Sais-tu d'où tu viens, mon fils

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SAIS-TU D'OU TU VIENS,

MON FILS ?

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JEAN-ANDRE FAUCHER

SAIS-TU D'OU TU VIENS,

MON FILS ?

Editions du Gerfaut 50, rue Bichat. 75010 Paris.

Tel: 201.21.30 (lignes groupées)

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© Éditions du Gerfaut, Paris. Reproduction et traduction même partielle interdite.

Tous droits réservés pour tous pays y compris l'U.R.S.S. et les pays scandinaves.

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à Jean-Pierre, mon fils

La couverture de ce livre est due au peintre André Dapy, cousin de l'auteur.

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Lorsque j'étais enfant, chaque soir dans la maison de la rue du Chinchauvaud, mon grand-père me parlait après le dîner. Il me parlait pendant deux ou trois heures. Nous n'allumions pas l'électricité, par souci d'éco- nomie. Je ne voyais de lui que ses yeux et une partie de son visage sur lequel le feu de la cuisinière projetait une lueur rougeâtre.

Il parlait. De sa jeunesse, de ses parents, de ce qu'il avait lui-même appris lorsqu'il était enfant par les récits de ses aînés, des veillées dans la vieille maison de Champs, de ce qu'il avait vu sur les routes de France lorsqu'il était un jeune apprenti mettant son pas dans ceux des maîtres maçons, des légen-

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des mystérieuses de son pays. Et de tout ce que j'ai entendu de sa bouche en ce temps-là, je n'ai jamais rien oublié.

Combien y a-t-il d'années, Jean-Pierre, que nous n'avons pas pris le temps de parler ensemble ? Comment se fait-il que nous n'ayons jamais trouvé l'occasion d'aller re- garder, toi et moi, les pierres, les rues et les paysages de mon enfance ?

Je me sens coupable aujourd'hui envers toi, mon fils, de n'avoir pas eu le souci de te parler comme l'avait fait avec moi mon grand-père Faucher. Je découvre soudain, à cinquante-huit ans, qu'en interrompant la chaîne des traditions orales, j'ai pris la res- ponsabilité de laisser perdre le dépôt que j'avais reçu pour toi, que j'ai pris aussi ce risque d'ôter tout sens à ma vie en me pri- vant de la chance d'accéder, par toi, à la seule éternité possible.

J'ai lu quelque part, il y a bien longtemps déjà, sous la plume de Maurice Barrès, que tout homme devait avoir dans le monde un lieu privilégié où se situait sa vérité person- nelle. J'ai mis des années à découvrir où pouvait se cacher la mienne. Je sais quel jour de février 1968 j'ai enfin compris qu'elle se trouvait à Limoges, au cimetière de Louyat, en face de ce caveau de famille où

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reposent mes parents, mon frère Gérard et mon fils Patrice. C'est devant ceux-là, et devant beaucoup

d'autres qui ne sont plus, que je me sens responsable. Le dépôt que j'ai reçu d'eux, c'est pour que tu le recueilles à ton tour que j'ai entrepris aujourd'hui d'écrire ces lignes. Ces tombes disséminées dans des cimetiè- res du Limousin et de l'Alsace, elles seront un jour à toi, Jean-Pierre, à toi seul. Ne les oublie pas lorsque je ne serai plus là. Ce serait couper le lien ombilical qui t'unit à tout un passé auquel, quoi que tu puisses penser, il ne te sera jamais permis d'échap- per. Sans elles, tu ne serais plus dans ce monde qu'un vagabond, un errant, un déra- ciné.

C'est devant ces pierres de granit que j'ai envie de te dire ce qu'Antoine disait à Jac- ques dans « Les Thibault » : « Il faut que cette force, cachée dans une race, aboutisse enfin ! C'est en nous que l'arbre Thibault doit s'épanouir : l'épanouissement d'une li- gnée ! Comprends-tu ça ? ».

J'écris pour toi le soir, alors que je te sais à l'imprimerie en train de boucler ton jour- nal, ou alors que tu roules pour regagner ta maison de Maurepas. Je veux te dire, alors que j'en ai encore le temps, ce que je n'ai

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pas su te confier lorsque tu avais l'âge de m'écouter. Même s'il est encore trop tôt, dans l'aven-

ture de ta vie, pour que tu puisses vraiment comprendre ce qui me fait écrire tout cela aujourd'hui, je veux croire que lorsque tu m'auras lu il ne te sera plus possible d'échapper à ta mission. Le sang des nôtres, c'est en effet dans tes veines qu'il coule au- jourd'hui. Le jour viendra fatalement où il te faudra en prendre conscience. C'est seule- ment à cet instant que ta présence sur cette terre prendra tout son sens.

J'ai parfois l'impression, surtout depuis la mort à vingt-trois ans de ton frère jumeau, que tu voudrais rejeter ces dépouilles comme si elles ne te concernaient pas, que tu refuses de permettre à tous les morts que je te pré- sente de peser sur ton destin. Crois-tu que je n'ai pas connu, moi aussi, ce réflexe ? Pour consentir à tenir, dans la chaîne des fidélités, sa juste place, il faut sans doute être allé jusqu'au bout de l'espoir, et tu n'en es pas encore là.

Tu ne regardes encore que vers l'avenir mais viendra pour toi, comme pour chacun de nous, le jour où, sans te nourrir de re- grets, tu découvriras que l'essentiel de ta vie est derrière toi. Lorsque tu te retourneras

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alors pour contempler le chemin parcouru, tu seras surpris de découvrir que tu viens de beaucoup plus loin que tu ne penses.

Parlant de sa lignée aristocratique, Jean d'Ormesson a écrit : « En vérité, toutes les familles étaient aussi anciennes les unes que les autres. Tout le monde avait un père, deux grands-pères et deux grands-mères, et huit arrière-grands-parents. Mais certains gardaient des traces du passage dans le temps de leurs ancêtres disparus. C'est ainsi que j'appris ce que nous devions au souve- nir. »

Je n'ai pas de ducs, ni de maréchaux à t'offrir dans ton arbre généalogique. Aucune de tes arrière-grands-mères n'a jamais dansé aux Tuileries avec le duc de Nemours. Notre Plessis-lez-Vaudreuil, à nous, n'est qu'une petite ferme noircie par le temps sur une col- line du Limousin, mais nous sommes une fa- mille parce que nous avons de la mémoire et que nous sommes aussi fiers que des princes du sang de ce que nous avons toujours été.

Au fond, nous partageons avec les plus grands cette conviction que seuls savent se tenir droits ceux qui ont un héritage moral à préserver. Et pour être différent, notre hon- neur vaut bien le leur.

Nous ne partageons pas leurs responsabili-

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tés devant le destin du monde parce que nous n'avons jamais prémédité l'Histoire, mais nous l'avons faite à toutes les époques avec notre sueur et avec notre sang.

Si nous étions des leurs, nous serions sans doute attachés à leur tradition autant que nous le sommes à la nôtre, mais ils appar- tiennent à un monde qui n'en finit pas de mourir alors que le nôtre, depuis des siècles, n'a cessé de vivre dans l'espérance. Nous n'avons jamais été comme eux prisonniers du destin parce que nous nous sommes toujours attribué ce droit de bousculer l'Histoire qu'ils nous imposaient, de la corriger, et même parfois de la violenter.

Journaliste, j'écris depuis quarante ans sur le destin des autres. J'ai fait paraître vingt- deux ouvrages d'histoire ou d'imagination. Le jour devait fatalement venir où il me fau- drait retracer l'aventure qui, à travers dix siècles et des milliers de personnages, aboutit à déterminer et à façonner l'homme que tu es aujourd'hui.

Mon grand-père Faucher n'eut vraiment le sentiment d'avoir accompli sa vie que le

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jour où, ayant acheté sa maison dans le quartier du Chinchauvaud, il vit achever au cimetière de Limoges le caveau dans lequel il serait enterré.

Cette maison de Limoges qu'il avait ache- tée, ce fut celle de ma jeunesse. J'ai difficile- ment pardonné à mon père et à mes tantes de l'avoir vendue après la mort du grand- père, mais je sais aujourd'hui qu'elle ne re- présentait rien pour eux. Ils n'y étaient pas nés. Ils n'y avaient pas grandi. Ils n'avaient accroché à ses pierres aucun des souvenirs de leur enfance ou de leur adolescence. Elle n'avait à leurs yeux d'autre valeur que celle qui se compte en billets de mille francs.

Il m'arrive parfois de passer devant cette maison au volant de ma voiture et de regar- der la terrasse du haut de laquelle, gamin sauvage et tôt dressé contre toutes les disci- plines, je sautais souvent la nuit, lorsque tous les miens étaient endormis, pour aller explo- rer seul les rues désertes de la ville.

Je n'ai jamais eu, ces dernières années, le courage de frapper à la porte et de demander à ceux qui y vivent aujourd'hui qu'ils me laissent revoir les lieux de mon enfance.

Mon grand-père aurait voulu que cette maison du Chinchauvaud puisse rester dans la famille. C'est là un rêve que nous refai-

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sons à chaque génération. Mon père, lui aussi, avait souhaité que nous conservions son appartement de l'avenue de la gare. Et voici qu'après eux je me prends à rêver que tu pourras garder cette maison du Gué où tu as passé les jours bleus de ton adolescence. Avons-nous tellement besoin d'identifier notre réalité familiale à des pierres qui dure- ront plus longtemps que nous ?

De ce grand-père Faucher qui avait si for- tement marqué ma jeunesse, je n'ai eu fina- lement d'autre héritage que la canne à pom- meau d'argent qui lui avait été offerte par ses amis de la poste de Limoges le jour où il avait pris sa retraite de facteur.

Il conservait de nombreux souvenirs de fa- mille dans une cassette qu'il cacha longtemps dans une vieille armoire, au pied de son lit. Plus tard, il la plaça dans un trou qu'il avait creusé dans la cave. Il me l'avait montrée à plusieurs reprises en m'expliquant qu'elle me reviendrait un jour et que j'y trouverais des documents intéressants sur son père, sur son grand-père, sur le passé de la famille. Lors- qu'il mourut en 1943 la cassette avait dis- paru. Je suis descendu dans la cave avec ma grand-mère mais nous ne l'avons pas retrou- vée. Quelqu'un était passé avant nous.

L'autre jour, dans notre maison du Gué,

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je suis monté au grenier et j'en ai rapporté une boîte de bois blanc dans laquelle ache- vaient de jaunir quelques milliers de photo- graphies. Une galerie de nos morts : des La- roudie en costumes des jours de fête, des dames Combrouze en barbichets de dentelle, des Köhl inconnus et que personne ne saura plus jamais identifier pour nous, et l'étrange beauté de ma mère dans la toilette de ses vingt ans.

Seuls les Faucher du temps jadis sont rares dans cette collection, comme s'ils avaient éprouvé moins que les autres le be- soin de nous léguer l'image de leurs jours heureux.

En vérité, tout ce que nous avons conservé de notre histoire n'est rien à côté de ce que nous perdons de notre passé chaque fois qu'une mémoire s'éteint. Voici une photogra- phie de Robert Kôhl, le jeune frère de ma mère. Près de lui figure un homme en cas- quette et je lis au dos : « Visite du cousin Charles à Cubjac ». Qui était ce cousin ? A quelle branche de la famille appartenait-il ? Sans doute s'agissait-il d'un neveu de mon grand-père maternel venu d'Alsace saluer les siens en Dordogne, mais seule ma mère au- rait pu me le dire et elle n'est plus. Le cou- sin Charles est définitivement tombé dans un

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anonymat d'où aucun des survivants n'aura plus le pouvoir de le faire sortir.

C'est de toute évidence parce que nous sommes d'un pays qui cherche sa vérité dans la fidélité à ceux qui sont passés à l'Orient éternel que j'ai entrepris d'écrire ces pages pour toi. Il faut bien que tu connaisses ce que tu as le devoir de ne pas laisser mourir et je suis le seul à pouvoir encore te le dire.

Ce n'est pas sans raison que nous apparte- nons à un peuple qui a imaginé un jour d'édifier les lanternes des morts, ces colonnes de pierre en forme de campanile en haut desquelles on hissait chaque soir une lan- terne allumée pour honorer les défunts et les recommander aux prières des vivants. Nous n'avons jamais très bien su glorifier les Dieux mais aucune race au monde ne sait aussi bien que la nôtre pratiquer le culte de la famille.

Une histoire comme la nôtre est faite de plus de morts que de vivants. C'est une his- toire dans laquelle ceux qui nous ont quittés pèsent autant que ceux qui restent encore à naître. Une naissance est un événement natu- rel. Aucun oncle, aucun cousin, aucun neveu ne prend jamais le train pour venir saluer un nouveau Faucher qui vient de venir à la vie, mais il ne manque jamais aucun des nôtres

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devant une tombe qui s'ouvre. Je n'ai jamais assisté à la venue au monde d'aucun des miens alors que chaque année il me faut en accompagner plusieurs jusqu'au cimetière.

La seule naissance, avant la tienne et celle de ton frère, à laquelle je me suis senti per- sonnellement associé fut celle de mon frère Gérard, en 1932. J'avais alors onze ans. Je me souviens du printemps de cette année-là, alors que nous passions nos dimanches après-midi, avec ma mère enceinte, dans une clairière du bois de Vincennes proche de la piste municipale. Elle partit ensuite avec ses trois aînés pour Limoges où elle accoucha en août dans une petite maison basse du boule- vard de la Corderie qui appartenait à la sage-femme, Mademoiselle Dumont. Cette sage-femme, c'était celle qui avait déjà assisté ma grand-mère Faucher lors de la naissance de mon oncle André. Il n'avait pu être ques- tion pour la famille de faire appel à une autre.

Notre histoire s'écrit aujourd'hui sur des pierres tombales à Limoges, à Eymoutiers, à Landouge, sans oublier toutes ces tombes bien à nous que nous ne saurions plus re- trouver à Sussac et à Gentioux.

La première fois que je me suis rendu à Masevaux, j'étais accompagné par mon ami

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015 — NORVEGE LA ROUTE DU FER, par Heinz Wirmann.

016 — SEULS LES MORTS SE TAISENT, par A lain Guyenne.

017 — TRIBUNAL DE GUERRE, par Kurt Gerwitz.

018 — ON CREVE TOUJOURS SEUL, par Hans K/über.

019 — LES NOCES ROUGES DE SILESIE, par R V Karanoff.

020 — PERCEZ, par Baldwin Wolf. 021 — POUR DES OMBRES, par Kurt

Gerwitz. 022 — LES FELDGRAUS, par Heinrich Zimmer. 023 — LA ROUTE DES MORTS, par Heinz

Wirmann. 024 — LA MAITRESSE DU COMMISSAIRE

FIALOV, par Kurt Gerwitz. 025 — BATAILLON FANTOME, par Hans

Klüber. 026 — LES CRUCIFIES DE

L'APPELPLATZ, par Rudy Furtwengler.

027 — LES SOLDATS DE L'OMBRE, par Ludwig Kranz.

028 — AU LOIN L'HORIZON BRULAIT,par Kurt Gerwitz.

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