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20 SAGESSES ET TRADITIONS SPM - AVRIL / MAI 2007 Au commencement était le verbe De nombreuses traditions attribuent l’origine de l’univers et la genèse du monde manifesté au Verbe de Dieu. La Conscience suprême, immobile et figée dans une éternité sans espace, proféra le Verbe créateur issu d’elle-même sous une mystérieuse impul- sion surgie d’outre-temps. Ce son primordial, exhalé dans un souffle divin, précipita l’Infini dans le temps et l’espace, donnant naissance à la matière même des trois mondes, de la plus subtile à la plus dense. La Bible et les Upanisads hindous se rejoignent à l’instant de la création de l’Univers manifesté en accordant l’acte créateur au Son divin, au Verbe, dont la vibration profonde assure la cohé- sion des particules élémentaires et transforme l’énergie latente en matière, en mouvement et en vie. «…Et le Verbe s’est fait chair.» La science le confirme… La science contemporaine confirme le rôle de la vibration des ondes sonores dans le maintien de la cohésion des constituants subatomiques de la matière. D’autre part, l’astrophysique a mis en relief le bruit de fond de l’univers, vibrant sourdement à tra- vers l’espace cosmique : la Musique des sphères décrite par un des plus grands initiés, Pythagore. Actuellement, les physiciens quan- tiques tentent d’amener toutes les lois de la physique à la vibra- tion des «supercordes» dans une dimension spatiale supérieure. Selon cette nouvelle approche, chaque particule est une corde qui produit sa propre musique en même temps que les autres particules. À l’échelle du cosmos, selon Ervin Lazlo, des étoiles et des galaxies entières vibrent à l’unisson. Le défi des scientifiques consiste à découvrir l’équation permettant de décoder la musi- que universelle qui constitue l’harmonie la plus vaste et la plus fondamentale de l’univers. De son côté, la NASA a enregistré les fréquences sonores émises par les planètes, et des musiciens contemporains (Vincent Baettig ou Laurent Danis) utilisent ces sonorités cosmiques dans leurs compositions, parfaite illustration de la «musique des sphères». Lesquelles compositions sont, par ailleurs utilisées, par certains thérapeutes afin de réharmoniser les réseaux énergétiques du corps et de la psyché. L'être humain dans la "divine partition" L’Inde antique avait aussi entendu ce son primordial, le Verbe de Dieu à l’œuvre dans la genèse permanente du cosmos : c’est le célèbre son AUM, chanté par tous les yogis, qui introduit la récitation de presque tous les mantras bouddhistes et hindous. Ainsi, le son primordial serait l’origine et le substrat de l’Univers. Or nous, êtres humains, sommes composés de matière imprégnée de cette vibration de Vie issue du souffle et du Verbe Divin, nous sommes une note particulière dans la symphonie de l’univers et Traditions Spirituelles Le son OM «Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé» (épître aux Romains 10. 13)

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SAGESSES ET TRADITIONS

SPM - AVRIL / MAI 2007

Au commencement était le verbeDe nombreuses traditions attribuent l’origine de l’univers et

la genèse du monde manifesté au Verbe de Dieu. La Conscience suprême, immobile et fi gée dans une éternité sans espace, proféra le Verbe créateur issu d’elle-même sous une mystérieuse impul-sion surgie d’outre-temps. Ce son primordial, exhalé dans un souffl e divin, précipita l’Infi ni dans le temps et l’espace, donnant naissance à la matière même des trois mondes, de la plus subtile à la plus dense.

La Bible et les Upanisads hindous se rejoignent à l’instant de la création de l’Univers manifesté en accordant l’acte créateur au Son divin, au Verbe, dont la vibration profonde assure la cohé-sion des particules élémentaires et transforme l’énergie latente en matière, en mouvement et en vie. «…Et le Verbe s’est fait chair.» La science le confi rme…

La science contemporaine confi rme le rôle de la vibration des ondes sonores dans le maintien de la cohésion des constituants subatomiques de la matière. D’autre part, l’astrophysique a mis en relief le bruit de fond de l’univers, vibrant sourdement à tra-vers l’espace cosmique : la Musique des sphères décrite par un des plus grands initiés, Pythagore. Actuellement, les physiciens quan-tiques tentent d’amener toutes les lois de la physique à la vibra-tion des «supercordes» dans une dimension spatiale supérieure. Selon cette nouvelle approche, chaque particule est une corde

qui produit sa propre musique en même temps que les autres particules. À l’échelle du cosmos, selon Ervin Lazlo, des étoiles et des galaxies entières vibrent à l’unisson. Le défi des scientifi ques consiste à découvrir l’équation permettant de décoder la musi-que universelle qui constitue l’harmonie la plus vaste et la plus fondamentale de l’univers. De son côté, la NASA a enregistré les fréquences sonores émises par les planètes, et des musiciens contemporains (Vincent Baettig ou Laurent Danis) utilisent ces sonorités cosmiques dans leurs compositions, parfaite illustration de la «musique des sphères». Lesquelles compositions sont, par ailleurs utilisées, par certains thérapeutes afi n de réharmoniser les réseaux énergétiques du corps et de la psyché.

L'être humain dans la "divine partition"

L’Inde antique avait aussi entendu ce son primordial, le Verbe de Dieu à l’œuvre dans la genèse permanente du cosmos : c’est le célèbre son AUM, chanté par tous les yogis, qui introduit la récitation de presque tous les mantras bouddhistes et hindous. Ainsi, le son primordial serait l’origine et le substrat de l’Univers. Or nous, êtres humains, sommes composés de matière imprégnée de cette vibration de Vie issue du souffl e et du Verbe Divin, nous sommes une note particulière dans la symphonie de l’univers et

Traditions Spirituelles

Le son OM

«Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé» (épître aux Romains 10. 13)

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notre conscience individuelle s’inscrit sur les harmoniques d’un chant cosmique. Mais l’homme a oublié ses origines et n’entend plus la douce vibration de vie qui le porte et le relie au souffl e de Dieu. Nous nous sommes aliénés à une fausse idée de nous-mêmes et nous demeurons prisonniers de nos identités virtuelles qui nous coupent de l’Harmonie universelle. Nous nous sentons déracinés, privés de la source de vie et chassés du Paradis…Depuis l’aube des âges de l’hu-manité, par tous les moyens, nous tentons désespérément de nous raccorder à cette divine partition afi n de retrouver notre plénitude d’être et notre place dans l’hymne à la Vie. Nikos Kazantzakis écrivait : «La Liberté est la capacité de s’abandonner à un rythme qui nous est supérieur» : la mu-sique des sphères, le chant du Verbe divin.

Rythmes et sons chamaniquesDès que l’homme prit conscience de son déracinement,

il se sentit exilé de l’harmonie naturelle. Afi n de tenter de sortir de cet isolement, il inventa alors le rythme, puis la musique. Son instinct lui souffl ait de rechercher la con-nexion perdue à travers le son rythmé, le chant et la danse. En frappant sur des troncs creux, il redécouvrit la pulsation rythmée qui sous-tend la vie et il prit plaisir à se couler dans

le rythme des origines, accompagné du son aigre des fl ûtes de roseau et des chants incantatoires qui lui montaient spontanément de la gorge. Les pères de nos pères utilisèrent cette découverte essentielle comme une porte vers les autres mondes dont ils se sentaient exclus. Une profonde nostalgie des origines les poussa à réintégrer la grande pulsation de vie, à se couler dans le chant du Monde. L’utilisation des vibrations rythmées était un réfl exe de survie car il était urgent de retrouver la communion sacrée avec le rythme de l’Univers.

Ces cultures originelles eurent leurs prêtres : les cha-mans. Ils connaissaient les portes secrètes et en possédaient les clés. Ils ont transmis jusqu’à nos jours, au sein de très nombreuses cultures, l’art d’entrer en communication avec les mondes invisibles et les forces de la Nature. Pour ce faire ils utilisent le son, le rythme et le chant. Ils ont inventé le seul instrument de musique permettant d’émettre le son primordial : le rhombe, toujours utilisé par les Aborigènes d’Australie. Une simple pièce de bois que l’on fait tournoyer au bout d’une fi celle et qui chante le AUM des brahma-nes… Le chaman se coule alors dans la danse, porté par une vibration qui le dépasse et entre dans des états de conscience modifi és. Hors de son enveloppe identitaire habituelle, il se laisse porter par l’incantation, voit s’ouvrir des portes im-

Par Jean-Bernard Cabanès

et pouvoir du SON

De gauche à droite : Trompettes tibétaines, chants sacrés indiens, Gospel, Tambours Inuits...

«La Liberté est la capacité de s’abandonner à un rythme qui nous est supérieur» : la musique des sphères, le chant du Verbe divin.

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Trompettes à Kulu (Inde) 1974

probables et s’envole vers l’extase d’une communion secrète en s’unissant au rythme sacré de l’Univers, aux vibrations de l’arbre, de l’oiseau, de l’ours ou du grand cerf. Le chaman réintègre son unité avec le Monde et il y puise une con-naissance nouvelle, des énergies inconnues, des pouvoirs de guérison, des messages et des enseignements issus des plantes ou des hôtes de mondes parallèles.

Chant, religion et magieC’est ainsi que le chant et la musique sacrés sont de-

venus les instruments privilégiés de la pratique de toutes les religions, qu’elles soient animistes ou monothéistes. Aucun rituel ne saurait se priver d’un univers harmonique et d’instruments musicaux ; la musique est l’art sacré par excellence. Le fi l d’or permettant à la conscience humaine de réintégrer le plan cosmique demeure, sur l’ensemble de la planète, l’utilisation et l’expression des harmonies musi-cales sous toutes leurs formes. Bien commun à l’humanité entière, la musique est le tapis volant vers les mondes para-disiaques, la voie royale vers l’immersion dans la Conscience Cosmique.

Lorsque les grandes religions organisées se déployèrent au sein des cultures humaines, les prêtres comprirent le pouvoir de transformation spirituel des chants et des sons. Ils utilisèrent leur puissance pour faire descendre le Pouvoir divin sur Terre. Ils devenaient les intermédiaires entre les dieux et les hommes. Ils asseyaient dans les sanctuaires une position privilégiée qu’ils surent conserver pendant des mil-lénaires. Les hymnes religieux fi rent résonner les salles des temples et les voûtes des cathédrales. L’appel des fi dèles vers les divinités était chants, tintements de cloches de bronze, grandes orgues ou trompes de cuivre. L’infl uence du son sur notre coloration psychique est une expérience que nous traversons quotidiennement. Notre perméabilité émotion-nelle est extrêmement sensible à toute forme de musique. La musique sacrée porte parfois l’âme à ses sommets et le chant religieux ouvre les chemins secrets de l’extase. Lorsqu’ils s’enrobent de la douceur de la dévotion, les hymnes per-mettent l’union de l’Etre, l’hôte sacré du cœur, à son essence qui est pur amour. Si la magie du son n’échappa point aux prêtres et aux initiés, elle est aussi l’outil, voire l’arme, des sorciers et des magiciens pour lesquels les vibrations sonores associées à la puissance de la pensée ont un réel pouvoir sur la matière, sur le temps et sur autrui. C’est la voie de la main gauche, utilisant une énergie lunaire. C’est aussi une des voies des écoles tantriques d’Asie, qu’elles soient hindoues ou bouddhistes, lorsqu’elles utilisent la puissance du son pour le pouvoir et non pour l’Éveil. Le même son peut conduire au Ciel de la Conscience ou vers des mondes infernaux ; seule l’intention de celui qui les profère fera la diff érence, il en est de même pour la prière.

La puissance énergétique des Mantras

En Inde, la tradition rapporte que le sanskrit, langue sacrée de l’Hindouisme, fut révélé aux antiques rishis, hommes de sagesse et de connaissance. Ce don des dieux off rait aux mortels les sons d’un langage divin et l’alphabet sanskrit serait le refl et des harmonies célestes. Le législateur mythique Manu fut le premier à parler du pouvoir des man-tras, ces noms divins sont toujours récités et chantés par les brahmanes lors des rituels au sein des temples. Ils font aussi partie des pratiques yogiques et dévotionnelles de millions d’Hindous et de Tibétains.

Les antiques hymnes védiques, issus de la préhistoire indienne, exerçaient leur pouvoir spirituel non pas à travers leur contenu littéraire, mais grâce aux vibrations sonores des syllabes correctement chantées par des prêtres initiés. Dans l’antiquité de l’Inde, le brahmane était celui qui possédait le Pouvoir du Verbe et qui, par l’exercice du Son Sacré, per-mettait la communication entre le monde manifesté, celui des hommes, et le monde invisible régi par l’Absolu.

Les incantations et les hymnes védiques avaient pour fonction essentielle d’appeler l’harmonie céleste sur le monde terrestre.

Dans certaines écoles de yoga tantriques, il n’est pas demandé à l’adepte de comprendre le sens des mantras que son maître lui enseigne, mais de les exprimer avec l’intona-tion juste ; car le pouvoir réside dans les sons, non dans les mots. Les mantras renferment des syllabes sacrées corres-pondant aux diff érents noms de Dieu : Rama, Shiva, Krish-na, etc. La magie des mantras divins réside dans la puissance énergétique de ces noms sanskrits car ils sont chargés de la ferveur et de la dévotion de milliards de fi dèles qui les ont chantés depuis plusieurs millénaires. Ils sont inscrits dans les annales akashiques, l’inconscient collectif de l’humanité, comme sur un puissant disque dur, il suffi t de se connecter

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à ce programme pour en recevoir la vibration particulière. Le nom de Dieu est ainsi chargé d’énergie spirituelle et celui qui le prononce communique avec son contenu.

La langue hébraïque possède la même puissance spiri-tuelle, c’est pourquoi ses lettres sont sacrées et sont utilisées tant en prière qu’en magie. L’hébreu est une des langues ren-fermant le pouvoir du Verbe.

En Occident, l’utilisation du rosaire, du nom de «Maria» ou de «Jésus Christus» (en latin, car ils furent chargés à travers cette langue) ont un réel pouvoir d’éveil spirituel chez ceux qui savent s’y abandonner. La communion avec la conscience christique peut passer par la récitation de son saint Nom. Mais le Nom divin n’est pas un instrument d’éveil à usage person-nel, c’est une Porte sacrée par laquelle il nous faut accepter de passer, au risque d’y abandonner notre identité illusoire.

Le Mantra Yoga, l'alliance du son, du souffl e et de la conscience

Issu des Tantras traditionnels, le Mantra yoga est une pra-tique spirituelle utilisant les sons sacrés. Diff érentes écoles se

sont répandues dans toute l’Asie. Elles ont la particularité d’utiliser l’alliance du son, du souffl e et de la conscience pour briser les struc-tures mentales des récitants. La disci-pline du Mantra Yo-ga diff usée au XXe siècle par Mishra Ramamurti acquiert une base scientifi que et un esprit fonc-tionnel étrangers

aux chants dévotionnels comme les bhajans et les kirtans. Sri Ramamurti était chirurgien du cerveau, formé au rationa-lisme utilitaire de la médecine occidentale, mais il était aussi un éminent mantra yogi, initié par un maître (Bhagavan Das Boddhisattva) qui, paraît-il, serait mort à l’âge canonique de 230 ans… les mantras, ça conserve… Ramamurti eff ectua alors une synthèse entre l’approche traditionnelle et mystique de la pratique du mantra et les découvertes de la médecine occidentale. Il transmit son art à un disciple occidental : Muz Murray, Ramana Baba, qui anima des séminaires de Mantra Yoga dans toute l’Europe.

La pratique rationnelle du Mantra Yoga consiste en l’uti-lisation de la vibration sonore comme moyen d’action directe sur les centres énergétiques qui régissent les diff érents plans de la conscience : les chakras situés le long de la colonne verté-brale régissent la circulation des énergies vitales dans le corps, mais aussi la qualité d’éveil spirituel qui en dépend. L’action

du son sur ces centres subtils entraîne des modifi cations dans leurs fréquences vibratoires et ouvre leurs possibilités énergé-tiques, souvent entravées par le contenu de notre inconscient. C’est ainsi que le pratiquant verra surgir des méandres de son inconscient, des émotions refoulées depuis l’enfance, ou même issues de vies antérieures.

Le chant mantrique peut opérer un véritable nettoyage de l’inconscient prélude à une thérapie de nos tréfonds et à une libération intérieure. Les vibrations sonores vont aussi agir sur les cellules même du corps, eff ectuant un véritable mas-sage énergétique, car la matière peut être considérée comme «combinaisons variées de longueurs d’ondes vibratoires». Les yogis de l’Inde affi rment que l’énergie qui fait mouvoir les atomes et les planètes est le son. La tradition sanskrite dit que la vibration qui soutient l’univers est le son «AUM», totalité des vibrations sonores du microcosme et du macrocosme.

Le chant dévotionnelBahjans et kirtans

Une autre approche du chant religieux est enseignée en Inde, elle implique une attitude dévotionnelle (Bhakti) à l’encontre du dieu choisi comme support de dévotion. Ces chants sont appelés Bhajans et Kirtans.

Dans ce cas, il s’agit plus d’une attitude intérieure dans la pratique du chant que d’une utilisation codifi ée des sons en eux-mêmes. Les noms de Dieu chantés lors d’un bhajan sont le combustible sacré permettant d’allumer le feu de l’amour divin dans le cœur du dévot qui s’abandonne, à travers le chant et les harmonies musicales, à la divinité de son choix. Il s’agit alors d’une véritable déclaration d’amour dans un mou-vement d’off rande de soi à l’Infi ni, qu’il soit dieu ou déesse. Il n’est pas rare de voir alors couler des larmes de joie et d’extase amoureuse sur les joues des fi dèles de Rama, de Krishna ou de Devi. Amma (Amritananda Mayee) transmet une grande par-tie de son message spirituel à travers ses chants dévotionnels, de magnifi que bhajans, qui la conduisent au seuil de l’extase et plongent ses disciples dans une vibration spirituelle supé-rieure. À Tiruvannamalaï, une sainte femme entre dans une profonde transe extatique dès que l’on chante à ses pieds des bhajans contenant le son sacré AUM. Il arrive parfois que la lettre sanscrite OM apparaisse sur son front… C’est la raison pour laquelle elle porte le nom de Aum Amma.

De grands mystiques, tant en Orient qu’en Occident, ont pu atteindre l’éveil spirituel, ou la fusion amoureuse avec Dieu, rien qu’en chantant jour et nuit leur mantra favori. Mirabaï, princesse du Rajasthan, passa sa vie à chanter des louanges à Krishna. La légende dit qu’à sa mort, celui-ci lui apparut et la reçut dans ses bras.

Au Cachemire, Lalla était devenue l’amante mystique de Shiva à travers la récitation de son nom sacré : «Om Nama Shivaya» ce qui peut se traduire par : «OM, je m’abandonne à Shiva.» Le chant du nom de Shiva est conseillé par de nom-breux maîtres spirituels pour ses eff ets purifi cateurs et l’em-brasement de la conscience qu’il peut conférer. Il est considéré

MuzMurrayRamana Baba

Mantra Yoga

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comme un des plus puissants mantras.Swami Ramdas, au siècle dernier, atteint la réalisation

spirituelle en chantant avec dévotion le mantra : «Om Sri Ram, Jai Ram» dédié à Rama, incarnation de Vishnu. La voie de la dévotion, à travers la pratique des bhajans et des kirtans (plus rythmés et pouvant conduire jusqu’à la transe) réside dans le secret de l’off rande de soi à Dieu. Le dépas-sement, voire la disparition du sens de l’ego qui en résulte dévoile la présence divine qui attend au cœur de l’Etre.

La voie tibétaine,science des vibrations sonores

Le bouddhisme étant issu des traditions de l’Inde, la pratique

des mantras fut adop-tée dès sa naissance sur les bords du Gange. Le Tibet adopta l’éco-le Mahayana qui avait choisi d’incorporer au message du Bouddha nombre de traditions religieuses antérieu-res. C’est ainsi que les enseignements et la symbolique shivaïste vinrent imprégner le bouddhisme du Ti-bet. Padmasambhava, Guru Rimpoche, était un shivaïste et il en arbore toujours le tri-dent dans l’iconogra-phie traditionnelle.

Dans le grand monastère de Rum-

tek, au Sikkim, les moines de l’école Kagyug-pa du Karmapa pratiquent un chant harmonique reposant sur une profonde connaissance des eff ets du son sur la conscience. Le chant des lamas développe d’étranges harmoniques dans lesquels le mental se perd et s’immobilise. Les sons surgissent du plus profond de l’abdomen dans un mode grave comme pour en remuer les sombres recoins et les porter à la lumière lorsque le chant se développe en vibrations harmoniques en mode aigu. À cela s’ajoute l’atmosphère particulière créée par le jeu des cymbales, des trompes et des cloches, parachevant le travail de basculement de la conscience dans d’autres modes de fonctionnement, appelant le vide mental et l’entrée dans la Claire lumière.

La célèbre cérémonie de la Coiff e Noire, arborée par le Karmapa, s’accompagne d’un jeu de trompes tibétaines particulièrement puissant conférant aux participants une cu-rieuse expérience visuelle d’un Karmapa nimbé de lumière. Au Tibet, le mantra le plus sacré, associé à la compassion de

Chenrezi, est «Om Mani Padme Hum», où l’on retrouve le mantra-racine commun aux mantras Hindous : AUM.

Le Zikr, approche des mystiques musulmans

Sans doute sous l’infl uence de la Bhakti de l’Inde, l’Is-

lam iranien et afghan a exploré le pouvoir du chant dévo-tionnel. En Afghanistan, le Zikr était pratiqué par les con-grégations soufi es autour de leur maître, le Pîr. Les hommes assis en un large cercle commençaient à chanter les sourates sacrées. Chacun en-trait peu à peu dans le rythme du Zikr, sou-tenu par le souffl e et le chant, les récitants se laissaient porter par l’énergie du cercle. L’abandon au Nom de Dieu (l’abandon à Al-lah est le fondement même de l’Islam) em-portait le soufi sur le tapis volant de l’extase mystique et de l’oubli de soi : «Lâ ilâha illâ’llâh» (il n’y a de dieu si ce n’est Dieu). Le balancement des corps et le rythme de la sourate sainte portaient les âmes vers leur source qui, selon le Coran, est plus près d’eux-mêmes que leur propre veine jugulaire : Allah.

Le Zikr est réputé avoir une vertu active purifi ante. Dans son ouvrage «En Islam iranien», Henri Corbin défi nit la nature profonde du Zikr : «Le Zikr est un feu qui pénètre dans la demeure en proclamant : - Moi seul, et rien d’autre que Moi ! –Tout ce qu’il y trouve de matière combustible, il l’incendie. S’il trouve des ténèbres, il les illumine. S’il y trouve déjà de la lumière, c’est lumière sur lumière. De tou-tes les pratiques spirituelles, c’est le Zikr qui est le mieux à même de libérer l’Energie spirituelle...». La pratique du Zikr peut durer toute la nuit jusqu’à la transe extatique du groupe de récitants. L’Islam possède aussi ses mantras : la récitation des 99 noms de Dieu.

Malheureusement, la plupart des grands maîtres soufi s disparurent de l’Afghanistan au cours de la période sovié-tique, et il est diffi cile de savoir si la pratique traditionnelle du Zikr a perduré au cours des années troubles qui suivi-rent. Une lignée particulière de sou-fi s musiciens naquit à Ajmer, en Inde, il y a quelques siècles. Son message fut en-seigné en Occident dans les années 30

Robert Monroe

Hazrat Inayat Khan

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En Occident chrétien

Bibliographie :Alain Danielou : origine et pouvoir de la musique (Ed. Kailash)Henry Corbin : En Islam IranienTh omas Ashley Farrand : “Mantras sacred words of power” et “Healing mantra”

Sites internet :www.mantra- yoga.com/ site de ramanababasanatansociety.org sur le pouvoir de OMwww.sanskritmantras.com site de T. Ashley Farrandwww.spiritsound.com site de David Gordonwww.resonant-worlds.com site de Vincent Baettigwww.laurent-danis.com site de Laurent Danis

par Hazrat Inayat Khan, qui était joueur de Vina. Il fut relayé par son fi ls : Pîr Vilayat Khan, qui jouait du violoncelle et introduisit la pratique collective du chant dans son enseigne-ment. À l’heure actuelle c’est son fi ls qui continue de transmet-tre ce message spirituel.

Les hymnes et les harmonies célestes sont le langage des anges, entièrement occupés à chanter la Gloire de Dieu. Les cieux résonnent de leurs louanges, car ils vibrent avec la musi-que des sphères.

Le monde chrétien, tant catholique qu’orthodoxe, pra-tique le chant sacré sous la forme de cantiques et d’hymnes. La liturgie utilise, comme en Orient, les sonorités de cuivre et de bronze, sans toutefois provoquer d’eff ets profonds dans l’inconscient des fi dèles. Le chant grégorien opère un travail vibratoire sur les centres d’énergie supérieurs. Il suffi t de les écouter, en l’abbaye de Solesme par exemple, pour ressentir les vibrations répercutées par les voûtes gothiques sur les chakras du cœur, de la gorge et du front. Si on y ajoute l’abandon de soi au cantique, il est possible d’en ressentir la caresse sur le sommet intérieur du crâne, là où réside le chakra aux mille pétales. Le chant grégorien élève l’esprit sans élever le corps.

Par contre l’atmosphère musicale des chants orthodoxes opère un travail vibratoire dans les fondements énergétiques du corps. Les chants des popes vont agir aussi sur les chakras de l’abdomen et du bas-ventre, soulevant l’ensemble de la créature vers son Seigneur, sans omettre ses aspects les plus vitaux. C’est dans l’Église d’Orient qu’est née la fameuse prière du cœur : l’Hésychasme, qui rejoint l’esprit de la Bhakti dévotionnelle de l’Inde.

Sans doute faudrait-il être aussi vigilant quant à notre nourriture musicale et sonore, qu’au sujet de la qualité de nos

aliments ou de l’air que l’on respire. Notre corps physique vibre sous l’infl uence des ondes sonores qui le traversent, mais aussi nos corps énergétiques et subtils qui le sous-tendent. No-tre Être spirituel a soif d’une nourriture vibratoire qui puisse révéler sa présence à notre conscience captive : «Attention à ce que tu écoutes, tu pourrais bien le deve-nir».

En défi -nitive, le but ultime de toute musique, de tout chant sacré, ne serait-il pas le retour au silence intérieur afin que se révèle la plénitude de l’Être dans toute sa lumière ?r