Schopenhauer, Goethe, Swedenborg et la théorie des couleurs

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Schopenhauer, Goethe et la théorie des couleursAngèle Kremer-Mariettisuivi deLes couleurs "physiologiques" selon Goethe(chapitre extrait de L'homme de lumière dansle soufisme iranien de Henry Corbin)Les couleurs selon Swedenborg(Index des Arcanes Célestes)

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Schopenhauer, Goethe et la thorie des couleurs Angle Kremer-Mariettisuivi de Les couleurs "physiologiques" selon Goethe (chapitre extrait de L'homme de lumire dans le soufisme iranien de Henry Corbin)Les couleurs selon Swedenborg (Index des Arcanes Clestes)Schopenhauer, Goethe et la thorie des couleursANGLE KREMER-MARIETTIGoethe possdait le dle regard objectif qui se plonge dans la nature des choses; Newton ntait quun mathmaticien, seulement empress de me-surer et de calculer, et basant ses fondements sur une thorie dcousue du phnomne superciellement saisi. Cest la pure vrit. Cela dit, grimacez maintenant votre aise. Schopenhauer partir des travaux optiques de Newton, lide simposa que les couleurs relevaientdunphnomnephysiqueetobjectif,leurvisionprovenantdun phnomnedetransmissiondelalumire.Ettelletaitdonclapositiondu milieu acadmique lpoque de Goethe. Ds lors, il est facile de compren-dre la raison du peu de considration que ses contemporains manifestaient lendroitdesthoriesdeGoethe.Indigndecemprisquasignral,Scho-penhauer protesta vigoureusement dans son crit dans lalbum de Goethe Francfort1:Au lieu, en effet, que la vrit complte et la haute excellence de celle-ci aienttreconnuesselonleurmrite,cettethoriepassehabituellement pour un essai manqu dont les gens comptents ne font que sourire, comme sexprimaitrcemmentunjournal,pourunefaiblessedugrandhomme, quil convient de dplorer et doublier.2

SilestunproblmequiabeaucoupproccupSchopenhauer,derrire Goethe qui ly avait initi, cest justement celui de la vision des couleurs. La questionfondamentalequitaitposedepuislongtempstaitdesavoirsila couleur est purement subjective ou si elle est, au contraire, purement objec-tive. Le premier, Descartes avait afrm, dans sa Dioptrique3, quil ne fallait pasdistinguerlescouleursdelalumireproprementdite:lesobjetsphysi-ques ntaient pas colors position qui tait galement celle de Galile et de 1. Voir Schopenhauer, Sur la thorie des couleurs 107, in Schopenhauer, Philosophie et scien-ce, TraductiondAugusteDietrich,revue,corrigeetcompltepar AngleKremer-Marietti,Introduction et notes par Angle Kremer-Marietti, Le livre de Poche, Classiques de Poche, 2001, p 213.2. Arthur Schopenhauer, Sur la thorie des couleurs, in Schopenhauer, Philosophie et science,op. cit., p. 213.3. RenDescartes,Dioptrique(1637),inuvresphilosophiques,EditiondeFerdinand Alqui,Tome I, Paris, Garnier, 1963, pp. 651-717. ANGLE KREMER-MARIETTI 280Locke. Si tel tait bien le cas, la question se posait de savoir ce qutaient les couleurs par rapport la lumire. Organe minent de relation entre lindividu et la nature, lil a t privilgi dans la culture de Goethe et la facult de la vue trs signicative dans le pro-cessus de sa pense. Son intense activit en matire de vision na jamais cess; elle a mme ponctu son dveloppement intellectuel. Quil sagisse, dans sa jeunesse artiste, de la vision romantique de la bien-aime partout inscrite dans la nature. Ou quil sagisse, dans la maturit, dune vision mthodique scru-tant toutes choses, les observant dun il analytique. Cest certainement grce sa perception visuelle experte que Goethe dcouvrit la loi du contraste des couleurs et leur harmonie. Schopenhauer reconnaissait avec discernement ce trait important de la personnalit du penseur:Goethe possdait le dle regard objectif qui se plonge dans la nature des choses4.Livrsansrelchelapratiqueoulacontemplationdesartsplastiques, Goethe a constamment exerc sa perception visuelle: sa familiarit avec lart ne cessant jamais, son accs la philosophie fut galement sans n. Amateur chaleureux de Van Eyck et de Lucas Cranach, il cultivait aussi un persistant enthousiasmelgarddeKant,mmesi,lopposdeKant,ilvivait,les yeux grand-ouverts. Goethe a t proccup par le problme de la perception: mais il ne tranchait pas entre lexprience et lide, admettant que les deux de-vaient tre troitement entremles. Dune insatiable curiosit lie un intrt afrm pour les questions scientiques, il tira de son voyage en Italie locca-sion dune rvlation ltendue impressionnante, allant de la jouissance de lharmonieuniverselledanslartetlanaturejusqulentreprisedetravaux divers touchant des sciences telles que la gologie, la botanique, loptique, qui furent la base de ses essais sur la mtamorphose des plantes ou la morphologie animale et surtout de sa clbre Thorie des couleurs5 de 1810.Laspect scientique de luvre de Goethe a t remis lhonneur par plu-sieurs tudes assez rcentes dont il faut rappeler limportance en commenant 4. Arthur Schopenhauer, Sur la thorie des couleurs, in Schopenhauer, Philosophie et science,op. cit., p. 212.5. ZurFarbenlehre,Goethe-GABd.16.Aussi,JohannWolfgangvonGoethe,SchriftenzurNaturwissenschaften, Stuttgart, Reclam Verlag, 1977, en particulier, Zur Farbenlehre; en fran-ais: Traitdescouleurs,d.parRudolfSteiner,Paul-HenriBideau,trad.delallemandparHenriette Bideau, Paris, ditions Triades, 1983 (3e dition). Johann Wolfgang von Goethe, Ma-triaux pour lhistoire de la thorie des couleurs, Prface par liane Escoubas, traduction parMaurice Elie, Toulouse, d. PU Mirail, 2003, 476 pages. De Maurice Elie, voir Lumire, cou-leurs, nature. Loptique et la Naturphilosophie, Paris, Vrin, 1993. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 281par celle de Dennis Sepper (1988), attentif la polmique qui opposa Goethe Newton6, et qui a parfaitement analys pourquoi et comment Goethe tenta de faire valoir en ce domaine ses arguments contre la conception newtonienne. Dans cette voie Sepper avait t prcd par Hermann von Helmholtz (1881), physicien et physiologiste7, et par le prix Nobel de physique Werner Heisen-berg(1941,1967)quitaitunferventpartisandestravauxdeGoethe8.La thorie de Newton a fait lobjet dune tude scientique approfondie mene par Michel Blay (2000)9 qui a mis en vidence tous les lments de la tho-riedeNewtonconcernantlesphnomnesdelacouleur,sansobnubilerce quelle pouvait avoir aussi de discutable. Dans le mme ordre de recherches, il faut voquer le livre de Henri Bortoft (1996)10, La dmarche scientique de Goethe11, pour comprendre ce qui sparait Goethe de Newton: pour Goethe, chaque couleur est vue comme lexpression directe dun principe gnrateur dynamique travers lequel cest la totalit du cycle des couleurs qui se met dans un ordre signicatif; tandis que dans la thorie newtonienne la squence des couleurs du spectre est arbitraire puisquelle ne correspond qu un angle de rfraction et la vitesse de particules hypothtiques. Rappelons, ce pro-pos, que Goethe aurait aim crire un grand pome sur le monde, qui aurait regroup toutes ses connaissances (chromatologiques, gologiques, morpho-logiques,botaniques,archologiques,mtorologiques)limagedupome de Lucrce, De natura rerum. Cet intrt pour la crativit la fois artistique et scientique de Goethe a t clair nouveau par lexamen qua dvelopp Astrida Orle Tantillo (2002)12 en notant avec justesse combien Goethe croyait dans une nature cratrice, non pas fonde sur des lois statiques, mais propre se manifester bien au-del de ce qui est gnralement admis dans le concept reconnu de loi de la nature. Cette ouverture avait dailleurs t perue par 6.Dennis L. Sepper, Goethe contra Newton: Polemics and the Project for a New Science of Color,Cambridge University Press, Cambridge, 1988, 2002.Voir aussi, de Ren Micha, Les travauxscientiques de Goethe, Paris, Aubier Montaigne, 1992.7. H.vonHelmholtz,OntheRelationofOptickstoPainting,PopularLecturesonScienticSubjects (1881), 2d series, new ed., Londion, 1895, 73-130.8. W.Heisenberg,DieGoethescheunddieNewtonscheFarbenlehreimLichtedermodernenPhysik. Geist der Zeit, Neue Folge, 19, 261-275 (1941); cf. Gesammelte Werke, vol. CI, Mu-nich, 1984, 146-160. Werner Heisenberg, Goethes View of Nature and the World of Scienceand Technology(1967),in W.Heisenberg,AcrosstheFrontiers,(PeterHeath,trans.),NewYork: Harper & Row, 1974, 122-141.9. Michel Blay, La conception newtonienne des phnomnes de la couleur, Paris, Vrin, 2000.10. Henri Bortoft, The Wholeness of Nature: Goethes Way toward a Science of Conscious Partici-pation, Lindisfarne Book, 1996, 2004.11. Henri Bortoft, La dmarche scientique de Goethe, Paris, d.. Triades, 2001.12. AstridaOrle Tantillo,The WilltoCreate:GoethesPhilosophyofNature,UniversityofPitts-burgh Press, 2002. ANGLE KREMER-MARIETTI 282JacquesLacoste(1997)13dansuneperspectivephnomnologique,maisen sanctionnant ce qui tait ses yeux lchec scientique de Goethe, alors que, pourJean-ClaudePiguet(1997)14,aucontraire,ilyauraiteuenpuissance, chez Goethe, une vritable pistmologie des phnomnes humains. Sil nous fallait estimer lampleur phnomnale de lhomme universel que fut Goethe tel quil simpose notre rexion, nous pourrions valuer labon-danceetlaperspicacitmanifestedesesdiversetmultiplestravaux,et,en particulier, ses nombreuses descriptions relatives aux couleurs, qui comptent plus de deux mille pages crites de 1790 1823. Sur ce travail auquel il avait consacr beaucoup de temps, Goethe sexprimait ladresse de Charlotte von Stein, le 11 mai 1810, en lui dclarant quil ne regrettait en rien le temps pass durant lequel il avait beaucoup appris. Surtout, le voyage en Italie, partir de septembre 1786 jusquen 1788, lui avait fait appliquer la fameuse devise: De lart la sagesse, car Goethe pouvait afrmer quil fallait avoir ressenti, dans la nature, la splendeur du ciel dItalie et, dans les muses, la beaut des toiles aux couleurs rutilantes des plus grands matres, pour prodiguer ensuite une at-tention soutenue pour les couleurs, cette fois en tant que savant. Le 10 novem-bre 1786, Goethe pouvait noter ses impressions, dans son Voyage en Italie:Mon application voir et enregistrer les choses comme elles sont, [] me laisser instruire par mes yeux, mon loignement absolu de toute prten-tion, me servent de nouveau merveille, et me font goter en silence une grande flicit. Tous les jours, un nouvel objet digne de remarque, tous les jours des images vives, grandes, singulires, et un ensemble auquel on pense et lon rve longtemps, sans que jamais limagination puisse latteindre.15Ce nest donc pas en un jour que les observations de Goethe sur les phno-mnes de la couleur se trouvrent tablies, combines, compares, commen-tes, et rfres, sur la base que les couleurs sont des faits qui appartiennent la lumire: Die Farben sind Taten des Lichtes16. Ensuite, par ses soins, les couleursfurentclasses,prsentes,argumentes;mais,fondamentalement, elles avaient t suscites son esprit par un phnomne primitif: le fameux Urphnomen,queGoethedisaitsetenirloriginedetoutedcouverteou intuitionscientiquedterminante.Donc,aprsavoirobservetclassles phnomnes empiriques, Goethe constate quune exprience rsume la loi se 13. Jean Lacoste, Goethe, Science et philosophie, Paris, PUF, Perspectives germaniques, 1997.14. Jean-Claude Piguet, Philosopher avec Goethe. Une pdagogie de la connaissance, Le Mont surLausanne, 1997.15. Johann WolfgangvonGoethe,LevoyageenItalie,traductiondeJacquesPorchat;trad.rvi-se, complte et annote par Jean Lacoste, Bartillat, Paris, 2003.16. Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 9. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 283rvlant son observation. Alors, dans un troisime moment de sa recherche, apparat ce que Goethe pense tre la cause ultime, dabord lie aux obser-vationsdesphnomnesempiriques,ensuiteisoleetenntiredesphno-mnes scientiques, pour devenir, ses yeux, un phnomne pur (Urphno-men), et cela, selon la tripartition que Goethe avait retenue de la Critique de la raison pure de Kant: en phnomne empirique, phnomne scientique et phnomne pur. Auxcouleursdioptriquesdelapremireclasserelevantdemilieuxtrou-blesdanslesquelslesombreestmlaulumineux,succdentlescouleurs dioptriquesdeladeuximeclasse,apparaissantparrfractiondelalumire dansdesmilieuxtransparentsetpermettantltudeduprisme,quicombine les expriences objectives et les expriences subjectives (voir le chapitre XI de la seconde section du Trait des couleurs). Lorsque la lumire passe travers les milieux troubles (atmosphre, eau savonneuse, fume) et que lil regarde travers ces derniers, la premire classe contient les phnomnes de la plus haute importance qui orientent verslune des plus grandes maximes de la nature,lephnomnepurouprimitif,loriginedelapparitiondune quantitdecouleurs,entreautresatmosphriques,quiensontdrives.Les casderfractiondanslasecondeclassesontdabordaccomplisdemanire subjective;ilssontensuiteobjectifsetsemontrentabsolumentirrfutables. Ce qui veut dire quaucune lumire incolore, de quelque sorte quelle soit, ne peut produire une apparition de couleur travers la rfraction si elle nest pas limite, ni non plus transforme dans une image17.Il sagit, avec Goethe, essentiellement de descriptions qui attestent que les couleurs plissent quand est diminue la diffrence entre le blanc et le noir, et que, dans toutes les apparitions du bleu/violet au rouge/jaune, les lments persistants sont la lumire, lobscurit et le milieu de leur rencontre. On peut voir se superposer soit la lisire jaune et la frange bleue, soit la lisire violette et la frange rouge: dans le premier cas, le vert apparat; dans le deuxime cas, ce qui apparat cest un rouge violac (le rose tyrien ou le magenta). Les paires rouge/jaune et bleu/violet, dj observes dans les milieux troubles, sont alors visibles. Ce qui veut dire que les couleurs dioptriques de la deuxime classe sontdrives,tandisquelescouleursdioptriquesdelapremireclassesont principales.Ainsi, ce que Goethe nomme Urphnomen et que nous pouvons traduire parphnomnepur,primordialouarchtypal,ouencorephnomne 17. Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 753. ANGLE KREMER-MARIETTI 284primitif reprsenterait, en fait, lanalogue du rsultat de linduction pist-mologique sappuyant sur les faits observs pour en tirer les faits non observs, supposs soumis la mme loi induite, le produit du processus comment par lpistmologie traditionnelle. Toutefois, la diffrence du processus pis-tmologique, purement intellectuel, il sagissait avec Goethe dun phnomne de la perception visuelle comparable ce que Rudolf Arnheim (1951) nom-meralastructureinduite:cest--direunlmentintgraldecequiest immdiatement peru18. Il nest dailleurs pas exclu que cette ide soit venue ArnheimsurlabasedecelleduphnomneprimitifdeGoethe.Cest, dailleurs, en rfrence ce phnomne primitif, dont il dplore labsence chez Newton, que Goethe sappuie comme sur une proprit de la nature, si profondment cache quelle aurait chapp Newton se contentant de trois expriences dans une dmarche que Goethe jugeait pour le moins trange.Eneffet,lesexpriencesdeNewtonenmilieuxtroublescorrespondaient danslaperspectivedeGoethesesphnomnesprimitifs,proposdes-quels il lui tait possible dapprcier linsufsance manifeste de lexplication newtonienne19.Donc,GoethevaprtendrequeNewtonsesttromp!Sap-puyantsurlapremireexpriencedontilfassetat,aveclesimpleprisme, Newtonafrmaitquelalumiredevaitsedisperserenseptcouleurs(le monstre septicolore! dont parlera Schopenhauer20) par analogie aux sept no-tes de la gamme: en fait, Newton ajoute lorange et lindigo aux cinq couleurs du prisme qui sont le rouge, le jaune, le vert, le bleu et le violet. La seconde exprience,avecdeuxprismes,sonexpriencecruciale,tablissaitquela couleur prismatique passant travers un second prisme ne se dispersait pas. Latroisime,aveclalentille,staitdrouledetellesortequelescouleurs sortantduprismestaientmlangesenpassantdansunelentilleconvexe et faisaient apparatre le blanc. Do la fausse observation de la rfraction dune lumire monochromatique. Indiquant lexprience cruciale que Newton crut pouvoir avancer lencontre de ses premiers adversaires, Goethe en sou-ligne le caractre inadquat et erron:Newtons Verfahrenhingegenwarganzeigen,jaunerhrt.Einetiefver-borgene Eigenschaft der Natur an den Tag zu bringen, dazu bedient er sich 18. Rudolf Arnheim, Art and Visual Perception. A Psychology of the Creative Eye, Faber and Faberlimited, London, 1951, p. 2 et suivantes.19. Cf. Enthllung der Theorie Newtons, . 673: Nun kommt Newton noch auf den Versuch mittrbenMitteln.UnssinddieseUrphnomeneausdemumstndlichbekannt,undwirwerdendeshalb um desto leichter das Unzulngliche seiner Erklrungsart einsehen knnen.20. Arthur Schopenhauer, Philosophie et science de la nature, in Philosophie et science, op. cit.,p. 97. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 285nicht mehr als dreier Versuche, durch welche keineswegs Urphnomene21, sondern hchst abgeleitete dargestellt wurden. Diese, dem Brief an die So-ziett zum Grunde liegenden drei Versuche, den mit dem Spektrum durch das einfache Prisma, den mit zwei Prismen, Experimentum Crucis, und den mit der Linse, ausschlielich zu empfehlen, alles andere aber abzuweisen, darin besteht sein ganzes Manver gegen die ersten Gegner.22Newton (1666) stait convaincu que sa thorie, au dpart seulement plausi-ble, lui tait devenue claire, dt-il, dans la poursuite de cette nalit, sarmer dun tour de passe-passe pour mener bien son exprience incluant la disper-sion de la lumire blanche par un prisme23. En isolant les rayons rfracts et en les faisant passer travers un second prisme, il ne retrouvait que des images identiques de mme couleur, rfractes selon le mme angle, donc sans modi-cation de couleur et sans rfrangibilit. Il en concluait en 1672: La lumire est un mlange htrogne de rayons diffremment rfrangibles24. Son exp-rience sera inrme par le pre jsuite Lucas en 167825 et, en 1679, galement parEdmeMariottedontlarputationenFrancegalaitcelledeNewtonen Angleterre. Newton ne disposait pas encore dun matriel de qualit et il tait incapabledematrisertouteslesconditionsdelexprience(lobscurit,le prisme pur, la lentille convergente). Il dut nalement admettre que le recou-vrementdesimagesmonochromatiquesparasitaitlesimagessecondaires.Il neputennobtenirlersultatescomptquegrcelamliorationdeson dispositif: de toute manire, Newton privilgiait la mathmatisation sur lex-prience visuelle directe qui fut lapanage de Goethe.EncequiconcernelathoriedeGoethe,lephnomneprimitif,unefois atteint, consistait dans le modle des faits observs ou dans la gense de leur existence; et il tait suppos apparatre phnomnologiquement un moment prcis, apportant la rponse exacte une question telle que: quel est le schme ouvrantlapparitiondelavaritdesnuancesdescouleurs?Lephnom-neprimitifrelveainsidunemanifestationphnomnologiquepropreaux couleurs, faisant, par exemple, que le jaune, la couleur la plus proche de la 21.Cest moi qui souligne. 22.Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 541.23.Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 526: Er irrt, und zwar auf eine entschiedene Weise. Erst ndet er seine Theorie plausibel, dann berzeugt er sich mit bereilung, ehe ihm deutlich wird, welcher mhseligen Kunstgriffe es bedrfen werde, die Anwendung seines hypothetischen Aperus durch die Erfahrung durchzufhren.24.Lettre adresse au Secrtaire de la Royal Society, Henry Oldenburg, le 6 fvrier 1672, cf. The Correspondence of Isaac Newton, Cambridge University Press, 1955-1977, vol. II, p. 95. 25.Lettre adresse au pre Lucas, le 5 mars 1678, cf. The Correspondence of Isaac Newton, op. cit., vol. II, p.262. ANGLE KREMER-MARIETTI 286lumire26 puisse apparatre quand la lumire sobscurcit, alors que, si lobs-curit augmente, on voit la couleur sassombrir en sintensiant vers le rouge. Le violet apparat quand lobscurit est lgrement voile; mais quand le voile est plus clair, cest le bleu (la couleur la plus proche de lobscurit) qui ap-parat. Si bien que la trame du voile des apparences est le fait de la lumire et de lobscurit, qui lune et lautre fondent lexistence des choses. En 1793, Goethe avait dessin son fameux cercle des couleurs, dans lequel il avait plac le bleu et le jaune en triangle avec le rouge, la couleur la plus haute de la srie allant du jaune au bleu; il y ajoutait le vert provenant du mlange du bleu et du jaune, le cercle se compltant avec lorange (rouge-jaune) sur la face ascendante et le violet (bleu-rouge) sur la face descendante. Tandis que, danslathoriedeNewton,levioletestformderayonsrougesetbleusdu spectre, alors que le vert est une couleur primaire, au contraire, dans la thorie deGoethe,cestlevioletquiestunecouleurprimaire,alorsquelevertest un mlange de jaune et de bleu. Dailleurs, leurs suppositions chromatiques donnaientNewtonetGoetheloccasiondeformer,pourlepremier,un concept despace extrieur de la couleur et, pour Goethe, un concept despace intrieurdelacouleur27:lepremiervoyantdanslescouleursunstimulus,le second une perception partir de laquelle la conceptualisation de la couleur serait la fois une passion et une action de la lumire. Il est clair que leurs thories taient complmentaires28 dans leur point de vue et dans leur rsultat. Actuellement, certains aspects de la thorie de Goethe sont pris en considra-tion29: il sagit de son analyse des lois du contraste des couleurs, analyse dont Chevreul (1786-1889) partagea le point de vue en ignorant superbement que Goetheentaitlepromoteur30.Dansle50deson Trait,Goetheexplique que les couleurs diamtralement opposes sont voques dans lil lune par lautrerciproquement: ainsi, un dice gris vu travers une palissade verte parat rougeoyant (Trait des couleurs 57)31. 26. Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 207.27. Nicolay Serov, Semantics of color, Proc. SPIE vol. 4421, 2002, p. 48, 430.28. NicolasClass,Goetheetlamthodedelascience,AstrionN3,septembre2005.http://asterion.revues.org/document413/html29. Cf. Justin Broackes, The Autonomy of Colour, in Reduction, Representation, and Realism,ed. by D. Charles and K. Lennon (1992) , Oxford University Press.30.Michel Eugne Chevreul a fait paratre ses Principes de lharmonie et du contraste des couleursen 1838, ouvrage dans lequel il semble ignorer la thorie de Goethe sur le contraste successif etsur le contraste simultan des couleurs. Cf. J. Le Rider, La non-rception franaise de la Tho-rie des couleurs de Goethe, Rev. Germ. Intern., 13/2000. De Jacques Le Rider, voir galement, Les mots et les couleurs, PUF, Perspectives germaniques, 1997.31. Cf. Justin Broackes, op. cit., p. 200. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 287IsaacNewton32continuaitdanslavoiedeDescartes.PourDescartes,les phnomnesdecouleurntaientpasabordscommedesperceptionsmais comme de simples modications des caractristiques physiques constituant les corpuscules de la lumire. Descartes supposait que la lumire tait un certain mouvement dans les corps lumineux: la vision de la lumire tant produite par la force des mouvements, qui se trouvent dans les endroits du cerveau do viennent les petits lets des nerfs optiques, quant la vision de la couleur, elledpendaitdelafaondecesmouvements33. Tentantdemathmatiser partir des prismes les phnomnes de la couleur traits du point de vue de vuedelascienceexprimentale,Newtonpensaitconrmerquelalumire taitcorpusculairetandisquelescouleursntaientriendautrequeleffet des divers corpuscules et de leurs proportions. Sa thorie corpusculaire de la lumire (1675) fut lobjet de dbats avec Robert Hooke (1635-1703) et Chris-tian Huygens (1629-1695). Un article rcent de Brian A. Wandell34 reproduit un dessin fait de la main de Newton illustrant son exprience sur la nature non unitaire de la lumire solaire, dmontre par son passage travers un prisme, grceauquelonpeutvoirsesmultiplescomposantesprimairesetcalculer langle de rfraction de la lumire colore la sortie du premier et du second prisme. Parailleurs,danslaplupartdesdbatsscientiquesdesonpoque,ilest reconnu que Goethe a toujours adopt une attitude dopposant35. Il en alla de mme pour la thorie des couleurs, propos de laquelle Goethe intervint pour faire valoir un tout autre point de vue que celui de Newton: le point de vue de ltre vivant, en consquence celui dune physiologie de la vision. Dans cette voie, Goethe avait eu des prcurseurs: le premier avait t Galien (131-200) qui dcrivit lanatomie de lil et des nerfs optiques en faisant du cristallin le principal organe de la vue. Alhazen (965-1040) continua en reliant la physique de la lumire (cest--dire dispersion, rexion et rfraction) lanatomie de lil. Dans une voie dans laquelle on retrouvera Schopenhauer, il y eut ensuite Flix Platter (1536-1614) et Johannes Kepler (1571-1630) qui attirrent lat-tention sur la rtine plutt que sur le cristallin qui, en fait, permet laccommo-32.26 Isaac Newton, Opticks (1704), New York, Dover, 1979. Trait doptique, d. M. Blay, Paris, Christian Bourgois, 1989.33.Dioptrique, loc. cit., p. 700.34.Brian A. Wandell, Color Constancy and the Natural Image,Physica Scripta 39 (1989), pp. 187-92.35.Cf.GoetheandtheSciences: AReappraisal,EditedbyFrederick Amrine,FrancisJ.Zucker, John Harvey Wheeler, D. Reidel Publishing Company, 1987. ANGLE KREMER-MARIETTI 288dation de lil (ce qui a t dmontr par Helmholz36). Certes, Goethe fait tat de la rtine, mais la conrmation exprimentale concernant la rtine avait dj t donne par C. Scheiner (1573-1650) qui avait vri limage rtinienne et constat la contraction de la pupille dans laccommodation de la vision pro-che. Au-del de Goethe qui avait dj observ intuitivement une bi-partition rtinienne37, Schopenhauer va dcouvrir une chelle prcise dont il est fait tat encore lheure actuelle . Il faudra attendre Max Schultze (1825-1874) pour prciser la thorie de la double fonction rtinienne identiant les cnes pour la rception de la couleur et les btonnets pour la vision nocturne: thorie qui sedvelopperaaveclestravauxdeH.Parinaud(1844-1905)etdeJ. A.von Kries (1853-1928). Enn, B. Panizza (1855) commena localiser la vision dans laire corticale et H. Munk (1879) en prcisa exactement la localisation dans le cortex: do le nologisme de retinex (rtine et cortex) dont fait tat la thorie actuelle de E. Land (1997) qui en traite dun point de vue compu-tationnel38. Durantsonsjour Weimar(hiver1813-14),Schopenhaueravaitsouvent rencontr le grand Goethe chez sa mre qui tenait salon. Goethe avait en-tran le jeune homme adopter ses ides dans le domaine des phnomnes colors. Aussi,relativementlathoriedescouleurs,Schopenhauernavait eu, tout dabord, dautre ambition que de complter les thses que Goethe d-fendait dans son Trait des couleurs, et qui taient fondes sur une conception intuitive du travail de la nature, loppos de la thorie objective et purement physique de Newton. Donc, le texte de 1816, De la vision et des couleurs39, que Schopenhauer t lire Goethe dans lintention de recueillir son approbation, ntait pas une critique directe de la thorie de Goethe; ctait nanmoins un expos comment et quelque peu dvelopp de sa thorie. Or, comme le sou-ligne Sepper40, Goethe avait souhait avoir des continuateurs: il invitait mme les mathmaticiens travailler dans le sens quil avait indiqu. La traduction 36. Hermann von Helmholtz consigna ses rsultats dans son Trait doptique physiologique (1856-1866); il est linventeur de lophtalmoscope.37. Zur Farbenlehre, Goethe-GA Bd. 16, S. 27-28.38. Edwin Land, Recent Advances in the Retinex Theory, The Science of Color, ed. by A. Byrneand D.R. Hilbert, The M.I.T. Press, 1997, pp. 143-159.39.Arthur Schopenhauer, ber das Sehen und die Farben, Leipzig, bei Johann Friedrich Hatknock, mai1813,inArthurSchopenhauerKleinereSchriften;Smtliche Werke,BandIII,Stuttgart/FrankfurtamMain,SuhrkampTaschenbuchVerlag,SuhrkampTaschenbuchWissenschaft663, Erste Auage 1986, pp. 191-297. Voir en franais Textes sur la vue et sur la couleur, trad.par Maurice Elie, Vrin, 1986.40. D. L. Sepper, op. cit., p. 76. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 289latine41 de 1830 est un remaniement du texte de 1816, et comporte quelques innovations: Schopenhauer la dit dans une publication scientique en tant que dissertation dun volume des Scriptores ophtalmologici minores; Goethe nen prit vraisemblablement pas connaissance. Goethe, qui navait gure ap-prcilapublicitquetlephilosophedevingt-huitansqutaitSchopen-hauer sur leurs relations et surtout sur son action suppose de guide dans la thorie des couleurs, fut fort irrit de constater que Schopenhauer avait en fait une autre thorie que la sienne, en particulier en ce qui concernait la produc-tion de la couleur blanche. Cette divergence fut mal vcue par Goethe au point quelle passa ses yeux pour une relletrahison: il nen fallut pas davantage pour loigner dnitivement les deux hommes lun de lautre. En fait, Scho-penhauerexpliquaitque,laproductiondublancseffectuantparlarunion de deux couleurs complmentaires, le blanc provenait du fait du partage par moitidelactivitdelartineetdoncdufaitdesasparation:alors,crit Schopenhauer, les deux causes primitives extrieures stimulant chacune lil agissent la fois sur le mme endroit de la rtine.42Schopenhauerpouvaitsexprimerunpeupluslibrementen1851dansle texte des Parerga et Paralipomena II, Sur la thorie des couleurs, quil avait intitul, comme le texte de Goethe, Zur Farbenlehre. Il afrme alors quil lui fallut un an de rexion loin de linuence de Goethe pour parvenir sa propre thorie: et voil pourquoi jai pu trouver, un an aprs mtre soustrait linuence personnelle de Goethe, la vraie et fondamentale thorie de la cou-leur, dsormais incontestable43. Pour lui, la thorie de Goethe tait incompl-te, plus descriptive quexplicative: nous ne rencontrons dans sa thorie des couleurs quune simple description, quand nous attendions une explication44. Schopenhauer stait donc charg de complter la thorie de Goethe du point devuedelilquitaitpourluilesujetdelavision45.PourSchopenhauer, cequimanquaitdanslathoriedeGoethevenaitdesatropgrandeobjecti-vit: Goethe navait fait que dcrire leffet, limpression dans lil: il aurait drencontrermespropresvritsquisontlaracinedetoutethoriedela couleur et qui renferment les fondements de la sienne46. Considrant la cou-41.ArthurSchoopenhauer,Commentatioexponenstheoriamcolorumphysiologicam,eandemque primariam, auctore Arthurio Schopenhauero, Leipzig, Verlag von Leopold Bosz, 1830. 42.Arthur Schopenhauer, Sur la thorie des couleurs, in Schopenhauer, Philosophie et science, op. cit., p.198.43.Op. cit., p.187.44.Ibid.45.Ibid.46.Op. cit., p.184. ANGLE KREMER-MARIETTI 290leur comme impression spcique dans lil47, Schopenhauer dit avoir les bases ncessaires pour un jugement valable sur les thories de Newton et de Goethe concernant les causes extrieures de la couleur, cest--dire son aspect objectif.Aussiabordait-ilavecsrnitlefameuxphnomneprimordial physique ou phnomne primitif (Urphnomen) dcouvert par Goethe, un phnomnequidsormaisntaitpluspremierdanslaperspectivedeScho-penhauer puisquil rsultait de sa propre thorie physiologique:Silacouleurensoi,cest--diredanslil,estlactivitnerveusedela rtine qualitativement partage en deux, donc excite seulement en partie, sa cause extrieure doit tre une lumire amoindrie, mais amoindrie dune faontoutespciale,ayantcetteparticularitquelledistribuechaque couleur juste autant de lumire qu lopposition et au complment physio-logiques de la mme obscurit ().48Son phnomne primitif, aprs que je leus dduit de ma thorie, ne mrite donc plus ce nom. Au lieu dtre, comme il le prtendait, une chose absolu-ment donne et drobe pour jamais toute explication, il nest bien plutt quelacauseprimitive,ncessaire,daprsmathorie,laproductionde leffet, cest--dire au partage en deux de lactivit de la rtine. Le vritable phnomne primitif, cest seulement cette capacit organique que possde lartinedemettresuccessivementenjeusonactivitnerveuseendeux moitis qualitativement opposes, tantt gales, tantt ingales.49Dsormais, cest bien lactivit bipartie de la rtine qui est le vritable ph-nomne primitif, la clef seule satisfaisante et dnitive de tout ce que Goethe enseigne50. Se disant plus kantien que Goethe51, Schopenhauer distinguait en-tre leffet qui est la chose donne et la cause qui est la chose cherche; et il afrmait quune modication de leffet donn doit permettre de remonter au caractre modiable de sa cause. Schopenhauer distinguait galement entre cause primitive (cest--dire lancien phnomne primitif de Goethe) et lescausesnalescommecestlecashabituelenphysiologie52.Lactivit localementbipartiedelartine,dcouverteparSchopenhauer,anonseule-menttconrmeparEdwinH.Land(1997),maiselleatprcisment localise par ce chercheur qui a prouv que les deux cts gauches de la rtine sont connects aux deux cts gauches du cerveau; de mme, les deux cts 47. Op. cit., p.185.48. Ibid.49. Op. cit., p.188.50. Ibid.51. Op. cit., p.187.52. Op. cit., p.188. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 291droitsdelartinesontconnectsauxdeuxctsdroitsducerveau53.Lavi-sion de la couleur concerne actuellement un domaine scientique spcique54. De nombreux travaux sur la participation de la rtine sur laquelle insistait Schopenhauer ont vu le jour. Dans le domaine esthtique et chimique55, avec larticle Harmonic compositions of complementary colors according to their lightness degree56, Nelson Bavaresco (2004) traite de lchelle de Schopen-hauer laquelle il se rfre parce quil sintresse lharmonie chromatique qui a t dgage des conceptions de Schopenhauer sur lactivit rtinienne. Comme Goethe, avec trois paires de couleurs complmentaires aujourdhui on peut mme envisager jusqu 12 paires complmentaires Schopenhauer chelonne comme suit les diffrentes fractions quil a personnellement rep-res, entre le noir 0 et le blanc 1: violet - bleu 1/3 vert - rouge - orange 2/3 jaune . Les mesures de Schopenhauer sont relatives lexcitation rti-nienne; ce sont des fractions numriques dtermines dont il souligne juste raison loriginalit pour la vision et quil compare la mise en vidence des relations numriques en musique, avec un avantage manifeste:De plus, ma thorie des couleurs a ce grand avantage sur toutes les autres, quelle rend compte de la particularit de limpression de chaque couleur, en reconnaissant en elle une fraction dtermine de la pleine activit de la rtine, fraction qui appartient au ct + ou au ct -: ce qui renseigne sur la diffrence spcique des couleurs et lessence particulire de chacune.57Ainsi donc, moi seul ai indiqu le rapport ignor jusque l de lessence de chaque couleur avec limpression exerce par celle-ci.58Jamaisetpersonneilnestvenulidedeconsidrerlescouleurs, ce phnomne si objectif, comme une opration partage par la rtine, et conformment quoi, dindiquer pour toute couleur particulire la fraction numrique dtermine qui complte avec celle dune autre lunit qui re-prsente le blanc.59Cest bien l une dcouverte de Schopenhauer quil faut lui reconnatre: or, ce nest pas toujours le cas chez les philosophes qui commentent les travaux 53.Edwin Land, Recent Advances in the Retinex Theory, op. cit., p. 153.54.Cf. The Science of Color, edited by Alex Byrne and David R. Hilbert, The MIT Press, 1997.55.Cf. AIC 2004 Color and Paints, Interim Meeting of the International Color Association, Porto Alegre, Brazil, Proceedings.56.Cf. AIC 2004 Color and Paints, op. cit., Proceedings 237.57.Arthur Schopenhauer, Sur la thorie des couleurs, in Schopenhauer, Philosophie et science, op. cit., p.188-189.58.Op. cit., p.189.59.Op. cit., p.190. ANGLE KREMER-MARIETTI 292sur la thorie des couleurs en sen tenant gnralement la thorie de Goethe, qui est abondamment descriptive mais nullement explicative. dfaut dune dmonstration certaine, Schopenhauer donne une exprience apte faire com-prendre lexactitude des fractions quil a estimes:On se confectionne du sable parfaitement blanc et du sable parfaitement noir et on les mlange en six relations dont chacune gale en tonalit som-bre prcisment lune des six couleurs principales: alors il doit se produire que la relation du sable noir au sable blanc chaque couleur corresponde la mme fraction numrique que je leur ai attribue; ainsi, par exemple, si, pour un gris correspondant un jaune en tonalit sombre taient prises trois parties de sable blanc et une partie de sable noir, le mlange du sable dans une relation inverse aurait donn au contraire un gris correspondant au vio-let; le vert et le rouge, au contraire, tout autant des deux. Alors, on rencontre la difcult de dterminer quel gris de chaque couleur est galit pour la tonalit sombre. On saurait le dcider si on observait travers le prisme la couleur prs du gris, pour voir ce quil en est des deux avec la rfraction du clair vers le sombre: sils sont quivalents, alors la rfraction ne doit donner aucun phnomne de couleur.60 Soulignant que Buffon avait dcouvert le phnomne de la couleur physiolo-gique qui a t ensuite dcrit par le Pre Scherffer (1765) dans sa Dissertation sur les couleurs par accident61, Schopenhauer expose rapidement lexplication desfaitsproposeparScherfferettellequelleapparatsonpoquedans plusieurs magazines, pour en montrer linexactitude. Insistant sur le caractre subjectif de la couleur, Schopenhauer remarque que cest l-dessus que repose la variabilit des couleurs chimiques62. De mme, la production du blanc re-pose elle aussi sur le terrain physiologique63; il en va de mme de la cause de lachromatisme: dabord de la cause prochaine puis de la cause lointaine. La premire,lacauseprochaine,vientdelaproductiondelactivitrtinienne totale sur les endroits des couleurs physiques, l o deux couleurs sont mises lune sur lautre en se compltant. Cest ce qui est produit objectivement au moyen de la double rfraction en sens oppos (rfraction attractive et rpul-sive)avecunverreconcaveetunverreconvexequientranelephnomne color oppos. Quant la cause lointaine, deux milieux rfringents diffrents donnentunelargeurdiffrenteduphnomnedelacouleurpourlamme rfraction: la lumire ou limage brillante ainsi que lobscurit environnante 60. Op. cit., p.190-191.61. Op. cit., p.192.62. Op. cit., p.196.63. Op. cit., p.198. SCHOPENHAUER, GOETHE ET LA THORIE DES COULEURS 293subissent une fragmentation, cela daprs lhypothse selon laquelle, loc-casion de la premire et de la seconde rfraction, une partie de cette masse de lumire ne se dirige pas assez rapidement dans la nouvelle direction et, scar-tant,accompagneentantquimageaccessoirelimageprincipale64. Ainsi, la rfractionest lloignement de limage principale de sa ligne dincidence; ladispersionest,aucontraire,lloignementintervenantdesdeuximages accessoiresparrapportlimageprincipale65.Cesontl,parmidautres, autant de supplments chromatologiques importants que comporte le texte de 1851. Il faut reconnatre quen ce domaine Schopenhauer a t un grand mconnu pour avoir anticip la thorie physiologique des couleurs, si lon en juge sur les travaux actuels, tels quils sont traits dans les deux forts volumes dits en 1997 par Alex Byrne et David R. Hilbert66. On pourrait rapprocher le type de recherche voqu par Schopenhauer de celle actuellement en cours avec la notion dalgorithme rtinien. Quoi quil en soit, lchelle de Schopenhauer est devenuelarfrencestandardduneharmoniechromatiqueappliquedans lesartspicturaux.DansArtandvisualperception,Arnheim(1951)relve limportance de lapport de Schopenhauer sur les couleurs complmentaires du fait de lobservation de la bipartition qualitative de la fonction rtinienne. Dans le mme ordre dides que celles de Schopenhauer, on remarque chez J. Itten (1970) une analyse des dveloppements possibles des contrastes: 1. dans la teinte;2. lumineux-sombre; 3. froid-chaud; 4. dans la complmentarit; 5. dans la simultanit; 6. le contraste de la saturation; 7. le contraste de lexten-sion67. Comme le montre Nelson Bavaresco, lchelle de Schopenhauer est lorigine dun systme dharmonie dimensionnelle si lon convertit les frac-tions de Schopenhauer sur des aires gomtriques. Le problme esthtique de lharmonie se rsout par linversion de ces modules lorsque la couleur la plus sombre prend la taille de la plus claire. Ainsi, Schopenhauer a t un prcurseur dans la variante psychophysiologi-que du nokantisme68. Le point de vue de Schopenhauer est rest inchang et demeure valable aux yeux des thoriciens en matire desthtique. Au cours 64.Op. cit., p.205.65.Op. cit., p.207.66.Alex Byrne, David R. Hilbert, Massachusetts Institue of Technology, 1997, Readings in Color, vol. 1: The Philosophy of color; vol. 2:The Science of Color.67.J. Itten, The Elements of Colour: A Treatise on the Colour System of Johannes Itten based on his book The Art of Colour (E. Van Hagen, trans.). New York: Van Nostrand Reinhold, 1970.68.R. A. Crone, Schopenhauer on vision and the colors, Documenta ophthalmologica, vol. 93, ns 1-2, 1997, pp. 61-71. ANGLE KREMER-MARIETTI 294du temps, sa position avait t conrme ou redcouverte par Thomas Young (1773-1829) sappuyant cependant sur la thorie newtonienne, et dont la tho-rie trichromatique de la vision des couleurs prsupposait la sensibilit de cer-taines bres nerveuses de la rtine au rouge, au vert et au violet. Ensuite, le prix Nobel de chimie, Wilhelm Ostwald (1909)69 travailla galement sur latlas des couleurs partir de leur gnration et de leurs complmentarits. Certes, ces deux chercheurs nliminaient en aucune faon lobjectivisme, fond sur une conception non-perceptive de la couleur: il semble que ce soit galement le point de vue actuel de Evan Thompson (1995) qui, sil cite quatre fois Goethe dans son ouvrage70, ne cite nullement Schopenhauer. Rudolf Steiner (1963)71, dveloppant cependant la position subjectiviste, privilgiait galement Goethe par rapport Schopenhauer. Citant Rudolf Magnus (1906)72 dpeignant le ra-lisme de Goethe, Gabor Aron Zemplen (1998)73 semble approuver le rejet que t Goethe de Schopenhauer et ne pas apprcier non plus les travaux de Scho-penhauer. Or, il faut reconnatre que la thorie de Schopenhauer, si elle se si-tue dans le sillage de celle de Goethe, a par elle-mme un intrt sufsant qui me semble justi dans le texte de 1851 dont largumentation ne peut perdre en aucune faon sa rationalit, surtout si elle est rellement analyse: ce qui ne semble pas avoir t toujours le cas si lon sen tient aux discours de la plupart de ceux qui se sont exprims sur le diffrend qui spara Goethe de Schopen-hauer: la vrit est que sa situation entre Kant et Goethe rendait la conception du monde74 de Schopenhauer plutt inconfortable. Universit dAmiens69. Wilhelm Ostwald, Goethe, Schopenhauer und die Farbenlehre. Leipzig 1918.70. Evan Thompson, Colour Vision. A Study in Cognitive Science and the Philosophy of Perception,New York, London, Routledge, 1995.71. Rudolf Steiner, Goethes Weltanschauung, Dornach , R Steiner Verlag, 1963.72. Rudolf Magnus, Goethe as a Scientist, New York, Henry Schuman, 1906.73. Gabor Aron,Zemplen,Onsomeresearchtraditionsintheeldofcolourvision,PeriodicaPolytechnica Social and Management Science, 6/72, 1998, 159-175.74.Paul F. H. Lauxtermann, Schopenhauers Broken World-View: Colours and Ethics Between Kant and Goethe, Kluwer Academic Publishers, 2000. 3.LESCOULEURS PHYSlOLOGIQUESSELONG produitp donti1s' agit.IIyaessentiellementlerefusd' admettte pureexterioriteouextrinsec.ite,commesi 1'ne faisaitque reB&:hirpassiuementlemondeexterieur.Laperceptionde Iacouleur,c'estuneactionetreactiondel'amememequicommuniquea 1'etretout entier; i1y aalorsuneenergiemuse . parJesyeux,energiespirituelleemanantdetoutermdividua-litEpersonnelle,uneblergiequin'estniquantifiablenipoo-d&able( [email protected] mystiquedontaparleNajmKobra,supraIV,10).Les couleursquenousvoyonsdanslescorpsn" affectentpas r reil commesielles etaient quelquechosed'a r rei!,comme s'ils'agissaitd'uneimpression purementdel'exthieur. Non,cetorganeesttoujoursensituationdeproduirelui.. memedescouleurs,etsooteunesensationagreablesiquel-quechosed'homogenea sanatureluiestpresentede_rexte-rieur( . 760) .Cela,parcequelescoulewsnefontque 140.Ibid.U1A 3.onrappelletrA9brll!vementunedesleaplusatmpleadom11s'aglueaupointdedepart.Sur . unefeuple depapierentimmentblanche,poseroudesslnerundialque couleurWlUorm.e,bleueparexemple;cernerattentivement .et.:nsement. cedisqueduregard:Bient6tIaperipheriecommenceaa'trtser.(rune lumJl!rejaunerougetrl!sbrilla.ntemaisextr!mementdYicateCittel. point qU'llestdlf!lclledeluidonnerunnomdanaclulquec&l). cette lumt.ere CcoUleurphyslologlque)semblechereher a s"tila perdudisquecoloritCserappelertelIatechniquede1apein&Ure manlcheenne).Elleyreusslt* lorsc'esttoutunorbit.c1e 1\llDMrequi,s'etantalnsl semblevoltigersurIadepaplerautourdu