Sandrine Bègue La Fin de Goa et de l’Estado da...

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Sandrine Bègue La Fin de Goa et de l’ Estado da Índia : Décolonisation et Guerre Froide dans le Sous-Continent Indien (1945-1962) Volume II

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  • Sandrine Bgue

    La Fin de Goa et delEstado da ndia :Dcolonisation et Guerre Froide

    dans le Sous-Continent Indien(1945-1962)

    Volume II

  • 709coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

  • 710 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Biblioteca Diplomtica

    Srie D: Teses

    Conselho Editorial

    Presidente: Professor Doutor Armando Marques Guedes

    Professor Doutor Joo Amador

    Embaixador Leonardo Mathias

    Professor Doutor Nuno Piarra

    General Jos Lus Pinto Ramalho

    Professor Doutor Antnio de Vasconcelos Saldanha

  • 711coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Sandrine Bgue

    Directeur de thse : Monsieur Jacques Weber

    Volume II

    La Fin de Goa et de lEstado da ndia :Dcolonisation et Guerre Froide

    dans le Sous-Continent Indien

    (1945-1962)

    JuryM. Singaravelou

    M. A. Dias FarinhaM. M.-J. Zins

    Mme D. CoutoM. M. Catala

  • 712 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Ficha tcnica

    Ttulo

    La Fin de Goa et de lEstado da ndia : Dcolonisation et Guerre Froide

    dans le Sous-Continent Indien (1945-1962) Volume II

    Autor

    Sandrine Bgue

    Coordenao Editorial

    IDI - MNE

    Edio

    Coleco Biblioteca Diplomtica do MNE Srie D

    Ministrio dos Negcios Estrangeiros, Portugal

    Design Grfico

    Risco, S.A.

    Paginao, Impresso e Acabamento

    Europress, Lda.

    Tiragem

    1000 exemplares

    Data

    Maio de 2007

    Depsito Legal

    257988/07

    ISBN

    978-972-9245-55-8

  • 713coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Table des Matires

    VOLUME II

    Chapitre VIII : Une Autogestion Fragile 721

    1. Lintgration renforce de lEstado da ndia dansla communaut lusotropicale 721

    Le nouveau statut de Goa selon Salazar 721Les efforts dinvestissements portugais pour le

    dveloppement de Goa 740Les mesures de contournement du blocus indien 743La bataille de lducation : empcher lexode de la jeunesse

    goanaise vers lInde 756

    2. Une dangereuse insularit 761Le nouveau souffle de lopposition bourgeoise Goa 762Le mcontentement de lmigration goanaise dAfrique 770Le ralliement lInde des Goanais du Kenya 773Laccentuation des pressions sur lmigration goanaise

    de Bombay 785Les rseaux despionnage 797Un gouverneur de lEstado da ndia quasi-autonome 803

    3. Le satyagraha du 15 aot 1955 806Les ambiguts de Nehru 806Les faiblesses de la dfense portugaise 818Lbullition mdiatique 826Les pressions internationales sur Nehru : Bandung et la Chine 833Un bilan sanglant 838Une crise du Parti du Congrs 846

    Chapitre IX : Le Dclin des Positions Portugaises 853

    1. Une tribune internationale pour Goa 853Lembarras anglais et amricain 853Le Portugal lONU : impralisme contre colonialisme 861Les prises de position dans la guerre froide 866Le Cachemire et Goa, mme combat ? 875Ennemis, par nations interposes 881

  • 714 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    2. Une situation interne chaotique 885Le mcontentement croissant de la population goanaise 885Les provinces du Nord aprs Dadra et Nagar Aveli :

    une lente dcomposition 893Des forces armes en droute 901La question des prisonniers politiques Goa 907Le travail dinspection Goa du reprsentant gyptien,

    Abdul Khader Khalil 912A Bombay, une communaut goanaise sans protection

    diplomatique 920Le dclin de lEglise goanaise 922

    3. Entre exaspration et impatience 924Un colonialisme portugais de moins en moins frquentable 924Une opposition indienne dsoriente 928Nehru et lopposition goanaise de Bombay : lheure des

    comptes 932Lintensification de laction terroriste 936Le durcissement du blocus 939La poursuite raisonnable dune solution pacifique 946

    Conclusion : Goa, rpublique des aldeias 951

    Troisime Partie : Goa dans la Tourmente de la Dcolonisation(1958-1962)

    Introduction 957

    Chapitre X : Une Pression Nationaliste Resserre (1958-1960) 959

    1. Goa sous tat durgence 959Laffaire Casimiro Monteiro 959Vassalo e Silva, chef militaire aux ambitions civiles pour Goa 966Une colonie divise 978Linquitante rouverture des frontires goanaises 987

    2. Goa et lAfrique 989Le Dr Gaitonde, la tribune des nations afro-asiatiques 989Le dclin de la politique coloniale portugaise en Afrique 991Le rapport de force entre le Portugal et les Nations unies 995

    3. Le procs de La Haye, arbitre du conflit luso-indien ? 997Dadra et Nagar Aveli : tat des lieux 997Prliminaires du procs et principaux acteurs 1003La dfense portugaise et la lgitimation de lHistoire 1010

  • 715coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    La dfense indienne et les nouvelles rgles dun Etatindpendant 1016

    Un jugement sans vainqueur ni vaincu 1029

    Chapitre XI : LIsolement Progressif du Portugal sur la ScneInternationale 1041

    1. 1961, anne de crise pour la politique coloniale portugaise 1041Le rgime salazariste branl 1041La condamnation amricaine du colonialisme 1048

    2. Les pressions sur Nehru pour une intervention militaire 1058Nehru, un obstacle la rsolution du cas goanais ? 1058La confrence de Belgrade (septembre 1961) et le

    sminaire sur les coloniesportugaises (Delhi-Bombay, octobre 1961) 1063

    Le conflit sino-indien (1959-1962), un dfi aunon-alignement 1070

    3. Laction diplomatique portugaise de la dernire chance 1073Le Portugal tente de mobiliser lONU 1073Trouver le soutien amricain 1081Goa, rejete par le Saint-Sige 1089

    Chapitre XII : La Chute de Goa 1093

    1. Loffensive militaire indienne 1093Prvoir ses otages 1093Une colonie dmilitarise, livre la grce de Dieu 1096Lappel au sacrifice de Salazar 1112Opration Vijay contre opration Sentinelle 1123Une capitulation portugaise invitable 1136Une dmonstration de force 1143

    2. Les ractions internationales 1146Le veto sovitique et la crise de lONU 1146La condamnation unanime de la presse occidentale 1155Les applaudissements du monde afro-asiatique 1161

    3. Orgueilleusement seuls 1168Une chute rcrite par la censure portugaise 1168La trahison des allis et de lONU 1171Lhonneur prserv du Portugal 1178Une souverainet indienne renie 1180Lincorrigible constance du salazarisme 1183

  • 716 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Chapitre XIII : Laprs 18 Dcembre 1961 1189

    1. Lamertume de lintgration 1189Un rveil douloureux pour les Goanais 1189Lintgration administrative et conomique 1195Mgr Alvernaz, dernier reprsentant du Portugal Goa 1198Lutter contre labsorption 1207Le refus de la dfaite 1213

    2. La rpression salazariste 1216Une attente prouvante 1216Un rapatriement presque marchand 1222Punir et rcompenser 1230

    Conclusion 1239

    Conclusion Gnrale 1245Une rsistance portugaise organise 1245Une affirmation identitaire goanaise touffe par les enjeux

    internationaux 1249La force du pragmatisme politique 1252

    Postface 1257

    Chronologie 1259

    Biographies Slectives 1269

    AnnexesAnnexe I : Liste des gouverneurs gnraux de lEstado da

    ndia sous le rgime salazariste 1275Annexe II : Liste des ministres de lEstado Novo 1276Annexe III : Liste des ambassadeurs et consuls portugais 1278Annexe IV : Liste des principaux partis goanais dopposition 1281Annexe V : Publication de lActe colonial en 1933 1283

    Etat des Sources 1285Les archives 1285Les sources publies 1353

    Bibliographie 1367Instruments de travail 1367Colonisation et dcolonisation 1370Le Portugal salazariste et son Empire colonial 1372LInde 1376LEstado da ndia 1378Biographies 1386

    Glossaire 1389

  • 717coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    VOLUME I

    Table des Cartes et Illustrations 13

    Table des Sigles 15

    Prefcio 17

    Remerciements 21

    Introduction Gnrale 25Principales problmatiques 25Articulation du sujet 30Traits principaux de lhistoriographie portugaise et des archives 34

    Premire Partie : LEmergence de la Question Goanaise (1945-1953)

    Introduction 41

    Chapitre I : LEstado da ndia la Veille de lIndpendance Indienne(1945-1947) 45

    1. Le milieu 45Cadre historique, gographique et administratif 45Lconomie goanaise 51

    2. Les hommes 55Dmographie et peuplement 55Socits et identits goanaises : le respect des castes 57Les ralits de lhritage portugais Goa 66La diaspora goanaise 76Religion : la restauration du Padroado dOrient 80

    3. Ladministration de lEstado da ndia en 1945 100LActe colonial et la centralisation mtropolitaine 100Linadaptation du ministre des Colonies 104Le gouverneur gnral 111Les diffrents organes 116La rforme administrative de Jos Bossa 122Larme et la police 125

    Chapitre II : Les Faiblesses de LEstado da ndia 129

    1. Les revendications des lites goanaises 129Une opposition aux racines librales 129Peut-on parler dune opposition goanaise ? 136

  • 718 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Les opposants de Bombay 150Pour la dcentralisation 153Une demande de statut 158Entre mfiance et prudence 162

    2. La timidit des rformes 171Une politique coloniale impriale 171Lviction de Jos Bossa 175Limpossible dcentralisation 184Une conomie souterraine 192

    3. La dfense de Goa 198La militarisation de la colonie 198Ses insuffisances 206

    Chapitre III : Les Origines du Conflit Luso-Indien (1947-1950) 219

    1. Lindpendance indienne et ses consquences 219Rester cote que cote : position et arguments du Portugal 219Lavertissement de Krishna Menon 228Les manuvres portugaises : Hyderabad 234Le calme relatif de lEstado da ndia 242

    2. Les premiers litiges 246Mendona Dias, un gouverneur gnral contest 246Lexposition Goa Bombay 255Les coups dpingle des Indiens : Mrs Pandit Goa 264La question du plbiscite 267La revendication indienne du 27 fvrier 1950 278

    3. La position des puissances 285Le Portugal, un pion essentiel pour lAlliance atlantique 285Lalliance anglaise 287Le Pakistan au secours du Portugal ? 294

    Chapitre IV : La Lutte contre le Padroado (1950-1953) 301

    1. La chute du Padroado 301Le spectre de lanti-catholicisme en Inde 301Rome et le Padroado : une vieille rivalit 306Un Padroado contest 314Ralit de linfluence politique et religieuse du Padroado

    dans ses diocses indiens 341Laccord de redlimitation du Padroado et de larchidiocse

    de Goa 351

  • 719coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    2. Goa de laprs-Padroado : sauvegarder la prsence religieusedu Portugal en Estado da ndia 360

    Un dpart au got amer 360Saint Franois-Xavier, au secours du prestige religieux

    du Portugal en Inde 370La contre-attaque romaine : Mgr Valriano Gracias,

    premier archevque goanais de Bombay 378La rvrence force du Vatican au Padroado 386Entre prudence et immobilisme : la difficile application

    du trait de 1950 389

    Chapitre V : La Reconstruction dun Mythe Colonial :Lisbonne la Reconqute des Goanais 397

    1. Le redploiement de la stratgie salazariste 397La rvision constitutionnelle de 1951 399Le lusotropicalisme lhonneur 406La presse censure 412La guerre des missions diplomatiques 415

    2. Les fissures du mythe 438La relance conomique de Goa au cur dune lutte financire 438Sarmento Rodrigues la rencontre des Goanais ? 448Une unit portugaise bien fragile 458Lopposition interne 472

    Conclusion 483

    Deuxime Partie : A la Recherche dun Nationalisme Goanais (1954-1957)

    Introduction 493

    Chapitre VI : 1954, Quel Avenir pour la Non-Violence ? 495

    1. Les nuances dune solution pacifiste Goa 495Les provocations portugaises 495Le maintien de la ligne pacifiste 501En Inde, les partisans dune paix culturelle 505Lopposition dmocratique portugaise pour un rglement

    pacifique 511

    2. Vers une marginalisation croissante de Goa dansle sous-continent indien 517

    Nehru promet lautonomie 517Le blocus conomique indien : couper Goa de son migration 525

  • 720 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    La prise de Dadra et Nagar Aveli 535Libration goanaise ou agression indienne ? 538Une diplomatie de la porte close 547

    3. La fin du colonialisme portugais Goa ? : la riposte portugaise 553Lisbonne alerte le Royaume-Uni et la communaut

    internationale 553La communaut indienne du Mozambique, otage du Portugal 582Le satyagraha du 15 aot 1954 : tempte dans un verre deau 585

    4. Goa, une affaire empoisonne 599Le regard de la presse occidentale sur le conflit en 1954 599Un bilan embarrassant pour Nehru 610Dadra et Nagar Aveli sous rgime indien : des lendemains

    difficiles 621Lisbonne rorganise et intensifie sa propagande 623

    Chapitre VII : La Neutralit Color de lEglise 641

    1. A la recherche dun arbitrage catholique 642La dette romaine selon Salazar 642Un travail missionnaire affaibli en Inde par la question

    goanaise 652Un clerg goanais brim par la discrimination religieuse

    du Portugal 665Le retrait de Pie XII 672

    2. En Inde, un clerg catholique de plus en plus favorable lintgration 684

    Laction des jsuites espagnols de lInde du Sud contre lePortugal 684

    Le clerg politis de Bombay 692Le cardinal Gracias, figure de lopposition clricale

    goanaise contre le Portugal 698Rome, foyer de dissidence pour le clerg goanais

    partisan de lintgration 703

  • 721coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Une Autogestion FragileChapitre VIII

    Lchec politique de Nehru, aprs les vnements de juillet-aot 1954,

    tout comme lchec de Salazar mobiliser lopinion catholique mondiale

    autour de Goa baissent le rideau de la scne du conflit sur la prparation

    de nouvelles stratgies. Le Pandit, dsabus par lopposition goanaise,

    concentre dsormais ses efforts sur le blocus conomique contre Goa

    alors que Lisbonne, forte de la survie miraculeuse de la souverainet

    portugaise au lendemain du 15 aot 1954, sorganise tant bien que mal

    pour lutter contre la pauvret grandissante de la population goanaise, en

    renforant son intgration au sein de lEmpire portugais.

    1. Lintgration renforce de lEstado da ndia dansla communaut lusotropicale

    Le nouveau statut de Goa selon Salazar

    Depuis 1947, la question du statut de lEstado da ndia na jamais cess

    dtre pose et dbattue parmi llite goanaise, prenant une importance

    croissante au cours de la premire moiti des annes 1950. La promul-

    gation tant attendue dun nouveau statut est aussi lacte de foi dun

    gouvernement qui a promis une certaine forme dautonomie des gn-

    rations de Goanais se demandant si le colonialisme portugais tait encore

    une solution politique viable dans le monde prsent. Mais le rgime

    salazariste considre le changement comme la reconnaissance dune

    dfaillance, le dbut de troubles. On prfre, comme toujours, arrondir les

  • 722 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    angles, rorienter, englober dans lEmpire. Un espoir stait pourtant fait

    jour en 1946, lorsque le ministre des Colonies de lpoque avait annonc

    la promulgation dun nouveau statut concrtisant les aspirations du

    peuple goanais. Le gouverneur gnral de lEstado da ndia dalors, Jos

    Ferreira Bossa, avait lui-mme encourag cette dcision en soulignant au

    Conseil du gouvernement la ncessit de donner Goa un statut politico-

    -administratif compatible avec son degr de civilisation. Mais deux

    commissions composes pour loccasion de membres de ce mme

    Conseil, et charges de prsenter le projet, avaient t tour tour dissou-

    tes au cours du mois daot 1947. Une promesse de statut est finalement

    ratifie le 25 novembre 1947, le texte se rsumant une vague rponse du

    gouvernement au dsir dautonomie de la population goanaise formule

    en ces termes : Si les nouvelles circonstances et lardent dsir de la

    population daccrotre ses responsabilits justifient des modifications du

    statut ou du rgime administratif, ceci est un problme qui concerne lInde

    portugaise et nous-mmes et qui, tant dj ltude, aura sa solution

    opportune394. Au mois de mai 1949, Goa reoit un nouveau statut sembla-

    ble au prcdent. Salazar fait accepter ce statu quo la colonie en

    promettant sa rvision dici cinq ans395.

    En 1954, le ministre de lOutre-mer hsite toujours sur lorientation

    donner un statut bien redout par le rgime et qui soulve tant de

    divisions au sein de llite goanaise. A lAssemble nationale portugaise, le

    projet oppose les deux dputs de lEstado da ndia, lun, Scrates da

    Costa, voulant une intgration administrative renforce de Goa dans la

    mtropole, le second, Cnego Castilho, rclamant une autonomie vrita-

    ble pour la colonie. En vrit, lenjeu principal dun tel projet est surtout de

    394 Se novas circunstncias ou anseios da populao que deseja aumentar as suas

    responsabilidades justificam modificaes no Estatuto ou regime administrativo, isso problema

    que ndia Portuguesa e a ns prprios respeita e que, estando j em estudo, ter oportuna

    soluo ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur

    le statut de lEDI. (s.d.). Sur ce point, se reporter la Premire Partie de notre tude.395 Voir notre Premire Partie ce sujet.

  • 723coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    dterminer, pour le rgime salazariste, si lon peut reconnatre lInde

    portugaise un statut particulier, plutt que de la doter dun texte lgislatif

    qui, comme son habitude, sera commun ceux des autres colonies de

    lEmpire, quelques articles prs. De ce point de vue, le ministre de

    lOutre-mer a vritablement hsit et dbattu avec Salazar sur une telle

    question. Une priode de flottement a rellement exist, situant lEstado

    da ndia au seuil dune autonomie de ses institutions, anxieusement

    observ par le reste de lEmpire colonial qui ne manquerait pas de

    sengouffrer dans la brche ouverte par lexemple goanais. A Lisbonne, on

    analyse les possibilits dun statut qui resterait cependant exceptionnel,

    refusant denvisager un mme travail de rvision lgislative pour les autres

    colonies. La Chambre corporative du gouvernement reconnat pourtant

    les failles dune telle uniformisation des statuts coloniaux, plus ou moins

    adapts selon chaque territoire et lorigine de leur malaise politique396

    persistant. Elle dconseille pourtant au ministre de lOutre-mer daccor-

    der un tel statut, politiquement prjudiciable pour le rgime. Redoutant

    une porte ouverte lautonomie des colonies, la Chambre refuse un statut

    exceptionnel pour Goa au nom du principe dgalit entre les colonies

    dun Empire portugais unitaire et indivisible. Scrates da Costa, quant lui,

    tente de sortir le gouvernement portugais de ses craintes ractionnaires et

    dfend lAssemble nationale, ds le 23 janvier 1953, la reconnaissance

    des spcificits de sa colonie justifiant un statut exceptionnel, mme si ce

    dernier doit raffirmer par ailleurs lintgration du territoire dans loutre-

    396 Expression employe dans le rapport du sous-secrtaire du MOM voquant []

    un certain malaise politique subsistant dans lune ou dans lautre province, des critiques ou

    des plaintes qui surgissent dun ct ou de lautre, venant du systme de gouvernement et

    de ladministration taill uniformment pour tous et auquel les conditions de certaines

    correspondent alors quil est plus ou moins inadapt pour les autres ([] um certo mal

    estar poltico subsistente numa ou noutra Provncia, das crticas e representaes que de certa

    ou certas delas intermitentemente tm partido, originados no sistema do Governo e de

    administrao talhada uniformemente para todos, o qual, se quadra com as condies de

    algumas, mais ou menos inadequado para essas outras [] ) ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3,

    4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)

  • 724 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    -mer portugais. Il est rejoint sur ce point par Cnego Castilho, par ailleurs

    favorable la solution autonomiste.

    Finalement, Salazar tranchera, sans surprise, en faveur du maintien du

    statu quo et du conservatisme. Il refuse ainsi de reconnatre lEstado da

    ndia tout particularisme ou personnalit qui puisse le diffrencier des

    autres colonies dun point de vue lgislatif. Goa sera loge la mme

    enseigne. Le ministre de lOutre-mer reprend donc comme rfrence,

    pour rdiger ce statut suppos changer le destin politique de la colonie, la

    Constitution de la Rpublique portugaise dans sa forme en vigueur en

    1953 et la loi organique de loutre-mer du 27 juin 1953. Larticle 4 de ce

    nouveau texte affirme, derrire ses formules ambigus, la centralisation de

    la mtropole : LEtat de lInde constitue une personnalit collective de

    droit public, dote dune dcentralisation administrative et dune autono-

    mie financire, en harmonie avec la Constitution et le prsent statut397.

    Naturellement, le projet publi ne soulve gure lenthousiasme dans la

    colonie, o les avis sont plutt partags. Au ministre de lOutre-mer, on

    tente de se convaincre du bon accueil fait au texte, suite la raction positive

    des membres du Conseil lgislatif au gouvernement de Panjim398 : on ne

    peut pas dire que cette approbation traduit lopinion officielle de la popula-

    tion de lEtat de lInde, vu quun tel conseil na pas de caractre reprsentatif,

    mais lon doit reconnatre quelle semble en constituer un lment impor-

    tant399. Cest oublier que le texte envenime galement des rapports tendus

    entre le gouverneur et une partie de llite goanaise. Dj mcontents de la

    397 O Estado da ndia constitui uma pessoa colectiva de direito pblico, dotada de

    descentralizao administrativa e autonomia financeira, de harmonia com a Constituio e o

    presente Estatuto ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du

    MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)398 Voir notre Premire Partie, Chapitre I, sur la dfinition et les attributions de ce

    conseil.399 No se pode dizer que esta aprovao manifesta a opinio oficial da populao do

    Estado da ndia, visto que tal Conselho no tem carcter representativo, mas deve reconhecer-

    -se que esse parecer constitui elemento importante dela ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a

    Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)

  • 725coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    loi organique sur loutre-mer de 1953 qui raffirme la centralisation de lActe

    colonial, les Goanais font prsent sentir, avec la publication du projet de

    statut en 1954, leur dception ou leur colre pour les plus courageux.

    Frustre dans ses espoirs, llite goanaise sagite en dbats sur les modalits

    dune plus grande autonomie du pouvoir local russissant contourner les

    principes centralisateurs de la Constitution portugaise.

    Deux principaux courants de penses se dessinent, que lon retrouve

    chacun rsum par les articles de deux avocats goanais, Amadeu Prazeres

    da Costa et Vinaica Sinai Coissoro, loccasion de leurs commentaires sur

    le nouveau projet de statut politico-administratif pour Goa. Leurs textes,

    devant paratre respectivement dans le O heraldo et lHeraldo, sont bien

    videmment censurs par le gouverneur gnral. Amadeu Prazeres da

    Costa dmontrait, en effet, que le nouveau statut, bas sur la Loi organi-

    que, ne concdait pas, en vrit lautonomie financire et administrative

    promise par Lisbonne. Partisan dune dcentralisation au profit de lexcu-

    tif, la gestion du budget de la colonie doit revenir, pour lui, au

    gouvernement central de lEstado da ndia, sans que le Conseil lgislatif ait

    un droit de regard. Da Costa aurait toutefois voulu que ce conseil ait plus

    dautonomie par rapport au gouvernement central. Vinaica Sinai Coissoro,

    pour sa part, prne la dcentralisation au profit des lus du Conseil

    lgislatif quil aurait souhait voir muni des pleins pouvoirs. Dans les deux

    cas, les Goanais souhaitent dtacher leur gouvernement de Lisbonne,

    avec ou sans laide du Conseil lgislatif.

    Mais Salazar reste inflexible. Dans son discours du 30 novembre

    1954 sur Goa, lAssemble nationale, il rpond aux partisans de lauto-

    nomie au sein dune confdration portugaise ou indienne de ne pas

    esprer un statut de dominion, mme sil admet que leur mconten-

    tement lgard de la doctrine de lActe colonial de 1930 doit tre pris

    en considration, comme tant lorigine de la crise400, ceci en rfrence

    400 La question de Goa, Lisboa : Secretariado Nacional da Informao, 1954 [version

    franaise du discours prononc par son excellence le prsident du Conseil, professeur Dr.

    Oliveira Salazar, le 30 novembre 1954, lAssemble nationale].

  • 726 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    aux craintes de llite goanaise de voir reculer sa culture et sa capacit

    dintervention dans ladministration et dans la direction des affaires

    publiques de lEtat. Mais si la proposition fdraliste, suivant le modle

    britannique, pouvait enfin rsoudre le conflit entre lInde et le Portugal,

    Le bon sens commun a reconnu [] que cette dernire solution tait

    en-dehors non seulement de nos meilleures traditions, mais encore

    des possibilits matrielles de lEtat de lInde, tant donn la petitesse

    et la dispersion des territoires401. Salazar dnonce la solution autono-

    miste comme la voie toute trace vers labsorption pure et simple de Goa

    par lUnion indienne. Il avertit, en outre, que le statut reste une affaire

    interne concernant lunit des Portugais et nest en aucun cas une tenta-

    tive de solution un conflit cr par les ambitions annexionnistes de

    lInde402.

    Ce discours doit cruellement les autonomistes. En dsespoir de

    cause, une partie dentre eux dcident denvoyer une ptition Salazar, le

    28 dcembre 1954, appele le statut des 62 (du nombre de ses signatai-

    res). Ils y exposent leur conception autonomiste du statut de lEstado da

    ndia. Parmi les signataires, on retrouve Antnio Bruto da Costa, Antnio

    Furtado, Vanaica Coissor, et dautres avocats, mdecins, pharmaciens,

    commerants, propritaires, bref une grande majorit de Goanais appar-

    tenant la classe aise de la colonie. Le document soppose au statut

    voulu par le gouvernement de Lisbonne qui, par le vague de ses formules,

    soulve de nombreuses interrogations et se caractrise par labsence

    dinnovations. Pour les autonomistes, le projet de statut ne dit pas grand

    chose en effet sur un point crucial : la reprsentation et les attributs du

    401 ibidem.402 Que le nouveau statut que lon prpare en ce moment permette trs prochainement

    dintensifier et de dvelopper la collaboration de toutes les valeurs de Goa, cest l lunique dsir

    de tous les Portugais ; mais le problme naura pas fait un pas en avant en ce qui concerne

    lUnion indienne, parce quau fond de son hostilit ne se trouvent pas nos problmes, mais

    exclusivement ses problmes elle, le problme de son amour-propre et de ses ambitions

    ibidem.

  • 727coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Conseil du gouvernement, organe suceptible de porter au pouvoir un plus

    grand nombre de Goanais dmocratiquement lus. Sur ce point, le minis-

    tre de lOutre-mer, Sarmento Rodrigues, est rest trs prudent. Les

    autonomistes rclamaient une augmentation des pouvoirs politiques du

    Conseil lgislatif de lEstado da ndia afin de raliser une dcentralisation

    financire et administrative. Le ministre refuse car il voit (non sans

    raison) dans la constitution dorganes pouvant mettre des dcrets, dci-

    der de la composition, du recrutement, des attributions et des salaires des

    cadres de ladministration coloniale, une porte ouverte linflation de

    fonctionnaires403.

    Mais les ptitionnaires dnoncent surtout le fait que le Conseil lgis-

    latif, selon les dispositions de la loi organique, nest pas suffisamment

    reprsentatif et ne correspond pas, en consquence, aux souhaits de la

    partie libre de la population, pour reprendre leur expression dsignant

    les lments autonomistes de la colonie. Ils rappellent Salazar que le

    projet doit rpondre aux demandes formules en 1947 : Beaucoup de ces

    signataires ont dj dbattu du sujet il y a sept ans de cela au moment o

    une initiative de lAssemble nationale a cherch sonder lopinion publi-

    que de la colonie, concluant son irritation vis--vis des lois votes au

    Parlement et la dtrioration de la situation dj existante404. En dautres

    termes, les signataires de la ptition rappellent Salazar sa part du

    contrat, pass en 1947 : ladhsion des autonomistes au maintien du

    drapeau portugais Goa, au moment de lIndpendance indienne, contre

    la promesse dune autonomie financire et administrative pour la colonie,

    tablie par un nouveau statut.

    403 ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pasta 3, sur le projet dun nouveau statut politique pour lEDI,

    1a Subdiv : lettre du ministre de lOutre-mer, M.M. Sarmento Rodrigues, Salazar, le 20

    octobre 1954.404 Muitos dos signatrios discutiram j assunto h longos sete anos quando iniciativa

    Assembleia nacional se procurou auscultar opinio pblica Pas, vindo da estranhamento

    enfado com que foram acolhidas Bases Orgnicas votadas Assembleia Nacional e deterioramento

    situao j existente ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 3a Subdiv : ptition goanaise adresse

    Salazar, le 28 dcembre 1954.

  • 728 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Concrtement et pour rsumer, le statut des 62 dfendait, contre les

    dispositions de la loi organique de loutre-mer, les points suivants :

    1. Une rforme du systme budgtaire qui affirme lautonomie finan-

    cire complte des organes de lEstado da ndia disposant chacun

    de leurs recettes.

    2. Le renforcement des pouvoirs lgislatifs du conseil aux dpens de

    ceux des organes mtropolitains et du gouverneur gnral.

    3. La runion et laval du Conseil lgislatif pour appliquer la lgisla-

    tion du gouvernement local dans lEstado da ndia.

    4. La diminution des fonctions excutives du ministre de lOutre-

    -mer.

    5. Les fonctions dlibratives du Conseil excutif.

    Lisbonne voit surtout dans cette ptition des arguments irrecevables

    voire inconstitutionnels tels que le retrait aux organes mtropolitains de

    leurs comptences lgislatives Goa pour une plus grande autonomie de

    la lgislation locale. Admettre cela serait reconnatre un des plus impor-

    tants lments de lindpendance politique. Bref, les 62 demandent

    lautonomie administrative et la fin des prrogatives lgislatives mtropo-

    litaines. Cela, le gouvernement portugais ne peut laccepter, craignant de

    voir un tel statut faire basculer Goa vers lindpendance. Au ministre de

    lOutre-mer, on ne manque pas de le souligner : il convient galement

    dobserver que lassemble nationale tout comme certains dputs (par

    exemple le Dr Scrates da Costa...) ont point du doigt le danger dune

    autonomie administrative qui se transformerait en self-government et en

    indpendance405.

    Sarmento Rodrigues juge, pour sa part, avec ddain le groupe des

    signataires qui ne reprsente pour lui quune petite poigne dhommes

    405 Convm ainda observar que tanto a cmara corporativa como alguns deputados (por

    exemplo, o Dr Scrates da Costa...) apontaram o perigo de a autonomia legislativa resvalar em

    self-government e independncia ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-

    -secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.).

  • 729coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    non reprsentatifs de la colonie, cherchant montrer leur esprit dind-

    pendance et prparer, concernant les avocats, leur avenir professionnel

    dans une Goa indienne. En quelques mots expditifs, Rodrigues explique

    Salazar quil sagit surtout de Goanais qui ne sont pas portugais, des

    hindous, naturellement dtachs de la mtropole, ainsi que des chrtiens,

    assez aveugles et mesquins pour sopposer ainsi au Portugal, bref des

    conservateurs capitalistes. Au-del de lcrasant mpris du ministre pour

    les ptitionniaires, trop peu nombreux pour tre pris au srieux, Rodrigues

    prend surtout la mesure dun mouvement sans organisation ni idologie

    ncessaires pour rsister au pouvoir colonial : Il leur manque ce quon

    peut appeler de lopinitret et qui est simplement une fermet dans leurs

    opinions, sans avoir un besoin quasi physiologique de changer dides406.

    La ptition nest pas celle dun groupe politique mais le fait dune runion

    de personnes ayant les mmes intrts conomiques et restant du ct

    portugais pour la sauvegarde de leur patrimoine. Le ministre pense quils

    ont tout perdre avec le merger : [...] plus par intuition quen vertu de la

    raison, jai confiance dans leur patriotisme au bout du compte. Ils ont [...]

    affirm leur dvouement. [] Eux risquent tout : leurs biens, leur terre,

    leur foyer407.

    Salazar ne cde pas aux demandes des 62. Par le nouveau statut,

    lAssemble nationale portugaise et le gouvernement demeurent les orga-

    nes centraux de ladministration de la colonie. LEstado da ndia reste men

    par son gouverneur gnral et par le ministre de lOutre-mer en mtro-

    406 Falta-lhes isto a que podem chamar teimosia, mas que simplesmente a firmeza nas

    opinies, sem necessidade quase fisiolgica, de mudar de ideias ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3,

    3a Subdiv : note manuscrite de M.M. Sarmento Rodrigues, ministre portugais de lOutre-mer,

    Salazar. (s.d. : probablement de janvier 1955).407 [...] mais por intuio do que em virtude de razes, tenho tido confiana no seu

    patriotismo final. Eles tm [...] afirmado a sua dedicao. [] Eles arriscam tudo : os bens, a sua

    terra, o seu lar ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 3a Subdiv : note manuscrite de M.M. Sarmento

    Rodrigues, ministre portugais de loutre-mer, Salazar. (s.d. : probablement de janvier 1955).

  • 730 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    pole. Les comptences lgislatives du mme ministre sexercent sur les

    droits et les liberts. Il peut approuver, ratifier les accords et conventions

    que le gouvernement de Panjim a ngocis avec dautres gouvernements

    de provinces et de territoires nationaux ou trangers408. Le ministre de

    lOutre-mer concde les amnisties et les grces, dfinit le rgime des biens

    du domaine public, fixe les principes fondamentaux des institutions et

    lorientation de lenseignement, organise les tribunaux, communs ou

    spciaux, en accord avec la Constitution et le statut, soccupe des affaires

    relatives la dfense de lInde portugaise, veille au respect des lois, annule

    ou rvoque les dcrets manant des organes du gouvernement de Goa

    sils sont contraires ceux venant de la mtropole concernant la colonie.

    Bien sr, il revient au prsident du Conseil de prsenter lAssemble

    nationale les propositions du ministre de lOutre-mer.

    Salazar naccepte donc aucun compromis sur le statut de lEstado da

    ndia. Il va mme plus loin, comme pour effacer ce moment dhsitation et

    de flottement du gouvernement vis--vis des revendications goanaises, en

    supprimant le seul article concdant quelque chose dans ce domaine. Il

    sagissait de larticle 10, section I, du statut qui nonait : Quand le

    ministre de lOutre-mer estimera que la lgislation quil aura publie ou

    prtend publier pour les autres provinces doit sappliquer lEtat de lInde,

    selon la comptence confre par la loi organique de lOutre-mer et en

    dehors des cas prvus par larticle prcdent, il reviendra au gouverneur

    gnral de la transformer en proposition de loi, conformment aux articles

    40 et suivants de ce statut409. Une loi qui doit tre applique Goa

    408 Concernant les tractations avec dautres pays (lUnion indienne en particulier), le

    ministre de lOutre-mer est relev de cette comptence, toujours assure par lomniprsent

    prsident du Conseil, A. de Oliveira Salazar.409 Quando o Ministro do Ultramar entenda que deve ser aplicada no Estado da ndia

    legislao que publicou ou pretende publicar para outras provncias, no uso da competncia

    conferida pela Lei Orgnica do Ultramar e fora dos casos previstos no artigo anterior, determinar

    ao Governador Geral que a transforme em proposta de diploma legislativo, conforme os arts. 40

    e seguintes deste Estatuto ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire

    dEtat du MOM sur le statut de lEDI, (s.d.).

  • 731coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    comme dans dautres colonies pouvait, en Inde portugaise, tre prsente

    sous la forme de proposition de dcret lgislatif particulier du gouverneur.

    Ce ntait certes pas une concession politique en soi mais du moins,

    Lisbonne y mettait elle les formes et reconnaissait implicitement lorigina-

    lit goanaise par cette dlicatesse lgislative. Aprs la ptition des 62,

    Salazar supprime dfinitivement cet article. Le ministre de lOutre-mer

    contrle, l encore, ladministration de lEstado da ndia et peut ordonner

    inspections et enqutes dans ses services et corps administratifs. Il a la

    comptence de nommer, dengager, de transfrer, de promouvoir, de

    renvoyer tout fonctionnaire de la colonie.

    Ladministration de Goa se compose toujours principalement du gou-

    verneur gnral, du Conseil du gouvernement et du Conseil lgislatif. Le

    gouverneur reste, selon larticle 16, section II, du statut de 1954 [...] le plus

    haut agent et reprsentant du gouvernement de la nation portugaise,

    lautorit suprieure toutes autres servant dans la province, aussi bien

    civiles que militaires, et ladministrateur du Trsor public410. Assist dun

    aide de camp, dun officier ses ordres et dun secrtaire, il ne peut

    sabsenter du territoire de la colonie sans lautorisation pralable du

    ministre de lOutre-mer, de mme quil ne doit pas sabsenter de Panjim

    plus de 48 heures, en prenant la prcaution denvoyer, l encore, un

    tlgramme au mme ministre (article 19, section II). Le statut impose

    ainsi un tat dalerte permanent pour le gouverneur qui doit assurer la

    continuit du pouvoir en restant prsent dans la capitale. Cette disposition

    reste laveu de la fragilit du gouvernement de Panjim face une adminis-

    tration tenue par llite brahmane, inspirant peu de confiance au

    gouvernement salazariste. Le prsident du Conseil renforce galement les

    pouvoirs de son gouverneur en le dispensant de publier dcrets et autres

    articles lgislatifs pour une application plus immdiate et plus arbitraire

    410 [...] o mais alto agente e representante do Governo da Nao Portuguesa, a autoridade

    superior a todas as outras que na Provncia sirvam, tanto civis como militares, e o administrador

    da Fazenda Pblica ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat

    du MOM sur le statut de lEDI, (s.d.).

  • 732 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    de ses dcisions411. Larticle 24 qui imposait au gouverneur de runir son

    Conseil du gouvernement en cas dinvasion indienne de Goa, Daman et

    Diu412, est galement supprim, laissant au gouverneur les pleins pouvoirs

    pour lorganisation dun tat de sige. Mais celui-ci doit tre pralablement

    dcrt par lAssemble nationale portugaise, en vertu de larticle 91 du

    statut, ce qui reprsente une vritable perte de temps dans les faits.

    Le Conseil du gouvernement se compose, quant lui, dun secrtaire

    gnral, dun commandant militaire, dun procureur de la Rpublique,

    dun directeur des services des Finances, de deux avocats lus du Conseil

    lgislatif, choisis par le gouverneur gnral413. Ce conseil est prsid par le

    gouverneur gnral et dlibre en sessions secrtes. Une copie des dbats

    est transmise au ministre de lOutre-mer. Ce conseil assiste le gouverneur

    dans lexercice de ses fonctions excutives en lui soumettant notamment

    un rapport sur les affaires du gouvernement et de ladministration de la

    colonie. Il doit tre entendu lors de la rpartition du budget gnral entre

    districts et autres divisions administratives, pour lapprobation de statuts

    et de rglements dorganismes corporatifs et dassociations, pour la sus-

    pension de rglements et autres dcrets caractre administratif. Il peut

    galement dissoudre tout organe administratif. Le conseil peut modifier,

    tablir ou supprimer des taxes ou intervenir quand il sagit daccords

    prservant les prrogatives de lEtat portugais sur les mines, les monopo-

    411 Salazar supprime notamment le premier alina de larticle 22 :

    1er : Pour la ralisation de ses attributions, le gouverneur gnral peut publier des

    dcrets et des arrts ( Para a realizao das suas atribuies, pode o Governador Geral

    publicar diplomas legislativos e portarias)412 Larticle 24, 1, noncait la loi suivante : Dclarer provisoirement ltat de sige

    dans un ou plusieurs points du territoire, dans le cas dune agression effective ou imminente

    des forces trangres ou dans le cas o la scurit et lordre publics seraient gravement

    perturbs ou menacs, en informant le plus rapidement possible le ministre de lOutre-mer

    (Declarar provisoriamente o estado de stio em um ou mais pontos do territrio, no caso de

    agresso efectiva ou iminente por foras estrangeiras ou no de a segurana e a ordem pblicas

    serem gravemente perturbadas ou ameaadas, dando imediato conhecimento ao Ministro do

    Ultramar pela via mais rpida).413 Ces avocats taient trois lorigine, choisis par le Conseil lgislatif lui-mme.

  • 733coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    les industriels, la construction et lexploitation de routes et de ponts, des

    travaux dirrigation, de drainage, dassainissement, la pche, les transports

    fluviaux, etc. Le conseil est galement sollicit pour rglementer les

    sjours des Indiens et des trangers sur le territoire goanais ainsi que dans

    la dfense de la souverainet portugaise. Autrement dit, le Conseil

    du gouvernement donne en dernier ressort ses arrts pour tout ce qui

    concerne la vie locale administrative et conomique de Goa.

    Le Conseil lgislatif reste, quant lui, le principal champ daction des

    notables goanais auprs du pouvoir, par sa composition plus large de

    membres lus, censs reprsenter la socit goanaise dans son ensemble.

    Le nouveau statut diminue stratgiquement de moiti leur nombre, qui

    passe de trentre-trois seize membres rpartis de la manire suivante :

    Le premier membre est lu par des personnes de nationalit portu-

    gaise payant des impts, partir dun certain minimum.

    1 membre est lu par les organismes corporatifs et associations

    dintrts conomiques (nomms par le gouverneur gnral).

    1 membre (contre deux auparavant) est lu par les institutions

    religieuses.

    1 membre (contre deux auparavant) est lu par les comunidades et

    aldeias.

    1 membre (contre deux auparavant) est lu par les corps adminis-

    tratifs.

    6 membres sont lus au suffrage direct des citoyens appartenant

    aux collges des lecteurs inscrits au recensement gnral. Chaque

    membre est lu dans son district soit 1 lu (au lieu de 2) Goa cest

    dire pour les concelhos de Goa, Ponda, Sanguem ; 3 lus (au lieu

    de 2) pour la zone de Mormugo (les concelhos de Bardez, Pernem,

    Sanquelim, Satari) ; 1 lu Daman, 1 lu Diu.

    Les cinq autres membres du Conseil lgislatif sont nomms par le

    gouverneur gnral savoir, un magistrat de seconde instance, deux

    directeurs de service et deux individus dintgrit morale reconnue par

  • 734 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    leurs mrites prouvs, [qui] offrent des garanties de bonne coopration

    (article 30, c)414. Tous les candidats aux lections du Conseil lgislatif

    doivent remplir les conditions suivantes :

    Etre citoyen portugais dorigine.

    Avoir la majorit.

    Savoir lire ou crire portugais.

    Habiter en Inde portugaise depuis plus de cinq ans.

    Avoir un casier judiciaire vierge.

    Ne pas tre fonctionnaire dEtat ou des corps administratifs,

    lexception de lexercice de fonctions denseignement.

    Pour les candidats lus Daman et Diu, ces derniers doivent avoir

    rsid au moins un an dans ces districts.

    Le Conseil lgislatif se runit en session ordinaire, du 1er mars au 1er

    septembre, sous la prsidence du gouverneur gnral ou du charg du

    gouvernement. Les actes des sessions publiques sont publis en annexe

    du Bulletin officiel de lEstado da ndia. Le gouverneur peut dissoudre tout

    moment le Conseil. Ce dernier doit discuter puis voter ou non le budget

    que lui prsente le gouverneur. Il est cependant interdit au Conseil lgis-

    latif de proposer tout dcret entranant de nouvelles dpenses ou une

    diminution des recettes (art 39, 2), ce qui laisse entendre que seul le

    gouverneur peut supprimer une taxe ou un impt dj en vigueur. Les

    dlibrations sont prises lunanimit des votes. On comprend donc que

    les nouvelles dispositions de Salazar neutralisent encore plus toute capa-

    cit dinitiative ou dindpendance du Conseil lgislatif au profit dun

    excutif renforc, en la personne du gouverneur gnral.

    Pour une meilleure efficacit, le statut rorganise de manire plus

    concentre les services de lEstado da ndia, lexception du bureau du

    gouverneur toujours divis en deux organes :

    414 Dois indivduos de reconhecida idoneidade moral que, pelos seus comprovados

    mritos, dem garantia de boa cooperao

  • 735coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    La rpartition du cabinet : supervise les affaires expdies et excute

    les missions incombant au gouverneur. Font partie de ce cabinet,

    laide de camp du gouverneur, des officiers et des secrtaires ses

    ordres.

    Le secrtariat gnral : expdie les affaires. La charge de secrtaire

    gnral de lEstado da ndia correspond celle dinspecteur sup-

    rieur de ladministration de loutre-mer. Gnralement, ce poste

    revient des personnes ayant dj exerc la charge de gouverneur

    de district, de directeur ou chef des services de lAdministration

    civile ou des Finances ou diplms en outre-mer ou au ministre

    Lisbonne.

    Les autres services se prsentent comme suit : services de ladministra-

    tion civile, services douaniers, de lconomie, des finances et de la comptabilit,

    de linstruction, de la marine, des travaux publics et des communications.

    Quant aux divisions administratives des territoires goanais, leur auto-

    nomie nest tablie que sur le papier. Rappelons que lEstado da ndia

    compte quatorze concelhos, regroups en trois districts (Goa, Daman et

    Diu). Les concelhos se subdivisent en freguesias. Concelhos et freguesias

    sont dfinis comme des autarcies locales de lInde portugaise, selon les

    termes de larticle 63, section II : Les concelhos et freguesias sont des

    entits autarciques locales de lEtat de lInde et constituent des personna-

    lits collectives de droit public, avec une autonomie administrative et

    financire que la loi leur attribue415. La chambre municipale (cmara

    municipal) reprsente le corps administratif du concelho, de nature lec-

    tive, avec sa tte un prsident. La Junte de freguesia est le corps

    administratif de la freguesia. Quand laire dune freguesia concide avec

    celle dune aldeia dote dune comunidade, la Junte administrative peut

    avoir les attributions de la Junte dune freguesia. Mais la vie administrative

    415 Os concelhos e as freguesias so as autarquias locais do Estado da ndia e constituem

    pessoas colectivas de direito pblico, com a autonomia administrativa e financeira que a lei lhes

    atribuir

  • 736 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    de ces autarcies locales est en ralit soumise au contrle direct du

    gouvernement de Panjim, ou un contrle indirect par lintermdiaire du

    gouverneur du district, Daman et Diu.

    Concernant lautonomie financire rclame par une partie des Goanais,

    Salazar ne cde rien non plus. Le ministre de lOutre-mer autorise les

    concessions, dans le domaine public, de communications radiotlgra-

    phiques et radiotlphoniques, de carrires, de voies ferres dintrt gnral.

    Il permet lmission dactions de socits concessionnaires, lobtention de

    permis pour le stockage de carburants destins la navigation maritime et

    arienne, etc. Bref, le Gouvernement de Lisbonne a le contrle total de

    lconomie goanaise, concentre entre les mains du ministre de lOutre-mer.

    Larticle 68 du statut cultive une fois de plus lambigut en nonant que :

    Lautonomie financire de lEtat de lInde est sujette la surintendance et

    au contrle du gouvernement [local], mais le ministre de lOutre-mer peut

    dcider de restrictions occasionnelles savrant indispensables en raison de

    situations graves de ses finances ou cause des dangers que celles-ci

    peuvent faire encourir la nation416. Le ministre de lOutre-mer peut tout

    moment dcider de contrler directement les finances de lInde portugaise,

    sil juge la situation critique. En temps normal, Le budget de lEtat de lInde

    sera annuellement organis, vot et donn appliquer aux organes de

    province417 (art 69, 1). Le gouverneur prsente au Conseil lgislatif dans la

    seconde priode de chaque session lorganisation de ce budget. Le mme

    conseil vote ensuite le dcret fixant ce budget qui sera approuv par le

    Conseil du gouvernement et mis en place au dbut de lanne conomique.

    Le gouvernement de lEstado da ndia dcide aussi des ouvertures de crdit,

    transferts et soutiens financiers (Art 70).

    416 A autonomia financeira do EDI sujeita superintendncia e fiscalizao do Governo,

    pelo Ministro do Ultramar, que pode estabelecer-lhe restries ocasionais que sejam

    indispensveis por situaes graves da sua fazenda ou pelos perigos que estas possam envolver

    a Nao417 O oramento do EDI ser anualmente organizado, votado e mandado executar pelos

    rgos da Provncia

  • 737coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Les finances de lEstado da ndia appartiennent malgr tout Lis-

    bonne qui cherche alors crer lunion conomique de son Empire,

    suivant la logique autarcique et nationaliste de sa politique coloniale et

    conomique permettant au Portugal de tourner le dos la communaut

    conomique europenne en 1957418 : Au-del des finalits conomiques

    et financires gnrales, [] on cherchera surtout, toujours en prenant

    compte des caractristiques particulires de lconomie de lEtat de lInde,

    raliser une unification conomique de la nation portugaise, supprimant

    ou rduisant les droits dans les relations entre ses parcelles et en tablis-

    sant un systme appropri dans ses relations avec les pays trangers (art

    73, 2)419. Goa est plus que jamais incluse dans un systme conomique

    portugais intgrant solidement chaque colonie dans lensemble imprial

    et qui rend par consquent impossible la moindre autonomie financire.

    Enfin, il convient de relever, parmi les trop rares volutions apportes

    par le nouveau statut de 1955, quelques mesures visant une plus grande

    souplesse du systme ducatif portugais Goa, afin de le rendre plus

    attractif. Salazar dcide ainsi dinstituer lenseignement du konkani en

    primaire, paralllement celui de la langue portugaise (art 74, 1)420. Le

    418 Annonce par la rvision constitutionnelle de 1951, la constitution dun march

    unique portugais est officialise le 18 novembre 1961. Cette nouvelle zone conomique a

    ainsi pour but le dveloppement et lintgration de ses colonies, ouvertes la libre circula-

    tion des personnes, des capitaux et des marchandises.419 Alm das finalidades econmicas e financeiras gerais, [] procurar-se- especialmente,

    tendo sempre em conta as caractersticas particulares da economia do Estado da ndia, realizar a

    unificao econmica da Nao Portuguesa, suprimindo ou reduzindo os direitos nas relaes entre

    parcelas desta e estabelecendo um sistema apropriado nas relaes com os pases estrangeiros.420 Cette mesure tait en effet demande de longue date, comme lvoque le gouver-

    neur gnral dans le O Heraldo du 14 juillet 1955 : Os votos formulados em sucessivos

    Congressos Provinciais, as sugestes repetidas feitas na imprensa, o desejo expresso por todas

    as formas possveis tiveram fruio no art 69 do Estatuto do Estado da ndia promulgado por

    Decreto n 42216 e publicado anteontem em suplemento ao Boletim Oficial o qual estatuto no

    seu n 2 que nas escolas primrias poder haver ensino da lngua concani, sem prejuzo da

    portuguesa, o qual ser tambm admitido na preparao para o magistrio primrio

  • 738 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    prsident du Conseil soutient en effet cette langue, majoritairement

    parle par les Goanais afin de ne pas voir les coles portugaises dsertes

    au profit des coles anglaises. Il maintient galement le rseau des coles

    prives, soumises aux mmes contraintes que les tablissements publics.

    Surveilles par lEtat, ces coles peuvent tre subventionnes par les

    pouvoirs publics, si leurs programmes et le personnel enseignant ont un

    niveau gal celui des coles publiques. Enfin, les parents ont le choix de

    donner ou non une instruction catholique leurs enfants (art 74, 5). Sur

    ce point, notons quil est difficile pour les enfants de familles hindoues

    aises (brahmanes en particulier) dchapper un enseignement tenu en

    grande majorit par des ordres religieux.

    Le refus de Salazar de cder aux Goanais une partie des commandes

    de leur gouvernement dans les domaines cls de ladministration et des

    finances se rvle, dun autre ct, bnfique pour une socit dsorgani-

    se par sa corruption et ses luttes dinfluence au point de se mfier des

    institutions locales, prfrant sen remettre la juridiction mtropolitaine,

    plus impartiale. Ainsi, les rivalits dintrts entre castes et propritaires

    terriens Goa amnent parfois les intresss demander lenvoi de juges

    du Portugal. Sur ce sujet, revenons sur la lettre, dj cite prcdemment,

    dun Goanais de Guirdolim, fils de propritaire terrien, qui avait pris linitia-

    tive dcrire au ministre de lOutre-mer, en octobre 1954, pour lui demander

    de retirer un certain F. Mascarenhas le comt de Guirdolim pour le

    redonner une caste qui voulait y constituer une comunidade. Il rclame

    cet effet lenvoi dun juge impartial de Lisbonne, dune envergure suffi-

    sante, pour rsoudre le conflit et entendre la population. Pour Gomes,

    un mtropolitain doit venir affirmer lautorit de Lisbonne Goa, parce

    que lheure est critique421. Laffaire du comt de Guirdolim rend assez

    421 porque a hora crtica ANTT-AOS/CO/UL-22, Pt 16, problme de lInde portu-

    gaise. 1954 : lettre manuscrite de Virginio F. Gomes, de Guirdolim, Salazar, du 11 octobre

    1954.

  • 739coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    perplexe Sarmento Rodrigues qui suppose que lauteur voque ici un des

    ternels problmes de lexploitation des terres par des groupes dindi-

    vidus, les comunidades422. Comme pour tout ce qui a trait la vie rurale

    et aux conflits de castes, le ministre de lOutre-mer, ignorant ces probl-

    matiques, sen remet comme toujours au gouverneur gnral. La requte

    de Gomes ne fait pas exception, ce qui montre la fois la distance de

    Lisbonne vis--vis de la socit goanaise et le peu de poids des principes

    centralisateurs du statut.

    Le statut de lEstado da ndia est publi le 1er juillet 1955, en mme

    temps que ceux des autres provinces doutre-mer, contrairement la

    promesse qui avait t faite par le ministre Sarmento Rodrigues aux

    Goanais de faire paratre leur statut avant ceux des autres colonies. Son

    successeur depuis le 7 juillet 1955, Raul Ventura, approuve le choix tacti-

    que de Rodrigues, se mfiant de leffet dentranement quaurait pu

    provoquer, dans lEmpire, la publication isole du statut dune colonie

    portugaise. LAfrique portugaise avait dj prpar sa demande de statut

    particulier le mme mois : Il y a dj eu, en Angola et au Mozambique,

    ceux qui ont demand si ces provinces ne mritaient pas les faveurs

    prodigues lInde423. Au final, la publication simultane des statuts de

    toutes les colonies portugaises obit un prudent calcul politique de la

    part de Rodrigues : La simultanit contribuera aussi montrer que le

    statut de lInde correspond une orientation gnrale424. La presse

    indienne ne manque pas, quant elle, dinterprter ce texte comme une

    422 um dos eternos problemas a explorao de terras por grupos de indivduos, as

    comunidades ANTT-AOS/CO/UL-22, Pt 16, problme de lInde portugaise. 1954 : note du

    ministre de lOutre-mer, M.M. Sarmento Rodrigues, Salazar, le 15 octobre 1954.423 Houve j em Angola e em Moambique quem perguntasse se estas provncias no

    mereciam os favores dispensados ndia ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues

    VENTURA, ministre portugais de lOutre-mer : note de Ventura sur le statut de lEDI pour

    Salazar du 19 juillet 1955.424 A simultaneidade contribuir tambm para mostrar que o Estatuto da ndia corres-

    ponde a uma orientao geral ANTT-AOS/CP-244, 7.244.8, Manuel M. Sarmento RODRIGUES,

    1954-1968 : note de Sarmento Rodrigues, ministre de lOutre-mer, Salazar, le 23 mai 1955.

  • 740 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    mesure tardive et dsespre de la part de Salazar, renforant le repli de

    la colonie et marginalisant encore plus Goa dans le sous-continent indien,

    au risque de la faire apparatre comme un territoire paria au sein de

    lUnion indienne, lorsque lheure sera venue de son incorporation. Le

    Times of India du 12 juillet 1955 prdit, de ce point de vue, lchec de

    lintgration de Goa qui risque de ne pas tre accepte en Inde, son statut

    confortant dj la population dans ses particularismes. Mieux vaudrait,

    pour le journal, un statut dEtat autonome pour Goa en Union indienne.

    Les efforts dinvestissements portugais pour le dveloppement

    de Goa

    Exploits partir de 1949, les nombreux gisements de fer prsents

    dans le sous-sol goanais ont reprsent un espoir de dveloppement

    conomique pour la colonie et une porte de secours face au resserrement

    croissant du blocus indien. Pourtant, lextrme fluctuation des cours

    du minerai na pas pargn Goa une crise de son industrie minire vers

    le dbut des annes 1950, entranant son conomie dans une profonde

    dpression, lorigine dune grande partie des dettes de la colonie.

    Cependant, les investissements considrables du gouvernement de

    Panjim, au cours de lanne 1954, pour lexploitation des gisements et le

    dveloppement de la mcanisation de cette industrie permettent, vers le

    milieu de lanne 1955, lessor de cette production et des profits. En rsulte

    une nette amlioration de la sant conomique de lInde portugaise. Une

    tude du ministre de lOutre-mer en 1957425, permet de mesurer cet

    effort : le solde budgtaire net de Goa pour lanne 1954 est de 2 787 000

    escudos pour 134 903 000 escudos de recettes la mme anne.

    425 ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gnrale des Finances du MOM en

    1957 sur la situation conomique et financire des provinces doutre-mer pour la seconde

    phase du plan de dveloppement (1958-1964).

  • 741coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Mines de fer Goa Auteur : Chalbert

    (Arquivo de Fotografia de Lisboa - CPF / MC SNI/DO/31-00/29474)

  • 742 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    Recettes ordinaires de lEstado da ndia : Solde budgtaire net aprs les dpenses faites :1951 = 114 607 (en milliers descudos) 1951 = 14 078 (en milliers descudos)1952 = 126 142 1952 = 15 6611953 = 149 034 1953 = 17 4481954 = 134 903 1954 = 2 7871955 = 150 037 1955 = 15 557

    Le fer et le manganse continuent de bien sexporter, achets princi-

    palement par le Japon et lAllemagne. La production ne souffre pas, en

    outre, de lexpulsion de la main-duvre indienne dcide par le gouver-

    nement portugais au mois daot 1954, afin de prvenir tout risque de

    dbordement venu de lintrieur du territoire, la veille du satyagraha.

    Passe la crise du 15 aot, les autorits portugaises se font moins strictes

    sur les passeports dune partie de cette main-duvre, revenue travailler

    dans le territoire goanais. Le transport des minerais reste cependant

    ralenti par le nombre rduit de wagons autoriss Goa par la South Indian

    Railway, contrainte de suivre les directives de Delhi sur le blocus des

    communications.

    Lessor de la production minire partir de 1954-1955 permet Goa

    de vivre une certaine euphorie conomique qui ne fait pas cependant

    oublier aux autorits la grande instabilit de ce secteur sur le march

    mondial. Lisbonne envoie ainsi, paralllement, ses techniciens, partir de

    janvier 1954, pour moderniser lagriculture goanaise et atteindre

    lautosuffisance si ncessaire pour contrebalancer les effets du blocus. Par

    ailleurs, les efforts dinvestissements du gouvernement se concentrent sur

    lamlioration et le dveloppement de ses infrastructures de communica-

    tions, sur les artres conomiques essentielles de Goa, menaces galement

    par le blocus. Une tude du ministre de lOutre-mer prvoit ainsi, pour

    lanne 1957, la rpartition suivante des investissements Goa, donnant la

    priorit aux ports et transports maritimes et fluviaux426.

    426 Goa se situe juste aprs lAngola, dans le tableau densemble des colonies portugai-

    ses, pour limportance de ses investissements dans ses ports et ses transports maritimes et

    fluviaux soit 70 000 escudos contre 246 000 en Angola et 50 000 pour Macao et le

  • 743coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    (Chiffres donns en milliers descudos)

    Ports et transports maritimes et fluviaux 70 000

    Urbanisation, eaux et lassainissement 50 000

    Routes et ponts 20 000

    Aroport 20 000

    Agriculture 15 000

    Dveloppement minier 5000

    TOTAL 180 000

    Les autorits sattaquent galement au domaine prioritaire de lassai-

    nissement et de lapprovisionnement en eau de la population. Panjim doit,

    pour cela, contracter un prt de 8 775 000 escudos auprs de la BNU pour

    faire face lampleur des travaux qui restent cependant circonscrits aux

    principales villes du district de Goa. Dune manire gnrale, la mtropole

    participe financirement au plan de dveloppement conomique de Goa.

    En dcembre 1952, la somme totale destine la premire phase du plan

    pour lEstado da ndia slve 180 000 000$, compos des recettes de la

    colonie (72 000 000$) et de prts (108 000 000$). Ces prts viennent de

    lEtat portugais soit 73 000 000$ ainsi que de la Caisse Economique Postale

    de Goa (35 000 000$)427.

    Les mesures de contournement du blocus indien

    Les efforts dinvestissements du Portugal dans le dveloppement de

    la colonie sont toutefois loin de permettre lensemble de la population

    goanaise de bnficier de ces volutions. Les Goanais, isols, contraints au

    silence par le gouvernement local, subissent ingalement les consquen-

    Mozambique. Chiffres repris dans ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gn-

    rale des Finances du MOM en 1957 sur la situation conomique et financire des provinces

    doutre-mer pour la seconde phase du plan de dveloppement (1958-1964).427 ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gnrale des Finances du MOM en

    1957 sur la situation conomique et financire des provinces doutre-mer pour la seconde

    phase du plan de dveloppement (1958-1964).

  • 744 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    ces du blocus, qui profite classiquement aux classes commerantes et

    affame la population. Lisbonne veut pourtant afficher dans sa presse, sa

    parfaite matrise de la situation. Mgr Castilho de Noronha, dput de

    lEstado da ndia, et le Dr Antnio Pinto Gonalves, mdecin inspecteur des

    services de sant de Goa, parlent dans le Dirio da Manh du 24 dcembre

    1954 dune situation de grand calme dans la colonie, mme sils reconnais-

    sent, par ailleurs, que le blocus ne peut continuer. Car la mesure restrictive

    la plus durement subie par la population de Goa reste le gel des tranferts

    dargent envoys par lmigration. Cette source de revenu concerne en

    effet une grande majorit de familles, au point que le gouvernement de

    Delhi, lui-mme, permet, malgr tout, des envois de sommes limites,

    pour des raisons humanitaires428.

    Le gouvernement salazariste trouvera le salut de Goa dans deux

    directions principales : le dveloppement de son commerce avec le

    Pakistan et Ceylan et la collecte de fonds de solidarit des communauts

    migrantes goanaises travers le monde. Dans le premier cas, laide

    pakistanaise et ceylanaise intervient de manire inespre et dcisive

    dans le maintien du Portugal Goa. Conscient de limportance de ce

    soutien, Peter Alvares, nouveau prsident du CNG, lance un appel aux

    gouvernements de Colombo et Karachi pour quils refusent lentre de

    leurs ports aux navires portugais429. Sa requte reste sans effet. Mais

    Ceylan ne collabore que trs timidement avec le Portugal, craignant de se

    discrditer auprs du monde dcolonis, et prfre afficher une certaine

    neutralit complaisante. Colombo refuse ainsi de simpliquer dans un

    conflit international face sa puissante voisine indienne mais ne cherche

    pas non plus faciliter le blocus en cooprant avec lUnion. Le Sculo

    reprend ainsi les propos du capitaine du port de Colombo, un certain

    428 Un correspondant Londres du Dirio da Manh, le 8 aot 1955, estime environ

    100 000 sterlings par mois le montant des sommes encore verses Goa et venant dUnion

    indienne.429 O Sculo du 23 dcembre 1954.

  • 745coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Chandrosoma, qui rappelait que les lignes maritimes ntaient soumises

    aucun accord international et que les navires ne bnficiaient pas dauto-

    risation spciale de la part des ports, du moment quils payaient les taxes

    dusage.

    Lisbonne entame, par ailleurs, une politique de rapprochement non

    officielle avec lennemi de lInde, Karachi, et rorganise, suite au blocus

    conomique indien, une bonne partie de son commerce et de ses liaisons

    avec lextrieur, grce au Pakistan. Lisbonne ouvre ainsi sa premire ligne

    arienne en 1954 entre Goa, Daman, Diu et Karachi430. Ses lignes maritimes

    relient galement Karachi Goa, suite la fermeture du port de Bombay

    ses navires. Sans le prcieux et discret soutien pakistanais, Goa aurait

    probablement cd plus tt au blocus et rejoint lUnion indienne. Son

    commerce reste toutefois mesur et non officiel avec le Pakistan qui craint,

    comme Colombo, la mauvaise rputation du Portugal dans le monde

    dcolonis. En outre, ce commerce profite surtout au Pakistan qui vend au

    Portugal plus quil nachte Goa. Mais le Portugal na pas dautres choix

    et investit dans ses relations avec le Pakistan avec une constance qui dfie

    les conclusions ironiques sur le croissant de lislam venu porter secours

    lancienne Rome de lOrient.

    Limportante communaut pakistanaise du Mozambique constitue

    un argument de poids dans le rapprochement des deux pays. Le rgime

    salazariste met dailleurs contribution ses intellectuels pour voquer la

    solidarit africano-pakistanaise et rsoudre les contradictions religieuses

    dune alliance insolite entre Lisbonne et Karachi. Le Dirio da Manh du 29

    dcembre 1954 reprend, par exemple, dans son ditorial, les grandes

    lignes de lintervention du professeur Pina Martins, alors lecteur de portu-

    gais lUniversit de Rome, qui sefforait de dmontrer, au cours dune

    runion de lAcadmie du monde mditerranen sur le thme des rela-

    tions historiques entre le Portugal et le monde islamique, lentente naturelle

    430 Au moment de loccupation indienne de 1961, cette ligne servira au rapatriement

    de nombreux rfugis portugais et goanais vers le Portugal.

  • 746 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    entre communauts goanaise et musulmane, en raison de leurs principes

    universalistes et unitaires et de leur foi monothiste. Selon lui, Goa, par son

    hritage latino-chrtien, devait tre en effet considre comme la capitale

    dune nouvelle civilisation mditerranenne, permettant de la latinit de

    contribuer de faon essentielle au dveloppement historique de lAsie. Les

    relations entre le Portugal et lislam existaient bien avant larrive des

    Portugais en Inde, au moment de la domination musulmane des routes

    commerciales avec la Mditerrane et lAfrique. La comparaison avec les

    relations luso-pakistanaises actuelles est bien vite enjambe : Le Portugal

    actuel assiste ce fait intressant et peut-tre unique dans lHistoire : ce sont

    les diverses communauts musulmanes des provinces portugaises dOutre-

    -mer qui surgissent comme une force spirituelle unitaire pour dfendre les

    intrts latino-mditerranens de Goa face la menace indienne. Ce nest

    pas seulement le Portugal mais tout le monde latino-mditerranen, qui

    doit manifester sa gratitude lislamisme pakistanais et africain parce quil

    sest rvl tre, une fois de plus, sur la mme ligne historique des intrts

    spirituels et civils du monde catholique occidental, du monde chrtien luso-

    -mditerranen431. Lauteur prdit une entente catholico-musulmane qui

    trouvera une base commune sprituelle et matrielle, une foi monothiste

    qui inspire toute la vie sociale et civile et la ligne historique des forces

    complmentaires dans le cadre gographique et gopolitique. [] Cette

    entente pourra signaler un virage dcisif dans lhistoire contemporaine432.

    Le Portugal et le Pakistan unis, face la menace indienne commune.

    431 E o Portugal de hoje assiste a este facto interessante e talvez nico na histria : so as

    vrias comunidades muulmanas das provncias portuguesas ultramarinas que surgem como

    uma fora espiritual unitria a defender os interesses latino-mediterrneos de Goa, perante a

    ameaa indiana. E no apenas Portugal, mas todo o mundo latino-mediterrneo, deve manifestar

    a sua gratido ao islamismo paquistnico e africano porque mais uma vez demonstrou encontrar-

    -se na mesma linha histrica dos interesses espirituais e civis do mundo catlico ocidental, do

    mundo cristo luso-mediterrano Dirio da Manh du 29 dcembre 1954.432 uma f monoteista que inspira toda a vida social e civil e a linha histrica de foras

    complementares no mbito geogrfico e geopoltico. [] Esta entente poder assinalar uma

    viragem decisiva na histria contempornea Dirio da Manh du 29 dcembre 1954.

  • 747coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Lautre direction visant sortir lensemble de la population goanaise

    de la prcarit provoque par le blocus indien est suggre par le trs

    salazariste Jos Nosolini, alors ambassadeur Madrid. Nosolini souhaite

    sappuyer sur la solidarit financire de la prospre communaut indienne

    et goanaise du Mozambique pour crer un fonds daide travers le

    prlvement dune partie de ses bnfices. Il justifie cette mesure explo-

    sive, dans sa lettre du 15 aot 1955 Salazar433, par le fait que larme la plus

    efficace selon lui pour gagner le cur des Goanais se situe sur le plan

    conomique : la premire proccupation du gouvernement doit tre de

    trouver une solution au gel des transferts des fonds montaires de Bom-

    bay, principale cause dappauvrissement de la population de la colonie.

    Avec linstitution de ce fonds de solidarit, les Goanais de lEstado da ndia

    et de Bombay pourraient emprunter et rembourseraient sous forme de

    taxe. La communaut du Mozambique a les moyens financiers de crer

    cette aide, comme elle lavait dj fait elle-mme savoir en 1954, lorsque

    les Goanais de Loureno Marques avaient propos denvoyer 50 000

    escudos pour aider leurs frres.

    Lide de Nosolini sduit et ne tarde pas inspirer le gouverneur

    Guedes qui, par un dcret du 24 aot 1955, impose aux commerants

    indiens tablis Goa depuis plus dune dizaine dannes, dont les enfants

    sont portugais et qui sont pratiquement sans liens avec lInde, une taxa-

    tion gale celle que subissent les Goanais en territoire indien434. Pour le

    gouverneur, cest de bonne guerre au vu des exactions de mme nature

    commises par Delhi auprs de la communaut goanaise de Bombay et qui

    ne tarderont pas sintensifier aprs les restrictions portugaises : Il est

    naturel quils prennent des mesures de reprsailles encore plus svres

    que les ntres sur les revenus et salaires de nos compatriotes et les remises

    433 ANTT-AOS/CD-9, Jos NOSOLINI, lettre manuscrite du 15 aot 1955434 Le gouverneur ne juge pas opportun dappliquer cette taxe la communaut

    musulmane de Goa dont certains sont citoyens indiens, afin de ne pas jeter dombre sur les

    bonnes et si ncessaires relations entre le Portugal et le Pakistan.

  • 748 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    dargent de lEtat qui slvent 2 000 000 de roupies et de la BNU ; en

    dehors des migrants qui sont en Union indienne, il y a beaucoup de

    rsidents goanais ici et dans les autres territoires qui ont des biens et des

    rserves en Union indienne435. Le prlvement dun pourcentage raison-

    nable sur les bnfices des commerants indiens Goa et pourquoi pas,

    au Mozambique permettra de soulager les familles dmigrants goanais

    qui ne reoivent plus de fonds, daider les Goanais rcemment expulss

    dUnion indienne, de donner des subsides pour le voyage et linstallation

    de beaucoup dans dautres territoires de loutre-mer portugais leur offrant

    du travail. Ce fonds serait gr par une commission dlgue par le

    ministre de lOutre-mer.

    La proposition de Nosolini ne tient cependant pas compte des rali-

    ts conomiques du Mozambique. Dun ct, pass le mois de septembre,

    les restrictions portugaises finissent malgr tout par amliorer la situation

    de ces nombreuses entreprises indiennes, moyennes et petites, qui, pri-

    ves des crdits de la BNU, sont contraintes de liquider leurs stocks et donc

    de rduire leurs emprunts tout en passant leurs commandes des firmes

    trangres. Moins endettes, elles dveloppent de nouveaux secteurs

    dactivit. Mais de lautre ct, cette amlioration ne leur fait pas oublier

    la persistance du blocus portugais sur leur commerce, troitement li

    lvolution de la question goanaise. Inquiets pour leur avenir au Mozam-

    bique, les Indiens se proccupent surtout de la manire dexporter leurs

    capitaux (en Afrique du Sud notamment) bien plus que de la recherche

    de nouvelles activits commerciales. Cette fuite des capitaux profite

    lactivit bancaire mais annonce une crise importante de lconomie

    mozambicaine illustrant lexcs de confiance de Lisbonne dans sa propre

    capacit dinvestissement au Mozambique.

    435 Natural tomem medidas represlias ainda mais violentas que as nossas sobre bens,

    rendimentos e at ordenados nossos nacionais e sobre depsitos Estado que oram 2 000 000

    rupias e BNU ; alm dos emigrantes que esto Unio indiana, h muitos goeses residentes aqui

    e noutros territrios que tm bens e depsitos na Unio indiana ANTT-AOS/CO/UL-8I, 1949-

    -55 : tlgramme du GG au MOM, le 24 aot 1955.

  • 749coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Le fait est que cette migration indienne fuit massivement, partir

    de 1954, le pays en raison de la rpression conomique grandissante du

    Portugal son encontre. Un recensement de tous les citoyens indiens

    rsidant dans ce pays, envoy quelque temps plus tt par le ministre

    de lOutre-mer, Raul Ventura, Salazar436, fait alors tat, pour lanne

    1955, de 2 461 citoyens indiens et de 2 245 indiens qui ont acquis la

    citoyennet portugaise en naissant au Mozambique (leurs parents res-

    tant de citoyennet indienne). 535 Indiens, qui avaient dclar avant

    lIndpendance leur double nationalit indo-britannique, dtiennent

    prsent un passeport anglais. Cette population est donc estime un

    total de 5 241 personnes contre 10 175 lanne prcdente. Les tensions

    amenes par le conflit luso-indien ont pouss au dpart nombre de ces

    migrants si bien que le ministre de lOutre-mer relve, entre 1950 et

    1955, un nombre de sorties du pays suprieur au nombre dentres soit

    19 391 sorties pour 18 192 entres. Ce dficit migratoire indien est une

    menace pour lconomie mozambicaine lorsque lon sait quen 1955, les

    revenus fixes engendrs par les activits commerantes, industrielles et

    agricoles de cette population slvent 56.500.061$, la valeur de ses

    biens fonciers 145 975 754$ et le capital nominal des entreprises

    indiennes au Mozambique 133 149 448$437. La menace est telle sur

    leconomie mozambicaine que le gouvernement portugais prendra un

    dcret, le 26 aot 1955, leur interdisant de sortir du pays et dexporter

    leurs capitaux.

    A Goa, la nouvelle taxation du gouverneur menace peu, en ralit,

    lactivit commerciale indienne de la colonie. Seuls les commerants les

    plus importants ont survcu Goa, en raison des juteux bnfices raliss

    travers le commerce de liqueurs et autres produits de luxe et de contre-

    436 ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues VENTURA, 1954-1957 : note de Raul

    Ventura, ministre de lOM, Salazar, du 19 dcembre 1955.437 ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues VENTURA, 1954-1957 : note de Raul

    Ventura, ministre de lOM, Salazar, du 19 dcembre 1955.

  • 750 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    bande, favoris par le blocus438. Le gouvernement local le sait. Un journa-

    liste de la United Press voque, en 1955, le march anim de Panjim o se

    vend une grande diversit de produits des prix plus bas quen Union

    indienne : Les cigares et les allumettes goanais cotent le quart du prix

    demand en Inde ; il existe une large varit de choix de produits textiles

    et un talage stupfiant dautres marchandises. Les boissons alcooliques

    sont si bon march que si un membre de Westminster souhaite encore

    connatre le prix du gin avant la Grande guerre, il lui suffit de passer

    quelques jours de vacances Goa439. La loi sche impose par Bombay

    dans sa rgion est rgulirement transgresse par la contrebande goanaise,

    avec la complicit de la police douanire. Beaucoup de bars sont gale-

    ment tenus ouverts Panjim. Cette libert de commerce des vins et

    spiritueux pse dans la rticence des Goanais au merger. Selon le mme

    journaliste, Les Goanais, dans leur majorit, paraissent satisfaits de leur

    vie, tout comme les nombreux indiens qui vivent ici440.

    438 Pour illustrer la situation conomique paradoxale de lenclave portugaise en plein

    blocus, on peut citer lanecdote suivante loccasion dun autre voyage de Sarmento

    Rodrigues en outre-mer. Profitant de son passage Goa, le 15 novembre 1955, sur le chemin

    du retour vers Lisbonne, le ministre envoie Salazar deux bouteilles dune liqueur anglaise

    quil considre comme lune des meilleures et qui se trouve difficilement sur le march,

    sauf Goa o elle se vend en abondance ANTT-AOS/CP- 244, 7.244.8, Manuel M. Sarmento

    RODRIGUES, 1954-1968 : lettre manuscrite de Sarmento Rodrigues Salazar, du 5 novembre

    1955. Une telle situation nest pas sans rappeler celle de Pondichry entre 1949 et 1954.439 Os cigarros e fsforos goeses custam um quarto dos preos pedidos na ndia ; existe

    uma larga variedade de produtos textis por onde escolher e uma assombrosa exposio de

    outras mercadorias. As bebidas alcolicas so to baratas que se algum membro de Westmins-

    ter ainda desejar saber o preo do Gin antes da Grande Guerra, tem apenas de passar umas

    frias em Goa ANTT-AOS/CO/UL-23D, Pasta 1 : Pasta 1, 2a Subdiv. : rapport des Services de

    presse du MNE du 30 aot 1955, chronique de Stewart Hensley de la United Press, la fin du

    mois daot 1955. 440 Os Goeses, na sua maioria, parecem satisfeitos com essa vida e assim tambm os

    muitos indianos que ali vivem ANTT-AOS/CO/UL-23D, Pt 1, 2a Subdiv. : rapport des Services

    de presse du MNE du 30 aot 1955, chronique de Stewart Hensley de la United Press, la fin

    du mois daot 1955.

  • 751coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    Nanmoins, cette relative prosprit ne touche que la classe commer-

    ante de Panjim. Dans le reste du territoire, la population sappauvrit de

    plus en plus. Le fonds propos par Nosolini visait surtout favoriser

    linsertion des Goanais, pousss par le blocus rechercher du travail dans

    les autres provinces doutre-mer, demandeuses de main-duvre, et vers

    lesquelles le gouvernement portugais souhaiterait voir les Goanais se

    diriger, spcialement vers le vaste territoire de lAngola, encore peu

    exploit. Or, les tensions traditionnelles entre Africains et Indiens441 am-

    nent souvent les Goanais privilgier dautres destinations telles que

    Karachi ou le golfe Persique (Bahren, Kowet, Abadan). Au Mozambique,

    les Africains ne font pas de distinction entre les Goanais, citoyens portu-

    gais, et les citoyens indiens jalouss pour leurs richesses et has les uns

    comme les autres. Nosolini souhaiterait, de ce point de vue, dvelopper

    une propagande prsentant la communaut goanaise du Mozambique

    comme la victime des Indiens de ce mme pays, afin daffirmer la protec-

    tion officielle du gouvernement portugais sur les Goanais et de leur

    confrer une immunit qui les mette labri de la population africaine.

    Lmigration goanaise devrait tre prsente, selon lui, comme une dias-

    pora de rfugis, victimes de lInde et protgs du gouvernement portugais.

    Nosolini explique Salazar, dans une lettre du 22 septembre 1955, la faon

    dont la propagande portugaise devrait victimiser lmigration goanaise :

    Leur infortune actuelle, lmouvante exaltation patriotique et la compas-

    441 Rappelons que Nehru lui-mme, dans son discours dinauguration du Dpartement

    des Etudes africaines de lUniversit de New Delhi, demande aux Indiens vivant en Afrique

    de ne pas compter sur laide de lInde sils exploitent les Africains. Citons encore, pour

    illustrer les tensions entre les deux communauts sur le sol africain, la violente opposition

    dclenche en Ouganda par la proposition britannique de nommer un Premier ministre

    asiatique. De tels vnements font les choux gras de la presse portugaise (et sud-africaine)

    qui dnonce la duplicit indienne et lhypocrisie de la notion de solidarit afro-asiatique

    promue par le monde dcolonis. Le Dirio de Notcias du 18 aot 1955 voque ainsi la

    tendance de certains de ces migrants indiens vouloir conforter leur position en aiguisant

    la lutte entre Africains et Europens et faire croire que le gouvernement indien doit

    promouvoir une croisade anticoloniale en Afrique.

  • 752 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA

    sion du monde contribuent, en ce moment, attnuer certaines mauvai-

    ses volonts ou craintes venant des autres parties de lEmpire. Puisquau

    Mozambique, par exemple, la raction est contre lIndien, on peut montrer

    que le Goanais est victime de lIndien : il est galement contre lui. Cest le

    travail de la presse locale et des missions portugaises de crer un tel

    climat. En Angola, il ny a pas de prjug aussi marqu et il y a, comme lon

    sait, un manque de main-duvre []442. Nosolini pense aussi au Brsil

    qui a fait preuve de solidarit avec le Portugal dans le cas de Goa et qui

    serait une bonne terre daccueil pour les Goanais chrtiens ainsi que

    lEthiopie o rside une communaut importante de Goanais qui mrite-

    rait dtre renforce par de nouvelles arrives.

    Mais le gouvernement portugais sefforce surtout de diriger lmigra-

    tion de main-duvre goanaise cre par le blocus et risquant de dpeupler

    lEstado da ndia, vers les autres territoires de son Empire, afin de crer

    ou de renforcer de nouvelles connexions financires qui permettront de

    faire vivre Goa travers lenvoi de ces nouveaux salaires. Lintgration

    du Goanais reste cependant difficile dans ces rgions. Ils sont souvent

    considrs comme des trangers, y compris aux yeux des Indiens eux-

    -mmes. Antnio Gama Pinto, lune des plus grandes fortunes du Brsil et

    descendant dune des plus vieilles familles de Goa (elle compte notam-

    ment un gouverneur du Mozambique), en tmoigne. Dans une interview

    accorde au journal brsilien O Dia du mois daot 1955443, il voque, titre

    danecdote, son arrive de nuit Cape Town, la recherche dun htel.

    Tous les tablissements sud-africains lui sont ferms en raison de sa

    442 A sua desgraa actual, a exaltao patritica que nos move e a compaixo do mundo

    contribuem, neste momento, para atenuar certas ms vontades ou receios das outras partes do

    imprio. Depois, por exemplo, em Moambique a reaco contra o ndio, pode fazer-se mostrar

    que o Gos vtima do ndio : tambm contra ele. trabalho da imprensa local e das misses

    portuguesas fazer tal ambiente. Em Angola, no h to vivo prejuzo e h, como sabe, muita

    falta de braos [] ANTT-AOS/CD-9, Jos NOSOLINI : lettre de Jos NOSOLINI Salazar, le 22

    septembre 1955.443 Article repris par le Dirio da Notcias du 24 aot 1955.

  • 753coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA

    couleur de peau. Il va demander alors asile auprs de larme indienne en

    poste dans la ville mais essuie le mme refus car il est vu non comme un

    Indien mais comme un Portugais.

    Autre consquence paradoxale du blocus indien, celui-ci aura permis,

    malgr larrt du commerce avec lUnion indienne et le gel des transferts

    bancaires, de relancer partiellement lconomie goanaise dans certains

    secteurs, et notamment celui de la banque, travers un renouveau

    dactivit pour la BNU de Goa. Telles sont les conclusions de Tefilo Duarte,

    nouvel administrateur de la BNU, aprs avoir visit la colonie, au mois de

    mars 1955. Selon son rapport444, lEstado da ndia serait mme dans une

    position conomique meilleure quen 1947, tant pour ses exportations et

    ses importations que pour lactivit locale de la BNU. Avant 1954, tout

    sachetait en Union indienne, ce qui permettait le dveloppement de nom-

    breuses firmes des deux cts de la frontire goanaise. Le commerce local

    fleurissait, grce la venue hebdomadaire de milliers dIndiens se fournis-

    sant Goa en produits dimportation europenne. Cette activit commerciale

    a impuls elle seule le mouvement bancaire de la colonie mais surtout de

    la banque indienne qui pratiquait une taxation moins leve que la banque

    portugaise, laquelle exigeait des pargnants le paiement dintrts. A partir

    de la fin de lanne 1954, plus rien ne simporte dUnion indienne ni ne

    sexporte de Goa vers lInde. Le blocus empche le transfert annuel Goa

    dun million de roupies des quelque 80 000 migrants goanais de Bombay.

    Ce dernier lment inquite le plus Duarte qui craint des retombes politi-

    ques et conomiques graves long terme. Les capitaux sont galement

    immobiliss, obligeant lEtat portugais accorder des crdits parfois trs

    larges aux concessionnaires miniers, privs dinvestisseurs trangers445.

    444 ANTT-AOS/CO/UL-23, Pasta 18 : rapport de Tefilo Duarte sur sa visite en EDI et

    surtout des agences de la BNU Goa, le 24 mars 1955 (crit de Dili-Timor).445 Tefilo Duarte constate quelques abus dans ce domaine et recommande de

    diminuer progressivement ces prts, notamment la firme Timblo qui a bnfici de crd