SCI - 04 Septembre 2013

8
Influence intestine Le monde microbien qui habite nos entrailles, joue sur notre prise de poids, sur notre immunité, mais aussi sur nos comportements. PAGE2 Le retour de Manman Dlo-la ? Surchassé, le lamentin a disparu depuis un siècle des côtes de la Guadeloupe. Un programme vise à réintroduire ce héros de contes créoles. PAGE3 Le « samouraï » des maths Jean-Pierre Bourguignon quitte la direction de l’Institut des hautes études scientifiques, où il s’est consacré corps et âme à sa discipline. PAGE7 carte blanche Roland Lehoucq Astrophysicien, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (PHOTO : MARC CHAUMEIL) A près un printemps plutôt mitigé, l’été nous a régulièrement gratifiés de belles journées enso- leillées. Avez-vous profité d’être paresseusement allongé sur une chaise longue pour observer attentive- ment la couleur du ciel ? Avez-vous remarqué que son bleu n’est pas uniforme ? Pour expliquer cette palette de couleurs, examinons ce qui arrive à la lumière solaire en traversant la fine couche d’air qui enveloppe notre pla- nète. Elle peut d’abord être absorbée, c’est-à-dire captée par les molécules d’air qui se mettent alors à vibrer ou à tourner sur elles-mêmes. Ainsi, l’atmosphère est trans- parente à la lumière visible mais quasiment opaque à la lumière ultraviolette grâce aux molécules d’ozone – ce qui protège la vie de surface – et largement opaque à la lumière infrarouge à cause de la vapeur d’eau et du gaz carbonique – sources de l’effet de serre. La lumière peut aussi être diffusée, c’est-à-dire rediri- gée dans une autre direction que celle de la source dont elle provient. Le ciel apparaît donc lumineux ailleurs que dans la direction du Soleil. L’astronome en est mar- ri, car cela masque les étoiles en plein jour, ce qui ne serait pas le cas sur la Lune, dépourvue d’atmosphère. De plus, l’efficacité de la diffusion est différente selon les couleurs. Sur les molécules d’air, le bleu est beaucoup plus diffusé que le rouge. Ce phénomène de diffusion se constate aisément à la cuisine : de l’eau additionnée de quelques gouttes de lait prend un aspect bleuté quand elle est éclairée par une intense lumière blanche. Cette diffusion différentielle des couleurs explique que le ciel apparaisse bleu, couleur la plus diffusée, quand le regard porte ailleurs que vers le Soleil. Mais ce bleu n’est pas uniforme : en direction du zénith, le ciel est plus sombre que vers l’horizon, où il apparaît plus lumineux mais délavé, à la limite du blanc. La luminosité du ciel est égale à la quantité de lumiè- re diffusée dans la direction d’observation, et dépend donc du nombre de molécules diffusantes qui se trou- vent sur la ligne de visée. Ainsi, un point du ciel sera d’autant plus brillant que la direction dans laquelle il se trouve traverse une forte épaisseur d’atmosphère. Cela explique que le ciel apparaisse plus sombre depuis le sommet d’une montagne ou d’un avion que depuis le niveau de la mer car, en altitude, l’épaisseur d’at- mosphère qui vous surplombe est plus faible. L’épaisseur d’air que traverse la ligne de visée dépend aussi de sa hauteur au-dessus de l’horizon. Lorsque l’on regarde vers le zénith, l’épaisseur d’atmosphère traver- sée est minimale, et plus la ligne de visée est proche de l’horizon plus l’épaisseur d’air qu’elle traverse augmen- te : en visant l’horizon, l’épaisseur traversée est trente- huit fois supérieure à celle correspondant à une visée vers le zénith. Puisque l’épaisseur de l’atmosphère tra- versée est minimale au zénith, c’est dans cette région que le ciel apparaît le moins lumineux. En revanche, tout près de l’horizon, le ciel est plus lumineux, d’un bleu délavé tirant vers le blanc. Ce phé- nomène résulte du fait qu’il y a suffisamment de molé- cules d’air le long de la ligne de visée pour qu’il se pro- duise de multiples diffusions. La lumière visible, quelle que soit sa couleur, va donc être diffusée et rediffusée de nombreuses fois. Ce mélange des couleurs donnera à ces régions proches de l’horizon la couleur blanche de la lumière solaire. La prochaine fois, n’hésitez pas à bien observer le ciel : le plaisir de regarder et de comprendre la nature est pro- bablement le plus beau cadeau qu’elle nous fait. p Dégradé bleu ciel Humanoïdes 2.0 Le travail collaboratif des laboratoires et l’usage de plates-formes standardisées ont permis de faire évoluer les facultés cognitives et comportementales des robots. Mais cette forme d’« open source » se confronte à l’univers plus balisé de la protection intellectuelle. PAGES4-5 ÉMILE LOREAUX POUR « LE MONDE » Cahier du « Monde » N˚ 21345 daté Mercredi 4 septembre 2013 - Ne peut être vendu séparément

description

SCIENCES POLITIQUES

Transcript of SCI - 04 Septembre 2013

Page 1: SCI - 04 Septembre 2013

Influence intestine Lemondemicrobien qui habite nos entrailles,joue sur notre prise depoids,sur notre immunité,mais aussisur nos comportements. PAGE 2

Le retour deManmanDlo-la?Surchassé, le lamentin a disparu depuisun siècle des côtes de la Guadeloupe.Unprogramme vise à réintroduirece héros de contes créoles. PAGE 3

Le«samouraï» desmathsJean-Pierre Bourguignon quitte ladirection de l’Institut des hautes étudesscientifiques, où il s’est consacré corpset âme à sa discipline. PAGE 7

c a r t e b l an ch e

RolandLehoucqAstrophysicien,

Commissariat à l’énergieatomique et aux énergies

alternatives(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

A prèsunprintempsplutôtmitigé, l’éténousarégulièrementgratifiésdebelles journéesenso-leillées.Avez-vousprofitéd’êtreparesseusement

allongésurunechaise longuepourobserverattentive-ment la couleurduciel?Avez-vousremarquéque sonbleun’estpasuniforme?Pourexpliquercettepalettedecouleurs, examinonscequi arriveà la lumière solaireentraversant la finecouched’airqui enveloppenotrepla-nète. Ellepeutd’abordêtre absorbée, c’est-à-direcaptéepar lesmoléculesd’air qui semettentalorsàvibrerouàtournersur elles-mêmes.Ainsi, l’atmosphèreest trans-parenteà la lumièrevisiblemaisquasimentopaqueà lalumièreultraviolettegrâceauxmoléculesd’ozone–cequiprotège laviedesurface– et largementopaqueà lalumière infrarougeàcausede lavapeurd’eauet dugazcarbonique– sourcesde l’effetde serre.

La lumièrepeutaussi êtrediffusée, c’est-à-dire rediri-géedansuneautredirectionquecellede la sourcedontelleprovient. Le ciel apparaîtdonc lumineuxailleursquedans ladirectionduSoleil. L’astronomeenestmar-ri, car celamasque les étoilesenplein jour, cequineseraitpas le cas sur la Lune,dépourvued’atmosphère.

Deplus, l’efficacitéde ladiffusionestdifférenteselonles couleurs. Sur lesmoléculesd’air, lebleuestbeaucoupplusdiffuséque le rouge.Cephénomènedediffusionseconstateaisémentà la cuisine:de l’eauadditionnéedequelquesgouttesde laitprendunaspectbleutéquandelle est éclairéeparune intense lumièreblanche.Cettediffusiondifférentielledes couleursexpliqueque le cielapparaissebleu, couleur laplusdiffusée, quand leregardporteailleursquevers le Soleil.Mais cebleun’estpasuniforme: endirectionduzénith, le ciel estplussombrequevers l’horizon,où il apparaîtplus lumineuxmaisdélavé, à la limitedublanc.

La luminositéduciel est égale à laquantitéde lumiè-rediffuséedans ladirectiond’observation,etdépenddoncdunombredemoléculesdiffusantesqui se trou-vent sur la lignedevisée.Ainsi, unpointduciel serad’autantplusbrillantque ladirectiondans laquelle il setrouve traverseune forte épaisseurd’atmosphère.Celaexpliqueque le ciel apparaisseplussombredepuis lesommetd’unemontagneoud’unavionquedepuis leniveaude lamer car, enaltitude, l’épaisseurd’at-mosphèrequivous surplombeestplus faible.

L’épaisseurd’air que traverse la lignedeviséedépendaussi de sahauteur au-dessusde l’horizon. Lorsque l’onregardevers le zénith, l’épaisseurd’atmosphère traver-séeestminimale, et plus la lignedevisée est prochedel’horizonplus l’épaisseurd’air qu’elle traverseaugmen-te: envisant l’horizon, l’épaisseur traverséeest trente-huit fois supérieureà celle correspondantàuneviséevers le zénith. Puisque l’épaisseurde l’atmosphère tra-verséeestminimaleau zénith, c’est dans cette régionque le ciel apparaît lemoins lumineux.

En revanche, tout prèsde l’horizon, le ciel est pluslumineux,d’unbleudélavé tirant vers le blanc. Cephé-nomènerésultedu fait qu’il y a suffisammentdemolé-culesd’air le longde la lignedeviséepourqu’il sepro-duisedemultiplesdiffusions. La lumièrevisible, quellequesoit sa couleur, vadoncêtre diffuséeet rediffuséedenombreuses fois. Cemélangedes couleursdonnera àces régionsprochesde l’horizon la couleurblanchedela lumière solaire.

Laprochaine fois, n’hésitezpas àbienobserver le ciel :leplaisir de regarderet de comprendre lanature estpro-bablement leplusbeaucadeauqu’ellenous fait.p

Dégradébleu ciel

Humanoïdes2.0Le travail collaboratif des laboratoires et l’usagedeplates-formesstandardiséesontpermisde faire évoluer les facultés cognitives

et comportementalesdes robots.Mais cette formed’«opensource» se confronteà l’universplusbaliséde laprotection intellectuelle.PAGES 4-5

ÉMILE LOREAUX POUR « LE MONDE »

Cahier du «Monde »N˚ 21345 datéMercredi 4 septembre 2013 - Ne peut être vendu séparément

Page 2: SCI - 04 Septembre 2013

Wikipédia, thermomètredessujetsqui fâchentdans lemondeUneétudepermetd’identifier lesthèmesdeconflitdansdifférenteslanguesdelacélèbreencyclopédieenligne

Florence Rosier

Nous sommes, ànotre insu, le ter-reau fertile d’unebien étrange «forêttropicale» : les centmille milliards de

bactéries qui prospèrent en silencedansnosentrailles.Cette jungle intes-tine, les scientifiques la nomment«floremicrobienne» ou «microbioteintestinal».«Commepourlaforêt tro-picalenaturelle, la pertede la diversitébiologique de notre floremicrobienneposeproblème, souligne le professeurOluf Pederson, de l’université deCopenhague(Danemark).Plusnosbac-téries intestinales sont nombreuses etdiversifiées,meilleureestnotresanté.»Ilestleprincipalauteur,avecleprofes-seurDuskoEhrlich,de l’Institutnatio-nal de la recherche agronomique(INRA), à Jouy-en-Josas (Yvelines),d’une étude publiée le 29août dansNature montrant que cette richessebactérienne nous protège des mala-dies liées à l’obésité.

Pesantenmoyenne1,5kilogrammechezunadulte,notremicrobioteintes-tinal abrite une population de bacté-ries dont le nombre est dix fois plusélevé que celui de nos propres cellu-les. On ne cesse de lui découvrir denouvelles fonctions, aupointqu’on leconsidère comme un organe à partentière. Longtemps ignoré, cet insai-sissable organe veille sur notre santéphysique. Il améliore lanutritionet lemétabolisme de notre organisme et

dialogue sans cesse avec nos tissus –mêmeàdistancedutubedigestif.Plussurprenant, il jouerait un rôle surnosfonctions cognitives et mentales! Encas de dérèglement, il participe audéveloppement de maladies aussivariées que le diabète et l’obésité, desallergies et désordres auto-immuns,des troubles cognitifs et de l’humeur.

«En analysant le génomedes bacté-ries intestinales de 292adultes danois(123non obèses et 169obèses), nousavons trouvéqueprèsduquartd’entreeux (23%) présentent un déficit impor-tant en bactéries intestinales, indiqueDusko Ehrlich, qui a piloté le consor-tium international MetaHIT à l’origi-

ne de l’étude de Nature. Les sujets dugroupe“pauvre”ontenmoyenne40%d’espèces bactériennes en moins queceux du groupe “riche”.» Ce groupedéficitaire présente un risque accrud’obésité. Dans ce groupe, huit espè-cesbactériennes«jusqu’ici inconnues,productricesdebutyrate[unacidegrasà courte chaîne]», sont particulière-ment manquantes. Ont-elles un rôleprotecteurcontre laprisedepoids?

Surtout, les personnes à la floreappauvrieontplusderisquedediabè-te,demaladiescardiovasculairesetdetroubles hépatiques. «Elles montrentplus de complications métaboliques,explique Dusko Ehrlich: des anoma-liesdes lipidesdans le sang (“dyslipidé-mies”), une résistance accrue à l’insuli-ne et des taux importants de “protéi-nes inflammatoires” dans le sang.»Cestauxélevéssignentuneinflamma-tion chronique «à bas bruit» des tis-sus, délétèrepour l’organisme.

Quiplusest,«lespersonnesdéficitai-res en bactéries intestinales prennentplus facilementdupoids», note lepro-fesseur Karine Clément, qui dirigel’Institut de cardiométabolisme et denutrition (Inserm-UPMC) de l’hôpitalde la Pitié-Salpêtrière (Paris). Cette cli-nicienne-chercheusevient de condui-re, avec Dusko Ehrlich, une autre étu-de,publiéedansNature le 29août.

Chez 49 adultes français obèses ouen surpoids, les chercheursont analy-sé les effets d’un régime riche en pro-téines et en fibres, pauvre en calories.Après six semaines, ce régime a com-

me prévu amélioré les paramètresmétaboliquesetentraînéunepertedepoids. Il a aussi augmenté la richessedesespècesbactériennesdessujetsini-tialement déficitaires. Cependant,« les sujets dotés d’une flore initiale-mentpauvreontplusdemalàamélio-rer leurs paramètres inflammatoireset lipidiques», relèveKarineClément.

Elle coordonne le projet européenMétacardis,lancéen2012.Sonbut:étu-dier chez 2000 patients le rôle dumicrobiote intestinal dans les mala-dies cardiaques et métaboliques. Par-misesenjeux:identifierlessujetsobè-ses à risque de complications, prédireleurs réponses aux interventionsnutritionnelles,développerdestraite-ments adaptés. «En analysant six deshuit espèces manquantes chez lessujetsàlafloreappauvrie,onpeutiden-tifier95%dessujetsàrisquedecompli-cations», se réjouitDuskoEhrlich, quiespèremettreaupointuntestdiagnos-tique. Il a fondé une société pour lamise aupoint de biomarqueurs à par-tir de gènes bactériens, et participe àMétacardis avec l’unité Métagénopo-lisde l’INRA.

Unefloreappauvrieest-ellelacauseou la conséquence des troublesméta-boliques?C’est laquestioncentraledela poule et de l’œuf. «Onnepeut tran-cher, admet Dusko Ehrlich, mais lesrésultats des essais de transplanta-tions fécales plaident en faveur d’unrôlecausal.»Quandongreffeàdesdia-bétiquesde type2 lemicrobiote intes-tinal d’un sujet sain, leur diabète

s’améliore.Parailleurs,«entransplan-tant dans l’intestin de souris diabéti-ques obèses une bactérie qui leur faitdéfaut (Akkermansia muciniphila),nousavons amélioré leurs paramètresinflammatoiresetleurdiabète.Cesani-mauxmaigrissaient alors qu’ils man-geaient autant», raconte Patrice Cani,de l’Université catholique de Louvain(Bruxelles), qui a publié ce travail, enmai,dans la revuePNAS.

Le rôle dumicrobiote intestinal neselimitepasaumétabolisme.Sesfonc-tions nutritives sont connues de lon-guedate:ilproduitdesvitaminesvita-les,aidelesystèmedigestifàconvertirlesalimentsennutriments.Plus inso-lite, il pourrait intervenir dans lamodulationdes effets des chimiothé-rapies anticancéreuses – une actionétudiéeparl’équipeInsermduprofes-

seur Laurence Zitvogel, à l’InstitutGustave-Roussy (Villejuif).

Nos bactéries intestinales interfè-rentaussiaveclamaturationdenotresystèmeimmunitaire.«Toutedérégu-lation de cette flore peut donc favori-ser des maladies allergiques, inflam-matoires, infectieuses ou auto-immu-nes –voire certains cancers», souligneGuyGorochov,professeurd’immuno-logie à la Pitié-Salpêtrière. Un articlede synthèse, paru en août dans Gas-trointestinalEndoscopy, confirmel’in-térêt des transplantations de micro-biote fécal, prélevé chez des sujetssains, à des sujets souffrant d’infec-tions à Clostridium difficile – causeimportante d’inflammations ducôlon et de diarrhées: 92% ont guéride cette infection récurrente.

UnautrearticlepubliédansNaturele 29août a interpelléGuyGorochov:quand les chercheurs enlevaient lemicrobiote intestinal de souris, ilsobservaient des perturbations dudéveloppement des lymphocytesB,les cellules immunitaires qui produi-sent les anticorps. Quand ils réinjec-taient du microbiote à des animauxqui en étaient dépourvus, le répertoi-re des anticorps changeait.

«Ce travail suggère que le micro-biote a un impact important sur ledéveloppement du système immuni-taire systémique, pas seulementlocal», dit ce chercheur de l’Insermqui étudie les liens potentiels entremicrobiote et sclérose en plaques,avec l’Institut du cerveau et de lamoelleépinière.«Lemicrobioten’ex-pliquera pas tout, il y a un effet demode, juge-t-il.Mais c’est un champd’étude fascinant, en plein essor grâ-ce auprogrès des techniquesd’analy-se de la complexité des génomes bac-tériens (“métagénomique”).»

Dans Les Misérables, Victor Hugodécrivait leségoutsdeParis :«Cesféti-desécoulementsde fangesouterraine,(…) savez-vous ce que c’est? C’est de laprairie en fleur, c’est de l’herbe verte,(…) c’est du sang chaud dans vos vei-nes, c’est de la santé, c’est de la joie,c’estde lavie.»Lasciencenousl’ensei-gne aujourd’hui : cette vision de poè-te est unevérité viscérale.p

SCIENCE&MÉDECINE a c t u a l i t é

Undialogueentre l’intestinet le cerveau

David Larousserie

Wikipédian’estpasseu-lement une encyclo-pédie en ligne bienconnue. C’est aussi

un terrain d’affrontements intel-lectuels entre les éditeurs bénévo-les qui participent à son élabora-tionetcorrigentsanscesse lesarti-cles jusqu’à un hypothétiqueconsensus.

Mais ces batailles n’ont riend’universel en fonction des lan-gues, selonune équipe internatio-naledesuniversitésd’OxfordetdeBudapest réunie dans le cadre duprojet européen ICTeCollective.Ces chercheurs viennent de quan-tifier lesdifférencesdans lanaturedessujetscontroversés,selonl’ori-gine géographiqueet culturelle.

On ne s’étripe pas sur lesmêmes thèmes sur le Wikipédiafrançais,allemand,hébreuoutchè-que.LesFrançaissechamaillentdepréférencesurlesquestionspoliti-ques et idéologiques (SégolèneRoyal, socialisme, Poutine…), tan-disquelesEspagnolssavourentlespolémiquessportiveset lesArabesse querellent sur la religion.

Sur les 1000 sujets «chauds»identifiés,57%,surdixlanguesétu-diées, portent sur les questionspolitique, religieuseet territoriale.11% sur la musique, la littératureou le cinéma. Et 6% sur les scien-ceset technologies.LesFrançaisnepartagent, sur les 100 premiersthèmes conflictuels, que deuxsujets avec les Allemands, lesAnglais et les Espagnols: l’homéo-pathieet Jésus.Cequinousrappro-che des Allemands sont la psycha-

nalyse, Ben Laden, Roger Federeret le racisme. Avec les Espagnols,c’est Pinochet. En fait 81% des 100sujets les plus controversés enfrançais sont exclusivement«nationaux» et pas partagés avecles trois autres langues (67% pourla version anglaisedeWikipédia).

Guerres éditorialesLelongarticleàparaîtredansun

livre consacré à l’objet Wikipédiadébut 2014, et mis en ligne enjuillet sur arxiv.org, fourmille dechiffres et de représentations gra-phiques. La méthode mise aupoint par les chercheurs, en 2012,consiste à attribuer une emprein-te unique à chaque version d’unarticlepourpouvoirensuiteanaly-ser notamment combien de foisuneversionrevientenligne;preu-vequ’unéditeurestentraindelut-

ter contre un autre en republiantun texte antérieur. Des travauxprécédents se basaient sur les filsdediscussiondechaquearticle,ousur des étiquettes posées par leséditeurs…

«Ces spécialistes proposent unedéfinition opérationnelle dessujets conflictuels, indépendantedes langues. Les comparaisonsdeviennent ainsi possibles. Celarend la vision que nous avons deWikipédia moins monolithique»,explique Alexandre Hocquet del’université de Lorraine, qui a tra-vaillé sur certaines guerres édito-riales de l’encyclopédie.

Cette méthode avait déjà per-mis d’étudier la dynamique descontroverses : consensus lent,impossible ou avec des pauses etdes reprises de feu… Cette fois, legroupe s’est intéressé aux articles

de Wikipédia publiés jusqu’enmars2010? dans dix langues. Soitprès de cinq millions de textes et27millions de contributeurs.

Les guerres éditoriales commu-nes aux différentes cultures ontainsi pu être quantifiées demêmeque leur localisation géographi-que. «Nous avons été surpris deconstater que les sujets comme lareligion ou les territoires sontobjets de conflits alors que nouspensionsque les sujets plusmoder-nes comme les sciences et techni-ques seraient les plus disputés»,constate Taha Yasseri, l’un desauteursde l’article.

«Ces résultats quantitatifs peu-vent être intéressants pour étudierd’autres terrains de collaborationset de conflits, ce qui est un sujetimportanten sociologie.Nousvou-drions aussi tester sur d’autres cas

queWikipédia lemodèle théoriqued’analyse des conflits que nousavons formulé en février», envisa-ge Janos Kertész, autre coauteur.Sans compter que, d’un point devue pratique, identifier et suivreen temps réel des problèmes peutaussi être utile aux administra-teursdeWikipédiapouraméliorerl’efficacitédu système.

Tous ces travaux inspirent déjàquelques pistes à leurs auteurs.Selon eux, introduire des éditeurs«étrangers» pourraient aider àmodérer la discussion et clore desdébats. Demême, recourir aux lis-tes de discussion, plutôt que deguerroyer en effaçant et en remet-tantdesversions,seraitutile.Wiki-pédia, modèle pour les expérien-cescollaborativesàgrandeéchelle,deviendra-t-ilaussiunlieud’expé-rimentationdes sorties de crise?p

«Plusnosbactériesintestinales

sontnombreuseset diversifiées,

meilleure est notre santé»professeurOlufPederson

universitéde Copenhague (Danemark)

C’estuncontinent inconnuquiémerge: celuides liensréciproquesentre intestinetcerveau–entredigestionet fonctionscognitivesouétatsmentaux.«Notre intes-tinetnotre cerveaudialoguentenpermanence,parvoie sanguineounerveuse.Nosbactéries intestinales interfèrentavec les cellulesdenotre intestin,doncavecceséchanges.Ellespeuventainsi, selon leurcomposition,agir sur les fonctionscérébra-les», résumeSergeLuquet,duCNRS (universitéParis-VII-Diderot).Chez l’animal,cesbactériessemblentêtreunélément importantdudéveloppementducerveau.Entémoigne,parmid’autres,unsaisissantrésultat issude l’équipecanadiennedeStephenCollins (cahier«Science&techno»du24mars2012). En transplantantàdessourisdépourvuesde flore intestinale, issuesd’unesouche«timide»ou«anxieuse», lemicrobiotede rongeurs issusd’unesouche«audacieuse»–et réci-proquement–, les chercheursont inversé le comportementdecesanimaux!«Lebémol, c’estque lemicrobioten’estpas seulen cause, etqu’onnepeut imputer leseffetsobservésà telleou tellebactérie»,nuanceSergeLuquet.

«Enterococcus faecalis» est l’une des espèces bactériennes constituantnotre flore intestinale.OLIVERMECKES/SCIENCE EYE OF SCIENCE/COSMOS

Cesmicrobesquinousgouvernentm é d e c i n e | Larichesseetladiversitédesbactériesquipeuplentnotreintestinnousprotègent

enpartiedeseffetsdélétèresdel’inflammationliéeaudiabèteetàl’obésité

2 0123Mercredi 4 septembre 2013

Page 3: SCI - 04 Septembre 2013

Archéologie préventiveLa Cour des comptes évoque une«menace sérieuse» sur l’InrapDansun référé consacré à l’Institutnationalde recherches archéologiquespréventives (Inrap), rendupublic le28août par la Courdes comptes, celle-cis’inquièted’une «menace sérieuse sur lasoutenabilitéde l’opérateur» en raisonde«graves défaillances»dans son finance-ment. L’Inrapeffectuedes diagnostics etdes fouilles archéologiques, assorties derapports scientifiques, là oùdes aménage-ments sontprévus. La Courdes comptesnote que l’assiette de la redevanceduepar les aménageursne garantit pasunfinancement suffisant, conduisantà desversements récurrentsde subventionspubliques. Elle voit deuxoptions: soit fai-re des activités de recherche la «variabled’ajustement» face aux fluctuationsdesrentrées liées à la redevance; soit diversi-fier les financements, avec la participa-tiondirecteduministère de la recherche.La Cour estimequedes gains deproducti-vité sont aussi possibles.Dans sa réponse,laministre de la culture, Aurélie Filippet-ti, estimeque les ressourcesde l’archéolo-giepréventive, estimées à 122millionsd’eurospar an, devraient«désormais êtreenadéquationavec les besoins de prescrip-tion». Elle souligne l’utilité du concoursfinancier duministèrede la recherche,dont la réponsen’est pas encorepubliée.

CardiologieLes résultatsmitigés desnouveaux anticoagulants orauxDéjà critiquéspour leur coût élevé,disproportionnépar rapport auxprogrèsqu’ils apportent chez les patients (cahier«Science&médecine»du 10juillet), lesnouveauxanticoagulantsorauxont faitl’objet deplusieurs étudesnégativesprésentées au congrès de la Sociétéeuropéennede cardiologie, à Amsterdam.Ainsi, un essai international comparantle dabigatran (Pradaxa) à un traitementde référencepar antivitamineK chezdespatientsporteursd’une valve cardiaquemécaniqueavecun trouble du rythmecardiaqueadû être interrompudu faitd’effets secondaires plus fréquents(hémorragieset accidents

thromboemboliques)dans le groupedabigatran.Ces résultats ont étéconjointementpubliés en lignedans leNewEngland Journal ofMedicinedu1erseptembre.

NeurologieUnmini-cerveauhumaindéveloppé in vitro

Des«organoïdes» constituésdecellulescérébraleshumainesviennentd’êtredécritsdans la revueNatureparuneéqui-pe internationaledirigéepar JuergenKno-blich (Institutdebiotechnologiemolécu-lairedeVienne,Autriche).Ces amascellu-laires,pouvantatteindrequatremillimè-tresdediamètre,ontétéobtenusàpartirdecellules souchespluripotentes induites(iPS),qui se sont auto-organiséesendiffé-rents typesneuronauxdecellulespourconstituerdes structuresmimant le cer-veaudans sespremièresphasesdedéve-loppement.Cesorganoïdes–dépourvusdesystèmessanguins–pourraientper-mettred’étudier certainesmaladies céré-brales. (PHOTO: LANCASTER ET AL., NATURE DU 29AOÛT)

a c t u a l i t é SCIENCE&MÉDECINE

t é l e s c o p e

La taillemoyennedeshommes enEuro-pe aprogresséde 11cmentre1870 et1980, passant à 1,78m, indiqueune étu-depubliée lundi 2septembredans lesOxfordEconomic Papers. Elle porte surdeshommesâgésde 21 ans environvivantdansquinzepays européens.«Les augmentationsde la taille humainesontun indicateurdes progrès de l’étatde santémoyendes populations», souli-gneTimothyHatton,professeurd’éco-nomieà l’universitébritanniqued’Es-sexqui a dirigé cette étude.

MartineValo

Guadeloupe, envoyée spéciale

Les deux hommes cou-pent le moteur de leurbateau en s’appro-chant doucement de larive, comme s’il ne fal-lait pas déranger des

hôtes qui ne s’y trouvent pas enco-re. Régis Gomez est agent du pôlemarinduparcnationalde laGuade-loupe;BorisLereboursest, lui, char-gé de mission pour un projet iné-dit : la réintroduction du lamantindans l’île.

Cemammifèremarin y a prospé-ré par le passé au point de donnerson nom à la commune voisine deLamentin.Mais, ici, on n’a plus revule paisible animal, habitué des eauxlittorales un peu troubles, desembouchuresde fleuveetdemaraiscôtiers depuis le début duXXesiècle.Unesilhouettemassivefacileà trou-ver près des sources d’eau douce –400kg de viande, une aubaine! –, lesirénien herbivore a été victimed’une chasse débridée. Il demeureseulement dans les contes populai-rescréoles:ManmanDlo-la,c’est lui.

Le lamantin des Caraïbes (Triche-chus manatus manatus) et ses cou-sins d’Amazonie et d’Afrique sontinscrits sur la liste rougedes espècesmenacées de l’Union internationalepour la conservation de la nature etleur commerce est désormais inter-dit.LaGuadeloupeveutcontribueràsa conservation.

«Nouspourrions installer le centredesoinsà l’embouchurede laGrandeRivière àGoyave ou bien du canal deBelle-Plaine, plus à l’abri des fortes

inondations.Nousallonsaussiyamé-nagerlesiteoùlesanimauxpourronts’acclimater avant d’être relâchés»,annonce Boris Lerebours. L’inscrip-tion sur son tee-shirt donne le ton:«Lamantin/retourau “péyi”». Il brû-le d’impatience de voir arriver lespremiers spécimens, fin 2014 enprincipe. Alors, depuis des mois,l’équipe du parc national passe aupeigne fin le Grand Cul-de-Sac-Marin – une vaste baie fermée par

des kilomètres de barrières de corail–, enquêtedes conditionsoptimalesdegîte et de couvert.

RégisGomezdésigne lesherbierssous le bateau: «Thalassia testudi-num et Syringodium filiforme sontsesherbespréférées», sourit-il.Qua-lité de l’eau – les traces du pesticidechlordécone et des polychlorobi-phényles (PCB) notamment sonttraquées –, abondance de nourritu-re, risques de pollution accidentel-le, tranquillité des lieux: tout estsoupesé.

L’idée de réintroduire un noyaudepopulationdumammifère aqua-tique emblématique de la Caraïbeavait été lancée dans les années1990.Aprèsdesétudesde faisabilité,leprojetestpasséàunephaseopéra-tionnelleen2010.Uncomitéscienti-fique, présidé par John Reynolds,directeurdu centrede recherche surlesmammifèresmarinsMoteMari-ne Laboratory, de Floride, se réunitrégulièrement. Des pays voisins,potentiels donateurs, ont été identi-fiés et contactés. Avec le Brésil, laColombie et la Guyane, les travauxd’approcheseprécisent.

Quelques experts s’interrogentcependant. Ainsi, ce vétérinaire spé-cialistedelafaunesauvagequiapar-ticipé à une de sesmissions d’études’inquiète : «Le lamantin va être

confronté à desmenaces de collisionavec des jet-skis, des bateauxde plai-sance, et pourrait en mourir car sespoumonssontsituéssursondos. Ilris-qued’avalerdeshameçons,des filsdepêche…Saréintroductionauraitpeut-êtredû rester unobjectif idéal.»

Boris Lerebours est, lui, encoreplus déterminé depuis sa récentevisiteauBrésil.«Ilsontuneexpérien-ce formidable: voilà trenteansqu’ilstravaillent auprès d’une populationde 500 à 1000 individus répartis defaçon discontinue, ils en déplacentcertains, obtiennent des reproduc-tions, récupèrent des orphelins…»,énumère le jeune biologiste,d’autant plus conquis par l’actionde ses homologues brésiliens queces derniers semblent prêts àconfier deux ou trois lamantins à laGuadeloupe. Cela pourrait faire lecompte si la Colombie et peut-êtrele Mexique et la Guyane en fontautant.Les lamantinsguyanaissontles moins connus. Une mission derecensement doit d’abord être pro-grammée fin 2013.

La recherchedemécènesest aussibien avancée. Une filiale de SuezEnvironnement est intéressée parles actions en faveurde l’environne-mentenjeudanscetteopération.AirFrance pourrait transporter les grosmammifères dans un de ses avions

cargoquand le jour J sera venu.Aunomde la biodiversité, ce pro-

jet doit convaincre les instancesinternationales. Il vise aussi à fédé-rer les Guadeloupéens autour d’unobjectif de sauvegarde de ce sympa-thique mammifère et, au-delà, del’environnement.80%de lapopula-tion se déclare favorable à cette ini-tiative, cela n’empêche pas d’avoir àprendreletempsd’expliquer,deras-surer,notammentlespêcheurs:oui,le lamantin est bien un herbivore. Ilfaut aussi savoir se fâcher: en 2012,une plainte a été déposée aprèsqu’uneépreuveduchampionnatdumondede jet-skis, Karujet, avait tra-versé sans ménagement l’aire sanc-tuairedesmammifèresmarins.

NésurleshauteursboiséesdeBas-se-Terre, l’établissement public deGuadeloupe s’étend désormais surunlargeterritoiremaritimecompre-nant la réserve naturelle de Grand-Cul-de-Sac-Marin. La réintroductiondu lamantin est une façon demoti-ver l’adhésionde tous, public et éluslocaux.«C’estunepremièremondia-le, comme un petit arc-en-ciel faceaux grands défis écologiques denotre époque, conclut le maire deGoyave, Ferdy Louisy (PS), présidentdu parc ainsi que des Parcs natio-naux de France. Elle peut redonnerespoir à tous.»p

11cm

Viviane Thivent

Biscarosse (Landes), envoyée spéciale

Début du compte à rebours.«Dix, neuf…» «Non, non, arrê-tez ! », hurle une jeune femmeen s’agitant au milieu du ter-

rain de football. Derrière elle, quatreado-lescents accroupis retiennent une protu-bérancebleueplus tremblantequ’une jel-ly anglaise. Statique, le public attend lasuite. S’y côtoientdesgradésenuniformeet des personnalités, dont Geneviève Fio-raso, ministre de l’enseignement supé-rieur et de la recherche, et Jean-Yves LeGall, président du Centre national d’étu-des spatiales (CNES).

«Dix!», crie la demoiselle.«Trois», cou-peungarçonquineparvientplusàcontrô-ler la masse bleue. «Deux, un…», enton-nent les autres avant de lâcher la bâche,libérant un ballon stratosphérique et,dansson sillage,uneboîtedorée. «A l’inté-rieur, expliqueavecdécontractionle jeuneLucas, ilyadescapteursetdes…marshmal-lows. On va observer leur déformation enaltitude.»Riresdans l’assemblée.

Nous sommes à Biscarrosse (Landes),sur la base de vie d’ordinaire si fermée duCentre d’essais demissiles de la Directiongénérale de l’armement (DGA). Ici, pen-dant six jours, fin août, 250 collégiens,lycéens, étudiants se sont activés, enca-dréspar50bénévoles. Ilsparticipaientà la50eéditiondeC’Space,unévénementcoor-ganisé par le CNES et l’association PlanèteSciences qui, chaque année, permet auxjeunes de faire décoller des fusées ou desballons expérimentaux. Par sécurité, «enFrance, iln’estpaspossibledelancercetyped’objets de n’importe où, explique SophieGuiraudon, directrice de Planète Sciences.D’où notre présence sur un site militaire».«Cetteparticularitéengendrequelquesscè-nes cocasses, poursuit Thierry Stillace, quivit sa 37eédition. Comme dans les années1970, quand la mode était aux cheveuxlongs…» Quelques décennies plus tard, lecontrasten’est pasmoins saisissant.

Car à l’intérieur des locaux réquisition-nés pour l’occasion, du bruit, des déguise-ments,des tables,des fils, desordinateurs,desboîtesetdes fusées. Leurs créateursenfont la promotion à qui veut : celle-ci sescinde en vol, celle-là perd la tête, ou plu-

tôt l’ogive, avant de redescendre, tandisquecetteautresetransformeenparapluieaumomentde la chute. «A l’exceptiondespropulseurs, qui sont fournis par le CNES,tous ces objets ont été imaginéspar les jeu-nes et constituent l’aboutissementd’un ande travail mené avec des experts bénévo-les»,expliqueHildaVernin,bénévolechar-gée du contrôle technique qui précède lelancement.

Joyeux tohu-bohuEntout,troistypesd’enginssontprésen-

tés:ilyad’abordlesminifusées(jusqu’àunmètre), qui permettent auxplus jeunesdese familiariser avec la technique. Puis il y alesfuséesexpérimentales,plusgrosses(jus-qu’à 2,5m), plus élaborées, grâce auxquel-les les étudiants mènent une expériencescientifiquecommeunsuividetrajectoire.Enfin, il y a les «cansat», des sondes brico-lées dans des canettes de soda pour rejoin-dre une cible ou se transformer en roveraprès avoir été larguées par un ballon. «Lacanette, c’est surtout pour avoir un formatcommun, raconte un participant. Commeça, qu’on envoie une canette japonaise oufrançaise,c’estlamêmechose.»Etcelatom-

be bien puisque, depuis quelques années,des Japonais, comme les Russes, partici-pent à la rencontre, «même si le C’Spacen’est pas vraiment un événement interna-tional, explique Jean-Pierre Ledey, prési-dent de Planète Sciences. Nous favorisonsjuste les échanges avec les pays qui collabo-rentavec leCNES.»

«C’est bien pour l’avenir, insiste un visi-teurdontlebadgeprécise“Défense”.Cesjeu-nes ont le désir de travailler dans le spatial,etC’Spaceleurpermetderencontrerdespro-fessionnels. Cela ouvre des portes…» Uneannonce coupe l’homme et suspend lejoyeux tohu-bohu ambiant: un décollageva avoir lieu sur le site de lancement. Jeu-nes et bénévoles s’approchent des écrans.Compteàrebours.Trois.Deux.Inspiration.Allumage. Décollage. Ascension. Apogée.Ouverture du parachute. Expiration.Applaudissements.Même Thierry Stillaceest ému, «comme à chaque décollage»,soit,pourcettesemaine,20fusées,24mini-fusées,septcansat,unballonexpérimentalet une fusée Ariane (à Kourou): à 13 ans, ilconstruisait sapremièreminifuséedans lecadred’unC’Space.Aujourd’hui, il travailleauCNESsurArianeetVega.p

Aunomde la biodiversité,ce projet doit convaincre

les instancesinternationales

Lelamantinrevientau«péyi»E c o l o g i e | DisparudeseauxdelaGuadeloupedepuisprèsd’unsiècle, leplacide

mammifère,menacéd’extinction,estattendudanslabaieduGrand-Cul-de-Sac-Marin

Les fousdefusées font leur festivalDepuiscinquanteans,C’Spaceréunit,chaqueété,desjeunespassionnésd’astronautique

La réintroductiondu lamantindesCaraïbesest une façondemotiver l’adhésionde tous lesGuadeloupéens.PATRICK ROSE – SAVETHEMANATEE. ORG

30123Mercredi 4 septembre 2013

Page 4: SCI - 04 Septembre 2013

r o b o t i q u e

SCIENCE&MÉDECINE é v é n e m e n t

CatherineMary

Avantdedéplacer le cubebleu,il fautenlever le cuberouge»,explique au robot iCub Gré-goirePointeau,doctorantdugroupe de recherche dirigépar Peter Dominey à l’Insti-

tut Cellule souche et cerveau de Lyon(Inserm). iCub répète l’instruction, avance samain vers le cube rouge, referme ses doigtsdessus,puis ledéplacevers lagauche. Il saisitensuite le cubebleupour le reposerà laplacedu rouge. «iCub a appris à décrypter le sensd’une phrase en fonction de l’ordre danslequel sont placés lesmots, et ses capacités delangage lui permettent d’interagir avec leshumains», expliquePeterDominey.

iCub, du mot anglais cub, qui désigne lespetits des animaux, est un bébé robot. Avec lerobotNaooulerobotjaponaisHRP-4,ilappar-tientà la toutedernièregénérationdes robotshumanoïdes. Leurapparenceet leur gestuelleprêtentàconfusion,et lorsquenouslesrencon-trons nous leur disons spontanément bon-jour. En France, la société Aldebaran comptebien tirer parti de ces caractéristiques pourintroduireNao,qu’ellecommercialise,àl’inté-

rieurdenosviesquotidiennes.iCub, lui, est un robot de laboratoire. Il a le

poids et la taille d’un enfant de 3ans et demiet a été conçupourmimer le processusd’ap-prentissage. Avec ses mains dotées de cinqdoigts finement articulés, il peut saisir unobjetavecprécisionoul’attraperquandon lelui lance. Ses paupières s’ouvrent et se fer-ment au gré de ses interactions avec leshumainset onest vite tenté d’interpréter lesmouvementsde sa tête comme l’expressiond’undouteoud’unehésitation.

«Nous avons créé ce robot pour étudier lefonctionnement du cerveau lors de l’appren-tissage,qu’il s’agissedu langageoudeproces-sus cognitifs complexes comme suivre la tra-jectoire d’une balle et la saisir, expliqueGior-gioMetta, de l’Institut italiende technologie(IIT), où fut lancé le projet. Pour cela, nousavonsmisaupointunrobotcapabled’appren-dre en interagissant avec les gens.» «Une desforces d’iCub est qu’il a desmains et des piedssophistiqués, ainsi qu’une tête avec des outilsd’expression importants pour l’interactionhomme-machine», ajoute Pierre-YvesOudeyer, de l’Institut national de rechercheen informatique et en automatique (Inria),qui utilise le robot pour étudier la curiositéartificielleetquivientd’écrireAuxsourcesde

laparole.Auto-organisationetévolution(Odi-le Jacob, 300p., 24,90euros).

Financéeà hauteurde 8,5millionsd’eurossur cinq ans par l’Union européenneentre2004 et 2010, la création d’iCub est lefruitd’unecollaborationentreonzelaboratoi-res européens au sein du consortiumRobot-Cub,oùsontreprésentéesdesdisciplinesaus-si variéesque lapsychologiedéveloppemen-tale,laneurophysiologieouencorel’informa-tique.A l’issuedesondéveloppement, iCubaacquis ses bras, ses mains, ses doigts, ainsiqu’un cerveau informatique lui permettantdetraiter les informationsetd’agir entenantcomptedesesexpériencesantérieures.Ilpou-vait aussi saisir un objet, voir et reconnaîtreune voix. Il a ensuite étémis à la dispositionde six laboratoires européens sélectionnés àla suite d’un appel d’offres, afin de poursui-vrecedéveloppementdansdifférentsdomai-nes.

C’estainsiqu’ilestarrivé,en2009,aulabo-ratoire de Peter Dominey, avec pour projetd’apprendre à utiliser le langage commeoutil de coopération. «A son arrivée, iCubétait capable d’assembler une table Ikea enexécutant les instructions qui lui étaient don-nées. Les fois suivantes, il parvenait à antici-perlestâchesàeffectuerpourcesassemblages

iCub

RobotsL’intelligenceenpartage

Apprentissage du langage, processus cognitifs complexes, curiosité artificielle : ladernièregénérationderobotshumanoïdesabénéficiédesprogrèsdelarecherchecollaborative.Desplates-formesstandardisées

permettentd’intégrerlesprogrammesissusdedifférentslaboratoiresetdisciplines

«Avec iCub,nousavonsmis aupoint

un robot capabled’apprendre

en interagissantavec les gens»

GiorgioMettaInstitut italiende technologie

Taille 104cm.

Poids22kg.

DéveloppementUnioneuropéenne.

Plate-formerobotiqueYARP.

Nombred’exemplaires25.

Coût250000euros.

ApplicationEtudeduprocessusd’apprentissagechez l’enfant.

ÉMILE LOREAUX POUR « LE MONDE »

4 0123Mercredi 4 septembre 2013

Page 5: SCI - 04 Septembre 2013

é v é n e m e n t SCIENCE&MÉDECINE

car il les avait mémorisées.car il les avait mémorisées.Depuis, il a appris à com-prendre le sens des noms etmots grammaticaux, maisaussi à décrypter l’ordre deces mots dans une phrase»,,raconte Peter Dominey. Auraconte Peter Dominey. Aucours de cet apprentissage, iCubcours de cet apprentissage, iCubaaussiapprisàsesituerdansl’espa-aaussiapprisàsesituerdansl’espa-ceenreconnaissantsadroiteetsagau-ceenreconnaissantsadroiteetsagau-che.«C’est parce qu’on lui amontréplu-«C’est parce qu’on lui amontréplu-sieurs situationsdans lesquelles l’objet estsieurs situationsdans lesquelles l’objet estplacéàgauchequ’ila finipar intégreroùseplacéàgauchequ’ila finipar intégreroùsetrouve la gauche», expliqueMaxime Petit,, expliqueMaxime Petit,unautredoctorantdu laboratoire.unautredoctorantdu laboratoire.

Au total, 25 équipes de recherche collabo-Au total, 25 équipes de recherche collabo-rent en Europe au développement du robot,rent en Europe au développement du robot,quipeutêtreacquisauprixde250000eurosquipeutêtreacquisauprixde250000eurosauprès de l’IIT, qui l’assemble. Les projetsauprès de l’IIT, qui l’assemble. Les projetsincluent l’apprentissagedu langage, la curio-incluent l’apprentissagedu langage, la curio-sitéartificielleou l’interactionpar le toucher.sitéartificielleou l’interactionpar le toucher.Au laboratoire dirigé par la roboticienneAu laboratoire dirigé par la roboticienneAudeBillardàl’EcolepolytechniquedeGenè-AudeBillardàl’EcolepolytechniquedeGenè-ve, les bras du robot ont ainsi été couvertsve, les bras du robot ont ainsi été couvertsd’une peau artificielle dotée de capteurs quid’une peau artificielle dotée de capteurs quilui confèrent une sensibilité au toucher. Lelui confèrent une sensibilité au toucher. Lerobot apprend à ne pas laisser échapper unrobot apprend à ne pas laisser échapper unobjet de sa main, en faisant appel à cetteobjet de sa main, en faisant appel à cettemodalité sensorielle.

Plusieursprojets concernentégalement lePlusieursprojets concernentégalement lelangage. A l’université de Plymouth, aulangage. A l’université de Plymouth, auRoyaume-Uni, iCub a appris le sens de cer-Royaume-Uni, iCub a appris le sens de cer-tainsmots, dans le cadre duprojet européentainsmots, dans le cadre duprojet européenItalk. Le projet Poeticon ++ poursuit cetItalk. Le projet Poeticon ++ poursuit cetapprentissage en lui présentant des motsapprentissage en lui présentant des motsdans des contextes variés. «Le but est d’ap-«Le but est d’ap-prendre au robot le sens des motsprendre au robot le sens des mots remuer etcuillère. Le robot doit ensuite pouvoir com-. Le robot doit ensuite pouvoir com-prendre la question “peux-tu remuer le caféprendre la question “peux-tu remuer le caféaveclecouteau?”»,expliqueAngeloCangelo-,expliqueAngeloCangelo-si, de l’universitéde Plymouth, coordinateursi, de l’universitéde Plymouth, coordinateurduprojet.

Si chaqueéquipede recherche travaille deSi chaqueéquipede recherche travaille demanièreindépendante,leprojetiCubprévoitmanièreindépendante,leprojetiCubprévoitl’intégration des travaux, afin de faire évo-l’intégration des travaux, afin de faire évo-luer le robot. A chaque fois qu’un nouveaulogicielestmisaupoint,leschercheursleren-dent accessible, suivant le principe de l’opensource,sur laplate-formederobotiqueYARP.On peut ainsi demander au robot iCub deLyon de réfléchir aux mouvements qu’ilvient d’effectuer grâce à un logiciel puisédans YARP etmis au point au laboratoire dePlymouth. Sur l’écran de l’ordinateur qui lecommande,onvoit apparaître la représenta-tion de ces mouvements. «Les chercheursimpliqués dans le projet iCub forment unecommunautéautourdecetteplate-formequileurpermetd’échangerleursconnaissancesetleurs travaux. Cela fait d’iCubun projet assezunique», commenteGiorgioMetta.

Lancé dans les années 2000 avec la plate-formederobotiqueURBI,crééeparl’informa-ticienJean-ChristopheBaillie,cemodedecol-laboration marque un tournant dans laconception des robots. «Un robot, c’est aussicompliqué qu’un avion, et sa conception faitappel à des corps demétier et des compéten-cestrèsvariésallantdelareconnaissancevoca-le au contrôle des moteurs, explique Jean-Christophe Baillie, devenu directeur derecherchechezAldebaran.Avoirunecommu-nautédegensquicontribuentestaujourd’huiunatout indispensable.»

«Ces plates-formes intégratives rendentpossiblesdesrecherchesquinel’étaientpasily a unedizaine d’années. Elles ontun rôle decatalyseurentredeschercheursissusdedisci-plines variées», renchérit Pierre-YvesOudeyer, dont l’équipe vient de lancer unenouvelle plate-forme de robotique pour ledéveloppement d’un autre robot, Poppy,plus adapté qu’iCub pour l’apprentissage delamarche.«Avant,ilyavaitunemultitudederobotsetdesystèmesd’exploitationetilétaitplusdifficiled’échangerles logiciels.Aveccesplates-formes, on a des systèmes standards.Cela permet d’accélérer les progrès», com-mente encoreTonyBelpaeme, un roboticien

de l’université de Plymouth (Royaume-de l’université de Plymouth (Royaume-Uni). Cette standardisation concerneUni). Cette standardisation concerneaussi les robots nonhumanoïdes, com-aussi les robots nonhumanoïdes, com-mecespetitsmodulesà roulettes régu-mecespetitsmodulesà roulettes régu-lièrement enrôlés dans des compéti-lièrement enrôlés dans des compéti-

tionsde footballdestinéesà testertionsde footballdestinéesà testerdiverses capacités de per-diverses capacités de per-ceptionetdecoopérationceptionetdecoopération– et celles de leurs pro-– et celles de leurs pro-grammeurs.

«Ces plates-formescontribuent aussi à ladémocratisation de larobotique. Elles ren-dentaccessiblelafabri-cationd’unrobotàdespersonnes qui ne sontpas spécialistes de larobotique», remarqueFrédéric Fol Leymarie,du Goldsmiths Col-lege de Londres. Cer-

tains logiciels qui com-mandent les mouve-mandent les mouve-

ments du bras de Paul, unments du bras de Paul, unrobotartistequiaétémisaurobotartistequiaétémisau

point dans son laboratoire, ontpoint dans son laboratoire, ontété puisés dans la plate-formeété puisés dans la plate-forme

YARP, tandis que le bras lui-YARP, tandis que le bras lui-même a été commandé àmême a été commandé àune société coréenne.une société coréenne. «Enintégrantainsideslogicielsetintégrantainsideslogicielseten achetant des bouts deen achetant des bouts de

robot, dit-il,, dit-il, on peut se fabri-querlesienàdesprixmodiques,querlesienàdesprixmodiques,de l’ordrede 100à200euros.»de l’ordrede 100à200euros.»

Soitunefractionducoûtd’i-Soitunefractionducoûtd’i-Cub. Si celui-ci est un robot deCub. Si celui-ci est un robot derecherche,Naoestconçupourrecherche,Naoestconçupour

devenir un produit com-devenir un produit com-mercial. «Le parti prisd’Aldebaranestdefabri-quer un robot qui estplus un compagnonqu’unserviteur»,racon-

te Rodolphe Gelin, directeur de recherchechez Aldebaran après avoir effectué la pre-mièrepartiedesacarrièreauCommissariatàl’énergie atomique sur les robots de service.«Sa forme, sa taille (58cm) et ses expressionsfontquel’interactionaveclesgensestnaturel-le.QuandilspassentdevantNao, leurpremiè-re réaction est de faire un signe de lamain etde lui direbonjour.»

Depuis la création d’Aldebaran, en 2005,environ 3500 exemplaires de Nao ont étévendusà travers lemonde,essentiellementàdes chercheurs et à des enseignants. Au prixde 12000 euros, il est livré équipé d’unensemble de programmes à télécharger. Onchoisit ainsi de le doter de la capacité de par-ler, de danser, d’écouter ou encore de mar-cher.«Il s’agit d’unearchitectureouverte, quidonne aux gens la liberté de programmer cequ’ils veulent dans le robot ou d’utiliser nosprogrammes.Celasedistinguedel’opensour-ce par le fait que certains logiciels du robot,comme celui qui commande lamarche, sontprotégés par des brevets. Mais, si vous êtesexpertenmarcheetquenotreprogrammenevous convient pas, vous pouvez en faire unautrepour le remplacer», poursuitRodolpheGelin.

Endonnantainsi lapossibilitédemodifierses programmes, Aldebaran compte sur lacommunauté créée autour de Nao pour lesaméliorer. La société collabore ainsi avec deslaboratoiresderechercheeuropéensetaméri-cains pour développer des programmes quilui permettront, à terme, de conquérir desnichesdemarché.LeprojetALIZ-Ed’assistan-ce aux enfants diabétiques et aux enfantsautistes s’inscrit dans cette logique.«C’est enallant vers des populations qui ont un besoinsimple qu’on va d’abord rencontrer un pre-mier marché. Après, on ira vers les marchésplus grand public», explique encore Rodol-pheGelin.

S’ils risquent de modifier notre rapportauxmachines animées, les robots humanoï-des d’aujourd’hui sont pourtant encore loindes robots dont la science-fiction a nourrinotre imaginaire.«Il existeundécalageentrela réalité des robots et la façon dont ils sontappréhendés», commente Denis Vidal,anthropologueà l’Institutde recherche et dedéveloppement. «La science-fiction a ancrél’idée,dansl’imaginairecollectif,qu’ilsepasse-raitquelquechosed’inouïàpartirdumomentoù les robots deviendraient autonomes. C’estune représentation répandue à tous lesniveauxdelasociété,ycomprischezlesroboti-cienseux-mêmes», poursuit-il.

«Il ne faut pas imaginer une technologiedanssatourd’ivoireenpensantqu’ellevatoutrésoudre. Il faut d’abord aller vers les genspour comprendre leurs besoins», soulignePierre-YvesOudeyer.«Ilexisteencoredenom-breuxobstacles scientifiques, technologiques,sociétaux et éthiques avant d’envisager quedes robots puissent vraiment interagir avecles humains dans la vie quotidienne.Mais onpeut envisager des applications spécifiquescomme l’aide à la mobilité des personnesâgées au moyen de chariots motorisés capa-bles de s’adapter à leur rythme de marche»,conclut-il.p

HRP-4

Toutunmondederobots

Nao

Taille 151cm.

Poids 39kg.

DéveloppementProjetjaponais«HumanoidRoboticsProject».

CommercialisationKawada.

Plate-formerobotiqueOpenRTM-aist.

CoûtEnviron350000euros.

ApplicationsEtudede lamarche, des interactionsavecl’hommeet du contrôle demouvement.

Auxcôtés de l’Europe, le Japon, les Etats-Unis et la CoréeduSudhébergentdesprogrammesdedéveloppementde robotshumanoïdes.Au Japon, la plu-part des constructeurs automobiles et desuniversités ontmis aupoint leleur. Parmi les plus sophistiqués figurent le robotAsimo, deHonda, et lerobotHRP-4, développépar l’Institutnational de la scienceet des technolo-gies industrielles avancées (AIST), dans le cadre duprojet «HumanoidRobo-tic Project», financépar leministère japonais de l’économie, du commerce etde l’industrie (METI). Il est commercialisépar la sociétéKawadaet est utilisépour l’étudede la locomotionet des interactionshomme-machine.Unever-sionde ce robot,HRP-2, est disponible en France, au Laboratoired’analyse etd’architecturedes systèmes (LAAS)de Toulouse.Au Japon, le chercheurHiroshi Ishiguro (universitéd’Osaka)met aupointdes robots humanoïdesà l’apparence réaliste et dont le visage est capabledemimerdes expressionshumaines comme le sourire. En CoréeduSud, l’Insti-tut scientifiqueet technologique coréen (KIST) a développéun robothuma-noïdedénomméEngkey.Depuis 2010, il est utilisédans les classesd’école pri-maire commeassistant, à l’initiativedugouvernement sud-coréen.AuxEtats-Unis, la sociétéWillowGarage commercialiseun robot baptisé PR-2,associé à la plate-forme robotiqueopen sourceROS et vendu commeunrobotde recherche et d’innovation. La sociétéMekaRobotics commercialiseégalement, à l’attentiondes chercheurs, des robots dont onpeut choisir laconfigurationenpuisantparmiun choixde bras, de têtes et de jambes. Laplate-formerobotiqueest elle aussi accessible enopen source, et les robotsainsi configurésprésentent des caractéristiques comparables à celles d’iCub.

DR

Nao, futurassistantmédical?

L epetit robot humanoïdeNaopourrait-il aider les enfantsmala-des? C’est unedes questions

posées aux chercheursduprojet euro-péenALIZ-E, qui vise à étudier la rela-tionqu’unenfantpeut établir avec lerobot. Lancé en 2010, le projet estfinancéàhauteurde 8,3millionsd’eu-ros sur quatre anspar l’Unioneuro-péenne. Il impliqueplusieursuniversi-tés et hôpitauxeuropéens, ainsi que lasociétéAldebaran.

«Pour ce projet, Nao convient vrai-ment bien. Son prix est tout à fait abor-dablepour un robot etAldebarana faitun excellent travail de conception. Naoest amical, ses yeux et sa taille sont par-faits, en particulier pour les enfants,s’émerveilleTonyBelpaeme, de l’uni-versité dePlymouth (Royaume-Uni),coordinateurduprojet. Tous les cher-cheurs impliqués dans le projet tra-vaillent sur lamêmeversiondeNao, etquandun logiciel estmis aupoint enFrance, il peut immédiatementêtre uti-lisé auRoyaume-Uni.»

Despédiatresde l’hôpital SanRaffae-le deMilan (Italie) qui avaient la volon-té d’utiliser les robots auprèsdesenfantsmalades sont à l’origineduprojet. Il s’agissait, entre autres, dechercherune solutionde remplace-ment auxanimauxdomestiquesutili-sés commesoutienpsychologique,jugés trop coûteux etpas assezhygié-niques.«Les attentes desmédecinsenvers les robots étaient très élevées,raconteTonyBelpaeme. Ils pensaientqu’onpouvait faire faire des chosesincroyablesau robot, comme, parexemple, accueillir l’enfant à sonentréeà l’hôpital et l’emmenerdans sachambre. Celan’est pas possible. Lesrobotsmarchent trop lentement.»

D’où l’idée d’évaluer les bénéficesdu robot dans le casd’unemaladie spé-cifique comme le diabète.«C’est unemaladie en augmentation.Aumomentdudiagnostic, les enfants nonseulement sont traumatisés,mais ilsdoiventaussi apprendreà vivre avecleurmaladie et donc être éduqués»,poursuit-il.Durant les deuxpremièresannées, les chercheurs ont travaillé àlamise aupoint de logiciels répondantauxbesoinsdes enfants diabétiques,

dontdes questionnaires sur l’alimenta-tion et des jeux favorisant l’interac-tion. «L’idée est que le robotnon seule-ment soit perçu commeuncompa-gnonpour l’enfant,mais aussi qu’ilpuisse avoir une fonctionéducative»,expliqueTonyBelpaeme.

Sonéquipe a également travailléavec les différents acteurs concernésafind’évaluer leurs besoins. Enfants,médecins, parents, infirmiers et psy-chologuesont été consultés. Des testsont ensuite été réalisés auprèsd’unepopulationd’enfants entre 7 et 12 ans,atteints de troublesmétaboliques,dont le diabète et l’obésité. L’idée étaitde comparer les performancesobte-nues avec le robot à celles obtenuesavecd’autres outils tels que les tablet-tes électroniques.

ImportantsobstaclesLes chercheurs se sont ainsi rendu

compteque les enfants apprennentmieuxavec le robot, considéré commeunepersonnevivante àpart entière.«Le robot est vraiment là. L’enfantpeut le toucher et il se sent importantpour lui, ce qui l’aide à retrouver l’esti-mede lui-même, commenteTonyBel-paeme.Onpeut demander par exem-ple à l’enfant d’expliquer samaladieau robot et, en l’expliquant, il parvientmieuxà la comprendre.»

D’importantsobstacles demeurentpourtant avant d’envisager de vérita-bles interactions entre le robot et l’en-fant. La vision artificielle, par exem-ple, reste encore balbutiante,malgrédes années de recherchedans cedomaine, et Nao, aussi sympathiquesoit-il, est toujoursunemachine. «Onest plus près d’un programmede coa-chingque du robot tel qu’on le fantas-me, remarque Pierre-YvesOudeyer. Ilexiste peut-être des objets plus sim-ples, car Nao reste cher et peu accessi-ble par les hôpitaux.»

Outre lesprojets sur le diabète, Alde-barandéveloppeaussi des collabora-tions avec plusieurs institutions spé-cialiséesdans le domainede l’autisme.L’idée est de développerdes applica-tionspour assister les enfants autisteset de suivre leurs progrès.p

C.My

Taille 58cm.

Poids4,8kg.

Développement-commercialisationAldebaran.

Nombred’exemplairesEnviron3500.

Plate-formerobotiqueURBI.

Coût12000euros.

ApplicationRecherche,éducation.

ERIC PIERMONT/AFP

50123Mercredi 4 septembre 2013

Page 6: SCI - 04 Septembre 2013

C’est bien connu: on jugeunlivre à sa couverture, unebouteille à son étiquette, uncadeauà sonemballageet

unhommepolitique à sa photo. Entermes scientifiques, on dit que l’in-formationvisuelle a un effet puis-

sant sur le jugementdu consomma-teur.Mais, quand il s’agit demusi-que classique, tous lesmélomanesvous jureront leurs grands dieuxquenon, tout demême, c’est le sonquiprime. La qualité d’une interpréta-tionn’est pas fonctiondes gesticula-tions etmimiquesplus oumoins ins-pirées de l’artiste, voyons! Vrai-ment? Voyons…

LapsychologueaméricaineChia-JungTsay, chercheuseà l’UniversityCollegede Londres, a voulu en avoirle cœurnet. Elle-mêmepianisteaccomplie, elle s’est intéressée auxcritèresprésidant à l’attributiondesprix dans les grands concours inter-nationauxdemusique classique,concoursqui sont souventdes ram-pes de lancementpour les carrièresdes jeunes solistes.Dans une étudepubliée le 19août dans les Procee-dingsde l’Académiedes sciencesaméricaine, elle amis à l’épreuve ledogmeselon lequel, dans ces épreu-ves réputées et redoutables, seul leson compte.

Pour ce faire, elle a récupérédesfilms tournés lors des finales dedixprestigieuses compétitions, com-me le concours international de pia-

no Franz Liszt. Puis elle a demandéàunpanel de profanesde deviner,dans chaque épreuve, lequel destrois finalistes l’avait emporté. Pourjuger la performance, les jurés d’unjour avaient à leurdisposition soit laseule bandeaudio, soit l’image sansle son. SoitMozart, BeethovenouChopin, soit rien.

Et qu’est-il advenu? Si les partici-pants à l’expérience s’étaient fiés auseul hasard, ils auraient euune chan-ce sur trois de tomber juste.Mais,lorsqu’ils écoutaient lamusique,leur tauxde réussiten’était que de25,5%. En revanche, ceuxquin’avaientdroit qu’au cinémamuettrouvaient le gagnant plus d’une foissurdeux (52,5%) ! Au cours d’undeuxièmetest, Chia-JungTsaymon-tra à ses «cobayes» les vidéos avecl’image et le son.Une grosse surprisel’attendait: le tauxde réussite s’élevaà 35,4% (soit à peuprès autant que lehasard), commesi, par rapport àceuxqui n’avaient euque l’image, lamusique s’était comportée commeune informationparasite…

Onpeut bien sûr rétorquerquedesprofanesn’ontni la formationnil’oreille pourdépartager correcte-

mentdes interprétationsdehautniveau.C’est pour cette raisonqueChia-JungTsay a ensuite convoquéprèsde 150musiciensprofessionnelspour réitérer ses expériences aveceux. Sortez les blaireauxet laissez fai-re les pros. Onva voir ce qu’onvavoir ou, plutôt, onva écouter cequ’onva écouter.

Bilan: une catastrophepour lepanel d’experts.Non seulement ilsont reproduit exactement lemêmetypede résultats que les novices,mais ils ont aussi, à chaque fois, faitmoinsbienqu’eux! Pour eux com-mepour les autres, lamélodie s’avé-rait unbruit encombrant, un comblepourun concours demusique.

Evidemment, cette expérience sou-ligne surtout la vulnérabilitédesjurys face aux informationsvisuellesémisespar les interprètes. Dansunedernière série de tests où seuless’apercevaient les silhouettes ennoiret blancdes solistes, Chia-JungTsay amontréque les vainqueursdesconcours étaient surtout ceuxdontles postures suggéraient la passion,la créativité, l’engagementdans l’in-terprétation…Bonmusicien, c’estbien, bon comédien, c’estmieux.p

Desfaiblesforcesauxgrandseffets

Connaissez-vous le gecko?C’est un petit et sympathi-que lézard des pays chauds,capable de grimper sur tou-

tes les surfaces, y compris sur lesvitres ou sur les plafonds, grâce àdes poils high-tech sous ses doigts.

Ces poils ont d’exceptionnellescapacités d’adhérence, qu’onessaie, jusqu’ici sans succès, dereproduire artificiellement. Cen’est qu’un exemple des forcesentremolécules, omniprésentesdans lemonde autour de nous.Elles sont responsables de nom-breux phénomènes, de la capillari-té à l’action des détergents.

L’existence de ces forces, quidominent à des échelles allant desnanomètres auxmicromètres, avaitété imaginée au XIXesiècle parJohannes van derWaals, physiciennéerlandais, dont elles tirent leurnom. Leurs caractéristiques ont puensuite êtremesurées par desméthodes indirectes, en étudiantles propriétés des liquides et des gazformés par cesmolécules. Au coursduXXesiècle, grâce à lamécaniquequantique, on a réussi à en donnerune théorie quantitative.

En effet, comment expliquerqu’un système électriquement neu-tre commeunemolécule ou un ato-me puisse en attirer un autre toutaussi neutre?

La réponse tient au fait que lesélectrons d’unemolécule, ou d’unatome, peuvent se regrouper du

même côté pendant de très courtsinstants. Cette petite asymétrieélectrique entre les électrons et lacharge positive du noyau est cequ’on appelle un dipôle. La sépara-tion entre les charges positives etnégatives aura comme effet d’orien-ter dans lemême sens le dipôled’une autremolécule et produiraune faible force.

Une équipe de l’Institut d’opti-que (CNRS, université Paris-Sud),dirigée par Lucas Béguin, vient deréaliser l’exploit demesurer directe-ment cette force. Ils ont réalisé l’ex-périence rêvée d’un physicien: pla-cer deux atomes (dans ce cas de rubi-dium) à une distance bien précise etmesurer la force entre eux.

Une des clés de cette réussitetient à l’utilisation d’atomes dansun état dit «de Rydberg». Dans cesatomes, un électron se trouve dansun état très excité, à une distancemille fois plus grande du noyau quedans l’état normal. Comme la forcede van derWaals dépend de sa capa-cité à former un dipôle électrique,et que celle-ci est beaucoup plusgrande pour ces atomes, il en résul-te que ces forces sont amplifiées,jusqu’à vingt ordres de grandeur.

Pourmesurer cette force, on exci-te le systèmepar un laser, dont lafréquence est proche de celle néces-saire pourmettre un atome dans unétat de Rydberg. Lorsque l’énergieliée aux forces de van derWaals estde cemême ordre de grandeur, desphénomènes complexes peuvent seproduire. On peut ainsi trouver lesystème à la fin avec zéro, un oudeux atomes dans l’état de Rydberget lamesure de ces probabilités per-met de calculer l’énergie due auxforces en question.

Les auteurs ont ainsimesuré lavariation de cette force en fonctionde la distance entre les deux ato-mes. Cetteméthode pourra être uti-lisée pour des études de précisionafin de vérifier de petites déviationsprévues par la théorie. Commedansbien d’autres cas, l’avancée de nosconnaissances fondamentales pour-rait aller de pair avec des applica-tions pratiques, à plus long terme.

Dans ce cas, l’état complexe for-mé par les deux atomes pourraitêtre un premier pas vers la réalisa-tion d’un ordinateur quantique,capable de réaliser des calculs quidépassent largement les capacitésdes ordinateurs actuels.p

Plongéedanslaphysiquequantique

Cetouvrage tentededémystifieruneétrange théorie autraversd’unsièclededécouvertesetdequestionnements

Onjugemieuxunmusiciensansleson

IMPROBAB LO LOG I E

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Viviane Thivent

La physique quantique est à la vulgarisa-tion ce que la glace à la vanille est à ladame blanche : une entité attrayantenoyée sous une épaisse couche de chan-

tilly dans un cas et d’images brumeuses dansl’autre. Un gloubi-boulga allégorique danslequel il est question de chat à la fois mort etvivant, de galaxies tenant dans une tête d’épin-gle, de vide complètement plein ou encore departicules dont on ne peut connaître en mêmetempset lapositionet la vitesse.Dequoidonnerau néophyte un lointain parfum de physiquequantique sans lui permettre de comprendre lanatureprofondede cette théorie.

Et pourtant. Les lois de la théorie quantique«sont si simples qu’on pourrait les résumer audos d’une enveloppe», écrivent Brian Cox et JeffForshaw, professeurs respectivement de physi-que des particules et de physique théorique àl’université de Manchester et auteurs de L’Uni-versquantique.Unouvrageaveclequel ilsenten-dent démystifier la physique quantique en per-mettant au quidam de déchiffrer les équationsetdesaisir l’origine théoriqueouexpérimentaledesconcepts.Unobjectif ambitieuxetdans l’en-semble atteint…même si certains passages res-tentindigestesouirritantscarconstituésd’inces-santesmisesengardeconcernant labizarrerieetla complexitédes idéesmanipulées. Il faut doncs’armerdepatiencepour entameret poursuivrecette lecture.Mais le jeu envaut la chandelle.

Car cette plongée dans la « science desgamins»– les célèbresHeisenberg,DiracetPauliont à peine une vingtaine d’années lorsqu’ilscontribuentàlathéoriequantique–amènelelec-teur à considérer son environnement directsous un jour nouveau et souvent vertigineux.Par exemple, la si palpable matière qui nousentoure et dont nous sommes constitués estpour l’essentiel vide. Si plein de rien que le lec-teur s’étonneradenepaspasserplus facilementau traversde sa chaiseet, pis encore, d’être capa-ble de répondre à cette improbable réflexionavecun raisonnement scientifique.

Au fil des expériences, des observations, descalculs et des questionnements, c’est toutel’étrangetéde la théoriequi sedessine,maisaus-si toute sa puissance prédictive. Au-delà, lesauteurs s’efforcent de montrer comment cettephysique contre-intuitive a permis de révolu-tionner notre quotidien en favorisant notam-ment l’invention du transistor et, avec lui, desordinateurs. On notera enfin une explicationclairedubosondeHiggs, ainsi quequelques sor-tiesamusantescommecelleduphysicienbritan-niqueErnestRutherfordàproposd’unpersonna-geofficiel imbude lui-même:«Il est exactementcommeunpointeuclidien: il aunepositionmaisunegrandeurnulle.»

Au final, cet ouvrage est un concept quanti-que à lui tout seul dans le sens où il est à la foisexaltant et ennuyeux, clair et brumeux. Ilméri-tequoiqu’ilensoit ledétourcariloffrel’opportu-nitéréellepourlesnon-physiciensmotivésd’en-trerdanslesrouagesdelaphysiquequantique.p

L’Univers quantique. Tout ce qui peut arriver arrive…,de Brian Cox et Jeff Forshaw, Dunod, «Quai des scien-ces», 250p., 19,90¤.

L E S COU L I S S E SD E L A PA I L L A S S E

MarcoZitoPhysicien des particules,

Commissariatàl’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

UngrandcanyonauGroenland

SCIENCE&MÉDECINE r e n d e z - v o u s

ConférenceUniversité d’été AlzheimerContre lamaladie d’Alzheimer, il n’existepas encore d’outils thérapeutiquesefficaces,alors que les capacités de dépistageprécoces’améliorent: comment faire usagede ce savoir, est-il « inutile» voirenéfasteou, au contraire, permet-il d’anticiper?Ces questions sont au cœur de la troisièmeéditionde l’universitéd’été Alzheimer,qui se tiendra à Lille du 17 au 20septembre.> ZenithArenadeLille.> Inscriptions gratuitesmais obligatoiressur le site: www.espace-ethique-alzheimer.org

L E L I V R E

Cette image révèle le relief duGroenland, expurgéde sa calotte de glace. Elle pointevers le nord-ouest, depuis le centre de l’île, et dévoileun canyonlongde 750kmetprofondde800mqui s’étendvers lenord. Elle est le fruitdequaranteansd’acqui-sitionsd’imagerie radar. Cettevaste cicatrice géolo-

giquepourraitdrainer l’eaude fontequi agit com-meun lubrifiant, expliqueuneétudepubliéedansSciencedu30août. Elle réduirait la vitessede glisse-mentde la calotte vers lesmargesduGroenland:un critère à considérerpourprédire l’impactduréchauffementclimatique. (J. BAMBER, UNIVERSITY BRISTOL)

Conférence

6 0123Mercredi 4 septembre 2013

Page 7: SCI - 04 Septembre 2013

Lamigrationdesgrues,uneaffaired’expérience

PascalineMinet («Le Temps»)

Dans quelques semaines, desmilliersd’oiseauxvont quitter nos régionsendirectionde cieuxplus cléments.Un tel comportement est-il inscrit

dans les gènes des oiseaux, ou l’apprennent-ils au contact de leurs congénères?Une étude,publiée le 30aoûtdans la revue Science, appor-te denouveaux éléments audébat : ellemon-tre que chez les grues blanches américaines,les oiseaux expérimentés aident les plus jeu-nes à optimiser leur voyage.

Grusamericana, élégant échassier blanc àcalotte rouge est, avec ses 1,5mètre de haut etsonenvergurede plusde 2mètres, le plusgrandoiseaunord-américain. Elle a beaucoupsouffert de la chasse et de la destructiondesonhabitat, aupoint de frôler l’extinctiondans les années 1940: seuleunevingtained’in-dividus subsistait alors. Depuis, des efforts deconservationont permis de reconstituerunepopulationnaturelle d’environ250individus.

Audébut des années 2000, une initiativevisant à réintroduire les grues dans l’est desEtats-Unis a vu le jour. Cette nouvelle popula-tion comprend aujourd’huiune centained’oiseaux. Les petites gruesnées dans le cadrede ce programmesont élevées en captivitédansune réserve duWisconsin, dans le nord-est dupays. Lors de leur premier été, des spé-cialistes les entraînent à suivreunULMcom-mes’il s’agissait de l’unde leurs congénères. Al’automne, cet enginguide les jeunes oiseauxdans leur premièremigration, jusqu’en Flori-de, à plus de 2000kilomètres de là.

«On se doutait que l’apprentissage jouaitun rôle clé dans lamigrationdes grues, puis-qu’ellesne parviennentpas à effectuer leur pre-mier voyage vers le Sudpar elles-mêmes, recon-naît ThomasMueller (université duMaryland), premier auteur de l’étude.Cepen-dant, les jeunes grues reviennent spontané-ment dans leMarylandauprintemps suivant,ce qui suggère qu’il y a aussi une part innéedans leur comportementmigratoire.»

Cesoiseaux sont équipésd’un systèmedegéolocalisation. Leurs trajets ont été enregis-trés avec précisionpendanthuit années consé-cutives, de 2002 à 2009. C’est en analysant cesdonnées que ThomasMueller et ses collèguesse sont rendu comptedu rôle déterminantdes grues expérimentées. Celles âgées d’unan, lorsqu’elles effectuent le voyage entreelles, dérivent d’environ75 kilomètrespar rap-port à l’itinéraire le plus direct entre la Florideet leWisconsin.Mais lorsqu’elles sont accom-pagnéespar unede leurs congénères âgéed’aumoins8ans, elles nedévient plus enmoyennequede 45 kilomètres! Les jeunesgrues semblent donc bel et bienbénéficier del’expériencede leurs aînées. «La présenced’un seul oiseauâgé suffit à optimiser le trajetde l’ensemble dugroupe», indiqueThomasMueller, qui précise que la compétencedesgruesprogresse au cours des cinq premièresannéesd’existence, avant de se stabiliser.

Les scientifiques n’ont en revanche pastrouvé de lien entre la taille du groupe degrues et la qualité de la trajectoire, réfutantl’idée selon laquelle ellesmettraient en com-mun leur savoir pour s’orienter. Ils n’ont pasnon plus établi de relation entre le sexe et l’i-tinéraire – non, lesmâles n’ont apparem-ment pas unmeilleur sens de l’orientationque les femelles. Enfin, aucune famille degrues particulièrement douée pour lamigra-tion n’a été identifiée. Le caractère détermi-nant pour la réussite du voyage semble bienêtre l’expérience.p

Z O O L O G I E

David Larousserie

J ean-Pierre est un phénomène quantique:beaucoup d’énergie et d’impulsion, et com-plètement délocalisé !», a ironisé le physi-cien Nikita Nekrasov, le 1er juillet, lors de la

cérémoniededépartdesondirecteur, lemathé-maticien Jean-Pierre Bourguignon. Il illustraitainsi l’incroyablebougeottedesoncollègue,quia dirigépendantdix-neufans, un record, l’Insti-tut des hautes études scientifiques (IHES), àBures-sur-Yvette (Essonne). C’est qu’il en a falludes voyages pour inviter ou recruter lesmeilleurs chercheursdumondeentier, oupourtrouver des fonds, ou encore développer lerayonnement de cet établissement atypique,mi-publicmi-privé,crééen1958etsouventcom-paré à Princeton, aux Etats-Unis.«J’ai dû passerpasloindemille foispar l’aéroportdeRoissypen-dant cette période», a précisé ce jour-là ce direc-teur sans frontières, dont beaucoup de collè-gues témoignent avoir reçu des mails depuisdes lieuxetàdesheures inhabituels.

L’agitation est moindre, mi-août, dans sonbureaudésormaisvide.Maislejeuneretraité,néen 1947,qui quittera leCNRSaumêmemomentque l’IHES, a déjà en tête ses cours à donner àl’université Stanford (Etats-Unis) jusqu’à la finde l’année.Côté science, il est aussi sans frontiè-res.«Ilnefautpasréduirel’IHESauxmaths. Il yaaussi de la physique théorique, de la biologie etde la haute technologie», rappelle celui qui abeaucoupcontribuéàcetteouverture.«L’avenirdesmaths est aussi dans la rechercheautourdesinterfaces entre disciplines, et pas seulementdansl’approfondissementdesdomainespropresaux mathématiques», insiste-t-il. Et de citeravec gourmandise tel astrophysicien collabo-rantavecunbiologisteetunmathématiciensurle vieillissement cellulaire, ou tel physiciendis-cutantavecunmatheuxpourrésoudredespro-blèmesdephysiologiecardiaque…

Cette diversité insufflée à l’IHES était déjàchezcecurieuxdenature.«Audépartj’étaisatti-réparlamécanique,etpasparlesmaths.Lorsqueplustardj’aivoyagé,jedemandaistoujoursàvisi-ter des usines alentour», se souvient Jean-PierreBourguignon, qui a aussi rempli bien des fonc-tions. Recruté jeune, avant sa thèse, au CNRS, ildevient assez vite président de commissionpour le recrutement – il sera aussi président ducomitéd’éthiquede l’organismede2007à2011.Il a présidé la Sociétémathématique de France(SMF, 1990-1992), mais aussi son équivalenteuropéen (1995-1998), à la créationde laquelle ilamêmeassisté, en 1990. Il a enseigné la géomé-trie différentielle à l’Ecole polytechnique de1984 à 2012. Lorsqu’il détaille ce parcours, avecunemémoire impressionnantedesnomsetdesdates, il donne à chaque fois l’impression d’yavoirétéunpeuparhasard.«Jen’étaispaslepre-mierchoix»,«Jenesaispascommentilsonttrou-vémonnom»…«Jean-Pierreestuneforteperson-nalité,mais il est franc et honnête. Il n’a pas l’es-

prit retors et n’est pas prétentieux. Il n’agit paspour le profit qu’il pourrait en tirer», témoigneJean-François Mela, mathématicien et ancienprésidentde la SMFetde l’universitéParis-XIII.

La communauté des maths lui doit beau-coup.Alafindesannées1980, lesmathsfrançai-ses souffrent demoyens et de recrutements enbaisse. Il lance alors en 1987, avec d’autres,maiscontre une partie de la communauté, un collo-que, «Mathématiques à venir», avec le soutien

d’industriels, à destination d’un large public.«Parler d’impact social des maths apparaissaitcomme une trahison à certains», se souvientJean-FrançoisMela.Cefutlesuccès.«Lesfinance-mentsontdoublé», rappelleJean-PierreBourgui-gnon, qui se souvient encore des huit pagesdansLibération relatant l’événement.

Même succès à l’IHES, qu’il a considérable-menttransformé.«Notreententen’étaitpasfor-cément acquise», se souvient Philippe Lagayet-te, actuel président du conseil d’administrationde l’IHES mais surtout banquier. Le matheux,qui, élève en 1968 à l’Ecole polytechnique, étaitparmi les leaders d’une rébellion des élèvescontre l’organisation de l’enseignement, s’estmuéenchefd’unepetiteentreprise.«Ilavaituninstinctnaturelpourça. Il aimebienexpliqueretavait déjà un grand réseau international. Il esttrès travailleur et a un bon contact humain»,reconnaît Philippe Lagayette, heureux finale-ment de la collaboration. Schlumberger, Axa,Saint-Gobain, la Société générale… et des dona-teursprivésontréponduàl’entraindudirecteuret financent l’IHES.

«Jean-Pierre a compris tôt l’importance desquestionsdecommunicationetderelationsaveclemondeindustriel.Audépart, çapassaitunpeumaldanslacommunauté,maischacunconstate

les avantages aujourd’hui», constate Cédric Vil-lani,Médaille Fields 2010 et présidentde l’Insti-tut Henri-Poincaré. On mesure le chemin par-couru en rappelant qu’en 1970, la vedette de l’I-HES, Alexander Grothendieck, claquait la porteà cause d’un financementde l’IHES en partie liéà la défense… «Jean-Pierre est tout dévoué à sonaffaire. Le réalisateur Olivier Peyon, avec quinous avons travaillé pour un documentaire, ditque c’est un “samouraï des maths”. Quand il aune mission à accomplir, rien ne peut l’endévier», souligne Cédric Villani, qui évoquemêmeun«sensdu sacrifice».

Jean-PierreBourguignonadoncbeaucouptra-vaillé pour la science, pour son financement,pour son organisation (il était encore rappor-teur en Ile-de-FrancedesAssisesde la recherchefin 2012), mais aussi pour sa vulgarisation. Adivers titres, il est intervenu dans six films depopularisationde sa discipline sur les ondes, lagéométrie, l’espace… Il a défendu l’exposition àsuccès«LesDéchiffreurs»,présentantdebeauxportraitsdemathématiciens.Etenoctobresorti-ra chez Dunod une réédition de textes d’un deses maîtres scientifiques, Henri Poincaré, qu’il«conn [aît] par cœur» et dont il a rédigé l’intro-duction. La retraiten’a sonnéqu’officiellement.Denouvellesmissions l’attendentsûrement.p

r e n d e z - v o u s SCIENCE&MÉDECINE

Jean-PierreBourguignon,lesmathssansfrontières

p o r t r a i t | Lemathématicienpartàlaretraiteaprèsunengagementtotalpoursadisciplineetsavulgarisation

a f f a i r e d e l o g i q u e

«Quand Jean-Pierre aunemissionàaccomplir, riennepeut l’endévier»

CédricVillani,mathématicien (médaille Fields 2010)

ED ALCOCK/MYOP POUR «LE MONDE»

L’échassier est, avec son 1,5mètre de hautet son envergurede plus de 2mètres,le plus grandoiseaunord-américain.

OPERATIONMIGRATION USA INC./JOE DUFF

70123Mercredi 4 septembre 2013

Page 8: SCI - 04 Septembre 2013

8 0123Mercredi 4 septembre 2013 SCIENCE&MÉDECINE

La mode est récentemais l’en-gouement est rapide: de plusen plus de personnes connec-tent leur corps à Internet avecdes capteurs reliés à leursmartphone; ici une balance,

làun tensiomètre, ailleursundétecteurdephases du sommeil, un lecteur de glycé-mie (mesure du taux de sucre dans lesang), un cardiofréquencemètre (calcul durythme cardiaque), un podomètre (comp-tage du nombre de pas lors de la marche)ou un accéléromètre, utilisé lors d’un par-cours de jogging pour comptabiliser lesefforts et la distance parcourue, au besoinavec la fonctiondegéolocalisationdu télé-phone.MémoriséssurlaToile, lesrésultatspermettent de suivre l’évolution des per-formances qui sont parfois partagées surles réseaux sociaux.

Ces connexions du corps effectuéessans avismédical sontnommées «quanti-fied self», littéralement «quantifiées parsoi-même». Ce terme, apparu en Califor-nie en 2007, peine à trouver son équiva-lent français (le terme «automesure» estsouvent usité mais il est plus ancien etrecouvre des notions différentes). Ces dis-positifsretiennentl’attentiondes investis-seurs et les pouvoirs publics viennent desoutenir certaines start-up innovant dansce secteur, car elles pourraient bousculerlespratiquesdesantéenaidantàgérercer-taines situations à risques comme l’obési-téou lemanqued’exercicephysique,maisaussicontribuerausuividecertainesmala-dies chroniques.Vraiment?

Que le contextedesnouvelles technolo-gies ne nous trompe pas : mesurer soncorpsn’est pas chosenouvelle. Balances etthermomètres équipent la plupart desfoyers et voilà plus d’un siècle que lesmères de famille suivent la courbe depoidsdeleurbébéetmesurentsatempéra-ture. Aujourd’hui, un tiers des patientshypertendus, soit plus de troismillions depersonnesenFrancedisposentàleurdomi-cile d’un appareil pour mesurer eux-mêmes leur tensionartérielle.

Autant dire qu’il existe un savoirmédi-calétabliquantà l’utilité–ounon–desdif-férentes mesures que les personnes peu-vent effectuer par elles-mêmes. Ainsil’autosurveillance de la tension artérielle

par les patients hypertendusa-t-elle fait lapreuve de son intérêt, et il est prouvéqu’une série de plusieurs mesures faitesaudomiciledansdebonnesconditions (aurepos, lematin et le soir, pendant aumini-mumtroisjoursdesuite)surpasseenquali-té la mesure ponctuelle faite par le méde-cindurant sa consultation.

Autres exemples: certains diabétiquesouasthmatiquessontencouragésparleursmédecins àmesurer eux-mêmes leur tauxde sucre ou leur souffle pourmieux adap-ter leur traitement. De plus, plusieurs étu-des de télémédecine – doncmenées à l’ini-tiative des médecins – plaident déjà pourl’intérêt de la connexion entre patients etsystèmes experts. On a pu ainsi montrerque la télésurveillance de sujets hyperten-dus recevant des consignes de modifica-

tion de traitement (autotitration) permetun meilleur contrôle de l’hypertensionartérielleque laprise en charge classique.

La nouveauté du quantifiedself ne rési-de donc pas dans l’automesuremais dansla connexion. Vendus en dehors des cir-cuits médicaux classiques, les appareilsontun coût abordablequi favoriseunusa-ge grandpublic sans conseilmédical. Pourl’instant, lesachatssontsurtout lefaitd’in-dividus jeunes, des actifs en bonne santé,mais les malades pourraient suivre. Defait, l’Organisation mondiale de la santéconseille de faire 10000pas par jour car ilexisteunlienentreactivitéphysiquerégu-lière, performances physique ou cogniti-ve, et même longévité. On sait aussi que

poidsettourdetaillesontcorrélésàlamor-bi-mortalitécardiovasculaireetquelesper-sonnes obèses et sédentaires ont plus derisques de maladie (infarctus, hyperten-sion, diabète). En empiétant sur le domai-ne de la santé, ces nouveaux outils deconnexion du corps ont une carte à jouer.Mais laquelle?

Lespublicitairesvantent lesavantagesàsepeser, àprendresa tension,à calculer lescaloriesdépenséeslorsd’uneffortouàsui-vresa fréquencecardiaque,mais lesméde-cins se montrent plutôt hostiles vis-à-visdecettemodernitéqui leuréchappe.L’éva-luationdes bienfaits potentiels du quanti-fiedself est rendue difficile par la confu-sionentre lesmondesde lamédecineetdela forme.Comment jugerd’unrythmecar-diaqueà72pulsationsparminutesi l’onnesait pas s’il s’agit d’un sportif entraîné oud’un patient âgé sous médicament? Quedired’unemoyennede tensionartérielleà142/78 si l’on ignore si lamesure a été faitechezune femmeenceinteouunenfant?

Pour un même chiffre, plusieurs inter-prétationssontpossibles.Sansconnaissan-ce du contexte, point de jugement fiable.Et c’est là que le bât blesse : quand bienmême les appareils connectés effectue-raient des mesures exactes (la qualité descapteurs n’est pas un défimajeur pour lesconstructeurs), que se passe-t-il si les algo-rithmes interprétant lesmesures compor-tent trop d’approximations, comme c’estpar exemple le cas avec les calculateurs decalories dépensées lorsdes efforts?

Si les machines guident les hommes, ilfaut penser aux inconvénientspotentiels:que faire si les systèmes ne sont pas assezfiables? Les applications de santé pour-raient-elles être utilisées dansune logiquede contrôle, comme cela commence à sevoir avec la télésurveillancedes apnéesdusommeil ? Qui conserve les mesures ?L’aide à la décision peut-elle se faire sousl’influenced’unmarketing insidieuxcom-me cela existe déjà dans le domaine desconseils nutritionnels? Qui serait respon-sable en cas de conseils inadéquats?

Les autoritésde santénord-américaineset, en France, la Commission nationale del’informatique et des libertés (CNIL), s’in-terrogent sur ces questions. Elles pour-raientrépondreparunedémarchederégle-

mentation (certifier les appareils et lesapplicationsWebassociées)ou se limiter àune démarche d’information. Dans l’im-médiat, la connexion des corps va conti-nuer à se développer car les innovateursduWebtirentplusviteque les administra-tions. Ne le redoutons pas, mais souhai-tonsqu’ilexistedesobservateursindépen-dants pour trier le bon grain de l’ivraie etrenforcer l’information des consomma-teursprêtsàvoir leur téléphonerégir leurscomportementsde santé.

Au fait, vous avez pris un peu de poids;votre téléphone vous déconseille-t-il unesortie au restaurant ou bien vous deman-de-t-il d’aller faire de la gym?p

Le supplément «Science &médecine» publiechaque semaine une tribune libre ouverte aumonde de la recherche. Si vous souhaitez sou-mettre un texte, prière de l’adresser à[email protected].

Tensiomètre, lecteurdeglycémie,cardiofréquencemètre…SelonNicolasPostel-Vinay,deplusenplusdepersonnesconnectentleurcorpsàInternetavecdescapteursreliésàleurtéléphonemobile,endehorsdetoutconseilmédical

Nossmartphonesvont-ilsguidernospratiquesdesanté?| t r i b u n e |

¶Nicolas Postel-Vinay

est praticien dans l’unitéd’hypertension artérielle(informatiquemédicale)de l’hôpital européen

Georges-Pompidou, à Paris,et directeur du site

www.automesure.com([email protected]).

Plusieurs étudesde télémédecineplaident déjàpour l’intérêt

de la connexionentre patients

et systèmes experts

0123BOUTIQUEEN LIGNE

RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique

ACCÉDEZ À L’INTÉGRALITÉDES «UNES» DU MONDE

ET RECEVEZ LA «UNE» DEVOTRE CHOIX, ENCADRÉE

ACCÉDEZ À L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE

ET RECEVEZ LA « UNE » DE VOTRE CHOIX, ENCADRÉE

www.lemonde.fr

65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---Jeudi 22 janvier 2009

Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack etMichelleObama, à pied sur Pennsylvania Avenue,mardi 20 janvier, se dirigent vers laMaisonBlanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObama en2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo. Pages 6-7 et l’éditorialpage 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviewspage 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtes à venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquêtepage 19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds.« C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mière foisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-Richard

Lire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscours ne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvelle génération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformationa commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.Lire la suite page 6

Corine Lesnes

EducationL’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre explique

comment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

REPORTAGEUKprice£1,40

L’investiture de Barack ObamaPremières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension des audiences à Guantanamo

Le livre-enquête incontournable pour alimenter le débatsur l’avenir de l’école.

27 000 profs partiront chaque annéeà la retraite, d’ici à 2012.

www.arteboutique.com

un éditeur derrière l’écran >

Nouvelle éditionTome 2-Histoire

EncyclopédieUniversalis

En plus du « Monde »Uniquement en France métropolitaine

Un vitrage qui sait faire de l’ombre

SOURCE : NATURE, 15 AOÛT 2013.INFOGRAPHIE LE MONDE

Les stores et autres volets sur les fenêtrespourraient bientôt disparaître. Une équipedu Laboratoire national Lawrence Berkeley(Californie) a présenté dans la revue Naturedu 15 août un prototype de verre actif dontles propriétés d’absorption sont contrôléespar une tension électrique de moins de 5 volts.Le verre peut se mettre dans trois états :transparent, froid, (en absorbant les longueursd’onde infrarouges qui chauffent l’air), sombre(en arrêtant presque totalement la lumière).« C’est une technologie prometteuse, maispour l’instant à l’échelle du laboratoire »,estime Armand Ajdari, directeur de la R&Ddu Pôle Matériaux innovants de Saint-Gobain.Il existe déjà des verres actifs « éclairants »,grâce à des diodes intégrées, ou « chauffants »,grâce à des couches électriques transparentesqui dissipent la chaleur.Saint-Gobain fabrique même depuis début2013 des vitrages, SageGlass, qui passent dutransparent au foncé selon un principe prochede celui des Américains. Le courant apportedes électrons qui modifient chimiquement desmolécules. Celles-ci absorbent alors davantagela lumière.L’idée californienne donne une libertésupplémentaire : l’absorption de l’infrarougesans diminuer la transparence dans le visible.Le lendemain de la publication, la start-upHeliotrope, fondée par certains des auteursde l’article, annonçait la commercialisationde sa technique pour la fin 2013 (et une arrivéesur le marché espérée en 2017). Une prévisionqui est sans doute optimiste : Saint-Gobaina mis vingt ans à passer du laboratoire à desvitrages commerciaux. Il faut en effet s’assurerde la durée de vie du verre et de sa qualité, touten maîtrisant les coûts.

Echelle non respectée

Le verre est un sandwich de plusieurs matériaux. Deux électrodes transparentes à base d’oxyde d’indium-étain (ITO), comme celles des écrans tactiles,recouvrent les deux surfaces. Entre elles, un électrolyte permet le passage des ions lithium. Il est liquide dans l’expérience mais pourrait être solide,comme dans le verre SageGlass de Saint-Gobain. Enfin, l’innovation réside dans le mélange de nanoparticules d’ITO au sein d’une matrice en verre à basede niobium. A faible voltage (1), la vitre est transparente. A une tension plus élevée (2), les nanocristaux sont moins oxydés et absorbent les infrarouges.Pour une tension plus forte, c’est la matrice de verre qui devient absorbante pour les longueurs d’onde visibles (3) : aucune lumière ne passe.

Electrode Electrolyte Electrode

Nanoparticules

Volts

Li+Li+ Li+

Lumièreinfrarouge

Lumièrevisible

1. Transparent 2. Froid 3. Obscur

V V