S&A - février 2009 - La molécule du désir féminin

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46 SCIENCES ET AVENIR - FÉVRIER 2009 DOSSIER Plaisir sur ordonnance « Chérie, tu viens te coucher ? Attends, je prends ma flibansérine. » Voilà ce qu’on entendra peut-être murmurer dès cette an- née. La flibansérine, dernière-née du labo- ratoire allemand Boehringer Ingelheim, pourrait en effet bien s’inscrire dans l’his- toire de la pharmacopée comme le premier stimulant du désir sexuel féminin. Une ré- volution, à l’instar de l’arrivée, en 1998, du Viagra pour les hommes ! Des tests sont menés actuellement sur 5000 femmes aux Etats-Unis, en Europe et au Canada. Si les résultats annoncés pour le courant de l’année sont satisfaisants, la mise sur le marché pourrait sur- venir dans la foulée. Il était temps, disent cer- tains : « De nombreuses femmes ont de grandes difficultés à accéder fa- cilement au désir et au plaisir, constate Philip- pe Brenot, psychiatre et directeur d’ensei- gnement en sexologie à l’université Paris-V. Et, pour l’instant, nous n’avons pas de mé- dicament à leur proposer. » Ça ne devrait donc plus tarder. D’autant que la recherche bat son plein. Pas moins d’une dizaine de molécules sont en expéri- mentation en Europe ou aux Etats-Unis, la flibansérine figurant en tête de file. Boeh- ringer, laconique, affirme qu’elle stimule « les endroits du cerveau associés aux émotions et au plaisir ». Bien que « des re- cherches [soient] en cours pour mieux connaître le mode d’action », on sait déjà que ce composant agit principalement sur la concentration cérébrale en sérotonine, un médiateur chimique impliqué dans l’an- xiété et les émotions. Lors d’une étude me- née en 2002, Franco Borsini, chercheur au laboratoire pharmaceutique italien Sigma- Tau, lui prêtait également une action sur les récepteurs de la dopamine, neurotransmet- teur intervenant dans le circuit du plaisir (voir les schémas p. 54-55). Dans le test en cours, les femmes présen- tent toutes une nouvelle pathologie bapti- sée « hypoactive sexual desire disorder (HSDD) » – trouble du désir sexuel hypoac- tif– dans le DSM-IV, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la bible internationale des psychiatres. L’investisse- ment financier a été massif, encouragé par les résultats des études préliminaires de phase II durant lesquelles, selon le labora- toire, les patientes sous flibansérine « ont res- senti davantage de dé- sir et une satisfaction sexuelle accrue ». A noter cependant qu’il faut être patient ! La molécule semble n’agir qu’après six à huit se- maines de traitement. Contrairement au Viagra, qui agit quasi ins- tantanément, il s’agirait donc plutôt d’un traitement de fond. Quoi qu’il en soit, pour le docteur Charles De Wet, chercheur chez Boehringer, « la flibansérine amène le dé- sir à un niveau normal ». Sans toutefois préciser ce qu’il entend par « normal ». Et voilà bien tout le problème… La « nor- malité » relève ici, en effet, de la subjecti- vité. Comment mesurer l’effet d’une molé- cule sur le désir ? Réponse du laboratoire : par une série de questionnaires destinés à apprécier le niveau du désir, du genre « Vo- tre désir sexuel ou votre intérêt pour le sexe a-t-il baissé ? » « Aimeriez-vous que votre désir sexuel augmente ? » à l’entrée dans l’étude. Ou, après traitement, « Avez- vous eu une activité sexuelle ? » « Combien de fois ? » « L’avez-vous trouvée satisfai- sante ? » Les résultats sous traitement actif sont ensuite comparés à ceux obtenus sous placebo. Pas de quoi, a priori, en tirer des conclusions définitives. Ce stimulateur de libido a bien failli pour- tant connaître un tout autre destin. Boehrin- ger l’a d’abord testé au cours des années 1990 contre la dépression. Les Allemands comptaient sur une action rapide de la mo- lécule dans cette indication. Plus rapide que les traitements – Prozac, Deroxat, etc. – sur le marché, ce qui aurait permis de les con- currencer. Or, à la surprise générale, si les résultats contre la dépression n’ont pas été probants, les chercheurs ont observé une action significative sur la libido féminine. Or comment expliquer cet effet paradoxal Le nouveau stimulant agit principalement sur la concentration en sérotonine La molécule du désir féminin Un médicament qui stimule la libido féminine pourrait être sur le marché dès cette année. Cette révolution suscite déjà la polémique.

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Un médicament qui stimule la libido féminine ? Une "révolution" qui suscite la polémique.

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DOSSIER Plaisir sur ordonnance

« Chérie, tu viens te coucher ? Attends, je

prends ma flibansérine. » Voilà ce qu’on entendra peut-être murmurer dès cette an-née. La flibansérine, dernière-née du labo-ratoire allemand Boehringer Ingelheim, pourrait en effet bien s’inscrire dans l’his-toire de la pharmacopée comme le premier stimulant du désir sexuel féminin. Une ré-volution, à l’instar de l’arrivée, en 1998, du Viagra pour les hommes ! Des tests sont menés actuellement sur 5000 femmes aux Etats-Unis, en Europe et au Canada. Si les résultats annoncés pour le courant de l’année sont satisfaisants, la mise sur le marché pourrait sur-venir dans la foulée. Il était temps, disent cer-tains : « De nombreuses

femmes ont de grandes

difficultés à accéder fa-

cilement au désir et au

plaisir, constate Philip-pe Brenot, psychiatre et directeur d’ensei-gnement en sexologie à l’université Paris-V. Et, pour l’instant, nous n’avons pas de mé-

dicament à leur proposer. » Ça ne devrait donc plus tarder. D’autant que la recherche bat son plein. Pas moins d’une dizaine de molécules sont en expéri-mentation en Europe ou aux Etats-Unis, la flibansérine figurant en tête de file. Boeh-ringer, laconique, affirme qu’elle stimule « les endroits du cerveau associés aux

émotions et au plaisir ». Bien que « des re-

cherches [soient] en cours pour mieux

connaître le mode d’action », on sait déjà que ce composant agit principalement sur la concentration cérébrale en sérotonine, un médiateur chimique impliqué dans l’an-xiété et les émotions. Lors d’une étude me-née en 2002, Franco Borsini, chercheur au laboratoire pharmaceutique italien Sigma-Tau, lui prêtait également une action sur les

récepteurs de la dopamine, neurotransmet-teur intervenant dans le circuit du plaisir (voir les schémas p. 54-55). Dans le test en cours, les femmes présen-tent toutes une nouvelle pathologie bapti-sée « hypoactive sexual desire disorder (HSDD) » – trouble du désir sexuel hypoac-tif– dans le DSM-IV, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la bible internationale des psychiatres. L’investisse-ment financier a été massif, encouragé par les résultats des études préliminaires de phase II durant lesquelles, selon le labora-

toire, les patientes sous flibansérine « ont res-

senti davantage de dé-

sir et une satisfaction

sexuelle accrue ». A noter cependant qu’il faut être patient ! La molécule semble n’agir qu’après six à huit se-maines de traitement.

Contrairement au Viagra, qui agit quasi ins-tantanément, il s’agirait donc plutôt d’un traitement de fond. Quoi qu’il en soit, pour le docteur Charles De Wet, chercheur chez Boehringer, « la flibansérine amène le dé-

sir à un niveau normal ». Sans toutefois préciser ce qu’il entend par « normal ». Et voilà bien tout le problème… La « nor-malité » relève ici, en effet, de la subjecti-vité. Comment mesurer l’effet d’une molé-cule sur le désir ? Réponse du laboratoire : par une série de questionnaires destinés à apprécier le niveau du désir, du genre « Vo-

tre désir sexuel ou votre intérêt pour le

sexe a-t-il baissé ? » « Aimeriez-vous que

votre désir sexuel augmente ? » à l’entrée dans l’étude. Ou, après traitement, « Avez-

vous eu une activité sexuelle ? » « Combien

de fois ? » « L’avez-vous trouvée satisfai-

sante ? » Les résultats sous traitement actif sont ensuite comparés à ceux obtenus sous

placebo. Pas de quoi, a priori, en tirer des conclusions définitives.Ce stimulateur de libido a bien failli pour-tant connaître un tout autre destin. Boehrin-ger l’a d’abord testé au cours des années 1990 contre la dépression. Les Allemands comptaient sur une action rapide de la mo-lécule dans cette indication. Plus rapide que les traitements – Prozac, Deroxat, etc. – sur le marché, ce qui aurait permis de les con-currencer. Or, à la surprise générale, si les résultats contre la dépression n’ont pas été probants, les chercheurs ont observé une action significative sur la libido féminine. Or comment expliquer cet effet paradoxal

Le nouveau stimulant agit principalement sur la concentration

en sérotonine

La molécule du désir féminin Un médicament qui stimule la libido féminine pourrait être sur le marché dès cette année. Cette révolution suscite déjà la polémique.

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alors que les antidépresseurs sont censés faire baisser la libido ?Réponse de Boehringer : la flibansérine n’appartient pas, par son mode d’action, à la famille des IRS (inhibiteurs de la recap-ture de la sérotonine, type Prozac, Deroxat, Zoloft, etc.). Ces IRS augmentent le taux de sérotonine dans la synapse en empêchant sa recapture dans le neurone présynapti-que. « A contrario, explique-t-on chez Boe-hringer, la flibansérine agit en tant

qu’agoniste des récepteurs 5-HT1A et an-

tagoniste des récepteurs 5-HT2A. » (Lire

l’encadré p. 49.) Conclusion commode du laboratoire : « la flibansérine n’est pas un

antidépresseur », ce qui a ouvert la voie à d’autres recherches. Or Paolo D’Aquila, de l’université de Swansea (Royaume-Uni), concluait en 1997 que les résultats observés chez la souris et le rat allaient dans le sens d’une « action antidépressive rapide de la

flibansérine ». Qui croire ? Une clarification s’impose, sachant que les antidépresseurs sont susceptibles de pro-voquer des phénomènes de désinhibition pouvant conduire dans certains cas au sui-cide. Gare à une utilisation mal encadrée de la flibansérine comme aphrodisiaque ! En attendant de donner de plus amples préci-sions, Boehringer se contente d’affirmer

que la flibansérine est globalement « bien

tolérée ». En espérant être à l’abri d’une mauvaise surprise. L’entreprise américaine Palatin Technolo-gies vient d’en faire l’amère expérience. Elle attendait des miracles de la bréméla-notide (encore appelée PT- 141, voir Scien-

ces et Avenir n° 690, août 2004), une molé-cule reproduisant l ’action de la mélanocortine, hormone impliquée, notam-ment, dans le désir sexuel (voir schéma

p.55). A priori, cette molécule avait pour elle des atouts majeurs, notamment ses ré-sultats plus qu’encourageants chez l’animal et sa présentation sous forme de

5000 femmes participent actuellement à des tests sur la flibansérine

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spray nasal. D’où une action quasi immédiate qui en aurait fait un aphrodisia-que utilisable à la demande. Pratique dans le sac à main ! Hélas ! les effets secondaires cardio-vasculaires – hypertension principa-lement – observés chez l’humain ont anéan-ti les espoirs de Palatin Technologies. En septembre dernier, la compagnie a jeté l’éponge. Une autre molécule, nom de code PL-6983, est à l’étude. « Elle présente des

effets identiques à ceux de la brémélano-

tide mais moins d’effets secondaires », in-dique Palatin (lire p. 51).Pour augmenter la libido, les chercheurs testent également des traitements à base de testostérone, car cette hormone joue un rôle important dans le désir sexuel féminin comme masculin (lire p. 51). Les femmes

fabriquant de la testostérone à partir des ovaires et de la glande surrénale, celles qui ont subi l’ablation des ovaires et de l’utérus déplorent souvent une baisse de libido. Des traitements visant à pallier ce déficit sont déjà sur le marché. Le premier, l’Intrinsa, a été commercialisé en France en 2007 sous forme de patch. Une véritable avancée dans une indication limitée ? « Oui, répond Jac-ques Buvat, endocrinologue à Lille, prési-dent de la Société française de médecine sexuelle. Ce médicament est utile. » Mais les médecins de la revue Prescrire se montrent beaucoup plus réservés : « Il n’est

pas démontré que la testostérone améliore

la satisfaction sexuelle des femmes. » De plus, outre des effets secondaires gênants (acné, insomnie, migraine, pousse des

poils, prise de poids…), des risques méta-boliques, cardio-vasculaires et cancéreux, ne sont pas à exclure. Prescrire met égale-ment en garde contre l’association œstro-gène et testostérone. « Gare aux traite-

ments hormonaux ! », conclut la revue. Dans les tuyaux des laboratoires, on trouve aussi le GnRH II, équivalent synthétique de la lulibérine, une hormone qui oriente le cir-cuit de la récompense vers le désir sexuel (lire p. 51). Outre ces recherches sur le désir, les scien-tifiques ne manquent pas non plus d’idées pour stimuler le plaisir sexuel féminin, qui fait intervenir d’autres mécanismes physio-logiques. Les laboratoires Pfizer n’ont pu faire coup double avec leur Viagra, efficace seulement sur les hommes. Pourtant, les

3000 patientes ont testé le Viagra. Aucune augmentation du plaisir n’a été démontrée

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premières études semblaient prometteu-ses. Le Viagra augmentant l’afflux sanguin dans le pénis, et un phénomène identique étant observé au niveau du clitoris, ils pen-saient parvenir à une stimulation génitale chez la femme. Mais, malgré des recher-ches menées auprès de 3000 patientes, l’augmentation du plaisir n’a jamais pu être démontrée. Parallèlement, d’autres recher-ches se concentrent sur des traitements agissant directement sur la sphère génitale et fondent leurs espoirs sur plusieurs molé-cules à base de prostaglandine, déjà utili-sées dans le traitement de l’impuissance sexuelle masculine en raison de leurs pro-priétés vasodilatatrices. Des études sont en cours chez les femmes américaines. Ainsi, l’alprostadil, appliqué en gel,

« augmente la congestion vasculaire au

niveau des zones génitales, observe le doc-teur Luba Kielbasa, de l’université Nova Southeastern (Floride, Etats-Unis), élevant

ainsi le niveau de stimulation sexuelle ». Ce qui permet « une relation sexuelle réus-

sie ». Reste que le produit n’est pas dénué d’effets secondaires (démangeaisons) et que toutes les recherches n’ont pas abouti à un résultat positif. A la lecture de toutes ces études visant à découvrir l’aphrodisiaque féminin univer-sel, une question lanci-nante s’impose, divisant la communauté médica-le : les problèmes sexuels féminins relè-vent-ils vraiment d’une approche pharmacolo-gique ? Prescrire consi-dère que « les firmes

pharmaceutiques ont investi le marché

des frustrations sexuelles » et, longtemps délaissées, les femmes seraient désormais une cible commerciale stratégique. Pour les besoins de la cause, on calquerait désor-mais la sexualité féminine sur celle des hommes en la résumant à trois paramètres indépendants : désir, excitation et orgasme. Or, selon Prescrire, les enquêtes montrent que pour beaucoup de femmes « les no-

tions de plaisir, de désir et d’excitation

sont difficiles à séparer ». De même, « le

désir sexuel paraît souvent moins impor-

tant que le désir d’émotions intimes ». Rien qui justifie donc un traitement, les pro-

blèmes personnels et relationnels étant les principaux facteurs contribuant à une insa-tisfaction sexuelle. Le docteur Michèle Pujos-Gautraud, sexo-logue à Saint-Emilion (Gironde), reçoit des femmes qui consultent en raison d’une bais-se ou d’une absence de désir. « Les causes

des problèmes sexuels sont multiples, explique-t-elle, très souvent dus à des dif-

ficultés de communication, des mésenten-

tes, ou encore une ignorance du fonction-

nement de son propre corps ou de celui de

son partenaire. » Dans la plupart des cas, cela se règle avec des théra-pies personnelles ou de couple. Pourtant, cette praticienne verrait plu-tôt d’un bon œil l’arrivée de molécules stimulant le désir. Ne serait-ce que

pour débloquer une situation. « Les problè-

mes sexuels entraînent le couple dans un

cercle vicieux. On n’arrive pas toujours à

régler les difficultés par une approche psy-

chologique », souligne le docteur Pujos-Ga-raud. Son confrère, Jacques Buvat est sur la même longueur d’ondes : « Le médicament

rassure, aide à reprendre confiance en

soi. On a observé cela avec le Viagra. » Ces médicaments pourraient également être utiles chez les femmes qui connaissent une baisse de libido après un accouchement en raison, en partie, d’une chute de la testosté-rone. « C’est très fréquent, souligne le doc-teur Pujos-Garaud. Et cela peut se

L a molécule de flibansérine agit chez l’humain au niveau du

système nerveux central sur certains récepteurs à la sérotonine. Son action est analogue à celle de ce neurotransmetteur sur les récepteurs 5-HT1A (agoniste) tandis qu’elle a une action contraire (antagoniste) sur les récepteurs 5-HT2A. Ces derniers, qui contrôlent la contraction des muscles lisses, sont impliqués dans l’activité motrice et sexuelle, et jouent sur la libération d’autres neurotransmetteurs et hormones. Les récepteurs

5-HT1a, quant à eux, sont impliqués dans certains comportements, comme le sommeil, la prise de nourriture, l’agressivité, l’anxiété et la thermorégulation. Cyrine Ben Amor, chef du projet du laboratoire Boehringher-Ingelheim qui travaille à la mise au point d’une « pilule du désir » pour les femmes à base de flibansérine, élargit l’analyse: « ces deux récepteurs sont impliqués dans les circuits de la sérotonine et de la dopamine, deux neurotransmetteurs que l’on estime essentiels

dans le mécanisme du désir ». Elle précise également que, dans ses recherches, le laboratoire a choisi de se focaliser uniquement sur les effets éventuels de la flibansérine sur les troubles sexuels féminins. Or son spectre d’action pourrait être bien plus vaste. En témoigne la quantité d’autres études cliniques qui testent cette molécule prometteuse pour des pathologies aussi variées que l’obésité, les douleurs chroniques, la toxicomanie ou l’incontinence urinaire… H. R.

Les autres promesses de la flibansérine

Tous les problèmes sexuels ne se

règlent pas par des psychothérapies

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prolonger trois ou quatre ans après

la naissance en dehors de tout problème de

couple. » Ou chez celles qui ont eu un can-cer du sein. Bien souvent « ce sont des tu-

meurs hormonodépendantes que l’on soi-

gne avec des traitements antihormonaux.

Du coup les femmes n’ont plus de désir

sexuel », explique Jacques Hervy, cancéro-logue à Nice. « Ce qui entraîne dépres-

sion, conflits de couples, divorces…, c’est

dramatique. » Des millions de femmes dans le monde sont concernées. « Mais,

nous n’avons pas de traitement, rien à

leur proposer, regrette-t-il. Si cela arrive,

ce sera une révolution. Le laboratoire qui

découvrira le médicament miracle fera

fortune. »

Cette vague de recherches ressemble fort, en effet, à la quête de la poule aux œufs d’or. Les femmes en ont-elles réellement besoin ? Les études sont contradictoires (lire p. 59). Et cette bataille de chiffres annonce d’ores et déjà une prochaine em-poignade : celle du seuil entre normal et pathologique. Qui va décider que telle ou telle femme sans désir relève d’un traitement ? Sur quels cri-tères ? « Les troubles de la fonction sexuel-

le […] ne génèrent pas pour autant une

gêne dans l’expérience de la sexualité », ob-servent encore Nathalie Bajos et Michel Bo-zon, responsables de la publication d’En-

quête sur la sexualité en France (La Découverte), vaste recherche multidiscipli-naire. Certaines difficultés par exemple sont liées à l’entrée dans la sexualité. C’est le cas des femmes de 18 à 24 ans qui décou-vrent leur corps, leur partenaire, etc. 11,4 % d’entre elles ont souvent des difficultés à at-teindre l’orgasme. Est-ce pathologique ? Ré-pondre à cette question suppose au préala-ble d’établir une norme objective.

Impossible, objecte la revue Prescrire. « La

diversité vis-à-vis de la sexualité rend illu-

soire l’établissement d’une norme générale.

Chacune et chacun construit sa propre ré-

férence, influencé, entre autres, par son

éducation, sa culture […] et cette norme

individuelle évolue au cours de la vie. » Le docteur John Bancroft, célèbre sexolo-gue américain, ancien directeur du Kinsey Institute à l’université d’Indiana, considère même que l’absence ou la diminution d’intérêt sexuel peut représenter pour les

femmes une réponse adaptée à des situa-tions difficiles de la vie : état de fatigue, stress, dépression. Rien de pathologique là-dedans. « Il est vrai, répond Philippe Brenot, que

dans de nombreux cas, la baisse du désir

n’a rien de pathologique. Il n’en demeure

pas moins qu’une partie des femmes ont

des troubles du désir avérés qui se prolon-

gent dans le temps et qui entraînent de

graves perturbations dans leur vie inti-

me. » C’est donc à cette minorité de fem-mes que seraient destinées les molécules à venir ? Pourquoi pas, le Viagra a bien chan-gé la vie de nombreux hommes. Guy Hugnet

11 % des Françaises

de 18 à 24 ans ont des difficultés à atteindre l’orgasme

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Sur quels critères décide-t-on qu’une absence de désir relève d’un traitement ? Pour en savoir plus

A lire : Ce que les femmes préfèrent..., une autre enquête, qualitative cette fois, menée, chez 1500 femmes de 18 à 65 ans par le gynécologue, an-drologue, Sylvain Mimoun. Une série de témoi-gnages sur la sexualité de nos contemporaines, ainsi que des conseils du professionnel. Vivant et sensible. Albin Michel, 230 p., 15 €.

A consulter : le site web de l’enquête « Con-texte de la sexualité en France », menée par Nathalie Bajos (Inserm) et Michel Bozon (Ined) auprès de plus de 12 000 hommes et femmes. Y sont résumés les principaux résultats de l’étu-de, tels que l’âge des premiers rapports, la fré-quence de l’activité sexuelle, des dysfonction-nements… http://csf.kb.inserm.fr/csf/accueil.html

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