqueceux-ciavaient raccourcide3%dans legroupecontrôle.Cesamasd’ADNetdeprotéinessontsituésà l’extrémitédeschromosomesqu’ilsprotègent.Leurraccourcissementest associéauxmaladiesduvieillissement.Ces résultatsoriginauxmaispréliminairesnécessitentdesconfirmationsultérieures.> Ornishetal.,«TheLancetOncology»,le 17septembre.

BiologieUne levure rajeuniten se divisant

Dans lemondemicrobien, ladivisioncellulaire,qui tient lieudemodedereproduction,conduitàdeuxcellules fillesdont l’unebénéficiegénéralementd’unpatrimoinegénétiqueet cellulairepleinementfonctionnel, tandisque l’autrehérited’unecopie«usée»etne tardepasàmourir.Uneéquipede l’InstitutMax-PlanckdeDresdevientdedécouvrirunealternativeàcepartage inégalitaire:quandla levureSchizosaccharomycespombeestplacéedansunmilieudeculture favorable, lesdeuxcellules fillesreçoivent lamêmeproportiondevieuxmatériel cellulaire,mais, commeellesn’enhéritentqu’unemoitié, elles se trouventtoutesdeux rajeuniespar rapportà lacellulemère.Quand l’environnementestmoinsfavorable, ladivisionredevientinégalitaire.Cette levurepourrait servirdemodèlepour l’étuded’autrescelluleséchappantauvieillissement, commelescellules souches,germinalesoucancéreuses.> Coehloet al., «CurrentBiology»du12septembre. (PHOTO : DR)

Matériaux«Terminator», l’élastomèrequi se répare tout seulUneéquipeespagnoleamisaupointunmatériauélastiquequi a la facultédeseréparer sansajoutd’uncatalyseur.Unevidéomontrecomment lesdeuxmorceauxd’unbâtond’élastomèreséparésauscalpelpuis remisencontactsontànouveau inséparablesauboutdedeuxheures.Baptisé«Terminator» enréférenceà l’indestructiblerobotdumêmenom, cematériauconstituédepolyurée-uréthanepourrait trouverdenombreusesapplications industrielles,espèrentses inventeurs.> Rekondoet al., «MaterialsHorizons»du 13septembre.

a c t u a l i t é SCIENCE&MÉDECINE

t é l e s c o p e

Viviane Thivent

Gruissan (Aude), envoyée spéciale

Allons voir Patricia !»Jean-Louis Escudier,ingénieur de recher-che à l’Institut natio-nal de la rechercheagronomique (INRA),

traverse l’unité expérimentale dePech Rouge, près de Narbonne. Unlieuhorsnormequi,avecses42hecta-res de vigne et ses 80000bouteillesde vin produites par an, ressemble àun domaine viticole. «La voilà»,signale le chercheur en désignantune plantureuse… vigne dont lesgrappes, blondes et généreuses,retombentencascadevers le sol.

«Patricia est l’une des 14 variétésquiontété sélectionnéesen2012pourla fabrication du jus de raisin, expli-queHernanOjeda, ledirecteurd’uneunité expérimentale qui, depuis1956, travaille sur l’amélioration destechniquesdevinificationetladiver-sification des produits de la vigne.Patricia vient d’Argentine, commemoi.» «Cette variété est intéressantecar elle a un très grand rendement»,enchaîne son adjoint, Jean-MichelSalmon. «Un cep classique produit6kgderaisins,contre35kgpourPatri-cia», complèteHernanOjeda.

Dequoifairerêver lesproducteursde jus de raisin qui, depuis 2008 etl’arrêt des aides européennes, sontconfrontésàlavolatilitédelamatièrepremière.«Iln’existepasdefilièresde

production consacrées au jus de rai-sin, confirmeRichardPayraud, direc-teur de Foulon Sopagly, leader euro-péendesjusderaisin.Pourle juspres-sé, nous sommesencompétitionaveclemondeduvin, bienpluspuissant. Iln’est donc pas toujours possibled’avoiraccèsauxmeilleursproduits.»

C’est d’autant plus vrai que, à lasuite des crises de surproductionvécuesparlemondeviticole,notam-ment en 2004, des campagnes d’ar-rachage des pieds de vigne ont étémenées.«Rienquesur leLanguedoc-Roussillon, le vignoble a diminué demoitié ces trente dernières années»,note Etienne Montaigne, profes-

seur Montpellier SupAgro. D’oùl’idée de créer une filière spécifique.Une filière où les vignes s’appelle-raientdesvergersà raisin, lesviticul-teurs, des arboriculteurs, et où legoût du jus de raisin serait adapté àceluides consommateurs.

«Car,admetAlainSamson,œnolo-gue de l’INRA, le jus de raisin tel qu’ilest commercialisé aujourd’hui estsouvent trop sucré.» Il contient eneffet 180g/l de sucre, contre 100 à120g/l pour un jus d’orange ou unsoda.Riend’étonnantpuisquelaplu-part des cépages utilisés en Franceont été sélectionnés justement afinde produire unmaximumde sucre,la base nécessaire à la fermentationdes vins. C’est pour changer cet étatdefaitqu’en2008,avec le soutienduministèrede l’industrie et celui de larégionLanguedoc-Roussillon, l’INRAde Pech Rouge et la sociétémâconnaise Foulon Sopaply ontmonté leprojet Fijus.

Objectif : identifier des cépagessusceptibles de produire des jus deraisin plus aromatiques, moinssucrésetplusacides.Pourcefaire, leschercheurs se sont rendusdans l’Hé-rault,audomainedeVassaloùl’INRAconserve en cinq exemplaires7000variétés différentes de vignes,dont 3000 issues de croisements.«Nous avons vendangé 450variétésdistinctes, détaille Hernan Ojeda.Nous avons goûté leur jus, testé leur

tauxdeméthanol,desucre, leuracidi-té, et en avons sélectionné20.» En2012, la liste s’est réduite à 14. Certai-nes variétés, commePatricia, ont étéretenues pour leur productivité ;d’autres pour leur goût, leur couleurouleurcapacitéàrésisteràdescham-pignons tels lemildiouou l’oïdium.

«Ces 14 variétés, blanches ou rou-ges, reprend Jean-Louis Escudier,nouslesavonsplantéesici,maisaussià Carcassonne, en trois rangées de40ceps. » Le décompte est précis,tout comme la façon de vendanger:«Nous pesons la production de cha-que pied», explique EmmanuelleZumstein, une techniciennequi suitla progression des vendangeurs. Untravailnécessairepourquecesvarié-téspuissentun jourobtenir unagré-mentet être cultivées.

«Toutelaréglementationestàécri-re puisque la filière n’existe pas»,reprend Jean-Michel Salmon. Le cas-se-têteadministratifenvautlapeine.Goûterquelques-unsdes jusnouvel-lement produits permet de s’enconvaincre.Certainsontdesparfumsd’agrumes,depoivrons,defruitsrou-ges ; d’autres grattent la gorge ousont tanniques comme un vin. L’und’eux, d’un noir intense, amêmeunpetit rien de biblique: il suffit de levider dans l’évier et de remplir sonverre avec de l’eau pour que celle-ciprennelacouleurd’unvinrougetrèsfoncé. «Ce jus est hors norme tant il

est riche en polyphénols», confirmeAlainSamson.Cetteparticularité,il ladoit tant à la variété utilisée (le Flotrouge)qu’àunetechniqueinnovantemise au point par l’INRA en 1993.Dans la halle expérimentale du site,aumilieudescuvesetdesvapeursderaisins cuits, Michel Mikolajczakexplique ce procédé, dit de «flashdétente»: «Les raisins sont chauffésetdépressurisésviolemmentpourfai-re exploser les cellules. On ajoute desenzymes, grâce auxquelles on extrait50%deplusdepolyphénols.»

Ces antioxydants sont réputésbénéfiques pour la santé. «Ce pointn’est pas totalement démontré»,nuance Marc Bardou. Pharmacolo-gue au CHU de Dijon, il va conduirepour le compte de l’INRA et de Fou-lon Sopagly une étude clinique afind’évaluer les effets d’un assemblagede flot rougeetdePatricia.«Pendanttroismois, 100volontaires vont boirechaque jour du jusde raisin classiqueou expérimental afin de voir si desaméliorations sont observées auniveaudes réactionsvasculaires etdel’oxydation lipidique», précise-t-il.«L’idéederrièreestd’obteniruneallé-gation santé, ajoute Richard Pay-raud.C’est l’une des possibilités offer-tes par les variétés qu’étudie l’INRA.»Il faudra attendre une dizaine d’an-nées pour que ces possibilités pren-nent la forme de jus de raisin com-mercialisés. p

C’est, enkilomètres, ladistancealler-retoursur laquelledeschercheursallemandsont transportéde la lumièredansunefibreoptiquesansquesafréquencenedérivedeplusde50millionièmesdeHerz, l’unitéhabituellede fréquence.C’est 1000foismieuxqueles techniquesactuellesparondesradioqui serventàsynchroniserleshorlogesatomiquesutilisées commeétalonsdutemps.Ceprogrèsdans latransmissionsansdériveest rendunécessairepar lesnouvelleshorlogesditesoptiquesquiaméliorentencore laprécisionde la seconde.DansPhysicalReviewLettersdu13septembre, leschercheursexpliquentqu’ilsontutilisé20amplificateurscontrôlésàdistancepourcorriger leserreurs le longdutrajet.

HervéMorin

Les avions à réaction ne battent pasdes ailes. La formule est parfoisemployée pour souligner que lanature ne peut prétendre être la

source d’inspirationuniverselle des inno-vationshumaines. Certes, l’évolution a subricolerune infinitédedispositifs,mais laboîte à outil d’Homo sapiens comportebiendesmécanismesqui n’ont jamais étéobservésdans lemondevivant.

Amoins qu’il n’y faille regarder à deuxfois. C’est ce que suggère une étudepubliéedans larevueScience, le 13septem-bre, qui décrit un engrenage observé surles pattes arrière de la cigale bossue. Issuscoleoptratus, hôte des jardins européens,se déplace par bonds prodigieux. Ses pat-tes se détendent dans un mouvementd’une synchronie presque parfaite, enta-mantleurmouvementavecmoinsdetren-temillionièmesde seconded’intervalle.

Malcolm Burrows et Gregory Sutton(université de Cambridge), qui ont filmécemiracledecoordinationavecunecamé-rahautevitesse,assurentqu’ilnepeutêtre

assuré par l’influxnerveux activant lesdi-tes pattes, dont le pic d’activité dure30fois plus longtemps. Or il est indispen-sable à l’insecte, qui en cas de décalagedans l’impulsionpartirait dans le décor.

Le secret de cette coordination résideentre ses pattes arrière, au niveau du tro-chanter, cette portion de l’articulationqui, chez les arthropodes, relie la hancheaufémur. Les trochantersde la cigalebos-suesontchacunornésd’unerangéed’une

douzaine de dents minuscules, qui s’em-boîtentdansleurvis-à-vis.Lacamérahau-te vitesse, pointée sur des spécimens col-lés sur le dos, a révélé que la stimulationd’une des pattes entraînait le mouve-mentsimultanéde l’autrepar le jeudecetengrenage.«Chez Issus, indiqueMalcolmBurrows, le squeletteestutilisépourrépon-dre à un problème complexe que ni le cer-veau ni le système nerveux ne peuventrésoudre.»

Les chercheurs n’ont observé cet engre-nage que chez les nymphes, lors de leursdifférents stades de transition vers la for-me adulte, où il n’apparaissait plus. Pour-quoi?Ils l’ignorent,maisilsfontl’hypothè-seque, chez l’adulte, la ruptured’unedentrendraitlesystèmeinopérantdefaçonper-manente,alorsque,chez lesnymphes,ellepeut être réparée lors de lamue suivante.Autre explication: chez les adultes, plusgrands,lafrictionentrelestrochanterssuf-fit à elle seule à assurer la coordinationentre les deuxpattes.

Quoi qu’il en soit, contrairement àd’autres dentures observées jusqu’alorsdans le monde animal, celle de la cigalebossue constitue le premier exemple où

unmécanismeassocié répondàune fonc-tionnalitéobservable, soulignent lesdeuxchercheursbritanniques.

Les cas comparablessont rares.Onpeutciter l’articulation d’un charançon dePapouasie,Trigonopterusoblongus, consti-tuée de deux pièces dont l’une s’emboîtedans l’autre comme un tire-bouchon.Alexander Riedel (Muséum d’histoirenaturelle de Karlsruhe, en Allemagne) etsescollègues,quiontpubliécetteobserva-tiondansScienceenjuillet2011,ontfaitcet-te découverte «par accident, alors qu’[ilscherchaient] à comprendre d’autres com-posantsde lamarchede ce charançon».

Pourrait-on en découvrir d’autres? «Ilest difficile de le prédire, répond le cher-cheur allemand. Je suppose que, commenous, Burrows et Sutton étaient avant toutintéressés par le mécanisme du saut etqu’en y regardant de plus près ils ont trou-vécetengrenage.»Multiplierdetelscoupsde chance ne sera pas évident, «car il esttrès difficile de chercher l’inattendu demanière systématique. Mais, en tout cas,cette nouvelle découverte prouve qu’avecleur exosquelette les arthropodes sont unterrainde chasse très prometteur».p

Jusderaisin: invivoveritasa g r o n o m i e | APech-Rouge,prèsdeNarbonne,deschercheursdel’INRAmettentaupoint

lesjusderaisindedemain,grâceàunesélectionsévèredescépagesetàdestechniquesinnovantes

1840

«Un cep classiqueproduit 6kgde raisins,contre 35 pourPatricia»

HernanOjedadirecteurde l’unité de PechRouge

L’engrenagedes pattes arrièrede la cigale bossue. MALCOLM BURROWS

L’engrenage inéditde lacigalebossueUnmécanismeencorejamaisobservédanslemondevivantpermetlacoordinationdespattes

Emmanuelle Zumstein (INRA) le 10septembre lors des vendanges dans l’Aude.JULIEN GOLDSTEIN POUR «LE MONDE»

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Francis Gouge

Treigny (Yonne), envoyé spécial

Lætitia, la charretièreduchan-tier, debout sur un tombe-reau,guideKaboul,unrobus-teardennaisquitireunelour-de pierre jusqu’à une cage àécureuilquilahisseraausom-

met d’un donjon en construction. Deshommes transportent du mortier dansdesmannes, des paniers d’osiermunis depoignées. Des charpentiers assemblentdescintresdestinésàsoutenirlamaçonne-rie d’une voûte, tandis qu’on entend lemarteauduforgerons’abattresurunepiè-cedemétal portée au rouge.

Si tous sont vêtus d’une biaude, cetteblouse tombant à mi-cuisse, nouée à lataille par une ceinture, qu’on portait auXIIIesiècle, leurs chaussures en revancherépondent aux normes de sécurité actuel-les. Nous sommes à la fois en l’an de grâce1244 et en 2013. Nous sommesàGuédelon,enPuisaye,dansl’Yonne,auxmarchesdelaBourgogne.Despassionnés(ilssont62per-manents) y construisent ex nihilo un châ-teaufortplusvraiquenatureavecdeparfai-tes répliques des instruments d’époque,fabriqués sur place d’après ceux représen-tésdansdesmanuscritsousurdesvitraux.Ils retrouvent les savoir-faire, les protoco-lesd’unchantierde l’époque, les gestesdes«œuvriers».Ilssontlesacteursd’uneexpé-rience unique d’archéologie expérimenta-le,doubléed’uneattractiontouristiqueori-ginalequipermetde la financer.

L’idée est née en 1995 à une dizaine dekilomètres de là, à Saint-Fargeau. Grâce àuneétudemenéeparl’archéologueNicolasFaucherreet lecastellologueChristianCor-visier, Michel Guyot apprend que le châ-teauqu’il a acheté en 1979 a été bâti sur lesrestes d’une forteressemédiévale. Un rap-port lui est transmis, qui se conclut ainsi :

«IlseraitpassionnantdereconstruireSaint-Fargeau.»Pasquestiondedétruirecechef-d’œuvreduXVIIesiècle,mais l’idée fait sonchemin: avec une amie, MarylineMartin,MichelGuyot décidede construireun châ-teau dans les mêmes conditions qu’auMoyenAge.

La jeune femme se charge demonter leprojet. Elle trouve le terrain idéal dans laforêtdeGuédelon,surlacommunedeTrei-gny: il y a là une carrière de grès ferrugi-neux, le matériau des deux châteauxlocaux,Ratilly et Saint-Fargeau, apte à pro-duire les 10000m3 de pierres nécessaires.On trouve aussi sur place le sable pour le

mortier, laglaisepour les tuiles et lespave-ments, l’ocre pour les peintures murales.Ajoutons une forêt de chênes et de l’eau àmoinsde sixmètres sous lespieds.Maryli-neMartindéposeunedemandedepermisde construire à la direction de l’équipe-ment pour un château fort, dont les plansont été dessinéspar JacquesMoulin, archi-tecte en chef desMonuments historiques.«La tête qu’ils ont faite !», s’amuse-t-elleencore.Deuxmoissuffirontpourl’obtenir.

Guédelon est un château philippien,c’est-à-dire tel qu’imaginé par PhilippeAuguste (1165-1223), avec une cour s’inscri-vant dans un quadrilatère qui abrite lelogisseigneurial,unbâtimentde24mètresde long sur deuxniveaux; la constructioncompte quatre tours, une à chaque angle:la tourmaîtresse, dont lesmurs sont épaisde 3mètres, domine de ses 28,50mètres(95pieds) la tourdelachapelleetdeuxpluspetites. Elles sont reliées par des cheminsde ronde et la porte est protégée par deuxautres tours, qui forment le châtelet.

Florian Renucci, maître d’œuvre deGuédelon, compare sa construction à unetragédie classique. «Nous avons uneséquence chronologique, une vraisemblan-ce de lieu et une unité d’action avecun seulcommanditaire.» Le chantier, qui doitdurer entre vingt-cinq et vingt-huitans,démarreenmai1229(mai1998,datedesonouverture au public) sous la régence deBlanche de Castille et se poursuit sousLouis IX, futur Saint Louis – dont le règnemarque l’apogéede ce typede bâtiment: àsamort,10000aurontétéérigés.Iln’enres-te qu’une centaine. Les autres ont été victi-mesdelaguerredeCentAns,delapoudreàcanon,de lamodeoude laRévolution.

«Cesprécisionsnousobligentàdéfinirlesinfluences stylistiques dont on doit tenircompte», poursuit Florian Renucci. On amême imaginé la biographiedu comman-ditaire du château: c’est unpetit seigneur,«cequiimpliqueunearchitectureà l’écono-mie, avec une ribambelle d’astuces pourobtenirunmaximumd’effetsetd’efficacitéà moindre coût». Nous sommes loin d’unchâteauroyalcommeleLouvreouChinon.Guédelon est fait pour abriter une trentai-ne de personnes en permanence. Ce cadretrès strict est dictéparunsoucid’authenti-cité: il s’agitd’éviter toute incohérence.

La méthodologiemise en place permetd’étayer les choix de construction. Diverschâteaux philippiens ont ainsi été exami-

nés, photographiés, dessinés. Les sourcesiconographiques, comme les livres d’heu-resdepersonnagesimportants,ontpermiségalement«d’approcher lavéritéarchéolo-gique, souligne Maryline Martin. Il existeplusieurscentainesd’imagesdesXIIeeXII ,XIIIeeIII etXIVeeXIV siècles, où on voit des édifices en coursdeconstructionavecdesœuvriers.Lescomp-tes de chantier sont aussi d’un précieuxenseignement. Ils découpent les construc-tionsenlots,aveclesprixetlessalaires,com-meàWestminster,oùonaledétailparmoisetpar catégories socioprofessionnelles».

Les vitraux ont également été étudiés.Tous les choix sont soumis à un comitéscientifique composé de castellologues,

SCIENCE&MÉDECINE é v é n e m e n t

c a s t e l l o l o g i e

« Ici, pour la premièrefois de leur vie,les archéologues

croisent leurs fouillesavec la construction.C’est un terrain de jeugrandeurnature »

FlorianRenuccimaîtred’œuvredeGuédelon

Charpentiers (à g.),en juin 2012,et forgerons,en avril 2013,sur le chantierdu châteauphilippien.FRANÇOIS FOLCHER

GuédelonLepassérecomposé

Depuis1997,danslaforêtdeGuédelon,dansl’Yonne,scientifiqueset«œuvriers»construisentunchâteaufort. Ilss’imposentdetravailler

aveclestechniquesetlesmatériauxdesbâtisseursduMoyenAge

Desmétiers redécouverts

D ivers corpsdemétiersparticipentà la construc-tiondeGuédelon. L’hom-

medebase en est lemaîtred’œuvre. Jusqu’auXIIIesiècle, sonrôle se confondavec celui de l’ar-chitecte. L’irruptiondu gothique,qui demandeune grandemaîtri-se technique, scinde les fonc-tions endeuxmétiers. Pour desconstructionsstandardisées com-me le sontd’une certainemaniè-re les châteauxphilippiens, ilassure le rôle d’architectede ter-rain, recevant commande sousformedeplanoudemaquette.

Letailleurdepierre,qu’onappel-le alors lapicide, espilleur,entailleurou lathomus,est l’aris-tocratedubâtiment. Libre, il peutvoyagerd’unpaysà l’autre, jus-qu’enTerre sainteoù il construitnotamment lekrakdesCheva-liersdans l’actuelleSyrie. Il négo-ciedes avantagesennature: ain-si, les comptesde chantierde lacathédraledeChartresprécisentque les tailleursdepierrequitte-ront les lieuxsion leur sert tropsouventdupoisson.

Le forgeron, connu sous le nomde fèvre, joueun rôle essentiel enfabriquant, entre autres, tous les

outils. Le fer étant cher, rienne seperd: il les répare sans cesse,sachantqu’un tailleur depierrepeut enuser ouen casser plu-sieurspar jour, oubien il lestransformeenpiècesplus peti-tes. Il forge toutes les piècesmétalliquesdu château, grilles,penturesdeportes, gonds… jus-qu’aux clous: il en a fallu 678de8poucespour la constructiondupontdormantdeGuédelon.

Lecharretier transportelesmaté-riauxavec ses chevauxou sesbœufs. Le coût du transport pou-vait être considérable.Au châ-teaudeDruyes-les-Belles-Fontai-nes, il représenta 27%du coût dela construction. Pour les longuesdistances, on privilégie l’utilisa-tiondesvoies fluviales.

Citons encore le tuilier, lemorte-lier ougâcheur, qui prépare lesmortiers, le cementariusoumaçon, le charpentier, le cordier,le vannier et lemanœuvrier, quifont du chantier unevraie ruche.Il ne faut pas oublier le carrier,qu’onappelle briseur, rocteurouroquetier selon les régions, et lebûcheronoubocheron, qui tra-vaillent endehors. p

F. Go.

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é v é n e m e n t SCIENCE&MÉDECINE

archéologues,médiévistes,historiens,aux-quels peuvent se joindre des consultantssur certaines problématiques. En cemoment,lecomitésepenchesurunproblè-me de lambris: le projet correspond-il àl’époqueet à la région?

Guédelon est un lieu d’échanges, expli-que Maryline Martin. «Autant, au départ,on avait besoin des scientifiques, autant,aujourd’hui,ilyaundialogueentrelesprag-matiquesqui bâtissent et les scientifiques.»Et Florian Renucci d’ajouter: «Ici, pour lapremière fois de leur vie, les archéologuescroisent leurs fouilles avec la construction.C’estun terrainde jeugrandeurnature.»

Comme auMoyenAge, la transmissiondu savoir se fait aussi par le bou-che-à-oreille. Un Néo-Zélandais a apprisauxœuvriersàtaillerdesplancheslongueset plates avec des coinsde bois. «Audébut,ona rigolé. Etpuis onavuquec’était effica-ce.» Ils ont aussi beaucoup appris grâceaux visiteurs. Un vieux monsieur leur amontré comment faire des lattes de boisselon une ancienne technique, alors qu’ilsen gâchaient cinq pour en obtenir une. Cequi fait dire au maître d’œuvre: «Il n’y apas de mal à rater, tant que ça permetd’avancer. L’important, c’est d’en connaîtrela raison. Cette notion du “rater mieux”, jel’aime beaucoup. Ici, l’intérêt ne s’émoussepas, c’est sans cesseplusharmonieux.»

Guédelon,c’estencoreuneaventuredeshommes et de la matière. Ils ont appris àfabriquer des mortiers dont le comporte-ment physicochimique est le même quecelui utilisé au XIIIesiècle. «Chaque jour,pour ourder [sceller] les pierres, nous met-tons en œuvre un matériau dont on neconnaît pas le comportement.» Il est vraiqu’ilmettraenviron1000anspoursécher.«A la suite du bombardement de la cathé-draledeRouen,lorsdeladernièreguerre,ona constaté qu’il n’était pas totalement secaprès 900 ans», explique Janny, guide surle chantier. Les 60000tonnes du châteauauront tout le temps de se poser en dou-ceur.«Iln’yaurapasdefissure,et lemortierredeviendrade lapierre», assure-t-il.

Ici, les découvertes sont constantes. Lespremières années, les charpentiers utili-saient des chênes de la forêt proche, maisles scientifiques firent remarquer que lesarbres d’aujourd’hui ont peu à voir avecceux d’alors. On en compte actuellement80 à l’hectare, il y en avait 800 à l’époque.Résultat : les arbres étaient fins et longs,alorsquedenosjoursilssonttrapus.«Pour

reproduire une charpentemédiévale, si onprend un chêne actuel et qu’on le coupe, cen’est plus du médiéval », insiste Jean-MichelHuré,bûcheron.Aussifallut-iltrou-veruneforêtplusdense.Ce futcelledeBel-lary (Nièvre), avec600arbresà l’hectare.

Le chantier met aussi à mal quelquesidées reçues. «On dit que l’homme duMoyenAge a déforesté. C’est faux!, affirmeJean-Michel Huré. On pensait jusque-làqu’il fallait 100hectares pour des construc-tionssemblablesàGuédelon.Alorsqu’onvadéforester 3hectares.» «On n’a pas décou-vert de scoopmais plein de petites choses»,précise Maryline Martin. Un exemple: auMoyenAge, leboisn’étaitpassciémaisfen-duavecunesortedehache, ladoloire,etundépartoire. On pouvait même faire desmeubles avec cette techniquequi respectesesfibresetprotègeleboisdelapourriture.

Autre découverte: pour la voûte à croi-sée d’ogives, une fois le coffrage réalisé, lacléa été lepremierélémentposé«afinquelesvoussoirs viennent la rencontrer commeunpointdemire,alorsqu’enterminantparla clé, comme on croyait que ça se prati-

quait, il serait impossible de bien régler lemontage et on aurait undécalage. C’est unregard inédit», constate FlorianRenucci.

«A travers le geste et les études, on essaied’obtenirdesrésultatsquiressemblentcom-medeuxgouttes d’eau à l’objet archéologi-que, sur les plansde la forme, de la taille, dela texture, des traces des outils… Toutefois,lesprocessusayantétéperdus,onnepourrajamais dire avec certitude que c’était ainsi.C’est l’absolue ressemblanceavecdesobjetsarchéologiques qui est pour nous la preuvede la réussite», conclut le maître d’œuvre.Ce qui nemanquera pas de poser des pro-blèmesauxarchéologuesde l’an3000. p

Pour visiter Guédelon, renseignements surwww.guedelon.fr

Lepouceduseigneur commeunitédemesure

«Il y aundialogueentre les pragmatiques

qui bâtissent etles scientifiques»

MarylineMartinporteuseduprojetGuédelon

«L’intérêtdeGuédelon, c’est saconstruction»

Lesunités demesurede longueurse rapportent, auMoyenAge, à lamorphologiehumaine. Le systè-memétriquen’existantpas, cesmesures sont généralement cellesdu commanditaire, en l’occurren-ce celle du seigneur, et elles corres-pondentà la largeurde sonpoucequi est la valeur de base (le pouce),à la largeur de lapaumede lamain (lapaume) qui correspondà3pouces, à l’écartemententrel’auriculaire et lemajeur (la pal-me) qui fait 5 pouces, à l’écarte-ment entre l’auriculaire et le pou-ce (l’empan)qui représente8 pou-ces, à la longueurdubras et de lamain (la coudée) qui équivaut àunempanetunpied, à la distanceentre les deuxbras écartés (la toi-se) qui représente6pieds.Uneétu-de sur le châteauvoisindeRatilly,datantde 1270, a permisde savoirque la valeur dupoucey corres-pondait à 2,5cm. C’est donc ellequi a été adaptée àGuédelon. Ain-si, sur le chantier, la paumemesu-re 7,5cm, la palme 12,5cm, l’em-pan20cm, le pied 30cm, la cou-dée 50cmet la toise 1,80m. Tou-tes cesmesures sont reportéesparchacundes ouvriers qui en a l’uti-lité surune règle appeléepige. Ilsont aussi une corde à 13nœudsdiviséeen 12 intervalles réguliers,d’une coudée chacun.

Les tailleursde pierre

à l’ouvrageau château

deGuédelon,en avril.

FRANÇOIS FOLCHER

Archéologue, chercheuse, maî-tre de conférences à Lyon-II,Anne Baud accompagne lechâteau de Guédelon depuis

les débuts duprojet.

Que vous apporteGuédelon et quelui apportez-vous?

Le projet est hyper intéressant. Ildonneune autre imagede la rechercheuniversitaire, qui reste souvent confi-née dans les labos où on reste entrenous et où onpublie des articles qui nesont lus que par nous. On a une visiondelaconstructionquiresteconceptuel-le, là on est dans lamatière.

Guédelon est un extraordinairelaboratoire, qui, de plus, est ouvert aupublic; çane se fait pasdansunebulle.On peut analyser un bâtiment à lafaçond’unhistoriend’art,mais ici c’estautre chose, ce n’est pas la mêmedémarche. On est à la place duconstructeur, on y retrouve la trans-mission orale, comme dans le passé,lorsquetoutlesavoirpassaitpar lebou-che-à-oreille. Ce fut le cas, par exem-ple, avec un tailleur de pierre venu surplacemaisquiexerceàl’abbayedeClu-ny,enSaône-et-Loire,etdont la familleest dans le métier depuis le début duXVIIIesiècle.Oràcetteépoque, les tech-niques, les gestes et les outils étaientles mêmes qu’au Moyen Age. Tout cetensemble crée une synergie incroya-ble. On a fidélisé des chercheurs pas-sionnés par les hommes et par lesmétiers.

Au début, je suis surtout intervenuesur les questions d’appareils. Autreexemple,pourlesmortiers,onapropo-séd’analyserceluiutiliséauchâteaudeSaint-Fargeau, dans l’Yonne, pourconnaîtresacomposition.Aprèsobten-tion des résultats, on a pu choisir etaujourd’hui il est parfait. On en estactuellement à la phase exploratoiredes enduits ; la chambre seigneurialeconstitue un premier exemple, certai-nement à améliorer. Il y a un projet demoulinpourlequelonvientdepasseràlamiseenœuvre.Poursaconstruction,

on va s’appuyer sur la thèse de GillesRollier, archéologue à l’Inrap, consa-créeà l’hydrauliquemédiévale. Ilsvontaborderlachapellecastraleetjelesaide-rai à trouver le projet de construction.Tout ça fait partie des conseils techni-quesqu’onpeut apporter.

Inversement, nous travaillons aussisur l’abbaye de Cluny, et Guédelonnous a donné l’opportunité de vérifiercertaineshypothèses.Onaretrouvé lesgestesduMoyenAge,portésparlenatu-rel et l’économie, ce qui fait une grossedifférence avec la restauration. Nousavonsdes échangesdenseset extrême-ment riches.

L’intérêt de Guédelon, ce n’est pas leproduit fini, c’est sa construction. Et,aujourd’hui, on remplit l’objectif.

Comment se transmet tout ce savoiracquis à Guédelon?

Nous avons un groupe de travail àLyon, à la Maison de l’Orient et de laMéditerranée, qui réunit sur un seulsite des unités de recherche qui étu-dient les civilisations de la Méditerra-née, du Proche et duMoyen-Orient, unlieuunique en France.

Depuis trois ans, nous y organisonschaque année, sur un thème transver-sal, trois rencontres etun séminaire. Lapremièreannée,cefut l’approvisionne-ment et les modes de transport, ladeuxième, lamise enœuvre, et la troi-sième, des aspects très techniques liésau montage des matériaux, dont leséchafaudages.

D’autres sujets, portant sur laconstruction, peuvent y être abordés.Différents laboratoiresde recherchedel’universitéLyon-IIetduCNRSypartici-pent,ainsiqu’àchaquefoisuneperson-ne de Guédelon. C’est très ouvert surl’extérieur, avec des représentantsd’autres universités, des archéologuesdelaDRACetdescollectivitésterritoria-les, des restaurateurs, des tailleurs depierre… Ce ne sont pas les institutionsqui nous intéressent,mais les gens quitravaillent, chacun arrivant avec sonexpérience. Ces rencontres sont aussi

ouvertes aux étudiants. Au début, on acommencé dans une petite pièce et,maintenant, nous remplissons unamphithéâtre de près de cent places.SansGuédelon, onn’aurait pas réussi àlier cette sauce.

Nous allons monter un colloqueinternational à Guédelon, probable-ment en 2015, avec des chercheurs, deshistoriens de l’architecture, des ingé-nieurs, des archéologues, des tailleursde pierre, des restaurateurs… Ce n’estpas courant de mélanger des scientifi-ques avec des praticiens. Le cadre ensera le travail des matériaux en Occi-dent et en Orient, de l’Antiquité à larévolution industrielle, période aucours de laquelle peu de choses ontchangé dans ce domaine. Nous auronsdes thèmes comme la pierre et la terre,de leur extraction aux chantiers deconstruction, la mise en œuvre (parexemple comment onmonteune voû-te), les traces laissées sur les construc-tions, le verre, sa fabrication et sontransport, les enduits, les badigeons etlesmortiers.

Une telle expériencene doit pas fai-re l’unanimité chez les universitai-res. Comment est-elle perçue?

Guédelonest unique enEurope et cemélange de gens travaillant sur le ter-rain avec un groupe de chercheursn’est pas encore bien perçupar la com-munauté scientifique.

Audébut, il y avaitdavantagedeper-sonnes hostiles, dont certainesn’étaient jamais venues au chantier, cequi peut être encore le cas. Comment,dans ces conditions, peuvent-elles por-ter un jugement? Elles reprochent àGuédelon d’être un faux château fort,ajoutant qu’à l’époque sept à huit ansauraient suffi pour le construire etqu’on mettra plus du triple de temps.On touche vite à l’amour-propre… sur-tout chez leshommes.

Quoiqu’il ensoit,Guédelonne laissepas indifférent. Et c’est bon signe. p

Proposrecueillis parF. Go.

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Page 6: SCI - 18 Septembre 2013

C’est la grand-messe annuel-le de la science improbable,le télescopagede la recher-che et de la rigolade, j’ai

nommé la cérémonie des IgNobel.Organiséedans le cadre de la presti-gieuseuniversité américaineHar-

vard, elle récompense ces cher-cheurs qui, volontairementoupas(le plus souvent «pas»), ont réalisédes travauxqui prêtent à sourire…puis à réfléchir sur lamanière dontla science aborde les questions lesplus étranges. La cuvée 2013 a étédévoilée jeudi 12septembre, et lemoins que l’onpuisse dire est qu’ils’agit d’un grand cru.

Fautedeplace, onnepourradétailler ici tout le palmarès,mais lechroniqueurde l’improbableprometde revenir rapidement sur l’une oul’autre despépites retenuespar lecomité IgNobel. Onne résistera tou-tefois pas auplaisir d’annoncerque,dans la catégoriemédecine, la distinc-tion est revenue àdes Japonais ayantmontréquedes souris subissantunetransplantationcardiaque tout enécoutantde l’opéra vivaientpluslongtempsque celles opérées sanscettemusique.Onattend lamêmeexpérienceavecdu JustinBieber.

Une autre équipe nippone a étérécompensée, en chimie cette fois,pour avoir expliqué que la raisonpour laquelle on pleure en éplu-chant des oignons s’avère encoreplus complexe que ce que les scienti-

fiques pensaient…Dans la catégorieprobabilités ont été couronnés deschercheurs disant que, plus long-temps les vaches sont couchées,plus il est probable qu’elles vontbientôt se relever. Un prix ample-mentmérité.

Et puis, il y a cette étude françai-se,menée par Laurent Bègue, del’université Pierre-Mendès-FrancedeGrenoble, qui a décroché l’IgNobel de psychologie, un des plusdisputés tant les candidats au loufo-que involontaire sont nombreuxdans la discipline. Ce travail, publiéen 2012 dans le British Journal of Psy-chology, a démontré l’influence del’alcool sur l’image qu’on a de soi.Dans une première expérience, leschercheurs ont constaté que lespiliers de comptoir se sentaient par-ticulièrement attirants.Mais cela nedisait pas dans quel sensmarchaitla relation de causalité : boireconduisait-il à se voir plaisant oubien était-ce l’inverse? Un secondessai, astucieux, a permis de tran-cher : lors d’un faux test pour unenouvelle boisson, les personnesayant ingéré de l’alcool ou croyanten avoir bu se trouvaient nettement

plus attirantes que les sobres. Alcoo-los, que vous êtes beaux.

Il existe aussiun IgNobel de lapaix, aussimoqueurque sonéquiva-lentNobel est prestigieux.Cetteannée, il a étédécernéauprésidentde la Biélorussie,AlexandreLouka-chenko.En 2011, en réponseàunesériedemanifestationsdont lesparti-cipants se contentaientd’applaudiren signedeprotestationcontre lerégime, cet immensedémocrate afaitpasserune loi interdisant ce typede rassemblement. Loukachenkopar-tage sonprixavec lapolice biélorussequi, pleinede zèle à appliquercettenouvelle législation, est parvenueàarrêterunapplaudisseur…manchot.

Ce n’est pas la première fois qu’unchef d’Etat est distinguépar un IgNobel de la paix. En 1996, un certainJacques Chirac, président de la Répu-blique française, avait été récompen-sé pour avoir, l’annéeprécédente,célébré le 50eanniversaire des bom-bardementsd’Hiroshimaet deNaga-saki en reprenant les essais nucléai-res dans le Pacifique. Curieusement,ni Jacques Chirac ni Alexandre Lou-kachenkone se sont rendus àHar-vardpour recevoir leur prix.p

BosondeHiggscontrecerveauxdeBoltzmann

IMPROBAB LO LOG I E

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Le bosondeHiggs peut-il noussauverde lamenacedes cer-veauxdeBoltzmann?Cen’est pasun filmde science-

fiction, de type série Z,mais le résul-tat d’une étude tout à fait sérieuse

(arXiv:1308.4686v1),portant surl’Univers et sur notre réalité commeobservateurs conscients.

LudwigBoltzmann,physicienautrichien (1844-1906), est l’auteurd’uneavancée fondamentale liée audeuxièmeprincipede la thermody-namiqueet à son interprétationmicroscopique: si on considèreunsystèmephysique isolé, son évolu-tion l’amèneravers des états de plusgranddésordre.

Notons au passage qu’il a dûbatailler toute sa vie contre un cou-rant philosophiquequi allait jus-qu’à nier l’existencedes atomes. Cet-te lutte laissa des traces sur sa santépsychique et le poussa vers unemort tragique.

Boltzmann lui-mêmeavait remar-qué que l’état dumonde autour denous, hautement organisé, est encontradiction avec le désordre quidevrait y régner. Naturellement, laTerre n’est pas un système isolé :nous recevons de l’énergie du Soleilpuis la rejetons sous une formedégradée.

Malgré ce principe, d’unpoint devuemicroscopique, il peut y avoirdes fluctuations, limitéesdans l’espa-

ce et le temps, vers des états plusordonnés.Boltzmannet Poincaréontétudié la probabilitéde ces fluctua-tionset leur temps caractéristiquedeformation. Il se trouvequ’il seraitbienplusprobabled’assister à la for-mationd’un cerveau sans corpsqu’àla création spontanéed’un écosystè-meorganisé comme lenôtre, avecdes êtres conscients.Un tel cerveaupourrait êtredoté de lamêmeorgani-sation interneque lemienou levôtre, étant pourvude conscience,souvenirs, fantaisies et rêves. Saufque tout celane correspondrait pas àsonvrai vécu – il n’enapas –maisjuste àune folie de la nature.

Le paradoxe suivant surgit alors :comment pouvons-nous être cer-tains de ne pas être des cerveauxdece type? Dumoment que lemondepermet cette bizarrerie, il n’y a pasmoyende distinguer par l’expérien-ce un cas de l’autre. Voilà ce quiinquiète un certain nombre de phy-siciens.

Cetteperspectivenem’apasempê-chédedormir, à la différencede cer-tainesde ces chroniques.Néan-moins, ce typede questionnementn’est pasnécessairement inutile. Les

contradictions logiques dansnosthéoriespeuventouvrir la voie à desthéoriesplusprofondes, commecefut le cas d’expériencesdepenséemenéespar Einstein.

Selon les auteursduprestigieuxlaboratoire californiendeCaltech, lebosondeHiggspeut nous sauverduparadoxe. La particule récemmentdécouverteauCERNest associéeàunephasede l’Univers. Si cette phasen’était pas stable, il pourrait y avoirune transition spontanéeversunautre état. C’est unpeu commesil’Univers était forméd’eauencoreliquide,mais très légèrement endes-sousde la températurede solidifica-tion. Tôt ou tard, il deviendraitungros cristal de glace. Si le temps typi-quede cette transitionest suffisam-ment court (mais pas trop, histoiredenous laisser réfléchir tranquille-ment auproblème), on coupe court àlapossibilité que les cerveauxdeBoltzmannpuissent apparaître.Selon l’article, l’Universpourrait êtredansunephasede ce type.

Pour ce qui est de l’augmentationdudésordre, j’en ai despreuves irré-futables en observant l’état demonbureau, au fil des jours.p

L’espace,moded’emploi

L’aventurespatialecôtépratique:pourquoi, commentetavecquoiparvenons-nousàquitter laTerre?

Alcoolos,quevousêtesbeaux

Laurent Brasier

Fureter dans le Système solaire n’est pasune si mince affaire qu’il y paraît, ainsique le rappelle la mise sur la selletterécente des projets demissions habitées

vers Mars. Pourtant, l’espace est tout proche(100kilomètres à peine au-dessus du plancherdes vaches) et l’atteindre est un défi que nousrelevonsdéjàdepuisplusieursdécennies. Seule-mentvoilà: franchirces100kilomètresà laverti-caleest infinimentpluscomplexequedelespar-courirhorizontalement,envoituresurl’autorou-te. C’est ce que nous explique Yaël Nazé dansVoyager dans l’espace, petit ouvrage qui abordele vol spatial de façon concrète et ludique.

Pourquoidiablese rendredans l’espace?Com-ments’yprendre?Quandpartiretquel trajet sui-vre pour parvenir à destination? Et, une foislà-haut,àquellesdifficultéss’attendre?Autantdesujets qui pourraient devenir rébarbatifs, maisque l’auteure belge, spécialiste des étoilesmassi-vesàl’Institutd’astrophysiqueetdegéophysiqueàl’universitédeLiège,s’entendàfairedécoller,enrendant ces sujets accessibles et vivants. Ainsil’inévitable entrée enmatière historique est-elle«boostée» par les fusées à poudre médiévalechinoises et s’arrête-t-elle au vol suborbital de lafusée V2, en juin1944, présentée, une fois n’estpascoutume, commeunearme«minable».

La peau et le sang d’un vaisseauHappé, le lecteur ne risquera pas, ensuite, de

s’égarer, même s’il n’a aucune notion de ce quesont les «points de Lagrange» ou l’«effet fron-de», s’il ignore pourquoi il est impossible devirer brutalement dans l’espace, à quoi sert uneantenne LGA ou combien la poussière lunaireestembarrassante.Car l’auteure, voixsingulièrede la vulgarisation, se fait entendre à coups deformules bien senties et parfois drôles, évo-quant cette satanéeplanète qui «nous tient plusfort qu’une bigote étreignant son rosaire» oucomparantcertainesmissionsà«un trekkingenAfghanistan».

Elle sait aussi et surtout se faire comprendre,filant souvent lamétaphoreutile (le vaisseauvucommeun être vivant doté d’un squelette, d’uncerveau, de peau, de sang et d’organes), n’hési-tant pas à raccorder le lecteur à son quotidien(savez-vousqu’à l’aided’unesimplechaiseàrou-lettesetd’ungrosballondebasket, il estpossibled’éprouver les sensations de la propulsion spa-tiale?) et à mobiliser son attention en limitantl’usagedujargon(lespropulsionsioniqueetélec-tromagnétique «valent leur pesant de cacahuè-tes») – quitte à faire un usage (immodéré!) de laformeexclamative.

Celasansriensacrifierausérieuxdel’informa-tion, à l’aide de très nombreux encadrés,tableaux et illustrations, grâce auxquels mêmeles plus réticents en physique saisiront aisé-ment ce qu’il faut de mécanique céleste. Puis-que, comme on l’apprend parmi mille détails,les Français dépensent autant en jeuxde hasardqu’ils contribuent au spatial européen à traversl’ESA,onnesaurait tropleurconseillerderognersur la première catégorie afin de se procurer cetimpeccableprécis duvoyagedans l’espace.p

Voyager dans l’espace, de Yaël Nazé, CNRS Editions,144p., 22¤.

L E S COU L I S S E SD E L A PA I L L A S S E

MarcoZitoPhysicien des particules,

Commissariatàl’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

L’animal leplus laiddumonde

SCIENCE&MÉDECINE r e n d e z - v o u s

CollectionUnenouvelle génération de livresaudio au service desmalvoyantsGrâce à denouvelles technologies comme lasynthèsede la parole qui permetde vocalisertrès rapidementdes contenusécrits,l’associationValentinHaüy est enmesure demettrepresque instantanémentà ladispositionde sesusagers denouveaux titres.Ainsi, trente romansde la rentrée littéraire, luspar la synthèse vocaleAcapela, sontdéjàdisponiblesdans sa bibliothèquenumérique,Eole. L’inscriptionet l’emprunt des livres audiosont gratuits, par téléchargementouCD.> http://eole.avh.asso.fr/

L E L I V R E

Il n’y a pas que les pandas et les ours. Il y a aussiPsychrolutesmarcidus, aliasBlobfish, un poissondes abysses australiens et tasmaniensmenacépar la surpêche. Il vient d’être élu «animal le pluslaid de la planète» à l’issued’un vote organiséparla Société depréservationdes animaux laids,

à l’occasionduBritish Science Festival deNewcastle. L’idée: défendre la cause d’espècesmenacéesd’extinctionqui, pénaliséespar leurphysique ingrat, disparaissent dans l’indifférencegénérale.(PHOTO: CATERS NEWS AGENCY/SIPA)

Livraison

6 0123Mercredi 18 septembre 2013

Page 7: SCI - 18 Septembre 2013

Lesabeilles,petitsgéniesduBTP

Nicolas Lepeltier

On la connaissait insecte social,ouvrière laborieuse, butineuse fré-nétique, pollinisatrice essentielle àla biodiversité ou encore formida-

ble sentinelle, pour l’homme, d’un environne-ment sans cesse dégradé. L’abeille se révéle-rait-elle également excellente physicienne?

Depuis des siècles, les scientifiques se sontinterrogés sur le rôle exact d’Apismelliferadans la géométrie quasi parfaite des alvéolesdans lesquelles l’hyménoptère stockemiel etpollen ou pond sesœufs – les astronomesGalilée et JohannesKepler eux-mêmesn’ontpas trouvé de réponse à l’énigme. Une équipede scientifiques conduite par BhushanKari-haloo (université de Cardiff) s’y est collée. Lesrésultats de leur étude ont été publiésmi-juillet dans la revue Interfacede la RoyalSociety britannique.

Les petites cavités en cire, rappellent leschercheurs, sont d’abord circulaires,mode-lées par le corps de l’abeille, avant de se trans-former en hexagone arrondi au fur et àmesu-re de la constructiondu nid. Jusque-là riend’extraordinaire, lemécanisme à l’œuvre estconnudepuis que le philosophe grec Aristotel’avait consigné, dès le IVesiècle avantJ.-C.,dans son ouvrageHistoire des animaux.

Dans le cas des abeilles, les alvéoles s’agglo-mèrent, comme le feraient des bulles desavondans un bain, selon la forme optimale,pour «souder» des cylindres entre eux, soitl’hexagone, le polygone qui, comparés au car-ré et au triangle équilatéral (autres formesgéométriques régulières permettant de cou-vrir un espace), présentent l’avantage d’avoirle plus petit périmètre pour paver unemêmesurface.

Apismelliferaparviendrait donc à construi-re ses alvéoles en consommant lemoins d’ef-fort et lemoins dematière première. CharlesDarwin l’avait souligné, qui jugeait le nidd’abeilles «absolument parfait en économi-sant lamain-d’œuvre et la cire».

En revanche, plus étonnant est le rôle-cléjouépar les abeillesdans le processusde trans-formationqui, relèvent les chercheursbritan-niques, repose sur l’écoulementde la cirechauffée à la jonctionentre les différentescavités. L’équipedeBhushanKarihalooamon-tréque leshyménoptères, besognant sans relâ-che en rangs serrés à la constructiondes ran-géesd’alvéoles, produisent ainsi la chaleurquipermettra la fonte de la cire, phénomènequisurvient àune températurede 45˚C. Celle-cis’écoule alors commeun liquideélastique lelongdes points de jonctiondes cellules selonle «mécanismedes bulles de savon», formantainsi deshexagones.

Il ressort donc de l’étudebritanniqueque lagéométrieparfaite des alvéoles tient plusdeslois de la physiqueque du réel talent desabeilles auxquellesdes théories ont, par le pas-sé, prêté des aptitudes à calculer des angles etdes longueursmathématiques.Toutefois, l’in-secten’endemeurepasmoinsun formidablebâtisseur, capablepar exempled’utiliser satête commeun fil à plombpourmesurer lesverticales et s’assurer ainsi de la stabilité dunid. «Nousne pouvonsque nous émerveillerdevant le rôle joué par les abeilles dans ce pro-cessus, lorsqu’elles chauffent, pétrissent etamincissent la cire exactement là où c’est néces-saire», reconnaissent les chercheurs deCar-diff. Et leurs découvertespourraient trouverdes applicationsdans le génie civil. Des struc-tures artificielles s’inspirantdes alvéoleshexa-gonalesdes abeilles pourraient ainsi renforcerla solidité d’édifices en construction.p

Z O O L O G I E

r e n d e z - v o u s SCIENCE&MÉDECINE

Florence Rosier

La pétition qu’il a lancée le 25août,«Pour un débat public sur la san-té», ne contredit pas son image debretteur médiatique. Habitué desplateaux télévisés et radio, le pro-fesseurAndréGrimaldi, diabétolo-

gue,yferrailledelonguedatepourdéfendrel’ac-cès aux soins pour tous. «J’ai découvert la seulearmeefficacepourfaireréagirnosgouvernants:les médias», avoue-t-il dans son livre La Santéécartelée (Dialogues, 224p., 16,90euros).

Avec cet appel publié dans Le Parisien, l’an-cien chef de service de diabétologie de La Pitié-Salpétrière réussit un exploit : rassembler lessignaturesdeplusde2000personnalités,politi-ques de tout bord et chercheurs de toutes disci-plines –mais aussi, pêle-mêle,médecins «purset durs» du service public ou connus pour leuractivitélibéraleforcenée.Un«mariagede lacar-pe et du lapin», pour certains. «AndréGrimaldiestunremarquableclinicien:c’estcequidétermi-nesoncombat,et sapositionpermanented’avo-cat des patients, relève Arnaud Basdevant, pro-fesseur d’endocrinologie, son voisin à l’hôpitalde la Pitié-Salpêtrière de Paris. C’est aussi ce quiexplique sa crédibilité d’homme de terrain,au-delàdes clivageshabituels.» «Il fait partiedeces médecins “moines-soldats” de l’hôpitalpublic», renchéritGérardVincent,déléguégéné-ral de la FédérationhospitalièredeFrance.

Le service public est pour André Grimaldiune culture familiale : «Mon grand-père étaitcheminotetmonpèrepostier», confielediabéto-logue. Il a quelque chosede l’hommepressé: cemouvement qui l’emporte, cette vivacité d’es-prit, cephraséprécipité.Unesingulièreénergie,à69ans,etdesfacultésd’indignationintactes. Ilneseprivepasàl’occasiond’étrillerlesjournalis-tes de la pressemédicale: «Vous faites le jeu del’industriepharmaceutique!» Ilsaitaussis’adou-cir,parleravecchaleurdecemétierqui l’habite:ladiabétologie.

Quand il se lance dans cette spécialité, ildécouvre, à la Pitié, un service «à la traîne» etdécide, en 1989, de lemoderniser.Met enplaceunemédecine ambulatoire. Crée les premières«unités fonctionnelles», organiséespar thème(pompes à insuline, pied diabétique…) autourdu patient et non plus du médecin. C’est unerévolution. Il sera l’un des pionniers du déve-loppement de l’éducation thérapeutique. Il luifaudraplusdedixanspourréussircettemoder-nisation: «Une course de fond en solitaire audébut,puisheureusementenéquipe.»

Maisavantcela, ilyaeumai1968: ledébutdumilitantisme, pour AndréGrimaldi. Il y entrerapar sa lutte contre « l’arbitraire assumé» quereprésentait l’oral de l’internat – supprimé en1968. Ilmiliteradix ans au sein de la Ligue com-muniste révolutionnaire (LCR). «J’ai quitté cemouvementenperdantmesillusionssurlasocié-té d’abondance, qui donnerait “à chacun selonsesbesoins”.Aujourd’hui,jesuisconvaincuquela

régulationdenotresystèmedesoinsest légitime.Resteàdiscuterdesesmodalités.»Sitousnepar-tagent pas – loin s’en faut – ses combats politi-ques,nulnedoutedesasincérité.«C’estunhom-megénéreux,trèssensibleauxinégalités,attentifau respect d’un fonctionnement démocratique,attesteuncollègueproche.C’estdanssonbesoinpermanentde se référer à l’histoire qu’il puise saphilosophie de la pratique médicale, bienau-delà de la seule technique.» «On s’imaginebienmaladeavec lui, avec toute l’empathiequ’ilpeut avoir, note Gérard Vincent.Onme dit par-fois : “C’est un gauchiste utopique!" Je répondsqu’il est animépar le sens de l’intérêt du patient.Certains sont dans le public sans en avoir l’éthi-que,pas lui.»

L’objectif de sa pétition? Susciter un «vraidébat démocratique, qui se conclurait par unvoteauParlement» sur l’avenirde l’Assurance-maladie. Celle-ci serait «menacée de privatisa-tion rampante», du fait de la place croissantedescomplémentairessantédanslerembourse-ment des soins. «Son combatmérite d’être affi-né, nuanceGérardVincent. Ilne fautpasmettredanslemêmesac lesmutuelles,quiontuneéthi-que, et les assureursprivés, qui veulentmaximi-ser leurs profits – au risque de sortir d’un systè-me solidaire.» «Il mène un combat d’une gran-

degénérosité,mais sa visiondu systèmede san-téestplusthéoriquequepragmatique,jugeJean-Martin Cohen Solal, délégué général de laMutualitéfrançaise.QuelaSécuritésocialerem-bourse tout à 100%, tout le monde peut le sou-haiter. Mais c’est hors de la réalité. En stigmati-santlesmutuelles,il setromped’objectif.Lesper-sonnesquin’enontpas renoncentaux soins.»AquoiAndréGrimaldi répond:«Lesmutuellessecomportentdeplusenpluscommedesassuran-ces privées.»

« Il poursuit l’idée, irréaliste, d’un complotpour la privatisation du système de santé, indi-queClaudeLePen,économistedelasantéàl’uni-versitéParis-Dauphine.C’estvraique,depuisplu-sieurs années, les gouvernements développentune logique gestionnaire du système de soins.Mais cette gestion améliore la performance dusystème: c’est une alternative à la privatisa-tion!»André Grimaldi a fait le diagnostic de cequi n’allait pas dans l’hôpital public. «C’est unlanceur d’alerte, résume Arnaud Basdevant. Ilexprime une conscience, sans jamais chercher àse placer.» En 2009, lemilieumédical assistait,léthargique, aux réformes de l’hôpital. «AndréGrimaldiaprovoquéleursursaut.Aufond, il rap-pelleauxmédecinshospitaliersleurengagementfondamentalvis-à-visdespatients.» p

AndréGrimaldi,«poilàgratter»hospitalierp o r t r a i t | Croisédel’accèsauxsoinspourtous,cediabétologuerappelleauxmédecinsleurengagementvis-à-visdespatients

a f f a i r e d e l o g i q u e

«Ons’imagine bienmalade avec lui,avec toute l’empathie qu’ilpeut avoir. Il est animépar l’intérêt dupatient»

Gérardvincentdéléguégénéral de la Fédérationhospitalièrede France

CECIL MATHIEU POUR «LE MONDE»

L’abeille semble construire les alvéolesde sa ruche en consommant lemoins

d’effort et dematière première possible.LISI NIESNER/REUTERS

70123Mercredi 18 septembre 2013

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8 0123Mercredi 18 septembre 2013 SCIENCE&MÉDECINE

PourleprofesseurJoëlMénard,quiapréparéleplanAlzheimer2008-2013, l’effortnationalentreprisen2001doitcontinuer,etil fautmiserencoredavantagesurlapréventiondecettemaladieneurodégénérative

PlanAlzheimer2020:lamémoireetlacontinuité| t r i b u n e |

¶Joël Ménard est professeurémérite de santé publiqueà la faculté demédecineParis-Descartes. Directeurgénéral de la santé de 1997à 1999, il a préparé le planAlzheimer 2008-2013 et

présidé le conseilscientifique de la

Fondation Plan Alzheimer.

Q uels sont les objectifs d’un plan de santépublique? Protéger les intérêts des person-nesmalades, encourager le progrès scientifi-que et l’appliquer, renforcer la solidarité

nationale. Pour la maladie d’Alzheimer, la plus fré-quentedesneurodégénérescencescérébrales,quatrethématiques et sept réflexions peuvent orienter leschoixàfaireàlafinduplanduprésidentSarkozypro-longépar le présidentHollande.

Le système d’information Quel calvaire fut, aucours du plan 2008-2013, la recherche incessante dechiffres, sans lesquels on ne pouvait ni voir ni agir !Chacundanssonadministration,sonagence, sacais-sed’assurances,gardeses informations,sanslesvéri-fier suffisamment et, surtout, sans les analyser viteet collectivement demanière objective. Nous avonsencorebienbesoindetransparenceetdoncdepilota-ge de l’actionpublique.

Le systèmede réflexion La Fondation Plan Alzhei-mer a été conçue pour être le «cerveau» de la luttescientifique, médicale et sociale contre la maladie.Elle a cherché sans cesseà augmenter la compétitivi-téde la Francedans ledomainede la recherche. Elle aeu les financements publics et privés nécessairespour faire avancer la connaissance et la découverte.Le directeur de la Fondation, Philippe Amouyel, aouvert la recherchefrançaiseà toute l’Europeenpré-sidant le JPND (Joint Program of Research on NeuroDegenerativeDiseases).Aulieudes’embourberdansdescompétitionsentreinstitutions,régionsetindivi-dus, laFranceconquiertsaplacedansdessociétésdif-férentes et sur les marchés extérieurs. Mais ce rangn’existeraquegrâce à des impulsionsnationales.

Le système de formation Le nombre de profes-sions mises à contribution autour de la maladied’Alzheimer est élevé dans les champsscientifiques,médicaux et sociaux. Il faut en permanence former,pour intégrer dans les pratiques les avancées desconnaissances. Les fonctionsnouvelles, telles que lesassistants de soins en gérontologie pour les person-nes âgées ayant des troubles graves du comporte-ment,ontconduitàlacréationd’enseignementsnou-veaux.Laformationdessoignantsàlarechercheclini-que et la participation à une réflexion de tous surl’éthique de la communication avec les personnesmaladescomplètentceteffortnationaldeformation.

Le système de gestion La prise en charge de proxi-mité des personnesmalades et des familles dépendde la mise enœuvre des solutions d’intégration desstructures trouvéesgrâceàuneconcertationperma-

nente entre les agences régionales de santé, lesconseils généraux, lesmunicipalités. La désignationd’un«responsableAlzheimer»danschaquerégionaété conçue comme unmoyen essentiel de favoriseret de faire connaître les initiatives locales.

Voicilesréflexionsquipeuventaiderà lacontinui-té dans l’effort de tous.

Cinq ans est un intervalle de temps ridiculementcourtvis-à-visd’unemaladiechroniquedeplusieursdécennies et de nature encore inconnue. L’arrêt desplansAlzheimer,enchaînésde2001à2013,favorable-ment évalués par la Cour des comptes, illustreraitl’inconstance des politiques de santé publique enFrance. Notre pays a été mondialement salué pourson volontarisme et ses efforts d’organisation danscedomaine.LesFrançais risquent fortd’être taxésde

pusillanimité, si l’on constate que l’effort spécifiqueannoncé et réussi n’aura duré que six années,d’autant plus que le président Obama et le premierministre anglais revendiquent maintenant le lea-dershipdans ce domainepour leG8du 11décembre.

L’effort de rapprochement de spécialitésmédica-les complémentaires pour les malades Alzheimerque sont la neurologie, la psychiatrie et la gériatrieest loind’êtreconfortépartout.Lamaladienepeutseréduire à des troubles de la mémoire (les neurolo-gues), des comportements apathiques ou agités (lespsychiatres) ou des composantes de la fragilité (lesgériatres). Le resserrementdes spécialités, autourdumalade,desonaccompagnantetdesonmédecintrai-tant est à peine initié. Il demandera de longuesannéesd’efforts, à contre-courantdes cultureset desintérêts catégoriels.

L’Alzheimern’estpasqu’uneneurodégénérescen-ce: c’est unemaladieneurovasculaire évitablepar laprévention cardiovasculaire primaire, secondaire ettertiaire. Il existe un continuum entre les formespurement neurodégénératives et les formes pure-

ment vasculaires. Les outils de prévention existent,mais sontmal utilisés, et le plan accident vasculairecérébral annoncé en 2010est…enplan!

Les tests de diagnostic et les thérapeutiques de lamaladied’Alzheimerconstituentunmarchéinterna-tionalcompétitifdans lequel laFrancen’existeprati-quementpas.Elleachèteàl’extérieurpresquetoutcequ’elle fait en recherche, en soins et enaccompagne-ment. La conceptionduplanAlzheimeravouludon-ner du poids, non pas à un groupe hospitalier ou àune université, mais à un pays entier pour qu’ildevienne capable depeser scientifiquement et com-mercialement. Donner comme objectifs aux cher-cheurs français ladécouverte, lavalidationet la valo-risation de tests diagnostiques et de thérapeutiquesen 2020-2030 sert à la fois les intérêts dumalade etdupays. Le délai est tenable.

Les nouveaux modes de fonctionnement testéspendantleplan2008-2013concernentlamiseenpla-ce d’un «management scientifique». Il a favorisé leséchanges entre les recherches biologiques, médica-les et sociales, suscité des travaux originaux com-muns,accru la formationdesplus jeunes, encouragéleurautonomieet leshabitudesdutravailengroupe.

L’autre innovation a consisté à ne plusmettre encompétitionsystématiquelesuniversitéset leshôpi-taux.Commelemontrera la comparaisonminutieu-se des informations de la Banque nationale Alzhei-mer, il estpossibledebiensoignerpartoutenFrance,departicipermieuxà la recherche cliniquedans cer-tains endroits, et de faire des percées scientifiquesdansd’autres places.

Lasantépubliqueseconstruitsurlesfaitsscientifi-ques, pas sur les changements administratifs. Unegrande nouvelle en 2012 a été queMmeAugusteD., lamalade dont Alzheimer a décrit en 1906 les troublescliniques et l’état du cerveau sous le microscope,avait une anomalie génétique précise. Des argu-ments indirects sont mis en avant pour dire que lemécanisme de la maladie d’Alzheimer des person-nes âgées (98% des cas) est similaire à celui desfamilles jeunes,maisplus lent, etplus tardif.Un trai-tement qui améliorerait les cas familiaux pourraitalors aider tous les autres,mais le chemin sera long.

Enattendant,c’est lapréventionet lesoindel’acci-dent vasculaire cérébral que l’on peut tout de suiteaméliorerpour réduire la part vasculaire de lamala-die d’Alzheimer. Toute la société s’organise pourqu’augmentent, dès le plus jeune âge, le niveau desconnaissances et les activités cérébrale, sociale etphysique. Une société mieux organisée et solidairefaitglobalementlapréventiondelamaladied’Alzhei-mer, et s’engage dans la course aux traitements defond. C’est unvrai programmepour 2020!p

«Les tests de diagnostic etles thérapeutiques de lamaladie

d’Alzheimer constituentunmarché international compétitif

dans lequel la Francen’existe pratiquement pas»

Le supplément «Science&médecine» publie chaquesemaine une tribune libreouverte aumonde de la recher-che. Si vous souhaitez soumet-tre un texte, prière de l’adres-ser à [email protected].

la fibre multimode la technique

une fibre multicœur

une fibre classique

SOURCE : CAILABSINFOGRAPHIE LE MONDEEchelle non respectée

La solution choisie par Cailabs est de faire passertous les modes dans un seul cœur, en les superposant.Jusqu’à 10 modes pourraient passer dans une fibrelégèrement plus large.

La superposition des modes est obtenue en modifiantprogressivement la forme de la lumière avantde l’injecter grâce à des miroirs en escalier qui« déphasent » petit à petit le faisceau. En sortiede fibres, on utilise la même technique pour séparerles modes.

Pour accroître encore les débits, on peutajouter plusieurs cœurs. Cela nécessite deslasers et des amplificateurs propres à chaquecœur. Une autre solution est de faire passerdans chaque cœur des « formes » de lumièredifférentes, appelées modes optiques.

Vidéo, visioconférence, stockagedans le « nuage » informatique... sollicitentde plus en plus les infrastructuresdes réseaux de télécommunications.Les besoins en débit sont décuplés tousles cinq à sept ans.Les équipementiers qui acheminent cesdonnées dans les fibres optiques saventdonc qu’ils devront innover avant 2020pour répondre à une telle croissance.Alcatel-Lucent a, en juillet, établi un recordà 31 térabits par seconde (31 000 milliardsde bits) sur 7 200 kilomètres. Mais satechnique, consistant notamment à fairepasser plus de 150 « couleurs » dans unefibre, ne suffira pas. Pour faire mieux,l’entreprise teste une nouvelle technologieinventée par la start-up Cailabs, issue dulaboratoire Kastler Brossel, à Paris(ENS, CNRS, UPMC).« L’objectif est de faire dix fois mieux.C’est prometteur », confirme Sébastien Bigo,d’Alcatel-Lucent. « Au départ, c’était pourréussir une expérience très fondamentalede mécanique quantique. La méthodeconduisait à modifier les modes d’un laser.Elle a intéressé les professionnels descommunications », raconte Jean-FrançoisMorizur, le fondateur de Cailabs.« Des alternatives existent, mais ellesdemandent beaucoup de traitementinformatique pour séparer en sortie de fibreles différents modes. Ce n’est pas le cas ici »,précise Massimiliano Salsi, d’Alcatel-Lucent.La technique, en sculptant de manièrecontrôlée la forme de la lumière, pourraitaussi améliorer la précision des découpesau laser.

Le signal est transporté par une lumière laser qui circuledans un cœur cylindrique en verre, entouré d’une gaine.Pour augmenter les débits, on peut moduler l’intensitéde la lumière ou multiplier les canaux en utilisantdifférentes couleurs ou polarisations (l’orientationdu champ électrique).

Une fibre optique dix fois plus performanteimpulsion lumineuse

cœur

modes différents

modes identiques

modes superposés entrée de la lumière

miroirs

sortie