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Sauver l’anguille européenne : oui, mais pas sans les pêcheurs professionnels ! Contacts presse au CONAPPED et au WWF-France : Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce : Philippe Boisneau, Président : 06 11 29 11 64 Sylvie Sicot, Responsable Communication : 02 40 04 64 08 WWF-France : Camille Lajus, Responsable presse : 01 55 25 84 61 Pauline Dame, Attachée de presse : 01 55 25 84 70

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Sauver l’anguille européenne : oui,

mais pas sans les pêcheurs professionnels !

Contacts presse au CONAPPED et au WWF-France :

Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce : Philippe Boisneau, Président : 06 11 29 11 64 Sylvie Sicot, Responsable Communication : 02 40 04 64 08 WWF-France : Camille Lajus, Responsable presse : 01 55 25 84 61 Pauline Dame, Attachée de presse : 01 55 25 84 70

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SOMMAIRE

Préambule :

Le CONAPPED et le WWF-France contestent le bien-fondé de l’interdiction d’exportation de l’anguille européenne 3

1. L'anguille européenne : un déclin antérieur à la pêche 4 2. Une réglementation européenne basée jusqu’ ici sur des plans de gestion 6 3. En France, un plan de gestion solide et approuvé par la Commission Européenne 6 4. Le repeuplement : un dispositif d’urgence en attendant la nécessaire restauration des milieux 9 aquatiques 5. Des décisions basées sur des approximations scientifiques et des références 12 qui ne sont plus d'actualité 6. Une grave carence de prise en compte des facteurs socio-économiques 15 7. Des scénarios-catastrophes de marchés 16

8. Une décision CITES défavorable aux actions de repeuplement et en contradiction avec ses propres résolutions 18

9. Les pêcheurs professionnels et le WWF-France se rejoignent pour défendre le bon état écologique des eaux et une utilisation durable de la ressource halieutique 19

10. Propositions CONAPPED - WWF-France 20

ANNEXES 22 • L’application de la CITES dans l’Union européenne 23 • La biologie-écologie de l'anguille 24 • « Indicang » : Indicateurs d'abondance et de colonisation sur l'anguille européenne 25 • Les marchés de la civelle 26

Références bibliographiques 27 Photo de couverture : Civelles. © N. Porcher

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PREAMBULE :

LE CONAPPED et le WWF-France contestent le bien-fondé de l’interdiction d’exportation de l’anguille européenne

Un quota d’exportation nul, en dépit de l’existence d’un plan de gestion de l’espèce

Le 14 septembre 2010, le Groupe d'Examen Scientifique CITES de l'Union Européenne, chargé des questions de commerce de la faune et la flore sauvages a, pour la première fois, rendu un avis en refusant de prendre en compte l'existence de mesures de gestion d'une espèce, l'anguille européenne. Au cours de la même réunion, les experts scientifiques avaient demandé, s'agissant de toutes les autres espèces, à obtenir des informations sur les mesures de gestion mises en place de façon à pouvoir fonder leur position. Le 3 décembre, le Groupe d'Examen Scientifique a réaffirmé fermement sa position de principe hostile à tout commerce international d'anguilles. S'appuyant sur cette position, le Comité CITES a décidé le 6 décembre un quota nul d'exportation en dehors de l'Union Européenne de la civelle, l'alevin de l'anguille.

En application du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18/09/2007 instituant des mesures de reconstitution de la population d'anguilles européennes, la France et d’autres Etats membres se sont dotés récemment de plans nationaux de gestion de l’anguille validés par la Commission Européenne. Le plan français impose notamment une réduction de la pression de pêche sur chacun des stades biologiques de l’espèce faisant l’objet d’une exploitation commerciale. Ce plan prévoit entre autres de nouvelles mesures d’encadrement de l’activité de pêche de la civelle et contraint la profession à redoubler d’effort malgré les restrictions qu'elle a pu décider ou consentir depuis de longues années. Dans ce nouveau cadre, une réduction supplémentaire de la pression de pêche a été prévue de façon progressive au cours des prochaines années, pour permettre aux pêcheurs professionnels de s'adapter, dans un contexte économique très difficile où nombre d'entreprises ont déjà dû cesser leur activité.

De conséquences économiques lourdes pour les petites entreprises professionnelles L'adoption d'un quota nul d'exportation de la civelle en dehors de l'Union européenne, alors qu'un marché équivalent de remplacement intra-communautaire à destination de l'aquaculture et du repeuplement des cours d'eau n'existe pas encore, condamne à court terme plusieurs centaines d'exploitations de petite pêche en France.

Une remise en cause radicale, par le CONAPPED et le WWF-France, de l’avis des instances CITES

Le Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce (CONAPPED) et le WWF-France dénoncent l’avis du Groupe d’Examen Scientifique et la décision du Comité CITES qui ont pour conséquence de faire des pêcheurs les bouc-émissaires du déclin de l'anguille européenne ; déclin dont les origines sont pourtant multiples.

Le CONAPPED et le WWF-France considèrent que l’interdiction immédiate de l’exportation de l’anguille sera sans efficacité pour enrayer le déclin de l’espèce et s’interrogent sur le fondement de cette décision. En effet, sur quelles bases biologiques, sociales et économiques s'appuie-t-elle ? Quels sont les faits nouveaux qui fondent une telle décision alors même que les effets des mesures de gestion prises n’auraient été visibles que dans une quinzaine d'années ?

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1 L'anguille européenne 1 : un déclin antérieur à la pêche

Le déclin de l’anguille est un fait avéré. Ce phénomène n’est pas récent. On le remarque dès les années 60 en Scandinavie, à une époque où les rivières sont aménagées pour la production hydroélectrique et où l’on constate une inquiétante dégradation des eaux de la mer Baltique. Un rapport récent du Conseil International pour l'Exploration de la Mer (ICES, 2010) montre ainsi que la diminution de l'anguille en mer Baltique a précédé depuis cette époque la diminution de cette espèce dans les pays plus au sud (Royaume Uni, France, Espagne notamment).

Au milieu des années 80, alors que l’anguille perd en France son statut d’espèce nuisible et échappe désormais aux campagnes d’éradication, on constate une forte diminution des remontées de civelles dans la partie centrale de leur aire de distribution (du sud des Iles Britanniques au nord du Portugal). Le phénomène concerne alors la quasi-totalité des pays côtiers européens et du bassin méditerranéen qui notent également une diminution, en quantité et en qualité, des principaux habitats de l’anguille, à l’image des quelques exemples suivants :

- en France, perte d'au moins 80 % de la surface de la baie de Seine engendrée par différents travaux portuaires (Le Havre), de remblaiement ou de chenalisation de l'estuaire ; déconnexion des annexes hydrauliques (boires ou barthes) avec l'axe fluvial sur la Loire et l'Adour ; réduction drastique des capacités de survie et d'implantation dans les parties basses de l'estuaire de la Gironde dues à l’évolution des pratiques viticoles (sulfatage) et à l’installation de clapets à marée pour empêcher l'entrée d'eau salée à l'intérieur des terres, etc.

- en Espagne, des lagunes méditerranéennes et le delta de l'Ebre épuisés écologiquement avec

un détournement de l'eau douce à des fins agricoles, C'est le cas également en Tunisie où le détournement des fleuves et le barrage des oueds est pratique courante dans le nord du pays pour irriguer les plaines agricoles.

- en Egypte, le Nil régulé par le barrage d'Assouan avec de moins en moins de crues, un delta

dégradé et une salinisation galopante...

Barrage d'un oued pour l'irrigation dans le nord de la Tunisie. © P. Prouzet

1 Les mêmes causes peuvent également être appliquées aux anguilles japonaise (Anguilla japonica) et américaine (Anguilla rostrata) qui ont subi des diminutions très fortes de la qualité et de la quantité de leurs habitats continentaux.

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La diminution de surface des habitats essentiels pouvant être colonisés naturellement par l'anguille a ainsi atteint certainement plus de 50% de son aire de répartition continentale originelle depuis le début du 20ème siècle. La qualité des habitats aquatiques de l’anguille n’a cessé de se détériorer ; en cause la contamination des milieux, l’introduction de parasites pathogènes pour l’espèce, l’introduction d’espèces animales et végétales dégradant les habitats de l’anguille dans les parties basses des cours d’eau (écrevisses américaines, jussies, myriophylle du Brésil notamment) ou prédatrices de ce poisson (silure, sandre par exemple). A ces différentes perturbations s’ajoutent la fragmentation progressive des habitats avec l’édification de grands barrages dès la fin de la première guerre mondiale. Ces obstacles ont très fréquemment cantonné l’espèce aux parties basses des cours d’eau, parties souvent les plus dégradées. Depuis lors, si la migration vers l’amont des bassins (montaison) a parfois pu être maintenue, améliorée, voire restaurée, avec la construction de dispositifs de franchissement, la migration aval (dévalaison) des anguilles argentées vers la mer, difficile à canaliser, s'accompagne d’importantes mortalités dues à l’entraînement des poissons dans les turbines des centrales hydroélectriques. Pour certains cours d’eau, les pertes cumulées représentent plus de 90 % des anguilles argentées en migration vers la mer.

Pour toutes ces raisons, il convient de ne pas accuser la pêche française d'avoir porté un coup fatal au devenir de l'anguille européenne.

Civelles. © INDICANG

Anguilles jaunes. © F. Douaud

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2 Une réglementation européenne basée jusqu'ici sur des plans de gestion L’avenir de l’espèce se joue actuellement à l’échelle de notre continent. En effet, s’agissant d’une population unique, seule une approche européenne peut garantir une contribution équilibrée et équitable de chaque Etat membre à la gestion de la population d‘anguilles. Dans ce sens, le Conseil des ministres de l’Union européenne a voté, le 18 septembre 2007, un règlement européen (Règlement (CE) n°1100/2007) instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles. Soutenu à l'origine par les pêcheurs professionnels, notamment français, qui ont été les premiers à alerter les autorités compétentes sur la situation de l'anguille européenne, ce règlement impose à chaque Etat membre de mettre en application un plan de gestion national soumis à approbation de l’Europe. Son objectif est d’accroître la quantité d’anguilles argentées qui s’échappent des cours d’eau en limitant l’ensemble des sources de mortalité de l’espèce, dont la pêche. En cas de non présentation ou approbation d’un plan de gestion, la sanction maximale encourue par les Etats membres est une réduction immédiate de 50 % de la pression de pêche.

3 En France, un plan de gestion solide et approuvé par la Commission Européenne

Un plan de gestion issu d’une large concertation

S'il est regrettable que l’Europe n’ait pas fait intervenir, pour la rédaction du règlement européen, les différentes directions générales concernées (seule la direction générale des Affaires Maritimes et de la Pêche s’est saisie du dossier), la France, à l’inverse, a su mobiliser les deux Ministères en charge de l’Environnement et de la Pêche/Agriculture. Tous les acteurs intervenant dans la gestion de l’anguille, au niveau local et national (pêcheurs professionnels et amateurs, administrations, scientifiques, industriels, associations et collectivités territoriales), ont ainsi pu, dans le cadre d’un large processus de concertation, proposer des solutions qui répondent aux objectifs de restauration fixés par le règlement européen. Le plan de gestion français, soutenu par les pêcheurs professionnels français/le WWF France, est le résultat d’un compromis entre les objectifs réglementaires et les différents intérêts en jeu dans la gestion de la population d’anguilles. Le travail réalisé a nécessité un investissement important de toute la filière française.

Même si ce plan affiche des mesures de réduction des principaux facteurs de mortalité sur lesquels il est possible d’agir à court terme (arrêt du turbinage en période de dévalaison, actions en faveur d'une meilleure colonisation des bassins versants favorables, etc.), il se focalise en réalité sur l’allègement de la pression de pêche, plus simple, rapide et moins couteux à mettre en place. Or, la communauté scientifique s'accorde à dire, depuis plus de 20 ans, que l’arrêt de toute activité de pêche ne suffirait pas à restaurer l’espèce si aucune autre mesure n’était prise concernant les autres sources de mortalité.

Les points positifs du plan de gestion français

• Des objectifs à court terme de restauration de la continuité écologique des cours

d’eau et d’installation de passe à poissons sur les ouvrages hydroélectriques Le plan de gestion français comporte un programme de Recherche et Développement destiné à mettre en place des mesures de franchissement des ouvrages par l’anguille européenne. Piloté par l'Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA), ce projet est mis en œuvre par l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie, en partenariat avec différents groupes industriels de l’énergie et de l’aménagement hydraulique des cours d’eau. Le tiers des actions composant ce programme a d’ores et déjà fait l’objet d’expérimentations et de transferts de technologies. L’objectif est d’évaluer le taux d’échappement d’anguilles dévalant un cours d’eau entravé d’une succession de barrages hydroélectriques, c'est-à-dire in fine d’évaluer le potentiel reproducteur de l’espèce.

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• Un travail d’inventaire et d’analyse de la qualité des milieux et de la continuité écologique Depuis l’automne 2009, l’ONEMA anime un programme de mutualisation des données collectées par l’Office lui-même, la communauté piscicole, les pêcheurs professionnels, les administrations et les établissements publics. Le suivi des captures s’inscrit dans une démarche générale visant à identifier les usages des milieux aquatiques, les pressions qui s’exercent sur les peuplements de poissons et les services rendus par les écosystèmes. Il permet de disposer des éléments d’expertise nécessaires à l’application des plans nationaux de gestion des pêcheries et de différents programmes européens. Les travaux qui sont entrepris en faveur de cette espèce bénéficieront à toutes les autres espèces migratrices et contribueront à l’atteinte des objectifs fixés par la Directive Cadre sur l'Eau.

• La mise en place d’un dispositif de traçabilité des produits de la pêche

professionnelle et d’encadrement de la filière de commercialisation Un tel système, opérationnel dans toutes ses composantes dès 2011, doit permettre d’aider la filière à lutter contre les pratiques illégales et l’émergence de circuits parallèles qui pénalisent l'anguille européenne.

• La définition d’un programme de repeuplement de l’anguille en France

Ce programme vise à augmenter le nombre de géniteurs sains quittant les eaux continentales grâce à des transferts d’alevins dans des milieux en bon état écologique, ayant des potentialités d’accueil et de croissance sous-utilisées naturellement par l’anguille (zones « sous-densitaires ») et permettant un taux de survie optimal des poissons jusqu’à leur retour en mer (sources de mortalités réduites). Le protocole et les multiples précautions de mise en œuvre, qui ont fait l’objet de recommandations du Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Poissons Amphihalins (GRISAM), doivent encore être améliorés et précisés grâce aux nombreux outils construits dans le cadre du projet européen Indicang (voir annexes techniques) auquel les acteurs professionnels ont largement contribué.

L’ensemble de ces mesures de gestion vise à permettre une utilisation durable de la ressource et le maintien d’une pêcherie professionnelle économiquement viable. Cependant, il faut souligner que l’objectif général de reconstitution du stock d’anguilles ne pourra pas être atteint tant que la qualité des habitats aquatiques (eau, sédiment, habitats) n’aura pas été améliorée, car celle-ci conditionne la survie des futurs géniteurs et la viabilité de leur descendance. Un plan de gestion renié par les instances européennes de la CITES

Par entorse aux procédures habituelles de mise en oeuvre de l’annexe B du règlement “CITES” (laquelle encadre normalement le commerce international mais ne l’interdit pas), les instances de l'Union Européenne ne tiennent pas compte des efforts consentis par les Etats membres dans la mise en œuvre de leur plan de gestion. L’organe de gestion CITES français a pourtant défendu le dossier avec constance depuis mars 2009, aboutissant à l’acceptation d’un quota d’exportation 2009/2010 de 14,23 tonnes. Cependant, la position de l’Union Européenne s’est radicalisée en 2010 lorsque l’autorité scientifique française elle-même, le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN), a fortement appuyé un moratoire sur les exportations en axant son analyse sur les seuls volets biologie et effectifs de l’espèce, sans prendre en compte les nombreuses mesures de gestion mises en œuvre. Cette position très ferme du MNHN et du Groupe d'Examen Scientifique a renforcé le point de vue des Etats membres hostiles à toute exportation hors Union Européenne, diminuant ainsi considérablement les chances de traiter ce dossier dans une perspective de développement durable pour parvenir à une solution réellement bénéfique à l'anguille.

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Bateaux civeliers. © N. Porcher

Bateaux civeliers. © INDICANG

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4. Le repeuplement : un dispositif d’urgence en attendant la nécessaire restauration des milieux aquatiques

Les objectifs européens et les limites du repeuplement comme moyen de gestion

Le règlement européen impose aux Etats membres producteurs d’anguilles de moins de 12 cm de réserver progressivement jusqu’à 60% des captures pour le repeuplement des eaux intérieures de l’Europe. Cet objectif doit être atteint en 2013.

Par les transferts d’individus depuis la partie centrale de l’aire de répartition de l'anguille vers les pays scandinaves notamment, sur des zones « sous-densitaires en juvéniles » en bon état écologique, un accroissement rapide de la production d’anguille jaune, suivi d'un meilleur échappement vers la mer de poissons reproducteurs, est attendu. Le maintien d'une pêche professionnelle est donc nécessaire pour fournir en civelles le marché du repeuplement dans la mesure où une dizaine d'années au minimum sera encore nécessaire pour espérer maîtriser la reproduction de l'anguille et obtenir des poissons sans puiser dans le milieu naturel.

Cependant, le CONAPPED et le WWF-France soulignent que le repeuplement doit être considéré comme une mesure d’urgence et non comme une solution globale. Le repeuplement constitue, à l’heure actuelle, le seul moyen de compenser la non-application des obligations réglementaires qui auraient dû être respectées pour assurer la conservation des habitats de l’anguille (protection des zones humides, préservation de la qualité des habitats, lutte contre les contaminations par les PCB, etc.) et le maintien de la continuité écologique (respect de la réglementation par les propriétaires d’ouvrages, dont les producteurs d’énergie hydroélectrique). Ainsi, le repeuplement d’anguilles ne peut pas être le seul palliatif aux dégradations incessantes des habitats aquatiques et à la non-restauration des équilibres biologiques. Il ne peut être que transitoire et ne constituer qu'un axe de gestion parmi d’autres.

Les pratiques incertaines du repeuplement et la nécessité d’un guide de « bonnes pratiques »

Pour la première saison de mise en oeuvre du plan de gestion (2009-2010), la France a réservé 35% des alevins capturés dans ses eaux. Pour ce faire et afin de satisfaire aux impératifs de traçabilité, elle a subdivisé le Total Admissible de Capture (TAC) global en 2 quotas, l’un destiné aux marchés de la consommation, l’autre au repeuplement (voir annexe à ce document). Néanmoins, aucune garantie officielle n’existe, la plupart du temps, sur le fait que les civelles fournies pour le repeuplement en Europe n'iront pas in fine alimenter la filière commerciale des pays acquéreurs, ni que les opérations de repeuplement seront conduites dans des conditions conformes aux exigences du règlement européen. Ces risques de dérive militent en faveur de l’adoption d'un guide de bonnes pratiques assorti d'une évaluation préalable de la qualité des habitats à repeupler, d’ailleurs réclamé par les scientifiques du Conseil International pour l'Exploration de la Mer (CIEM) et sur lequel la profession française travaille actuellement.

Les actions de repeuplement doivent suivre les protocoles et précautions établis au sein d’un cahier des charges partagé et reconnu à l’échelle communautaire, sur la base notamment des recommandations du CIEM de 2009. Ce dernier admet, en effet, le repeuplement comme mesure de gestion sous réserve qu’il reste limité aux eaux non polluées, soumises à une pression minimale des organismes pathogènes et des impacts anthropiques, dont la pêche. Si l’efficacité d’une telle mesure de gestion fait débat au sein de la communauté scientifique en raison généralement du manque de données, plusieurs pays (Pologne, Allemagne, Pays Baltes, Grande-Bretagne, Irlande, Danemark) l’utilisent depuis plusieurs décennies pour augmenter leur production d'anguilles dans les milieux naturels. Quoi qu’il en soit, le repeuplement est une obligation communautaire et doit être engagé à une échelle suffisamment importante pour que son effet puisse être clairement détecté. Des articles récents montrent également que les anguilles argentées issues de ces repeuplements ont des comportements analogues aux individus résidents et se mélangent à l’échappement naturel (Verreault et al, 2010).

Les préconisations du groupe de travail CECPI (Commission Européenne Consultative pour les Pêches dans les eaux Intérieures de la FAO) / CIEM, soutenues par la France, insistent sur le respect, par les Etats membres souhaitant se porter acquéreur de civelles pour le repeuplement, d’un cahier des charges décliné en plusieurs parties :

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- optimisation de la qualité des civelles par la réduction du taux de mortalité avant transport

(bonnes pratiques pour la filière civelière pêche et repeuplement) ; - suivi vétérinaire avant immersion (voir à ce propos le guide sanitaire Indicang) ; - respect des protocoles techniques et précautions pour l'immersion : stade biologique, densité,

qualité des zones de repeuplement, intensité des prélèvements sur le bassin versant ; - suivi et vulgarisation des résultats.

Depuis 2009, la profession française milite en faveur de l’organisation de rencontres ou de la constitution d’un groupe technique international dédiés au repeuplement en Europe afin d’optimiser l’efficacité de cette mesure de gestion au regard des objectifs réglementaires.

Les pêcheurs professionnels : des hommes sur lesquels il faudra compter pour la mise en œuvre du programme de repeuplement. © INDICANG

Repeuplement 2010 par la France

En 2010, la France a répondu à toutes les demandes de civelles de repeuplement, soit 10 tonnes exportées vers les pays européens demandeurs dont : - Pays Bas : 2,9 tonnes - Allemagne : 2,5 tonnes - Danemark : 1 tonne - Suède : 0,9 tonne - Irlande : 0,85 tonne - République tchèque : 0,7 tonne - Royaume-Uni et Espagne : 0,25 tonne chacun.

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Civelles. © F. Douaud

Lâcher de civelles. © N. Porcher

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5 . Des décisions basées sur des approximations scientifiques et des références qui ne sont plus d'actualité Une littérature abondante sur le commerce international de l'anguille européenne s'appuie souvent sur des approximations scientifiques, dénote au mieux un manque de regard critique sur les données, et cherche souvent à dramatiser la situation. La littérature la plus récente, s'appuyant sur des données antérieures à 2009, ne traduit plus la réalité actuelle. Un contexte très particulier en France depuis 2 ans Des changements majeurs sont observés depuis les deux dernières années :

- un encadrement réglementaire plus restrictif avec l'adoption en France d'un système de quota de pêche dégressif de la civelle et de différentes autres mesures (interdictions et limitation des périodes de pêche à tous les stades biologiques) sont à l’origine d’une forte diminution de l’effort de pêche.

- la mise en place d'un dispositif de traçabilité complet depuis 2009 a permis un net recul des marchés et pratiques illégaux opérant sur l’espèce.

- la diminution importante des productions par pêche influencées par des conditions hydroclimatiques défavorables au cours des deux dernières saisons de pêche (hivers froids, tempêtes, saisons tardives) et des conditions de marché instables influençant à la baisse les demandes de civelle (crise mondiale, stocks d’anguille d’élevage importants, fortes incertitudes liées aux retards dans l’approbation des plans de gestion, etc.).

Des études aux résultats contradictoires et des chiffres qui dramatisent Une récente étude de TRAFFIC (Crook, 2010) annonce notamment que la production totale européenne estimée (principalement issue de France et d’Espagne) s’élève à près de 3000 tonnes entre 1998 et 2008. Sur cette période, il est indiqué que 750 tonnes ont été exportées vers la Chine et Hong Kong. Or, Nielsen & Prouzet (2008) montrent que l'export vers l'Asie représente plus de 50 % en moyenne des quantités débarquées en Europe, ce qui permet d'évaluer une production européenne plus proche de 1 500 à 2 000 tonnes de civelles que de 3 000. Les 750 tonnes de civelles sur 10 ans à destination du marché asiatique représentent 75 tonnes en moyenne par an, soit environ 220 millions de civelles par an. Il ne faut pourtant pas croire que ces 220 millions de civelles auraient fourni des volumes très importants pour l'échappement en mer d'anguilles argentées. Ces derniers auraient été au mieux de l’ordre de la centaine de tonnes par an2. Ce chiffre est à comparer avec la pêcherie récréative par exemple (cf. ci-dessous) et correspond à peu près aux captures d’anguilles de la Corse, à 10% de la production des lagunes méditerranéennes, et à environ la moitié du flux d'anguilles dévalant estimé en Loire. Une production professionnelle française d'anguilles jaunes et argentées, très modeste au regard des tonnages de la pêche récréative jusqu’en 2009 Les quantités précédentes sont à mettre en parallèle avec le prélèvement d'anguilles jaunes et argentées, jusqu'en 2009 (date d’interdiction de pêche d’anguilles argentée pour la pêche récréative et professionnelle, sauf sur la façade méditerranéenne) : près de 1 200 tonnes prélevées

2 On peut avoir cet ordre d’idée en prenant comme base un âge moyen de 9 ans (soit un poids moyen de l’ordre de 250 grammes tous sexes confondus (Adam et al, 2008) avec un taux de survie de 10% des civelles la première année, 30% les deux années suivantes et 70% les autres années jusqu’à l’âge de dévalaison de 9 ans (taux de survie assez optimistes d'individus migrant dans des conditions naturelles et peu anthropisées, ne tenant donc pas compte des autres facteurs de mortalité).

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annuellement par la pêcherie récréative (chiffres 2007, source : Fédération Nationale de la Pêche en France), contre 157 tonnes par la pêcherie professionnelle en eau douce (chiffres 2009, source : ONEMA). Que dire alors de politiques basées essentiellement, jusque-là, sur une restriction de la pêche des poissons juvéniles, alors qu'aucune restriction n’était imposée sur les poissons adultes ?

Des affirmations basées sur des données erronées

Le commerce international rendu responsable du déclin de l’espèce

L'affirmation selon laquelle le déclin de l’espèce, au cours des 30 dernières années, est dû notamment aux captures pour le commerce international est très exagérée : le marché chinois ne s'est développé que vers les années 95, alors que la décroissance du stock avait commencé au début des années 80 dans la zone centrale, et à partir des années 60 plus au Nord (ICES, 2010). Le développement des marchés asiatiques a constitué un choix de la filière professionnelle française qui, ne souhaitant pas augmenter son effort de pêche, n’avait d’autre possibilité que de mieux valoriser les productions de civelles. Les prix plus attractifs de ces marchés, basés sur une vente de civelles à l’unité, ont ainsi permis de maintenir la viabilité du secteur, à pression de pêche constante. Une durée de 80 ans pour la reconstitution des stocks ? Affirmer que, même en arrêtant la pêche, il faudra 80 ans pour permettre au stock de se reconstituer, est de la pure spéculation. Cette allégation, qui s'appuie sur un modèle très simpliste considérant les mortalités autres que la pêche comme naturelles et donc non régulables (cf § suivant) , laisse entendre que la bataille est perdue d'avance (trop cher, trop long, trop périlleux politiquement). Certes, la plupart des gestionnaires le savent : la restauration des stocks sera longue (au moins 15 ans pour avoir les premiers signaux positifs). Mais surtout, elle suppose, du courage politique de la part de l'ensemble des décideurs nationaux et européens afin de prendre en considération l’ensemble des problèmes.

D'une façon générale, toute une argumentation visant à stigmatiser la pêche s'appuie sur beaucoup de calculs qui n'ont que peu de fondement scientifique et qui ne tiennent, en général, pas compte des facteurs socio-économiques. Elle masque la multiplicité des causes du déclin de l’espèce.

Des modèles scientifiques uniquement fondés sur les données de capture

En 2009, le CIEM a publié un rapport alarmant soulignant que le recrutement (flux total de civelles qui colonisent les estuaires et fleuves, depuis la mer, sur une période donnée) avait fortement baissé ces dernières années par rapport aux années 70. Sur cette base, le CIEM a recommandé que l'ensemble des pressions anthropiques, dont la pêche, soit ramené au plus bas niveau possible (le possible vouliat dire : en tenant compte des facteurs sociaux et économiques). Or, en réalité, cette recommandation est basée uniquement sur le taux captures (10 % des captures par rapport à celles des années 1970). Les scientifiques n’ont, en effet, pas la possibilité de connaître la valeur réelle de la mortalité naturelle car :

- la dégradation des milieux s’est intensifiée au début des années 1960, période avant laquelle aucune estimation fiable du recrutement n’a pu être retrouvée ;

- la mortalité naturelle regroupe les mortalités induites directement ou non par différents facteurs, d’origine humaine ou non, qu’il est encore difficile aujourd’hui de connaître (disparition ou dispersion des zones de croissance, contaminations, parasitisme, prédation, mortalité accidentelle, etc.).

Il est donc extrêmement hasardeux d’évaluer la part de responsabilité de la pêche dans de telles conditions.

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Les modèles scientifiques utilisés fixent arbitrairement un taux de mortalité naturelle, souvent constant dans le temps. Ce n’est évidemment pas le cas pour les espèces comme l’anguille, l’alose ou le saumon car la dégradation des écosystèmes, depuis ces cinquante dernières années, est évidente. . Or cette donnée est fondamentale car la mortalité naturelle conditionne directement la productivité de la population : quand cette productivité est faible, le « surplus » à exploiter dans le cadre d’une pêche durable est lui aussi faible (voir encadré sur le Rendement Maximal Durable). Les modèles sont donc très éloignés de la réalité et non conformes aux observations et diagnostics biologiques effectués. Dans ce contexte, plus les pêcheurs renseignent les gestionnaires et plus ils s'attirent des ennuis car les véritables causes du déclin de l'anguille ne sont jamais considérées. Enfin, les débarquements de civelles ne peuvent en aucun cas être considérés comme l’unique reflet du recrutement car ils sont fortement influencés par les conditions du milieu et des marchés. Pourtant, au cours de l’été 2009, les instances CITES ont pris la décision de réduire de moitié le quota français d’exportation hors Europe, fixé quelques mois plus tôt, compte tenu des faibles productions enregistrées lors de la saison 2008-2009, y décelant « un signe évident d’effondrement de l’espèce ». Cette décision ne repose sur aucune information scientifique nouvelle et fondée. En effet, les faibles débarquements (32 tonnes) s’expliquent par une association de facteurs : conditions hydro-climatiques particulièrement rigoureuses au cours de la saison de pêche influençant largement à la baisse le taux de survie, la mobilité et donc la capturabilité des alevins sur certains bassins, et une demande du marché international très faible entrainant une diminution du prix moyen (moyenne de 220 €/kg) de la civelle, un moindre attrait pour les flottilles de pêche pluriactives et une activité souvent réduite aux périodes les plus propices pour les autres flottilles. Ces conditions sont à elles seules responsables d’une diminution de 40 à 60 % de l’effort de pêche par rapport à la saison précédente. .

Rendement Maximal Durable : une analogie avec un champ de blé La taille d'une population est dépendante de la surface de l’habitat et de la densité de population qui le colonise, au même titre que la quantité de blé est liée à la taille du champ et à la densité d'épis par hectare. Or, il faut constater que la surface des habitats qui était celle de l’anguille juste qu’au milieu du 20ème siècle, ne peut pas être restaurée en totalité. Il en résulte que nous ne pourrons plus revenir à une taille de population qui était celle de la 1ère moitié du 20ème siècle, à moins d’accroître fortement la densité des individus à l’hectare, ce qui n'est possible que si le terrain est fertile.

De la même façon qu’un grand champ peut avoir un rendement par hectare plus faible qu’un petit si le terrain est moins fertile, dans un écosystème aquatique, la quantité de poissons est liée à la taille du territoire, mais également à la capacité qu’ont les juvéniles (blé en herbe) de survivre et de prospérer même en densité forte. On comprendra aussi que cette productivité n’a rien à voir avec l’intensité de la pêche (comme la récolte du blé n’influe en rien la fertilité du terrain), mais est liée à :

- la bonne survie et condition des larves, - la diminution des interactions entre espèces ou individus d’une même espèce, - la quantité de nourriture disponible, - l’oxygénation de l’eau, - la qualité de l’eau, notamment à l’absence ou aux faibles concentrations en contaminants qui portent atteinte à

la fertilité des géniteurs et la qualité de leurs ovules...

En d’autres termes, plus un milieu (et par extrapolation une population de poissons) est productif et plus un géniteur donnera de descendance viable (les scientifiques parlent du rendement par recrue, la recrue étant considérée ici comme le géniteur potentiel). D’où la notion de surplus exploitable qui correspond à un taux d’exploitation maximal que peut supporter une population, sans décroître à moyen terme et en donnant le maximum de captures qu'elle peut ainsi produire ("Rendement Maximal Durable"). Ce taux peut être élevé si le terrain est fertile, mais faible, voire nul, si le milieu est trop dégradé.

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6. Une grave carence de prise en compte des facteurs socio-économiques Les effets délétères conjugués du plan d’actions sur les PCB et du plan de gestion « Anguilles » Lancé en 2007 après 20 ans de retard, le plan français d'actions sur les PCB entraîne une interdiction de la commercialisation et de la consommation de certains poissons d'eau douce prélevés dans les zones contaminées, délimitées par arrêtés préfectoraux. Conjuguées au plan de gestion « Anguilles », ces mesures affectent lourdement l’activité économique de certaines entreprises qui n'atteignent plus leur seuil de rentabilité. Ce sont déjà 450 entreprises fluviales et estuariennes qui ont cessé la pêche des anguilles depuis 2007. Une majorité d'entre elles a disparu, les autres se sont réorganisées et diversifiées autour d'autres ressources halieutiques.

La remise en cause, par la décision CITES, de la possibilité d’adaptation économique des pêcheurs professionnels au nouveau contexte réglementaire Sur les bassins des façades Atlantique, Manche et Mer du Nord, la profession a enregistré, depuis 2006, une diminution de plus de 36 % de ses attributions de droit de pêche à la civelle. Cette diminution a été permise pour les marins-pêcheurs par la mise en œuvre de 3 plans de sortie de flotte successifs. Les pêcheurs professionnels en eau douce ne bénéficiant pas d’un tel dispositif, les autorités françaises souhaitent mettre en place un plan de cessation d’activité pour ceux d’entre eux qui sont impactés par le plan de gestion « Anguilles » et/ou par le plan national PCB. Cependant le plan de cessation d'activité, qui doit être prochainement notifié à la Commission européenne, ne prévoit pas budgétairement le scénario d'un arrêt total et immédiat de l'activité. Dans ces conditions, la filière souhaite obtenir 4 saisons de pêche avec quotas exports décroissants, ce qui lui permettra de créer dans cet intervalle une filière repeuplement qui soit efficiente et pérenne. Or, la décision CITES, qui interdit les exportations hors Union Européenne, remet totalement en cause ces possibilités d’adaptation.

Des filets de pêche qui deviendront à court terme des pièces de musée ? © INDICANG

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7. Des scénarios-catastrophes de marchés Une baisse des prix consécutive à la « fermeture » du marché chinois En permettant de maintenir des prix de première vente de la civelle en accord avec la rentabilité financière des entreprises artisanales, le marché asiatique limitait, jusqu’à présent, l’influence du marché nord européen de la consommation. Le moratoire sur les exportations hors Union Européenne ayant rompu cet équilibre concurrentiel, les élevages aquacoles européens constituent les acheteurs majoritaires des civelles destinées à la consommation. Ils sont désormais en mesure d’influencer les prix moyens à la baisse, au risque de provoquer la disparition à court terme de la plupart des emplois embarqués ou induits de la filière civelière. Un indispensable soutien financier à la politique du repeuplement pour compenser la fermeture du marché asiatique Afin d’éviter l’écroulement économique du secteur, il est indispensable de se doter dans les meilleurs délais d’un programme ambitieux de repeuplement permettant de compenser le manque à gagner induit par la disparition du marché asiatique. Pour la France, sur la base de sous-quotas « Repeuplement » de 18 tonnes (40 % du quota national de capture fixé en 2010-2011) et 24 tonnes (60 % du quota national de capture proposé pour la saison 2013-2014), le fonds à mobiliser représenterait 9 M€ et 12 M€, pour un prix moyen de vente au repeuplement de 500 €/kg. Les moyens financiers nécessaires pour la constitution de ce fonds, ne pourront se passer d’un soutien de l’Europe, à l’origine de cette obligation, et d’une contribution des différents secteurs économiques impactant l’espèce et ses habitats essentiels, tels que l'industrie de l'hydro-électricité et de l'agriculture intensive irriguée. Le soutien attendu de ces différents acteurs ne doit pas néanmoins les dédouaner de leurs responsabilités et obligations, au titre notamment de la Directive Cadre sur l'Eau. Les conséquences prévisibles de la cessation des activités de pêche La pêcherie joue un rôle social majeur et structurant sur les grands bassins et le littoral des régions concernées. En cas d’effondrement, outre l’importance économique de ces activités de petite pêche côtière, estuarienne et fluviale, les fonctions de surveillance de ces milieux sensibles et d’alerte ne seraient plus assurées. La profession estime que la disparition de cette communauté investie dans la défense d’un patrimoine naturel et d’une pêche responsable, en accord avec les principes du développement durable, sera suivie par :

- la nécessité de mise en œuvre d’un plan d’accompagnement des entreprises concernées de la filière française (pêche maritime et fluviale, mareyage et expédition) ou, à défaut, le report d’activité des entreprises, sur d’autres ressources halieutiques, générant alors des conflits d’usage et une profonde détresse sociale ;

- l’impossibilité d’approvisionner les élevages nord-européens et surtout les programmes de repeuplement des Etats membres, qui pour certains ont bâti l’essentiel de leur plan de gestion sur cette mesure. Une telle situation entraînerait, au mieux, des retards conséquents dans l’atteinte des objectifs de restauration, mais plus probablement des conséquences irréversibles pour l’espèce elle-même ;

- le développement de circuits illicites (braconnage) sur des espaces désormais privés de la surveillance des acteurs de la pêche professionnelle. Il semble sur ce point que les leçons du passé n’ont pas été tirées. Le cas de différentes espèces d'esturgeon présentes dans le Danube et en mer Noire mérite ici d'être rappelé. Suite à l'adoption d'un moratoire sur toute commercialisation de ces espèces, la petite pêcherie artisanale qui exploitait ces poissons a disparu. Des marchés parallèles se sont alors développés et, quelques années plus tard, ont donné le coup de grâce aux esturgeons. La mise en place d’un plan d’accompagnement du

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secteur artisanal et le maintien, sous contrôle, d’une activité de pêche réduite permettant le suivi des espèces, aurait probablement permis de limiter le développement des filières illégales et d’éviter la disparition des espèces ;

- les difficultés à évaluer l’efficience du plan européen : la France, principal pays bénéficiaire des arrivées de civelles, compte tenu de sa position centrale au sein de l’aire de répartition de l’espèce, devrait être la première à détecter les évolutions des recrutements en civelles dues aux mesures du règlement communautaire ;

- la remise en cause des mesures du Règlement européen, souvent qualifié de « Règlement de la pêche de l’anguille », et du plan de gestion français. En effet, la pêche disparue, les textes réglementaires pourraient devenir obsolètes, occasionnant notamment l'abandon des actions de restauration des milieux qui y figurent.

- une perte supplémentaire de l’attractivité et du dynamisme du littoral, avec l’affaiblissement supplémentaire de l’activité de certains ports de pêche alors que la pêche de la civelle représentait en 2000 la 3ème espèce en valeur du golfe de Gascogne (Léauté, 2000).

Une flotille civelière destinée à la casse ? © N. Porcher

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8. Une décision CITES défavorable aux actions de repeuplement et en contradiction avec ses propres résolutions

Une décision défavorable aux actions de repeuplement La décision de la Commission, qui instaure un moratoire sur les exportations de civelles hors de l’Union Européenne pour les saisons 2010/2011 et 2011/2012, s’annonce non seulement inefficace, mais préjudiciable à la restauration de l'espèce. En entraînant la disparition à court terme de la pêcherie civelière française, elle portera atteinte aux actions de repeuplement prévus par les plans de gestion des Etats membres, puisque ces repeuplements se font essentiellement à partir de civelles pêchées en France. Une décision en contradiction avec 2 résolutions de la CITES elle-même

La Résolution Conf. 8.3, révisée à la 13ème Conférence des Parties (octobre 2004), reconnait que l’application des décisions d’inscription aux annexes CITES devrait tenir compte des effets potentiels sur les moyens d’existence des démunis"... ce que risquent de devenir de nombreux pêcheurs professionnels français qui contribuent dans de nombreuses régions à la diversité des activités patrimoniales et de la production locale.

La Résolution Conf.13.2, révisée à la 14ème Conférence des Parties (juin 2007), prie "instamment" les Etats membres de la Convention d’appliquer les principes et directives de la Convention sur la Diversité Biologique sur l'utilisation durable de la diversité biologique. Les principes n° 2, 3, 5, 7 et 10 de cette dernière résolution semblent particulièrement pertinents dans le cas des anguilles :

- "Reconnaissant l'utilité d'établir un cadre réglementaire conforme aux lois internationales et nationales, les utilisateurs locaux de la diversité biologique sont suffisamment habilités et soutenus en droit pour être tenus responsables et comptables de l'utilisation qu'ils font des ressources en question. (principe 2)

- les politiques, lois et règlements internationaux et nationaux qui introduisent des distorsions dans les marchés, qui contribuent à la dégradation des habitats ou qui génèrent autrement des effets pervers préjudiciables à la conservation et à l'utilisation durable de la diversité biologique sont identifiés et éliminés ou modifiés. (principe 3)

- les buts et les modalités de la gestion visant l'utilisation durable préviennent ou réduisent les effets néfastes sur les services, la structure et les fonctions des écosystèmes ainsi que sur les éléments qui les composent. (principe 5)

- l'échelle spatio-temporelle de la gestion est compatible avec l'échelle écologique et socio-économique de l'utilisation et de ses impacts. (principe 7)

- les politiques internationales et nationales tiennent compte: a) des avantages actuels et potentiels de l'utilisation de la diversité biologique; b) de la valeur intrinsèque et des qualités non économiques de la diversité biologique; et c) des mécanismes du marché qui influent sur la valeur et l'utilisation. (principe 10)".

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9. Les pêcheurs professionnels et le WWF-France se rejoignent pour défendre le bon état écologique des eaux et une utilisation durable de la ressource halieutique La pêche professionnelle victime et non pas coupable des préjudices portés aux milieux naturels La pêche professionnelle, dans les eaux continentales et estuariennes, est une activité très ancienne, encore florissante au lendemain de la seconde guerre mondiale. Elle perdure aujourd’hui dans les grands bassins français et européens. Elle est garante d’un certain art de vivre et témoigne de milieux aquatiques vivants que les pêcheurs, malgré les difficultés toujours croissantes, s’efforcent de préserver. Sans les pêcheurs, sentinelles et défenseurs de la qualité des milieux, bon nombre de rivières seraient aujourd’hui vides et certaines espèces locales auraient disparu. C’est un constat alarmant mais malheureusement récurrent qui occupe désormais la rubrique des faits divers : arrêt de la pêche en Seine aval, dans la Somme, le Rhône… dû aux conséquences de nouvelles pollutions chimiques ou suite à la diminution de certaines espèces. A l’inverse, l’arrêt de la pêche n’a jamais permis à un poisson de remonter un barrage, d’éviter une contamination chimique. Il n’a pas permis non plus de restaurer une zone humide asséchée, de limiter la prolifération d’espèces parasites ou encore de contrôler la colonisation d’espèces invasives (gambusie, silure glane, black bass, écrevisse américaine…). Une façon de souligner que la pêche n’est pas responsable des préjudices portés au milieu naturel. Les efforts que les pêcheurs ont consentis depuis plus de 20 ans pour limiter leur pression de pêche, faire contrôler leurs productions et mesurer l’impact de leurs prélèvements, montrent leur engagement pour la conservation de l’espèce.

Depuis 2009, la filière professionnelle a su s'adapter dans des délais très courts aux exigences de traçabilité prévues par le plan de gestion français (en 2010, 15 000 déclarations de pêche et notes de vente ont été remplies par les pêcheurs et mareyeurs). La profession française est également motrice sur les objectifs de repeuplement, notamment par la création en 2010 d'une association (Association pour le repeuplement de l'anguille en France) et par l'application d'une charte des bonnes pratiques de pêche et repeuplement.

Une collaboration de longue date avec le WWF-France

Les pêcheurs professionnels d'eau douce et le WWF-France collaborent :

- depuis plus de 20 ans, pour limiter l’impact des barrages sur la libre circulation des poissons migrateurs, en particulier dans le cadre de la campagne « Loire Vivante » ;

- depuis environ 10 ans sur la Directive Cadre sur l'Eau, ainsi que sur des objectifs de pêche durable dans le bassin de la Loire. Dans ce cadre, une association de pêcheurs professionnels, "Pêcheurs professionnels – Qualité Loire", a créé la marque collective « Poissons sauvages de la Loire » en s'engageant à respecter un cahier des charges exigeant et une commercialisation locale ;

- depuis 5 ans sur la sauvegarde de l'esturgeon européen. En association avec d'autres partenaires, cette collaboration s'est notamment traduite par l'adoption d'un plan de restauration européen sous l'égide de la Convention de Berne et par l'inscription de l’esturgeon à l'annexe I de la Convention sur les Espèces Migratrices. Elle s’est également traduite, via le Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins, par des campagnes de communication auprès des marins-pêcheurs concernés sur les risques de captures accidentelles d'esturgeon en mer ;

- plus récemment, les pêcheurs professionnels et le WWF-France ont commencé à travailler ensemble sur l'empreinte écologique de la pêche.

Les pêcheurs professionnels sont directement dépendants de milieux naturels aquatiques en bonne santé dont ils tirent leurs revenus. C’est la raison pour laquelle ils se battent pour leur préservation. Leur présence est indicatrice de la richesse et de la qualité des écosystèmes.

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10. Propositions CONAPPED-WWF-France En France, le sous-quota « Consommation » pour la saison 2010-2011 est désormais fixé à 26,8 tonnes, contre 72 tonnes de production moyenne par saison pour la période 2005/2007 ; ce qui représente une réduction de la mortalité par pêche de près de 62 %, à comparer à la baisse-sanction de 50 % prévue par le règlement européen en cas de non–présentation de plan de gestion par un Etat membre. Compte tenu des efforts importants consentis par la profession française dans des délais très réduits, des différentes incohérences qui entourent la décision des instances européennes de la CITES , des risques d’effondrement de la pêcherie et de fragilisation des plans de gestion et de l’espèce elle-même, le CONAPPED et le WWF France enjoignent les instances européennes de la CITES de revenir sur leur décision en attribuant un quota d’exportation hors Europe tant que :

- un plan de repeuplement européen ambitieux et compatible avec la viabilité de la filière professionnelle ne sera pas défini et mis en œuvre. Cela passe par la construction dans les meilleurs délais de trois civelleries sur le littoral français permettant d’approvisionner l’Europe en anguilles de moins de 12 cm pour le repeuplement)

- un guide de bonnes pratiques ne sera pas élaboré et appliqué à l'échelle européenne. Ce guide,

couvrant les différentes étapes de commercialisation des juvéniles, depuis le prélèvement par pêche jusqu’au déversement dans le milieu à des fins de repeuplement, pourra s'appuyer en particulier sur « le code de bonnes pratiques pour la filière pêche et le repeuplement » défini par la profession française (en cours de finalisation) et s’inspirer des préconisations du Sustainable Eel Group et des guides de bonnes pratiques publiés par la FAO.

- un contrôle et une évaluation de l’efficacité des mesures mises en œuvre dans les plans

nationaux de gestion ne seront pas effectués, au moyen notamment des outils développés dans le cadre du programme INDICANG (cf annexes). En effet, la filière pêche professionnelle ne peut consentir à réaliser des efforts supplémentaires tant que des résultats significatifs n’auront pas été obtenus sur la réduction des autres sources de mortalité de l’anguille.

Le CONAPPED et le WWF-France demandent, en outre, aux autorités européennes de :

- rendre les pêcheurs professionnels en eau douce, au même titre que les marins pêcheurs, éligibles au Fonds Européen pour la Pêche (FEP) ;

- créer un fonds européen pour le repeuplement qui soit abondé par le FEP et par les acteurs

industriels principalement responsables du déclin de la ressource. Afin de lui permettre de s’adapter, la filière professionnelle française demande, dans la configuration actuelle (incertitudes liées au repeuplement, taille de la flotte de pêche française, etc.), à pouvoir disposer d’un quota d’exportation CITES dégressif jusqu’en juillet 2013, soit pendant 4 saisons de pêche à partir de la saison 2010-2011. Au cours de cette période de transition, elle propose que soient mises en place les mesures suivantes :

- une réduction progressive du quota français de capture de 35 % entre 2009 et 2013 ; - une réduction progressive du sous-quota national des productions destinées à la consommation

de 60 % entre 2009 et 2013 (soit 78 % par rapport à la période 2005-2007) ; - une augmentation progressive de la part de la production réservée au repeuplement pour

atteindre 60 % en 2013 ;

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- une diminution de la pression de pêche par une réduction de la flotte et la mise en œuvre de plans d’accompagnement de la pêcherie maritime et fluviale.

En accord avec les obligations réglementaires communautaires, les engagements du plan français de gestion de l’anguille 2009-2012 et les trois piliers du développement durable (biologiquement durable, socialement équitable et économiquement viable), la profession s’engage, en outre, à respecter les dispositions du système de traçabilité du produit et à mener un travail technique sur les adaptations de certains engins de pêche.

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ANNEXES TECHNIQUES

• L’application de la CITES dans l’Union européenne • La biologie-écologie de l'anguille • Indicang : Indicateurs d'abondance et de colonisation sur l'anguille européenne

• Les marchés de la civelle

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L’application de la CITES dans l’Union européenne L'Union Européenne applique la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) par l’intermédiaire du règlement (CE) n° 338/1997 du Conseil du 9 décembre 1996 et des règlements de la Commission associés, textes d’application directe dans tous les Etats membres. Cette réglementation européenne instaure des procédures d’instruction des dossiers communes à tous les Etats membres et prévoit une harmonisation intra-communautaire des contrôles et des positions nationales relatives au commerce des espèces sauvages. Elles institue également 2 Comités chargés de déterminer les mesures de mise en œuvre concrète des règlements, dont :

- le Groupe d'Examen Scientifique, qui réunit les représentants des autorités scientifiques CITES nationales désignées par les Etats membres (pour la France, le Muséum National d'Histoire Naturelle - MNHN), afin notamment de rendre des avis sur le caractère préjudiciable ou pas des opérations commerciales portant sur certaines espèces ;

- le Comité de gestion, dit "Comité CITES", composé de représentants des organes de gestion

de tous les Etats membres (pour la France, la Direction de l’eau et de la biodiversité au Ministère en charge de l'Ecologie), qui examine toutes questions relatives à l'application de la CITES et des règlements (CE) y afférents, en s'appuyant le cas échéant sur l'avis du Groupe d'Examen Scientifique.

Les espèces inscrites à la CITES sont réparties en fonction du degré de menace pesant sur elles en catégories appelées "Annexes". L'Annexe I de la CITES (Annexe A du règlement européen) regroupe toutes les espèces menacées d'extinction, dont les exportations et importations sont interdites. Il existe toutefois des dérogations, dans le cadre d'une procédure très stricte, pour les transactions n’impactant pas la nature (spécimens d’élevages, de pépinières, antiquités) et pour les mouvements à finalité non commerciale (scientifiques par ex). L'Annexe II de la CITES (espèces reprises à l’Annexe B du règlement européen, certaines étant “surclassées” à l’annexe A) regroupe des espèces considérées comme moins menacées que les précédentes, mais dont le commerce international doit être régulé pour empêcher la surexploitation. Les mouvements internationaux sont subordonnés à obtention préalable d’un permis d’exportation délivré par les autorités CITES du pays d’origine, qui ne peut être délivré que si un avis favorable a été rendu par l’autorité scientifique nationale du pays exportateur. Ce dernier peut, après consultation de son autorité scientifique, décider d’un quota d’exportation correspondant à la quantité maximale de spécimens exportables au cours d’une année civile. La plupart des quotas d’exportation sont établis au niveau national sur une base volontaire mais, pour les espèces les plus sensibles, ils doivent correspondre aux recommandations des Comités scientifiques internationaux de la CITES ou ils sont fixés par la Conférence des Parties à la Convention. Avec l’anguille, l'Union Européenne se trouve pour la première fois en situation de “pays” exportateur et doit donc émettre des avis scientifiques de commerce non-préjudiciable à l’exportation, alors qu’habituellement les avis qu’elle rend portent sur les importations dans l’Union Européenne. Faute de position commune à tous les Etats membres concernant la mise en place d’un quota d’exportation pour la saison 2010/2011, il revient aux autorités scientifiques nationales d’évaluer si un quota national d’exportation peut être fixé et, dans l’affirmative, d’en déterminer le montant puis de justifier leur position au sein du Groupe d’Examen Scientifique. Bien entendu, le quota national d’exportation doit être cohérent avec les captures autorisées dans le cadre du Plan de gestion Anguille national conformément au règlement (CE) Anguille et adopté par la Commission européenne. L’inscription de l’anguille à l’annexe II de la CITES, décidée lors de la Conférence des Parties de juin 2007, est entrée en vigueur le 13 mars 2009. Il en a été de même pour l’annexe B communautaire.

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La biologie-écologie de l'anguille L'anguille européenne est un poisson migrateur capable de vivre en eau douce et en eau salée. Elle naît dans la mer des Sargasses à plusieurs centaines de mètres de profondeur à l'état de larves transparentes ("leptocéphales") qui sont portées par les courants océaniques vers les côtes européennes. Au voisinage du continent, elles se métamorphosent en petites anguilles transparentes : les civelles (ou pibales). Les arrivées de civelles dans les estuaires et les fleuves côtiers, après 6 000 kilomètres de voyage et environ une année passée en mer, se déroulent toute l’année et pas seulement durant les périodes de pêche, échelonnées selon les bassins de novembre à mai. Portées par les marées, les civelles pénètrent dans les estuaires et les parties basses des fleuves depuis les côtes scandinaves au Nord jusqu'aux pays du Maghreb au Sud. Perdant progressivement leur transparence pour se transformer en anguillettes totalement pigmentées, certaines se sédentarisent très rapidement tandis que d'autres migrent activement dans les eaux douces continentales : elles remontent les cours d'eau (phénomène de "montaison") et se dispersent sur les bassins versants pour occuper une grande diversité d'habitats aquatiques : rivières, marais, étangs, fossés, etc. Sédentarisées, les anguillettes devenues anguilles jaunes, grandissent de trois à plus de dix ans avant d'accomplir une dernière métamorphose qui les transforme en anguilles argentées. L'anguille européenne approche alors de sa maturité sexuelle et commence une migration inverse vers la mer, appelée "dévalaison". Ce phénomène se déroule toute l'année, mais tout particulièrement à l'automne et en hiver, et précèdela grande migration océanique de retour vers la mer des Sargasses où l'anguille se reproduit avant de mourir.

Cycle biologique de l'anguille européenne. © INDICANG

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Indicang : Indicateurs d'abondance et de colonisation sur l'anguille européenne INDICANG est un programme de transfert et de valorisation des connaissances concernant l’exploitation, l’habitat, l’évolution de l’anguille européenne, mis en place entre des acteurs allant de la Cornouaille anglaise au nord du Portugal : scientifiques, représentants de l'Etat et des collectivités, pêcheurs amateurs et professionnels, agences de l'eau, associations... Il a pour vocation d’élaborer une vision d'ensemble sur le statut de l’anguille par la mise en place d’un réseau d’informations et d’actions permettant de montrer à l’Europe et aux décideurs la diversité des actions déjà engagées et l’intensité des efforts consentis par l’ensemble des acteurs, afin que l’anguille reste un patrimoine social, économique et biologique. Il vise aussi à souligner la nécessité d’engager, le plus vite possible, une politique de restauration des habitats sans laquelle l’avenir de l’espèce serait irrémédiablement compromis. La première phase du projet INDICANG avait principalement pour objectif de mettre au point des outils et des méthodologies permettant d’évaluer l’état de la ressource et de mesurer les effets des principaux facteurs anthropiques sur la répartition de l’espèce. Cette phase s’est achevée en 2008 et a abouti à la confection d’un guide et d’annexes méthodologiques permettant de définir des outils d’aide à la gestion de l’espèce et de ses habitats et de définir des indicateurs d’abondance et de colonisation de l’espèce. La seconde phase a été précisée et élaborée, mais non proposée compte-tenu de l’incertitude dans lequel se trouve le devenir des principales communautés d’exploitants. Sans celles-ci, il n’est pas pensable de mettre en place un plan de restauration à l’échelle de l’Europe. Le fonctionnement de la population d'anguilles est à l'image de celui de l'arbre représenté ci-dessous. Le projet INDICANG prend en compte cette structure arborescente en préconisant de s'occuper localement de la feuille (action au niveau de l'unité hydrographique), tout en coordonnant les actions entreprises sur un nombre significatif de feuilles (action à l'échelle de l'Arc Atlantique). La restauration du feuillage doit être suffisamment importante pour avoir un effet significatif sur le devenir de cet "arbre à anguilles". (Adam et al., 2008). Pour en savoir plus : http://www.ifremer.fr/indicang/

L'arbre à anguilles. © INDICANG

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Les marchés de la civelle La production européenne de civelles, composée essentiellement par les débarquements français (à hauteur 80 %, avant l’instauration en 2009, en France), approvisionne différents marchés dits de la « consommation » (directe ou après aquaculture), en Europe et en Asie, ainsi que la demande des programmes de repeuplement des Etats membres (tel que défini dans le règlement CE n°1100/2007) :

Marchés de la « Consommation »

� Depuis la fin des années 1990, le marché chinois constituait le principal acheteur de civelles, avec une demande destinée à l’élevage qui oscillait entre 40 et 50 tonnes. En 2008-2009, avant l’entrée en vigueur de l’inscription de l’espèce à l’annexe II CITES, la demande chinoise s’est considérablement réduite (7 tonnes exportées par la profession française), compte tenu notamment des importants excédents de production d’anguilles réalisés. En 2009-2010, le seul quota d’exportation hors Europe, attribué à la France (14,23 tonnes), a été atteint. Ce marché influence à la hausse le prix moyen de vente de la civelle. L'arrêt des exportations vers l’Asie qui vient d'être décidé par la CITES va réduire désormais de façon drastique l’effet de concurrence établi et, de ce fait, le prix moyen de vente de la civelle.

� Jusqu’en 2008-2009, la demande de l’aquaculture européenne représentait le second marché en importance, absorbant chaque année entre 20 à 30 tonnes de la production totale de civelles. Elle s’est également considérablement réduite au cours des deux dernières saisons de pêche, même si le marché a pris la première place en termes de demandes en 2008-2009.

� Le marché espagnol absorbe l’excédent de production (5 à 10 tonnes avant 2008-2009) dont la quasi totalité des civelles mortes et une demande aléatoire de civelles vivantes pour la consommation.

Marchés du repeuplement En 2010, les programmes de repeuplement d’anguille ont progressivement vu le jour, à mesure que les plans de gestion des Etats membres ont été approuvés par la CE. Ce marché naissant, qui a absorbé 10 tonnes de la production française lors de la saison 2009-2010, devrait connaître un essor considérable si l’on se réfère au règlement européen et concerner 60 % des débarquements de civelle des pays producteurs à l’horizon 2013.

Depuis la saison 2009-2010, et de façon à se conformer aux obligations communautaires, la France subdivise son quota national de capture annuel en un sous-quota « Consommation » et un sous-quota « repeuplement » approvisionnant respectivement ces deux groupes de marchés.

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Références bibliographiques

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