Rwanda- - musabyimana.net · 2017. 12. 11. · Bwimba (1312-1345 selon Alexis Kagame ou 1482 selon...
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Rwanda-
L’ethnisme hier et aujourd’hui
Généralités :
Le peuple rwandais est composé principalement de trois ethnies, Abahutu, Abatutsi
et Abatwa répartis dans des clans. Les ethnies sont identifiées par leur mode de vie
et leur comportement liés à leurs origines respectives.
Selon les recensements qui étaient effectués par l'administration coloniale depuis le
Rwanda moderne et repris par les historiens, Abahutu agriculteurs présentés sous le
sigle Hutu composent 85%, Abatutsi éleveurs présentés sous le sigle Tutsi
composent 14%, Abatwa chasseurs présentés sous le sigle Twa forment 1%. Tandis
qu'au recensement général effectué par la deuxième république et le PNUD en août
1991, les Tutsi se trouvant à l'intérieur du Rwanda composaient environ 8,4% de la
population. Mais la catastrophe rwandaise de 1994 peut avoir changé les données
statistiques. Le régime actuel du FPR cache le détail des résultats du recensement de
la population.
Les ethnologues et les historiens attestent que les entités territoriales primitives
devenues le Rwanda actuel étaient des royaumes autonomes dirigés par des
monarques traditionnels, chefs de lignages des clans des Abasangwabutaka (futurs
Hutu). Il s'agit des Abasinga, Ababanda, Abagesera, Abazigaba, Abenengwe,
Abacyaba, Abungura, Abahondogo. Les Twa primitifs vivaient dans la forêt et étaient
organisés en familles qui se respectaient mutuellement et respectaient l'inviolabilité
du domaine de chasse de chacune.
Le premier groupe Tutsi est arrivé au 10ème ou 11ème siècle et s’est installé au Mubali
(Mutara actuel), au Nord-Est du Rwanda, territoire du clan Abazigaba, mais à l’insu
de ces derniers. Il était composé de deux frères Kigwa et Mututsi et leur sœur
Nyampundu. Lorsqu’il a été découvert par les occupants, le groupe a caché son
origine et s’est présenté comme étant descendu du ciel. Il s’est dénommé Ibimanuka,
au singulier Ikimanuka qui signifie justement « descendu du ciel ». Les populations
Hutu qu’ils ont trouvées se sont dénommées Abasangwabutaka, au singulier
Umusangwabutaka qui signifie « trouvé sur la terre ». Ils ont par la suite progressé
au fil des années, se sont répandus et installés dans les territoires des
Basangwabutaka à la recherche des pâturages pour leurs vaches. Ils cohabitèrent
paisiblement avec les populations autochtones adoptant leurs us et coutumes sans se
mêler des affaires administratives. Ils se nouèrent plutôt des amitiés en offrant des
vaches aux chefs traditionnels. De même les Twa sédentarisés, arrivés avec les
Ibimanuka (Tutsi) et étant leurs valets (à en croire la lettre des dignitaires Tutsi
adressée au roi Mutara Rudahigwa le 17 mai 1958), peu nombreux soient-ils, suivaient
leurs chefs.
Le premier Ikimanuka (Tutsi) qui fonda son royaume est Gihanga (1091-1124). Il
fonda ce royaume à Buhanga dans le Mulera, la région de Nyamutera et Nyakinama,
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ancienne préfecture de Ruhengeri, Nord-ouest de l'actuelle Province du Nord. Mais la
façon dont Gihanga créa son royaume (par la force, la ruse ou le charisme) et les
limites de son territoire initial ne sont pas définies.
Gihanga parvint à faire reconnaître ou à imposer son autorité dans les autres
royaumes jusqu'à l'Est de ce qui sera le Congo, actuelle République Démocratique du
Congo, notamment au Bunyabungo au Sud-Kivu et à Rutshuru au Nord-Kivu. Mais la
façon dont il se fit reconnaître par d’autres monarques n’est pas élucidée.
Il fit des tournées d'agrément et se fit payer les tributs sans s'ingérer dans les affaires
internes desdits royaumes. On situe ses résidences à Buhanga (la limite des
communes Nyamutera et Nyakinama), à Kangomba (en la commune Nyarutovu),
préfecture de Ruhengeri, à Nyamirembe-Humure (au Mubali-Mutara), à Bunyabungo
(sur la rive congolaise sud du Lac Kivu) et à Buhindangoma (non loin de Rutshuru, au
Congo). Cependant son autorité semble être plutôt mythologique, car rien n’indique
comment il s’est fait reconnaître.
A son testament passé à Nyamirembe-Humure au Mubali (Mutara) Gihanga créa une
fédération de 5 royaumes (provinces) confiés à ses fils: Rwanda confié à Gahima-
Kanyarwanda; Bugesera confié à Mugondo-Kanyabugesera; Bushubi confié à
Gashubi; Ndorwa confié à Sabugabo-Kanyandorwa; Bunyabungo confié à Ngabo-
Kanyabungo.
Gahima-Kanyarwanda, le fils aîné, est désigné en même temps le chef patriarcal
successeur de son père Gihanga. Au fil des années les 4 autres royaumes devaient
hommage et reconnaissance au monarque du Rwanda descendant de Gahima-
Kanyarwanda. Mais le monarque du Rwanda n'exerçait pas une autorité centrale
puisqu'il ne s'ingérait pas dans les affaires internes des autres royaumes et ne leur
adressait aucune instruction.
En marge du testament général, Gihanga aurait confié le Gisaka à son fils Rutsobe.
Mais ce dernier n'y a jamais vécu, tout comme ses successeurs puisqu'ils gardaient
le tambour dynastique Rwamo à Kinyambi au Rwanda (territoire de Gahima-
Kanyarwanda). Le monarque se faisait représenter.
Le représentant de la dynastie de Rutsobe au Gisaka finira par s'émanciper du
monarque qu'il représentait et par voie de conséquence du monarque du Rwanda
central. Les autres royaumes s'émanciperont également et le monarque Munyiginya
du Rwanda central, descendant de Gahima-Kanyarwanda, perdit son autorité
patriarcale.
Rwanda rwa Gasabo
La localité de Gasabo, à la colline Nkuzuzu, fut le siège des monarques descendants
de Gahima-Kanyarwanda, le fils aîné de Gihanga. C'est à partir de là que le monarque
exerçait son autorité patriarcale aux autres royaumes conformément au testament de
Gihanga.
Suite à l'émancipation des autres royaumes et des territoires autonomes, le royaume
du Rwanda central fut réduit à ce qu’on appelle « Rwanda rwa Gasabo » pour le
distinguer des autres lieux portant le nom Rwanda. Sous le règne de Ruganzu I
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Bwimba (1312-1345 selon Alexis Kagame ou 1482 selon J. Vansina), il semblerait
que le Rwanda rwa Gasabo était formé par le Buganza occidental (communes
Bicumbi et Gikoro) et Gasabo situé au Nord de Bwanacyambwe dans la Commune de
Gikomero, Préfecture de Kigali Rural.
Par la suite les monarques du Rwanda rwa Gasabo entreprirent les guerres de
reconquête et d'annexion d'autres territoires pour restaurer leur autorité. Ensuite ils
poursuivirent les guerres de reconquête et d'expansion du Rwanda par la destruction
des royaumes autonomes Hutu jusqu'à l'annexion du Gisaka par Mutara Rwogera au
début du XIXème siècle.
Le roi Kigeri IV Rwabugiri (1853-1895 selon Alexis Kagame ou 1860-1895 selon J.N
Nkurikiyimfura) mena simplement des expéditions pour consolider le pouvoir à
l'intérieur des frontières du Rwanda qui s'étendait de la Rivière Akagera au
Bunyabungo et Rutshuru à l'est du Congo, à la frontière avec le Burundi au Sud et au
Bufumbira en Ouganda.
Après leur arrivée, dès 1902, les Allemands aidèrent le roi Yuhi V Musinga (1896-
1931) à asseoir son autorité sur les territoires du Nord-Ouest (Ruhengeri et Gisenyi)
encore réticents et à mater les insurgés qui manifestaient encore la résistance ici et
là. C'est à la conférence de Bruxelles en 1910 fixant les limites des états de la Région
que le Rwanda perdit le Bufumbira en Ouganda (convention signée le 14 mai 1910)
et les territoires de l'Est du Congo (convention signée le 11 août 1910), et prit sa forme
et ses dimensions actuelles.
L’Ethnisme dans l’exercice du pouvoir et les relations sociales.
Ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle les trois ethnies ont été créées
artificiellement par le Colonisateur et l’Eglise font de la diversion pour voiler certains
faits et périodes sombres imputables aux anciens dirigeants ayant justement marqué
l’histoire du Rwanda. Or, l’existence des ethnies n’est pas un problème ; le problème
c’est l’ethnisme, c’est-à-dire le favoritisme de l’ethnie des dirigeants qui sont au
pouvoir et la discrimination et le mauvais traitement des autres ethnies. Les données
historiques ci-après démontrent que les ethnies et les inégalités existaient bien
longtemps avant la colonisation.
En 1863, environ 40 ans avant la colonisation, l'explorateur John Speke parle des
Abatutsi dans son livre « Journal of the Discovery of the Source of the Nile », alors
qu'il n'a fait qu' un bref passage au Burundi, ce qui atteste que le problème ethnique
était du quotidien dans les deux pays jumeaux ou vases communicants. Ce n'est pas
Monsieur Speke qui a inventé ce mot et l'ethnie qu'il désigne. Il en a constaté
l'existence.
Les dénominations Umuhutu et Umututsi étaient utilisées sous le règne de Cyirima
Rujugira en 1650 selon les recherches effectuées par le Comité sur l'unité du peuple
rwandais qui fut mis en place par le Président Pasteur Bizimungu le 27 juin 1998, dans
son édition "Repubulika y'u Rwanda, Prezidansi ya Repubulika, Ubumwe
bw'Abanyarwanda, Kigali Kanama 1999" -(République Rwandaise, Présidence de la
République, Unité du Peuple rwandais, Kigali août 1999).
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En 1908, le Dr Richard Kandt, premier Résident allemand au Rwanda, rapportait qu'il
appartenait aux Hutu d'agir pour provoquer les changements, puisque c'était eux les
plus nombreux, au lieu de se lamenter tous les jours comme des femmes. L’extrait de
son rapport est le suivant : « Je suis impuissant devant leurs requêtes et leurs
difficultés lorsqu’ils se plaignent de l’oppression qu’ils doivent subir et de la privation
totale de tout droit. A plusieurs reprises, je leur ai dit de se débrouiller eux-mêmes ; je
me suis même un peu moqué d’eux en leur disant qu’eux, qui sont cent fois plus
nombreux que les watutsi, ne savent que gémir et se plaindre comme des femmes. »
Il ne dénonçait pas seulement les souffrances des serviteurs de la dynastie Nyiginya
et des chefs mais plutôt les souffrances de toute la masse Hutu.
Tandis que le roi Musinga a utilisé les termes Umuhutu et Umututsi, les qualifiant
respectivement de serf et de seigneur, dans sa lettre datée du 5 janvier 1930,
adressée à sa fille Mushembugu lorsqu’il la dissuadait de se convertir au
christianisme : « J’ai maudit quiconque qui parmi mes enfants se fera chrétien. Si l’un
d’eux le devient …..qu’il ne trouve le laitage ni chez le serf, le Muhutu, ni chez le
seigneur, le Mututsi ». Ce n’est pas un Belge qui lui a inspiré ces termes et les
qualifications données aux 2 groupes. C’est ce qu’il vivait depuis son enfance
longtemps avant la colonisation. Ce sont ses ancêtres qui ont créé ces catégories
sociales de seigneurs et de serfs appelées ethnies, identifiées par leur mode de vie
et de comportement.
Ce n'est donc pas la Colonisation et l'Eglise arrivées autour de 1900, et encore moins
les Belges arrivés en 1916 qui ont créé et dénommé les ethnies comme certains
continuent de le prétendre.
Bien que l'origine et le début de la dénomination Hutu et Tutsi ne soient pas
déterminés, les gens se sont reconnus et identifiés mutuellement comme tels au fil
des temps après l'abandon des dénominations Ibimanuka et Abasangwabutaka.
Les clans constituent l’organisation sociale de base aussi bien parmi les Hutu que les
Tutsi. Mais les Hutu et les Tutsi n’appartiennent pas aux mêmes clans. Ils
appartiennent aux clans de mêmes dénominations qui n’ont aucun lien de parenté.
D’une manière générale les Hutu et les Tutsi appartenant aux clans de même
dénominations ne partageaient pas sur le plan social, alors que les Hutu de clans
différents partageaient entre eux et les Tutsi de clans différents partageaient
également entre eux.
Les clans Hutu existaient avant l’arrivée des Tutsi au Rwanda. Avec le temps certains
Tutsi ont adopté les mêmes dénominations que les Hutu, tandis que d’autres ont créé
leurs propres clans avec leurs dénominations. Vice versa certains Hutu ont adopté
des clans de mêmes dénominations que ceux des Tutsi.
Les Hutu et les Tutsi se reconnaissaient eux-mêmes et s'identifiaient mutuellement à partir de leurs ancêtres respectifs partout où ils s'installaient. On ne voit nulle part les familles Hutu et les familles Tutsi qui ont le même ancêtre lointain malgré les mêmes dénominations de leurs clans respectifs.
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Quant à l'appartenance des trois ethnies aux clans de même dénomination la seule
explication possible est qu'à un certain moment de l'histoire les gens ont coopté
réciproquement la dénomination des clans des uns et des autres, peut-être pour
promouvoir l'unité et l'intégration sociale. Les Tutsi et les Twa ont coopté la
dénomination des clans des Hutu et vice versa. Cependant l'appartenance des
membres des trois groupes ethniques (Hutu, Tutsi et Twa) aux clans de même
dénomination ne fut pas un facteur d’unité, de reconnaissance mutuelle ou d’échange
entre ces groupes, ni de commune identité. L'intégration sociale n'a pas réussi, car en
général les Rwandais se sont toujours identifiés mutuellement par des ethnies, c'est-
à-dire les trois ensembles regroupant les clans ayant les mêmes modes de vie et le
même comportement.
Par ailleurs, à part le totem, les Hutu, les Tutsi et les Twa appartenant aux clans de
même dénomination n'avaient pas le même mode de vie, tandis que le comportement
des uns envers les autres était teinté de complexes accusant leur différence.
Par exemple le Munyiginya Tutsi a toujours discriminé le Munyiginya Hutu, et les deux
ont discriminé le Munyiginya Twa. Le Munyiginya Hutu ou Twa n’avait pas accès aux
privilèges réservés au Munyiginya Tutsi durant toute la monarchie. C’était la même
chose dans tous les clans. Ainsi donc ils n'appartiennent pas aux mêmes clans mais
plutôt aux clans homonymes.
Tout a commencé par l’intégration sociale des Ibimanuka (futurs Tutsi) qui ne s’est
pas faite avec enthousiasme dans le milieu qui les a accueillis. Kigwa a épousé sa
sœur Nyampundu au lieu d’épouser une fille issue des peuples Abasangwabutaka
(futurs Hutu) qui les ont accueillis. Son grand-frère Mututsi a attendu pour épouser sa
nièce Sukiranya fille aînée de Kigwa et Nyampundu au lieu d’épouser une fille
autochtone. Leurs descendants, du moins ceux de la lignée de Kigwa qu’on énumère,
n’ont pas épousé les filles des Abasangwabutaka jusqu’au 10ème de la lignée, Kazi
père de Gihanga, qui a fait exception et a épousé Nyiragihanga Nyirarukangaga du
clan des Abazigaba. Il a donc fallu au moins deux siècles pour qu’un descendant des
Ibimanuka brise le tabou et épouse une fille autochtone!
Avec l’avènement de Gihanga qui était hybride, de père Ikimanuka et de mère
Umusangwabutakakazi, la dénomination Ibimanuka a été abandonnée. Cela a
probablement entraîné l’abandon de la dénomination Abasangwabutaka également.
Ces deux dénominations ont alors été remplacées respectivement par Abatutsi et
Abahutu. Il en serait de même de la stratification des clans dans lesquels on trouve
les trois ethnies. Mais les historiens n'ont pas exploré ce sujet.
Mon propre constat sur la différence de traitement des ethnies par l’autorité
administrative et sur les relations entre les ethnies sous la monarchie.
A la révolution sociale de 1959 au Rwanda j'avais 12 ans et demi et j'étais en 5ème
année primaire. Notre habitation était voisine de celle du sous-chef, située à une
distance d'environ 400 m, mais aucune autre habitation n'était au milieu. Le chemin
qui menait chez le sous-chef passait près de notre habitation.
Mon père était tantôt veilleur, tantôt facteur. J'allais souvent chez le sous-chef en
apportant ceci ou cela, notamment les légumes car mon père avait un jardin potager,
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ou des patates douces dites « pour les chiens du sous-chef ». Mais j'ai constaté que
le sous-chef les mangeait aussi, avec du lait bien sûr !
Je n'avais jamais lu les pièces d'identité des personnes qui passaient près de notre
habitation en se rendant chez le sous-chef ou ceux que j'y trouvais, pourtant je savais
distinguer le Hutu du Tutsi. Je constatais que les Hutu et les Tutsi n'étaient pas traités
de la même façon à la cour du sous-chef. Je connaissais tous les Tutsi de notre colline
sur un rayon de 5 km et tous ceux qui habitaient le long de mon chemin de l'école
estimé à 10 km, sans le demander à personne. Je les reconnaissais par leur
comportement et leur mode de vie. A l'école je savais distinguer les enfants Tutsi et
les enfants Hutu aussi bien de ma classe que ceux des autres classes, venus de toute
part dans le ressort de la paroisse couvrant un rayon de 20 km, alors qu’aucun enfant
n’avait une pièce d’identité. Mais les Tutsi se distinguaient des Hutu par leur
comportement.
Je distinguais le Hutu pasteur du Tutsi ayant le même nombre de vaches. Je n'ai
jamais vu un Tutsi, si simple soit-il, pasteur ou pas, faire les corvées ou monter la
garde chez le sous-chef. Je n'ai jamais vu un Tutsi porter le sous-chef et sa femme
dans le hamac. Est-ce le colonisateur qui a exempté le Tutsi d'office ou c'était un
acquis social antérieur ! Par contre les Hutu exemptés étaient ceux qui possédaient
plusieurs têtes de vaches !
Lorsqu'un Hutu croisait un Tutsi sur le chemin, c'est le Hutu qui se mettait de côté et
laissait le passage au Tutsi. Est-ce le colonisateur qui a ordonné ce respect et cette
préséance au Tutsi ou c'était ancré dans la mentalité et la coutume avant son arrivée?
Ceci pour conclure que le Tutsi, non seulement le dirigeant et dignitaire Munyiginya,
était considéré comme supérieur au Hutu avant l'arrivée du colonisateur. Les Hutu et
les Tutsi se reconnaissaient eux-mêmes et s'identifiaient mutuellement à partir de
leurs ancêtres respectifs partout où ils s'installaient tel que mentionné plus haut. On
ne voit nulle part les familles Hutu et les familles Tutsi qui ont le même ancêtre malgré
les mêmes dénominations de leurs clans respectifs.
Concernant les relations entre Hutu et Tutsi en général, je donne l’exemple sur le
beau-frère de notre sous-chef, le frère de sa femme. Il avait pris une propriété dans
notre concession ancestrale et habitait entre mes deux oncles paternels. Mais je ne
l’avais jamais vu chez nous ni chez mes oncles, je n’avais jamais vu mon père entrer
chez lui, je n’étais jamais entré dans son enclos. Pourtant selon la coutume, lorsqu’on
avait brassé la bière de banane ou de sorgho on conviait les voisins pour en partager,
puisqu’à ce moment-là il n’y avait pas de débits de boisson ou cabarets en campagne
pour la vendre et gagner un peu d’argent. Il en était de même lorsqu’un ami vous
apportait de la bière ou lorsque, pendant les fiançailles, la famille du prétendant de
votre fille apportait de la bière. Mais ce monsieur n’invitait jamais mon père et mes
oncles, et eux ne l’invitaient pas non plus alors qu’il n’y avait aucun différend entre
eux. La preuve étant que ce sont eux qui l’ont aidé à construire son logement après
la destruction de sa maison par des vandalistes pendant la révolution de novembre
1959, et l’ont accompagné comme porteurs quand il s’est décidé à s’exiler en 1961.
De même les autres Tutsi de notre colline ne nous fréquentaient pas et nous ne les
fréquentions pas.
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Je donne aussi l’exemple sur mes condisciples à l’école. Ce n’est qu’au chef-lieu de
la paroisse de Muramba qu’il y avait le cycle complet du primaire de 1957 à 1961.
Tous les enfants venant de tous les horizons dans le ressort de la paroisse depuis la
3ème année apportaient des provisions puisque la classe prenait toute la journée.
Alors qu’en principe les enfants de provenance d’une même zone se mettaient
ensemble pour partager leurs provisions pendant la pause de midi, les enfants Tutsi
se détachaient de leurs groupes et se regroupaient seuls pour partager leurs
provisions à part quelle que soit leur provenance. Les Hutu et les Tutsi s’identifiaient
d’eux-mêmes mutuellement alors que personne ne nous indiquait nos ethnies
respectives.
Le Constat fait par le colonisateur :
Depuis leur arrivée au Rwanda les Allemands ont relevé l’existence des ethnies et les
inégalités sociales, les Hutu plus nombreux étant dominés et réduits à l’esclavage par
les Tutsi. L’administration coloniale allemande installée au Rwanda depuis 1907,
même si le Résident gouvernait à partir de Bujumbura depuis 1897, quitta le pays en
1916 et n’eut pas le temps d’opérer des changements sociopolitiques malgré les
doléances des opprimés.
Le constat du Dr Richard Kandt susmentionné est sans équivoque. Tout Tutsi qui était
capable de se payer un Hutu serviteur par une vache ou autre astuce il en avait. D’où
la représentation historique de la domination du Hutu par le Tutsi n'était pas erronée!
Tandis que Monsieur Louis Jaspers, ancien Administrateur de territoire à Kibuye en
1955 témoigne sur la discrimination des Hutu par les Tutsi dans son écrit :
Antagonisme Hutu Tutsi. « Extrait 24-12-55 Veillée de Noël avec pièce de théâtre
25(12-55 : Inauguration des Contacts Sociaux par l’invitation des ménages des
évolués chez Monsieur l’Administrateur et Madame Jaspers. ». L’Administrateur a
demandé à Monsieur Munyekazi, Président du Cercle qui était Tutsi, d’établir la liste
des membres avec leurs épouses.
« Quand il me le remit finalement, quel fut mon étonnement de ne pas y voir le nom
de Joseph, le menuisier du territoire. S’agissait-il d’un oubli ? J’en fis la remarque à
Munyekazi et sa réponse fut : Monsieur l’Administrateur je ne puis l’inscrire car il est
Hutu et, bien qu’il soit membre de notre Fraternelle il n’est pas concevable que ma
femme doive être installée à côté de sa femme à votre réception ».
« J’en étais ulcéré, toutes nos peines pour obtenir une intégration raciale s’avéraient
sans effet. »
Les relations sociales entre les trois composantes du peuple rwandais, bien
avant la Colonisation et l’Eglise.
A travers les proverbes très anciens on constate que ces relations étaient teintées de
suspicion, de méfiance, de dénigrement et de mépris plutôt que d’estime mutuelle
entre les ethnies.
Pour les Tutsi :
*Uvura Umututsi amenyo akayaguhekenyera =
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Tu soignes le Tutsi des maux de dents et puis il les grince contre toi.
*Uvura Umututsi imitezi akakwendera umugore =
Tu soignes le Tutsi des maladies sexuellement transmissibles, et puis il prend ta
femme.
*Usasira Umututsi mu kirambi akagutanga mu buriri =
Si tu prépares le lit pour un Tutsi au salon il te précédera dans ton propre lit (Autrement
dit, il prendra ta femme).
Pour les Hutu :
* Uvura Umuhutu amaso akayagukanurira =
Tu soignes le Hutu des yeux et puis il te regarde d’un air méchant.
*Utuma Abahutu atuma benshi =
Si tu confies un message au Hutu il faut le confier à plusieurs.
Autrement dit un seul Hutu ne pouvait pas restituer textuellement, intégralement ou
fidèlement le message; le Hutu n’était pas assez intelligent.
*Nta Muhutu ushimwa kabiri =
Aucun Hutu ne peut être remercié deux fois (plus d’une fois). Cela veut dire qu’aucun
Hutu ne peut bien accomplir toujours son devoir.
Pour les Twa :
*Kanaka afite ubwenge Twa = Tel a l’intelligence des Twa (autrement dit il est peu
intelligent).
Ces proverbes démontrent que l'existence des 3 ethnies n'est pas une question de
classes sociales, comme certains « spécialistes du Rwanda » le présentent, mais que
c'est la question d'essence, de nature, de culture et de comportement péjoratifs que
les membres des 3 groupes ethniques se sont attribués mutuellement ou ont relevés
les uns vis-à-vis des autres au fil des temps. Ceux qui disent que les 3 ethnies sont
artificielles, que c'est seulement les clans qui distinguent les Rwandais, travestissent
la vérité.
Section 1: L'exercice du pouvoir et la situation sociopolitique pendant la
monarchie
Le Rwanda ancien fut un ensemble de royaumes des clans Hutu, indépendants,
juxtaposés et pacifiques. Le roi Hutu était appelé Umwami (Abami au pluriel).
L'histoire ne parle pas de l'organisation politique des Twa, les premiers occupants du
Rwanda qui vivaient à l'état primitif dans la forêt.
Tel que mentionné plus haut, dès l’avènement de Gihanga, la création de son
royaume, la hiérarchisation et la reconnaissance de père en fils du monarque
descendant de Gahima-Kanyarwanda le fils aîné de Gihanga par les autres
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monarques, puis l’émancipation des différents territoires, le royaume central fut réduit
à ce qu’on appelle le « Rwanda rwa Gasabo » situé au nord-est de Kigali.
C'est au XVème siècle que les monarques du Rwanda rwa Gasabo entreprendront la
guerre de conquête des royaumes Hutu pour les fondre enfin en un seul royaume
central Tutsi, le Rwanda actuel. Les monarques Hutu sont tués et leur titre d'Umwami
est désormais réservé au seul roi Tutsi. Les rescapés prendront le titre d'Umuhinza
(Abahinza au pluriel), c'est-à-dire maître des pluies et des récoltes. Cependant la
destruction des royaumes Hutu a été une tâche de longue haleine, si bien que les
dernières conquêtes furent réalisées par le colonisateur allemand tout au début du 20
ème siècle dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi.
Le Rwanda sous la monarchie absolue Tutsi :
Le Rwanda contemporain fut une Monarchie féodale absolue Tutsi-Nyiginya qui s’est
formée au fil des années après avoir détruit des royaumes autonomes Hutu par des
guerres de conquête. Cette monarchie a duré au moins 400 ans, jusqu’à la Révolution
sociale de 1959-1961. Le clan Abanyiginya fournissait les rois et une coalition d’autres
clans Tutsi dominée par le clan Abega (clan de Paul Kagame) fournissait les reines-
mères qui co-régnaient avec leurs fils. Durant cette monarchie les Hutu étaient traités
comme des esclaves de l’aristocratie et la bourgeoisie Tutsi et ce de père en fils; les
Tutsi formaient l’aristocratie et la bourgeoisie à l’exception d’une catégorie de simples
citoyens, mais toujours considérés comme supérieurs aux Hutu étant donné qu’ils ne
participaient pas aux servitudes réservées à ces derniers; les Twa sédentarisés
étaient marginalisés et utilisés comme des bouffons ou des bourreaux de la cour de
l’aristocratie Tutsi pendant que d’autres, dénommés Impunyu, vivaient encore à l’état
primitif dans les forêts.
Néanmoins il est rapporté que le Roi Kigeli IV - Rwabugili qui régna jusqu’en 1895 a
fait la promotion de quelques rares Hutu auxquels il confiait certaines responsabilités,
notamment comme Commandants de quelques troupes.
Cette tentative de réforme inédite fut supprimée par le roi Yuhi V Musinga, issu du
Coup d’Etat sanglant de Rucunshu en novembre 1896 contre son demi-frère
Rutalindwa, qui venait de succéder à leur père en 1895. Rutalindwa fut tué, beaucoup
de gens de son camp furent massacrés et d’autres prirent le chemin de l’exil.
Le Rwanda sous le protectorat allemand :
Le Rwanda fut placé dans la sphère germanique par la Conférence de Berlin en 1885.
Le premier émissaire allemand, le Lieutenant Comte Von Götzen fut accueilli à
Rwamagana le 12 mai 1894 par Sharangabo, fils du roi Kigeli IV Rwabugili.
Sharangabo accepta de lui servir de guide pour le conduire à son père qui était à
l'époque à Nyamasheke dans l'ancienne Préfecture de Cyangugu. Le roi Rwabugili
quitta Nyamasheke et partit à leur rencontre. Il reçut le Comte Von Götzen le 29 mai
1894 à sa résidence secondaire de Kageyo, au Kingogo, dans l'ancienne Préfecture
de Gisenyi. En 1895 le Rwanda devint partie du Territoire Allemand de l'Afrique de
l'Est avec la Tanzanie et le Burundi. En mars 1897 le capitaine Ramsay remit au Roi
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Yuhi V Musinga, à Runda, le drapeau allemand et la lettre lui notifiant le Protecorat
allemand sur le Rwanda. Depuis 1897 les résidents allemands gouvernaient à partir
du Burundi. Au cours de sa visite à la cour de Gitwiko du 3 au 6 mars 1898 le capitaine
Bethe notifia au roi Yuhi V Musinga que le Rwanda sera désormais gouverné
conjointement par l’Allemagne et le roi. En août 1907 le Dr Richard Kandt s'installa
au Rwanda comme résident autonome.
Les Allemands ouvrirent un commandement militaire à Kigali qu'ils ont choisie comme
capitale. L’administration coloniale allemande s’appuya sur la monarchie Tutsi et
n’apporta pas de changement sociopolitique en faveur des opprimés.
Le 11 août 1910 l'Allemagne et la Belgique signèrent la convention fixant les frontières
« définitives » entre le Congo Belge et le Rwanda.
La Convention fut ratifiée à Bruxelles le 27 juillet 1911. Le Rwanda perdit ses territoires
du Nord-Kivu s'étendant de Goma jusqu'au Lac Rwicanzige (Lac Edouard) vers le
nord et de Goma vers Walikale à l'ouest.
Le Rwanda fut le théâtre de la guerre entre les Allemands et les Belges en mai 1916
et les Belges chassèrent les Allemands. Il n'a donc été concrètement sous le
Protectorat allemand que de 1897 à 1916, soit 19 ans seulement.
Anecdote marquant les relations germano-rwandaises :
Au cours de l'année 1907 le roi Yuhi V Musinga reçut la visite du Duc von
Mecklenburg. Celui-ci demanda de rencontrer également la reine mère Kanjogera.
Mais la tradition ne voulant pas qu'un étranger puisse rencontrer la reine mère on lui
présenta une servante sosie, tandis que Kanjogera observait le visiteur derrière un
paravent. C'est suite à cette visite que Kanjogera ordonna la crevaison des yeux du
chef Kayijuka qui avait accompagné le Duc et lui avait révélé le subterfuge. Pourtant
le supplicié continua d'être parmi les confidents (Abiru) du roi Musinga. (Idem). Les
détails par Monsieur Louis Jaspers : « J’avais fait la connaissance à Nyanza, où il
vint faire sa cour au Mwami, du grand seigneur tutsi, le chef Kayijuka. Il était aveugle
et voici, en bref, son histoire telle qu’elle m’a été rapportée.
« Kreis » de la Deutsch Ost Afrika, le Ruanda reçut, vers 1907, la visite du Duc von
Mecklenburg. Celui-ci, après sa visite au Mwami Musinga, voulut rencontrer la Reine
Mère Kanjogera .Selon les règles en vigueur, cela n’était pas possible car c’était
exposer la souveraine à des forces occultes et étrangères, présentant un danger très
réel bien que non déterminé pour elle-même et donc pour le trône. Comme on ne pût
refuser la faveur au visiteur, parent de l’empereur allemand, il fut décidé de le mettre
en présence d’une servante, sosie sur laquelle s’abattrait le malheur éventuel.
Kanjogera, curieuse, observerait le visiteur ainsi éconduit, de derrière un paravent.
C'est ainsi que se passa cette visite sans mal pour qui que ce soit.
Seulement voilà que la Cour apprend que le guide du visiteur, le jeune chef et
confident du roi, Kayijuka, aurait au préalable informé son maître blanc du subterfuge.
Il avait ainsi exposé la souveraine à la vue de l’étranger et donc aux forces occultes.
Crime de lèse majesté, punissable de mort. Seulement, la mort était une sanction
encore trop douce. Kanjogera décida une punition plus cruelle et servant plus
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durablement d’exemple : le coupable serait doublement éborgné au fer rouge.
Sentence immédiatement exécutée. Mais voilà, le soir Kanjogera envoya un courtisan
vérifier que le supplicié, jeté dans une hutte près du rugo royal, fut bien aveugle. Or,
Kayijuka reconnut le visiteur à sa voix et lui dit : « Tu viens me voir dans mon malheur
pour te réjouir de ma déchéance ? ».
L'interpelé courut chez la reine pour annoncer que Kayijuka n’était pas aveugle
puisqu’il l’avait reconnu. L'énucléation au fer rouge fut exécutée une deuxième fois.
Voilà l’histoire telle qu’elle m’a été racontée. J’y pensais chaque fois que je bavardais
avec Kayijuka dont les yeux étaient toujours couverts d’un bandage blanc. Conseil du
Mwami, umwiru (=gardien des coutumes), il venait souvent à Nyanza, faire la cour.
Très digne vieillard, il était guidé, la main droite tenant le traditionnel bâton de pasteur,
la main gauche s’appuyant sur l’épaule d’un jeune page, fils d’un de ses abagaragu
(= partenaire d’un contrat de servage).
Cette atrocité n’était pas un coup d’essai de Kanjogera. Après le coup d’état de
Rutchunchu elle s’était vengée du prince Bibliomanie, resté fidèle à son cousin le
Mwami éliminé, et mort avec lui, en torturant à mort son jeune fils âgé de dix ans
environ.
Cette cruauté répondait à des pratiques dynastiques courantes : pour se maintenir au
pouvoir il fallait éliminer tout concurrent possible et toute tentation de dissidence.
Le grand Mwami Rwabugiri, père de Rutalindwa et de Musinga, avait à son avènement
au trône, vers 1875, fait crever les yeux à ses deux frères consanguins, Nyamwesa et
Nyamahe, éliminant ainsi des compétiteurs éventuels. Autre « méfait » de ce
monarque, père reconnu et admiré du Ruanda expansionniste.
Son beau-frère Kabare avait épousé la belle Nyiramaloba, du clan des abakono.
Rwabugiri la lui prit comme épouse (il la fit exécuter plus tard).Mais il donna en
compensation à Kabare sa fille Kamarashavu, sœur puînée de Rutalindwa. Ensuite,
de peur que Kabare n’engendre un roi comme en courrait une prophétie- Rwabugiri le
fit émasculer. Pourtant Kabare épouserait ensuite la nommée Gashonga qui lui donna
encore deux fils : Nyantabana et Rwabutogo.
Est-ce pour cela que sa sœur Kanjogera tint à vérifier que Kayijuka avait bien été
aveuglé ? ».
L’administration allemande n’avait rien fait pour abolir ces pratiques criminelles.
Le Rwanda sous l’administration coloniale belge :
Depuis 1916 le Rwanda fut d’abord sous l’occupation de la Belgique qui venait de
vaincre les Allemands dans ce territoire. Ensuite il fut placé par la Société des Nations
sous le Mandat de la Belgique en 1922 et plus tard il fut mis sous la Tutelle de la
même métropole belge en 1946.
L’administration belge s’installera au Rwanda suite à la victoire de la Belgique sur
l’Allemagne à la première guerre mondiale en 1916. De même elle renforça la
domination de l’aristocratie Tutsi. Cependant elle supprima d’emblée des pouvoirs du
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roi le droit de vie et de mort ainsi que la défense du pays. Les armées du roi furent
dissoutes et remplacées par la Force Publique composée de soldats congolais.
Par contre elle augmenta les jours de servitudes des Hutu au profit de leurs maîtres
Tutsi, de 37 à 107 jours par an, instaura les travaux d’intérêt général pour
l’administration, l’impôt équivalent à 30 jours de travail par an et le châtiment d’un
certain nombre de coups de fouets. Elle institutionnalisa la discrimination dans
l’éducation et l’administration territoriale.
Dans l’éducation, en 1919 elle créa une école d’Etat à Nyanza réservée seulement
aux fils des dignitaires Tutsi. En 1920-1923, elle créa d’autres écoles primaires d’Etat
réservées aux fils des Tutsi en général, notamment à Ruhengeri, Gatsibo, Rukira,
Cyangugu. En 1929 il y avait 969 élèves uniquement Tutsi dans les 5 écoles. A l’issue
de la formation ce sont eux qui recevaient toutes les fonctions dans l’administration et
dans l’enseignement partout dans le pays. Tandis que quelques missions catholiques
ouvrirent à leur tour des écoles où elles accueillaient aussi des enfants Hutu,
notamment à Save, Kansi, Kigali. Mais les Hutu ne partageaient pas les salles de
classe avec les Tutsi. Ces derniers recevaient une formation particulière selon les
instructions de Mgr Léon Classe.
Dans l’ensemble, au primaire le nombre de Hutu s’est augmenté au fur et à mesure
de telle sorte qu’en 1958 il y avait 44.196 élèves dont 68% Hutu, 31,7% Tutsi, et
0,01% Twa. Mais c’était l’inverse au secondaire car les Tutsi étaient plus nombreux.
Sur 2.856 élèves il y avait 60,8% Tutsi, 39,2% Hutu, pas un seul Twa. Donc les Tutsi
occupaient plus de 60% au secondaire alors qu’ils ne représentaient que 14 % de la
population.
Le Groupe Scolaire d'Astrida-« Indatwa » qui fut créé en 1932 recevait aussi des
enfants Hutu et des étrangers. En plus des jeunes Tutsi de la future classe dirigeante,
il forme des cadres techniques tels que les agronomes, les vétérinaires et les
assistants médicaux. Mais les Tutsi demeuraient majoritaires et les Hutu n'avaient pas
accès à la section administration. Selon les statistiques, cette école avait accueilli
2.250 élèves jusqu’en 1962. Parmi eux 1.265 soit 56,0 % étaient Rwandais dont 850
Tutsi soit 37,7% ; 295 Hutu soit 13,0 % et 120 soit 5,3 % sans ethnie spécifique. 985
autres soit 44 % étaient des étrangers Congolais, Burundis, Belges etc…..
Toutefois avec le concours de l’Eglise on a formé une classe moyenne Hutu composée
essentiellement d'artisans (maçons et menuisiers-charpentiers), de moniteurs
(enseignants) et de séminaristes, même si la formation de la classe dirigeante n’était
réservée qu’aux jeunes Tutsi au Groupe Scolaire d'Astrida (Butare). C'est de la classe
moyenne Hutu qu'a émergé le leadership qui réclama l'égalité dans le Manifeste des
Bahutu du 24 mars 1957 et fut pionnier de la Révolution sociale de 1959-1961.
Dans l’administration du territoire, l’autorité coloniale Belge ne pensera aux
changements sociopolitiques que dans les années 1950, qui ne donneront pas le
résultat escompté à cause du système en place. Sa tentative de réformes
sociopolitiques à partir de 1954 s’est heurtée au refus du Roi et l’opposition de
l’aristocratie Tutsi, qui ne voulait pas perdre ses privilèges et partager le pouvoir avec
les Hutu. Signalons toutefois ces quelques tentatives de réformes:
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- Le 14 juillet 1952 il y eut le Décret royal belge sur les élections des conseillers à
tous les échelons du pouvoir. Ensuite il y eut nominations de quelques sous-chefs
Hutu.
-En 1954: Sur pression de la métropole belge le roi Mutara III Charles Rudahigwa
prit la décision supprimant le système Ubuhake et ordonnant le partage de vaches
entre les seigneurs Tutsi et leurs esclaves Hutu. Mais les Tutsi refusèrent de
s'exécuter. Plus tard, le roi ordonnera la suppression de la corvée Uburetwa.
Malgré ces réformes dans l’administration du territoire, en 1957 le Conseil Supérieur
du Pays (CSP), une sorte de Parlement dont le Roi était président, comptait une
écrasante majorité de 31 Tutsi ne représentant que 14% de la population et 2 Hutu
pour représenter 85 %, tandis que les Twa, 1 % de la population, étaient simplement
ignorés.
En 1959, sur un total de 45 chefferies il y avait 43 chefs Tutsi. Les deux autres places
étaient tout simplement vacantes au lieu de les confier au Hutu. Par exemple le Roi
Mutara Rudahigwa a refusé la proposition de Monsieur Louis Jaspers, Administrateur
du territoire de Nyanza, de nommer Dominique Mbonyumutwa comme premier chef
Hutu. La position du roi est catégorique : « Pas de chef Hutu dans son royaume » !
Sur 559 sous chefferies il y avait 544 sous-chefs Tutsi et 15 Hutu seulement par
déduction.
Sur le plan social, l'administration coloniale belge fera la promotion des Hutu et des
Twa possédant au moins dix vaches et les considérera comme des Tutsi. Pourtant ils
ne devenaient pas Tutsi. Ils étaient seulement dispensés des servitudes (Ubuhake)
vis-à-vis des maîtres Tutsi et de la corvée (Uburetwa) vis-à-vis de l'administration.
C'est cette promotion sociale qui fausse la donne sur l'existence des ethnies. Il
convient de souligner que sous la monarchie féodale, ce genre de promotion nominale
et artificielle n'a jamais existé. Personne ne changeait d'ethnie suite à sa catégorie
sociale. Les rares Hutu auxquels le roi Rwabugili a confié des hautes responsabilités
et qui possédaient certainement beaucoup de biens ou de vaches n'ont pas changé
d'ethnie. Il s'agit notamment de Bisangwa qui était commandant militaire d'une troupe
de Rwabugili, Sehene le grand-frère de Bisangwa, Bikotwa, Runiga, Nyiriminega,
Seruteganya, Nzigiye et son fils Rwatangabo, Rusine et son fils Rubindo,
Ndarwubatse et son fils Kanyonyomba, Kazanenda, Ndongozi, Runyange, Mugenzi,
Rubago et Ntamuhanga qui étaient des chefs de certains territoires. Même cette
promotion sociale inédite de Rwabugiri a été annihilée par le roi Musinga.
Section 2 : La Révolution sociale de 1959-1961.
Dès le premier trimestre 1957 les leaders Hutu exposèrent le problème des inégalités
et injustices sociales et formulèrent certaines revendications. Le premier écrit politique
fut la "Note sur l'aspect racial indigène au Rwanda" du 24 mars 1957, connue sous le
vocable du "Manifeste des Bahutu".
Le 17 mai 1958, 12 dignitaires Tutsi de la Cour royale réagirent et adressèrent au roi
Mutara Rudahigwa une lettre s'opposant à toute concession sociopolitique envers les
Hutu, disant qu’entre les Hutu et les Tutsi il n’y a aucun fondement de fraternité et
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qu’ils n'ont de relation autre que celle de servage « Ubuhake » (de seigneur Tutsi et
de serf Hutu).
Le 18 mai 1958, 15 dignitaires de la cour royale adressèrent au roi Mutara Rudahigwa
et au Conseil Supérieur du Pays une lettre rejetant le partage des terres et des
pâturages avec les Hutu.
Les milices Tutsi commencèrent à mener des attaques dirigées contre les leaders
Hutu. Le 1er novembre 1959, un groupe de jeunes Tutsi attaqua et molesta le sous-
chef Hutu de Ndiza, Dominique Mbonyumutwa, à Bukomero près de Byimana dans le
Marangara, parce qu'il n'avait pas signé la lettre de démission des autorités
coutumières protestant contre la mutation d'un chef Tutsi, membre de l'Union
Nationale Rwandaise (UNAR) . Cette agression provoqua la contre-attaque de la
masse Hutu. Des représailles ayant dégénéré en troubles et affrontements
interethniques se sont répandirent sur tout le pays. La révolution devint violente alors
que ses pionniers ne le prévoyaient pas ainsi.
Cette révolution provoqua l’exil de l’aristocratie et de la bourgeoisie Tutsi qui
n’acceptaient pas le nouvel ordre établi. Les chefs et sous-chefs Tutsi déchus furent
remplacés par des Hutu nommés. Des élections démocratiques des Conseillers
Communaux et Bourgmestres furent organisées du 26 juin au 30 juillet 1960, mais
toujours dans le cadre de la monarchie. La majorité des élus sont du parti
PARMEHUTU. Le roi Kigeli V Ndahindurwa quitte lui-même le pays le 25 juillet 1960
et se rend à Léopoldville (actuelle Kinshasa) pour rencontrer le Secrétaire Général de
l'ONU Dag Hammarskjold
Cependant certains écrits rapportent que le roi Kigeli V aurait quitté le Rwanda en
avril 1960. Il ne reviendra plus au Rwanda.
Le 28 janvier 1961 les bourgmestres et conseillers communaux se retrouvent à
Gitarama et proclament la République en place de la monarchie. Le drapeau national
Rouge-Jaune- Vert remplace le tambour royal Kalinga. La lettre R sera ajoutée plus
tard dans le jaune pour le distinguer du drapeau de la Guinée Conakry qui a les
mêmes couleurs.
Le 25 septembre 1961 un référendum organisé par l’ONU consacra la République.
Les législatives eurent lieu le même jour.
L'Indépendance nationale fut proclamée le 01 juillet 1962.
Section 3: L'exercice du pouvoir et la situation sociopolitique pendant la
République
*La Première République de 1961 à 1973, issue de la Révolution Sociale de 1959-
1961.
C’est un régime présidentiel fort. Elle évolua sous un régime à parti Etat le MDR-
PARMEHUTU après avoir évincé les autres partis qui se dissolurent. Elle s’attela à se
consolider et à promouvoir la Démocratie, faisant face à la déstabilisation du
Mouvement armé « INYENZI » de l’Aristocratie en exil qui a opéré plusieurs incursions
armées à partir des pays voisins de 1961 jusqu’en 1967. Ces incursions ont été
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l’obstacle majeur à la tolérance, l’entente, la cohabitation pacifique, la confiance
mutuelle et la cohésion entre les Hutu et les Tutsi à l’intérieur du pays. Elles
entraînaient chaque fois des représailles populaires dirigées contre les Tutsi.
Toutefois le problème ethnique n'a pas été bien géré. Au début de l'année 1973 un
mouvement insurrectionnel dit « Comités du Salut » formés par des étudiants de
l'Université Nationale du Rwanda, ceux de l'Institut Pédagogique National et quelques
fonctionnaires à Butare, reproche au pouvoir de favoriser les Tutsi et son attitude vis-
à-vis de la situation des Hutu au Burundi. Il établit des listes des fonctionnaires et
étudiants Tutsi à chasser et les affiche dans les établissements publics et les écoles
secondaires. Le mouvement s'étend rapidement sur toutes les préfectures et toutes
les écoles secondaires. Il dégénère en violences et les troubles embrasent tout le
pays. Des milliers de Tutsi furent tués et d'autres prennent le chemin de l'exil; leurs
maisons et leurs biens furent incendiés et/ou détruits. Le parti au pouvoir le MDR-
Parmehutu manifeste une attitude de complaisance dans la gestion de la crise bien
qu'il n'en soit pas le promoteur. Les responsables politiques et administratifs
handicapent l'action des services de sécurité à certains endroits. Cependant certaines
rumeurs ont attribué les « Comités du Salut » au Lt Colonel Alexis Kanyarengwe, alors
Directeur de la Sûreté Nationale (RWASUR). Par ailleurs la Première République fut
rongée par le régionalisme Kiga-Nduga ou Nord- Sud qui aboutit au coup d'Etat du 5
juillet 1973.
*La Deuxième République de 1973-1994.
La deuxième république est issue du Coup d’Etat du 5 juillet 1973. Ce fut une époque
de paix, de concorde nationale et de développement économique. Après deux ans de
pouvoir dirigé par un Comité militaire, dit Comité pour la Paix et l’Unité Nationale, le
pays va évoluer sous un parti unique, le Mouvement Révolutionnaire National pour le
Développement (MRND) créé le 5 juillet 1975. Il est dirigé par un comité dénommé
Comité Central du MRND où toutes les ethnies et toutes les régions sont
représentées. Sa devise c’est Paix-Unité-Développement. Cependant les assassinats
des prisonniers politiques du Coup d'Etat du 5 juillet 1973, restés longtemps sans
explications, furent une tache qui ternit l'image de la Deuxième République quand bien
même les auteurs ont été jugés et condamnés.
Le pouvoir économique est majoritairement entre les mains des Tutsi. Mais ils veulent
être représentés massivement au pouvoir exécutif, à l’administration et à la fonction
publique, malgré leur minorité. Influencés et/ou dissuadés par leurs congénères en
exil, ils ne s’intéressent pas à la carrière des armes. Mais pour l’opinion internationale
mal informée leur faible représentation dans les Forces Armées est considérée
comme une discrimination.
La deuxième république a instauré la politique d’équilibre ethnique et régional dans
l’enseignement secondaire et supérieur. Les Tutsi se sentaient comme défavorisés
alors que c’était suite à leur minorité. Par contre l’enseignement privé était presque
leur exclusivité, puisqu’ils en avaient les moyens.
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*Attitude de la Diaspora Tutsi
L’Aristocratie Tutsi en exil a créé un Mouvement terroriste qui s’est dénommé
« Inyenzi » (Ingangurarugo ziyemeje kuba Ingenzi = Milice qui s’est donné comme
objectif d’être le meilleur») selon leur Commandant Aloys Ngurumbe, au cours
d’une interview accordée au journal Kanguka (N° 52 du 12 février 1992). Ceux qui
prétendent que c’est le régime hutu qui a qualifié ce mouvement d’Inyenzi et a attribué
ce nom à tous les Tutsi par extrapolation pour les traiter de cafards ou cancrelats « à
écraser » font de l’amalgame. Ce mouvement a opéré plusieurs incursions armées
à partir des pays voisins de 1961 jusqu’en 1967. Suite à l’échec de reprendre le
pouvoir, la diaspora Tutsi a suspendu la lutte armée au profit de l’organisation
économique et politique.
Par ailleurs l'exil leur a ouvert les horizons. Le mythe d'être descendu du ciel ne
pouvant être évoqué devant le monde civilisé et étant plutôt ridicule, la diaspora Tutsi
a exploité l'hypothèse scientifique des ethnologues et historiens situant leur origine
en Abyssinie ou Ethiopie et a créé un nouveau mythe stratégique présentant les Tutsi
comme étant d'origine juive. En outre les Tutsi ont comparé leur exil à celui des Juifs
pour attirer la sympathie des lobbys juifs alors que les deux exils n'ont pas de
ressemblance étant donné qu'ils n'ont pas les causes similaires.
Le nouveau mythe fut appuyé par un Film tourné par la diaspora Tutsi, intitulé «Les
Fils d'Imana (Dieu) et les Mines du Roi Salomon». Ce film était tourné sur les chaînes
de télévision allemande à Bayreuth en Haute Franconie à l'été 1972. Le corollaire de
ce mythe est que les Tutsi ont été envoyés en Afrique par le Roi Salomon pour
protéger ses richesses dans la Région des Grands Lacs. Autrement dit cette région
leur appartient par la voie de conséquence. Alexandre Kimenyi, l’un des idéologues
Tutsi publiera dans son journal IMPURUZA (Mise en Alerte) édité à Sacramento-
Californie-USA depuis 1983, que « les Tutsi sont les Juifs d’Afrique ». Ainsi la
diaspora Tutsi se créa des alliances avec les USA, la Grande Bretagne, le Canada,
l’Israël, l’Ouganda, des Hindous, des Belges, etc.
On sait notamment que les Etats-Unis d’Amérique avaient voulu construire une base
militaire au Bugesera, sud-est du Rwanda depuis les années 1960. Mais la jeune 1ère
République rwandaise dirigée par les Hutu s’y est opposée, puisque cette
implantation américaine signifiait la chasse des Européens en général et des Belges
en particulier. Le Président Juvénal Habyarimana a maintenu le refus à sa prise du
pouvoir en 1973. L’alliance des USA avec la diaspora Tutsi s’est alors basée sur la
possibilité de s’installer au Rwanda si les Tutsi revenaient au pouvoir. Pour les autres
il était question d’avoir accès aux minerais et autres richesses de l’Est de la RDC.
La Deuxième République n’est pas parvenue à résoudre le problème des réfugiés
Tutsi. Au lieu de répondre aux appels du gouvernement de rentrer pacifiquement, les
fils et filles de l’aristocratie en exil se sont enrôlés dans les armées des pays voisins
du Rwanda, principalement dans l’armée ougandaise, la National Resistance Army
(NRA) dont ils formèrent l’élite en 1986.
17
Dès 1987 ils créèrent le Front Patriotique Rwandais (FPR), piloté par les fils et filles
de l’ancienne aristocratie Tutsi, dans le but de reconquérir le pouvoir au Rwanda par
les armes. Puis le FPR attaqua le Rwanda depuis le 1er octobre 1990 à partir de
l’Ouganda. Il interrompit le processus de rapatriement pacifique des réfugiés qui était
déjà en phase de finalisation entre le Rwanda, l’Ouganda et le HCR pour la seule
raison que ce processus ne lui permettrait pas la prise totale du pouvoir ?
Le FPR a attaqué le Rwanda le 1er octobre 1990 alors que le pays venait d'opter pour
le multipartisme conformément au rapport de la Commission de Synthèse mise en
place sur initiative du président de la république, dans le cadre de l’Aggiornamento
Politique. Une Commission nationale de synthèse regroupant des membres de
différentes sensibilités politiques travailla sur le dossier de septembre 1990 à fin mars
1991.
La Constitution du 10 Juin 1991 consacre le multipartisme. Un gouvernement de
transition dirigé par un Premier Ministre issu du MRND est mis en place le 30
décembre 1991. Mais il ne réunit que le MRND et le PDC, les autres partis politiques
l'ayant boycotté. Il est remplacé le 16 avril 1992 par un gouvernement de coalition
composé des partis MRND, MDR, PSD, PL et PDC, dirigé par un Premier Ministre
issu du MDR. Toutes ces réformes n’intéressaient pas le FPR qui voulait prendre le
pouvoir à tout prix par les armes.
Section 4: L’avènement du Front Patriotique Rwandais (FPR)
La guerre d’octobre 1990, déclenchée le 1er octobre 1990 par le Front Patriotique
Rwandais a brisé les acquis de la Deuxième République et les a anéantis. C’est une
guerre de revanche et de reconquête du pouvoir par les descendants de l’ancienne
Aristocratie Tutsi. Les motifs qu’ils ont présentés à son déclenchement, notamment le
retour des réfugiés Tutsi, la démocratie et l’Etat de Droit n’étaient que des prétextes.
Le FPR rompit l’Accord de Paix d’Arusha du 04 août 1993 par l’assassinat du
Président Juvénal Habyarimana et son homologue Burundais Cyprien Ntaryamira le
06 avril 1994 et la reprise instantanée de la guerre sur tous les fronts, provoquant une
guerre civile totale caractérisée par des massacres de populations innocentes. Il prit
le pouvoir le 17 juillet 1994.
Dès la prise du pouvoir le FPR modifie l'Accord de Paix d'Arusha. Il dissout d'office le
MRND et s'attribue la plupart des sièges qui revenaient à ce dernier dans les
Institutions de Transition à Base Elargie, notamment la Présidence de la république.
Il crée un poste de Vice-président de la république non prévu dans les Accords
d'Arusha et s'en attribue également. Le 19 juillet 1994 il forme un gouvernement dit
"d'union nationale" composé du FPR, MDR, PDC, PSD et PL. Par la suite il se mue
en un parti Etat. Il dissout le MDR en 2004, désorganise les autres partis et s'entoure
de leurs franges devenues ses satellites. Il réunit ces partis satellites dans un Forum
qu'il contrôle. Il met en place des Institutions d'un Etat démocratique de façade alors
qu'elles sont soumises à ses injonctions. Les élections qui se font dans le pays sont
toujours truquées en sa faveur. Le régime du FPR est une dictature sanguinaire
caractérisée par :
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-Les lois antidémocratiques et liberticides qui musellent le peuple. -La discrimination
ethnique, l'exclusion et la persécution de l'opposition.
-Le terrorisme d' Etat caractérisée par l'oppression, les assassinats, les enlèvements
et les disparitions, les arrestations et détentions arbitraires, les exécutions
extrajudiciaires.
-La justice partiale, inéquitable et calomnieuse.
-Le développement sectaire avec des inégalités sociales flagrantes, marginalisation
et appauvrissement des masses populaires.
-L'hypocrisie reniant l'existence des ethnies.
En supprimant la mention des ethnies dans l'état civil actuel, sous prétexte qu'on est
rwandais tout court, le FPR a adopté et légalisé le stratagème qui fut proposé au
gouvernement belge en juin 1958 par le Conseil Supérieur du Pays presque
exclusivement Tutsi. Le FPR le fait pour contrer toute velléité de dénonciation de la
discrimination et de la prédominance ou la domination des Tutsi sur les autres alors
qu'une minorité de 5% au sein de la minorité Tutsi de 14% monopolise tout au Rwanda
comme c'était pendant la monarchie.
Quiconque ose le dénoncer est d'office condamné sans autre forme de procès. La loi
liberticide sur le divisionnisme interdit ce genre de critique.
Le FPR se targue d'avoir arrêté le Génocide; d'où sa reconnaissance sur le plan
international. Cependant contrairement à la propagande véhiculée par son lobby au
sein de la Communauté Internationale et des médias, il n'a arrêté le génocide nulle
part. Il ne s'est jamais attaqué aux bandes de tueurs. Il a plutôt attaqué les Unités des
FAR sur leurs positions et les camps militaires, les a ainsi acculées à leur autodéfense
et les a empêchées de s'occuper des opérations de rétablissement de l'ordre public.
Il n'a fait que la guerre et a gagné la guerre de reconquête du pouvoir au détriment du
peuple qu'il a sacrifié. Il a refusé de participer aux opérations de rétablissement de
l'ordre public alors que la partie gouvernementale le lui a proposé. Au contraire le FPR
a attaqué les déplacés de guerre en divers endroits et les a massacrés. Il a attaqué
les populations à domicile et a exterminé des milliers de familles entières. Les troubles
en général et les massacres en particulier qu'il a déclenchés devaient lui faciliter la
prise du pouvoir. Il a fait tout pour qu'ils ne soient pas arrêtés. C'est lui qui a planifié
le génocide (prévu le moyen de son déclenchement et son déroulement), l'a déclenché
par l'Assassinat du Président Habyarimana, l’a soutenu par la reprise instantanée de
la guerre et a œuvré pour sa totale consommation par le refus du cessez-le-feu, la
chasse des forces étrangères présentes et le refus d'intervention des forces
extérieures qu’il a menacées de combattre.
De l’ethnisme dans le Drame Rwandais actuel.
L’ethnisme fut au centre du conflit rwandais depuis le déclenchement de la guerre
d’octobre 1990, car c’était le retour en force des fils de l’ancienne aristocratie Tutsi.
Le FPR a interrompu le processus de rapatriement pacifique de ces réfugiés qui était
déjà en phase de finalisation entre le Rwanda, l’Ouganda et le HCR. Il l’a interrompu
parce qu’il ne lui offrait pas la possibilité de prendre le pouvoir.
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Au cours des négociations d’un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement
rwandais et le FPR à la N’selle près de Kinshasa en mars 1991, un membre de la
délégation gouvernementale a demandé à Paul Kagame, en aparté, pour quelle
raison il se battait entre les trois suivantes :
-Réellement pour le retour des réfugiés ? -La démocratie et l’état de droit ? -Le
renversement pur et simple du Président Habyarimana pour opérer un changement ?
De répondre Paul Kagame lui a dit qu’il luttait pour recouvrer l'honneur et la dignité
des Tutsi !
Des jeunes Tutsi qui n’avaient jamais manifesté aucun intérêt pour s’enrôler dans les
Forces Armées Rwandaises ont quitté le pays pour s’engager dans l’armée du FPR.
Certains ne l’ont même pas fait volontairement, mais ils étaient envoyés par leurs
familles. Les messages interceptés ci-après du Quartier Général du FPR sont à
caractère « ethniste » :
*Le message sur la conscientisation des Tutsi et les stratégies de séduction et de
division des Hutu :
« Chers compatriotes,
Tenez bon, nous allons bientôt gagner. Aujourd’hui ou jamais. Vous mourrez et cela
peut continuer, mais nous ne disparaîtrons pas tous. Soyons détérminés. Vous savez
bien que nous avons eu le pouvoir monarchique grâce au lait. Nous avons encore ce
lait. Continuez de cotiser. Continuez d’utiliser notre arme efficace qui est la presse et
les rumeurs. Formez vos filles, rappelez-vous de Délira, et d’Esther et Haman. Nous
venons de marquer le premier but, car le débat n’est plus le Mututsi, mais plutôt le
Mukiga et le Munyanduga. N’arrêtez pas là, faites en sorte que même le Nord soit
divisé en deux : Gisenyi et Ruhengeri. Les gens de Ruhengeri se laissent facilement
séduire. Montrez-leur que Habyarimana les a opprimés, qu’ils n’ont rien obtenu de son
règne, que leur espoir est Kanyarengwe. Donnez tout ce que vous avez pour que le
Mututsi ait l’emploi, même de veilleur ou de boy. Evitez les personnes de parenté
mixte, car elles ne sont pas de votre ethnie. Ne craignez pas la mort, luttez, nous
allons bientôt gagner ».
*Celui disant que l’ennemi principal du FPR était le MDR qui a chassé les Tutsi du
pouvoir.
*Celui instruisant aux femmes Tutsi mariées avec les Hutu de se débarrasser de leurs
maris quand le signal sera donné.
*Celui disant aux Commandants d’unités qui étaient tous Tutsi que le FPR n’intégrera
dans la nouvelle armée nationale, alors prévue dans des Accords d’Arusha, que des
Tutsi pur sang, car on ne pouvait pas avoir confiance en des éléments mixtes qualifiés
d’éléments doubles. Le but était de faire obstacle au Colonel Alexis Kanyarengwe,
« Président du FPR », qui voulait intégrer un grand nombre de Hutu.
*Celui intercepté le matin du 7 avril 1994 stipulé comme suit :
« Réjouissance pour la réussite de l’attentat. Echec pour les gorilles (Hutu) et victoire
pour les bergeronnettes (Tutsi). »
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*Celui disant que chaque fois qu’il y avait divergence de points de vue entre le Colonel
Alexis Kanyarengwe et l’un ou l’autre, on lui rappelait qu’il a juré qu’il ne s’entendra
jamais avec les Tutsi aussi longtemps que des cheveux n’auront pas poussé dans la
cicatrice des blessures de tortures que les Inyenzi lui ont fait subir lorsqu’ils l’ont
capturé durant leur campagne.
Le FPR a donc fait la guerre sur le fond ethnique pour reconquérir le pouvoir que ses
ancêtres avaient perdu à la Révolution sociale de 1959-1961. C’est cet esprit que ses
dirigeants avaient tout au long de la guerre et qui a guidé la conduite de celle-ci.
Tel que mentionné plus haut, en supprimant la mention des ethnies dans l'état civil
actuel, sous prétexte qu'on est rwandais tout court, le FPR l’a fait pour contrer toute
tentative de dénonciation de la discrimination et de la domination des Tutsi sur les
autres alors qu'une minorité de 5% au sein de la minorité Tutsi de 14% monopolise
tout au Rwanda comme c'était pendant la monarchie.
Le 24 novembre 2017
Aloys Ntiwiragabo