Sacrees Sorcieres - Roald Dahl

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Ebook.

Transcript of Sacrees Sorcieres - Roald Dahl

  • Roald Dahl

    Sacres sorcires

    Illustrations de Quentin Blake

    Traduit de langlais par Marie-Raymond Farr

  • GALLIMARD JEUNESSE

  • Roald Dahl :

    bien plus que de belles histoires ! Saviez-vous que 10 % des droits dauteur* de ce livre sont verss aux

    associations caritatives Roald Dahl ?La Roald Dahl Foundation soutient des infirmires spcialises qui

    soignent des enfants atteints dpilepsie, de maladies du sang et detraumatismes crniens travers le Royaume-Uni. La Fondation apporteaussi une aide matrielle aux enfants et adolescents souffrant dedifficults de lecture ou de troubles crbraux ou sanguins (des causesqui furent chres Roald Dahl tout au long de sa vie) en finananthpitaux et associations caritatives et en mettant des bourses ladisposition denfants et de familles.

    Le Roald Dahl Musum and Story Centre est situ aux abords deLondres, dans le village de Great Missenden (Buckinghamshire) o RoaldDahl vivait et crivait. Au cur du muse, dont le but est de susciterlamour de la lecture et de lcriture, sont archivs les inestimables lettreset manuscrits de lauteur. Outre deux galeries pleines de surprises etdhumour consacres sa vie de faon dynamique, le muse est dotdun atelier dcriture interactif (Story Centre) o parents, enfants,enseignants et lves peuvent dcouvrir lunivers passionnant de lacration littraire.

    * Les droits dauteur verss sont nets de commission.

    www.roalddahlfoundation.org

    www.roalddahlmuseum.org

  • La Roald Dahl Foundation (RDF) est une association caritativeenregistre sous le n1004230.

    Le Roald Dahl Musum and Story Centre (RDMSC) est uneassociation caritative enregistre sous le n1085853.

    Le Roald Dahl Charitable Trust, une association caritativercemment cre, soutient laction de la RDF et du RDMSC.

  • Titre original : The Witches

    Roald Dahl Nominee Ltd, 1983, pour le texte

    Quentin Blake, 1983, pour les illustrations ditions Gallimard, 1984, pour la traduction franaise ditions Gallimard Jeunesse, 2007, pour la prsente

    dition

  • Pour Liccy

  • Les vraies sorcires

    Dans les contes de fes, les sorcires portent toujours

    de ridicules chapeaux et des manteaux noirs, et volent califourchon sur des balais.

    Mais ce livre nest pas un conte de fes.Nous allons parler des vraies sorcires, qui vivent

    encore de nos jours. Ouvrez grand vos oreilles, et noubliezjamais ce qui va suivre. Cest dune importance capitale.Voici ce que vous devez savoir sur les vraies sorcires :

    Les vraies sorcires shabillent normalement, et

    ressemblent la plupart des femmes. Elles vivent dansdes maisons, qui nont rien dextraordinaire, et ellesexercent des mtiers tout fait courants.

    Voil pourquoi elles sont si difficiles reprer !Une vraie sorcire dteste les enfants dune haine

    cuisante, brlante, bouillonnante, quil est impossibledimaginer. Elle passe son temps comploter contre lesenfants qui se trouvent sur son chemin. Elle les faitdisparatre un par un, en jubilant. Elle ne pense qu a, dumatin jusquau soir. Quelle soit caissire dans unsupermarch, secrtaire dans un bureau ou conductricedautobus.

    Son esprit est toujours occup comploter etconspirer, mijoter et mitonner, finasser et fignoler des

  • projets sanglants. Quel enfant, oui, quel enfant vais-je passer la

    moulinette ? pense-t-elle, longueur de journe.Une vraie sorcire prouve le mme plaisir passer

    un enfant la moulinette quon a du plaisir manger desfraises la crme. Elle estime quil faut faire disparatre unenfant par semaine ! Si elle ne tient pas ce rythme, elle estde mchante humeur. Un enfant par semaine, celareprsente cinquante-deux enfants par an !

    Un tour, deux tours de moulinette, et hop ! plusdenfant !

    Telle est la devise des sorcires.Mais la victime est souvent choisie avec soin. Voil

    pourquoi une sorcire traque un enfant comme un chasseurtraque un petit oiseau dans la fort. La sorcire marche pas feutrs elle bouge lentement, au ralenti de plus enplus prs puis enfin, elle est prte et pfroutt ! elle foncesur sa victime comme un faucon. Des tincelles crpitent,des flammes jaillissent, des rats rugissent, des lionsfulminent Et lenfant disparat !

  • Une sorcire, vous comprenez, nassomme pas un

    enfant ; elle ne le poignarde pas dans le dos ; elle ne le tuepas dun coup de pistolet. Les gens qui se conduisent ainsifinissent par tre capturs par la police.

    Mais une sorcire nest jamais jete en prison.Noubliez pas quelle a de la magie au bout des doigts, etle diable dans la tte. Grce ses pouvoirs magiques, lespierres peuvent bondir comme des grenouilles, et deslangues de feu papilloter la surface des eaux.

    Terrifiants pouvoirs !Heureusement, il ny a plus beaucoup de sorcires, de

    nos jours. Mais il en reste suffisamment pour vous donnerle frisson. En Angleterre, il y en a probablement une

  • centaine. Certains pays en ont plus, dautres beaucoupmoins. Mais aucun pays au monde nest labri dessorcires.

    Une sorcire, cest toujours une femme.Je ne veux pas dire du mal des femmes. La plupart

    sont adorables. Mais le fait est que les sorcires sonttoujours des femmes et jamais des hommes.

    Il ny a pas de sorcier, mais il y a des vampires ou desloups-garous, qui, eux, sont toujours des hommes. Lesvampires et les loups-garous sont dangereux, mais unesorcire est deux fois plus dangereuse !

    En tout cas, pour les enfants, une vritable sorcire estla plus dangereuse des cratures. Ce qui la renddoublement dangereuse, cest quelle a lair inoffensive !Mme si vous tes bien au courant (et bientt, vous allezconnatre tous les secrets des sorcires), vous ntesjamais absolument sr dtre en prsence dune sorcireou dune charmante femme.

    Si un tigre pouvait se transformer en un gros chien quiremue la queue, vous iriez certainement lui caresser lemuseau, et vous seriez le festin du tigre ! Cest pareilavec les sorcires, car elles ressemblent toutes desfemmes gentilles.

    Veuillez regarder le dessin :Laquelle des deux femmes est une sorcire ?Question difficile !Et pourtant, tous les enfants devraient pouvoir

    rpondre sans hsitation.

  • Maintenant, vous savez que votre voisine de palier

    peut tre une sorcire.Ou bien la dame aux yeux brillants, assise en face de

    vous dans le bus, ce matin.Ou mme cette femme au sourire blouissant qui vous

    a offert un bonbon, au retour de lcole.Ou encore (et ceci va vous faire sursauter !) votre

    charmante institutrice qui vous lit ce passage en cemoment mme. Regardez-la attentivement. Elle souritsrement, comme si ctait absurde. Mais ne vous laissezpas embobiner. Elle est trs habile.

    Je ne suis pas, bien sr, mais pas du tout, en traindaffirmer que votre matresse est une sorcire. Tout ceque je dis, cest quelle peut en tre une. Incroyable ?mais pas impossible !

  • Oh ! si seulement il y avait un moyen de reconnatre

    coup sr une sorcire, alors, cest elle qui passerait lamoulinette ! Malheureusement, il nexiste pas de moyensr. Mais il y a un certain nombre de petits signes et depetites habitudes bizarres que partagent toutes lessorcires. Et si vous les connaissez, alors, vous pourrezchapper la moulinette pendant quil est encore temps !

  • Grand-mre

    huit ans, javais dj rencontr deux fois des

    sorcires. La premire fois, je men tais tir sain et sauf.Jeus moins de chance la deuxime fois. Lorsque vouslirez ce qui marriva, vous pousserez, sans doute, des crisdeffroi. Mais il faut dire toute la vrit, mme si elle esthorrible. Enfin, je vis toujours, et je peux vous parler (mmesi je ne suis plus ce que jtais !), et cela, je le dois mamerveilleuse grand-mre.

    Grand-mre tait norvgienne, et les Norvgiens

    connaissent bien les sorcires. Avec ses sombres forts etses montagnes enneiges, la Norvge est le pays nataldes premires sorcires. Mes parents taient galementnorvgiens, mais comme mon pre travaillait enAngleterre, cest l que je suis n et que je suis all lcole pour la premire fois.

    Nol et en t, nous revenions voir Grand-mre enNorvge. La vieille dame, si je me souviens bien, tait laseule parente qui nous restait. Ctait la mre de ma mre,je ladorais et je dois avouer que je me sentais plus prochedelle que de ma mre. Ensemble, nous parlions tanttanglais tantt norvgien, peu nous importait. Nous parlionscouramment les deux langues.

    Je venais davoir sept ans. Comme dhabitude, mes

  • parents memmenrent en Norvge pour passer Nol chezGrand-mre. Alors que nous roulions au nord dOslo par unfroid glacial, notre voiture drapa et dgringola dans unravin. Mes parents moururent sur le coup. Ma ceinture descurit me retint au sige arrire, et je men sortis avecune simple blessure au front.

    Je ne raconterai pas les vnements horribles de ce

    terrible aprs-midi. Lorsque jy pense, jen ai encore desfrissons. Bien sr, jchouai dans la maison de Grand-mre. Elle me serra trs fort dans ses bras, et nouspassmes toute la nuit sangloter.

    Quallons-nous faire, prsent ? demandai-je. Tu vas rester avec moi, rpondit-elle. Je

    moccuperai de toi. Je ne reviendrai pas en Angleterre ? Non, dit-elle. Je ne pourrai pas y vivre. Dieu me

    pardonne, mais jaime trop la Norvge.Le lendemain, esprant me faire oublier mon chagrin,

    Grand-mre se mit me raconter des histoires. Ctait unemerveilleuse conteuse, et tout ce quelle disait me captivait.

    Mais je fus vritablement envot lorsquellecommena me parler des sorcires.

    Attention, mon petit, dit Grand-mre. Je vais te

    parler des vraies sorcires. Il ne sagit pas des sorciresdes contes de fes, mais de cratures bien vivantes ! Jene mentirai jamais. Je te dirai lhorrible et lpouvantablevrit. Tout ce que je vais te raconter est rellement arriv.

  • Et le pire, cest que les sorcires vivent toujours parminous, et quelles ressemblent nimporte quelle femme. Ilfaut que tu me croies sur parole.

    Pourquoi ? Est-ce incroyable, Grand-mre ?

    Mon petit, dit-elle, tu ne feras pas long feu dans ce

    bas monde si tu ne sais pas reconnatre une sorcire. Mais tu mas dit que les sorcires ressemblaient

    nimporte quelle femme ! Alors, comment les reconnatre ? coute-moi attentivement, dit Grand-mre. Et

    retiens bien tout ce que je vais tapprendre. Aprs tu feras

  • le signe de croix, tu prieras, et tu souhaiteras que Dieu teprotge.

    Nous nous trouvions dans la grande salle manger desa maison dOslo, et je mapprtais aller au lit. Lesrideaux ntaient jamais tirs et, par la fentre, je voyais degros flocons de neige tomber sur un monde triste etsombre. Grand-mre tait une femme forte et massive, trsvieille et trs ride, vtue dune robe de dentelle grise.Majestueuse, elle trnait dans son fauteuil, o il ny avaitpas place pour la moindre souris ! Quant moi, jtaisaccroupi ses pieds, en pyjama, robe de chambre etpantoufles.

    Tu jures que tu ne vas pas te moquer de moi,Grand-mre ?

    coute, dit-elle. Jai connu cinq enfants, oui, cinqenfants, qui ont disparu de cette terre, et quon na plusjamais revus. Un coup des sorcires.

    Tu essaies de me faire peur ! mcriai-je. Tout ce que je veux, dit-elle, cest que tu ne

    disparaisses pas, toi aussi. Je taime, et je veux que turestes avec moi.

  • Parle-moi des enfants qui ont disparu, demandai-je.Ctait la seule grand-mre, que jai connue, qui fumait

    le cigare. Elle en alluma un, un long cigare noir qui sentait

  • le caoutchouc brl. La premire enfant, commena-t-elle, sappelait

    Ranghild Hansen. Ranghild tait une petite fille de huit ans.Un jour, elle jouait sur la pelouse avec sa petite sur. Leurmre, qui prparait du pain dans la cuisine, sortit pourrespirer un peu.

    O est Ranghild ? demanda-t-elle. Elle est partie avec la grande dame , rpondit la

    petite sur. Quelle grande dame ? demanda la mre. La grande dame aux gants blancs, rpondit la petite

    sur. Elle a pris Ranghild par la main, et la emmeneavec elle.

    Personne ne revit jamais Ranghild. Est-ce quon la cherche ? demandai-je. On la cherche des kilomtres la ronde,

    rpondit Grand-mre. Tous les gens du village sy sont mis,mais ils ne lont jamais retrouve.

    Quest-il arriv aux quatre autres enfants ?demandai-je.

    Ils ont disparu, tout comme Ranghild. Avant chaquedisparition, une trange dame rdait devant la maison.

    Mais comment ont-ils disparu, Grand-mre ? La seconde disparition fut fort curieuse. Les

    Christiansen vivaient Holmenkollen, et, dans leur salle manger, il y avait une vieille peinture lhuile dont ils taienttrs fiers. Le tableau reprsentait des canards dans unecour, devant une ferme. part cette flope de canards, il

  • ny avait aucun personnage. Ctait un grand et beautableau. Eh bien, un jour, leur fille Solveg revint de lcoleen croquant une pomme. Elle dit quune gentille dame la luiavait donne dans la rue. Le lendemain matin, la petiteSolveg ntait plus dans son lit. Ses parents la cherchrentpartout, en vain. Puis, soudain, le pre scria : Je laitrouve ! Solveg donne manger aux canards ! Ildsignait le tableau et, en effet, Solveg sy trouvait. Dans lacour de la ferme, elle faisait le geste de jeter du pain auxcanards. Le pre courut vers le tableau, et le toucha. Maiscela ne servit rien : la petite fille faisait partie du tableau.Elle tait peinte sur la toile !

  • Las-tu vu ce tableau, Grand-mre ? Plusieurs fois, et le plus curieux, cest que la petite

    Solveg changeait chaque jour de place. Une fois, elleregardait par la fentre de la ferme. Une autre fois, elle setenait sur le ct gauche du tableau, un canard dans lesbras

    Las-tu vue changer de place, Grand-mre ? Non, a, personne ne la vu. Quand elle donnait

    manger aux canards ou quelle regardait par la fentre, ellene bougeait pas. Ce ntait quun petit personnage peint lhuile. Et de plus, elle grandissait avec les annes ! Dixans plus tard, la petite fille tait devenue une jeune fille.Trente ans plus tard, ctait une femme mre. Cinquante-quatre ans plus tard, elle disparut brusquement du tableau.

    Elle tait morte, Grand-mre ? Sait-on jamais ? Il se passe de si mystrieux

    vnements dans le monde des sorcires Quest-il arriv au troisime enfant, Grand-mre ? La troisime sappelait Birgit Svenson. Elle vivait en

    face de ma maison. Un jour, des plumes se sont mis luipousser sur le corps. En un mois, elle tait devenue unegrosse poule blanche. Et bientt, elle se mit pondre desufs ! Pendant des annes, ses parents la gardrent dansun enclos, au milieu du jardin.

    Ils taient comment ces ufs, Grand-mre ? Ctaient les plus gros ufs bruns que jaie jamais

    vus. Sa mre en faisait de dlicieuses omelettes.Je regardai Grand-mre, qui ressemblait une vieille

    reine assise sur son trne. Ses yeux gris paraissaient fixer

  • un point, au loin. Seul son cigare semblait rel, et desnuages de fume bleue tournoyaient autour de sa tte.

    Mais la petite fille qui sest change en poule, a-t-elle disparu ? demandai-je.

    Non, rpondit Grand-mre. Pas Birgit. Elle a vcuce que vivent les poules, quelques annes, en pondanttoujours des ufs bruns.

    Tu mavais dit que tous les enfants avaient disparu.

    Je me suis trompe, rpliqua Grand-mre. Je suis

    vieille et je perds la mmoire. Quest-il arriv au quatrime enfant, Grand-mre ? Le quatrime tait un garon nomm Harald. Un

    matin, il se rveilla avec la peau toute jaune, dure etcraquele, comme une vieille noix. Et, le soir, il staitchang en pierre.

  • En pierre ? rptai-je, tonn. En granit ! dit Grand-mre. Je temmnerai le voir,

    si tu veux. Ses parents le gardent toujours la maison.Harald est une petite statue quon a place dans levestibule. Les visiteurs accrochent leur parapluie sonbras !

    Bien que trs jeune, je ntais pas prt gobernimporte quoi ! Mais Grand-mre par lait avec conviction,srieusement, sans jamais sourire, sans un clair demalice dans ses yeux. Aussi commenai-je tre branl.

    Continue, Grand-mre. Tu mas dit quils taientcinq. Quest-il arriv au dernier ?

  • Veux-tu tirer une bouffe de mon cigare ? Je nai que sept ans, Grand-mre. Aucune importance, dit-elle. Si tu fumes le cigare, tu

    ne prendras jamais froid. Et le cinquime enfant ? rptai-je. Le cinquime marmonna-t-elle, en mchonnant le

    bout de son cigare, comme si elle grignotait une dlicieuseasperge. Ce fut un cas trs intressant. Un enfant de neufans, nomm Leif, passait ses grandes vacances avectoute sa famille, dans un fjord. Aprs avoir pique-niqu, sesparents se mirent nager entre les rochers, et le jeune Liefplongea. Son pre, qui lobservait, remarqua quil restaitsous leau plus longtemps que dhabitude. Quand, enfin, ilrevint la surface, Lief tait devenu un marsouin.

    Non, ce nest pas vrai ! mcriai-je.

  • Ctait un ravissant petit marsouin, extrmement

    amical. Il a t transform en marsouin ? dis-je. Absolument, rpondit Grand-mre. Je connaissais

    bien sa mre. Elle me raconta que Lief, le marsouin, restatout laprs-midi avec sa famille, et quil promena sessurs et ses frres cheval sur son dos. Ce fut unmerveilleux moment. Puis Lief fit au revoir en agitant lanageoire, et sloigna. On ne la plus jamais revu.

    Mais comment sa famille savait-elle que lemarsouin tait Lief ?

    Parce quil parlait, rpondit Grand-mre. Il riait et

  • plaisantait avec eux tout le temps. a a d faire un drame dans la famille Pas vraiment, dit Grand-mre. Rappelle-toi que

    nous avons lhabitude de ce genre dvnement, enNorvge. Les sorcires sont parmi nous. Il y en aprobablement une dans la rue, en ce moment. Cest lheuredaller au lit.

    Une sorcire pourrait-elle entrer dans ma chambrepar la fentre ? demandai-je, frissonnant un peu.

    Non, rpondit Grand-mre. Une sorcire ne ferajamais des choses aussi stupides que de grimper le longdes gouttires et pntrer chez les gens par effraction. Tuseras en scurit dans ton lit. Allons, viens, je vais teborder.

  • Comment reconnatre une sorcire ?

    Le lendemain soir, aprs mon bain, Grand-mre

    memmena dans la salle de sjour pour me raconter lasuite.

    Aujourdhui, commena Grand-mre, je vaistapprendre les dtails qui permettent de reconnatre unesorcire.

    coup sr ? demandai-je. Pas vraiment, rpondit-elle. Cest bien l le

    problme. Mais cela pourra ttre utile.Elle laissa tomber les cendres de son cigare sur sa

    robe, et jesprai quelle ne prendrait pas feu avant demavoir fait ses rvlations.

    Dabord, dit-elle, une sorcire porte des gants. Pas toujours, dis-je. Pas en t, lorsquil fait chaud. Mme en t, dit Grand-mre. Elle doit porter des

    gants. Veux-tu savoir pourquoi ? Bien sr, rpondis-je. Parce quune sorcire na pas dongles. Elle a des

    griffes, comme un chat, et elle porte des gants pour lescacher. Remarque que beaucoup de femmes portent desgants, surtout en hiver. Donc, ce dtail est insuffisant.

    Maman portait des gants, dis-je. Pas la maison, dit Grand-mre. Les sorcires

    portent des gants, mme chez elles. Elles ne les enlvent

  • que pour aller dormir. Comment sais-tu tout a, Grand-mre ? Ne minterromps pas sans cesse, dit-elle. coute-

    moi jusquau bout. Ensuite une sorcire est toujourschauve.

    Chauve ! mexclamai-je. Chauve comme un uf, poursuivit Grand-mre.Quel choc ! Une femme chauve, cela ne court pas les

    rues ! Pourquoi sont-elles chauves, Grand-mre ? Ne me demande pas pourquoi, rpliqua-t-elle.Mais tu peux me croire. Aucun cheveu ne pousse sur la

    tte dune sorcire. Cest horrible ! Rpugnant ! dit Grand-mre. Si les sorcires sont chauves, dis-je, il est facile de

    les dmasquer. Pas du tout, rpliqua Grand-mre. Une sorcire

    porte toujours une perruque, une perruque de premirequalit. Il est peu prs impossible de distinguer saperruque de vritables cheveux. moins de lui tirer lescheveux !

    Cest ce que je ferai ! Ne sois pas idiot, dit Grand-mre. Tu ne peux pas

    tirer les cheveux de toutes les femmes que tu rencontres,mme si elles portent des gants ! Essaie, et tu verras cequi tarrivera.

    Alors, ce que tu mapprends ne peut pas me servir,dis-je.

  • Aucun de ces dtails nest suffisant, dit Grand-mre. Mais si tu remarques ces deux dtails runis chez lamme femme, cest srement une sorcire. Remarque quele port de cette perruque pose un srieux problme.

    Quel problme ? demandai-je. Une irritation de la peau, rpondit-elle. Si une

    actrice porte une perruque, elle la met sur ses cheveux,comme toi ou moi. Mais une sorcire pose directement saperruque sur son cuir chevelu. Le dessous dune perruqueest toujours rugueux. Ce qui donne une affreusedmangeaison. Les sorcires appellent cela la gratouillede la perruque. Et il ne sagit pas dune mince gratouillette.

    Y a-t-il dautres trucs pour reconnatre unesorcire ?

    Oui, rpondit Grand-mre. Observe les narines. Lessorcires ont des narines plus larges que la plupart desgens. Le bord de leurs narines est rose et recourb,comme celui dune coquille Saint-Jacques.

    Pourquoi ont-elles de si larges narines ? demandai-je.

    Pour mieux sentir, rpondit Grand-mre. Unesorcire a un flair stupfiant. Elle peut flairer un enfant quise trouve de lautre ct de la rue, en pleine nuit.

    Elle ne pourrait pas me sentir, dis-je. Je viens deprendre un bain !

    Dtrompe-toi ! scria Grand-mre. Un enfantpropre sent horriblement mauvais pour une sorcire. Plustu es sale, moins elle te sent.

    Cest absurde

  • Mais pourtant vrai, dit Grand-mre. Ce nest pas lasalet que sent la sorcire, mais la propret ! Lodeur de lapeau dun enfant dgote la sorcire. Cette odeur suintepar vagues. Ces vagues puantes, comme disent lessorcires, flottent dans lair et viennent frapper leursnarines comme une gifle, ce qui les fait tituber !

    coute-moi, Grand-mre Ne minterromps pas, dit-elle. Cest ainsi. Si tu ne

    tes pas lav pendant une semaine, ta peau est sale. Alors,videmment, les vagues puantes ne suintent pas avecautant de force.

    Je ne prendrai plus de bains, dcidai-je, aussitt. Nen prends pas trop souvent, dit Grand-mre. Un

    bain par mois, cest bien suffisant pour un enfant.Cest ces moments-l que jaimais le plus Grand-

    mre. Grand-mre, dis-je. Sil fait nuit noire, comment une

    sorcire sent-elle la diffrence entre une grande personneet un enfant ?

    Parce que la peau des adultes ne sent pasmauvais, rpondit-elle. Seulement la peau des enfants.

    Mais moi, est-ce que jempeste ? Pas pour moi, rpondit Grand-mre. Pour moi, tu

    sens la fraise la crme. Mais, pour une sorcire, tonodeur est dgotante.

    Quest-ce que je sens ? demandai-je. Le caca de chien, rpondit Grand-mre. Le caca de chien ! criai-je, compltement

    abasourdi. Mais ce nest pas vrai !

  • Il y a pire, ajouta Grand-mre avec une pointe demalice. Pour une sorcire, tu sens le caca de chien toutfumant !

    Cest archifaux ! mcriai-je. Je ne sens pas le cacade chien, fumant ou non !

    Cest un fait, dit Grand-mre. Inutile den discuter.Jtais rvolt. Je narrivais pas croire ce que venait

    daffirmer Grand-mre. Si tu vois une femme se boucher le nez en te

    croisant dans la rue, ajouta-t-elle, cest srement unesorcire.

    Dis-moi vite un autre dtail pour reprer unesorcire, demandai-je, voulant changer de sujet.

    Les yeux, dit Grand-mre. Observe bien les yeux.Les yeux dune sorcire sont diffrents des tiens ou desmiens. Regarde bien la pupille toujours noire chez lesgens. La pupille dune sorcire sera colore et tu y verrasdanser des flammes et des glaons ! De quoi te donnerdes frissons !

    Grand-mre, satisfaite, senfona dans son fauteuil etrejeta une bouffe de son cigare qui empestait. Moi, jtaisassis ses pieds, la regardant, fascin. Elle ne souriaitpas, elle avait lair trs srieuse.

    Y a-t-il dautres dtails ? demandai-je. Oui, bien sr, dit Grand-mre. Tu ne sembles pas

    trs bien comprendre que les sorcires ne sont pas devraies femmes ! Elles ressemblent des femmes. Ellesparlent comme des femmes. Elles agissent comme desfemmes. Mais ce ne sont pas des femmes ! En ralit, ce

  • sont des cratures dune autre espce, ce sont desdmons dguiss en femmes. Voil pourquoi elles ont desgriffes, des crnes chauves, des grandes narines et desyeux de glace et de feu. Elles doivent cacher tout cela, pourse faire passer pour des femmes.

    Y a-t-il dautres trucs pour les dmasquer, Grand-mre ? rptai-je.

    Les pieds, dit-elle. Elles nont pas dorteils. Pas dorteils ! mcriai-je. Mais quest-ce quelles

    ont la place ? Rien, rpondit Grand-mre. Elles ont des pieds au

    bout carr, sans orteils. Marchent-elles avec difficult ? demandai-je. Un peu, rpondit Grand-mre. Elles ont quelques

    problmes avec les chaussures. Toutes les femmes aimentporter de petits souliers pointus, mais une sorcire, dontles pieds sont trs larges et carrs, prouve un vritablecalvaire pour se chausser.

  • Pourquoi ne portent-elles pas des souliers

    confortables au bout carr ? Elles nosent pas, rpondit Grand-mre. De mme

    quelles cachent leur calvitie sous des perruques, lessorcires cachent leurs pieds carrs dans de jolieschaussures pointues.

    Ce doit tre terriblement inconfortable, dis-je. Extrmement inconfortable, dit Grand-mre. Mais

  • elles les portent quand mme. Donc, ce dtail-l ne maidera pas reconnatre

    une sorcire ? dis-je. En effet ! soupira Grand-mre. Tu peux, si tu es trs

    attentif, reconnatre une sorcire, parce quelle boitelgrement.

    Est-ce quil y a dautres dtails. Grand-mre ? Oui, il y a un dtail de plus, rpondit Grand-mre.

    Un dernier dtail. La salive dune sorcire est bleue. Bleue ! mcriai-je. Cest impossible ! Aucune

    salive nest bleue. Bleu myrtille ! prcisa-t-elle. Cest absurde, Grand-mre. Aucune femme na la

    salive bleu myrtille ! Si, les sorcires ! rpliqua-t-elle. Bleue comme de lencre ? demandai-je. Exactement, dit-elle. Elles utilisent des porte-plume

    et elles nont qu lcher la plume pour crire ! Si une sorcire me parlait, je pourrais voir cette

    salive bleue, Grand-mre, oui ou non ? Seulement si tu regardes attentivement, rpondit-

    elle. Trs attentivement. Tu pourrais voir un peu de bleu surleurs dents. Mais cela ne se voit presque pas.

    Et si elle crache ? demandai-je. Les sorcires ne crachent jamais, rpondit Grand-

    mre. Elles nosent pas.

  • Je ne pouvais pas croire que Grand-mre tait en train

    de me raconter des bobards. Elle allait la messe tous lesmatins, et rcitait le bndicit avant chaque repas. Unepersonne si chrtienne ne ment jamais. Je finissais parcroire tout ce quelle mavait appris, mot pour mot.

    Voil, dit Grand-mre. Cest tout ce que je peux tedonner comme renseignements sur les sorcires. Celataidera un peu. On ne peut jamais tre absolument srquune femme nest pas une sorcire, juste au premier

  • coup dil. Mais si une femme porte des gants et uneperruque, si elle a de grandes narines et des yeux de glaceet de feu, et si ses dents sont lgrement teintes debleu alors, file lautre bout du monde !

    Grand-mre, quand tu tais petite, as-tu rencontrune sorcire ?

    Une fois, dit Grand-mre. Rien quune fois. Et quest-il arriv ? Je ne veux pas te le dire, rpondit Grand-mre.

    Cela teffraierait et te donnerait des cauchemars. Sil te plat, raconte-moi, priai-je. Non, dit-elle. Certaines choses sont trop horribles

    pour tre racontes. Est-ce que cela a un rapport avec le pouce qui te

    manque ? demandai-je.Soudain, les vieilles lvres rides se fermrent comme

    des tenailles. La main qui tenait le cigare (celle qui navaitplus de pouce) se mit trembler.

    Jattendais. Elle ne me regardait plus. Elle ne meparlait plus. Elle stait referme comme un escargot danssa coquille. La conversation tait finie.

    Bonne nuit, Grand-mre, dis-je, en me redressant eten lembrassant sur la joue.

    Elle ne bougea pas.Je quittai la pice en catimini, et je partis me coucher.

  • La grandissime sorcire

    Le lendemain, un homme vtu de noir, une serviette decuir la main, se prsenta chez Grand-mre. Il eut unelongue conversation avec elle, dans la salle manger. Jeneus pas le droit dentrer, mais, aprs le dpart delhomme, Grand-mre sapprocha lentement de moi, lairattrist.

    Le notaire ma lu le testament de ton pre, dit-elle. Quest-ce quun testament ? demandai-je. Cest un document sur lequel on crit qui va hriter

    de largent ou des biens que lon possde, aprs sa mort.Mais surtout, si lon a un enfant, le testament indique lapersonne qui va sen occuper, aprs la mort des deuxparents.

    Cest bien toi qui vas toccuper de moi ? mcriai-je, pris de panique. Pas quelquun dautre ?

    Non, dit Grand-mre. Ton pre naurait jamais voulua. Sur le testament, il me demande de veiller sur toi tantque je vivrai. Mais il ajoute quil faut que je te ramne cheztoi, en Angleterre.

    Pourquoi ne pas rester en Norvge ? demandai-je.Tu mas dit que tu ne pourrais pas vivre ailleurs !

    Je sais, fit-elle. Mais il y a des problmescompliqus dargent et de maison, que tu aurais du mal comprendre. Toute ta famille est norvgienne, mais tu esn en Angleterre, tu y as commenc tes tudes, et ton pre

  • veut que tu les continues l-bas. Oh, Grand-mre ! mcriai-je. Je sais que tu nas

    pas du tout envie daller vivre en Angleterre. Non, bien sr, mais il le faut, dit Grand-mre. Le

    testament prcise que ta mre le dsire aussi, et je doisrespecter les dernires volonts de tes parents. Il ny a riendautre faire. La rentre du deuxime trimestrecommence dans quelques jours. Donc, pas de temps perdre pour prparer nos valises.

    La veille de notre dpart, Grand-mre reprit son sujetfavori, les sorcires.

    Il ny a pas autant de sorcires en Angleterre quenNorvge.

    Avec tout ce que tu mas appris, dis-je, je saurai lesviter.

    Je lespre, soupira Grand-mre. Car les sorciresanglaises sont les plus mchantes du monde.

    Tandis quelle fumait son cigare nausabond, jeregardais la main au pouce manquant. Je ne pouvais pasmen empcher. Cela me fascinait. Je me demandaisquelle horrible chose tait arrive lorsque Grand-mre,petite fille, avait rencontr une sorcire. Cela avait d treabsolument pouvantable, sinon elle me laurait racont.Jessayais de deviner Lui avait-on dviss le pouce ?Avait-elle t oblige de le fourrer dans le bec dunebouilloire ? Ou lui avait-on arrach le pouce comme onarrache une dent ?

    Dis-moi, Grand-mre, pourquoi les sorciresanglaises sont-elles les plus mchantes au monde ?

  • demandai-je. Eh bien, fit-elle, en rejetant une bouffe de son

    affreux cigare, leur tour favori est de prparer des poudrespour changer les enfants en animaux dgotants !

    En quoi, par exemple ? En limaces ! Les grandes personnes dtestent les

    limaces, alors, elles les crasent, sans savoir quil sagit deleurs enfants.

    Mais cest horrible ! mcriai-je.

    Parfois, elles les changent en puces, continua

    Grand-mre. Et les mres, sans savoir ce quelles font,bombardent leurs enfants dinsecticide, et adieu !

  • Tu minquites, Grand-mre. Je ne veux pas

    retourner en Angleterre. Jai connu des sorcires anglaises, poursuivit-elle,

    qui transformaient des enfants en faisans. Le jour delouverture de la chasse, elles libraient les faisans dansles forts.

    Ouille ! Et les faisans se faisaient tuer ? videmment, affirma Grand-mre. Ensuite, on les

    plumait, on les rtissait la broche, et lon sen rgalait audner.

    Je mimaginais, transform en faisan, volant, fuyant

    dsesprment les chasseurs, plongeant, tournant, vitantles balles qui explosaient autour de moi.

    Oui, continua Grand-mre. Les sorcires anglaisesadorent regarder les grandes personnes se dbarrasserde leurs propres enfants !

  • Mais je ne veux plus aller en Angleterre, Grand-mre !

    Je te comprends, mon petit. Mais il faut respecterles dernires volonts de tes parents.

    Est-ce que les sorcires sont diffrentes dun pays lautre ?

    Compltement diffrentes, rpondit Grand-mre.Mais je ne connais pas bien ce qui se passe dans certainspays.

    Connais-tu les sorcires dAmrique ? demandai-je.

    Pas vraiment, rpondit-elle. Mais on raconte que,l-bas, les sorcires amricaines arrivent faire mangerleurs bbs aux parents !

    Oh, cest incroyable ! mexclamai-je. Cest un bruit qui court, dit-elle. Comment peuvent-elles y arriver ? demandai-je. En transformant les bbs en hot dogs, rpondit

    Grand-mre. Ce nest pas bien difficile, pour une sorcire ! Est-ce que chaque pays a des sorcires ? Oui, dit Grand-mre. L o il y a des gens, il y a des

    sorcires. Il existe mme une Socit secrte deSorcires dans chaque pays !

    Et elles se connaissent toutes ? Non, dit Grand-mre. Une sorcire ne connat que

    les sorcires de son pays. Il lui est interdit de communiqueravec ltranger. Mais toutes les sorcires dAngleterre seconnaissent bien et sont amies. Elles se tlphonent,changent des recettes abominables. Dieu sait de quoi

  • elles peuvent parler ! Cela me rend malade dy penser !Assis par terre, je regardais Grand-mre. Elle crasa

    son mgot dans le cendrier, et croisa les mains sur sonventre.

    Une fois par an, reprit-elle, les sorcires de tous lespays se runissent en secret, pour couter la confrencede la plus grande sorcire du monde, la GrandissimeSorcire.

    La Grandissime Sorcire ? rptai-je, tonn. Cest leur chef, rpondit Grand-mre. La

    Grandissime Sorcire est toute-puissante et sans piti.Toutes les sorcires sont paralyses de peur, en facedelle. Elles ne voient la Grandissime Sorcire quune foispar an au cours de cette confrence, qui doit dclencherlenthousiasme et raviver les ardeurs. La GrandissimeSorcire voyage de pays en pays pour donner desconsignes partout.

    O se runissent-elles, Grand-mre ? Il court toutes sortes de bruits, rpondit-elle. On

    raconte quelles louent des chambres dans des htelsmodernes, possdant des salles de confrences, commenimporte quelle association de femmes. Il parat quil sepasse de drles de choses dans ces htels. Les lits nesont jamais dfaits, il y a des traces de brlures sur lestapis, des crapauds dans les baignoires et, un jour, uncuisinier trouva un bb crocodile qui nageait dans sasoupe !

  • Grand-mre tira une autre bouffe de son cigare, et

    aspira profondment. O habite la Grandissime Sorcire ? demandai-je. Personne ne le sait, rpondit Grand-mre. Sinon,

    on pourrait facilement la dtruire. Des sorcirologues dumonde entier ont pass leur vie essayer de dcouvrir sonquartier gnral.

    Quest-ce quun sorcirologue ? Une personne qui tudie les sorcires, rpondit

    Grand-mre. Es-tu sorcirologue, toi-mme, Grand-mre ?

  • Oui, mon petit, mais la retraite. Je suis beaucouptrop vieille pour continuer la tche. Mais, dans majeunesse, jai parcouru le monde pour dnicher laGrandissime Sorcire Je nai jamais russi.

    Est-elle riche ? demandai-je. La Grandissime Sorcire roule sur lor, rpondit

    Grand-mre. Il parat quelle a une imprimerie clandestinequi fabrique des billets de banque. Aprs tout, les billets nesont que des bouts de papier avec des dessins. Si lon alimprimerie et le papier, on peut, tout comme les banquesdtat, fabriquer de faux billets aussi vrais que les vrais ! mon avis, la Grandissime Sorcire doit fabriquer tous lesbillets quelle veut, et les distribuer aux sorcires.

    Mme des billets trangers ? demandai-je. Cette imprimerie peut fabriquer des billets chinois,

    si la Grandissime Sorcire le veut bien. Il lui suffitdappuyer sur le bon bouton.

    Mais dis-je, puisque personne na jamais vu cetteGrandissime Sorcire, comment peux-tu tre sre quelleexiste ?

    Personne na vu le diable, dit Grand-mre en meregardant svrement. Pourtant, nous savons bien quilexiste !

    Le lendemain, nous prenions un bateau destinationde lAngleterre. Bientt, je me retrouvai dans notre vieillemaison familiale du Kent, seul avec Grand-mre. Puis ledeuxime trimestre commena. Jallais lcole et tout mesemblait redevenu normal.

    Au fond du jardin, il y avait un norme marronnier.

  • Timmy (mon meilleur ami) et moi, nous avions commenc construire une magnifique cabane dans les branches.Nous ne travaillions que les week-ends, mais tout avanait merveille. Dabord, nous avions fabriqu le plancher, enclouant de larges planches sur deux branches. En un mois,le plancher tait termin. Puis nous avions construit unebalustrade en bois, et il ne nous restait plus qu faire letoit. Ctait le plus difficile.

    Un samedi aprs-midi, alors que Timmy avait lagrippe, je dcidai dattaquer le toit, moi tout seul. Jadoraistre dans le marronnier, entour de feuillage, comme si jeme trouvais dans une grotte verte. La hauteur ajoutait dupiquant. Grand-mre mavait averti que je risquais detomber et de me casser la jambe. Quand je jetais un coupdil en bas, un frisson de vertige me parcourait lchine.

    Je clouais la premire planche du toit, lorsque,soudain, du coin de lil, japerus une femme, dans lejardin. Elle me souriait de faon bizarre. Quand les genssourient, leurs lvres stirent de chaque ct. Les lvresde cette femme stiraient en hauteur, dcouvrant sesdents de devant et des gencives rouges comme de laviande crue.

  • Cest toujours agaant de se rendre compte quon est

    observ, lorsquon se croit seul.Et puis, que fabriquait cette inconnue dans notre

    jardin ?

  • jardin ?Je remarquai quelle portait un petit chapeau noir, et

    que ses gants noirs lui remontaient jusquaux coudes.Des gants ! Elle portait des gants !Mon sang se glaa. Je tapporte un cadeau, dit ltrange inconnue, en

    me souriant toujours.Je ne dis rien. Descends de cet arbre, petit garon, continua-t-elle,

    et je te donnerai un cadeau extraordinaire.

    Elle avait une voix de crcelle, comme si sa gorge

    tait tapisse de punaises.Toujours souriant affreusement, la femme introduisit

    lentement sa main gante dans son sac, et en sortit un petitserpent vert et scintillant quelle tendit dans ma direction.

  • Il est apprivois, dit-elle.Le serpent senroula autour de son bras.

    Si tu descends, je te le donne, poursuivit-elle. Au secours, Grand-mre ! pensai-je.Pris de panique, je laissai tomber le marteau, et

    grimpai dans le marronnier comme un singe. Arriv ausommet, je grelottais de peur. Je ne voyais plus la femme.Le feuillage me cachait delle.

    Je restai perch l-haut, immobile, pendant desheures, jusqu la tombe de la nuit. Enfin, jentendisGrand-mre mappeler.

  • Jarrive ! hurlai-je. Viens tout de suite ! cria-t-elle. Il est dj neuf

    heures ! Grand-mre ! Est-ce que la femme est partie ? Quelle femme ? rpliqua Grand-mre. La femme aux gants noirs !Il y eut un grand silence. Grand-mre narrivait plus

    parler, comme si elle avait reu un choc. Grand-mre, o es-tu ? hurlai-je, affol. Est-elle

    partie, la femme aux gants noirs ? Oui, cette femme est partie, rpondit enfin Grand-

    mre. Je suis l et je te protge. Tu peux descendre.Je descendis de mon marronnier en tremblant. Grand-

    mre me prit dans ses bras. Jai vu une sorcire, dis-je. Entre, fit-elle. Tu seras en scurit avec moi, la

    maison.Elle me prpara un bon chocolat chaud et bien sucr. Raconte-moi tout, dit-elle. la fin de mon histoire, Grand-mre frissonnait. Sa

    figure tait couleur de cendre, et je la vis jeter un coup dilsur sa main sans pouce.

    Tu sais ce que cela signifie, dit-elle. Il y a unesorcire dans notre quartier. Dsormais, jetaccompagnerai lcole.

    Crois-tu quelle men veuille spcialement ?demandai-je.

    Non, je ne crois pas, rpondit Grand-mre.Aprs cette msaventure, je devins un garon trs

  • mfiant. Si je me promenais seul dans la rue, et quunefemme portant des gants sapprochait de moi, jechangeais aussitt de trottoir ! Et comme il fit trs froiddurant tout le mois, presque tout le monde portait desgants ! Fort curieusement, je ne revis plus jamais la femmeaux gants noirs et au serpent vert.

    Ce fut ma premire sorcire. Mais pas ma dernire

  • Les grandes vacances

    Aprs les vacances de Pques, le dernier trimestrecommena. Grand-mre et moi, nous avions dcid depasser les grandes vacances en Norvge. Nous enparlions tous les jours. Grand-mre avait lou deux cabinessur le premier bateau partant pour Oslo. Puis dOslo, ellememmnerait sur la cte sud, prs dArendal. Elleconnaissait trs bien le coin car elle y avait pass sesvacances, dans son enfance, quatre-vingts ans auparavant.

    Mon frre et moi, nous passions toute la journe encano. Nous explorions les nombreuses petites lesinhabites dun fjord. Nous plongions du haut des rochersde granit. Parfois, nous jetions lancre, et nous pchionsmorues et merlans. Si la pche tait bonne, nous allumionsun feu sur une le, et nous faisions griller le poisson lapole. Le meilleur poisson du monde, mon petit, cest lamorue frache.

    Vous pchiez avec quel appt, Grand-mre ? Des moules ! Les Norvgiens utilisent des moules

    comme appt. Si nous ne pchions aucun poisson, nousfaisions cuire les moules, et nous les mangions.

    Ctait bon ? Excellent. Les moules taient tendres et sales car

    nous les faisions cuire dans leau de mer. Et que faisiez-vous dautre, Grand-mre ? Souvent, nous faisions des signes aux bateaux de

  • pche. Les pcheurs sarrtaient et nous donnaient unepoigne de crevettes. Les crevettes taient encorechaudes, car elles venaient dtre cuites. Nous lesdcortiquions et nous les mangions goulment, assis dansle cano. La tte tait le meilleur morceau !

    La tte !? On aspire lintrieur de la tte, cest dlicieux. Toi et

    moi, nous ferons tout cela, cet t, mon petit. Comme il me tarde de partir, Grand-mre Et moi doncIl ne restait plus que trois semaines dcole lorsquun

    vnement pouvantable arriva. Grand-mre attrapa unepneumonie. Elle tait trs malade, une infirmire vinthabiter la maison pour la soigner, le mdecin mavaitinterdit la chambre de Grand-mre.

    De nos jours, mexpliqua le mdecin, la pneumonienest pas une maladie mortelle. Grce la pnicilline. Maispour quelquun qui a plus de quatre-vingts ans, comme tagrand-mre, cela peut tre dangereux. Je nose pas la fairetransporter lhpital, dans son tat. Aussi, quelle garde lelit !

    Je demeurai sur le seuil de la porte tandis que Grand-mre tait relie des ballons doxygne et dautresappareils effrayants.

    Je peux la voir ? demandai-je. Non, mon petit, rpondit linfirmire. Pas pour le

    moment.Mme Spring, une femme grassouillette et joviale qui

    venait faire le mnage tous les jours, sinstalla chez nous.

  • Elle soccupait de moi et me prparait les repas. Jelaimais beaucoup, mais elle racontait les histoires moinsbien que Grand-mre.

    Dix jours plus tard, un soir, le mdecin descenditlescalier et mannona :

    Tu peux entrer dans sa chambre et lui parlerquelques minutes. Elle te rclame.

    Je grimpai les marches quatre quatre, me prcipitaidans la chambre de Grand-mre et me jetai dans ses bras.

    Oh l ! scria linfirmire. Doucement avec lamalade !

    Le pire est pass, rpondit-elle. Je serai bientt surpied.

    Cest vrai ? demandai-je linfirmire. Oui, rpondit linfirmire en souriant. Elle ma dit

    quil lui fallait absolument aller mieux pour soccuper de toi.Jembrassai encore Grand-mre. On ma interdit de fumer le cigare, dit-elle. Mais

    attends un peu quils soient partis

  • Ta grand-mre est une force de la nature, dit

    linfirmire. Elle sera debout dans une semaine.Linfirmire avait raison. Au bout dune semaine,

    Grand-mre marchait dans la maison avec sa canne pommeau dor, et elle se disputait dj avec Mme Springau sujet de la cuisine.

    Je vous remercie de votre aide, dit Grand-mre,mais vous pouvez retourner chez vous.

    Non ! rtorqua Mme Spring. Le mdecin ma ditque vous deviez vous reposer encore quelques jours.

    Le mdecin fut plus svre. Il annona une nouvelle quifut une vritable bombe :

  • Il ne faut pas compter sur le voyage en Norvge, cett. Cest trop loin, et cest trop risqu.

    Sornettes ! scria Grand-mre. Je lai promis mon petit-fils.

    Je vais vous donner un conseil, reprit le mdecin.Allez tous les deux dans un gentil htel, sur la cte sud delAngleterre. Lair marin vous fera du bien.

    Oh, non ! fis-je, du. Veux-tu que ta grand-mre meure ? me demanda le

    mdecin. Non ! Alors, il ne faut pas quelle fasse ce long voyage.

    Elle nest pas assez forte. Et dis-lui darrter de fumer cesaffreux cigares !

    Finalement, Grand-mre cda sur le voyage enNorvge mais pas sur les cigares. On loua deux chambres lhtel Magnificent de Bournemouth, une clbre stationbalnaire.

    Bournemouth est plein de vieilles personnescomme moi, dit Grand-mre. Lair y est sain et tonique.Elles en esprent des miracles.

    Cest vrai ? demandai-je. Bien sr que non, rpondit-elle. Ce sont des

    balivernes. Mais pour une fois, il faut obir au mdecin.Bientt, Grand-mre et moi, nous prmes le train pour

    Bournemouth et nous descendmes lhtel Magnificent.Ctait un norme btiment blanc situ en face de la mer.

    Un endroit bien ennuyeux pour passer desvacances , pensai-je.

  • Ma chambre communiquait avec celle de Grand-mre.

    Aussi nous rendions-nous visite sans passer par le couloir.Avant de partir, Grand-mre mavait offert, en guise de

    consolation, deux souris blanches en cage. Bien sr, je lesavais emmenes en vacances avec moi. Drlementrigolotes, ces souris. Je les appelais William et Mary. Et lhtel, je comptais leur apprendre des tours.

    Ds le premier jour, elles grimpaient dj le long de lamanche de ma veste jusqu mon cou, puis de mon coujusquau sommet de mon crne. Je russis cet exploit enmettant des miettes de gteau dans mes cheveux !

  • Le lendemain de notre arrive, la femme de chambre

    faisait mon lit lorsque le museau dune souris pointa sousles couvertures. La femme de chambre poussa un telhurlement quune douzaine de personnes accoururent pourvoir qui avait t assassin. Lincident fut rapport audirecteur. Grand-mre et moi, nous fmes convoqus dansson bureau.

    Le directeur, M. Stringer, avait les cheveux en brosseet portait un habit queue.

    Madame, les souris sont interdites dans cet htel,dit-il Grand-mre.

  • Comment osez-vous nous dire cela, alors que votre

    htel grouille de rats ! scria Grand-mre. Des rats ! sexclama M. Stringer devenu violet. Il ny

    a pas de rats dans cet htel ! Jen ai vu un ce matin mme, continua Grand-mre.

    Il courait dans le couloir en direction des cuisines. Cest faux ! cria M. Stringer.

  • Vous feriez mieux dappeler au plus vite uneentreprise de dratisation, poursuivit Grand-mre. Sinon,jcrirai au ministre de la Sant. Jimagine que les ratsdfilent dans la cuisine, trottinent sur les tagres pourgrignoter la nourriture et dansent dans les soupires.

    Jamais de la vie ! protesta le directeur. Ce matin pourtant, le toast de mon petit djeuner

    tait grignot sur les bords ! continua Grand-mre,impitoyable. Et pire, il avait un sale got de rat ! Si vous nefaites pas attention, les fonctionnaires de la Sant publiqueordonneront la fermeture de votre htel avant que quelquunnattrape la fivre typhode !

    Vous ne parlez pas srieusement, madame, dit ledirecteur.

    Je nai jamais parl aussi srieusement de ma vie,affirma Grand-mre. Allez-vous donc permettre monpetit-fils de garder ses deux petites souris blanches danssa chambre, oui ou non ?

    Le directeur comprit quil avait perdu la partie. Puis-je suggrer un compromis ? dit-il. Je lui

    permets de garder ses deux souris dans sa chambre, condition quelles restent dans leur cage. Quen pensez-vous ?

    Je suis daccord, approuva Grand-mre.Elle se leva et nous quittmes le bureau.Il ny a pas moyen de dresser des souris qui sont

    enfermes dans une cage. Mais je nosais pas leur ouvrirla porte parce que la femme de chambre mespionnaitsans arrt. Elle avait une clef de la chambre et surgissait

  • limproviste toutes les heures, essayant de surprendre lessouris en libert. Elle me dclara qu la premireinfraction le portier noierait les souris dans un baquet !

    Il me fallait trouver un endroit pour continuerlentranement. Il devait srement y avoir une pice videdans ce gigantesque htel. Je mis les souris dans la pochede mon pantalon, et je me promenai au rez-de-chausse, la recherche dune cachette.

    Le rez-de-chausse tait un vritable labyrinthe desalles destines aux clients. Hall, fumoir, salle de jeux,bibliothque, salon, tout tait crit sur les portes, en lettresdores. Il y avait foule partout. Je poursuivis mon chemin et,au bout dun long et large couloir, je tombai sur une porte double battant. Ctait la salle de bal. Devant, un panneau,sur lequel je lus :

    RUNION SRPEP

    SALLE STRICTEMENT RSERVE

    POUR LE CONGRS ANNUELDE LA SOCIT ROYALE

    POUR LA PROTECTION DE LENFANCE PERSCUTE La porte tait ouverte. Je jetai un coup dil

    lintrieur. Ctait une salle immense avec des ranges etdes ranges de chaises en face dune estrade. Leschaises taient dores, avec de petits coussins rouges.Mais il ny avait pas un chat !

    Je mavanai avec prcaution. Quel merveilleux

  • endroit ! Le congrs de la Socit royale pour la protectionde lenfance perscute avait d avoir lieu trs tt, le matin.Tous les congressistes taient rentrs chez eux. Et mmesi je me trompais, si les congressistes surgissaient dans lasalle, ctaient srement des personnes adorables, quiaccueilleraient avec chaleur un jeune dresseur de souris la recherche dun lieu dentranement.

    lentre de la salle, dans un coin, il y avait un grandparavent sur lequel taient dessins des dragons chinois.Dsirant tre tranquille pour dresser mes souris, je dcidaide me cacher derrire. La Socit royale pour la protectionde lenfance perscute ne minquitait pas. En revanche,je craignais lintervention du directeur. Sil apercevait lessouris, les pauvres malheureuses finiraient dans le baquetdu portier avant que jaie pu dire ouf !

  • Javanai sur la pointe des pieds vers le coin de la

    salle et je minstallai sur lpaisse moquette verte, derrirele paravent. Un endroit idal pour dresser les souris ! Jesortis William et Mary de mes poches. Elles sassirent prsde moi sur la moquette. Elles semblaient en pleine forme ettrs calmes.

    Ce jour-l, je voulais leur apprendre marcher sur unecorde raide. Une souris intelligente peut facilement devenirfunambule, si on sait sy prendre. Dabord, il faut un bout deficelle, je lavais. Puis un bon gteau. Les souris blanchesprfrent le gteau la groseille. Elles en raffolent. Javais

  • galement apport des biscuits aux raisins secs. Je lesavais mis dans mes poches en prenant le th avec Grand-mre.

    Voici la manuvre : des deux mains, vous tirez sur lesbouts de la ficelle. Il faut commencer par un petit boutdenviron cinq centimtres. Vous mettez la souris dansvotre main droite et un bout de gteau dans la gauche. Lasouris se trouve donc cinq centimtres du gteau. Elle levoit, le renifle. Ses moustaches sagitent, palpitent. Ellepourrait presque atteindre le gteau en se penchantenfin, pas tout fait. Pour atteindre le savoureux morceau,elle na qu faire deux pas le long de la ficelle. Elle poseune patte sur la ficelle, puis une autre. Si cette souris a unbon sens de lquilibre, ce qui est le cas de la plupart dessouris, elle traversera sans difficult les cinq centimtresqui la sparent du gteau.

    Je commenai avec William. Il marcha sur la ficellesans hsiter. Aprs quoi, je le laissai grignoter un bout degteau. Puis je le remis dans ma main droite.

    Cette fois-ci, jallongeai la ficelle : elle avait maintenantdix centimtres. William savait ce quil devait faire. Avec unsuperbe quilibre, il marcha pas pas, le long de la ficelle,et atteignit le gteau. En rcompense, il put en grignoter unautre bout

    Bientt, William pouvait marcher le long dune ficellede quarante centimtres. Ctait merveilleux de lobserver.Lui-mme samusait follement. Avec beaucoup deprcautions, je tenais la ficelle prs du sol. Ainsi, silperdait lquilibre, il ne tomberait pas de haut. Mais il ne

  • tombait jamais. De toute vidence, William tait unacrobate n, un funambule extraordinairement dou.

    Maintenant, ctait le tour de Mary. Je posai Williamsur la moquette, prs de moi, et le rcompensai avecquelques autres miettes et un biscuit la groseille. Puis jerecommenai le mme jeu avec Mary.

    Voyez-vous, ma grande ambition, mon rve fou, ctaitdavoir un cirque de souris blanches ! Lorsque les rideauxrouges souvriraient sur la scne, le public verrait messouris dresses, clbres dans le monde entier, des sourisfunambules, trapzistes, des souris faisant des triplessauts prilleux, bondissant sur un trampoline, et effectuantdautres tours prodigieux. Jaurais des souris blanches quichevaucheraient des rats blancs, et ces rats blancs feraientle tour de la piste un galop denfer. Je me voyais dj,voyageant en premire classe travers le monde entier,avec mon clbre Cirque de souris blanches, et donnantdes spectacles devant toutes les ttes couronnesdEurope.

  • Jtais en plein dressage avec Mary lorsque, soudain,

    jentendis des voix devant la porte. Le bruit allait ensamplifiant, comme si beaucoup de personnes parlaient la fois. Je reconnus, parmi les voix, celle de lhorribledirecteur de lhtel.

    Au secours ! pensai-je.Heureusement, il y avait ce grand paravent.Je me blottis derrire, et regardai par une fente. Je

    pouvais tout voir sans tre vu. Par ici, mesdames, fit la voix du directeur. Vous

    serez tout fait tranquilles.Il franchit la porte double battant, trs digne dans son

    habit queue, et faisant force gestes, comme sil dirigeait

  • habit queue, et faisant force gestes, comme sil dirigeaitun orchestre. Une foule de dames commena entrer.

    Si je peux vous tre utile, poursuivit le directeur,nhsitez pas. Aprs votre congrs, un th vous sera servisur la terrasse Sunshine.

    Sur ce, il sinclina puis sesquiva.Alors, les congressistes de la Socit royale pour la

    protection de lenfance perscute continurent remplir lasalle. Ctaient toutes des femmes, joliment habilles, etportant des chapeaux.

  • Les congressistes

    Le directeur parti, je ne minquitai pas trop. treenferm dans une salle remplie de jolies femmes ne medplaisait pas ! Je pourrais mme leur suggrer de venirprotger lenfance dans mon cole ! Elles auraient dutravail

    Les congressistes continuaient entrer dans la salle,et en faire le tour pour choisir leurs places, en parlantavec animation.

    Assieds-toi prs de moi, ma petite Millie ! Bonjour, Batrice ! Je ne tavais pas vue depuis

    lanne dernire ! Quelle robe ravissante !Je dcidai de continuer lentranement de mes deux

    souris pendant la tenue du congrs. Mais jobservai encoreun petit moment ces femmes travers la fente du paravent,en attendant quelles sinstallent. Combien taient-elles ?Environ deux cents. Les siges du dernier rang furentoccups les premiers. On aurait dit quelles voulaienttoutes se trouver le plus loin possible de lestrade.

    Au milieu de la dernire range, une femme portant unminuscule chapeau se grattait la tte. Ses doigts grattaientet regrattaient la peau de son cuir chevelu, au ras de sanuque. Elle ne pouvait pas sen empcher. Elle aurait tbien gne de savoir que je lobservais.

    Elle a srement des pellicules , pensai-je.Et soudain, je remarquai que sa voisine faisait de

    mme ! Et la voisine de sa voisine ! Et la voisine de lavoisine de sa voisine ! Toutes se grattaient la nuque !Avaient-elles des puces ? Ou plutt des poux ?

  • lcole, le dernier trimestre, un lve nomm Ashton

    avait eu des poux. La directrice lui avait arros la ttedessence de trbenthine. Les poux y taient rests, maisAshton avait failli y rester, lui aussi ! Il avait perdu la moitide ses cheveux !

    Le spectacle de toutes ces femmes se grattant la tteme fascinait de plus en plus. Cest toujours amusant desurprendre quelquun en train de faire un geste vulgaire.Par exemple, se mettre les doigts dans le nez, ou segratter les fesses. Se gratter la tte est presque aussidgotant si a dure longtemps.

  • mon avis, ctaient des poux.Alors, une chose stupfiante se produisit. Je vis lune

    de ces femmes glisser ses doigts sous ses cheveux ettoute la chevelure se dressa ! Et sa main grattait de plusbelle !

    Elle portait une perruque !Elle portait des gants !Je regardai vite les autres.Toutes portaient des gants !Mon sang se glaa, et je me mis trembler.Y avait-il une sortie de secours derrire moi ? Non, il

    ny en avait pas. Et si je surgissais du paravent pour meprcipiter vers la porte double battant ? Non plus ! Laporte tait dj ferme double tour, une chanecadenasse bloquait les loquets, et une matrone montait lagarde.

    Reste calme, me dis-je. Personne ne ta vu. Il ny aaucune raison pour quelles viennent voir ce qui se passederrire ce paravent. Mais le moindre faux mouvement, lemoindre toussotement, le moindre ternuement, le moindrebruit, et tu seras pris. Et pas par une sorcire, mais pardeux cents !

    Ctait trop pour moi ! Je mvanouis. Cela ne dura

  • Ctait trop pour moi ! Je mvanouis. Cela ne duraque quelques secondes, je crois. Quand je revins moi,jtais tendu sur le tapis, sain et sauf.

    La salle tait absolument silencieuse.En tremblant, je me mis genoux, et jetai nouveau un

    coup dil par la fente du paravent.

  • Frrite comme oune frrite !

    Toutes les femmes, ou plutt toutes les sorcires, se

    figrent soudain sur leurs siges, les yeux hagards,hypnotises. Une autre femme venait dapparatre surlestrade. Dabord, je remarquai la taille de cette crature.Elle tait vraiment minuscule, pas plus haute que troispommes !

    Elle semblait trs jeune, environ vingt-cinq ou vingt-six

    ans, et elle tait trs jolie. Elle portait une longue robenoire, trs lgante, qui lui arrivait jusquaux pieds, et desgants noirs qui lui remontaient jusquaux coudes.Contrairement aux autres, elle navait pas de chapeau.

    Daprs moi, elle ne ressemblait pas du tout unesorcire, pourtant, elle ltait coup sr. Sinon, que

  • fabriquait-elle sur cette estrade ? Et pourquoi diable lesautres sorcires la regardaient-elles avec ce mlangedadoration et de crainte ?

    La jeune femme leva lentement les bras jusqu sonvisage. Je vis ses mains gantes dfaire quelque chose,derrire les oreilles et soudain elle attrapa ses joues etson joli visage lui resta entre les mains !

    Elle portait un masque !Elle le posa sur une petite table. Elle tait alors de

    profil. Puis elle se retourna et nous fit face.

    Je faillis pousser un cri. Jamais je navais vu visage si

    terrifiant, ni si effrayant ! Le regarder me donnait desfrissons de la tte aux pieds. Fan, frip, rid, ratatin. Onaurait dit quil avait marin dans du vinaigre. Affreux,abominable spectacle. Face immonde, putride et dcatie.Elle pourrissait de partout, dans ses narines, autour de labouche et des joues. Je voyais la peau pele, versicote

  • par les vers, asticote par les asticots Et ses yeux quibalayaient lassistance Ils avaient un regard de serpent !

    Parfois, quand quelque chose est trop terrifiant, on sesent fascin et lon ne peut en dtacher le regard. Jtaissubjugu, ananti, rduit. Lhorreur de ses traitsmhypnotisait.

    Je compris aussitt que cette femme tait laGrandissime Sorcire en personne. Pas tonnant quelleporte un masque ! Elle naurait jamais pu se promenerdans une foule ni retenir une chambre dans un htel.Nimporte qui, en la voyant, se serait enfui en hurlant.

    Les porrtes ! vocifra-t-elle dune voix qui rsonnadans toute la salle. Sont-elles ferrmes double tourr ?

    double tour, Votre Magnanime, rpondit celle quibarrait la porte.

    Les yeux de serpent, qui luisaient si intensment dansce visage rong, fixrent sans ciller les sorcires assisesen face delle.

    Enlevez vos gants ! hurla-t-elle.

    Sa voix avait le mme timbre dur et mtallique que

    celle de la sorcire que javais rencontre sous lemarronnier, mais elle portait davantage. Elle raclait, roulait,grinait, crissait.

    Toutes les sorcires enlevrent leurs gants. Je guettailes mains de celles du dernier rang. Je voulais vrifier quoi ressemblaient leurs doigts, et si Grand-mre avaitraison. Mais oui ! Des griffes brunes se recourbaient aubout de leurs doigts. Elles avaient bien cinq centimtres delong, ces griffes, et comme elles taient pointues !

    Enlevez vos chaussourres ! aboya la Grandissime.

  • Enlevez vos chaussourres ! aboya la Grandissime.

    Les sorcires poussrent un soupir de soulagement

    tout en envoyant valser leurs troits souliers talons.Japerus leurs pieds sous les chaises : ils taient carrs,sans orteils ! Rpugnants, ces pieds ! On aurait dit quonleur avait coup les orteils avec un couteau dcouper lepoulet.

    Enlevez vos perrrouques ! lana la GrandissimeSorcire.

    Quelle trange faon de parler ! Elle avait un accenttranger, disait ou au lieu de u et roulaitterriblement les r . Elle les roulait, les roulait dans sabouche comme on roule une pomme de terre brlanteavant de la recracher !

    Enlevez vos perrrouques et arrez vos crrnescouverrts de poustoules ! hurla-t-elle.

    Autre soupir de soulagement de la part delassemble.

    Toutes les perruques furent enleves, ainsi que leschapeaux.

    Alors apparurent sous mes yeux horrifis des rangeset des ranges de ttes de femmes chauves. forcedavoir t frotts contre le dessous rugueux desperruques, les crnes taient devenus rouges et irrits.Impossible de vous dcrire cette horreur. Et ces femmestaient habilles avec grce et lgance, ce qui ajoutait augrotesque. Ctait monstrueux.

    Mon Dieu ! pensai-je. Au secours ! Seigneur, ayezpiti de moi ! Ces rpugnantes femmes chauves tuent desenfants et je suis dans la mme salle quelles ! Impossiblede mchapper !

  • Une pense encore plus horrible me traversa. Grand-

    mre mavait racont que, grce leurs grandes narines,elles arrivaient sentir un enfant au bout dune rue, enpleine nuit. Jusqu prsent, Grand-mre avait toujours ditvrai. Donc, lune des sorcires du dernier rang allait mesentir, dun moment lautre. Toute la salle hurlerait : Caca de chien ! Et je serais fait comme un rat.

    Je magenouillai par terre, osant peine respirer.Puis, soudain, je me souvins dun dtail trs important

    quavait prcis Grand-mre : Plus tu es sale, moins unesorcire te sent.

    quand remontait mon dernier bain ?Srement pas au dluge ! Javais une chambre pour

    moi tout seul, lhtel, et Grand-mre ne mennuyait pasavec ce genre de btises. En y rflchissant, je crois bienque je navais pas pris de bain depuis notre arrive.

    Quand mtais-je lav les mains ou la figure pour ladernire fois ?

    En tout cas, pas ce matin.Ni hier.Je regardai mes mains. Elles taient couvertes

    dencre, de boue et de je ne sais quoi dautre.Aprs tout, il me restait peut-tre une chance. Les

    vagues puantes ne pourraient jamais traverser cettecrasse.

    Sorrcirres dAngleterrre ! hurla la Grandissime, quinavait enlev ni sa perruque, ni ses gants, ni seschaussures. Sorrcirres dAngleterrre !

    Les sorcires sursautrent, inquites, et seredressrent sur leurs chaises.

    Malheurreuses ! cria la Grandissime Sorcire.

  • Parresseuses ! Bonnes rrien ! Vous tes oun tas deverrmisseaux !

    Un frisson parcourut lassistance. De toute vidence, laGrandissime Sorcire tait en colre. Javais lepressentiment quun vnement sinistre allait se produire.

    Ce matin, vocifra la Grandissime Sorcire, jeprrenais mon petit djeuner, je rregarrdais la plage parr lafentrre, et quest-ce que je vois ? Oun dgotantspectacle ! Des centaines, des milliers de sales zenfantsrrpougnants jouant avec le sable. Pourrquoi sont-ilsencorre vivants ? Pourrquoi ne les avez-vous pas tousdtrrouits ?

    chaque mot, elle crachait des postillons bleus. Pourrquoi ?Personne ne rpondit. Les zenfants pouent ! hurla-t-elle. Ils empestent le

    monde. Nous ne voulons plous deux !Les ttes chauves du public approuvrent

    vigoureusement. Oun enfant parr semaine, a ne souffit pas ! brailla

    la Grandissime Sorcire. Cest tout ce que vous pouvezfairre ?

    Nous ferons mieux, murmura lassistance.Beaucoup mieux !

    a ne souffit pas ! hurla la Grandissime. Je veux lemaximum ! Ce sont mes orrdres. Jorrdonne que tous leszenfants du pays soient balays, crrass, crrabouills,poulvrriss, exterrmins avant oun an ! Comprris ?

    Le public haletait. Je vis les sorcires se regarder,fortement gnes. Une des sorcires, au bout du premierrang, dit haute voix :

    Tous ! Nous ne pouvons pas nous dbarrasser detous !

    La Grandissime Sorcire pivota sur elle-mme,comme si on lui avait enfonc un poignard dans le dos.

    Qui a parrl ? aboya-t-elle. Qui ose mecontrredirre ? Cest toi, nest-ce pas ?

    De son doigt pointu comme une aiguille, elle dsignaitla sorcire qui venait de parler.

    Je ne le pensais pas vraiment, Votre Magnanime !protesta la sorcire. Je ne voulais pas vous contredire. Jepensais haute voix.

  • Tou as os me contrredirre ! rpta la Grandissime. Je pensais haute voix ! rpta la malheureuse

    sorcire. Je vous le jure, Votre Magnanime !Elle tremblait de peur.La Grandissime Sorcire fit un pas en avant, puis

    profra ces paroles qui me glacrent : Sorrcirre idiote qui rrpondBrrolerra comme un brrandon Non ! Non ! implora la pitoyable sorcire du premier

    rang.Mais la Grandissime continua : Sorrcirre bte cerrveleDoit crramer dans le bocher ! Au secours ! hurla linfortune sorcire. Sans faire

    attention elle, la Grandissime reprit : Sorrcirre bte qui caquetteRrtirra comme oune poulette ! Pardonnez-moi, Votre Magnanimissime ! cria la

    pauvre sorcire. Je ne pensais pas du tout !Mais la Grandissime Sorcire continua rciter, dune

    voix terrible : Idiote qui me contrreditPeut dirre adieu la vie ! Un fulgurant clair dtincelles jaillit de ses yeux et

    tomba aux pieds de la sorcire qui avait os parler.Frappe par les tincelles, celle-ci poussa un hurlementpouvantable. De la fume sleva. Une odeur de viandegrille remplit la salle.

  • Personne ne bougea.Lorsque la fume svanouit, un petit nuage blanchtre

    sleva et disparut par la fentre.Lassemble poussa un soupir.La Grandissime Sorcire balaya la salle de ses yeux. Jesprre que perrsonne ne me metrra plous en

    colrre, aujourrdhoui ! fit-elle.Il y avait un silence de mort. Frrite comme oune frrite ! conclut-elle. Couite

    comme oune carrotte ! Vous ne la rreverrrez plous jamais !Maintenant, rretourrnons nos moutons !

  • Les bonbons retardement

    Les zenfants me rpougnent ! cria la GrandissimeSorcire. Nous les poulvrriserrons ! Nous les balaierronsde la sourrface de la terrre ! Au trrou !

    Oui, oui, scandait le public. Pulvrisons-les !Balayons-les de la surface de la terre !

    Les zenfants empestent ! hurla la GrandissimeSorcire.

    Oui, les enfants empestent ! rpta le chur dessorcires.

    Les zenfants sont sales et pouants ! tonitrua laGrandissime Sorcire.

    Sales et puants ! reprit lassemble, de plus en plusexcite.

    Les zenfants pouent le caca de chien ! brailla laGrandissime Sorcire.

    Pouah ! Pouah ! Pouah ! hurla le public. Et pirre encorre, grina la Grandissime Sorcire. Le

    caca de chien sent la violette et la prrimevrre ct delodeurr des zenfants !

    La violette et la primevre ! rpta le chur, qui necessait dapplaudir chaque phrase.

    La Grandissime Sorcire tenait ses sujets sous soncharme.

    Parrler des zenfants me rrend malade ! vocifra-t-elle. Rrien que dy penser me fait vomirr ! Que lon

  • mapporrte oune couvette !Elle sarrta, et fixa le visage des sorcires, qui

    attendaient la suite, haletantes. Et maintenant, aboya la Grandissime Sorcire, je

    vais vous rrvler mon plan ! Oun gigantesque plan pourrnettoyer lAngleterrre de tous ses zenfants !

    Frmissantes, les sorcires se regardaient avec dessourires de vampires.

    Oui ! tonna la Grandissime Sorcire. bas lespetits moutarrds pouants !

    Hourra ! scrirent les sorcires en applaudissant.Vous tes gniale, Votre Magnanime ! Vous tesfantabilissime !

    Ferrmez-la, coutez et ouvrrez les zorreilles ! coupala Grandissime Sorcire. Attention, je veux que le boulot nesoit pas cochonn ! Penchez-vous !

    Les sorcires obirent. Chacoune de vous va rretourrner chez elle et quitter

    son trravail. Nous quitterons notre travail ! hurla le chur des

    sorcires. Ensouite, continua la Grandissime Sorcire,

    chacoune de vous irra acheterElle sarrta. Quoi donc ? demandrent les sorcires. Dites-

    nous, Magnanissime, ce que nous devons acheter. Des magasins de bonbons ! Des magasins de bonbons ! rpta le chur. Nous

    achterons des confiseries. Quelle ide gniale !

  • Vous achterrez les confiserries les meilleurres etles plous rrenommes dAngleterrre !

    Oui ! Nous achterons les meilleures confiseries dupays ! hurlaient les sorcires.

    Et leurs voix terrifiantes rsonnaient comme desroulettes de dentiste grinant de concert.

    Pas de petites confiserries avec des bonbons oun penny ! hurla la Grandissime Sorcire. Il faut que vouszayez les meilleurres confiserries rremplies jusquauplafond de piles et de piles de dlicieux bonbons et desouccoulents chocolats. Vous zy arrriverrez facilement.Vous naurrez qu offrrirr quatrre fois le prrix de laconfiserrie. Perrsonne ne vous rrsisterra. Larrgent nestpas oun prroblme pourr nous sorrcirres. Jai emporrtsix valises rremplies de billets zanglais tout chauds et toutneufs. Tous sont faits maison !

    La Grandissime Sorcire eut un regard diabolique.Les sorcires sourirent, apprciant la plaisanterie. ce moment-l, excite par ces perspectives

    allchantes, une sotte sorcire bondit de son sige encaquetant :

  • Des bandes denfants viendront dans ma boutique !

    Je leur donnerai des bonbons et des chocolatsempoisonns, puis je ramasserai les enfants la petitecuillre !

    Un grand silence accueillit cette proposition.Le minusculissime corps de la Grandissime Sorcire

    stait raidi de rage. Qui a parrl ? vocifra-t-elle. Cest toi ! Toi, l-bas !La sotte sassit aussitt, et se couvrit la face de ses

    mains griffues. Stoupide gaffeuse ! piailla la Grandissime.

    tourrdie sans cerrvelle. Tou ne vois pas que si touempoisonnes les zenfants, tou serras aussi sec arrrte ?De ma vie, je nai entendou oune sorrcirre aussi sotte !

    Lassemble tout entire courbait lchine en

  • tremblant. Le fulgurant clair dtincelles va jaillir de nouveau !

    pensai-je.Curieusement, rien ne se passa. Si oune ide aussi lamentable peut vous venirr

    lesprrit, tonna la Grandissime Sorcire, pas tonnant quelAngleterrre grrouille encorre dhorrribles petits zenfants !

    Elle se tut un moment, regarda fixement le public, puisreprit :

    Ne savez-vous pas que nous, les sorrcirres,noutilisons que la sorrcellerrie !

    Mais si, nous le savons, Votre Magnanime !rpondit en chur le public.

    La Grandissime Sorcire frotta ses mainssquelettiques et gantes.

    Donc, chacoune de vous va possder ounemagnifique confiserrie. Ensouite, vous zafficherrez quoune date prrcise aurra lieu oune fte pourr louverrturrede la confiserrie, avec distrriboution grratouite de bonbonset de chocolats pourr les petits zenfants !

    a attirera ces affreux petits gloutons ! scrirentles sorcires. Ils se battront pour entrer !

    Pouis vous prrparrerrez cette fte en mettant ounpeu de ma derrnirre potion dans tous les chocolats et tousles bonbons. Je lai fabrrique selon la forrmoule 86 : cestla potion pourr bonbons rretarrdement

    Les bonbons retardement ! rptrent lessorcires. Vous avez encore mijot une potion diaboliquepour exterminer les enfants. Quelle est la recette,

  • Magnanimissime ? Attendez ! Daborrd, je vous zexplique comment

    marrche ma potion. coutez bien. Nous sommes tout oue ! crirent les sorcires en

    tressautant de joie sur leurs siges. La potion rretarrdement est oun liquide verrt.

    Oune seule goutte dans oun bonbon souffit. Voil ce quiarrrive lenfant qui en a prris :

    1. Lenfant rrentrre chez loui en excellente forrme.2. Il va au lit en excellente forrme.3. Il se rrveille, le lendemain, en excellente forrme.4. Il va lcole toujourrs en excellente forrme Vous

    comprrenez, le rrsoultat na pas lieu tout de souite. Cestcomme une bombe rretarrdement

    Nous comprenons, Magnanimissime ! crirent lessorcires. Mais quand se met-il en marche ce bonbon retardement ?

    Ce bonbon retarrdement entrre en action neufheurres pile, quand lenfant est en classe ! hurlatriomphalement la Grandissime Sorcire.

    5. Lenfant se met rrtrrcirr6. Des poils loui poussent7. Quatrre pattes et oune queue ! Tout cela dourre

    26 secondes exactement.8. Aprrs quoi, lenfant nest plous oun enfant, mais

    oune sourris, en excellente forrme ! Une souris ! Quelle ide fabuleuse ! Les salles de classe grrouillerront de sourris !

    Lapocalypse et le chaos rrgnerront dans toutes les

  • zcoles dAngleterrre. Les matrres sauterront au plafond,et les matrresses sourr les bourreaux en appelant ausecourrs !

    En appelant au secours ! rpta lassemble. Et ensouite, que se passerra-t-il dans les zcoles ? Dites-nous ! Dites-nous ! O Grandissime et

    Magnanissime Sorcire ! supplirent les sorcires.La Grandissime Sorcire avana son cou squelettique

    et sourit son public, en montrant deux ranges de dentspointues, lgrement bleues.

    Ce serra le temps des sourricirres ! vocifra-t-elle. Le temps des souricires ! rptrent les sorcires. Et dou grrouyrre ! ajouta la Grandissime Sorcire.

    Les matrres parrpillerront des sourricirres mounies degrrouyrre dans toutes les classes et la courr derrcrration ! Les sourris grrignoterront le grrouyrre etClac ! Clac ! Les ttes rroulerront parr terrre comme desbilles. Et dans toutes les zcoles anglaises rrsonnerra lebrrouit joyeux des sourricirres ! Clac ! Clac ! Clac !

    ce moment-l, la vieille et rpugnante GrandissimeSorcire se mit danser la gigue sur lestrade, claquantdes pieds et battant des mains. Lassemble limita.

    Quel brouhaha !

  • Si seulement le directeur de lhtel lentendait et

    venait frapper la porte pensai-je. Hlas, il ne vint pas.Puis, dominant le vacarme, la voix de la Grandissime

  • Sorcire se mit brailler un affreux, un diabolique chantdallgresse :

    morrt, morrt les marrmots !Faisons bouillirr la peau et les os !En petits monceaux les loupiots !Offrrons-leurr des chocolats trrouqusEt des bonbons ensorrcels !Gavons-les de gteaux glouants,

  • Et quils rrentrrent chez eux gaiement ! Ces petits crrtins, le lendemain,Vont lcole, ne se doutant de rrien.Oune petite fille crrie : Cest affrreux !Rregardez tous ! Jai oune queue ! Oun petit garron qui courrait dans la rroue : Au secourrs ! Je souis tout poilou ! Et oun autrre (tout le monde rrit) : Jai des moustaches de sourris ! Un grrand gaillarrd toutahourri : Me voil devenou petit ! Quatrre pattes, dou poil, des moustaches,Voil de drrles de potaches ! Mais brrousquement, quelquun scrrie : Ils se sont changs en sourris ! Les petites btes entrrent dans leurrs classesEt, mine de rrien, se mettent leurr place.Crris des malheurreux prrofesseurrs : Ciel ! Oune invasion de rrongeurrs ! Debout sourr les bourreaux, ils crrient : Tout, tout, mais pas de sourris !Des sourricirres, je vous prrie !Avec dou grrouyrre garmies ! On apporrte les sourricirres,

  • Les sourricirres et le grrouyrre.Cliqueti-clac ! Clac ! Clac !Les rressorrts cliquettent et claquent !

    Cest le plous mlodieux des brrouits.Pourr oune sorrcirre, quelle symphonie !Les petits cadavrres des anciens marrmotsForrment des piles de deux mtrres de hautLes matrresses cherrchent dans les coins : O sont cachs les galopins ? Lheurre de la rrentree est passe !Les matrresses sont dsoles.Elles sassoient sourr oun bancEn attendant les garrnementsLes matrres balaient les sourrisSourr les trrottoirrs.Quelle histoirre !Quant nous, sorrcirres,

  • Nous crrions : Youpi !Et salout la compagnie !

  • La recette

    Vous navez pas oubli, jespre, que, pendant que sedroulait cette scne, jtais toujours agenouill derrire leparavent, lil braqu sur la fente. Ce congrs me semblaitdurer une ternit. Le plus dur, cest que je ne devais nitousser ni faire le moindre bruit, sinon jtais cuit commeune carotte ! Je vivais dans la terreur quune des sorciresdu dernier rang repre ma prsence en me reniflant, avecses narines.

    Mon seul espoir : il y avait des jours et des jours que jene mtais pas lav. Et ces sorcires dchanes,applaudissant, hurlant, ne pensaient qu leur Grandissimeet son plan gnial pour dbarrasser lAngleterre de tousses enfants. Elles ne songeaient pas quelles pouvaientflairer la prsence dun enfant tout proche. Dans leurs rvesles plus fous (si elles rvent), cela ne se produisait jamais.Tapi sans bouger, je priais.

    La Grandissime Sorcire avait fini son diaboliquechant dallgresse, et lassemble applaudissait toutrompre.

    Gnial ! Fabuleux ! Fantastique ! Vous tes unediablesse, Magnanimissime ! Ces bonbons retardement sont une invention extraordinaire. Ce sera untriomphe ! Et ce seront les matres eux-mmes quitrucideront les garnements ! Quel piquant ! On ne noussouponnera jamais !

  • On ne dmasque jamais les sorrcirres ! coupa laGrandissime. Maintenant, je demande toute votrre attentioncarr je vais vous rrvler la rrecette de la potion Sourris retarrdement !

    Lassemble haletait. Puis soudain il y eut un tonnerrede hurlements et de cris. Plusieurs sorcires sautrent surleur chaise, dsignant la tribune et vocifrant :

    Des souris ! Des souris ! La Magnanime vient denous faire une dmonstration ! Elle a chang deux enfantsen souris ! Les voici !

    Sur la tribune, il y avait bien deux souris qui trottinaientdans les jupes de la Grandissime Sorcire.

    Ce ntaient ni des souris des villes ni des souris deschamps, mais des souris blanches ! Je reconnus aussittmes petits William et Mary !

    Des souris ! hurlait lassemble. Notre chef a faitsurgir des souris du nant. Vite, les souricires et legruyre !

    La Grandissime Sorcire regardait William et Mary,visiblement dconcerte. Elle se pencha pour les examinerde prs. Puis elle se leva et annona :

    Silence !Le public se tut et se rassit. Je nai rrien voirr avec ces sourris. Ce sont des

    sourris apprrivoises. De toute vidence, ellesappartiennent quelque rrpougnant enfant de lhtel. Oungarron, cerrtainement. Les filles ne soccoupent jamais desourris !

    Un garon ! scrirent les sorcires. Un sale et

  • puant petit garon ! Une taloche et la broche ! Nouscroquerons ses tripes au petit djeuner !

    Silence ! hurla la Grandissime en levant les bras.Nous ne devons pas nous fairre rremarrquer dans cet htel,vous le savez. Dbarrrassons-nous de ce vilain petitinsolent mais sans tapage. Nous sommes les forrtrrespectables dames de la Socit rroyale pourr laprrotection de lenfance perrscoute.

    Que proposez-vous, Magnanime ? demandrentles sorcires. Comment rgler son compte ce petit tasdordures ?

    Elles parlent de moi, pensai-je. Elles veulent metuer. Je suais grosses gouttes.

    Ce petit est sans imporrtance, dit la GrandissimeSorcire. Laissez-le-moi. Je le rreniflerrai, le changerai ensarrdine et le crroquerrai pourr mon dner.

    Bravo ! scrirent les sorcires. Coupez-lui la tte,coupez-lui la queue, et la pole avec des ufs.

  • Vous limaginez, rien de tout cela ne me faisait

    vraiment plaisir. William et Mary trottinaient toujours sur latribune et je vis la Grandissime Sorcire envoyer valser

  • William dun coup de pied. Elle fit de mme avec Mary. Ellevisait rudement bien. Au football, elle aurait tchampionne. Les deux souris scrasrent contre le mur, etrestrent assommes un moment par terre. Puis elles seremirent sur pattes et filrent

    Attention ! reprit la Grandissime Sorcire.Maintenant, je vais vous donner la rrecette pourr mijoter lapotion Sourris rretarrdement. Prrenez dou papier et ouncrrayon.

    Toutes les sorcires ouvrirent leur sac, et sortirent leur

    carnet. Donnez-nous la recette, Magnanimissime ! criait

    le public brlant dimpatience. Rvlez-nous le secret ! Daborrd, il faut trrouver quelque chose qui

    perrmette de rrapetisser trrs vite oun enfant. Quoi ? Facile. Il faut seulement rregarrder lenfant parr le

    mauvais bout doun tlescope !

  • Vous tes sublime ! scria lassemble. Personne

    naurait jamais pens a ! Donc, vous prrenez oun tlescope parr le mauvais

    bout, et vous le faites bouillirr jousqu ce quil rramollisse. Combien de temps ? Cela doit bouillirr vingt et oun heurres. Pendant ce

    temps, prrenez exactement quarrante-cinq sourrisbrrounes. Coupez-leurr la queue avec oun couteau, etfaites les frrirre dans la brrillantine jousqu ce quellessoient bien crroquantes.

    Et les souris ?

  • Laissez-les frrmirr dans dou jous de crrapaud

    pendant oune heurre. Mais coutez bien. Jousque-l, larrecette est simple. Le prroblme est dintrroduirre ounlment qui aurra oune vrritable action rretarrdement,dans les bonbons que mangerront les zenfants, et quinaurra de leffet que le lendemain neuf heurres, quand ilszarrrivent lcole.

  • Quest-ce que cest, Magna-nissime ? imploraient

    les sorcires. Rvle-nous le grand secret ! Le secrret, annona triomphalement la Grandissime

    Sorcire, cest oun rrveil ! Un rveil ! Quel coup de gnie ! scria lassistance. Absoloument ! On rrgle le rrveil aujourr-dhoui, et

    il sonne le lendemain neuf heurres ! Mais il nous faut cinq millions de rveils !

    sexclamrent les sorcires. Un pour chaque enfant.

  • Idiotes ! hurla la Grandissime Sorcire. Si vous

    voulez manger oun bifteck, faites-vous couirre le bufentier ? Cest la mme chose avec oun rrveil. Oun seulsouffit pourr mille enfants. Vous rrglez le rrveil pourr quilsonne neuf heurres dou matin. Pouis, quil rrtisse aufourr ! Vous zavez not ?

    Oui, Grandissime Sorcire, nous notons !

    Ensouite, prrenez votrre tlescope bouilli, vos

    queues de sourris grrilles, vos sourris marrines, et vouspassez le tout au mixerr. Mixez toute vitesse. Vous zavezalorrs oune belle pte paisse. Alorrs, continouez mixeraprrs avoirr ajout le blanc doun uf de grrognassier.

    Un uf de grognassier, daccord ! rptrent les

    sorcires.

  • sorcires. travers les clameurs, jentendis une sorcire, au

    dernier rang, murmurer sa voisine : Je suis trop vieille pour aller dnicher des ufs.

    Ces maudits grognassiers btissent toujours leurs nids trshaut !

    Donc, reprit la Grandissime Sorcire, vous mixez

    luf, pouis vous ajoutez oun oun les zingrrdientssouivants : la pince doun crrabcrronche, le bec dounblablapif, le grroin doun cochon de vin et la langue dounchavlos. Jesprre que vous les trrouverrez sansprroblme.

  • Sans problme ! rpliqurent les sorcires. Noustuerons le blablapif au harpon, nous pigerons lecrabcronche, nous tirerons sur le cochon de vin, et nousattraperons le chavlos dans son terrier.

    Excellent, approuva la Grandissime Sorcire.

    Quand vous aurrez tout mix, vous obtiendrrez ounmagnifique liquide verrt. Intrroduisez oune goutte, jousteoune gouttelette de ce prrodouit dans oun bonbon ou dansoun chocolat, et, neuf heurres dou lendemain matin,lenfant qui laurra crroqu se rretrrouverra trransforrm ensourris, vingt-six secondes plous tarrd ! Mais attention, nedpassez jamais la dose. Ne mettez jamais plous dounegoutte dans chaque bonbon ou chocolat, et ne donnez oun enfant quoun bonbon ou quoun chocolat. Ounegrrosse dose de la potion Sourris rretarrdementdrrglerrait le rrveil, et lenfant deviendrait sourris troptt. Oune grrosse dose peut avoirr oun effet instantan, etvous ne le souhaitez pas. Il ne faut pas que les zenfantssoient trransforrms en sourris dans vos confiserries.

  • Sinon, adieu nos prrojets !Aussi, attention : pas de grrosse dose !

  • La dmonstration

    La Grandissime reprit la parole : Maintenant, je vais vous prrouver que cette potion

    marrche la perrfection. Il est bien entendou que vouspouvez fairre sonner le rrveil lheurre que vous voulez !Ce nest pas forrcment neuf heurres. Donc, hierr, jaiprrparr, moi-mme, oune petite quantit de potionSourris rretarrdement pour vous fairre ounedmonstration. Mais jai intrrodouit oun changement dansla rrecette. Jai rrgl le rrveil quinze heurres trrente.Cest--dirre dans exactement sept minoutes !

    Lassemble des sorcires buvait les paroles de laGrandissime, pressentant quun vnement extraordinaireallait se produire.

    Quai-je donc fait de cette potion ? Je vais vousrrpondrre aussitt. Jai gliss oune goutte de potion dansoune barrre de chocolat, et jai donn cette barrre ounrrpougnant et nausabond petit garron, qui arrpentait lescouloirrs.

    La Grandissime Sorcire sarrta brutalement. Lepublic haletait, en attendant la suite.

    Ce rrpougnant petit moutarrd a crroqu sa barrrede chocolat. Cest bon ? loui ai-je demand. Souperr ! a-t-il rrpondou. En veux-tou dautrres ? ai-je demand. Ouais ! a-t-il rrpondou. Alorrs jaidclarr : Je te donnerrai six barrres de chocolat, si tou

  • viens dans la salle de bal de cet htel, demain trroisheurres vingt-cinq de laprrs-midi. Six barrres ! sestcrri le dgotant petit porrc. Jy serrai. Pourr sorr, jyserrai !

    Et la Grandissime Sorcire se mit hurler : La mise en scne est prrte ! La prreuve parr neuf

    va commencer ! Il est maintenant, voyons sourr mamontrre, 3 h 25, et laffrreux petit moutarrd serra chang ensourris dans cinq minoutes. Il devrrait dj se trrouverdevant la porrte.

    Et la diablesse avait raison. Le garon tambourinait la porte.

    Vite ! cria la Grandissime Sorcire. Rremettez vosperrouques, vos gants et vos chaussourres !

    Les sorcires obirent dans un dsordreindescriptible. La Grandissime Sorcire replaa sonmasque sur son terrifiant visage. Ctait stupfiant de voircomme il la transformait en jeune et jolie femme.

    Je veux entrer ! criait la voix du garon, derrire laporte. O sont les chocolats que vous mavez promis ? Jeles veux, ils sont moi !

    Non seulement il poue, mais il est goulou ! dit laGrandissime Sorcire. Ouvrrez la porrte, et quil entrre !

    Chose extraordinaire, ses lvres remuaientnaturellement quand elle parlait, malgr son masque.

    La matrone, qui barrait la porte, enleva la chane,introduisit la cl dans la serrure, et ouvrit.

    Bonjour, mon bonhomme ! scria-t-elle. Ravie de tevoir ! Tu viens chercher tes barres de chocolat, nest-ce

  • pas ? Elles tattendent ! Viens !

    Un petit garon portant un tee-shirt blanc, un short gris

    et des tennis, entra dans la salle. Je le reconnus aussitt. Ilsappelait Bruno Jenkins, et habitait lhtel avec sesparents. Ctait un garon sans intrt, le genre dindividuqui est toujours en train de manger. Vous lapercevez dansle hall de lhtel ? Il se gave de chips ! Dans le jardin ? Ilsempiffre de glace. De plus, Bruno se vantait sans arrt :

  • Mon pre gagne plus que le tien. Nous avons troisvoitures, etc.

    Il y avait pire. Hier matin, je lavais dcouvertagenouill sur la terrasse, tenant une loupe. Avec elle, ilcaptait les rayons du soleil et il samusait rtir les fourmis.

    Jadore les voir brler ! avait-il dit. Cest horrible ! mtais-je cri. Arrte. Essaie un peu de marrter ! avait-il rpliqu.Alors, je lavais pouss de toutes mes forces, et il tait

    tomb contre la balustrade o taient hisss les drapeaux.Sa loupe stait brise, et il stait relev en braillant : Mon pre te le fera payer !Puis il avait fil, sans doute pour chercher son pre.

    Ctait la dernire fois que javais aperu Bruno Jenkins.Le voir transform en souris maurait beaucoup surpris,mais je dois avouer que cela ne maurait pas dplu. En toutcas, je naurais pas voulu tre sa place.

    Mon cherr petit, roucoula la Grandissime Sorciretoujours sur lestrade, jai tes chocolats.

    Monte prrs de moi, et dis bonjourr ces charrmantesdames.

    Sa voix tait douce comme du miel, prsent.Bruno semblait un peu berlu par cet accueil, mais il

    accepta dtre conduit par la matrone sur lestrade. Vouais ! fit-il. O sont mes six barres de chocolat ?Une seconde sorcire referma la porte double tour,

    et remit la chane cadenasse autour des deux loquets.Bruno, trop occup rclamer ses barres de chocolat, nele remarqua pas.

  • Il ne rreste plous quoune minute avant trrois heurrestrrente ! annona la Grandissime Sorcire.

    Que se passe-t-il ? demanda Bruno.Il navait pas peur, mais la situation le mettait mal

    laise. Que