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1 Rwanda- L’ethnisme hier et aujourd’hui Généralités : Le peuple rwandais est composé principalement de trois ethnies, Abahutu, Abatutsi et Abatwa répartis dans des clans. Les ethnies sont identifiées par leur mode de vie et leur comportement liés à leurs origines respectives. Selon les recensements qui étaient effectués par l'administration coloniale depuis le Rwanda moderne et repris par les historiens, Abahutu agriculteurs présentés sous le sigle Hutu composent 85%, Abatutsi éleveurs présentés sous le sigle Tutsi composent 14%, Abatwa chasseurs présentés sous le sigle Twa forment 1%. Tandis qu'au recensement général effectué par la deuxième république et le PNUD en août 1991, les Tutsi se trouvant à l'intérieur du Rwanda composaient environ 8,4% de la population. Mais la catastrophe rwandaise de 1994 peut avoir changé les données statistiques. Le régime actuel du FPR cache le détail des résultats du recensement de la population. Les ethnologues et les historiens attestent que les entités territoriales primitives devenues le Rwanda actuel étaient des royaumes autonomes dirigés par des monarques traditionnels, chefs de lignages des clans des Abasangwabutaka (futurs Hutu). Il s'agit des Abasinga, Ababanda, Abagesera, Abazigaba, Abenengwe, Abacyaba, Abungura, Abahondogo. Les Twa primitifs vivaient dans la forêt et étaient organisés en familles qui se respectaient mutuellement et respectaient l'inviolabilité du domaine de chasse de chacune. Le premier groupe Tutsi est arrivé au 10 ème ou 11 ème siècle et s’est installé au Mubali (Mutara actuel), au Nord-Est du Rwanda, territoire du clan Abazigaba, mais à l’insu de ces derniers. Il était composé de deux frères Kigwa et Mututsi et leur sœur Nyampundu. Lorsqu’il a été découvert par les occupants, le groupe a caché son origine et s’est présenté comme étant descendu du ciel. Il s’est dénommé Ibimanuka, au singulier Ikimanuka qui signifie justement « descendu du ciel ». Les populations Hutu qu’ils ont trouvées se sont dénommées Abasangwabutaka, au singulier Umusangwabutaka qui signifie « trouvé sur la terre ». Ils ont par la suite progressé au fil des années, se sont répandus et installés dans les territoires des Basangwabutaka à la recherche des pâturages pour leurs vaches. Ils cohabitèrent paisiblement avec les populations autochtones adoptant leurs us et coutumes sans se mêler des affaires administratives. Ils se nouèrent plutôt des amitiés en offrant des vaches aux chefs traditionnels. De même les Twa sédentarisés, arrivés avec les Ibimanuka (Tutsi) et étant leurs valets (à en croire la lettre des dignitaires Tutsi adressée au roi Mutara Rudahigwa le 17 mai 1958), peu nombreux soient-ils, suivaient leurs chefs. Le premier Ikimanuka (Tutsi) qui fonda son royaume est Gihanga (1091-1124). Il fonda ce royaume à Buhanga dans le Mulera, la région de Nyamutera et Nyakinama,

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Rwanda-

L’ethnisme hier et aujourd’hui

Généralités :

Le peuple rwandais est composé principalement de trois ethnies, Abahutu, Abatutsi

et Abatwa répartis dans des clans. Les ethnies sont identifiées par leur mode de vie

et leur comportement liés à leurs origines respectives.

Selon les recensements qui étaient effectués par l'administration coloniale depuis le

Rwanda moderne et repris par les historiens, Abahutu agriculteurs présentés sous le

sigle Hutu composent 85%, Abatutsi éleveurs présentés sous le sigle Tutsi

composent 14%, Abatwa chasseurs présentés sous le sigle Twa forment 1%. Tandis

qu'au recensement général effectué par la deuxième république et le PNUD en août

1991, les Tutsi se trouvant à l'intérieur du Rwanda composaient environ 8,4% de la

population. Mais la catastrophe rwandaise de 1994 peut avoir changé les données

statistiques. Le régime actuel du FPR cache le détail des résultats du recensement de

la population.

Les ethnologues et les historiens attestent que les entités territoriales primitives

devenues le Rwanda actuel étaient des royaumes autonomes dirigés par des

monarques traditionnels, chefs de lignages des clans des Abasangwabutaka (futurs

Hutu). Il s'agit des Abasinga, Ababanda, Abagesera, Abazigaba, Abenengwe,

Abacyaba, Abungura, Abahondogo. Les Twa primitifs vivaient dans la forêt et étaient

organisés en familles qui se respectaient mutuellement et respectaient l'inviolabilité

du domaine de chasse de chacune.

Le premier groupe Tutsi est arrivé au 10ème ou 11ème siècle et s’est installé au Mubali

(Mutara actuel), au Nord-Est du Rwanda, territoire du clan Abazigaba, mais à l’insu

de ces derniers. Il était composé de deux frères Kigwa et Mututsi et leur sœur

Nyampundu. Lorsqu’il a été découvert par les occupants, le groupe a caché son

origine et s’est présenté comme étant descendu du ciel. Il s’est dénommé Ibimanuka,

au singulier Ikimanuka qui signifie justement « descendu du ciel ». Les populations

Hutu qu’ils ont trouvées se sont dénommées Abasangwabutaka, au singulier

Umusangwabutaka qui signifie « trouvé sur la terre ». Ils ont par la suite progressé

au fil des années, se sont répandus et installés dans les territoires des

Basangwabutaka à la recherche des pâturages pour leurs vaches. Ils cohabitèrent

paisiblement avec les populations autochtones adoptant leurs us et coutumes sans se

mêler des affaires administratives. Ils se nouèrent plutôt des amitiés en offrant des

vaches aux chefs traditionnels. De même les Twa sédentarisés, arrivés avec les

Ibimanuka (Tutsi) et étant leurs valets (à en croire la lettre des dignitaires Tutsi

adressée au roi Mutara Rudahigwa le 17 mai 1958), peu nombreux soient-ils, suivaient

leurs chefs.

Le premier Ikimanuka (Tutsi) qui fonda son royaume est Gihanga (1091-1124). Il

fonda ce royaume à Buhanga dans le Mulera, la région de Nyamutera et Nyakinama,

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ancienne préfecture de Ruhengeri, Nord-ouest de l'actuelle Province du Nord. Mais la

façon dont Gihanga créa son royaume (par la force, la ruse ou le charisme) et les

limites de son territoire initial ne sont pas définies.

Gihanga parvint à faire reconnaître ou à imposer son autorité dans les autres

royaumes jusqu'à l'Est de ce qui sera le Congo, actuelle République Démocratique du

Congo, notamment au Bunyabungo au Sud-Kivu et à Rutshuru au Nord-Kivu. Mais la

façon dont il se fit reconnaître par d’autres monarques n’est pas élucidée.

Il fit des tournées d'agrément et se fit payer les tributs sans s'ingérer dans les affaires

internes desdits royaumes. On situe ses résidences à Buhanga (la limite des

communes Nyamutera et Nyakinama), à Kangomba (en la commune Nyarutovu),

préfecture de Ruhengeri, à Nyamirembe-Humure (au Mubali-Mutara), à Bunyabungo

(sur la rive congolaise sud du Lac Kivu) et à Buhindangoma (non loin de Rutshuru, au

Congo). Cependant son autorité semble être plutôt mythologique, car rien n’indique

comment il s’est fait reconnaître.

A son testament passé à Nyamirembe-Humure au Mubali (Mutara) Gihanga créa une

fédération de 5 royaumes (provinces) confiés à ses fils: Rwanda confié à Gahima-

Kanyarwanda; Bugesera confié à Mugondo-Kanyabugesera; Bushubi confié à

Gashubi; Ndorwa confié à Sabugabo-Kanyandorwa; Bunyabungo confié à Ngabo-

Kanyabungo.

Gahima-Kanyarwanda, le fils aîné, est désigné en même temps le chef patriarcal

successeur de son père Gihanga. Au fil des années les 4 autres royaumes devaient

hommage et reconnaissance au monarque du Rwanda descendant de Gahima-

Kanyarwanda. Mais le monarque du Rwanda n'exerçait pas une autorité centrale

puisqu'il ne s'ingérait pas dans les affaires internes des autres royaumes et ne leur

adressait aucune instruction.

En marge du testament général, Gihanga aurait confié le Gisaka à son fils Rutsobe.

Mais ce dernier n'y a jamais vécu, tout comme ses successeurs puisqu'ils gardaient

le tambour dynastique Rwamo à Kinyambi au Rwanda (territoire de Gahima-

Kanyarwanda). Le monarque se faisait représenter.

Le représentant de la dynastie de Rutsobe au Gisaka finira par s'émanciper du

monarque qu'il représentait et par voie de conséquence du monarque du Rwanda

central. Les autres royaumes s'émanciperont également et le monarque Munyiginya

du Rwanda central, descendant de Gahima-Kanyarwanda, perdit son autorité

patriarcale.

Rwanda rwa Gasabo

La localité de Gasabo, à la colline Nkuzuzu, fut le siège des monarques descendants

de Gahima-Kanyarwanda, le fils aîné de Gihanga. C'est à partir de là que le monarque

exerçait son autorité patriarcale aux autres royaumes conformément au testament de

Gihanga.

Suite à l'émancipation des autres royaumes et des territoires autonomes, le royaume

du Rwanda central fut réduit à ce qu’on appelle « Rwanda rwa Gasabo » pour le

distinguer des autres lieux portant le nom Rwanda. Sous le règne de Ruganzu I

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Bwimba (1312-1345 selon Alexis Kagame ou 1482 selon J. Vansina), il semblerait

que le Rwanda rwa Gasabo était formé par le Buganza occidental (communes

Bicumbi et Gikoro) et Gasabo situé au Nord de Bwanacyambwe dans la Commune de

Gikomero, Préfecture de Kigali Rural.

Par la suite les monarques du Rwanda rwa Gasabo entreprirent les guerres de

reconquête et d'annexion d'autres territoires pour restaurer leur autorité. Ensuite ils

poursuivirent les guerres de reconquête et d'expansion du Rwanda par la destruction

des royaumes autonomes Hutu jusqu'à l'annexion du Gisaka par Mutara Rwogera au

début du XIXème siècle.

Le roi Kigeri IV Rwabugiri (1853-1895 selon Alexis Kagame ou 1860-1895 selon J.N

Nkurikiyimfura) mena simplement des expéditions pour consolider le pouvoir à

l'intérieur des frontières du Rwanda qui s'étendait de la Rivière Akagera au

Bunyabungo et Rutshuru à l'est du Congo, à la frontière avec le Burundi au Sud et au

Bufumbira en Ouganda.

Après leur arrivée, dès 1902, les Allemands aidèrent le roi Yuhi V Musinga (1896-

1931) à asseoir son autorité sur les territoires du Nord-Ouest (Ruhengeri et Gisenyi)

encore réticents et à mater les insurgés qui manifestaient encore la résistance ici et

là. C'est à la conférence de Bruxelles en 1910 fixant les limites des états de la Région

que le Rwanda perdit le Bufumbira en Ouganda (convention signée le 14 mai 1910)

et les territoires de l'Est du Congo (convention signée le 11 août 1910), et prit sa forme

et ses dimensions actuelles.

L’Ethnisme dans l’exercice du pouvoir et les relations sociales.

Ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle les trois ethnies ont été créées

artificiellement par le Colonisateur et l’Eglise font de la diversion pour voiler certains

faits et périodes sombres imputables aux anciens dirigeants ayant justement marqué

l’histoire du Rwanda. Or, l’existence des ethnies n’est pas un problème ; le problème

c’est l’ethnisme, c’est-à-dire le favoritisme de l’ethnie des dirigeants qui sont au

pouvoir et la discrimination et le mauvais traitement des autres ethnies. Les données

historiques ci-après démontrent que les ethnies et les inégalités existaient bien

longtemps avant la colonisation.

En 1863, environ 40 ans avant la colonisation, l'explorateur John Speke parle des

Abatutsi dans son livre « Journal of the Discovery of the Source of the Nile », alors

qu'il n'a fait qu' un bref passage au Burundi, ce qui atteste que le problème ethnique

était du quotidien dans les deux pays jumeaux ou vases communicants. Ce n'est pas

Monsieur Speke qui a inventé ce mot et l'ethnie qu'il désigne. Il en a constaté

l'existence.

Les dénominations Umuhutu et Umututsi étaient utilisées sous le règne de Cyirima

Rujugira en 1650 selon les recherches effectuées par le Comité sur l'unité du peuple

rwandais qui fut mis en place par le Président Pasteur Bizimungu le 27 juin 1998, dans

son édition "Repubulika y'u Rwanda, Prezidansi ya Repubulika, Ubumwe

bw'Abanyarwanda, Kigali Kanama 1999" -(République Rwandaise, Présidence de la

République, Unité du Peuple rwandais, Kigali août 1999).

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En 1908, le Dr Richard Kandt, premier Résident allemand au Rwanda, rapportait qu'il

appartenait aux Hutu d'agir pour provoquer les changements, puisque c'était eux les

plus nombreux, au lieu de se lamenter tous les jours comme des femmes. L’extrait de

son rapport est le suivant : « Je suis impuissant devant leurs requêtes et leurs

difficultés lorsqu’ils se plaignent de l’oppression qu’ils doivent subir et de la privation

totale de tout droit. A plusieurs reprises, je leur ai dit de se débrouiller eux-mêmes ; je

me suis même un peu moqué d’eux en leur disant qu’eux, qui sont cent fois plus

nombreux que les watutsi, ne savent que gémir et se plaindre comme des femmes. »

Il ne dénonçait pas seulement les souffrances des serviteurs de la dynastie Nyiginya

et des chefs mais plutôt les souffrances de toute la masse Hutu.

Tandis que le roi Musinga a utilisé les termes Umuhutu et Umututsi, les qualifiant

respectivement de serf et de seigneur, dans sa lettre datée du 5 janvier 1930,

adressée à sa fille Mushembugu lorsqu’il la dissuadait de se convertir au

christianisme : « J’ai maudit quiconque qui parmi mes enfants se fera chrétien. Si l’un

d’eux le devient …..qu’il ne trouve le laitage ni chez le serf, le Muhutu, ni chez le

seigneur, le Mututsi ». Ce n’est pas un Belge qui lui a inspiré ces termes et les

qualifications données aux 2 groupes. C’est ce qu’il vivait depuis son enfance

longtemps avant la colonisation. Ce sont ses ancêtres qui ont créé ces catégories

sociales de seigneurs et de serfs appelées ethnies, identifiées par leur mode de vie

et de comportement.

Ce n'est donc pas la Colonisation et l'Eglise arrivées autour de 1900, et encore moins

les Belges arrivés en 1916 qui ont créé et dénommé les ethnies comme certains

continuent de le prétendre.

Bien que l'origine et le début de la dénomination Hutu et Tutsi ne soient pas

déterminés, les gens se sont reconnus et identifiés mutuellement comme tels au fil

des temps après l'abandon des dénominations Ibimanuka et Abasangwabutaka.

Les clans constituent l’organisation sociale de base aussi bien parmi les Hutu que les

Tutsi. Mais les Hutu et les Tutsi n’appartiennent pas aux mêmes clans. Ils

appartiennent aux clans de mêmes dénominations qui n’ont aucun lien de parenté.

D’une manière générale les Hutu et les Tutsi appartenant aux clans de même

dénominations ne partageaient pas sur le plan social, alors que les Hutu de clans

différents partageaient entre eux et les Tutsi de clans différents partageaient

également entre eux.

Les clans Hutu existaient avant l’arrivée des Tutsi au Rwanda. Avec le temps certains

Tutsi ont adopté les mêmes dénominations que les Hutu, tandis que d’autres ont créé

leurs propres clans avec leurs dénominations. Vice versa certains Hutu ont adopté

des clans de mêmes dénominations que ceux des Tutsi.

Les Hutu et les Tutsi se reconnaissaient eux-mêmes et s'identifiaient mutuellement à partir de leurs ancêtres respectifs partout où ils s'installaient. On ne voit nulle part les familles Hutu et les familles Tutsi qui ont le même ancêtre lointain malgré les mêmes dénominations de leurs clans respectifs.

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Quant à l'appartenance des trois ethnies aux clans de même dénomination la seule

explication possible est qu'à un certain moment de l'histoire les gens ont coopté

réciproquement la dénomination des clans des uns et des autres, peut-être pour

promouvoir l'unité et l'intégration sociale. Les Tutsi et les Twa ont coopté la

dénomination des clans des Hutu et vice versa. Cependant l'appartenance des

membres des trois groupes ethniques (Hutu, Tutsi et Twa) aux clans de même

dénomination ne fut pas un facteur d’unité, de reconnaissance mutuelle ou d’échange

entre ces groupes, ni de commune identité. L'intégration sociale n'a pas réussi, car en

général les Rwandais se sont toujours identifiés mutuellement par des ethnies, c'est-

à-dire les trois ensembles regroupant les clans ayant les mêmes modes de vie et le

même comportement.

Par ailleurs, à part le totem, les Hutu, les Tutsi et les Twa appartenant aux clans de

même dénomination n'avaient pas le même mode de vie, tandis que le comportement

des uns envers les autres était teinté de complexes accusant leur différence.

Par exemple le Munyiginya Tutsi a toujours discriminé le Munyiginya Hutu, et les deux

ont discriminé le Munyiginya Twa. Le Munyiginya Hutu ou Twa n’avait pas accès aux

privilèges réservés au Munyiginya Tutsi durant toute la monarchie. C’était la même

chose dans tous les clans. Ainsi donc ils n'appartiennent pas aux mêmes clans mais

plutôt aux clans homonymes.

Tout a commencé par l’intégration sociale des Ibimanuka (futurs Tutsi) qui ne s’est

pas faite avec enthousiasme dans le milieu qui les a accueillis. Kigwa a épousé sa

sœur Nyampundu au lieu d’épouser une fille issue des peuples Abasangwabutaka

(futurs Hutu) qui les ont accueillis. Son grand-frère Mututsi a attendu pour épouser sa

nièce Sukiranya fille aînée de Kigwa et Nyampundu au lieu d’épouser une fille

autochtone. Leurs descendants, du moins ceux de la lignée de Kigwa qu’on énumère,

n’ont pas épousé les filles des Abasangwabutaka jusqu’au 10ème de la lignée, Kazi

père de Gihanga, qui a fait exception et a épousé Nyiragihanga Nyirarukangaga du

clan des Abazigaba. Il a donc fallu au moins deux siècles pour qu’un descendant des

Ibimanuka brise le tabou et épouse une fille autochtone!

Avec l’avènement de Gihanga qui était hybride, de père Ikimanuka et de mère

Umusangwabutakakazi, la dénomination Ibimanuka a été abandonnée. Cela a

probablement entraîné l’abandon de la dénomination Abasangwabutaka également.

Ces deux dénominations ont alors été remplacées respectivement par Abatutsi et

Abahutu. Il en serait de même de la stratification des clans dans lesquels on trouve

les trois ethnies. Mais les historiens n'ont pas exploré ce sujet.

Mon propre constat sur la différence de traitement des ethnies par l’autorité

administrative et sur les relations entre les ethnies sous la monarchie.

A la révolution sociale de 1959 au Rwanda j'avais 12 ans et demi et j'étais en 5ème

année primaire. Notre habitation était voisine de celle du sous-chef, située à une

distance d'environ 400 m, mais aucune autre habitation n'était au milieu. Le chemin

qui menait chez le sous-chef passait près de notre habitation.

Mon père était tantôt veilleur, tantôt facteur. J'allais souvent chez le sous-chef en

apportant ceci ou cela, notamment les légumes car mon père avait un jardin potager,

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ou des patates douces dites « pour les chiens du sous-chef ». Mais j'ai constaté que

le sous-chef les mangeait aussi, avec du lait bien sûr !

Je n'avais jamais lu les pièces d'identité des personnes qui passaient près de notre

habitation en se rendant chez le sous-chef ou ceux que j'y trouvais, pourtant je savais

distinguer le Hutu du Tutsi. Je constatais que les Hutu et les Tutsi n'étaient pas traités

de la même façon à la cour du sous-chef. Je connaissais tous les Tutsi de notre colline

sur un rayon de 5 km et tous ceux qui habitaient le long de mon chemin de l'école

estimé à 10 km, sans le demander à personne. Je les reconnaissais par leur

comportement et leur mode de vie. A l'école je savais distinguer les enfants Tutsi et

les enfants Hutu aussi bien de ma classe que ceux des autres classes, venus de toute

part dans le ressort de la paroisse couvrant un rayon de 20 km, alors qu’aucun enfant

n’avait une pièce d’identité. Mais les Tutsi se distinguaient des Hutu par leur

comportement.

Je distinguais le Hutu pasteur du Tutsi ayant le même nombre de vaches. Je n'ai

jamais vu un Tutsi, si simple soit-il, pasteur ou pas, faire les corvées ou monter la

garde chez le sous-chef. Je n'ai jamais vu un Tutsi porter le sous-chef et sa femme

dans le hamac. Est-ce le colonisateur qui a exempté le Tutsi d'office ou c'était un

acquis social antérieur ! Par contre les Hutu exemptés étaient ceux qui possédaient

plusieurs têtes de vaches !

Lorsqu'un Hutu croisait un Tutsi sur le chemin, c'est le Hutu qui se mettait de côté et

laissait le passage au Tutsi. Est-ce le colonisateur qui a ordonné ce respect et cette

préséance au Tutsi ou c'était ancré dans la mentalité et la coutume avant son arrivée?

Ceci pour conclure que le Tutsi, non seulement le dirigeant et dignitaire Munyiginya,

était considéré comme supérieur au Hutu avant l'arrivée du colonisateur. Les Hutu et

les Tutsi se reconnaissaient eux-mêmes et s'identifiaient mutuellement à partir de

leurs ancêtres respectifs partout où ils s'installaient tel que mentionné plus haut. On

ne voit nulle part les familles Hutu et les familles Tutsi qui ont le même ancêtre malgré

les mêmes dénominations de leurs clans respectifs.

Concernant les relations entre Hutu et Tutsi en général, je donne l’exemple sur le

beau-frère de notre sous-chef, le frère de sa femme. Il avait pris une propriété dans

notre concession ancestrale et habitait entre mes deux oncles paternels. Mais je ne

l’avais jamais vu chez nous ni chez mes oncles, je n’avais jamais vu mon père entrer

chez lui, je n’étais jamais entré dans son enclos. Pourtant selon la coutume, lorsqu’on

avait brassé la bière de banane ou de sorgho on conviait les voisins pour en partager,

puisqu’à ce moment-là il n’y avait pas de débits de boisson ou cabarets en campagne

pour la vendre et gagner un peu d’argent. Il en était de même lorsqu’un ami vous

apportait de la bière ou lorsque, pendant les fiançailles, la famille du prétendant de

votre fille apportait de la bière. Mais ce monsieur n’invitait jamais mon père et mes

oncles, et eux ne l’invitaient pas non plus alors qu’il n’y avait aucun différend entre

eux. La preuve étant que ce sont eux qui l’ont aidé à construire son logement après

la destruction de sa maison par des vandalistes pendant la révolution de novembre

1959, et l’ont accompagné comme porteurs quand il s’est décidé à s’exiler en 1961.

De même les autres Tutsi de notre colline ne nous fréquentaient pas et nous ne les

fréquentions pas.

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Je donne aussi l’exemple sur mes condisciples à l’école. Ce n’est qu’au chef-lieu de

la paroisse de Muramba qu’il y avait le cycle complet du primaire de 1957 à 1961.

Tous les enfants venant de tous les horizons dans le ressort de la paroisse depuis la

3ème année apportaient des provisions puisque la classe prenait toute la journée.

Alors qu’en principe les enfants de provenance d’une même zone se mettaient

ensemble pour partager leurs provisions pendant la pause de midi, les enfants Tutsi

se détachaient de leurs groupes et se regroupaient seuls pour partager leurs

provisions à part quelle que soit leur provenance. Les Hutu et les Tutsi s’identifiaient

d’eux-mêmes mutuellement alors que personne ne nous indiquait nos ethnies

respectives.

Le Constat fait par le colonisateur :

Depuis leur arrivée au Rwanda les Allemands ont relevé l’existence des ethnies et les

inégalités sociales, les Hutu plus nombreux étant dominés et réduits à l’esclavage par

les Tutsi. L’administration coloniale allemande installée au Rwanda depuis 1907,

même si le Résident gouvernait à partir de Bujumbura depuis 1897, quitta le pays en

1916 et n’eut pas le temps d’opérer des changements sociopolitiques malgré les

doléances des opprimés.

Le constat du Dr Richard Kandt susmentionné est sans équivoque. Tout Tutsi qui était

capable de se payer un Hutu serviteur par une vache ou autre astuce il en avait. D’où

la représentation historique de la domination du Hutu par le Tutsi n'était pas erronée!

Tandis que Monsieur Louis Jaspers, ancien Administrateur de territoire à Kibuye en

1955 témoigne sur la discrimination des Hutu par les Tutsi dans son écrit :

Antagonisme Hutu Tutsi. « Extrait 24-12-55 Veillée de Noël avec pièce de théâtre

25(12-55 : Inauguration des Contacts Sociaux par l’invitation des ménages des

évolués chez Monsieur l’Administrateur et Madame Jaspers. ». L’Administrateur a

demandé à Monsieur Munyekazi, Président du Cercle qui était Tutsi, d’établir la liste

des membres avec leurs épouses.

« Quand il me le remit finalement, quel fut mon étonnement de ne pas y voir le nom

de Joseph, le menuisier du territoire. S’agissait-il d’un oubli ? J’en fis la remarque à

Munyekazi et sa réponse fut : Monsieur l’Administrateur je ne puis l’inscrire car il est

Hutu et, bien qu’il soit membre de notre Fraternelle il n’est pas concevable que ma

femme doive être installée à côté de sa femme à votre réception ».

« J’en étais ulcéré, toutes nos peines pour obtenir une intégration raciale s’avéraient

sans effet. »

Les relations sociales entre les trois composantes du peuple rwandais, bien

avant la Colonisation et l’Eglise.

A travers les proverbes très anciens on constate que ces relations étaient teintées de

suspicion, de méfiance, de dénigrement et de mépris plutôt que d’estime mutuelle

entre les ethnies.

Pour les Tutsi :

*Uvura Umututsi amenyo akayaguhekenyera =

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Tu soignes le Tutsi des maux de dents et puis il les grince contre toi.

*Uvura Umututsi imitezi akakwendera umugore =

Tu soignes le Tutsi des maladies sexuellement transmissibles, et puis il prend ta

femme.

*Usasira Umututsi mu kirambi akagutanga mu buriri =

Si tu prépares le lit pour un Tutsi au salon il te précédera dans ton propre lit (Autrement

dit, il prendra ta femme).

Pour les Hutu :

* Uvura Umuhutu amaso akayagukanurira =

Tu soignes le Hutu des yeux et puis il te regarde d’un air méchant.

*Utuma Abahutu atuma benshi =

Si tu confies un message au Hutu il faut le confier à plusieurs.

Autrement dit un seul Hutu ne pouvait pas restituer textuellement, intégralement ou

fidèlement le message; le Hutu n’était pas assez intelligent.

*Nta Muhutu ushimwa kabiri =

Aucun Hutu ne peut être remercié deux fois (plus d’une fois). Cela veut dire qu’aucun

Hutu ne peut bien accomplir toujours son devoir.

Pour les Twa :

*Kanaka afite ubwenge Twa = Tel a l’intelligence des Twa (autrement dit il est peu

intelligent).

Ces proverbes démontrent que l'existence des 3 ethnies n'est pas une question de

classes sociales, comme certains « spécialistes du Rwanda » le présentent, mais que

c'est la question d'essence, de nature, de culture et de comportement péjoratifs que

les membres des 3 groupes ethniques se sont attribués mutuellement ou ont relevés

les uns vis-à-vis des autres au fil des temps. Ceux qui disent que les 3 ethnies sont

artificielles, que c'est seulement les clans qui distinguent les Rwandais, travestissent

la vérité.

Section 1: L'exercice du pouvoir et la situation sociopolitique pendant la

monarchie

Le Rwanda ancien fut un ensemble de royaumes des clans Hutu, indépendants,

juxtaposés et pacifiques. Le roi Hutu était appelé Umwami (Abami au pluriel).

L'histoire ne parle pas de l'organisation politique des Twa, les premiers occupants du

Rwanda qui vivaient à l'état primitif dans la forêt.

Tel que mentionné plus haut, dès l’avènement de Gihanga, la création de son

royaume, la hiérarchisation et la reconnaissance de père en fils du monarque

descendant de Gahima-Kanyarwanda le fils aîné de Gihanga par les autres

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monarques, puis l’émancipation des différents territoires, le royaume central fut réduit

à ce qu’on appelle le « Rwanda rwa Gasabo » situé au nord-est de Kigali.

C'est au XVème siècle que les monarques du Rwanda rwa Gasabo entreprendront la

guerre de conquête des royaumes Hutu pour les fondre enfin en un seul royaume

central Tutsi, le Rwanda actuel. Les monarques Hutu sont tués et leur titre d'Umwami

est désormais réservé au seul roi Tutsi. Les rescapés prendront le titre d'Umuhinza

(Abahinza au pluriel), c'est-à-dire maître des pluies et des récoltes. Cependant la

destruction des royaumes Hutu a été une tâche de longue haleine, si bien que les

dernières conquêtes furent réalisées par le colonisateur allemand tout au début du 20

ème siècle dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi.

Le Rwanda sous la monarchie absolue Tutsi :

Le Rwanda contemporain fut une Monarchie féodale absolue Tutsi-Nyiginya qui s’est

formée au fil des années après avoir détruit des royaumes autonomes Hutu par des

guerres de conquête. Cette monarchie a duré au moins 400 ans, jusqu’à la Révolution

sociale de 1959-1961. Le clan Abanyiginya fournissait les rois et une coalition d’autres

clans Tutsi dominée par le clan Abega (clan de Paul Kagame) fournissait les reines-

mères qui co-régnaient avec leurs fils. Durant cette monarchie les Hutu étaient traités

comme des esclaves de l’aristocratie et la bourgeoisie Tutsi et ce de père en fils; les

Tutsi formaient l’aristocratie et la bourgeoisie à l’exception d’une catégorie de simples

citoyens, mais toujours considérés comme supérieurs aux Hutu étant donné qu’ils ne

participaient pas aux servitudes réservées à ces derniers; les Twa sédentarisés

étaient marginalisés et utilisés comme des bouffons ou des bourreaux de la cour de

l’aristocratie Tutsi pendant que d’autres, dénommés Impunyu, vivaient encore à l’état

primitif dans les forêts.

Néanmoins il est rapporté que le Roi Kigeli IV - Rwabugili qui régna jusqu’en 1895 a

fait la promotion de quelques rares Hutu auxquels il confiait certaines responsabilités,

notamment comme Commandants de quelques troupes.

Cette tentative de réforme inédite fut supprimée par le roi Yuhi V Musinga, issu du

Coup d’Etat sanglant de Rucunshu en novembre 1896 contre son demi-frère

Rutalindwa, qui venait de succéder à leur père en 1895. Rutalindwa fut tué, beaucoup

de gens de son camp furent massacrés et d’autres prirent le chemin de l’exil.

Le Rwanda sous le protectorat allemand :

Le Rwanda fut placé dans la sphère germanique par la Conférence de Berlin en 1885.

Le premier émissaire allemand, le Lieutenant Comte Von Götzen fut accueilli à

Rwamagana le 12 mai 1894 par Sharangabo, fils du roi Kigeli IV Rwabugili.

Sharangabo accepta de lui servir de guide pour le conduire à son père qui était à

l'époque à Nyamasheke dans l'ancienne Préfecture de Cyangugu. Le roi Rwabugili

quitta Nyamasheke et partit à leur rencontre. Il reçut le Comte Von Götzen le 29 mai

1894 à sa résidence secondaire de Kageyo, au Kingogo, dans l'ancienne Préfecture

de Gisenyi. En 1895 le Rwanda devint partie du Territoire Allemand de l'Afrique de

l'Est avec la Tanzanie et le Burundi. En mars 1897 le capitaine Ramsay remit au Roi

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Yuhi V Musinga, à Runda, le drapeau allemand et la lettre lui notifiant le Protecorat

allemand sur le Rwanda. Depuis 1897 les résidents allemands gouvernaient à partir

du Burundi. Au cours de sa visite à la cour de Gitwiko du 3 au 6 mars 1898 le capitaine

Bethe notifia au roi Yuhi V Musinga que le Rwanda sera désormais gouverné

conjointement par l’Allemagne et le roi. En août 1907 le Dr Richard Kandt s'installa

au Rwanda comme résident autonome.

Les Allemands ouvrirent un commandement militaire à Kigali qu'ils ont choisie comme

capitale. L’administration coloniale allemande s’appuya sur la monarchie Tutsi et

n’apporta pas de changement sociopolitique en faveur des opprimés.

Le 11 août 1910 l'Allemagne et la Belgique signèrent la convention fixant les frontières

« définitives » entre le Congo Belge et le Rwanda.

La Convention fut ratifiée à Bruxelles le 27 juillet 1911. Le Rwanda perdit ses territoires

du Nord-Kivu s'étendant de Goma jusqu'au Lac Rwicanzige (Lac Edouard) vers le

nord et de Goma vers Walikale à l'ouest.

Le Rwanda fut le théâtre de la guerre entre les Allemands et les Belges en mai 1916

et les Belges chassèrent les Allemands. Il n'a donc été concrètement sous le

Protectorat allemand que de 1897 à 1916, soit 19 ans seulement.

Anecdote marquant les relations germano-rwandaises :

Au cours de l'année 1907 le roi Yuhi V Musinga reçut la visite du Duc von

Mecklenburg. Celui-ci demanda de rencontrer également la reine mère Kanjogera.

Mais la tradition ne voulant pas qu'un étranger puisse rencontrer la reine mère on lui

présenta une servante sosie, tandis que Kanjogera observait le visiteur derrière un

paravent. C'est suite à cette visite que Kanjogera ordonna la crevaison des yeux du

chef Kayijuka qui avait accompagné le Duc et lui avait révélé le subterfuge. Pourtant

le supplicié continua d'être parmi les confidents (Abiru) du roi Musinga. (Idem). Les

détails par Monsieur Louis Jaspers : « J’avais fait la connaissance à Nyanza, où il

vint faire sa cour au Mwami, du grand seigneur tutsi, le chef Kayijuka. Il était aveugle

et voici, en bref, son histoire telle qu’elle m’a été rapportée.

« Kreis » de la Deutsch Ost Afrika, le Ruanda reçut, vers 1907, la visite du Duc von

Mecklenburg. Celui-ci, après sa visite au Mwami Musinga, voulut rencontrer la Reine

Mère Kanjogera .Selon les règles en vigueur, cela n’était pas possible car c’était

exposer la souveraine à des forces occultes et étrangères, présentant un danger très

réel bien que non déterminé pour elle-même et donc pour le trône. Comme on ne pût

refuser la faveur au visiteur, parent de l’empereur allemand, il fut décidé de le mettre

en présence d’une servante, sosie sur laquelle s’abattrait le malheur éventuel.

Kanjogera, curieuse, observerait le visiteur ainsi éconduit, de derrière un paravent.

C'est ainsi que se passa cette visite sans mal pour qui que ce soit.

Seulement voilà que la Cour apprend que le guide du visiteur, le jeune chef et

confident du roi, Kayijuka, aurait au préalable informé son maître blanc du subterfuge.

Il avait ainsi exposé la souveraine à la vue de l’étranger et donc aux forces occultes.

Crime de lèse majesté, punissable de mort. Seulement, la mort était une sanction

encore trop douce. Kanjogera décida une punition plus cruelle et servant plus

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durablement d’exemple : le coupable serait doublement éborgné au fer rouge.

Sentence immédiatement exécutée. Mais voilà, le soir Kanjogera envoya un courtisan

vérifier que le supplicié, jeté dans une hutte près du rugo royal, fut bien aveugle. Or,

Kayijuka reconnut le visiteur à sa voix et lui dit : « Tu viens me voir dans mon malheur

pour te réjouir de ma déchéance ? ».

L'interpelé courut chez la reine pour annoncer que Kayijuka n’était pas aveugle

puisqu’il l’avait reconnu. L'énucléation au fer rouge fut exécutée une deuxième fois.

Voilà l’histoire telle qu’elle m’a été racontée. J’y pensais chaque fois que je bavardais

avec Kayijuka dont les yeux étaient toujours couverts d’un bandage blanc. Conseil du

Mwami, umwiru (=gardien des coutumes), il venait souvent à Nyanza, faire la cour.

Très digne vieillard, il était guidé, la main droite tenant le traditionnel bâton de pasteur,

la main gauche s’appuyant sur l’épaule d’un jeune page, fils d’un de ses abagaragu

(= partenaire d’un contrat de servage).

Cette atrocité n’était pas un coup d’essai de Kanjogera. Après le coup d’état de

Rutchunchu elle s’était vengée du prince Bibliomanie, resté fidèle à son cousin le

Mwami éliminé, et mort avec lui, en torturant à mort son jeune fils âgé de dix ans

environ.

Cette cruauté répondait à des pratiques dynastiques courantes : pour se maintenir au

pouvoir il fallait éliminer tout concurrent possible et toute tentation de dissidence.

Le grand Mwami Rwabugiri, père de Rutalindwa et de Musinga, avait à son avènement

au trône, vers 1875, fait crever les yeux à ses deux frères consanguins, Nyamwesa et

Nyamahe, éliminant ainsi des compétiteurs éventuels. Autre « méfait » de ce

monarque, père reconnu et admiré du Ruanda expansionniste.

Son beau-frère Kabare avait épousé la belle Nyiramaloba, du clan des abakono.

Rwabugiri la lui prit comme épouse (il la fit exécuter plus tard).Mais il donna en

compensation à Kabare sa fille Kamarashavu, sœur puînée de Rutalindwa. Ensuite,

de peur que Kabare n’engendre un roi comme en courrait une prophétie- Rwabugiri le

fit émasculer. Pourtant Kabare épouserait ensuite la nommée Gashonga qui lui donna

encore deux fils : Nyantabana et Rwabutogo.

Est-ce pour cela que sa sœur Kanjogera tint à vérifier que Kayijuka avait bien été

aveuglé ? ».

L’administration allemande n’avait rien fait pour abolir ces pratiques criminelles.

Le Rwanda sous l’administration coloniale belge :

Depuis 1916 le Rwanda fut d’abord sous l’occupation de la Belgique qui venait de

vaincre les Allemands dans ce territoire. Ensuite il fut placé par la Société des Nations

sous le Mandat de la Belgique en 1922 et plus tard il fut mis sous la Tutelle de la

même métropole belge en 1946.

L’administration belge s’installera au Rwanda suite à la victoire de la Belgique sur

l’Allemagne à la première guerre mondiale en 1916. De même elle renforça la

domination de l’aristocratie Tutsi. Cependant elle supprima d’emblée des pouvoirs du

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roi le droit de vie et de mort ainsi que la défense du pays. Les armées du roi furent

dissoutes et remplacées par la Force Publique composée de soldats congolais.

Par contre elle augmenta les jours de servitudes des Hutu au profit de leurs maîtres

Tutsi, de 37 à 107 jours par an, instaura les travaux d’intérêt général pour

l’administration, l’impôt équivalent à 30 jours de travail par an et le châtiment d’un

certain nombre de coups de fouets. Elle institutionnalisa la discrimination dans

l’éducation et l’administration territoriale.

Dans l’éducation, en 1919 elle créa une école d’Etat à Nyanza réservée seulement

aux fils des dignitaires Tutsi. En 1920-1923, elle créa d’autres écoles primaires d’Etat

réservées aux fils des Tutsi en général, notamment à Ruhengeri, Gatsibo, Rukira,

Cyangugu. En 1929 il y avait 969 élèves uniquement Tutsi dans les 5 écoles. A l’issue

de la formation ce sont eux qui recevaient toutes les fonctions dans l’administration et

dans l’enseignement partout dans le pays. Tandis que quelques missions catholiques

ouvrirent à leur tour des écoles où elles accueillaient aussi des enfants Hutu,

notamment à Save, Kansi, Kigali. Mais les Hutu ne partageaient pas les salles de

classe avec les Tutsi. Ces derniers recevaient une formation particulière selon les

instructions de Mgr Léon Classe.

Dans l’ensemble, au primaire le nombre de Hutu s’est augmenté au fur et à mesure

de telle sorte qu’en 1958 il y avait 44.196 élèves dont 68% Hutu, 31,7% Tutsi, et

0,01% Twa. Mais c’était l’inverse au secondaire car les Tutsi étaient plus nombreux.

Sur 2.856 élèves il y avait 60,8% Tutsi, 39,2% Hutu, pas un seul Twa. Donc les Tutsi

occupaient plus de 60% au secondaire alors qu’ils ne représentaient que 14 % de la

population.

Le Groupe Scolaire d'Astrida-« Indatwa » qui fut créé en 1932 recevait aussi des

enfants Hutu et des étrangers. En plus des jeunes Tutsi de la future classe dirigeante,

il forme des cadres techniques tels que les agronomes, les vétérinaires et les

assistants médicaux. Mais les Tutsi demeuraient majoritaires et les Hutu n'avaient pas

accès à la section administration. Selon les statistiques, cette école avait accueilli

2.250 élèves jusqu’en 1962. Parmi eux 1.265 soit 56,0 % étaient Rwandais dont 850

Tutsi soit 37,7% ; 295 Hutu soit 13,0 % et 120 soit 5,3 % sans ethnie spécifique. 985

autres soit 44 % étaient des étrangers Congolais, Burundis, Belges etc…..

Toutefois avec le concours de l’Eglise on a formé une classe moyenne Hutu composée

essentiellement d'artisans (maçons et menuisiers-charpentiers), de moniteurs

(enseignants) et de séminaristes, même si la formation de la classe dirigeante n’était

réservée qu’aux jeunes Tutsi au Groupe Scolaire d'Astrida (Butare). C'est de la classe

moyenne Hutu qu'a émergé le leadership qui réclama l'égalité dans le Manifeste des

Bahutu du 24 mars 1957 et fut pionnier de la Révolution sociale de 1959-1961.

Dans l’administration du territoire, l’autorité coloniale Belge ne pensera aux

changements sociopolitiques que dans les années 1950, qui ne donneront pas le

résultat escompté à cause du système en place. Sa tentative de réformes

sociopolitiques à partir de 1954 s’est heurtée au refus du Roi et l’opposition de

l’aristocratie Tutsi, qui ne voulait pas perdre ses privilèges et partager le pouvoir avec

les Hutu. Signalons toutefois ces quelques tentatives de réformes:

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- Le 14 juillet 1952 il y eut le Décret royal belge sur les élections des conseillers à

tous les échelons du pouvoir. Ensuite il y eut nominations de quelques sous-chefs

Hutu.

-En 1954: Sur pression de la métropole belge le roi Mutara III Charles Rudahigwa

prit la décision supprimant le système Ubuhake et ordonnant le partage de vaches

entre les seigneurs Tutsi et leurs esclaves Hutu. Mais les Tutsi refusèrent de

s'exécuter. Plus tard, le roi ordonnera la suppression de la corvée Uburetwa.

Malgré ces réformes dans l’administration du territoire, en 1957 le Conseil Supérieur

du Pays (CSP), une sorte de Parlement dont le Roi était président, comptait une

écrasante majorité de 31 Tutsi ne représentant que 14% de la population et 2 Hutu

pour représenter 85 %, tandis que les Twa, 1 % de la population, étaient simplement

ignorés.

En 1959, sur un total de 45 chefferies il y avait 43 chefs Tutsi. Les deux autres places

étaient tout simplement vacantes au lieu de les confier au Hutu. Par exemple le Roi

Mutara Rudahigwa a refusé la proposition de Monsieur Louis Jaspers, Administrateur

du territoire de Nyanza, de nommer Dominique Mbonyumutwa comme premier chef

Hutu. La position du roi est catégorique : « Pas de chef Hutu dans son royaume » !

Sur 559 sous chefferies il y avait 544 sous-chefs Tutsi et 15 Hutu seulement par

déduction.

Sur le plan social, l'administration coloniale belge fera la promotion des Hutu et des

Twa possédant au moins dix vaches et les considérera comme des Tutsi. Pourtant ils

ne devenaient pas Tutsi. Ils étaient seulement dispensés des servitudes (Ubuhake)

vis-à-vis des maîtres Tutsi et de la corvée (Uburetwa) vis-à-vis de l'administration.

C'est cette promotion sociale qui fausse la donne sur l'existence des ethnies. Il

convient de souligner que sous la monarchie féodale, ce genre de promotion nominale

et artificielle n'a jamais existé. Personne ne changeait d'ethnie suite à sa catégorie

sociale. Les rares Hutu auxquels le roi Rwabugili a confié des hautes responsabilités

et qui possédaient certainement beaucoup de biens ou de vaches n'ont pas changé

d'ethnie. Il s'agit notamment de Bisangwa qui était commandant militaire d'une troupe

de Rwabugili, Sehene le grand-frère de Bisangwa, Bikotwa, Runiga, Nyiriminega,

Seruteganya, Nzigiye et son fils Rwatangabo, Rusine et son fils Rubindo,

Ndarwubatse et son fils Kanyonyomba, Kazanenda, Ndongozi, Runyange, Mugenzi,

Rubago et Ntamuhanga qui étaient des chefs de certains territoires. Même cette

promotion sociale inédite de Rwabugiri a été annihilée par le roi Musinga.

Section 2 : La Révolution sociale de 1959-1961.

Dès le premier trimestre 1957 les leaders Hutu exposèrent le problème des inégalités

et injustices sociales et formulèrent certaines revendications. Le premier écrit politique

fut la "Note sur l'aspect racial indigène au Rwanda" du 24 mars 1957, connue sous le

vocable du "Manifeste des Bahutu".

Le 17 mai 1958, 12 dignitaires Tutsi de la Cour royale réagirent et adressèrent au roi

Mutara Rudahigwa une lettre s'opposant à toute concession sociopolitique envers les

Hutu, disant qu’entre les Hutu et les Tutsi il n’y a aucun fondement de fraternité et

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qu’ils n'ont de relation autre que celle de servage « Ubuhake » (de seigneur Tutsi et

de serf Hutu).

Le 18 mai 1958, 15 dignitaires de la cour royale adressèrent au roi Mutara Rudahigwa

et au Conseil Supérieur du Pays une lettre rejetant le partage des terres et des

pâturages avec les Hutu.

Les milices Tutsi commencèrent à mener des attaques dirigées contre les leaders

Hutu. Le 1er novembre 1959, un groupe de jeunes Tutsi attaqua et molesta le sous-

chef Hutu de Ndiza, Dominique Mbonyumutwa, à Bukomero près de Byimana dans le

Marangara, parce qu'il n'avait pas signé la lettre de démission des autorités

coutumières protestant contre la mutation d'un chef Tutsi, membre de l'Union

Nationale Rwandaise (UNAR) . Cette agression provoqua la contre-attaque de la

masse Hutu. Des représailles ayant dégénéré en troubles et affrontements

interethniques se sont répandirent sur tout le pays. La révolution devint violente alors

que ses pionniers ne le prévoyaient pas ainsi.

Cette révolution provoqua l’exil de l’aristocratie et de la bourgeoisie Tutsi qui

n’acceptaient pas le nouvel ordre établi. Les chefs et sous-chefs Tutsi déchus furent

remplacés par des Hutu nommés. Des élections démocratiques des Conseillers

Communaux et Bourgmestres furent organisées du 26 juin au 30 juillet 1960, mais

toujours dans le cadre de la monarchie. La majorité des élus sont du parti

PARMEHUTU. Le roi Kigeli V Ndahindurwa quitte lui-même le pays le 25 juillet 1960

et se rend à Léopoldville (actuelle Kinshasa) pour rencontrer le Secrétaire Général de

l'ONU Dag Hammarskjold

Cependant certains écrits rapportent que le roi Kigeli V aurait quitté le Rwanda en

avril 1960. Il ne reviendra plus au Rwanda.

Le 28 janvier 1961 les bourgmestres et conseillers communaux se retrouvent à

Gitarama et proclament la République en place de la monarchie. Le drapeau national

Rouge-Jaune- Vert remplace le tambour royal Kalinga. La lettre R sera ajoutée plus

tard dans le jaune pour le distinguer du drapeau de la Guinée Conakry qui a les

mêmes couleurs.

Le 25 septembre 1961 un référendum organisé par l’ONU consacra la République.

Les législatives eurent lieu le même jour.

L'Indépendance nationale fut proclamée le 01 juillet 1962.

Section 3: L'exercice du pouvoir et la situation sociopolitique pendant la

République

*La Première République de 1961 à 1973, issue de la Révolution Sociale de 1959-

1961.

C’est un régime présidentiel fort. Elle évolua sous un régime à parti Etat le MDR-

PARMEHUTU après avoir évincé les autres partis qui se dissolurent. Elle s’attela à se

consolider et à promouvoir la Démocratie, faisant face à la déstabilisation du

Mouvement armé « INYENZI » de l’Aristocratie en exil qui a opéré plusieurs incursions

armées à partir des pays voisins de 1961 jusqu’en 1967. Ces incursions ont été

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l’obstacle majeur à la tolérance, l’entente, la cohabitation pacifique, la confiance

mutuelle et la cohésion entre les Hutu et les Tutsi à l’intérieur du pays. Elles

entraînaient chaque fois des représailles populaires dirigées contre les Tutsi.

Toutefois le problème ethnique n'a pas été bien géré. Au début de l'année 1973 un

mouvement insurrectionnel dit « Comités du Salut » formés par des étudiants de

l'Université Nationale du Rwanda, ceux de l'Institut Pédagogique National et quelques

fonctionnaires à Butare, reproche au pouvoir de favoriser les Tutsi et son attitude vis-

à-vis de la situation des Hutu au Burundi. Il établit des listes des fonctionnaires et

étudiants Tutsi à chasser et les affiche dans les établissements publics et les écoles

secondaires. Le mouvement s'étend rapidement sur toutes les préfectures et toutes

les écoles secondaires. Il dégénère en violences et les troubles embrasent tout le

pays. Des milliers de Tutsi furent tués et d'autres prennent le chemin de l'exil; leurs

maisons et leurs biens furent incendiés et/ou détruits. Le parti au pouvoir le MDR-

Parmehutu manifeste une attitude de complaisance dans la gestion de la crise bien

qu'il n'en soit pas le promoteur. Les responsables politiques et administratifs

handicapent l'action des services de sécurité à certains endroits. Cependant certaines

rumeurs ont attribué les « Comités du Salut » au Lt Colonel Alexis Kanyarengwe, alors

Directeur de la Sûreté Nationale (RWASUR). Par ailleurs la Première République fut

rongée par le régionalisme Kiga-Nduga ou Nord- Sud qui aboutit au coup d'Etat du 5

juillet 1973.

*La Deuxième République de 1973-1994.

La deuxième république est issue du Coup d’Etat du 5 juillet 1973. Ce fut une époque

de paix, de concorde nationale et de développement économique. Après deux ans de

pouvoir dirigé par un Comité militaire, dit Comité pour la Paix et l’Unité Nationale, le

pays va évoluer sous un parti unique, le Mouvement Révolutionnaire National pour le

Développement (MRND) créé le 5 juillet 1975. Il est dirigé par un comité dénommé

Comité Central du MRND où toutes les ethnies et toutes les régions sont

représentées. Sa devise c’est Paix-Unité-Développement. Cependant les assassinats

des prisonniers politiques du Coup d'Etat du 5 juillet 1973, restés longtemps sans

explications, furent une tache qui ternit l'image de la Deuxième République quand bien

même les auteurs ont été jugés et condamnés.

Le pouvoir économique est majoritairement entre les mains des Tutsi. Mais ils veulent

être représentés massivement au pouvoir exécutif, à l’administration et à la fonction

publique, malgré leur minorité. Influencés et/ou dissuadés par leurs congénères en

exil, ils ne s’intéressent pas à la carrière des armes. Mais pour l’opinion internationale

mal informée leur faible représentation dans les Forces Armées est considérée

comme une discrimination.

La deuxième république a instauré la politique d’équilibre ethnique et régional dans

l’enseignement secondaire et supérieur. Les Tutsi se sentaient comme défavorisés

alors que c’était suite à leur minorité. Par contre l’enseignement privé était presque

leur exclusivité, puisqu’ils en avaient les moyens.

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*Attitude de la Diaspora Tutsi

L’Aristocratie Tutsi en exil a créé un Mouvement terroriste qui s’est dénommé

« Inyenzi » (Ingangurarugo ziyemeje kuba Ingenzi = Milice qui s’est donné comme

objectif d’être le meilleur») selon leur Commandant Aloys Ngurumbe, au cours

d’une interview accordée au journal Kanguka (N° 52 du 12 février 1992). Ceux qui

prétendent que c’est le régime hutu qui a qualifié ce mouvement d’Inyenzi et a attribué

ce nom à tous les Tutsi par extrapolation pour les traiter de cafards ou cancrelats « à

écraser » font de l’amalgame. Ce mouvement a opéré plusieurs incursions armées

à partir des pays voisins de 1961 jusqu’en 1967. Suite à l’échec de reprendre le

pouvoir, la diaspora Tutsi a suspendu la lutte armée au profit de l’organisation

économique et politique.

Par ailleurs l'exil leur a ouvert les horizons. Le mythe d'être descendu du ciel ne

pouvant être évoqué devant le monde civilisé et étant plutôt ridicule, la diaspora Tutsi

a exploité l'hypothèse scientifique des ethnologues et historiens situant leur origine

en Abyssinie ou Ethiopie et a créé un nouveau mythe stratégique présentant les Tutsi

comme étant d'origine juive. En outre les Tutsi ont comparé leur exil à celui des Juifs

pour attirer la sympathie des lobbys juifs alors que les deux exils n'ont pas de

ressemblance étant donné qu'ils n'ont pas les causes similaires.

Le nouveau mythe fut appuyé par un Film tourné par la diaspora Tutsi, intitulé «Les

Fils d'Imana (Dieu) et les Mines du Roi Salomon». Ce film était tourné sur les chaînes

de télévision allemande à Bayreuth en Haute Franconie à l'été 1972. Le corollaire de

ce mythe est que les Tutsi ont été envoyés en Afrique par le Roi Salomon pour

protéger ses richesses dans la Région des Grands Lacs. Autrement dit cette région

leur appartient par la voie de conséquence. Alexandre Kimenyi, l’un des idéologues

Tutsi publiera dans son journal IMPURUZA (Mise en Alerte) édité à Sacramento-

Californie-USA depuis 1983, que « les Tutsi sont les Juifs d’Afrique ». Ainsi la

diaspora Tutsi se créa des alliances avec les USA, la Grande Bretagne, le Canada,

l’Israël, l’Ouganda, des Hindous, des Belges, etc.

On sait notamment que les Etats-Unis d’Amérique avaient voulu construire une base

militaire au Bugesera, sud-est du Rwanda depuis les années 1960. Mais la jeune 1ère

République rwandaise dirigée par les Hutu s’y est opposée, puisque cette

implantation américaine signifiait la chasse des Européens en général et des Belges

en particulier. Le Président Juvénal Habyarimana a maintenu le refus à sa prise du

pouvoir en 1973. L’alliance des USA avec la diaspora Tutsi s’est alors basée sur la

possibilité de s’installer au Rwanda si les Tutsi revenaient au pouvoir. Pour les autres

il était question d’avoir accès aux minerais et autres richesses de l’Est de la RDC.

La Deuxième République n’est pas parvenue à résoudre le problème des réfugiés

Tutsi. Au lieu de répondre aux appels du gouvernement de rentrer pacifiquement, les

fils et filles de l’aristocratie en exil se sont enrôlés dans les armées des pays voisins

du Rwanda, principalement dans l’armée ougandaise, la National Resistance Army

(NRA) dont ils formèrent l’élite en 1986.

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Dès 1987 ils créèrent le Front Patriotique Rwandais (FPR), piloté par les fils et filles

de l’ancienne aristocratie Tutsi, dans le but de reconquérir le pouvoir au Rwanda par

les armes. Puis le FPR attaqua le Rwanda depuis le 1er octobre 1990 à partir de

l’Ouganda. Il interrompit le processus de rapatriement pacifique des réfugiés qui était

déjà en phase de finalisation entre le Rwanda, l’Ouganda et le HCR pour la seule

raison que ce processus ne lui permettrait pas la prise totale du pouvoir ?

Le FPR a attaqué le Rwanda le 1er octobre 1990 alors que le pays venait d'opter pour

le multipartisme conformément au rapport de la Commission de Synthèse mise en

place sur initiative du président de la république, dans le cadre de l’Aggiornamento

Politique. Une Commission nationale de synthèse regroupant des membres de

différentes sensibilités politiques travailla sur le dossier de septembre 1990 à fin mars

1991.

La Constitution du 10 Juin 1991 consacre le multipartisme. Un gouvernement de

transition dirigé par un Premier Ministre issu du MRND est mis en place le 30

décembre 1991. Mais il ne réunit que le MRND et le PDC, les autres partis politiques

l'ayant boycotté. Il est remplacé le 16 avril 1992 par un gouvernement de coalition

composé des partis MRND, MDR, PSD, PL et PDC, dirigé par un Premier Ministre

issu du MDR. Toutes ces réformes n’intéressaient pas le FPR qui voulait prendre le

pouvoir à tout prix par les armes.

Section 4: L’avènement du Front Patriotique Rwandais (FPR)

La guerre d’octobre 1990, déclenchée le 1er octobre 1990 par le Front Patriotique

Rwandais a brisé les acquis de la Deuxième République et les a anéantis. C’est une

guerre de revanche et de reconquête du pouvoir par les descendants de l’ancienne

Aristocratie Tutsi. Les motifs qu’ils ont présentés à son déclenchement, notamment le

retour des réfugiés Tutsi, la démocratie et l’Etat de Droit n’étaient que des prétextes.

Le FPR rompit l’Accord de Paix d’Arusha du 04 août 1993 par l’assassinat du

Président Juvénal Habyarimana et son homologue Burundais Cyprien Ntaryamira le

06 avril 1994 et la reprise instantanée de la guerre sur tous les fronts, provoquant une

guerre civile totale caractérisée par des massacres de populations innocentes. Il prit

le pouvoir le 17 juillet 1994.

Dès la prise du pouvoir le FPR modifie l'Accord de Paix d'Arusha. Il dissout d'office le

MRND et s'attribue la plupart des sièges qui revenaient à ce dernier dans les

Institutions de Transition à Base Elargie, notamment la Présidence de la république.

Il crée un poste de Vice-président de la république non prévu dans les Accords

d'Arusha et s'en attribue également. Le 19 juillet 1994 il forme un gouvernement dit

"d'union nationale" composé du FPR, MDR, PDC, PSD et PL. Par la suite il se mue

en un parti Etat. Il dissout le MDR en 2004, désorganise les autres partis et s'entoure

de leurs franges devenues ses satellites. Il réunit ces partis satellites dans un Forum

qu'il contrôle. Il met en place des Institutions d'un Etat démocratique de façade alors

qu'elles sont soumises à ses injonctions. Les élections qui se font dans le pays sont

toujours truquées en sa faveur. Le régime du FPR est une dictature sanguinaire

caractérisée par :

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-Les lois antidémocratiques et liberticides qui musellent le peuple. -La discrimination

ethnique, l'exclusion et la persécution de l'opposition.

-Le terrorisme d' Etat caractérisée par l'oppression, les assassinats, les enlèvements

et les disparitions, les arrestations et détentions arbitraires, les exécutions

extrajudiciaires.

-La justice partiale, inéquitable et calomnieuse.

-Le développement sectaire avec des inégalités sociales flagrantes, marginalisation

et appauvrissement des masses populaires.

-L'hypocrisie reniant l'existence des ethnies.

En supprimant la mention des ethnies dans l'état civil actuel, sous prétexte qu'on est

rwandais tout court, le FPR a adopté et légalisé le stratagème qui fut proposé au

gouvernement belge en juin 1958 par le Conseil Supérieur du Pays presque

exclusivement Tutsi. Le FPR le fait pour contrer toute velléité de dénonciation de la

discrimination et de la prédominance ou la domination des Tutsi sur les autres alors

qu'une minorité de 5% au sein de la minorité Tutsi de 14% monopolise tout au Rwanda

comme c'était pendant la monarchie.

Quiconque ose le dénoncer est d'office condamné sans autre forme de procès. La loi

liberticide sur le divisionnisme interdit ce genre de critique.

Le FPR se targue d'avoir arrêté le Génocide; d'où sa reconnaissance sur le plan

international. Cependant contrairement à la propagande véhiculée par son lobby au

sein de la Communauté Internationale et des médias, il n'a arrêté le génocide nulle

part. Il ne s'est jamais attaqué aux bandes de tueurs. Il a plutôt attaqué les Unités des

FAR sur leurs positions et les camps militaires, les a ainsi acculées à leur autodéfense

et les a empêchées de s'occuper des opérations de rétablissement de l'ordre public.

Il n'a fait que la guerre et a gagné la guerre de reconquête du pouvoir au détriment du

peuple qu'il a sacrifié. Il a refusé de participer aux opérations de rétablissement de

l'ordre public alors que la partie gouvernementale le lui a proposé. Au contraire le FPR

a attaqué les déplacés de guerre en divers endroits et les a massacrés. Il a attaqué

les populations à domicile et a exterminé des milliers de familles entières. Les troubles

en général et les massacres en particulier qu'il a déclenchés devaient lui faciliter la

prise du pouvoir. Il a fait tout pour qu'ils ne soient pas arrêtés. C'est lui qui a planifié

le génocide (prévu le moyen de son déclenchement et son déroulement), l'a déclenché

par l'Assassinat du Président Habyarimana, l’a soutenu par la reprise instantanée de

la guerre et a œuvré pour sa totale consommation par le refus du cessez-le-feu, la

chasse des forces étrangères présentes et le refus d'intervention des forces

extérieures qu’il a menacées de combattre.

De l’ethnisme dans le Drame Rwandais actuel.

L’ethnisme fut au centre du conflit rwandais depuis le déclenchement de la guerre

d’octobre 1990, car c’était le retour en force des fils de l’ancienne aristocratie Tutsi.

Le FPR a interrompu le processus de rapatriement pacifique de ces réfugiés qui était

déjà en phase de finalisation entre le Rwanda, l’Ouganda et le HCR. Il l’a interrompu

parce qu’il ne lui offrait pas la possibilité de prendre le pouvoir.

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Au cours des négociations d’un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement

rwandais et le FPR à la N’selle près de Kinshasa en mars 1991, un membre de la

délégation gouvernementale a demandé à Paul Kagame, en aparté, pour quelle

raison il se battait entre les trois suivantes :

-Réellement pour le retour des réfugiés ? -La démocratie et l’état de droit ? -Le

renversement pur et simple du Président Habyarimana pour opérer un changement ?

De répondre Paul Kagame lui a dit qu’il luttait pour recouvrer l'honneur et la dignité

des Tutsi !

Des jeunes Tutsi qui n’avaient jamais manifesté aucun intérêt pour s’enrôler dans les

Forces Armées Rwandaises ont quitté le pays pour s’engager dans l’armée du FPR.

Certains ne l’ont même pas fait volontairement, mais ils étaient envoyés par leurs

familles. Les messages interceptés ci-après du Quartier Général du FPR sont à

caractère « ethniste » :

*Le message sur la conscientisation des Tutsi et les stratégies de séduction et de

division des Hutu :

« Chers compatriotes,

Tenez bon, nous allons bientôt gagner. Aujourd’hui ou jamais. Vous mourrez et cela

peut continuer, mais nous ne disparaîtrons pas tous. Soyons détérminés. Vous savez

bien que nous avons eu le pouvoir monarchique grâce au lait. Nous avons encore ce

lait. Continuez de cotiser. Continuez d’utiliser notre arme efficace qui est la presse et

les rumeurs. Formez vos filles, rappelez-vous de Délira, et d’Esther et Haman. Nous

venons de marquer le premier but, car le débat n’est plus le Mututsi, mais plutôt le

Mukiga et le Munyanduga. N’arrêtez pas là, faites en sorte que même le Nord soit

divisé en deux : Gisenyi et Ruhengeri. Les gens de Ruhengeri se laissent facilement

séduire. Montrez-leur que Habyarimana les a opprimés, qu’ils n’ont rien obtenu de son

règne, que leur espoir est Kanyarengwe. Donnez tout ce que vous avez pour que le

Mututsi ait l’emploi, même de veilleur ou de boy. Evitez les personnes de parenté

mixte, car elles ne sont pas de votre ethnie. Ne craignez pas la mort, luttez, nous

allons bientôt gagner ».

*Celui disant que l’ennemi principal du FPR était le MDR qui a chassé les Tutsi du

pouvoir.

*Celui instruisant aux femmes Tutsi mariées avec les Hutu de se débarrasser de leurs

maris quand le signal sera donné.

*Celui disant aux Commandants d’unités qui étaient tous Tutsi que le FPR n’intégrera

dans la nouvelle armée nationale, alors prévue dans des Accords d’Arusha, que des

Tutsi pur sang, car on ne pouvait pas avoir confiance en des éléments mixtes qualifiés

d’éléments doubles. Le but était de faire obstacle au Colonel Alexis Kanyarengwe,

« Président du FPR », qui voulait intégrer un grand nombre de Hutu.

*Celui intercepté le matin du 7 avril 1994 stipulé comme suit :

« Réjouissance pour la réussite de l’attentat. Echec pour les gorilles (Hutu) et victoire

pour les bergeronnettes (Tutsi). »

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*Celui disant que chaque fois qu’il y avait divergence de points de vue entre le Colonel

Alexis Kanyarengwe et l’un ou l’autre, on lui rappelait qu’il a juré qu’il ne s’entendra

jamais avec les Tutsi aussi longtemps que des cheveux n’auront pas poussé dans la

cicatrice des blessures de tortures que les Inyenzi lui ont fait subir lorsqu’ils l’ont

capturé durant leur campagne.

Le FPR a donc fait la guerre sur le fond ethnique pour reconquérir le pouvoir que ses

ancêtres avaient perdu à la Révolution sociale de 1959-1961. C’est cet esprit que ses

dirigeants avaient tout au long de la guerre et qui a guidé la conduite de celle-ci.

Tel que mentionné plus haut, en supprimant la mention des ethnies dans l'état civil

actuel, sous prétexte qu'on est rwandais tout court, le FPR l’a fait pour contrer toute

tentative de dénonciation de la discrimination et de la domination des Tutsi sur les

autres alors qu'une minorité de 5% au sein de la minorité Tutsi de 14% monopolise

tout au Rwanda comme c'était pendant la monarchie.

Le 24 novembre 2017

Aloys Ntiwiragabo