Russo Lucio - Dialogues Sur La Liberté

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7/24/2019 Russo Lucio - Dialogues Sur La Liberté http://slidepdf.com/reader/full/russo-lucio-dialogues-sur-la-liberte 1/89 Dialogues sur la liberté Lucio Russo Au lecteur : En 1996, Lucio Russo publia de manière privée un ouvrage intitulé : Dialogues sur la liberté. Il s’agit d’un travail désormais introuvable! dédié " La Philosophie de la Liberté de Rudol# $teiner, le%uel précéda de cin% ans celui %ui est dé&" présent dans notre ' (bservatoire ) : Amour, qui me raisonne dans l’esprit * Dans l’espoir de #aire plaisir " nos lecteurs, nous publierons périodi%uement les 1+ dialogues %ui le composent, dans une version entièrement revue par l’auteur* Présentation : D’octobre 199 au- premiers mois de 199+, &’ai tenu au siège de la $ociété .nt/roposop/i%ue Romaine, un cours sur la Philosophie de la Liberté de Rudol# $teiner (1) * 0 l’issue du cours, en #euilletant une paire de ca/iers remplis de notes, d’annotations et de ré#le-ions, l’idée m’est venue de remettre en ordre ce matériel sous la #orme du présent travail* Il s’agit donc d’une libre réélaboration, en #orme de dialogue, de l’uvre #ondamentale de $teiner* 2e désire préciser tout de suite %ue &e l’ai #aite pour la seule &oie de la #aire* 2e ne peu- %ue sou/aiter, po cette raison, %ue %uel%u’un, en la lisant, en l’étudiant et en la méditant, e-périmente le m3me sentiment %u celui %ui c/e4 moi en a accompagné la création* 2e désire également préciser %ue ce travail n’a pas la moindre intention de #aciliter ou d’épargner au lecteur l’étude du te-te de Rudol# $teiner* 5eluici, dans la pré#ace de la troisième édition de sa Théosophie , a écrit en e##et : ' La #a7on dont on a pris l’/abitude de lire " notre épo%ue, ne vaut pas pour ce livre* Dans un certain sens, c/a%ue page, souvent aussi c/a%ue degré, devront 3tre ' con%uis avec e##ort )* (n s’est constamment tendu " ceci* 5ar ce n’est %u’ainsi %u’un ouvrage peut devenir pour le lecteur ce %u’il doit 3tre pour lui* 8ui se limite " le parcourir, ne l’a pas lu du tout* Les vérités %ui sont contenues devront 3tre e-périmentées* La science de l’esprit n’a d’e##icacité %ue dans ce sens ) (2) * 2’ai c/erc/é le plus possible " avoir cette e-igence " l’esprit %ue le lecteur &uge si &e suis parvenu " la satis#aire* Rosa ;a reder, en répondant " $teiner, %ui lui avait envo é un e-emplaire dès la publication de La Philosophie de la Liberté , eut " observer %ue ce livre, ' " cause de la brièveté lapidaire de sa #orme e-pressive et de son e-position ), re%uérait un ' recueillement intense ) (3) * 5’est un recueillement analogue %ui me #ut nécessaire pour réussir dans ce modeste e##ort, et %ui le sera inévitablement " %uicon%ue voudra retirer %uel%ue #ruit de sa lecture* 2’ai e##ectué mes premiers pas sur le c/eminement cogniti# de l’ant/roposop/ie sous la patiente et #raternelle guidance de ;assimo $caligero* .u&ourd’/ui, désormais arrivé au- ' <oces d’argent ) avec l’enseignement de Rudol# $teiner, ce %ui revient " dire avec le ' grand amour ) de ma vie, &e voudrais célébrer l’événement en dédiant ce travail &ustement " ;assimo, avec l’espoir %ue, dans les cieu- o= il se trouve au&ourd’/ui " collaborer avec le ' principe #lamboant de la pensée ), cette petite c/ose puisse le ré&ouir, en l’incitant ainsi " pardonner la témérité, sinon l’impudence, de son élève #idèle et dévoué* 0 cette présentation de 1996, &e me sens le devoir de n’a&outer au&ourd’/ui %ue ces deu- passages de $teiner : 1) ' En écrivant de la manière dont &e c/erc/e " écrire, on agit sur le &e et celuici dispose de son libre arbitre* En utilisant, par contre, un stle ' enivré ) le%uel s’oppose " celui ' sobre ) > nda!, on intervient sur le corps astral, %ui n’est cependant pas également libre, et m3me au contraire, ne l’est pas du tout* <ous pouvons agir sur le corps astral si, en parlant avec les personnes, nous savons e-primer ce %u’elles veulent ressentir* Les personnes %ui n’entendent pas persuader les autres de manière correcte, mais voudraient les convaincre au travers de leur propre manière de parler, utilisent /abituellement des p/rases et des mots %ue le public apprécie* 5elui %ui, " l’inverse, veut dire la vérité, ne peut pas tou&ours e-poser ce %ui pla?t au- autres @! En observant la manière par la%uelle un /omme compose ses propres p/rases, nous pouvons dire : s’il compose les p/rases en utilisant la logi%ue tandis %u’une p/rase suit l’autre, l’/omme agit sur le &e d’autrui, et ce &e est libre ) (4) 1

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Dialogues sur la liberté Lucio Russo

Au lecteur :En 1996, Lucio Russo publia de manière privée un ouvrage intitulé : Dialogues sur la liberté. Il s’agit d’un travail

désormais introuvable! dédié " La Philosophie de la Liberté de Rudol# $teiner, le%uel précéda de cin% ans celui %ui estdé&" présent dans notre ' (bservatoire ) : Amour, qui me raisonne dans l’esprit * Dans l’espoir de #aire plaisir " noslecteurs, nous publierons périodi%uement les 1+ dialogues %ui le composent, dans une version entièrement revue parl’auteur*

Présentation :D’octobre 199 au- premiers mois de 199+, &’ai tenu au siège de la $ociété .nt/roposop/i%ue Romaine, uncours sur la Philosophie de la Liberté de Rudol# $teiner(1)*0 l’issue du cours, en #euilletant une paire de ca/iers remplis de notes, d’annotations et de ré#le-ions, l’idéem’est venue de remettre en ordre ce matériel sous la #orme du présent travail*Il s’agit donc d’une libre réélaboration, en #orme de dialogue, de l’ uvre #ondamentale de $teiner*2e désire préciser tout de suite %ue &e l’ai #aite pour la seule &oie de la #aire* 2e ne peu- %ue sou/aiter, pocette raison, %ue %uel%u’un, en la lisant, en l’étudiant et en la méditant, e-périmente le m3me sentiment %ucelui %ui c/e4 moi en a accompagné la création*2e désire également préciser %ue ce travail n’a pas la moindre intention de #aciliter ou d’épargner au lecteurl’étude du te-te de Rudol# $teiner*5elui ci, dans la pré#ace de la troisième édition de saThéosophie, a écrit en e##et : ' La #a7on dont on a prisl’/abitude de lire " notre épo%ue, ne vaut pas pour ce livre* Dans un certain sens, c/a%ue page, souvent aussic/a%ue degré, devront 3tre ' con%uis avec e##ort )* (n s’est constamment tendu " ceci* 5ar ce n’est %u’ainsi%u’un ouvrage peut devenir pour le lecteur ce %u’il doit 3tre pour lui* 8ui se limite " le parcourir, ne l’a paslu du tout* Les vérités %ui sont contenues devront 3tre e-périmentées* La science de l’esprit n’ad’e##icacité %ue dans ce sens )(2)*2’ai c/erc/é le plus possible " avoir cette e-igence " l’esprit %ue le lecteur &uge si &e suis parvenu " lasatis#aire*Rosa ;a reder, en répondant " $teiner, %ui lui avait envo é un e-emplaire dès la publication de La Philosophie de la Liberté, eut " observer %ue ce livre, ' " cause de la brièveté lapidaire de sa #ormee-pressive et de son e-position ), re%uérait un ' recueillement intense )(3)*5’est un recueillement analogue %ui me #ut nécessaire pour réussir dans ce modeste e##ort, et %ui le serainévitablement " %uicon%ue voudra retirer %uel%ue #ruit de sa lecture*2’ai e##ectué mes premiers pas sur le c/eminement cogniti# de l’ant/roposop/ie sous la patiente et#raternelle guidance de ;assimo $caligero* .u&ourd’/ui, désormais arrivé au- ' <oces d’argent ) avecl’enseignement de Rudol# $teiner, ce %ui revient " dire avec le ' grand amour ) de ma vie, &e voudraiscélébrer l’événement en dédiant ce travail &ustement " ;assimo, avec l’espoir %ue, dans les cieu- o= il setrouve au&ourd’/ui " collaborer avec le ' principe #lambo ant de la pensée ), cette petite c/ose puisse le

ré&ouir, en l’incitant ainsi " pardonner la témérité, sinon l’impudence, de son élève #idèle et dévoué*0 cette présentation de 1996, &e me sens le devoir de n’a&outer au&ourd’/ui %ue ces deu- passages de$teiner :1) ' En écrivant de la manière dont &e c/erc/e " écrire, on agit sur le &e et celui ci dispose de son librearbitre* En utilisant, par contre, un st le ' enivré ) le%uel s’oppose " celui ' sobre ) >nda!, on intervientsur le corps astral, %ui n’est cependant pas également libre, et m3me au contraire, ne l’est pas du tout* <ous pouvons agir sur le corps astral si, en parlant avec les personnes, nous savons e-primer ce %u’elles veulentressentir* Les personnes %ui n’entendent pas persuader les autres de manière correcte, mais voudraient lesconvaincre au travers de leur propre manière de parler, utilisent /abituellement des p/rases et des mots %uele public apprécie* 5elui %ui, " l’inverse, veut dire la vérité, ne peut pas tou&ours e-poser ce %ui pla?t au-autres @! En observant la manière par la%uelle un /omme compose ses propres p/rases, nous pouvonsdire : s’il compose les p/rases en utilisant la logi%ue tandis %u’une p/rase suit l’autre, l’/omme agit sur le &ed’autrui, et ce &e est libre )(4)

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2) ' $i au&ourd’/ui une personne de culture, m3me supérieure " la mo enne, se met " lire une uvre p/ilosop/i%ue de Aic/te ou de Begel, au début elle croira lire simplement un déroulement de concepts* Le plus souvent, on sera ensuite d’accord sur l’a##irmation %ue l’on n’arrive pas " s’émouvoir plus %ue cela, enlisant les premières pages de l’ Encyclopédie des sciences philosophiques de Begel, o= l’on parle d’abord de' l’3tre ) puis du ' non 3tre ), du ' devenir ), de ' l’e-istence ) et ainsi de suite* 5e sera le #ait de dire :voici %u’un tel a bCclé ici un tas d’abstractions ce sera aussi très estimable, mais cela n’o##re rien " monc ur, " mon Cme, il n’en émane aucune c/aleur* 2’ai connu bien des gens %ui ont rapidement mis de c técette uvre de Begel &ustement, après en avoir lu deu- ou trois pages* Il a une c/ose pourtant %ue nous nesommes pas disposés " admettre #acilement : %ue cela peut 3tre de notre #aute, si ces pensées nous laissent#roids, si elles ne suscitent pas en nous des con#lits de portée vitale, capables de nous soulever des ab sses &us%u’au ciel* <ous n’admettons pas volontiers %ue cela pourrait dépendre de nous La possibilité e-iste, ee##et, de participer passionnément " ce %ue les gens appellent des ' abstractions ) de ces trois p/ilosop/es

le troisième est $c/elling > nda!, au point d’ ressentir non seulement de la c/aleur, mais carrément la brutale transition du gel " la plus ardente c/aleur de vie* (n peut arriver " ressentir %ue ces pages l" n’ont pas seulement été écrites au mo en de pensées abstraites, mais directement avec du sang )(5)*

Notes :(1) R* $teiner : La Philosophie de la Liberté > .ntroposo#ica, ;ilan 1996*(2) R* $teiner :Théosophie > .ntroposo#ica, ;ilan 19+F, p*1*(3) G* Roggero : Fidélité dans le penser. La ormation philosophique de !udol "teiner > Hilopa, Rome 199+, p*F *(4) R* $teiner : #ature et homme selon la science de l’esprit > .ntroposo#ica, ;ilan JJK, pp*1+K 1+9*(5) R* $teiner : L’$%angile de &arc > .ntroposo#ica, ;ilan 199 , pp*KF KK*

Lucio Russo, Rome, le 20 mars 2009.

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Dialogues sur la liberté

À Claudia Laquelle, cum-divide peines et les joies de mon travail.

remier dialogue

R : 2e m’étonne tou&ours %uand &e rencontre %uel%u’un %ui croit encore au libre arbitre* 2ecomprends pas comment l’on puisse ignorer %ue la ps c/ologie moderne a désormais démontré %uenos c/oi- sont déterminés par des moti#s inconscients " caractère instincti# ou émoti#* 5’est pourtantvrai, d’ailleurs, %ue lors%u’on veut s’illusionner il n’ pas de raison %ui tienne*

L : 5’est dommage, cependant, %ue de tous ceu- %ui veulent s’illusionner tu en voies seulement une

partie*R : 8ue serait il " dire M

L : 5e serait " dire %ue de m3me %ue s’illusionnent ceu- %ui a##irment la liberté en niant lanécessité, ainsi s’illusionnent ceu- %ui a##irment la nécessité en niant la liberté*

R : L’une n’e-clut elle pas l’autre M

L : as nécessairement* De m3me %ue l’inspiration n’e-clut pas l’e-piration, ou comme la diastolen’e-clut pas la s stole, ainsi la liberté n’e-clut pas la nécessité et inversement*

R : Hu ne voudrais %uand m3me pas placer les partisans du déterminisme, et ceu- du libre arbitresur le m3me plan Les arguments des premiers s’appuient sur des résultats solides de la rec/erc/escienti#i%ue, alors %ue ceu- des seconds sont pres%ue tou&ours des abstractions ou ne tiennent padebout*

L : En le disant ainsi, tu négliges pourtant le #ait %u’autant les uns %ue les autres doivent s’appu ersur le penser* 8uicon%ue dirait, par e-emple : ' 2e n’entends pas m’appu er sur le penser ),s’appuierait dé&" sur cette pensée, et donc sur le penser*

R : ourtant le penser ne su##it pas : les #aits aussi servent L : ;ais %ue sont les #aits, sinon des pensées saisies dans la réalité au mo en de l’activité de perception M

R : 8ue voudrais tu dire M

L : 2e veu- dire %u’il est impossible de #aire abstraction du penser, et %ue les soi disant ' #aits ),s’ils n’étaient pas des pensées dans leur essence, ne pourraient pas 3tre déterminés, ni m3me mis enrelation entre eu-* .rrives tu, éventuellement, " imaginer un #ait %ui ne se résolve pas en une pensée, ou %ui soit en mesure, en tant %ue simple contenu de perception, d’imposer une renonciationau penser M

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R : 5ertainement pas

L : Et pour %uelle raison, alors, estimes tu %ue les partisans de la liberté ne soient tels %ue parce%u’ils ignorent les résultats de la rec/erc/e scienti#i%ue moderne M 5rois tu donc impossible %u’ils puissent avoir obtenu leurs conclusions sur la base de ces m3mes données %ui semblent imposer, "d’autres, une vision déterministe M

R : Hu voudrais dire %ue les données, en soi, ne démontrent rien M

L : 5ertes Hout dépend de la manière dont elles sont utilisées ou mises en relation entre elles*ense " $/erlocN Bolmes* $a très célèbre supériorité d’investigation ne se trouvait elle pas

&ustement dans son /abileté " recomposer d’une manière a&ustée " la réalité ces m3mes donnéesdont disposaient également ses collaborateurs M

R : Les t/èses des déterministes sont cependant appu ées par la science*

L : De la #a7on dont tu le dis, il semble %ue les déterministes soient des individus %ui pensentd’abord de manière autonome et découvrent ensuite %ue leurs conclusions coOncident avec celles de

la science* ;ais il n’en est pas ainsi* La coOncidence dérive simplement du #ait %ue le déterministedélègue " la science sa responsabilité de penser*

R : Donc, les déterministes ne seraient %ue des ' porte voi- ) de la science M

L : Le plus souvent, il en est ainsi Il s’agit /abituellement de scientistes %ui en appellent d’autant plus " la science %u’ils sont d’autant moins animés par unesprit scienti ique* En vérité, ce sont desdogmati%ues pour les%uels croire est plus plaisant %ue penser*

R : 2e ne m’en #ais pas parce %ue &e ne me considère pas comme un aut/enti%ue déterministe* Detoute manière &’admettrai %ue c’est un &ugement plut t pesant*

L : ;ais dis moi un peu : si tu n’étais pas ainsi, penses tu %u’il se trouverait %uel%u’un disposé "croire %ue la p/ si%ue, la c/imie, la neurologie ou la ps c/ologie, aient %uel%ue c/ose " dire surl’essence de la liberté /umaine M La liberté est un #ait spirituel, et l’uni%ue science en droit d’en parler devrait donc 3tre une science de l’esprit*

R : 2e ne connais aucune science de ce genre* 2e connais bien diverses p/ilosop/ies de l’esprit, mais pas de science de l’esprit*

L : 2’apprécie %ue tu te sois limité " dire %ue tu ne la connais pas* Hous ne le #ont pas* Hu as dit

d’abord %ue tu t’étonnais de rencontrer %uel%u’un %ui croit encore " la liberté* ;oi, &e m’étonne, "l’inverse, %ue l’on nie l’e-istence de ce %ue, simplement, l’on ne conna?t pas*

R : (n pourrait pourtant se demander : la liberté n’e-iste pas parce %u’on ne la conna?t pas, ou bienne la conna?t on pas parce %u’elle n’e-iste pas M

L : ;oi, &e pré#ère me demander comment est #aite la liberté %ue les déterministes nient* Il estdi##icile, en e##et, de penser %ue l’on ne s’en #asse pas une représentation %uelcon%ue

R : Et tu t’es donné une réponse M

L : (ui, mais cela n’a pas été #acile* our la trouver, &’ai dP me mettre " la place du déterministe etc/erc/er " reconstruire son raisonnement*

Q

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R : Et %uel serait il M

L : 0 peu près celui ci : si &e suis convaincu, en bon déterministe, %ue toutes les actions /umaines, comprises celles apparemment volontaires, ne sont %ue les e##ets de causes précises et inéluctables, &e dois alors #orcément imaginer une action libre comme une action sans moti#, ou comme un e##etsans cause* .près l’avoir imaginée ainsi, &e commence " me livrer " une introspection pourdécouvrir s’il se révèle %uel%ue part en moi une action de ce genre* 2e véri#ie %ue sans un moti# oune cause, il ne se révèle &amais aucun e##et, et &e conclus alors %ue la liberté n’e-iste pas*

R : Le raisonnement ne #ait pas un pli il n’est cependant pas évident pour moi de voir o= tu veu-en venir* eu- tu soutenir, éventuellement, %u’il e-iste des actions privées de moti#s ou des e##ets privés de causes M ;ais un e##et %ui est dépourvu de cause n’est pas non plus un e##et 5omment envient on " soutenir une absurdité de ce genre M

L : En e##et, &e ne la soutiens pas Sien au contraire, &e suis convaincu %u’il ne peut se révéled’actions privées de moti#s ou de causes*

R : Et alors ML : Et alors, le problème est autre* Le raisonnement du déterministe est consé%uent, mais il partd’un présupposé erroné*

R : Le%uel M

L : .u début de notre conversation, tu as parlé de la ps c/ologie des pro#ondeurs et des moti#sinconscients %ui détermineraient nos c/oi- mais tu n’as rien dit du #ait %ue ces moti#s peuvent 3treamenés " la conscience*

R : 2e ne l’ai pas dit parce %u’il me semble %ue cela ne c/ange pas grand c/ose* Il s’agit en e##et demoti#s dont on prend consciencea posteriori, " savoir, après %u’ils ont déterminé nos c/oi-*

L : D’accord, mais pour %uelle raison ne pourraient pas se révéler des moti#s dont on a consciencea priori, c’est " dire avant %u’ils déterminent nos c/oi- M

R : arce %ue la liberté est la conscience de la nécessité*

L : Beureusement %ue tu n’as pas dit, comme aolo Alores d’.rcais, %ue la liberté est un ' %uasinéant ), en réévo%uant ainsi le célèbre 'quasi rete ) de <icolT 5arosio* Hu dois de toute manière

reconna?tre %ue la nécessité, pour l’amener en conscience, nous devons l’ob&ectiver : " savoir, ladistinguer de nous et la porter " l’e-térieur de nous* Hu sais bien, par e-emple, %u’un #ou %ui aconscience de sa propre #olie n’est plus un #ou*

R : 2e viens &uste de reconna?tre, en e##et, %ue celle ci est l’uni%ue liberté %ui nous est concédée*

L : Hu dis : ' l’uni%ue liberté ), mais %u’est ce %ue cela veut dire M La libertéest ou bienn’est pas.Et non seulement, mais une c/ose est son 3tre, une autre la #orme dans la%uelle elle se mani#este%uand on commence " prendre conscience de soi en tant %ue ' conscience de la nécessité )* $i l’onne #aisait pas cette distinction, on pourrait en arriver au parado-e de reconna?tre le bouton, mais pasla #leur, ou bien le t3tard, mais pas la grenouille*

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R : 5ependant c/a%ue t3tard, en conditions propices, devient grenouille, tandis %ue ceci n’arrive pasau germe de la liberté*

L : Et %ui te dis %ue ceci ne nécessite pas également des conditions propices M Une conceptioncomme celle déterministe, par e-emple, n’aide certainement pas " développer la conscience de laliberté*

R : <e te semble t il pas %ue tu e-agères M

L : ;ais comment veu- tu %ue la liberté se réalise, sinon grCce au développement de saconscience M La liberté n’est pas un #ait de nature, mais une con%u3te de l’esprit :c’est l’esprit qui,en se connaissant lui'm(me, se poss)de et se réalise lui'm(me* ;arc .urèle a dit : ' $i l’/ommeregardait tou&ours au ciel, il #inirait par avoir des ailes )* Et %ue #ont, au contraire, le déterminismeet le matérialisme M Ils le poussent " tou&ours regarder " terre, et ce #aisant, ils lui coupent les ailes*En somme, tout ceu- %ui entravent le développement de la science de la liberté, #ont obstacle " celuide la réalité de la liberté*

R : En tous cas, tu ne m’as pas encore dit %uel est le présupposé erroné, du%uel part le raisonnement

du déterministe*L : Hu as raison* .vant de te parler du présupposé logi%ue, &e voudrais cependant te parler de celui ps c/ologi%ue* <e crois tu pas %u’il serait singulier si, précisément ceu- %ui en appellent " la ps c/ologie des pro#ondeurs, devaient un &our découvrir %ue leur déterminisme est engendré par une peur inconsciente de la liberté M Eric/ Aromm, un ps c/anal ste %ue tu connais sPrement, a écrit unlivre intitulé précisément : Fuite de%ant la liberté* Les c/oses étant ce %u’elles sont, estimes tu %uel’on puisse sereinement s’occuper de la liberté M (u n’est elle pas &usti#iée la suspicion %ue, étantdonné %u’on ne veut pas la trouver on la c/erc/e au mauvais endroit : " savoir l" o= elle n’est pas, et &amais elle n’ pourra 3tre M 0 ce propos, il a m3me une /istoriette*

R : La%uelle M

L : Un t pe c/erc/e, de nuit, %uel%ue c/ose &ustement sous un lampadaire* Un autre s’approc/e delui et lui demande : ' ous ave4 perdu %uel%ue c/ose M ) ' En e##et, les cle#s de c/e4 moi ) ' Etvous les ave4 perdues ici M ), demande encore le nouveau venu ' <on ), répond le premier ' ;ais alors pour%uoi les c/erc/e4 vous ici M ), demande l’autre surpris* Et le t pe rétor%ue :' parce %u’ici il #ait clair )*

R : Elle est mignonne ;ais &e ne comprends pas encore o= tu veu- en venir avec ta comparaison*

L : 2e suis en train de c/erc/er " t’e-pli%uer %ue le présupposé du%uel part le déterministe esterroné, parce %ue la liberté ne doit pas 3tre rec/erc/ée dans le domaine de la relation secondaireentre la cause et l’e##et*

R : Et pour%uoi donc ' secondaire ) M

L : arce %u’avant la relation entre la cause et l’e##et, il a celle entre le su&et et la cause* Lestermes réels du problème sonttrois, et nondeu* : le su&et, la cause et l’e##et* .vant %u’une cause produise un e##et, il #aut %ue le su&et produise ou pose la cause*

R : E-pli%ue toi un peu mieu-*

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L : Imagine un pianiste %ui s’appr3te " e-écuter un passage d’auteur* Il aura une partition en #ace delui " la%uelle il devra rigoureusement s’en tenir* 5’est la partition, en e##et, %ui établit %uellestouc/es il devra presser et %uelles notes devront retentir en consé%uence* 0 présent imagine, aucontraire, %u’" la place de l’interprète est assis un compositeur* Il n’ a plus de partition il revientdonc " lui de décider %uelles touc/es presser* 5omme tu vois, dans ces deu- situations, la relation première du su&et avec les touc/es c/ange, mais pas celle secondaire et nécessaire des touc/es avecles sons*

R : De cette #a7on, tu donnes comme prévu le #ait %ue le compositeur soit le su&et %ui c/oisit lesnotes* Il me semble, " moi %u’au contraire, il est seulement un intermédiaire des idées musicales*5elui %ui crée n’est il pas inspiré, et donc une sorte demédiumM

L : ;ais 3tre ' inspirés ) c’est une c/ose, c’en est une autre %ue d’3tre ' possédés )* Undéterministe, de toute manière, ne pourrait pas #aire une distinction de ce genre*

R : Et pour%uoi donc M

L : arce %ue celui %ui nie la liberté, nie aussi le su&et* $’il a la liberté, il a le 2e, s’il n’ a pas

liberté, il n’ a pas le 2e, et il ne peut plus avoir alors %ue desmédiums*R : Et il ne pourrait cependant pas avoir desmédiums conscients M

L : <on, parce %ue desmédiums conscients ne seraient pas desmédiums* (n peut seulement 3tre unmédium en e##et si le 2e s’éclipse pour laisser sa place " un non 2e ou " ce %ui est autre %ue lui : pare-emple, au cerveau, " la matière ou " tout autre c/ose*

R : ;ais dans ton e-emple, une c/ose c’est précisément le compositeur et une autre, l’idéemusicale*

L : ;aintenant c’est toi %ui donnes pour prévu %ue l’idée, musicale ou autre, soit autre %ue le su&et%ui en a l’intuition ou la con7oit* our moi, ceci n’est pas du tout escompté 2e te dirai, bien aucontraire, %ue ceci est &ustement le c ur du problème* D’abord &’ai reconnu %ue si le rapport entre su&et et l’idée est inconscient, l’on ne peut pas parler de liberté mais comment sont les c/oses%uand ce rapport est conscient M

R : Hu entends dire %ue lors%u’une action consciente est par cela m3me libre M

L : <on pas précisément* Une action libre est une action consciente, mais il n’est pas dit %u’uneaction consciente soit libre* 5e n’est pas par /asard %ue le déterminisme &uge non libres aussi les

actions apparemment volontaires* Le #ait est %ue, pour pouvoir distinguer ce %ui est réellementconscient de ce %ui l’est seulement en apparence, il #audrait comprendre le sens du conna?tre, etdonc 3tre conscients* 5e %ui impli%ue, avant d’a##ronter le problèmeéthique de la liberté, %ue l’ondevrait poser celuinoétique de l’origine et de la valeur du penser*

R : Et pour%uoi du penser, et non éventuellement du sentir et du vouloir M

L : arce %ue c’est seulement " l’état de veille, et grCce " la pensée, %ue nous pouvons nous direvraiment conscients* Une action consciente doit descendre nécessairement d’une idée : dans l’actede se promener, par e-emple, s’incarne l’idée de la promenade*

R : 2e t’ai dé&" #ait remar%uer, cependant, %uand nous parlions des idées musicales, %ue le problèmne se résout pas encore ainsi* L’idée de la promenade pourrait en e##et 3tre une #orme consciente au

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mo en de la%uelle s’imposent des contenus inconscients : %ue sais &e M l’ennui, l’espoir drencontrer %uel%u’un, ou la crainte %ue, sans #aire un peu d’e-ercice, l’on puisse grossir

L : Hrès &uste ;ais comme tu le vois, nous nous trouvons de nouveau au- prises avec ce %ue &’aidé#ini comme le ' c ur du problème )*

R : 0 savoir M

L : 0 savoir %ue nous nous trouvons de nouveau au- prises avec le problème de lacause de lacause ou de la mani)re dont surgit la décision che+ le su et: " savoir avec le problème du rapport primaire entre le su&et et l’idée, et non avec celui du rapport secondaire entre l’idée et l’acte* End’autres termes, il s’agit de comprendre si les idées conscientes ne peuvent pas #aire autre c/ose %uede vé/iculer des contenus instincti#s ou émoti#s*

R : Hu voudrais %ue les idées #ussent des #ormes %ui ne vé/iculent aucun contenu M

L : <on, certes pas Essa e donc de me dire pour %uelle raison elles ne pourraient pas 3trevé/icules de leur propre contenu* 5omme tu vois, la di##iculté de concevoir la liberté n’est pas

di##érente de celle %ui nous emp3c/e d’accueillir des idées et celle du su&et ou du 2e*R : 2’espère %ue tu te rendras compte %u’il n’arrive pas tous les &ours d’entendre dire %ue les idéeont un contenu propre* En admettant %u’il en soit ainsi, ce serait de toute manière l’idée " se réaliserdans l’action, et non pas le su&et*

L : Et si l’on découvrait %ue le su&et est vraiment le su&et %uand l’idée est vraiment l’idée M 8uelest la nature du su&et M 8uelle est celle de l’idée M Et %uel rapport a t il entre les deu- D’/omogénéité ou d’/étérogénéité, d’identité ou d’altérité M $i l’idée était di##érente de moi, saréalisation ne coOnciderait pas avec la mienne mais si, " l’inverse, elle étaitla orme dans laquellemon (tre m(me se détermine et s’e ectue de temps en temps, c’est " dire si elle était, comme l’a ditRudol# $teiner, un ' récipient d’amour ), sa réalisation coOnciderait alors avec la mienne* De #ait,une action n’est libre que lorsqu’elle est le ruit de la orce %oliti%e du -e dans la orme pensante del’idéeou, en s nt/èse, %uandla cause de la cause ou du moti est le -e*

R : La soi disant ' liberté de c/oi- ) concernerait elle donc lesmoti s, et non, comme on le croit le plus souvent, lesactionsM 5’est une / pot/èse /asardeuse, mais intéressante* $oulage moi,cependant, d’une curiosité* 8uel sort ont, dans cette vision %ui est la tienne, les contenusinconscients et leurs conditionnements M

L : ;ais tu ne t’es &amais demandé ce %ue sont en réalité ces contenus M Il a celui %ui les

nomment ' impulsions ) ou ' instincts ), %ui les appelle ' ensembles ), %ui les appelle m3me' arc/ét pes ), mais personne n’est &amais parvenu &us%u’" présent " découvrir la vraie nature de ces#orces* Et pourtant, une pensée dépourvue de pré&ugés ne devrait pas avoir de di##iculté "reconna?tre %u’il s’agit d’idées %i%antes* L’ennui, l’espoir et la peur, dont tu parlais tant t, sont enréalité des idées vivantes, ou, comme dit Varl VWnig, des ' entités guides ), %ue nous neconnaissons, en général, %ue grCce " leur re#let cérébral éteint* La vie, l’Cme et l’3tre de ces idées ne pénètrent &amais dans l’/abituelle conscience de veille* 0 cause du lien étroit %ue celle ci entretientavec les organes des sens p/ si%ues et avec le cerveau, elle ne peut en #ait nous restituer %ue lesimages re#lets des idées : ou bien des #ormes vides, comme l’écorce d’une orange dont a dé&" été pressé tout le &us et c’est précisément ce &us %ui, une #ois e-trait et isolé de sa #orme propre, sreprésente sous #orme de #orce inconsciente* $ais tu ce %ue dit " ce propos un auteur %ui m’est trèc/er M ' Houte émotion est la résonance d’une ' pensée inac/evée ), %ui ne demande pas " résonner

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en nous selon son inac/èvement, mais d’3tre accomplie : d’avoir son intégration par la penséeconsciente )*

R : 2e comprends* ;ais si les idées sont des 3tres ou des entités, ne va t on pas tout droit dans lespiritisme M

L : rends garde %ue le spiritisme est une #orme de matérialisme, et n’a donc rien " voir avec larec/erc/e ou la connaissance de l’esprit* Dans une épo%ue moins matériellement superstitieuse %uela n tre, les idées %ue &e t’ai e-posées n’appara?traient pas du tout /asardeuses, ni d’autant moinsscandaleuses*

R : <’est ce pas un peu trop de parler de ' superstition ) M

L : as du tout $’il est &uste d’en parler %uand on attribue " des causes e-trasensibles des p/énomènes %ui dépendent, " l’inverse, de causes sensibles*

R : Hu voudras au moins me concéder %u’il s’agit d’idées %ui ne sont pas #acilement acceptables parune mentalité scienti#i%uement édu%uée*

L : 5’est &ustement le contraire en vérité Une mentalité édu%uée par l’esprit scienti#i%ue, et non par le scientisme matérialiste, constitue le meilleur présupposé pour accepter ces idées* 5onsidère,au surplus, %ue si le critère est valide selon le%uel, entre deu- / pot/èses, doit 3tre pré#érée celle enmesure d’e-pli%uer le plus grand nombre de p/énomènes, mon / pot/èse s’avère avantagée*

R : Et pour%uoi donc M

L : arce %ue l’/ pot/èse du déterminisme comporte la négation de la liberté, alors %ue celle %ue &esuis en train de te proposer ne nie pas la nécessité, mais elle la comprend*’est de la liberté, / sa%oir du su et ou du -e, que découle la nécessité, " savoir le moti# ou la cause* 5’est pour%uoi,$pino4a déclare : ' ;oi, &’ai #ait consister la liberté non pas dans une libre décision, mais dans unelibre nécessité )* (n pourrait dire aussi, si on voulait, %ue la nécessité &aillit de la liberté comme leréel &aillit du possible*

R : 2’admets %ue &e n’avais pas ré#léc/i sur ceci*

L : En revenant de toute #a7on sur notre su&et, a##irmer %ue les idées ont un contenu propre é%uivau" a##irmer %ue ce sont des entités spirituelles,ancillae Xservantes,ndt Y du 2e, dotées d’Cme et de vie*"eule une idée %i%ante est une %raie idée tout comme seul un su et ou un -e %i%ant est un %rai suou un %rai -e. Le su&et moral ordinaire ou ego, parce %u’abstrait, est impuissant, et pres%ue tou&ours

victime, par consé%uent, des #orces %ui remontent de l’inconscient* Le vrai su&et ou le vrai 2e, parc%ue spirituellement vivant, possède " l’inverse, soit lui m3me, soit les idées*

R : Hu conviendras, cependant, %ue tout ceci doit encore 3tre démontré*

L : 5ertainement 5’est &ustement pour%uoi, si cela te va, nous continuerons " en parler dans nos proc/aines rencontres*

R : olontiers .lors, au revoir

L : .u revoir

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L : Il en est vraiment ainsi L’énigme du monde et celle de l’homme ne sont qu’une et m(meénigme. Le sage déclare &ustement : ' 5onnais toi toi m3me et tu conna?tras le monde, connais lemonde et tu te conna?tras toi m3me )* En commen7ant " e-plorer p/ilosop/i%uement le rapportentre l’intellect et les sens, on a #ait un important saut de %ualité : on est passé de l’ancien problèmede l’3tre de l’ob&et, c’est " dire de l’ontologie, au problème moderne du conna?tre le su&et, c’est "dire de la gnoséologie* ;ais il serait temps désormais d’e-plorer, et non plus de manière p/ilosop/i%ue et donc abstraite, les rapports, c/e4 l’/omme, entre l’esprit, l’Cme et le corps, et ceu-,dans l’Cme, entre le penser, le sentir et le vouloir*

R : Hu as dit, tout " l’/eure, %ue le besoin de conna?tre na?t de la solitude et de la nostalgie* 5elat’ennuierait de revenir un instant sur ceci M

L : as du tout ois tu, le besoin tout /umain de résoudre l’énigme du monde na?t d’un état de privation réelle* (n désire l’aliment %uand on a #aim, on désire l’eau %uand on a soi#, et on désire lemonde %uand on se sent séparés du monde et on en ressent la nostalgie*

R : 5eci est vrai* Le m3me terme ' dé sire ) e-prime un sentiment de man%ue ou de privation* 2ecrois %ue la nostalgie dont tu parles vit dans les pro#ondeurs du sentiment* En dépit %ue sur le plan

du penser l’on se reconnaisse séparés de l’ob&et, sur le plan r3veur du sentir, on continue "e-périmenter comme une partie d’un tout*

L : 5’est &ustement celle ci la déc/irure ou la #racture intérieure %ue le conna?tre est appelé "guérir Dans l’Cme nous sou##rons de la nostalgie de l’unité, tandis %ue dans le corps, nouse-périmentons la dualité*

R : Et ceci se re#lète dans le penser M

L : 5ertes Un penser / pot/é%ué surtout par le sentir, tendra " r3ver ou " soupirer envers une#orme idéaliste ou m sti%ue de l’unité de la%uelle il a la nostalgie un penser / pot/é%ué surtout pale vouloir tendra au contraire " rationaliser ou sanctionner sous #orme matérialiste ou spiritualistel’état d’aliénation*

R : 5ela me surprend %ue tu mettes sur le m3me plan le matérialisme et le spiritualisme : ne sont ce point deu- conceptions antit/éti%ues M Et le spiritualisme ne s’accompagne t il pas plut t del’idéalisme et du m sticisme M

L : 2e te comprends* ;ais s’il est vrai, comme c’est vrai, %ue la connaissance part de l’antit/èse desu&et et ob&et, il #aut alors distinguer les conceptions %ui a##irment le su&et, en sous évaluant ouannulant l’ob&et, de celles %ui #ont le contraire*

R : D’accord*

L : E/ bien, l’idéaliste a##irme, en e##et, le su&et, mais il le pense de manière abstraite enl’e-périmentant pour cette raison dans le sentir* Un su&et de ce genre ne peut 3tre a##irmé %ue sous#orme ps c/ologi%ue : soit celle ci idéaliste, spiritualiste, m sti%ue ou est/éti%ue* 0 bien voir,derrière la diversité de ces #ormes, il a tou&ours une option sub&ectiviste*

R : 2e me trompe mais de cette manière, ne na?t il pas deu- t pes opposés de spiritualisme M

L : Hu ne te trompes pas 5omme il e-iste un spiritualisme sub&ectiviste du 2e, ainsi il en e-iste unob&ectiviste du non 2e %ui privilégie l’ob&et au détriment du su&et* Il s’agit d’un ob&et métap/ sou spirituel, mais pourtant tou&ours d’un ob&et ou d’un non 2e transcendant, estimé inconnaissable*

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R : La pensée me vient %ue c’est peut 3tre pour cette raison %u’il a tou&ours eu, dans le domainedu spiritualisme, une dé#iance mutuelle entre les t/éologiens et les m sti%ues* ;ais tu as dis %ue lesmatérialistes optent pour l’ob&et et le non 2e*

L : 5omme tu vois, il est possible de mettre en lumière aussi deu- #ormes opposées d’ob&ectiviste :l’une métap/ si%ue, l’autre p/ si%ue*

R : 2e dois reconna?tre %ue la diversité des #ormes dans les%uelles elles se mani#estent dissimule bien l’identité de leurs essences*

L : Et pourtant, un il /abitué " observer la d nami%ue des contraires, dans son rapport avec leconscient et avec l’inconscient, ne se #atigue pas beaucoup " découvrir %ue tout matérialiste estinconsciemment un métap/ sicien et %ue tout métap/ sicien est inconsciemment un matérialiste,dont on #ait dépendre le su&et, d’une manière ou d’une autre*

R : Hu as dit %ue l’option sub&ectiviste est alimentée par le sentir, tandis %ue celle ob&ectiviste esalimentée surtout par le vouloir* 8u’en est il alors du penser M Doit il se limiter " obéir " ces deu-

patrons ML : Dans la vie %uotidienne, il est pres%ue tou&ours ainsi* 0 n’importe %uel moment, cependant, le penser peut se réveiller, il peut prendre conscience de son propre état de subordination et s’enlibérer*"eul un penser libre peut en e et libérer.

R : En est il ainsi %u’on peut en arriver " annuler, soit la séparation entre l’/omme et le monde, soitla dissension entre les #orces de l’Cme M 2e veu- te raconter, " ce su&et une ré#le-ion %u’il m’esarrivé de #aire*

L : as , raconte*

R : .utre#ois, alors %ue &’étais en train de relire cehant de Leopardi %ui commence ainsi : ' 8ue#ais tu, Lune, dans le 5iel Z Dis moi ce %ue tu #ais, Z Lune silencieuse M ), " l’improviste, &’ai pence sont des pensées d’une beauté e-traordinaire %ui touc/ent pro#ondément le sentiment@ Et pourtant, si nous les considérions " la lumière de la conscience scienti#i%ue actuelle, ce ne serait l"%ue des absurdités* our la ps c/iatrie, par e-emple, %uel%u’un %ui interroge la Lune, et s’attendaussi %u’elle lui réponde, et lui dévoile le sens de la vie et de la mort, n’est il pas en plein délire M5eci signi#ie %u’au &our d’au&ourd’/ui, ce %ue le sentir trouve beau, le penser ne le &uge pas vrai, ce %ue le penser &uge vrai, le sentir ne le trouve pas beau* 5’est pour%uoi &e suis arrivé " lconclusion %u’un con#lit semblable entre ces #orces de l’Cme doit nécessairement amener une

paral sie du vouloir*L : 2e suis d’accord* ;ais ta ré#le-ion ne #ait %ue con#irmer l’e-igence d’un conna?tre nouveau, enmesure de résoudre ces con#lits* our %uelle raison, en e##et, ne devrait elle pas 3tre possible unescience grCce " la%uellee qui se démontre %rai au penser, se démontre aussi beau au sentir et bonau %ouloir : our %uelle raison, en somme, l’/omme ne devrait il pas 3tre en mesure d’engendrerune science %ui ne violente pas le réel et sac/e recomposer en /armonie les #orces de l’Cme M

R : Hu m’a #ais me souvenir %ue, selon ascoli, le c/anteur du ' anciullino ), est ' impoéti%ue )autant ce %ue la morale &uge mauvais, ce %ue l’est/éti%ue &uge laid* our moi, c’est de toute manièla moralité %ui #ait le plus les #rais de ces con#lits intérieurs*

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L : $ans doute ;ais si nous sommes tou&ours pr3ts " condamner uneerreur éthique, nous nesommes pas pareillement pr3ts " reconna?tre %u’elle dérive d’uneerreur noétique, et %ue donc lemal du %ouloir na;t du mal du penser.

R : Hu con#ies donc la tCc/e de guérir le mal /umain " une nouvelle connaissance ou " un nouveau penser* ;ais une #ois admis %ue c’est possible, %ui te dis %ue la c/ose #onctionne M 8ui te garantit%u’il ne s’agit pas d’une illusion M

L : our comprendre si la c/ose #onctionne ou pas, on ne doit rien #aire de di##érent %ue l’on #aitd’/abitude pour comprendre si un médicament ou un aliment #ait du bien ou pas* Dans ce cas, onécoute attentivement " ce %ue dit le corps : dans le n tre, on doit au contraire pr3ter attention "l’Cme* $elon Goet/e, la connaissance est vraie seulement %uand elle est #éconde : " savoir %uandelle parvient " améliorer autant l’/omme %ue le monde*

R : $elon toi, donc, l’idéalisme, le spiritualisme et le matérialisme ne peuvent pas nous guérir parce%u’ils ne dépassent pas le dualisme, mais se limitent " opérer unereductio ad unum< : " savoir, "a##irmer l’un de deu- opposés, en niant l’autre*

L : 5ertes Le matérialiste, par e-emple, croit %ue la matière ou le cerveau pense* Il ne ditcependant pas : ' 2e pense %ue le cerveau pense ) mais il dit : ' Le cerveau pense )* 5omme tuvois, il évacue le su&et dans l’inconscient*

R : $’il en est ainsi, l’idéaliste évacue t il dans l’inconscient l’ob&et ou le monde M

L : Et n’a t on pas l’/abitude de dire, d’un idéaliste, %u’il est un ' r3veur ), %u’il ' a la t3te dans lesnuages ) ou %u’il ' n’a pas les pieds sur terre ) M

R : D’un matérialiste, on devrait dire alors %u’il a ' la t3te sur terre ) M

L : 5e ne serait pas #au-, en e##et* ense, par e-emple, au rapport du mot ' terre ) avec ' terreur ),' terrible ), ' terri#iant )* Dans un livre %ue &’ai lu récemment, 2o/n Eccles rappelle %ue lamotivation la plus pro#onde du matérialisme, selon 2o/n $earle, est constituée &ustement par la peurde la conscience et donc de la sub&ectivité*

R : 5e sont l" des appréciations ps c/ologi%ues, de toute manière*

L : 2e sais* ;ais crois moi, elles sont absolument nécessaires* Hu te souviens de cette bouteille "moitié pleine et " moitié vide %ue l’optimiste &uge seulement " moitié pleine et le pessimisteseulement " moitié vide M

R : En e##et, et alors M

L : 5’est une petite /istoire %ui démontre avec une particulière e##icacité %ue la connaissance,l’épist)me, est %uel%ue c/ose de di##érent de l’opinion, de lado*a* La connaissance est un ait spirituel , tandis %ue l’opinion est un ait psychologique* L’opinion nous permet de conna?trecomment est #ait le su&et, mais pas comment est #ait l’ob&et*

R : 5eci est vrai* Lestests ps c/ologi%ues se basent &ustement sur ce principe* Le su&et au%uel ilssont soumis #ormule des &ugements %ui servent " conna?tre le su&et et non pas l’ob&et*

1 Reductio ad unum [ réduction " l’unité, " un*1

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L : Imagine un t pe, en e##et, %ui, mis en #ace d’une carte de Rorsc/ac/, dirait : ' 5elle ci est l’unedes di- cartes dutest pro&ecti# imaginé par le ps c/iatre suisse Bermann Rorsc/ac/ )* Il rendraitimmédiatement ine##icace letest &ustement en raison de la #orce d’ob&ectivité de son &ugement*

R : Il n’ a pas de doute

L : Le /ic, cependant, c’est %ue le monde aussi peut 3tre traité comme une carte de Rorsc/ac/ : "savoir, comme un écran sur le%uel pro&eter toutes ces représentations, dites ' visions ) ou' conceptions ) du monde, engendrées par notre nature personnelle* ar e-emple, de toute l’unité dumonde, ric/e, articulée et organi%ue, le matérialiste saisira le seul moment ob&ecti#, puis%u’ilconvient mieu- " son tempérament pour la m3me raison, l’idéaliste saisira au contraire le seulmoment sub&ecti#*

R : 2e dois t’avouer %ue plus on avance moins &e comprends comment tu la penses*

L : 5eci dépend du #ait %ue moi &e ne ' la ) pense pas, mais &e pense

R : Et %uelle est la di##érence M

L : La di##érence c’est %ue moi, &e c/erc/e " me mouvoir dans la réalité avec le penser , en #aisant bien attention " ne pas me #aire prendre au piège par aucun pensé: " savoir, par aucune p/ilosop/ie,idéologie ou vision pré construite*

R : Hu ne te reconnais donc pas, en aucun des si nombreu- ' ismes ) e-istants M

L : ;ais tu vois, le matérialisme, le spiritualisme, l’idéalisme, le mat/ématisme, le ps c/isme, le p/énoménalisme, le réalisme, le monadisme, le rationalisme, le sensualisme, le d namisme, et le pneumatisme sont dou4e ' ismes ) possibles* Leur #onction, sur le plan animi%ue et spirituel, devrait3tre analogue " celle dévolue, sur le plan p/ si%ue, au- organes des sens* <ous en avons di##érentset nous savons %u’aucun d’eu- n’est plus vrai %ue les autres* <ous savons m3me %ue, pour avoir desin#ormations su##isantes sur le réel, leur concours est indispensable* 5omme on aurait l’air ridiculede se déclarer, pour cette raison, %ue sais &e, ' olp/actiste ), ' ouOste ) ou ' touc/iste ), on devraitaussi avoir l’air ridicule de s’a##irmer ' matérialiste ), ' spiritualiste ) ou ' ps c/iste )*

R : 5elui %ui se déclare, disons, ' rationaliste ) c’est donc inconsciemment identi#ié avec lerationalisme M

L : E-act 5’est &ustement cette identi#ication inconsciente " rigidi#ier le penser, et " engendrer enconsé%uence l’immobilisme et le dogmatisme* 5’est comme si %uel%u’un disait : ' 2e suis

rationaliste, donc &e suis )* Une personne de ce genre, %uand elle remettra en cause le rationalisme,se dé#endra parce %u’en perdant la rationalisme, elle aura peur de se perdre elle m3me ou sa propreidentité*

R : De toute manière, &e pense %u’un rationaliste aura plus peur du ps c/isme ou du pneumatisme%ue sans doute du mat/ématisme*

L : 5ertes armi les ' ismes ) il peut avoir, en e##et, attraction ou répulsion* La conception %uel’on craint le plus et %ue l’on combat c’est sans doute celle %ui est opposée " la conception avecla%uelle on s’est identi#ié* Le matérialisme, par e-emple, ressentira sa propre identité menacéesurtout par l’idéalisme*

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Hroisième dialogue

R : La #ois dernière, nous nous sommes %uittés avec la proposition d’aborder au&ourd’/ui le problème du penser*

L : 2e m’en souviens : non seulement, mais ces &ours ci, en repensant, &e me suis rendu compte%ue ta demande peut nous aider " entrer tout de suite dans le problème*

R : 2e ne comprends pas*

L : <’as tu pas demandé de penser le penser M

R : Et avec cela M $i &’en avais ressenti le besoin, &’aurais pu également demander de penser le sentiet le vouloir*

L : ois tu, &e dis bien de ' penser ) le sentir ou le vouloir, et non de ressentir le sentir ou devouloir le vouloir* 5ela ne te semble t il pas signi#icati# M 5ela ne te dit rien, %ue ce soit seulemenau penser " pouvoir se conna?tre, en se repliant sur soi M

R : 2e continue " ne pas comprendre*

L : Sien, nous en reparlerons plus tard* Imagine maintenant, " l’inverse, %ue la #ois passée nouseussions décidé de consacrer cette rencontre, non pas " la pensée, mais au- plantes* <ous nousserions peut 3tre donné rende4 vous au &ardin botani%ue, nous nous serions promenés, nous aurionobservé les diverses espèces et nous aurions aussi éc/angé des idées*

R : 5ela se peut, et alors M

L : Et alors, nous allons éc/anger des idées, mais sur la base de %uelles observations M Les plantes,avant de les penser, nous les aurions observées M La pensée, nous nous appr3tons, au contraire, " la penser sans l’avoir d’abord observée*

R : Le sens de ce discours m’éc/appe encore*

L : 2e serai donc plus e-plicite* Hu sais %ue la rec/erc/e scienti#i%ue s’appuie sur les deu- piliers del’obser%ation et de la pensée* <’importe %uel scienti#i%ue observe en e##et les ob&ets ou les p/énomènes et ensuite il les pense* E/ bien, tu voudrais peut 3tre contrevenir " cette règle M Huvoudrais, " savoir, penser le penser sans l’avoir d’abord observé M

R : ;ais comment #ait on pour l’observer M

L : Demandons nous, plut t, pour %uelle raison on ne le #ait pas : c’est " dire, pour %uelle raison l penser passe normalement inobservé*

R : Et %uelle serait cette raison M

L : <ous le verrons* 5ommen7ons, en attendant, par distinguer le penser , comme verbe ou activité,du pensé, comme ad&ecti# substantivé* Les concepts ou les idées sont en e##et des pensés %uinaissent au travers du penser*

R : Hu veu- dire %ue c’est le penser %ui les crée M

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L : <on 2’ai seulement dit %u’ils naissent ' au travers ) ou ' au mo en ) du penser* ense " unen#ant sont ce les parents %ui le créent M (u non pas plut t une individualité, ou un 2e, %ui peuvenir au monde seulement au travers, ou au mo en, d’un père et d’une mère M

R : D’accord, nous distinguons le penser des pensés* our %uelle raison, donc, passent ils inaper7ustous les deu- M

L : Les pensés, " savoir les concepts ou les idées, passent inaper7us parce %u’ils sontidenti iésinconsciemment a%ec les choses* (n dit, par e-emple : ' 2e vois une c/aise ), et l’on croit, en disantceci, %ue ce sont les eu- " la voir* $i nous étions conscients de ce %ui se #ait, on dirait " l’inverse :' ;es eu- re7oivent des stimulations %ue &e pense comme c/aise )*

R : <e serait ce pas un peu bi4arre de s’e-primer ainsi M

L : lPt au ciel %u’on ne le #?t point seulement pour ceci (n ne le #ait pas, au contraire, parce %uel’on ne se rend pas compte %ue la c/aiseest un concept , et non une chose*

R : $ur un concept, cependant, l’on ne s’assoit pas L : 5’est vrai* ;ais sans un tel concept, l’on pourrait s’asseoir n’importe o= ailleurs sau# sur unec/aise* ersonne ne l’aurait en e##et construite si d’abord elle n’avait été inventée* 5e n’est pas un/asard si Begel rappelle %ue ' le bois n’est pas en mesure de réaliser un lit, ni un métal une statue )*Du rapport entre la c/ose et l’idée, nous parlerons de toute manière dans ce %ui suit*

R : D’accord, revenons donc " notre su&et* Hu as dit des pensés, " savoir des concepts et des idées et %ue dis tu du penser M

L : .s tu en t3te le rologue de l’\vangile de 2ean M ' La lumière resplendit entre les ténèbres, maisles ténèbres ne l’ont pas reconnue )* Le penser aussi, en passant inobservé, " l’instar des pensés,n’est pas reconnu* La raison pour la%uelle il passe inobservé est cependant autre*

R : Et %uelle est elle M

L : 5e n’est pas #acile de le dire brièvement

R : Dis le comme tu veu-, &e t’écoute*

L : Imagine alors %u’un scienti#i%ue est en train d’observer %uel%ue c/ose au microscope, et %ue

derrière son dos, un autre scienti#i%ue soit occupé " l’observer* Le premier scienti#i%ue observe et pense donc une c/ose ou un ' #ait ), tandis %ue le second observe et pense l’activité du premier ouun ' #aire )* oici, pour pouvoir observer le penser, nous devrions #aire tout seul tout ce %ue #ont lesdeu- scienti#i%ues dans cet e-emple*

R : ;ais c’est impossible

L : Hu as raison* En e##et, observer le penseren =u%re est impossible, alors %u’il est possibled’observer celuie ectué* ;ais sais tu ce %ue cela signi#ie M

R : 2e n’en ai aucune idée*

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L : ]a signi#ie %ue le penser est une activité " nous, ou unacte du -e* $i c’était l’activité d’un autre,ou si c’était l’acte d’un non 2e, nous pourrions en e##et l’observer au moment o= il se produit*

uis%u’il est cependant impossible de #aire deu- c/oses en m3me temps, nous devons c/oisir : ou bien nous le produisons, ou bien nous l’observons* 5/oisissons évidemment de le produire, parce%ue, si nous ne le produisions pas, nous ne pourrions pas non plus l’observer*

R : Un moment Hu as dit, en parlant de la science, %ue d’abord on doit observer et ensuite penser*5omment se #ait il donc %ue tu dises %ue d’abord on doit penser et ensuite observer M

L : 2e le dis parce %ue &e suis en train de parler de l’observation du penser : " savoir d’une réalité %uiest di##érente de toutes les autres*

R : Et en s’en tenant " la règle %ue tu as rappelée, le penser, après l’avoir observé, nous devrionsencore le penser M

L : 5ertes Hout ob&et observé, pour 3tre compris, doit 3tre pensé* Un arbre, par e-emple, en tant%ue pur ob&et d’observation, n’est pas encore un ' arbre ), ni d’autant moins un ' peuplier ), un' pin ) ou un ' c/3ne ) : en somme, il n’est pas encoreune perception déterminée par un concept *

Du point de vue de l’observation, il n’ a aucune di##érence entre le penser produit et tous les autresob&ets* Du point de vue du penser, se con#irme au contraire son caractère e-ceptionnel*

R : $e con#irme, " savoir un ob&et ' très particulier ) M

L : 5’est &ustement cela <ous avons vu en %uoi consiste le caractère particulier du penser %uandon le prend en tant %u’ob&et d’observation nous sommes en train de c/erc/er " voir " présentcomment se présente sa particularité %uand, " l’inverse on le prend en tant %u’ob&et du penser*

R : 5’est " dire, de lui m3me*

L : Ré#léc/is : %uand nous observons dans la nature les minérau-, les plantes ou les animau-, ou%uand nous observons c/e4 l’/omme, les sentiments ou les instincts, nous nous apercevons %ue, pour pouvoir les comprendre, nous devons les trans#érer, du plan dans le%uel ils se mani#estent, au plan du penser* 5omme des cours d’eau %ui ont leur source dans des lieu- di##érents, tous ces p/énomènes s’en vont débouc/er dans la mer du penser* 5’est seulement ici, en se réunissant " leursconcepts respecti#s, %u’ils peuvent se déterminer et révéler leurs identités* 8uand on observe le penser, l’on s’aper7oit au contraire %ue ceci n’est pas nécessaire* our pouvoir se déterminer et serévéler, le penser n’a pas besoin de sortir de lui'm(me*

R : Hu entends dire, en somme, %ue le penser, une #ois observé, n’a pas besoin d’3tre pensé, parce

%u’il est dé&" un penser, &ustement ML : E-act Il s’agit en e##et d’une activité capable, comme dit Begel, ' de déterminer elle m3me " partir d’elle m3me )* ense par e-emple " la lumière* $i l’on veut voir ce %u’il a dans une pièce plongée dans l’obscurité, l’on doit allumer la lumière mais si ensuite l’on veut voir la lumière, iln’est pas nécessaire d’allumer autre c/ose* La lumière, en éclairant les c/oses, s’éclaire aussi ellem3me, puis%u’elle repose sur elle m3me, comme le penser*

R : 5’est le cas de le dire %ue cet e-emple est &ustement ' illuminant ) 2e voudrais te poser unautre problème*

L : Dis moi*

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R : 8uand on veut observer et étudier un microorganisme, on s’arrange avant tout pour l’isoler* 0 partir du moment o= le penser se présente " nous normalement mélangé au sentir et au vouloir, doiton #aire la m3me c/ose pour l’observer M

L : ois tu, %uand on se ré#ère " l’e-périence, on n’est pas tou&ours conscients %u’elle résulte d’unecombinaison de deu- éléments di##érents : de la perception et de la pensée* Et on n’en est pasconscients parce %u’on n’a pas #ait, avec l’e-périence, ce %u’on a #ait, par e-emple, avec l’eau* $inous ne l’avions pas décomposée, aurions nous &amais découvert %u’elle est le résultat de lacombinaison de l’/ drogène avec l’o- gène M

R : <on seulement nous ne l’aurions &amais découvert, mais il aurait m3me été di##icile pour nousd’imaginer %u’elle résulte de la combinaison de deu- ga4*

L : En tout cas, la vraie raison pour la%uelle il est di##icile de comprendre l’e-périence c’est %u’elleest pres%ue tou&ours con#ondue avec la perception : " savoir, %ue l’ensemble est con#ondu avecl’une de ses parties* Ici ressort d’une manière particulière le poids décisi# de la réi#ication1 duconcept : " savoir, de son identi#ication inconsciente avec l’ob&et ou la c/ose*R : En e##et, le problème de la perception est aussi intéressant et comple-e* <e pourrions nous pasl’aborder lors de notre proc/aine rencontre ML : D’accord* Du reste, si l’e-périence est constituée de perception et pensée, après nous 3treoccupés de la pensée, nous ne pouvons pas ne pas envisager une rencontre consacrée " la perception*

R : En reprenant le propos, il me semble comprendre %u’unee*périence de l’e*périence serait doncnécessaire*

L : En e##et, il a le ris%ue, si on ne l’anal se pas attentivement, et si on ne la comprend pas, %uel’appel &uste " l’e-périence, primordial de la science, se trans#orme en une #ormule banale et

dogmati%ue*R : $i cela ne te déplait pas, &e voudrais cependant revenir au problème de la séparation du penserdu sentir et du vouloir* 2e me demande, en e##et, comme peut il se réaliser*

L : En réalité, " l’intérieur du penser, sont tou&ours présents sentir et vouloir* ;ais le penser, par le#ait %u’il a en soi sentir et vouloir, ne cesse pas pour autant d’3tre le penser* 0 l’3tre du penser, lesentir con#ère une %ualité ou une Cme, alors %ue le vouloir con#ère une c/aleur ou une énergie* ;aistous deu- con#èrent %uel%ue c/ose &ustement " son 3tre : " savoir " ce %ui #ait du penser, le penser*

R : 2e vois %ue la c/ose est bien plus compli%uée %ue &e le pensais* 2e continue %uand m3me " mdemander comment est il possible d’isoler le penser*

L : Le #ait est %u’il ne s’agit pas tant de l’isoler, %ue bien plus d’accepter %ue le penser contienne plus ou moins de sentir et de vouloir : " savoir, de voir s’il les ren#erme, et s’il n’est pas au contrairecontenu par eu- M Un / pital, par e-emple, ne cesse pas d’3tre tel du #ait %u’" l’intérieur sontdéveloppées des activités tec/ni%ues et administratives c’est seulement dans le cas o= celles ci prennent le dessus sur l’activité t/érapeuti%ue %ue l’on aurait des raisons de soutenir %u’un / pitaln’en est plus un*

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XLaréi ication consiste " trans#ormer ou " transposer une abstraction en un ob&et concret, " appré/ender un concept,comme une c/ose concrète* Le terme est aussi emplo é " propos des personnes vivantes* (n trouve également le termeé%uivalentc!osi ication * ^iNipedia!,ndt Y

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R : Hu veu- dire en somme %ue le penser est le penser, non pas %uand il e-clut le sentir et levouloir, mais %uand il les subordonne* 2’imagine %ue ceci vaut aussi pour le penser et le vouloirdans le sentir et pour le penser et le sentirdans le vouloir*

L : Hu imagines bien* En réalité, c’est seulement par commodité %ue nous parlons de penser, sentiret vouloir* De #ait, nous sommes tou&ours en présence de toutes ces trois #orces* 5/acune,cependant, se présente une #ois commedominante et deu- #ois commeau*iliaire*

R : De toute #a7on, &e crois %ue le penser, le sentir et le vouloir se distinguent aussi par la manièredont ils se rapportent " l’ob&et

L : 5’est vrai* <ormalement le sentir ne sort pas du su&et, alors %ue le vouloir et le penser penc/enten direction de l’ob&et : le premier, vers l’ob&et matériel, le second vers celui idéel ou spirituel* Lesentir évalue, " l’inverse, l’ob&et en relation au su&et ou, pour mieu- dire, en #onction de la réaction%u’il suscite c/e4 le su&et* $i nous comptions seulement sur le sentir, nous ne pourrions pas dire, pare-emple : ' 5eci est une statue ) nous pourrions seulement dire : ' 5eci me pla?t ou ne me pla?t pas )* En tant %u’intransiti#, le sentir ne nous parle pas de ce %ue sont les c/oses en soi, maistou&ours et seulement des réactions %u’elles suscitent en nous, et donc de nous m3mes*

R : Le vouloir et le penser se révèlent en outre acti#s, alors %ue le sentir appara?t passi#*

L : 5e n’est pas un /asard si le domaine du sentir est celui des ' passions )* 5e sont les c/oses %uisuscitent en nous les réactions immédiates du sentir* Il est di##icile d’imaginer, par e-emple, %u’untriangle rectangle suscite immédiatement, dans le penser, le t/éorème de t/agore*

R : Hu as dit %ue le penser, pour 3tre tel, ne doit pas e-clure le sentir et le vouloir, mais lessubordonner* 8uelle est, alors, la plus pure de ses mani#estations M

L : $ans doute celle conceptuelle* <ous pouvons nous #aire maintes représentations du triangle,mais nous pouvons n’en avoir %u’un seul concept * Le dicton connu '8uot capita, tot sententiae )1

vaut pour les représentations, mais pas pour le concept* Les représentations sont les #ormes dansles%uelles les concepts se mani#estent dans l’intellect ou, comme dit Begel, des ' métap/ores ) desconcepts* $’il n’ avait pas de concepts, il n’e-isterait pas non plus de représentations*

R : 2e suis en train de penser %u’" cause du #ait %ue c/acun a, comme on a l’/abitude de dire, ' savérité ), on croit %uela vérité n’e-iste pas, et ne peut pas e-ister* Il me semble %ue &e commence "comprendre l’é%uivo%ue* 5’est comme si l’on disait : ' 0 partir du moment o= il e-iste divers portraits de <apoléon, <apoléon n’e-iste pas )* 2e commence aussi " comprendre %u’en pensant,nous ne #aisons %ue tra#i%uer avec les concepts ou avec les idées*hat , par e-emple, est un concept,mais d’autres concepts sont aussimammi )re, animal et (tre %i%ant * our autant %u’en pensant, onmonte ou l’on descende, %ue l’on induise ou %ue l’on déduise, on ne sort &amais du ro aume desconcepts*

L : La seule #a7on d’en sortir serait de cesser de penser* #ous croyons en e et que nous pensons leschoses, mais nous ne pensons, en réalité, que des pensées et des concepts* Houte#ois, en pensant des pensées ou des concepts nous nous avisons de comprendre les c/oses, au point de parvenir m3me "les modi#ier* Et %u’est ce %ue ceci signi#ie, sinon %ueles choses, dans leur essence, sont 4bien, ndt9des penséesM

R : La soi disant ' réalité des c/oses ) serait donc la réalité des idées M Et aussi les rapports entre lesc/oses seraient alors des rapports entre des idées*

L : E-act (bserve par e-emple cette page de mon carnet* 2e trace " présent une ligne/ori4ontale@ oil" Et %u’est ce %ui en ressort M1 8uot capita, tot sententiae : signi#ie .utant d_avis di##érents %ue d_/ommes, nde

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R : 2e ne saurais dire, &e ne vois %u’une ligne*

L : Hu ne t’aper7ois pas, %u’en tra7ant cette ligne, &’ai évo%ué deu- concepts opposés : celui dehautet celui debas ou bien, si tu veu-, celui d’au'dessus et celui d’en dessousM

R : 5’est vrai

L : 5omme tu vois, ces deu- concepts &aillissent de la m3me source* Sien %ue l’un soit l’opposé del’autre, il s’agit de deu- &umeau-* $i tu considères %ue tous deu- sortent, au mo en du penser, du 2e,tu peu- bien comprendre leur relativité* Dans tout concept, Begel a pour le coup relevé deu-moments : celui de son 3tre ' pour soi ) et celui de son 3tre ' pour l’autre ), et m3me pour ' sonautre ) " lui, et non pas pour un autre %uelcon%ue* >aut en e##et, en m3me temps, un concept ' poursoi ) et un concept relati# " celui debas, %ui est ' son autre )*

R : Hu vois %ue tu ne prends pas en considération la moindre possibilité %ue ces activités soient lerésultat des processus neurop/ siologi%ues*

L : ;ais prends garde %ue la m3me neurop/ siologie a désormais démontré l’inconsistance absoluedes tentatives de réduire l’activité du mental " celle matérielle du cerveau* D’un autre c té, celui %uine parvient pas " réaliser %ue le concept, disons, decause est lié " celui de l’e et seulement en vertude son contenu idéel, n’a vraiment pas d’espoir de comprendre comment sont les c/oses*

R : Hu dis %ue l’activité du penser n’est pas développée par le cerveau, mais par le 2e* ;aiscomment #ait on pour en 3tre certains M

L : 5elui %ui veut découvrir la source d’un #leuve, %u’est ce %u’il #ait M

R : Il en remonte le cours*

L : E/ bien , c’est aussi ce %u’il #aut #aire pour découvrir la source du penser* our en remonter lecours, " savoir le mouvement, il #aut pourtant en observer et en conna?tre la nature*

R : Hu veu- dire %ue c’est en découvrant la nature du penser %ue l’on commence " entrevoir celle dela source dont il &aillit*

L : 8ue nous, en tant %ue su&ets, nous so ons une seule c/ose avec l’acte du penser, nous l’avonsdé&" vu et nous avons aussi vu %ue le penser s’adresse " l’ob&et observé, et non pas au su&et* .lor%u’il pense, le pensant pr3te attention " l’ob&et, et non pas " sa propre activité et il n’ pr3te pasattention puis%u’il est précisément engagé " la développer*

R : <ous avons dit, en e##et, %ue l’on ne peut pas #aire deu- c/oses " la #ois*

L : Le su&et %ui produit le penser est le m3me %ui l’observe tandis %u’il le produit il ne peu pourtant pas l’observer, puis%u’il s’est absolument en#oncé dans l’acte de le produire* Une #oisl’acte accompli, le su&et re rentre en lui, et il peut alors observer ce %u’il a produit*

R : 5ette impossibilité de #aire deu- c/oses en m3me temps m’a remis " l’esprit la célèbre ' #igureambigu` ) d’Edgar Rubin* Elle se trouve dans de nombreu- tests de ps c/ologie et elle est dite' ambigu` ) ou ' double ) parce %ue l’on peut voir, ou bien un vase blanc, ou deu- vases noirs de pro#il* Hu la connais M

L : (ui* 2e m’en rappelle aussi une autre peut 3tre moins célèbre, mais plus amusante : elle est ducaricaturiste Bill et s’intitule : ' ;a #emme et ma belle mère ) on peut voir, ou bien une belle &eune #emme, ou le pro#il d’une vieille sorcière*

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R : ./ oui, &e la connais* 2e l’ai vue une paire de #ois* Hu auras noté %u’il est impossible de réussir "voir en m3me temps les deu- aspects de ces #igures*

L : Et tu t’es demandé le pour%uoi de cette impossibilité M

R : 0 dire vrai, &e me suis limité " la remar%uer* .vec un seul regard, il est de #ait impossible d’ensaisir les deu- aspects on doit nécessairement les observer l’un après l’autre* ;on impression c’est%ue l’on donne une sorte de mouvement intérieur, une sorte de c/angement imperceptible de perspective*

L : ;ais ce n’est pas la perspective %ui c/ange La #igure est telle %u’elle est, et les stimuli %uiatteignent les eu- sont tou&ours les m3mes* 5e sont nous %ui, en mettant le penser en mouvement, &ugeons de tels stimuli une #ois comme ' vase ), une autre #ois comme ' deu- pro#ils ), ou viceversa* 5e sont nous, en somme, %ui portons " la rencontre des m3mes stimuli deu- conceptsdi##érents ces deu- ci engendrent ensuite deu- représentations di##érentes %ui, pro&etées dl’e-térieur, se traduisent en deu- images perceptives di##érentes*

R : L’ambiguOté de telles #igures dérivent donc du domaine du penser et des concepts, et non,comme on le croit le plus souvent, de celle de la perception M

L : 5ertes Une #igure uni%ue contient autant le vase %ue les deu- pro#ils* Le penser ne peut pourtant pas produire, en m3me temps, deu- concepts di##érents* $elon tout ce %ue nous avons dit etrépété, si l’on #ait une c/ose, on ne peut pas en #aire simultanément une autre*

R : 5ela con#irmerait %ue le penser est une production " nous, et %ue, en observant son mouvement,nous observonsnotre acti%ité m(me*

L : <ous disons %ue, en vertu dumou%ement e*trasensible du penser, la possibilité nous est donnéede nous e-périmenter et de nous conna?tre en tant %ue su&ets spirituels*

R : 2e le trouve convaincant* .vant de te saluer, &e voudrais te poser pourtant une %uestion %ue

&’aurais dP te poser avant* <ous avons parlé du penser, mais pas de laconscience et pourtant c’estla conscience %ui régit le penser*

L : 5onsidère toute#ois, %ue, dans le conna?tre, on part de ce %ui est ultime, et non pas de ce %ui estavant : c’est en partant de l’e##et %ue l’on remonte " la cause* 5’est pour ceci %ue l’e-amen du penser doit précéder celui de la conscience* 0 %uoi servirait il de partir de la conscience et de lasoumettre " l’anal se pensante, sans rien savoir au su&et de la possibilité d’obtenir une e-plicationdes c/oses au mo en du penser M

R : 2’apprécie l’utilité prati%ue de ta réponse* En e##et, %uoi%u’on décide d’e-plorer, %ue ce soit lconscient, l’inconscient, l’e-istence, l’essence, la matière ou l’esprit, l’on doit partir du penser*

L : 5ela me #ait plaisir de te l’entendre dire* 5’est ceci, en réalité, la c/ose la plus importante : celle%ue tous nous #aisons, mais bien peu parmi nous se rendent compte %u’ils le #ont* Begel, pare-emple, part de l’idée, mais celle ci, %uoi%ue sublime, est tou&ours aussi un pensé, et non pas le penser*

R : $elon toi, il est donc essentiel de partir d’une activité, et non d’une c/ose, d’un #aire, et nond’un #ait : en somme du penser et non d’un pensé*

L : Il en est &ustement ainsi

R : 2e suis désolé, mais &e dois te dire au revoir* Hu te rappelles %ue nous avons décidé d’aborder le problème de la perception la proc/aine #ois M

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L : 2e m’en souviens au revoir donc et " la semaine proc/aine*

R : .u revoir

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8uatrième dialogue

L : <ous voici pr3ts " parler de la perception* Hu es préparé M

R : Hu plaisantes, mais ces &ours ci &e suis vraiment allé consulter divers te-tes sur la %uestion*

L : Et cela t’a été pro#itable M

R : as beaucoup* enses tu , dans un Dictionnaire de psychologie les rapports entre la perceptionet la sensation sont dé#inis comme carrément ' ine-tricables )* 5e n’est certainement pasencourageant

L : 2’imagine* D’un autre c té c’est inévitable " partir du moment o= l’on n’a pas une idée &uste nide la perception, ni de la sensation* 5omment #ait on pour dém3ler leurs relations si l’on n’a pascompris %ue la perception est un ait du corps, alors %ue la sensation est un ait de l’5meM

R : 2’ai remar%ué aussi %ue divers p/ilosop/es parlent de la sensation comme si elle était un #ait ducorps*

L : 5e %ui con#irme la con#usion %ui règne " ce propos* Et pourtant, il ne serait pas di##icile decomprendre %u’au mo en de la perception, nous accueillonsun contenu du monde et, %u’au mo ende la sensation, nous #aisons l’e-périence denotre réaction / ce contenu*

R : 5’est " dire M

L : ense un peu, par e-emple, " une rencontre de #ootball dans la%uelle l’une des é%uipes est entrain de gagner, " cin% minutes de la #in, par un " 4éro* our les supporters de l’é%uipe %ui al’avantage, ces cin% minutes sembleront interminables " ceu- de l’é%uipe %ui perd, ellessembleront, au contraire, e-tr3mement rapides*R : <onobstant cela, les minutes sont les m3mes pour toutes deu-*

L : ' 5in% minutes ) en tant %ue perception, " savoir, comme #raction de temps ob&ectivementdéterminée par l’/orloge, c’est une c/ose, mais ' cin% minutes ) en tant %ue sensation, c’en est uneautre : celles ci s’allongent ou se raccourcissent selon notre état d’Cme*

R : Un peu comme cela arrive %uand on regarde dans un miroir dé#ormant* (n se voit plus maigresou plus gros, et plus petits %ue l’on est, selon la dé#ormation provo%uée par le miroir*

L : 5ertes

R : 2’imagine aussi %ue la perception d’un m3me espace puisse susciter des sensations di##érentes*

L : Il su##it de penser " la manière dont l’e-périmentent les personnes %ui sou##rent declaustrop/obie ou d’agorap/obie* Les p/obies, précisément, mettent en évidence, %uoi%ue demanière anormale, le caractère sub ecti de la sensation* .ucun claustrop/obe, par e-emple, n’a peur de l’ascenseur en tant %u’ob&et de perception, mais tou&ours et seulement de l’ascenseur en tan%u’ob&et de sensation*

R : En consultant les te-tes dont &e te parlais, &’ai eu de toute manière l’impression %ue le p/énomène de la perception est e-tr3mement comple-e*

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L : our le comprendre, en e##et, on devrait commencer par distinguer :1) l’acte percepti du su&et 2) le processus percepti 3) le contenu ob&ecti# de la perception, " savoir le percept 4) la perception sub&ective d’un tel contenu, " savoir l’image percepti%e*

R : En général, on estime %ue le processus percepti# parle d’une stimulation p/ si%ue* Est ce ainsi,ou part il au contraire de l’acte percepti# M Il part en somme de l’ob&et ou du su&et M

L : our %u’il puisse débouc/er dans une claire image perceptive, il #aut l’acte du su&et* Ledémontre le #ait %ue la perception présuppose un certain degré d’attention et l’attention est le signede la présence du 2e dans la conscience*

R : ;3me l’intensité de la stimulation doit dépasser un certain seuil*

L : Incontestablement* Il ne se révèle pas plus de perception claire, en e##et, aussi bien dans le caso= l’attention est insu##isante %ue dans celui o= la stimulation est insu##isante*

R : En tout cas, le su&et ne se limite pas, comme disent certains, " ' subir ) la stimulation, ou " en3tre ' a##ecté )*

L : ;ais certainement Une #ois, &’ai #ait cette e-périence : &e me suis mis " lire le &ournal avec la

radio allumée, de manière " 3tre atteint, en m3me temps, par des stimulations visuelles et auditives*8uand &e me concentrai dans la lecture &e n’entendais plus la radio, et %uand &e me concentrai "l’écoute de la radio &e n’étais plus en mesure de lire le &ournal*

R : Hu dépla7ais donc ton attention, alternativement des eu- au- oreilles M

L : En e##et* 5’était comme si, en se trouvant dans une pièce avec deu- #en3tres ouvertes sur desrues di##érentes, &e m’étais mis une #ois " l’une, une #ois " l’autre* $ous celle " la%uelle &e ne mmettais pas, les événements continuaient leur cours, mais moi, &e ne pouvais plus m’en rendrecompte*

R : 5eci, c’est pour l’acte percepti# et pour le processus percepti# ML : Il s’agit d’un processus %ui va de la stimulation p/ si%ue " l’image perceptive* La stimulationest accueillie par les organes des sens, elle passe au- ner#s, et ensuite, comme une impulsionnerveuse, elle est trans#érée au long des voies a##érentes au cerveau* De ce point de vue, le processus percepti# rappelle le processus nutriti#* Le percept ressemble " la nourriture %ui, " peinemise en bouc/e, est élaborée et trans#ormée par la mastication*

R : $i c’est un processus acti#, " savoir un acte du 2e, %u’elle di##érence a t il alors entre celui ci ecelui du penser M

L : Hous deu- sont des actes du 2e, mais ils se mani#estent " des niveau- di##érents et de manièresdi##érentes* 5elui de l’acte percepti# est principalement%olitiou intentionnel celui du penser estun acte principalementidéel *

R : 5e ne sont donc pas les eu- %ui voient et les oreilles %ui entendent, mais plut tc’est le -e qui%oit ou entend au tra%ers des yeu* et des oreilles*

L : 5eci me #ait venir " l’esprit une c/ose %ui m’est arrivée voici %uel%ues années*

R : 8ue t’est il arrivé M

L : 2e me trouvais dans mon lit et &e lisais, et donc &’avais mes lunettes* .lors %ue &e sentais venir l

sommeil, &e posai mon livre, &e m allongeai en oubliant de les ter* 5e " %uoi ma #emme me regaret me dit : ' 8u’est ce %ue tu #ais, tu dors avec tes lunettes M )*

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R : Et voici ce %ui est dr le $ans le moindrement penser, &’ai dit : ' (ui, parce %ue &e veu- bienvoir mes songes )*

L : Elle a apprécié la répartie M

R : 2e ne sais pas, tout de suite après l’avoir dite, &’en suis venu " penser : diable ;3me si &e suism ope et astigmate, &e vois très bien mes r3ves sans lunettes* 5omme cela s’e-pli%ue t il M

L : Et tu t’es répondu M

R : 2e sais seulement %u’" un certain moment &e me suis dit : mais ne serait ce pas parce %ue lesr3ves ne se voient pas avec les eu-, et %ue donc l’acte de voir ne vient pas d’eu- M

L : Hon e-périence ci est très signi#icative ici* Les eu-, comme tous les autres organes des sens,sont en e##et un instrument dont le 2e devrait se servir, et au%uel, " l’inverse, il ne devrait pas 3treasservi* Imagine, par e-emple, %ue %uel%u’un, /abitué " utiliser les &umelles, d’un coup se retrouveavec celles ci collées au- eu- et ne parvienne plus " s’en libérer* 0 la longue, il pourrait m3me enarriver " oublier %u’il eut un temps o= il était capable de voir sans &umelles*

R : Hu es peut 3tre en train de #aire allusion " des états de conscience %ui étaient propres "

l’/umanité ancienne ML : Hout &uste Garde présent " l’esprit, cependant, %ue la conscience peut retrouver, " un niveaunouveau et plus élevé, ce %u’elle a perdu dans le cours de son évolution*

R : 5ela me plairait bien de poursuivre sur cette route, mais &e comprends %u’elle nous mèneraittrop loin* En revenant " notre su&et, donc, il me semble %ue l’acte de percevoir est tourné vers lamani#estation sensible des c/oses, tandis %ue celui du penser est tourné vers leur essence idéelle*

L : En e##et, le 2e per7oit au mo en des sens ce %ui peut seulement se révéler au- sens, et pense aumo en du penser, ce %ui peut seulement se révéler " l’esprit*

R : En peu de mots : ' le semblable conna?t le semblable )*

L : 2ustement

R : L’autre #ois, &’ai dit %ue l’essence idéelle de l’ob&et, " savoir le concept ou l’idée, passeinaper7ue parce %u’elle est identi#iée inconsciemment avec la c/ose, et donc réi#iée et tu as ditaussi, pour donner un e-emple, %u’un arbre devient un arbre seulement %uand au perceptindéterminé s’unit le concept déterminé* 2e me demande alors : avant d’3tre connu, %u’est ce %u’unarbre M

L : Hu veu- le savoir M

R : 5ertes

L : .vant d’3tre connu, un arbre est un arbre

R : ;ais tu vois, tout se trouve dans le #ait de con#ondre l’arbre avecla conscience de l’arbre*

L : 5’est " dire M

R : 5’est " dire %ue l’essence de l’arbre est une réaliténaturelle, tandis %ue la conscience del’essence est une réalité spirituelle. <icolaO Serdiaev a dit : ' la connaissance est une connaissancede l’3tre au mo en de l’3tre ) : " savoir %ue c’est l’3tre %ui, en se repliant sur soi, se glisse enmédiateur, se conna?t et se spiritualise* En somme, grCce au conna?tre /umain, l’(tre de%ient esprit *

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R : 5e sont des a##irmations importantes* ourrais tu 3tre plus clair, s’il te pla?t M

L : Hente d’imaginer alors une #illette %ui démonte une poupée pour voir comment elle est #aite, etensuite la remonte* (r, entre la poupée non encore démontée et celle remontée, a t iléventuellement une di##érence M

R : $i elle a été bien remontée, aucune*

L : En e##et, ce n’est pas la poupée %ui a c/angé, mais la #illette*

R : Hu entends dire %ue la #illette n’est plus celle %u’elle était avant, parce %u’elle s’est enric/ied’une connaissance nouvelle M

L : E-actement

R : our savoir comment la poupée est #aite " l’intérieur, la #illette la démonte et la remonte, maisnous, pour savoir comment le monde est #ait " l’intérieur, comment #aisons nous pour le démonteret le remonter M

L : 5’est vite dit :en le perce%ant, nous le démontons 2 en le pensant, nous le remontons

R : En %uel sens %u’en le percevant, nous le démontons M

L : ois tu, le percevoir, non seulement démonte le monde, parce %ue cette activité trans#orme sonunité organi%ue en une multiplicité de c/oses singulières, mais elle démonte aussi les c/osessingulières* <ous avons dé&" dit, par e-emple, %u’un arbre, avant d’3tre réuni avec son concept,n’est %u’un contenu indéterminé de perception %ui se présente au cerveau subdivisé en diversesimpulsions*

R : Les événements cérébrau- sont en e##et disparates*

L : Et il le sont puis%u’ils dérivent de la rencontre et du /eurt de l’acte percepti# du su&et avecl’ob&et* Dans l’instant m3me de cette rencontre et /eurt, l’unité de l’ob&et, re7ue par plusieurs sens,vole en éclats dans une diversité de stimulations et d’impulsions*

R : 5’est vrai* Hout ob&et révèle %uel%ue c/ose de lui m3me au touc/er, %uel%ue c/ose d’autre " lavue, %uel%ue c/ose d’autre encore " l’ouOe, et ainsi de suite* De cette #a7on son unité en vient "s’articuler dans une diversité de stimuli et d’impulsions*

L : Le #ait est %ue l’ob&et pourrait 3tre comparé " un vase %ui, en tombant, vole en morceau-*5/a%ue sens en recueille un et le consigne dans le penser, de manière " ce %ue celui ci les remetteensemble et restitue le vase dans sa #orme originaire*

R : L’activité du penser est donc anal ti%ue ML : Incontestablement <on seulement, en e##et, il nous permet d’e-traire ou d’abstraire, del’ensemble du monde, les ob&ets singuliers, mais il nous permet aussi d’e-traire ou d’abstraire, del’ob&et singulier, un nombre de %ualités égal " celui des sens engagés dans sa perception*

R : Donc, comme le dirait un alc/imiste, le percevoir sol%e et le pensercoagula* 5e %ui me #rappele plus, cependant, de tout ce %ue tu dis, c’est %ue le penser nous donne ou nous restitue &ustementce %ui e-iste avant l’intervention anal ti%ue du percevoir* 5eci voudrait dire %u’il est donc possiblede conna?tre l’ob&et en soi, ou l’ob&et nouménal, et pas seulement, comme le soutient Vant, l’ob&e p/énoménal M

L : 5’est ainsi* ;ais si tu remets en cause l’idéalisme criti%ue de Vant, alors tu dois remettre aussien cause le réalisme naO# ou l’idéalisme sub&ecti#*

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R : Et pour%uoi donc M

L : arce %ue c’est en rapproc/ant ces deu- conceptions %ue l’on peut mieu- clari#ier, aussi bien lesrapports %ui e-istent entre les éléments %ui contribuent " la #ormation de l’image perceptive, %ue lacontradiction dans la%uelle est tombée Vant*

R : arlons en donc*

L : Le dualisme du percevoir et du penser est analogue " celui d’ob&et et su&et* Donc sereproduisent, " l’égard du premier, les m3mes é%uivo%ues %ue nous avons relevées %uand nous noussommes occupés du second*

R : 2e me rappelle : nous avons parlé de conceptions %ui optent pour l’ob&et au détriment du su&et ede conceptions %ui #ont e-actement le contraire*

L : ;3me dans le cas du percevoir et du penser, se révèlent, en e##et, des conceptions %ui réduisentle su&et " l’ob&et, parce %u’elles considèrent l’idée comme un re#let de la c/ose, et des conceptions%ui réduisent l’ob&et au su&et, parce %u’elles considèrent la c/ose comme un re#let de l’idée*

R : our les réalistes naO#s, pour les empiristes ou pour les matérialistes, l’idée est en e##et un re#let

de la c/ose mais %ui sont ceu- convaincus du contraire ML : .u &our d’au&ourd’/ui, ils n’e-istent prati%uement plus* .u temps de Vant, il n’en allait pasainsi, cependant, et ce #ut aussi avec ceu- ci %u’il dut se mesurer*

R : Hu peu- m’en rappeler au moins un M

L : En puisant dans mes souvenirs scolaires, il me semble %ue SerNele est le représentant de cetidéalisme dé#ini par Vant comme ' empiri%ue ) et récapitulé dans la #ormule :esse est percipi*1

L : Hu te souviens bien* SerNele soutient %ue l’3tre des c/oses se réduit précisément " l’3tre per7u*5e %ui importe le plus, toute#ois, c’est %u’il se dit convaincu %u’en de/ors de l’esprit /umain

mental,ndt !, il n’e-iste rien : %u’en de/ors de l’esprit, " savoir, il n’ a aucun monde sensible #aitde corps et de c/oses*

R : Il annule donc l’ob&et* ;ais en annulant l’ob&et, ne devrait il pas également annuler l’acte de percevoir M

L : Le #ait est %ue l’ob&et, plus %ue l’annuler, il le déplace de l’e-térieur " l’intérieur du su&et : "savoir %u’il le #ait dispara?tre du monde pour le #aire réappara?tre dans le su&et* $elon SerNele , no percevons en e##et des idées, et non pas des c/oses*

R : ;ais n’est ce pas ce %ue tu soutiens, toi aussi M

L : .ttention Le problème, comme tu dis, c’est la s nt/èse des opposés et non pas la réduction del’un " l’autre* Les réalistes naO#s trans#ormentl’idée en ob et , tandis %ue SerNele trans#ormel’ob eten idée*

R : (n trans#orme l’idée en ob&et %uand on identi#ie l’idée avec la c/ose %uand est ce %ue l’otrans#orme l’ob&et en idée M

L : 8uand on n’a pas une idée &uste de l’idée ou un concept &uste du concept* our SerNele , ene##et, les ' idées générales ) ou les concepts universels ne sont %ue des ' noms ), et donc uneirréalité* Hrans#ormer l’ob&et en idée, cela veut dire mettre l’ob&et " la place de l’idée, et doncle

singulier / la place de l’uni%ersel *1 Esse est percipi : latin! 3tre, c’est 3tre per7u

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R : 5e n’est pas clair pour moi*

L : ois tu, SerNele dit, par e-emple : ' <ous ne percevons pas l’/omme, mais cet /omme ci )*5’est vrai* ;ais le tracas, c’est %u’il croit aussi %ue le penser pensecet homme'ci, et non pasl’homme, parce %ue &ustement il con#ère au- idées le caractère singulier des c/oses*

R : 2e comprends " présent pour%uoi Vant le dé#init comme ' empiri%ue ) Et toi, au contraire,comment vois tu le rapport entre la singularité de la c/ose per7ue et l’universalité de l’idée pensée M

L : Les c/oses per7ues sontdes mani estations singuli)res de l’idée uni%erselle* (n pourrait dire, entermes musicau-, %ue ce sont des ' variations sur le t/ème )* our Goet/e, par e-emple, c/a%ue plante est une mani#estation de la7rp lan+e: c’est " dire d’une uni%ue plante archétypique.

R : Et %uelle serait la contradiction dans la%uelle Vant est tombé M

L : .vant de répondre " ceci, permets moi de dire encore %uel%ue c/ose au su&et des deu-conceptions dont nous sommes en train de parler*

R : D’accord*

L : $’il est vrai %ue les représentations dérivent, au mo en du &ugement, des concepts, et %ue lesimages perceptives ne sont, pour le dire brièvement, %ue des représentations, pro&etées sur le monde," savoir transportées du monde,bidimensionnel intérieur, " celuitridimensionnel e-térieur, ondécouvre alors %ue les réalistes naO#s inversent la sé%uence de ce processus*

R : 5e %ui revient " dire M

L : 5’est " dire %u’ils partent d’un mauvais pied, en identi#iantl’image percepti%e de l’ob et a%ecl’ob et , ils pensent %ue la représentation est une sorte d’empreinte ou de p/otograp/ie de l’ob&et : ou bien encore une simple reproduction intérieure* Il est donc naturel %ue, sur la base d’une pareilleconviction, ils voient ensuite dans le concept un simple nom, seulement utile pour réunir et

cataloguer les représentations* 5omme tu vois, il s’agit d’une sé%uence inversée*R : 5omme cela semble, elle plait au diable (n dit, en e##et, %ue celui l", le diable, n’est %ue lerevers du ro aume de Dieu : ce %ui c/e4 celui ci est en premier, se place c/e4 celui l" en dernier, etinversement*

L : $i tu veu-, disons le ainsi* 5e %ui est certain, de toute manière, c’est %ue la sé%uence réelle desévénements est inversée* SerNele , au contraire, ne l’inverse pas, mais, " cause du #ait d’avoirdécouvert %u’avant l’image perceptive, il a la représentation, et %u’avant la représentation il a leconcept,il a dépouillé cependant celui'ci de son caract)re uni%ersel , il se sent donc en droit deconclure %ue l’ob&et, en de/ors de notre mental n’e-iste pas* Houte#ois, le #ait lui éc/appe %ue si les

c/oses en étaient ainsi, notre e-périence %uotidienne ne serait %u’une /allucination*R : $i &e me souviens bien, l’e##ort de Vant n’a t il pas été celui de réaliser une s nt/èse dese-igences opposées des empiristes et des rationalistes M

L : Le #ait est, cependant, %ue Vant, %uoi%ue animé de cette intention, non seulement n’est pas parvenu " opérer une s nt/èse des contraires, mais il les a carrément doublés* .u lieu d’unecoincidentia< ou d’uneconiunctio, il a en e##et réalisé uneduplicatio oppositorum*

R : 0 savoir M

1 5oincidentia oppositorum [ coOncidence des opposés*9

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L : 0 savoir %u’il a pro eté inconsciemment le concept sur le monde, en l’identi#iant avec la c/ose :non pas avec la c/ose physique, comme les réalistes naO#s, mais il a %uand m3me pro&eté sur lemonde la représentation et l’image perceptive, en les attribuant avec &ustesse au su&et*

R : ;ais les ' catégories ) dont parle Vant ne sont ils pas des concepts M

L : 5e sont e##ectivement des concepts, mais des concepts ' vides ), parce %u’ils ont une valeur ormelle, et non pasréelleou substantielle* Et c’est &ustementla réalité ou la substance inconnue duconcept %ue Vant pro&ette sur le monde et %u’il appelle ' c/ose en soi )* Le #ait est %ue pour pénétrer dans les processus du percevoir et du penser, il #aut adopter un point de vue d nami%ue, etdonc di##érent de celui stati%ue de l’intellect ordinaire* Vant se situe " un niveau de conscienceincontestablement supérieur " celui des réalistes naO#s et de SerNele , mais sa ' c/ose en soi ) révèlela persistance, en lui, d’un élément inconscient*

R : De celui, " savoir, de la réalité du concept* Il me semble comprendre, de toute manière, %u’ile-iste, pour ainsi dire, soit des pro&ections ' p/ siologi%ues ), soit ' pat/ologi%ues )* 5elle %ui, en partant de la représentation intérieure, produit l’image perceptive e-térieure n’est elle pas précisément p/ siologi%ue M

L : 2e dirais, plus simplement, %u’il s’agit de mettre toute c/ose " sa place et dans sa &uste relationavec les autres*

R : Hu ne m’as pas dit, cependant, pour%uoi Vant réalise uneduplicatio oppositorum*

L : 2e vais essa er tout de suite de combler cette lacune* ois tu, Vant prend l’ob&et et le scinde endeu- parties : celle de l’ob&eten soi ou ob&etnouménal et celle de l’ob&et pour nous ou ob&et phénoménal et il #ait ceci aussi avec le su&et, en distinguant le su&et en soi inconnu, le -etranscendantal , du su&et connu, le e empirique*

R : $i l’ob&eten soi et le su&eten soi étaient vraiment inconnaissables, tant notre conscience, %uenotre auto conscience seraient alors illusoires*

L : 5’est vrai $i la conception de SerNele s’en va débouc/er, comme nous l’avons vu, dans une/allucination, celle de Vant en e##et, s’en va sombrer dans l’illusion* Vant raisonne de toute manièreainsi : le monde e-térieur e-erce sur les sens uneaction %ui suscite en nous uneréaction, " savoirune représentation* <ous pouvons cependant conna?tre notre réaction, mais pas ce %ue l’actione-erce sur nos sens*

R : 2e me trompe ou Vant attribue t il " cette #a7on de penser ce caractère intransiti# %ui est propre," l’inverse, au sentir M

L : Hu ne te trompes pas* 2ustement parce %u’il traite le penser " l’instar du sentir, il parvient en

e##et " saisir la réalité sub ecti%e des représentations, mais pas celleob ecti%e des concepts* Il#audrait toute#ois lui rétor%uer : tu soutiens %u’il est impossible de #ranc/ir la limite sub&ective dureprésenter* Sien, et comment #ais tu alors pour conna?tre l’e-istence d’une c/ose ob&ective %uistimule les organes des sens tout aussi ob&ecti#s M ense %ue ceci, selon ce %ue dit Begel, est ' lema-imum de l’inconsé%uence )*

R : 2e comprends l’inconsé%uence* $’il avait été co/érent, il aurait dP soutenir %ue c’est la c/osereprésentée, donc ormelle et non réelle, %ui e-erce une stimulation sur les organes des sensreprésentés, donc ormels et non réels* ;ais celle ci aurait clairement été une absurdité

L : 5omme tu vois, Vant, nonobstant %u’il se #Pt proposé de dépasser l’ob&ectivisme du réalisme

naO#, a #ini par construire son idéalisme criti%ue sur les m3mes bases %ue la conception %u’i

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entendait dépasser* $a logi%ue sub&ective ou ' animi%ue ) présuppose, de #ait, la réalité du corps,tout comme elle est con7ue par le réalisme naO#*

R : Il me semble toute#ois comprendre %ue s’il ne s’était pas arr3té l", la c/ose aurait pu aussi aller bien* 2e veu- dire %ue, au del" de la réalité du corps, reliée au- stimuli et au- impulsions, et au del"de celle de l’Cme, reliée au- représentations, il ePt considéré la réalité de l’esprit, reliée au concept,l’/ pot/è%ue sub&ective se #Pt e##ondrée et donc la contradiction*

L : Il n’ a pas de doute l" dessus Il aurait en e##et découvert, dans le concept ou dans l’esprit,l’essence intérieure de l’ob et e*térieur * $’étant arr3té " l’Cme, il a pro&eté une telle essenceinconsciente sur le monde en tant %ue ' c/ose en soi )* 5omme tu le vois, ceu- %ui croient >comme les réalistes naO#s > en nous représentant le monde, nous le ' reproduisons ) passivement, inissent par égarer l’homme alors %ue ceu- %ui découvrent > comme SerNele et Vant > %ue, ennous le représentant, nous l’imaginons activement, inissent par égarer le monde*

R : 8u’est ce %ui est donc sub&ecti#, et %u’est ce %ui est ob&ecti# M

L : Du point de vue p/ siologi%ue ou logisti%ue, " savoir corporel, sont sub&ecti#s les stimuli ouinput sensoriels et les images perceptives du point de vue ps c/ologi%ue, " savoir de l’Cme, ce sontles sensations et les représentations* Les percepts et les concepts sont, au contraire, ob&ecti#s*

R : $i tu en as la patience, &e voudrais tenter de récapituler*

L : Aais donc*

R : our le réaliste naO#, moi &e suis ici et l’arbre est l" bas, et c’est l’arbre %ui se re#lète dans moesprit mental,ndt !* our SerNele , moi &e suis ici et l" bas il n’ a aucun arbre : ce %ue &e crois von’est en e##et %u’une /allucination ou un mirage* our Vant, moi, &e suis ici et l’arbre est l" bas,mais ce %ue &e vois n’est pas le vrai arbre ou l’arbreen soi, mais plut t un arbre illusoire, ou l’arbre pour moi* 8uand ensuite, au del" de l’arbre, &e me vois moi m3me, &e me trouve en #ace d’une autrillusion, et non pas du vrai 2e* 5’est &uste M

L : Hout &uste our le percevoir, moi &e suis ici et l’arbre est l" bas pour le penser, " l’inverse,cequi est l/'bas est ici et ce qui est ici est l/'bas*

R : .vant de te dire au revoir, &e voudrais te proposer d’aborder, la #ois proc/aine, le problème duconna?tre en a ant parlé la semaine passée du penser, et au&ourd’/ui du percevoir, cela me semble &uste Hu es d’accord M

L : $ans doute .u revoir donc et " la semaine proc/aine*

R : .u revoir*

1

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5in%uième dialogue

R : 0 partir du moment o= nous avons décidé de nous occuper du conna?tre, &e t’ai préparé unesurprise*

L : Une surprise M@ De %uoi s’agit il MR : 2’ai trouvé un ouvrage dans le%uel il a une espèce detest de gnoséologie imaginé par Eduardvon Bartmann*

L : L’auteur de la Philosophie de l’inconscientM

R : En e##et, &ustement lui* Letest se trouve cependant dans un essai intitulé : Les derniers probl)mes de la théorie de la connaissance et de la métaphysique* 8uand &e l’ai vu, &’ai tout desuite pensé " toi

L : eut 3tre veu- tu %ue &e m’ soumette M

R : 5ela me plairait bien* .insi pourrais &e par la m3me occasion mieu- le comprendre, parce %u’iln’est absolument pas évident pour moi*

L : $’il en est ainsi, &e suis pr3t

R : on Bartmann soutient %ue, dans le domaine gnoséologi%ue, on ne peut adopter %ue trois pointsde vue : le point de vue du réalisme naO#, celui de l’idéalisme transcendantal de Vant et celui duréalisme transcendantal, " savoir le sien*

L : Et donc M

R : Et donc, il nous invite " découvrir le%uel de ceu- ci est le n tre, en répondant " trois %uestions précises*

L : Et %u’est ce %ui ne t’a pas paru évident M

R : $es réponses* 0 c/a%ue %uestion, il #ait suivre en e##et la réponse du réalisme naO#, celle del’idéaliste transcendantal et celle du réalisme transcendantal*

L : Sien, commen7ons alors par la première*

R : La voici : ' L’e-istence des c/oses est elle continue ou intermittente M )

L : Et %uelle réponse donne von Bartmann M

R : Il dit : celui %ui répond %ue l’e-istence des c/oses est continue est un réaliste naO# celui %urépond %u’elle est intermittente, est un idéaliste transcendantal celui %ui répond %u’une tellee-istence est en soi continue, mais %u’elle se révèle " la conscience de manière intermittente est unréaliste transcendantal*

L : 2e regrette, mais ma réponse " moi est encore di##érente*

R : Et %uelle est elle M

L : Le problème, en réalité, concerne le percevoir et le penser* Du point de vue du percevoir,l’e-istence des c/oses est intermittente du point de vue du penser, elle est continue*

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R : Et %uelle di##érence a t il entre ta réponse et celle du réalisme transcendantal M Il me sembl%u’elles se ressemblent*

L : ;ais l’apparence trompe our le réaliste transcendantal,alias von Bartmann, l’élémentcontinu, ou bien l’essence ou la ' c/ose en soi ), est inconnaissable, tandis %ue pour moi elle estconnaissable grCce au développement de la conscience*

R : (ui, mais s’il #aut un développement de la conscience, cela veut dire %ue l’élément continu estnormalement inconscient*

L : 5ertes, mais c’est une c/ose de penser %u’il #aut %u’il le reste pour tou&ours, et le dé#inir parconsé%uent comme inconnaissable, et c’en est une autre de penser %u’en développant la conscience,on puisse le #aire appara?tre*

R : 2e comprends*

L : Il #audrait de toute manière lui demander : mais la ' c/ose en soi ) dont tu parles est elleimaginable ou inimaginable M Et si elle est imaginable, comment l’imagines tu M

R : Et comment penses tu %u’il répondrait M

L : 2e ne le sais pas, mais, de deu- c/oses l’une : s’il répondait %u’elle est inimaginable, il devraitalors nous e-pli%uer comment il est parvenu " penser un impensable s’il répondait %u’elle estimaginable, il devrait alors nous e-pli%uer comment il l’imagine : si matérielle ou immatérielle,naturelle ou spirituelle, avec ou sans #orme*

R : Hu veu- peut 3tre dire %ue la ' c/ose en soi ) n’est autre %u’unconcept pensé impensableM

L : 2ustement c’est ainsi En tout cas, pour en revenir " sa réponse, le réaliste transcendantal &ugeintermittente la représentation %ue la conscience se #ait de l’e-istence des c/oses, parce %u’il estconvaincu %u’il ne se révèle pas de représentation s’il n’ a pas de perception, et %u’il ne se révèle

pas de perception si le su&et n’est pas présent*R : Donc, c’est l’image perceptive %ui est intermittente M

L : 5ertes* L’image perceptive est liée auhic et nunc 1 et elle est donc momentanée, alors %ue lareprésentation est durable et reste en nous en tant %u’image mnémoni%ue*

R : 5omme reproduction de l’image perceptive M

L : <on* ense " un peintre %ui observe son uvre* our pouvoir l’observer, il a dP la créer le #aitde l’avoir créée ne l’emp3c/e cependant pas de l’observer et d’en conserver le souvenir* oici, le peintre crée le tableau, nous créons l’image perceptive et ensuite nous nous en souvenons*

R : 2e comprends* $i l’image perceptive est un #ruit, comme tu as dit, de la pro&ection e-térieured’une représentation intérieure, on ne peut pas e-pli%uer celle ci avec celle l", mais l’on doit plut te-pli%uer comment surgit la représentation intérieure*

L : E-act* Hu vois,le pré est un concept etle %ert en est un autre le pré est %ert est inversement un &ugement, " savoir un rapport entre des concepts* 5’est ce &ugement ci %ui se traduit ensuite dans lreprésentationle pré est %ert , la%uelle, pro&etée sur le monde, se traduit " son tour dans l’image perceptive du pré* Hout ce processus se déroule normalement inconsciemment* Le processusconscient ne commence %u’au moment o= nous pro&etons " l’e-térieur la représentation c’est pour%uoi nous sommes induits " croire %ue l’image perceptive est le point de départ, et non pas le point d’arrivée*1 ici et maintenant, nde

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R : 5e n’est donc pas le processus percepti# " partir de l’image perceptive, mais plut t notreconscience*

L : Et sais tu pour%uoi notre conscience ne se réveille %u’au moment o= le processus entierdébouc/e dans l’image perceptive M

R : <on*

L : arce %ue c’est seulement " ce moment %ue le #ruit d’un tel processus sort de nous et s’en va selocaliser dans l’espace tridimensionnel : dans l’uni%ue lieu, " savoir, dans le%uel il peut 3treappré/endé par la conscience ordinaire* 5elle ci, en e##et, conna?t e-clusivement des ob&ets : c’est "dire, tout ce %ui est en de/ors de nous et %ui est autre %ue nous*

R : Donc, celui %ui croit %ue l’image intérieure reproduit celle e-térieure se comporte comme%uel%u’un %ui, ne se rendant pas compte %u’il est entré dans une salle de spectacle en retard, seraitconvaincu %ue le spectacle a commencé au moment m3me o= lui a commencé " le voir*

L : Et pense %u’une idée pourrait se créer d’un spectacle dont, ne l’a ant vu %u’en partie, il seraitconvaincu, lui, de l’avoir vu en entier*

R : 5réer l’image perceptive ne signi#ie pourtant pas créer l’ob&et*L : 5ertainement* <ous, nous ne créons pas les ob&ets, maisnous créons la conscience des ob ets,en partant de leur image perceptive*

R : Et dis moi, la ' c/ose en soi ) de von Bartmann, é%uivaut elle " celle de Vant M

L : <on pas " proprement parler* Hu as vu, en e##et, %ue von Bartmann distingue sa réponse autantde celle du réaliste naO# %ue de celle de l’idéaliste transcendantal* $elon Vant, la ' c/ose en soi ) estabsolument insaisissable, tandis %ue, selon Bartmann, tout en étant directement insaisissable, elle se pr3te " 3tre indirectement e-plorée au mo en d’intuitions, d’in#érences ou d’/ pot/èses*

R : $on point de vue coOncide donc avec celui de la science ' naturelle ) guillemets dutraducteur! M

L : En e##et* 0 partir de ce %ui est connu du su&et, grCce au- indices #ournis par la perception, ons’e##orce de conna?tre une réalité %ue l’on croit impossible " conna?tre autrement*

R : Sien 2e pense %ue le moment est venu de passer " la seconde %uestion* on Bartmaninterroge : ' $i trois personnes sont assises autour d’une table, combien se révèle t il d’e-emplairesde la table M )*

L : Et comment répond il M

R : .insi : 5elui %ui répondun e-emplaire est un réaliste naO# %ui répondtrois e-emplaires est unidéaliste transcendantal %ui dit %u’il atrois e-emplaires plus un est un réaliste transcendantal* Ici,le ' trois plus un 3n’est pas évident pour moi*

L : ois tu, les Vantiens répondent ' trois ) parce %u’ils sont convaincus %u’il se mani#este autantde représentations de la table %u’il a de personnes assises autour, et rien de plus* 0 celles ci, leréalisme transcendantal ra&oute en plus l’inconnue ' table en soi ), la%uelle, grCce au-représentations, se pr3te, comme nous l’avons dit, " 3tre indirectement e-plorée*

R : Et toi, comment répondrais tu M

L : 2e répondrais %ue les images perceptives et les représentations de la table sont trois, mais %ue leconcept de table est un*

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L : 5eci est dP au #ait %ue l’on conna?t la psycho'dynamique, mais %u’on ignore lalogo'dynamique.$ans logo d nami%ue il est vain toute#ois de se mesurer " la réalité vivante du monde et del’/omme*

R : 2e suis en train de penser %ue les sciences naturelles, d’un c té, nous enseignent %ue nous ne pouvons conna?tre, ni ne le pourrons &amais, le pour%uoi et l’essence des c/oses, et la ps c/ologie,de l’autre, nous enseigne %ue nous ne pouvons, ni ne le pourrons &amais, conna?tre le pour%uoi etl’essence de nous m3mes* Il #audrait &ustement dire %u’elles ' nous ont mis le cul entre deu-

c/aises )L : ;al/eureusement il en est bien ainsi* Il s’agit de deu- mani#estations di##érentes du m3meagnosticisme* our 2ung, par e-emple, Le 2e dépendrait d’un su&et inconnu et supérieur : ce %uirevient " dire, d’un"elbst 4"oi, ndt9ou d’un ' $oi ) %ui n’est autre, " bien regarder, %ue le pendant

en #ran7ais dans les te-te ndt ! intérieur de la ' c/ose en soi ) de Vant et de Eduard von Bartmann*

R : .utrement dit, autant ceu- %ui étudient le monde, %ue ceu- %ui étudient l’/omme voudraientnous convaincre %ue nous sommes des dupés " %ui il est seulement concédé de r3ver la réalité, mais pas de la conna?tre*

L : arce %u’en e##et, ils ont adopté, de #ait pour leur part, le célèbreignorabimus prononcé par DuSois Re mond en conclusion de ses deu- con#érences sur le t/ème : ' Les limites de laconnaissance de la nature )*

R : ;ais tous ceu- %ui sont convaincus %ue nous ne pouvons pas conna?tre la réalité en soi, et %uenous nous illusionnons par consé%uent de vouloir le #aire, comment #ont ils pour le savoir M ;3meleur conviction, " la rigueur, devrait 3tre elle aussi une illusion

L : 5rois moi : ' <e discutons pas avec eu-, mais regardons et passons )*

R : Il me semble comprendre, de toute manière, pour en revenir " notre su&et, %u’il est essentiel dedistinguer le conna?tre vivant de celui abstrait*

L : 5ela me #ait plaisir %ue tu le dises* Le vrai problème, en e##et, est celui de la conscience, et deses degrés supérieurs et in#érieurs* La lumière de la connaissance ordinaire est ré#léc/ie commecelle de la Lune* En l’observant et en en remontant le cours, on pourrait cependant passer de cellelunaire " celle solaire, " savoir de la lumière ré#léc/ie " celle vivante, et en retrouver ainsi la source*La conscience abstraite de la%uelle nous partons tous, peut par consé%uent aussi bien nousemprisonner %ue nous montrer la voie de son dépassement*

R : En somme, comme disent les ma?tres en : ' La Lune %ui est ré#léc/ie dans l’étang n’est pas laLune )*

L : 5ertainement Imagine, par e-emple, %ue tu te trouves " l’inauguration d’une e-position* Dansla salle, avec les autres invités, il a aussi le peintre, mais toi, ne le connaissant pas, tu ne peu- pasl’identi#ier* Hu observes cependant ses uvres et " un certain moment tu découvres son autoportrait*Hu regardes alors autour de toi, et tu le reconnais* 5omme tu vois, l’autoportrait du peintre n’est pasle peintre, mais il peut t’aider " le reconna?tre*

R : $i &’ai bien compris, il s’agit donc de partir de l’autoportrait pour aller " la rencontre du peintre :" savoir de ce su&et %ui, selon les réalistes naO#s n’e-iste pas, alors %ue selon Vant, et Eduard vonBartmann e-iste bien, mais on ne peut l’atteindre*

L : Il s’agit, en substance, de remonter, par le penser, du plan de l’identité abstraite ou ré léchie "

celui de l’identité spirituelle réelle* 5omme &e te l’ai dit, c’est un problème de degrés ou de niveau-de conscience*

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R : 2e voulais précisément te demander ce %ue tu entends par ' degrés ou niveau- de conscience )*

L : ois tu, tous savent %u’en dessous du degré de veille ordinaire, il a les degrés du r3ve et dusommeil* ourtant, %uasiment personne n’imagine %u’au del" d’un tel degré, il puisse en avoir desupérieurs* Et pourtant, de m3me %ue pour étudier le r3ve, la veille est nécessaire, ainsi pour étudierla veille il est nécessaire de monter de niveau*

R : 8u’est ce %ue cela veut donc dire ' étudier la veille ) M

L : ]a veut dire, comme nous l’avons vu, penser le penser ou avoir conscience de la conscience : ensomme, cela veut dire, développer l’autoconscience*

R : 2e crains cependant %ue pour appro#ondir cet aspect, il nous #audrait plus de temps %ue celuidont nous disposons*

L : Hu as raison* ;ais pour ne pas nous interrompre maintenant, &e voudrais te donner un e-emple*

R : as *

L : Imagine %ue tu te trouves dans un &ardin en train d’observer un pommier* $i on est en /iver, tu le

verras donc dépouillé de ses #euilles si on est au printemps, tu le verras en #leurs si on est en été,tu le verras c/argé de #ruits si on est en automne tu verras son #euillage #ané* $elon toi, le%uel deces %uatre ' e-emplaires ) de pommier, comme dirait Bartmann, estle pommier M

R : .ucun des %uatre et, " la #ois, tous les %uatre : il s’agit en e##et de %uatre moments di##érents dudevenir du pommier*

L : ;ais le pommier %ui devient, tu le vois M

R : 5ertes, %ue &e le vois

L : Et c’est l" %ue tu te trompes Hu ne vois pas le pommier %uide%ient , mais le pommierde%enu:" savoir le pommier %ui se dresse dans l’espace, et non pas celuiqui %it dans le temps*R : Hu veu- dire %u’avec les eu-, &e peu- uni%uement observer les e##ets produits dans l’espace parle pommier %ui vit dans le temps M

L : 5’est &ustement cela 5eu- %ue tu vois avec les eu- ne sont, en réalité, %ue les p/otogrammessinguliers d’un #ilm : " savoir, les morceau- de pellicule ou segments d’un processus %ui se déroule,dans le temps, avec unecontinuité absolue*

R : En e##et, %uand on observe une plante, on ne saisit %u’un moment de son devenir*

L : Et dis moi : si ce %ui se trouve dans l’espace est produit par ce %ui devient dans le temps, lacause %ui vit dans le temps peut elle 3tre moins réelle %ue l’e##et %u’elle produit dans l’espace M

R : <on, c’est impossible*

L : 5omme tu vois, nous avons découvert %u’au del" de la plante %ue l’on peut voir avec les eu-,il en a une autre %ue l’on peut voir avec la pensée*

R : 5elle ci est elle la ' plante en soi ) de Vant et d’Eduard von Bartmann M

L : as encore* our arriver " la ' plante en soi ), on doit avoir de la patience et procéder par degrés*Essa e d’imaginer " présent %u’" c té du pommier dont nous avons parlé, il ait un poirier*

R : (ui, et alors M

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L : .lors, en les observant, tu peu- penser : ces deu- arbres se nourrissent de la m3me terre, de lam3me eau, du m3me air, de la m3me lumière et vivent m3me, dans le temps, la m3me vie* 8u’est ce%ui #ait donc %ue le premier ait la #orme et la nature du pommier, et le second, respectivement cellesdu poirier M

R : Hu es peut 3tre en train de #aire allusion " un autre niveau de la réalité M

L : En e##et* ;ais une c/ose est :les ni%eau* de la réalité,%uant/ notre conscience de ces ni%eau*,c’en est une autre*

R : D’accord, mais entre ces deu- réalités il aura aussi une relation %uelcon%ue*

L : 5ertes* ;3me les niveau- de conscience sont des niveau- de réalité : &ustement de réalité deconscience*

R : ourrions nous dire %ueles ni%eau* de conscience sont des ni%eau* de réalité et que les ni%eau*de réalité sont des ni%eau* de conscience :

L : ;ais c’est &ustement cela la vérité

R : Et %u’est ce " dire ML : Hant %ue nous distinguons les niveau- de réalité des niveau- de conscience, nous distinguons le percevoir du penser ou le réel de l’idéel* 5ette distinction, %ui est légitime sur le plan de laconscience de l’espace, " savoir l" o= est en vigueur l’opposition entre le su&et et l’ob&et, dès %uel’on remonte de niveau, elle commence " dispara?tre* .u degré de la conscience vivante,le penserest perce%oir et le perce%oir est penser.

R : $i le percevoir comme le penser sont, comme tu as dit, des actes du 2e, on peut en e##et présumer %u’ils soient, " l’origine, une seule et m3me c/ose* Hu n’as pas conclu encore, cependant,ton propos sur le pommier et le poirier*

L : Hu as raison (= en étions nous arrivés M

R : <ous en étions " nous demander ce %ui #ait du pommier un pommier et du poirier un poirier*

L : ./ oui Et bien 5e %ui #ait d’un pommier un pommier et du poirier un poirier c’est laqualité*5elui de la %ualité est un niveau de réalité pas moins concret %ue ceu- du temps et de l’espace %uilui sont subordonnés* 8uand nous observons une plante, par consé%uent, nous ne #aisons riend’autre %ue d’observer une %ualité %ui se développe dans le temps pour se présenter au- sens dansl’espace*

R : Et %u’est ce, en soi, la %ualité en réalité M

L : .ttention : on ne peut pas demander ce qu’est ? en soi 3 la qualité, puisque c’est la qualité /(tre précisément ? l’en soi 3.

R : La %ualité et le concept sont donc la m3me c/ose M

L : rati%uement oui m3me si, sans vouloir 3tre tatillons, nous devrions dire %ue le concept estl’essence de la %ualité, alors %ue la %ualité estl’5me du concept*

R : ;al/eureusement, le moment est venu de se dire au revoir*

L : 5’est vrai, il est tard*

R : De %uoi voulons nous parler la #ois proc/aine M

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L : 2e dirais de ' l’individualité /umaine )* 5’est vrai, en e##et, %ue le conna?tre est une s nt/èse du percevoir et du penser, mais il est vrai aussi %u’une telle s nt/èse se réalise dans l’Cme, et donc dansl’individualité* <’est ce pas M

R : D’accord .lors au revoir

L : .u revoir*

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$i-ième dialogue

R : De tout ce %ue tu m’as dit la #ois passée, devine ce %ui m’a donné le plus " penser*

L : 2e ne saurais dire*

R : Ha réponse et celle de von Bartmann " la troisième %uestion : celle o= il demande combiend’e-emplaires se révèlent de deu- personnes %ui se trouvent dans une pièce* Hu te rappelles M

L : 5ertes Et pour%uoi t’a t elle donné " penser M

R : arce %ue tous deu- vous ave4 répondu ' si- ), en a ant a&outé au- %uatre représentations deu-2e* ;ais le 2e n’est il pas un M

L : <on Le 2e est un pour tous les e-emplaires d’une m3me espèce animale, mais pas pourl’/omme* Houte espèce animale a un 2e collecti#, tandis %ue l’/omme a un 2e individuel*

R : Donc tout /omme est une espèce en soi ML : En e et, une esp)ce ou un concept en soi.

R : Donc, deu- personnes ne se limitent pas pour cette raison " se représenter di##éremment, maiselles sont e##ectivement di##érentes*

L : ois tu, Hi4io, pour 5aio, est autant un ob&et de perception sensible, et donc un corps, %u’unob&et de perception spirituelle, et donc un concept ou un 2e %uand ces deu- perceptions seréunissent, surgit, dans l’Cme de 5aio, la représentation de Hi4io*

R : La représentation est donc une synth)se d’une perception et d’un conceptM

L : 5ertes* <ous pourrions dire aussi, si l’on voulait, %ue la représentation est la mani#estation duconcept et %ue le concept est l’essence de la représentation* 5e %u’il importe le plus de comprendre,de toute manière, c’est %ue le percept et le concept ne sont pasdeu* choses di##érentes, mais bienune m(me chose appré/endée " deu* ni%eau* de conscience di érents* Le moment o= nous percevons pourrait 3tre comparé " celui o= un p3c/eur, en sentant une touc/e sur sa ligne, sait %u’ila pris %uel%ue c/ose, mais il ne sait pas encore %uoi le moment o= nous pensons, pourrait 3tre aucontraire comparé " celui o= le p3c/eur, en tirant sa ligne /ors de l’eau, réalise %u’il s’agit bien d’un poisson ou seulement d’une vieille godasse*

R : 5omme " l’intérieur d’un m3me centre peuvent se révéler plusieurs circon#érences, ainsi "l’intérieur d’un m3me concept peut il donc se révéler plusieurs représentations M

L : De #ait, le concept estun, alors %ue ses représentations peuvent 3tremultiples* <ous disons, pare-emple : ceci est un triangle é%uilatéral cela en un autre, isocèle cet autre encore est un trianglerectangle* 5omme tu vois, nous ne pouvons pas éviter, en nous e-primant, de recourir c/a%ue #oisau mot ' triangle )*

R : ourrais tu 3tre plus clair M

L : ois tu, c’est comme si nous disions : ceci est unquid %ui, dans un cas, a pris la #orme A dansun autre la #orme @, et, dans un autre encore, la #orme *

R : Et lequid est le concept*

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L : 5e serait évident, mais il ne l’est pas, parce %ue l’on croit %ue l’on se représente la c/ose, et non pas le concept ou, plus précisément, %ue c’est le contenu sensible de la perception %ui #orme lareprésentation* Sien %ue Begel ait parlé de la représentation comme d une ' métap/ore ) duconcept, l’on n’a pas encore réalisé %uele %rai contenu de la perception est ustement le concept oul’essence immatérielle des choses*

R : Et pour%uoi ne l’a t on point encore réalisé M

L : arce %ue l’on redoute de lCc/er les amarres %ui nous relient " l’e-périence sensible* $ais tu ce%ue déclare Begel " ce propos M

R : <on, %ue dit il M

L : Il dit %u’" la conscience ordinaire il semble %u’en lui tant la représentation, on lui te un terrainsans le%uel elle ne dispose plus de son /abituelle base solide*

R : Hu m’as #ait penser %ue 2ung, %ue tu as aussi cité, parle du soi disant ' arc/ét pe en soi )comme d’une acultas prae ormandi< comparable au s stème a-ial immatériel d’un cristal %ui pré#orme, dans un certain sens, la cristallisation dans l’eau mère*

L : 5ependant, on n’arrive pas " la vérité si l’on ne reconna?t pas %ue la acultas, %ui pour 2ung pré#orme ' des images arc/ét pes ), est &ustement du concept : " savoir, si l’on ne reconna?t pas laréalité essentielle ou spirituelle du concept*

R : 5’est donc en vertu de cette acultas %ue Hi4io se #ait une représentation de soi et de 5aio, et%ue 5aio se #ait une représentation de soi et de Hi4io*

L : En #aisant levier, cependant, Hi4io, sur le concept et sur le 2e de 5aio et, 5aio, sur le concept oule 2e de Hi4io*

R : ourrions nous dire, donc, %ue la représentation est un concept ' personnalisé ) M

L : Sien sPr 8uand nous disons, par e-emple : ' 2e suis #ait ainsi ), nous ne nous rendons pascompte %u’une c/ose est le 2e, et une autre son v3tement caractéristi%ue ou bio constitutionnel*

R : Une c/ose est donc le 2e %ue nous sommes, une autre la nature ps c/i%ue et p/ si%ue %ue nousavons*

L : (n peut en e##et dire %ue ' l’on a ) une Cme et un corps, mais on ne peut pas dire %ue ' l’on a )un 2e, puis%ue le 2e on l’est , on ne l’a pas* 5elui %ui parlerait de ' son ) 2e, démontrerait seulement%u’il ignore %ue le 2e est tou&ours le possesseur et &amais le possédé*

R : <ous sommes donc des 3tres /umains, parce %ue nous sommes des 2e* Seaucoup considèrenttoute#ois l’3tre /umain comme une abstraction* Hoi m3me as rappelé, par e-emple, %ue, pourSerNele , ' l’/omme en général ) n’e-iste pas*

L : 2e le sais* our SerNele et pour les nominalistes comme lui, l’/omme universel n’est %u’une sententia %ocum ou un latus %ociB* ;ais ceci dépend du #ait %u’il a celui %ui, pour voircethomme'ci,ne voit pas l’homme et celui %ui, pour voir l’homme, ne voit pascet homme'ci.

R : ;ais n’as tu pas dit toi m3me %ue le 2e /umain est individuel, et non collecti# comme celui desautres espèces animales M

1

c’est " dire une #aculté de pré#ormation, nde La sententia vocum La doctrine des mots ! .llusion " l’ uvre du nominaliste Roscelin du IIe siècle* Alatus voci, #latus vocis émissions de voi-! : e-pression latine relative " des paroles dénuées de sens, sans intér3ts

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L : <on seulement, mais il a dit aussi : ' La caractéristi%ue la plus incompré/ensible du monde c’estsa compré/ensibilité )* Il ignorait donc %ue la pensée se trouve aussi dans le monde et %ue l’ob&et etle su&et ne sont essentiellement, %u’une m3me c/ose*

R : Les c/oses sont ainsi %ue &e pense %ue l’on pourrait carrément renverser le problème*

L : 8u’est ce " dire M

R : 8ue l’on pourrait se demander non pas pour%uoi l’ob&et et le su&et sont une m3me c/ose, mais pour %uelle raison nous les e-périmentons séparés et &u-taposés*

L : Hu as raison Hu dois cependant considérer %ue les ob&ets, nous les e-périmentons ainsi dansl’espace seulement, et seulement " cause de la perception sensible* Dans le r3ve, par e-emple, nousretrouvons les c/oses %ui dans la veille sont en de/ors de nous, et nous les e-périmentons "l’intérieur de nous* L’auto conscience ou la conscience du 2e ne pouvait, d’une autre c té, %uena?tre de cette #a7on*

R : Et pour%uoi donc M

L : arce %ue c’est seulement en se séparant du monde et des autres %ue le su&et peut prendre

conscience de soi comme un -e opposé / un non'-e* 5e %ui permet au su&et de réaliser ce premierdegré d’auto conscience est un mouvement dis&oncti#, et donc d’antipathie, alors %ue celui %ui lui permet de retourner au monde et au- autres, grCce " une conscience supérieure et plus mPre, est unmoti# uniti#, et donc de sympathie*

R : L’auto conscience de l’ego est donc une auto conscience embr onnaire*

L : 5ela ne #ait aucun doute Hant %ue nous connaissons l’ob&et, nous sommesconscients %uandnous connaissons l’ob&et et nous m3mes, nous sommesauto'conscients* ;ais cette auto consciencerepose sur notre opposition de nature égoO%ue ou, si tu veu-, ' cartésienne ), " l’ob&et* .u momentm3me o= cette opposition dispara?t, notre auto conscience s’amenuise en e##et* 5’est ce %ui arrive

par e-emple, %uand nous nous endormons et %uand nous nous évanouissons*R : Devrions nous donc dépasser cette opposition sans perdre pour cela l’auto conscience M

L : 5’est cela &ustement l’ob&ecti# " atteindre, au mo en d’un développement supérieur du penser,de la conscience et de l’auto conscience* L’auto conscience coOncide avec la conscience de l’ob&eseulement %uand le 2e parvient " reconna?trel’ob et en lui et lui dans l’ob et *

R : Le domaine des représentations, pour en revenir " notre su&et, est il donc celui de lasub&ectivité M

L : (ui* eu- tu #aire " ce propos une petite e-périence M

R : .ssurément De %uoi s’agit il M

L : Il s’agit de #ermer les eu- et d’imaginer la m3me c/ose : %ue sais &e, un c/ien*

R : Sien, essa ons*

L : Es tu pr3t M 8uand &e donnerai le départ, #erme les eu- et imagine %ue tu es un c/ien &e #e pareil*

R : 2e suis pr3t*

L : .lors, allons @ ]a est M

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R : ;oi, oui, et toi M

L : ;oi aussi@ Sien, " présent, rouvre les eu- et dis moi %uel c/ien tu t’es imaginé*

R : Un berger allemand*

L : ;oi, au contraire, un canic/e*

R : E/ bien M

L : E/ bien Essa e " présent de penser " ce %ui serait arrivé si &e t’avais invité " imaginerle c/ien,et non pasun c/ien*

R : ;ais on ne peut pas imaginerle c/ien

L : 5’est vrai, mais pour %uelle raison M

R : our %uelle raison M

L : our la simple raison %uele c/ien est un concept*

R : Et le concept, as tu dit, se trouve au del" du domaine imaginati# et il est privé de #orme*L : Sien ;aintenant, essa e donc d’imaginer %u’il ait ici, avec nous une troisième personne %ui,dans sa vie, n’ait &amais vu un c/ien*

R : Et alors M

L : .lors, si nous lui proposions notre petite e-périence, nous découvrions %u’elle n’est pas enmesure de se représenter un c/ien*

R : arce %u’elle n’en a &amais per7u M

L : arce %u’elle n’en a &amais #ait une e-périence* <ous pouvons en e##et dé#inir ' notre )e-périence comme étant constituée de toutes les représentations %ue nous avons #aites* GrCce au percevoir, et au penser, nous entrons matériellement et spirituellement en contact avec la réalitéob&ective, mais c’est en vertu des représentations %ue ce contact se trans#orme en e-périencesub&ective ou personnelle et est ensuite gardé en mémoire*

R : Estimes tu %ue ceci se produit parce %ue les représentations sont investies par le sentiment M

L : 5ertes* Le sentir,relié / l’acti%ité de ugement , sert de médiateur, dans l’Cme, entre le penser etle vouloir,relié au perce%oir , entre l’esprit et le corps ou, si tu veu-, entre l’universel et le singulier*8uand il est trop in#luencé par le corps et par ses besoins, l’/ori4on de l’Cme se restreint et la vie du

sentir s’appauvrit* De cette #a7on, comme dirait Guicciardi, les intér3ts ' particuliers ) #inissent par prendre le dessus sur ceu- générau- ou universels*

R : Il me semble %ue l’Cme, non seulement voit se restreindre son propre /ori4on, mais descendaussi de niveau* <ous pouvons avoir de nobles sentiments élevés, mais nous pouvons aussi nouslaisser aller " la mes%uinerie et au- bassesses*

L : 2e suis d’accord* <ous pourrions dire, en e##et, en parap/rasant <iet4sc/e, %ue la vie de l’Cmeest une corde tendue entre la vie de l’esprit et celle du corps, et %u’elle peut, pour cette raison, 3treaccablée, et rendue %uasiment dés /umaine ou in/umaine, aussi bien par la vie du corps %ui, enl’arrac/ant au ciel, la rend mes%uine, %ue par la vie de l’esprit %ui, en l’arrac/ant " la Herre, la

dessèc/e*

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R : Hu as remar%ué " ce propos, %ue si tu traites %uel%u’un d’animal, celui ci s’o##ense, alors %uetu a##irmes, comme le #ait la science au&ourd’/ui, %ue l’/omme, %uand bien m3me intelligent, n’esttou&ours %u’un animal, personne ne s’o##ense M 5elle ci est aussi une démonstration du commenau&ourd’/ui en nous, le ' particulier ) domine@

L : He rappelles tu ce %ue dit le Saptiste, alors %u’il baptise " Enon, en parlant du 5/rist 2ésus M

R : <on, &e ne me rappelle plus*

L : Il dit : ' Il #aut %u’Il grandisse, et %ue moi &e diminue )*

R : 5e %ui signi#ierait, de notre point de vue, %u’en c/acun de nous devrait grandirl’homme etdiminuercet homme'ci*

L : 5’est bien cela

R : L’/eure est venue de nous %uitter* .s tu %uel%ue idée au su&et du t/ème de notre proc/ainerencontre M

L : 2’ai pensé %ue ce ne serait pas mal de revenir sur certaines c/oses %ue nous avons traitées %uand

nous nous sommes occupés du conna?tre : par e-emple, sur celles relatives " l’agnosticisme et au-soi disant ' limites de la connaissance )* 8u’en dis tu M

R : ar#ait

L : .lors d’accord* .u revoir et " la semaine proc/aine*

R : .u revoir*

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$eptième dialogue

R : u %ue nous nous étions proposés de reparler des limites de la connaissance, pendant cettesemaine, &e me suis mis " regarder mes notes et &e me suis /eurté " deu- problèmes*

L : Les%uels MR : L’un est celui ci : &e me suis demandé s’il pouvait se #aire %ue notre connaissance #Pt limitée "cause du percevoir et non pas, comme on le croit le plus souvent, du penser M

L : 8u’entends tu par l" M

R : 2’entends dire %ue s’il est vrai, comme tu le soutiens, %ue le monde est pour nous unensemblede perceptions et de relations idéelles entre les perceptions, il su##irait alors de démontrer %ue ledomaine de la perception est limité parce %ue celui de la connaissance l’est également*

L : Et comment pourrait on le démontrer M

R : Hu as dit, par e-emple, %ue le percevoir nous permet non seulement d’e-traire ou d’abstraire, del’ensemble du monde, les ob&ets singuliers, mais aussi d’e-traire ou d’abstraire, de l’ob&et singulier,un nombre de %ualités égal " celui des sens impli%ués dans sa perception* Hu te rappelles M

L : 5ertes, et alors M

R : Et alors on en vient " s’interroger : combien d’autres %ualités se mani#esteraient " nous si nousétions dotés d’un plus grand nombre de sens M

L : De sens p/ si%ues M

R : (ui, ou d’autres sens %ui nous mettent en rapport avec le monde sensible*

L : ;ais prends garde %ue si nous disposions d’un plus grand nombre de sens, le monde nousappara?trait di##érent, mais du point de vue cogniti# les c/oses ne c/angeraient pas du tout*

R : Elles ne c/angeraient pas du tout M

L : 5ertainement* <ous devrions tou&ours résoudre en concept le surplus en #ran7ais dans le te-te,ndt ! des percepts, et la connaissance en gagnerait peut 3tre en e-tension, mais pas en pro#ondeur*

R : Reste de toute manière le #ait %ue le nombre des sens dont nous disposons est limité*

L : ;ais e-cuse moi, limité par rapport " %uoi*

R : Eu/@ &e ne saurais dire* En tout cas, m3me les capacités de c/a%ue sens sont indiscutablementlimitées* .ucun /omme, par e-emple, n’a le m3me odorat %u’un c/ien ou la m3me vue %ue l’aigle*

L : 5’est vrai* 5onsidère, cependant, %ue c’est &ustement la spécialisation de leurs sens %ui limiteles animau-* Les c/iens, par e-emple, ne sont au #ond %ue des ' ne4 ) ambulants* 5e %u’il perd entermes de spécialisation, et donc d’unilatéralités, l’/omme le gagne en termes de variétés etd’e-/austivité*

R : 2e comprends*

L : Il a plut t " #aire une autre considération*Q6

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R : La%uelle M

L : ois tu, la réalité de l’3tre /umain ne se caractérise pas seulement en raison de ce %ue sonorganisation sensorielle lui permet de percevoir, mais aussi en raison de ce %ui l’emp3c/e de percevoir : " savoir de ce %u’il e-clut de son /ori4on*

R : 2e ne comprends pas

L : $elon toi, %ue #erait un c/ien dont la vue ou l’ouOe aurait le m3me degré de développement %uel’odorat M

R : 2e ne saurais répondre*

L : 5’est simple : ce ne serait plus un c/ien

R : Il ne le serait plus parce %u’un c/ien est un c/ien car il est #ait comme il est #ait, parce %ue &ustement, comme tu l’as dit, c’est un ' ne4 ambulant ) M

L : Il en est &ustement ainsi ;ais cela vaut aussi pour l’/omme* .utant il est /omme, et non pasange ou animal, autant il est #ait comme il est #ait, et pas autrement* 5e %ui importe c’est %ue

l’/omme se connaisse ainsi comme il est, sans #antasmer sur ce %ui arriverait s’il était di##érent*R : Les soi disant ' limites ) ne sont donc pas des limites M

L : ;ais vois tu, c/e4 l’/omme, le limité et l’illimité, le #ini et l’in#ini vivent ensemble* $ur le plancogniti#, ce %ui appara?t #ini au percevoir se résout dans l’in#inité du penser sur le plan créati# omoral, ce %ui est deviné dans l’in#inité du penser s’incarne ou se réalise dans un acte #ini ou limité*

R : Des limites, il en a donc, mais il aussi la possibilité de les dépasser*

L : Es tu éventuellement en mesure de me citer un seul poète ou un seul écrivain %ui ait renoncé "écrire " cause du #ait %ue le nombre des lettres de l’alp/abet est limité M (u un seul musicien %ui aitrenoncé " composer " cause du #ait %ue les notes dont il dispose ne sont %ue sept MR : Il s’agit cependant d’artistes et non pas de scienti#i%ues

L : ;ais la science aussi est une création* L’artiste crée sur la Terre tout ce qu’il conna;t dansl’esprit, tandis que le scienti ique crée dans l’esprit tout ce qu’il conna;t sur la Terre* <onseulement, mais, grCce " l’art et " la science, tous deu- se connaissent et se créent eu- m3mes*

R : La connaissance est donc une a##aire %ue l’/omme doit résoudre avec lui m3me M

L : 5e n’est pas le monde %ui nous posent les interrogations ce sont nous %ui les posons* Laconnaissance surgit par le -e et pour le -e*

R : our en revenir " ton e-emple, il #aut donc penser %ue seul un mauvais artiste imputerait " lalimitation des mo ens dont il dispose sa propre impuissance créatrice*

L : Hout comme un mauvais penseur imputerait " la limitation des données %ui lui sont #ournies parle sens sa propre impuissance cognitive*

R : our ce %ui concerne ce problème, &e l’estime satis#ait* $i cela ne te déplait pas, &e voudrai passer " l’autre*

L : Dis, &e t’en prie*

QF

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R : Dans le cours de nos entretiens, tu as plus d’une #ois a##irmé %ue la pensée intellectuelleordinaire, en raison de son caractère stati%ue et abstrait, ne peut pas se mesurer de manière valableavec la réalité vivante et concrète du monde*

L : Et alors M

R : .lors, il me semble, %u’en disant ceci tu aies négligé un concept %ui #ait désormais partieintégrante de la conscience et de la culture moderne*

L : Le%uel M

R : Le concept d’énergie* GrCce " celui ci, par e-emple, la p/ si%ue et la ps c/ologie ont #ait desgrands pas en avant* 5omment se #ait il %ue tu ne l’aies pas pris en compte M

L : ;ais prends garde %ue lors%ue nous avons parlé de la plante %ui appara?t dans l’espace et vitdans le temps, &e me suis ré#éré implicitement " la #orce ou " l’énergie* Hu te rappelles M

R : 2e me souviens

L : La plante %ui vit dans le temps n’est pas une c/ose, mais bien plut t une #orce ou une énergie* $i

tu veu-, nous pouvons en reparler*R : 2e crois %u’il le #audrait* Hu as dit et répété %ue le réalisme naO# opère une réi#ication dconcept : " savoir, %u’il identi#ie le concept avec la c/ose* .lors, &e me demande : %u’arrive t il%uand " la place de la c/ose est mise au contraire la #orce ou l’énergie M

L : 5’est vite dit : le réalisme naO# se trans#orme en réalisme métap/ si%ue*

R : ;étap/ si%ue M

L : (ui, métap/ si%ue* Hu te souviens %uand &e proposai, en parlant du penser, de distinguer le penser , en tant %ue verbe ou activité, du pensé, en tant %ue concept ou idée M

R : 2e m’en souviens très bien*

L : E/ bien, on est réalistes na s quand on pro ette le pensé, tandis qu’on est réalistesmétaphysiques quand on pro ette le penser *

R : ;ais une #orce ne se pr3te pas " 3tre réi#iée ou matérialisée*

L : Et pourtant, en la dé#inissant, comme le #ait au&ourd’/ui la science, ' grandeur p/ si%ue ), de%uel%ue #a7on elle la réi#ie ou la matérialise*

R : Elle est donc métap/ si%ue, parce %ue ' demi p/ si%ue ) M

L : Hu plaisantes, mais il a du vrai* Le #ait est %ue le concept actuel d’énergie est l’é%uivalentd nami%ue de celui stati%ue de la ' c/ose en soi )*

R : En e##et, l’énergie ' en soi ) est estimée inconnaissable* Dans un ouvrage de ps c/o d nami%ue, &e me rappelle avoir lu &ustement ces mots : personne n’a &amais vu l’énergie ps c/i%ue et personn &amais ne la verra, certes, pas plus #acilement %ue %uel%u’un %ui n’a &amais vu de #orme %uelcod’énergie p/ si%ue*

L : 8u’est ce %ue &e te disais M ersonne n’a &amais vu ni ne verra &amais l’énergie en soi tocomme personne, selon Vant, et Eduard von Bartmann, n’a &amais vu et ne verra &amais la ' c/ose

en soi )*

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R : Les c/oses se per7oivent en #ait de manière directe, alors %ue l’énergie, on ne peut %ue la présumer, l’in#érer ou en #aire l’/ pot/èse en vertu de ses e##ets*

L : ;ais le réaliste naO#, étant donné %u’il ne pense %ue le perceptible, ne devrait pas penser %uoi%ue ce soit de réel l" o= il n’ a pas %uoi %ue ce soit de perceptible* <on seulement, mais s’il croit%uenihil est in intellectu quod prius non uerit in sensu<, comment #ait il alors pour avoirinintellectu le concept d’énergie M

R : Il me semble évident : en observant le mouvement, la vie ou le devenir des c/oses*

L : D’accord* ;ais avec les eu-, comme nous l’avons vu en son temps, on ne peut observer %ueles e##ets du devenir dans l’espace, " savoir le devenu et non pas le devenir* Le #ait est %u’une telleénergie, on la saisit par la pensée,mais l’on ne s’imagine pas qu’elle puisse a%oir, en soi, la m(menature que la pensée* En étant incapable de la découvrir dans la vie de la pensée, le réalistemétap/ si%ue localise alors une telle #orce ou énergie dans un monde absolument improbable, parce%u’étranger, aussi bien au percevoir %u’au penser*

R : Hu veu- dire, si &’ai bien compris, %ue le réaliste métap/ si%ue a&oute, " la réalité perceptibledes c/oses, celle imperceptible de l’énergie, pensée comme une #orce %ui n’a pas de nature idéelle,c’est " dire pensable, ni de nature matérielle, c’est " dire perceptibleM

L : Hu as bien compris* 5ette conception est dite ' métap/ si%ue ) &ustement parce %u’elle se révèleabsolument in&usti#iée du point de vue de l’e-périence*

R : ;3me au- réalistes métap/ si%ues on devrait donc demander de %uelle manière ils imaginentleur énergie*

L : ;ais vois tu, " leur énergie inconnue, ils con#èrent, de #ait, certaines des %ualités %u’ilsconnaissent grCce " la perception sensible, en #inissant ainsi par imaginerla nature d’unimperceptible comme celle d’un perceptible*

R : Hu entends dire %u’ils imaginent l’énergie comme un imperceptible doté de %ualités analoguesou a##ines " celles apprises au mo en de la perception sensible M

L : Ils ne la dé#iniraient pas, autrement, comme une ' grandeur p/ si%ue )*

R : Hu viens &uste de dire %ue la nature essentielle de l’énergie coOncide avec celle de la pensée* Huveu- peut 3tre dire %ue c’est la #orce inconnue du penser " mouvoir le monde et " donner vie au-3tres M

L : Rappelle toi l’\vangile de 2ean : ' En lui était la vie, et la vie était la lumière des /ommes ) etDante M : ' L’amour %ui meut le $oleil et les autres étoiles )* Le penser, avant de se coaguler ou de

se #iger dans un pensé, est un pur mou%ement, une pure orce ou pure énergie* ense, %ue sais &e, "deu- adversaires politi%ues : pour pouvoir s’a##ronter dialecti%uement, avec leurs pensés opposés,ils doivent nécessairement se servir du m3me penser* 5omme l’eau prend la #orme du récipient dansle%uel on la verse, ainsi la #orce #luide du penser prend une #orme c/e4 l’un et celle opposée c/e4l’autre*

R : $ans %u’ils s’en rendent compte*

L : $e représente donc, comme tu le vois, l’e-igence d’un développementqualitati de laconscience et de l’auto conscience, parce %ue l’/omme, bien %ue cela sonne de manière parado-ale,n’est pas encoreconscient de son (tre conscient * 8uel%u’un a dit pour le coup : ' L’/omme conna?t

1 Rien dans l_intelligence %ui n_ait été d_abord dans la sensation, les sens*Q9

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et de %uel%ue manière domine le monde au mo en de la pensée* La contradiction, c’est %u’il neconna?t ni ne domine la pensée )*

R : 2e commence " me rendre compte %u’il s’agit l" d’une grande vérité*

L : 5ela me #ait plaisir de te l’entendre dire* 8ui n’est pas conscient de la #orce de vie et de lumièredont découle la pensée ordinaire, pro&ette une telle #orce sur une entité p/ si%ue ou métap/ si%ue :sur une entité %ui, c/argée de la #orce aliénée de la pensée, #init par le sub&uguer*

R : L’état d’aliénation de l’/omme moderne, dénoncé par ;ar-, par e-emple, est il donc l’étatd’aliénation dans le%uel se &ette la pensée M

L : Dans le%uel se &ettent en réalité le penser, le sentir et le vouloir* ;ais il n’ a pas d’espoir de ledépasser si l’on ne commence pas par celui du penser*

R : 2e suppose %ue la mort du penser comporte celle des idées : telle est peut 3tre ' la c/ute desdieu- M )

L : $i on voulait, on pourrait aussi le dire ainsi* Garde " l’esprit toute#ois, %ue Dimitri ;ere4NovsNia écrit un livre intitulé : La résurrection des dieu**

R : 2e l’ai lu* 5’est une biograp/ie de Léonard de inci, et la résurrection dont il parle est celle de laRenaissance*

L : ;ais une nouvelle Renaissance peut au&ourd’/ui commencer seulement comme renaissance ourésurrection de la pensée et de la conscience*

R : En somme, pour revenir " notre su&et,la chose ? en soi 3 c’est le concept aliéné et ? l’énergieen soi 3 c’est le penser aliéné*

L : E-act* our nous assurer de tout ce dont nous sommes tous deu- ignorants, prenons par e-emple%uatre #rères, %ue nous appellerons : ., S, 5, D* <ous les avons d’abord comme ob&ets de perception et ensuite nous les déterminons, au mo en du penser, en tant %ue concepts*

R : D’accord*

L : .près avoir résolu les percepts en concepts, nous pouvons découvrir les relations %ui e-istententre ceu- ci, et &uger, disons, %ue . est plus grand %ue S, et %ue 5 est plus petit %ue D*

R : E/ bien M

L : E/ bien, arrivés " ce point, nous devons oublier ., S, 5 et D, pour nous concentrer seulementsur des relations %ue nous avons découvertes : " savoir sur des concepts de plus grand et de plus

petit , %ue nous appellerons, respectivement, * et y*R : Hu veu- peut 3tre dire %u’après avoir observé ., S, 5 et D, nous devrions observer * et y etdécouvrir éventuellement aussi entre eu- une relation M

L : Il en est &ustement ainsi <ous devrions découvrir %uelle relation il a entre ces deu- relationsou, si tu pré#ères, ce %u’elles ont en commun*

R : Et %u’ont elles en commun M

L : En tant %ue relationsdéterminées, elles ont en commun la #orceindéterminée de la mise enrelation*

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R : 5’est " dire une #orce %ui se coagule, dans un cas, sous la #orme * et, dans l’autre, sous la #orme yM ;ais cette #orce n’est elle pas celle du penser M

L : 5ertes, mais on n’en est pres%ue &amais conscients* 5ombien sont ils " avoir réalisé %u’uneloinaturelle n’e-prime rien d’autre %ue la relation idéelle e-istante entre des concepts dans les%uelsont été d’abord résolus les percepts des ob&ets singuliers ou des p/énomènes singuliers M

R : 5omme les concepts ou les idées apparaissent au- sens sous #orme de c/oses, ainsi les relationsentre les concepts ou les idées apparaissent elles " la pensée sous #orme de lois M

L : E-act, sous #orme de &ugements #ormulés par le penser*

R : 2e suis désolé, mais &e vais devoir te dire au revoir* De %uoi aimerions nous parler la proc/aine#ois M

L : Dans notre première rencontre, nous nous sommes occupés de la liberté, en disant %u’avantd’a##ronter le problème sur le plan ét/i%ue, il aurait été opportun de l’a##ronter sur le plan noéti%ue, pour comprendre %uelle valeur a le penser, et par cela m3me, le #ait d’3tre conscients*

R : Sien, nous commencerons alors " en parler la #ois proc/aine* D’accord M

L : D’accord* .u revoir donc et " la proc/aine #ois*

R : .u revoir*

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Buitième dialogue

R : <ous nous sommes %uittés, la #ois passée, avec la proposition de commencer " parlerau&ourd’/ui de la ' réalité ) de la liberté* ;ais ne crains tu pas, %u’en utilisant cette e-pression, l’on puisse penser %ue le ' concept ) de la liberté, résultat de la science de la liberté dont nous sommes préoccupés &us%u’alors, soit irréel ML : 2e ne crois pas, après tout ce %ue nous avons dit, %u’il puisse surgir un doute de ce genre* Herappelles tu, de toute manière, comment commence le ème c/ant du Paradis de Dante M

R : Sien sPr : ' ierge mère, #ille de ton #ils@ )*

L : E/ bien, pour la liberté, le m3me parado-e semble valoir* En e##et, comme la science de laliberté présuppose la liberté, commeessence ou concept , ainsi la réalité de la liberté, en tant%u’e*istence ou pratique, présuppose la science de la liberté* 5omme tu vois, la liberté est " la #ois' mère et ' #ille ) de la science de la liberté* $elon 5roce, par e-emple, les .llemands avaient le

concept de la liberté, mais pas sa prati%ue, tandis %ue les .nglais avaient la prati%ue de la liberté,mais pas son concept* 5e %ui signi#ie, c’est l’occasion d’a&outer, %u’autant les uns %ue les autren’avaient pas de liberté*

R : La réalité de la liberté est elle donc l’incarnation de la liberté M

L : L’\vangile ne dit il pas : ' ous conna?tre4 la vérité et la vérité vous rendra libres )* La véritéde la liberté est la vérité m3me de l’/omme, et son incarnation n’est donc %ue l’incarnation du 2e*

R : Est ce pour cela %ue tous ceu- %ui nient la liberté nient, comme tu dis, aussi le su&et M

L : 5ertes 0 partir du moment o= il s’agit d’une m3me réalité, l’on ne peut pas nier la liberté sansnier le su&et et l’on ne peut pas nier le su&et sans nier la liberté* $i tu te souviens, &’a&outai %uedi##iculté de concevoir l’3tre de la liberté n’est &ustement pas di##érente de celle %ui emp3c/e deconcevoir l’3tre de l’idée ou l’3tre du &e*

R : La liberté est donc un su et , et non pas unob et *

L : L’on devrait en e##et se demander : ' 8ui est la liberté M ), et non pas : ' 8u’est ce %ue laliberté M )*

R : L’/omme lui m3me est il la liberté M

L : (ui* Garde " l’esprit, toute#ois, %uel’homme est un (tre en de%enir , et donc un 3tre %ui ne s’est pas encore pleinement réalisé et %ui n’a pas encore amené son 3tre " e-ister*

R : En somme : ' 5omment l’on devient ce %ue l’on est )* Hu te rappelles M 5’est le sous titre del’ Ecce >omo de <iet4sc/e*

L : 2e m’en souviens* Dans notre cas, cependant, il s’agit de l’/omme, et non pas du ' super/omme )* L’/omme, " la di##érence des minérau-, des plantes et des animau-, est un 3tre nonseulement inac/evé, mais aussi appelé " #aire avancer lui m3me sa propre évolution* Les soi disant' règnes ) de la nature sont en réalité desétats de cet (tre qui est présent et %it seulement dansl’homme*

R : De tels règnes représentent ils donc la passé de l’/omme M

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L : 5ertainement* Le passé d’un 3tre %ui, avec la connaissance de la nature, conna?t son propre passé ou sa propre /istoire, en parvenant ainsi " la conscience de soi*

R : Hout ceci impli%ue évidemment l’activité du penser*

L : (u pour mieu- dire, du conna?tre, puis%ue seule cette activité e##ectue, comme nous l’avons dit,une s nt/èse du percevoir et du penser* 8uand on distingue, dans le sillage de Vant, la ' raison prati%ue ) de la ' raison pure ), on ne se rappelle prati%uement &amais %ue la première, comme dit$c/elling, produit ' des idées sous #orme d’actions ), alors %ue la seconde produit ' des actions sous#orme d’idées )* En e##et, l’acte du 2e est un, et derrière le vouloir il a tou&ours le penser, toutcomme derrière le penser, il a tou&ours le vouloir* Il est indispensable de rappeler cependant %uel’/omme du sentir et l’/omme du vouloir sont encore rattac/és, respectivement, au r3ve et ausommeil, c’est " dire " la nature vivante, tandis %ue l’/omme du penser et de la veille na?t l" o=meurt la nature*

R : Et o= est ce %ue la nature meurt M

L : / si%uement, dans le s stème osseu- et dans celui neurosensoriel, spécialement dans ce %u’onappelle le ' corte- ) ou ' neocorte- )* our s’en convaincre, il su##irait par e-emple de comparer lacellule nerveuse %ui n’est pas en mesure de se régénérer, avec celle /épati%ue, %ui est " tel pointvivante %u’elle permet la régénération d’un #oie, m3me après une ablation de KJ *

R : 5’est #rappant, en e##et, %ue la nature meure &ustement l" o= se déroule l’activité pensante*

L : u %ue $c/elling, tou&ours, a a##irmé %ue ' la nature est l’esprit invisible ) et %ue ' l’esprit est lanature visible ), nous pourrions dire %ue c’est l" o= la nature meurt %ue l’esprit d’invisible devientvisible*

R : 0 la lumière de tout ce %ue nous avons dit lors de nos premières rencontres, il me semblecomprendre cependant %ue l’esprit visible ou la pensée consciente est celle abstraite : " savoir celle%ui nous donne la #orme, mais pas la #orce, ou le contenu des idées*

L: 5e %ui nous donne donc la #orme vide de l’esprit, et non pas sa réalité vivante* He rappelles tu lemoment o= nous parlCmes des miroirs dé#ormants M

R : En e##et, si nous étions convaincus %ue notre #orme corporelle #Pt celle %ui nous est restituée pal’un de ces miroirs, n’aurions nous pas une conscience #ausse de notre corps M 5’est vrai, en #ait,%ue si nous ne nous re#létions pas dans un miroir, nous n’aurions pas notre image, mais il est vraiaussi %ue celle %ue nous restitue le miroir dépend, non seulement de nous, mais aussi descaractéristi%ues du miroir*

R : Es tu en train de me proposer de distinguer l’(tre de l’esprit de laconscience ré léchie d’un tel

(tre, et de considérer %ue celle ci dépend non seulement de l’3tre de l’esprit, mais aussi descaractéristi%ues de la réalité dans la%uelle elle se re#lète M

L : 5’est précisément cela* 8u’est ce %ui se passe en #ait M Il se passe %ue laconscience de l’(tre del’esprit, parce %ue ré#léc/ie ou médiatisée par lenon'(tre de la nature, " savoir par la nature morte,se réalise comme uneconscience du non'(tre de l’(tre*

R : 5e %ui vaut, naturellement, aussi pour l’3tre du 2e et pour celui de la liberté*

L : <aturellement 5elle ci est la vraie raison des di##icultés %ue l’on rencontre %uand on veuta##irmer la réalité de l’esprit M Dans la nature, dans le sentiment et dans la volonté, la réalité de

l’esprit, nous la reconnaissonscomme une réalité %i%ante, mais non pas comme une réalité de

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R : ;3me ceu- l" sont ils donc des réalistes métap/ si%ues : ce %ui revient " dire des réalistesconvaincus de tra#i%uer avec les #orces inconnues du sentir et du vouloir, et non pas avec cellesconnues, %uoi%ue de manière ré#léc/ie, du penser et des idées M

L : 2e dirais &ustement %ue oui* Les p/ilosop/es du sentiment, comme $/a#tesbur ou$c/leiermac/er, et ceu- de la volonté, comme $c/open/auer ou Eduard von Bartmann, ene-périmentant les contenus vivants du sentir et du vouloir, croient avoir " #aire avec des réalitésdi##érentes de celle morte de leur penser ils ne soup7onnent m3me pas %ue la vie et la #orce des

contenus %u’ils per7oivent sont en réalité la vie et la #orce du penser avec le%uel ils les pensent*R : Donc, si nous récapitulons : puis%ue nous avons, normalement, une conscience abstraite desidées, nous sommes induits " croire %ue la vie et la #orce n’appartiennent pas au- idées, mais " autrec/ose et cet autre c/ose, parce %u’e-périmenté ou vécu, et pas seulement pensé abstraitement, nousle considérons plus réel et plus certain %ue les idées*

L : .utrement dit, celui %ui n’est pas en mesure d’e-périmenterle sentir et le %ouloir / l’intérieurdu penser divise ces trois réalités, en considérant les deu- premières concrètes et la troisièmeabstraite* De cette #a7on, cependant, tout ce %ui est singulier ou sub&ecti# lui appara?t concret, alor%ue tout ce %ui est universel et ob&ecti#, lui appara?t abstrait* $ur le plan ét/i%ue, par e-emple, on e

vient " trouver l’égoOsme concret si opposé, et il est #acile d’imaginer avec %uel résultat, " l’idéeabstraite de l’altruisme, de la #raternité ou de l’amour universel*

R : Les égoOstes, en e##et, posent l’idée universelle abstraite au service de leur volonté personnelleou de leurs convoitises*

L : ense %ue le mal, selon $c/elling, consiste &ustement " élever l’égoOsme personnel " un principedominant et " une volonté universelle, en réduisant ainsi le spirituel " un mo en %ui est en nous*

R : D’autre part, si la #orce de l’idée est autre %ue l’idée, alors, la #in de l’idée est aussi autre %uel’idée*

L : Et c’est ainsi %ue l’idée, n’étant plus inalité " elle m3me, n’est plus en mesure de se tenirsolidement, comme le dit Begel, ' en soi et pour soi ) et se réduit " unmoyen* ense, " titred’e-emple, au soi disant ' mariage d’intér3t )* our%uoi le ressentons nous moralement in&usti#ié M

arce %ue c’est &ustement un mo en et non une #in* our la morale, il est décisi# %ue l’universrepose sur soi, en %ualité d’idée ou de 2e*

L : our #aire ceci, devrions nous donc libérer l’esprit de l’Cme et l’Cme du corps M

L : <ous devrions, pour 3tre plus précis, restituer de la vie au penser, de la lumière ou une Cme au-idées et de la c/aleur ou de l’esprit au 2e*

R : Il s’est #ait tard* .vant de te dire au revoir, &e voudrais te demander une #aveur*L : Dis moi donc*

R : Il me plairait, si possible %ue tu énon7asses, éventuellement sous #orme de ma-ime, le principemoral au%uel tu t’inspires*

L : Il ne m’est pas #acile de te contenter, parce %ue &e c/erc/e " m’inspirer non pas d’un principe,d’une règle ou d’une loi, mais au contraire du Principe des principes, " savoir du 2e* $i tu le veu-vraiment, &e pourrais essa er pourtant de s nt/étiser ce %ue &e pense de cette #a7on :une action estmorale seulement quand est moral le su et qui l’accomplit 2 et le su et qui l’accomplit est moral

seulement quand c’est %raiment le su et, / sa%oir le -e.

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R : 2e te remercie et &e te promets d’ ré#léc/ir* La proc/aine #ois continuerons nous " parler de la' réalité de la liberté ) M

L : $ans doute M .lors au revoir*

R : .u revoir*

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<euvième dialogue

R: 5es &ours ci, &’ai longuement ré#léc/i sur le #ait %ue la conscience du penser et celle du 2enaissent l" o= meurt la nature* 2e me suis rappelé %ue Areud, dans sa ' métaps c/ologie ), oppose "l’ éros, comme #orce de vie, lethanatos, comme #orce de mort, et &e me suis demandé s’il a ou pas un rapport entre ces #orces et celles dont tu as parlé* 5ela te dépla?t il de reprendre,éventuellement brièvement, ce su&etM

L: ;ais pas du tout* Essa e de penser au- #euilles : au printemps, elles sont turgescentes etvigoureuses, parce %ue pleines de vie en automne, elles sont sèc/es et cassantes, parce %ue vides devie* Donc une m3me #orce, celle de la vie, une #ois se trouve ' " l’intérieur ) de la #euille, et uneautre ' " l’e-térieur ) de la #euille* E/ bien, ce %ue nous pouvons observer dans le règne végétalseulement comme l’alternance des saisons, dans le règne /umain nous pouvons l’observer demanière continue* 0 la place de la #euille automnale, nous avons la t3te ou bien, pour mieu- dire, lecorte- cérébral et, " la place du printemps, mais aussi de l’été, nous avons le restant de l’organisme*

R: La #orce de l’esprit opère t elle donc " l’e-térieur de la t3te et " l’intérieur, inversement, durestant de l’organismeM

L: 5ertes et dans la t3te, &ustement parce %u’il est ' e-térieur ), il peut se ré#léc/ir et prendre ainsiconscience de soi, alors %ue, dans le restant de l’organisme, &ustement parce %u’il est ' intérieur ), ildemeure inconscient*

R: $i &e ne me trompe pas, dans la t3te, il prend conscience de soi comme esprit, mais pas comme#orce ou vie, alors %ue dans le restant de l’organisme il prend conscience de soi comme #orce ou viemais pas comme esprit*

L: E-act* Hu viens de citer Areud et de rappeler l’éros et le thanatos* (r, l’esprit ' aucommencement, estunité de logos, pathos et éros : ce %ui revient " dire, unité de penser, sentir etvouloir* 8uand il se trouve avec l’organisation /umainetri'articulée, le penser et le vouloir sedivisent cependant, en altérant consé%uemment le sentir* 5’est pour%uoi, dans la condition /umaineordinaire, lelogos, le pathos et l’éros, en se présentant &u-taposés, sinon m3me opposés, ne serévèlent pas dans leur vérité* L’éros et le pathos se présentent en e##et dans l’habit %i%ant de lanature personnelle, alors %ue lelogos, parce %ue re#let, se présente dans l’habit mort du thanatosou, comme nous le verrons, dunomos*

R: Le #ait %ue l’esprit s’annonce comme la négation de notre nature, ne dépend pas pour cette raisonde l’esprit, mais de notre nature* $’agit il peut 3tre d’unenégation de la négationM

L: En e##et* ar la négation de la négation, représentée surtout par l’éros et le pathos, l’espritcommence " s’a##irmer lui m3me indirectement en %ualité denomos ou de loi morale* 5’est pour%uoi, cependant, c’est seulement " un niveau de conscience supérieur " celui dulogos ordinaireou de l’intellect, médiatisé par le non 3tre de la nature, %ue la vie de l’esprit peut 3tre saisie dans sone-pression directe : " savoir comme s nt/èse delogos, pathos et éros.

R: La morale de la liberté est elle donc di##érente, tant de la moralehétéronome ou normati%e, %uede celleautonome ounaturelleM

L: $ans doute L’indi%idualisme éthique, dont &e suis en train de parler, satis#ait en e##et, en tant

%ue troisième, aussi bien les e-igences ob&ectives de la morale /étéronome ou normative, %ue celle

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R: L’ast/éni%ue sera en somme une ' #ourmi ) et le st/éni%ue une ' cigale )*

L: (u bien, comme le dit Varl VWnig, le premier sera un ' gnome ) et le second un ' géant )* Entout cas, étant donnée leur nature opposée, ils se seront récipro%uement antipat/i%ues* Du point devue spirituel, le premier aura une aura%étéro'testamentaire, alors %ue le second une 'animisante )

opposé " vétéro testamentaire,ndt !*

R: Et comment peut on se délier de ces attac/es de la natureM

L: $eulement d’une manière : en s’élevant au penser vivant* 5e n’est %u’" ce niveau, en e##et, %u’onrencontre dans l’idéeune orme qui est a%ec une orce et une orce qui est a%ec une orme.

R: $i &’ai bien compris, une #orce %ui est celle l" m3me du 2e* <e dis tu pas %ue l’idée n’est aut%ue la #orme dans la%uelle notre 3tre se détermine et se réalise d’une #ois " l’autre M

L: 5’est ainsi* Le 2e s’autodétermine en déversant sa #orce dans la #orme de l’idée ou du concept*

R: ;3me un ' commandement ) est cependant une idée*

L: (ui, mais une idée %ui n’a pas été comprise par intuition par le su&et* 5e %ui compte, en e##et,

c’est le t pe de rapport %u’il a entre l’idée et le su&et* Un commandement, parce %u’appris, n’es pas une idéedu su&et, mais une idéedans le su&et*

R: Hu veu- dire %u’en observant un principe moral, " savoir une idée, %ue nous n’avons pas con7ueou comprise nous m3mes, nous nous mettons dans un état de su&étion morale M

L: 5ertainement* Dans l’état dans le%uel nous contraint tout ' impérati# catégori%ue ) : " savoirtoute idée %ui, avant de se présenter au vouloir commebien, n’a pas été reconnue par le pensercomme%raie et par le sentir commebelle.

R: Il ne s’agit donc pas de soutenir le 2e par les principes morau-, mais bien plus de soutenir les principes morau- par le 2e*

L: 5’est &ustement ainsi 5onsidère, au del" de tout, %ue si l’on s’arr3te au- principes, sansconsidérer la Principe des principes, on #init pres%ue tou&ours par #aire prévaloir le droit " la morale*

R: Et %uelle di##érence a t il entre ces deu- domaines M

L: 8uel%u’un a dit: ' Dieu &uge les intentions et non les #aits )* E/ bien, celui de la morale est ledomaine spirituel des intentions, alors %ue celui du droit est ledomaine sensible des aits* 8uandelle est liée au- #aits ou au- comportements e-térieurs, la morale se réduit au ' &uridisme ) ou au-' statisti%ues )* 5omme sur le plan &uridi%ue, on #ait dériver de la loi les soi disant ' règlementsd’e-écution ), de m3me, sur celui moral, on #ait dériver de la loi, du principe ou du commandement,toute une série de préceptes visant " régler les comportements %uotidiens*R: <e crois tu pas, cependant, %ue ceu- %ui rédigent ces codes de comportement, le #assent dans lacrainte %ue, sans eu-, la morale #inisse par se dissoudre dans le sub&ectivisme ou dans le relativisme,et donc dans l’arbitraire M

L: Le domaine du sub&ectivisme ou du relativisme est cependant celui de l’Cme ou, pour mieu- dire,de la psyché, et non celui de l’esprit : et " savoirle domaine ordinaire des sensations, des sentiments et des représentations, et non celui supérieur des concepts et des idées* Le #ait est %ue lalimite de la morale normative n’est pas représentée par son e-igence d’ob&ectivité, mais par lamani)re dont elle la satis ait * $i l’on est incapable de satis#aire une telle e-igence sur le plan desidées, il est naturel %ue l’on c/erc/e alors " la satis#aire sur celui des #aits*

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R: L’idée de liberté coOncide t elle donc avec celle de ' l’esprit libre ), et celle ci coOncide t elle, son tour, avec l’idée de l’/omme M

L: La #ait est %ue ' l’esprit libre ) est l’e-pression pure de la nature /umaine*Grai homme, en somme, est seulement celui qui est %raiment libre*

R: Hu admettras, cependant, %u’il ne s’agit %ue d’un idéal

L: ;ais d’un idéal %ui, en c/acun de nous, tend constamment " s’incarner*

R: $i &’ai bien compris, " la di##érence de tous les autres 3tres de la nature, l’/omme doit incarner delui m3me son idée*

L: Hu as bien compris* L’/omme est l’uni%ue 3tre c/e4 le%uel le donné immédiat, " savoir l’/ommeen tant %u’ob&et de perception ou percept, ne coOncide pas encore avec le donné conceptuel, ce %urevient " dire avec ' l’esprit libre )* $i cela ne te dépla?t pas, &e voudrais te lire " ce su&et un passagede Rudol# $teiner %ue &’ai noté*

R: 2e t’écoute*

L: ' Dans l’ob&et de perceptionhomme il a, donnée, la possibilité de se trans#ormer comme dansla graine végétale il a, donnée, la possibilité de devenir une plante développée* La plante setrans#ormera grCce au- lois ob&ectives %ui résident en elle l’/omme reste dans son état incomplet,s’il ne saisit pas en lui m3me la matière de la trans#ormation et ne se trans#orme pas par sa propre#orce* La nature ne #ait de l’/omme %u’un 3tre naturel la société en #ait un 3tre %ui agit selon delois mais un 3trelibre, il ne peut le #aire %ue delui'm(me )*

R: 5’est clair Hu as bien #ait de me le lire*

L: 2e suis content %ue tu l’aies apprécié*

R: La moralité aussi, comme nous avons dit de la liberté, et de l’amour, est donc un su&et et unsu&et %ui est, une #ois encore, avec l’3tre de l’/omme*

L: (n ne doit pas penser en e##et %ue l’/omme se révèle pour %ue la moralité se révèle, mais %ue lamoralité se révèleau moyen de l’/omme*

R: L’/eure est venue de nous dire au revoir* .u&ourd’/ui nous avons éc/angé bien des idées %ui me#eront certainement ré#léc/ir* .s tu %uel%ue c/ose " proposer pour la proc/aine #oisM

L: $i cela te va, &e dirais d’e-aminer les rapports %ui e-istent entre cette idée de liberté et lemonisme dont nous avons parlé dans le cours de nos premières rencontres*

R: D’accord* .u revoir, alors " la semaine proc/aine*L: .u revoir*

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Di-ième dialogue

R : De tout ce %ue tu as dit la #ois passée, une c/ose m’a surtout #rappé*

L : La%uelle M

R : Hu as dit %u’un commandement, n’étant pas le résultat d’une intuition individuelle, est une idée

dans le su&et, et non pasdu su&et*L : E-act*

R : Et tu as dit aussi %ue le devoir est un vouloir %ui, n’a ant pas été reconnu vrai par le penser et beau par le sentir, est attribué " un non 2e*

L : Il ne me semble %ue &e n’aie pas utilisé vraiment ces mots, mais de toute manière il en est bienainsi*

R : ;ais %u’est ce ' non 2e ) M 8uelle est sa nature M

L : 5es points d’interrogation nous ramènent directement au t/ème du monisme* Hu te rappelleras%ue dans l’une de nos premières rencontres, nous observCmes %ue la connaissance part del’opposition ou du dualisme de su&et et ob&et*

R : 2e me le rappelle bien* <ous distinguCmes aussi les conceptions %ui a##irment le su&et audétriment de l’ob&et de celles %ui #ont le contraire*

L : En spéci#iant %ue les premières s’appuient en particulier sur le sentir, et donc sur un su&etsubconscient, rationnel, a##ecti#, m sti%ue ou est/éti%ue, alors %ue les secondes s’appuient en particulier sur le vouloir, et donc sur un ob&et inconscient, p/ si%ue ou métap/ si%ue*

R : $ur un ob&et, p/ si%ue ou métap/ si%ue, %ui est cependant con7u, si &e m’en souviens biencomme un su&et inconnu et transcendant*

L : Un su&et %ui, pour certains, est représenté par la matière, pour d’autres " l’inverse, par l’3tre ou par l’esprit*

R : Il me vient " l’esprit, " ce propos, un livre de iNtor AranNl, intitulé : Dieu dans l’inconscient *

L : (u bien encore, le Deus absconditus< d’IsaOe et ascal* En se révélant de toute manière, dans uncas comme dans l’autre,le non'-e comme -e et le -e comme non'-e, il n’ a pas de place pour laliberté* Dans le cas du matérialisme, la contrainte deslois naturelles est en vigueur tandis %ue danscelui du spiritualisme, c’est la contrainte deslois morales %ui est en vigueur*

R : $i &’ai bien compris, le non 2e des matérialistes est un résultat de la pro&ection du 2e sur l’ob&ec/ose, tandis %ue le non 2e des spiritualistes est un résultat de la pro&ection du 2e sur l’ob&et #orcesavoir sur la volonté*

L : $ur une entité métap/ si%ue &ugée précisément pour cela ' omnipotente )* ar les uns comme par les autres,l’ob et est au bout du compte &ugéacti , le%uel est considéré par cela m3me commeun su&et, etle su et est &ugé passi , le%uel est considéré par cela m3me comme ob&et*

R : En e##et, un su&et passi# ne peut pas #igurer en tant %ue su&et de la volonté, mais doit #orcéme#igurer comme son ob&et*

1 Deus absconditus : Dieu cac/é*6

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L : 5omme ob&et, éventuellement, de la volonté d’un autre individu, d’un groupe ou d’une autoritésociale %uelcon%ue, politi%ue ou religieuse* ;ais il a autre c/ose*

R : 5’est " dire M

L : Il a la soi disant ' voi- de la conscience )* Dans ce cas ci, on a " #aire avec uneautoritéintérieure, et non pas e-térieure* (n pense, " tort ou " raison, entendre dans la conscience la voi- del’esprit ou du 2e, mais on ne conna?t pas l’esprit ou le 2e dont on entend la voi-*

R : Hu veu- dire %ue l’on en saisit la seule mani#estation M

L : Il en est &ustement ainsi* L’essence de l’esprit ou du 2e est alors pro&etée sur une entité e-tra/umaine, dont le vouloir se présente " l’/omme comme un devoir* on Bartmann, par e-emple, parle d’un ' ordonnancement divin du monde ), et assigne " l’/omme le devoir d’en e-écuter lavolonté, les décrets ou les intentions d’une entité supérieure*

R : Et %u’arriverait il, si cette pro&ection était retirée M

L : (n découvrirait le 2e subconscient du sentir et le 2e inconscient du vouloir " l’intérieur du 2econscient du penser : on renverrait ainsi toute transcendance ou aliénation, et l’on serait #inalement

des ' esprits libres )*R : Il me semble comprendre, donc, %u’autant les actions imposées par la nature %ue cellesimposées par la culture, " savoir par les lois morales, sont seulement des étapes du processusévoluti# %ui mène " la liberté de l’esprit, et donc " la vraie moralité*

L : Le #ait est %ue l’évolution de la moralité va de pair avec celle de la conscience, et c’est de celleci, par consé%uent, %ue l’esprit attend d’3tre restitué " la vie propre, " la lumière propre et " lac/aleur propre : en bre#, " lui m3me*

R : 2’en déduis %ue ' l’esprit libre ), en tant %ue concept de l’/omme, ne peut s’incarner %ue dans

l’individu*L : La moralité d’un collecti# dépend en e##et de celle des individus %ui le composent* Une vraiesocialité ou #raternité ne peut pour cette raison e-ister %ue dans une communauté ' d’espritslibres )* ' #i$re %ans l&amour %e l&action > a dit Rudol# $teiner > et laisser $i$re %ans lacom'ré!ension %e la $olonté %&autrui, c&est la ma ime on%amentale %es !ommesli res Xsoulignement du traducteurY)*

R : $i le monde spirituel ou des idées est un, les intentions les plus pro#ondes de deu- ' espritslibres ) ne peuvent en e##et %ue concorder*

L : 5ertes* Un /omme libre n’e-ige pas d’un autre, une concordance, mais il l’attend, puis%u’il sait bien %u’elle est in/érente " sa nature la plus pro#onde et la plus vraie*

R : Il me semble, cependant, %u’il ait opposition entre le caractère universel de l’idée per7ue parintuition et celui individuel de l’action /umaine députée " lui con#érer, comme on dit ' du corps )*

L : ois tu, l’opposition ne vaut %ue pour l’intellect et pour la pensée ' calculatrice ) %ui en #ait ladistinction* Dès %ue l’on parvient " vaincre l’inertie de la logi%ue #ormelle ou binaire, elle sedissout* En mettant la pensée en mouvement, le 2e peut en e##et saisir ce mou%ement pendulaire%i%ant qui remonte sans cesse, par %oie inducti%e, de l’indi%iduel / l’uni%ersel et descend, par %déducti%e, de l’uni%ersel / l’indi%iduel.

R : 5eci n’est pas clair pour moi*

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(n4ième dialogue

R : 5es &ours ci, &’ai repensé au conna?tre et au créer et il m’a paru signi#icati# %ue le premier sotourné vers le passé et le second vers le #utur*

L : 5’est vrai, ces deu- activités sont opposées également en ceci* La connaissance sensibleconcerne lecréé, et non pas lecréer * L’idée, pour le dire avec H/omas d’.%uin, se révèleante rem<

dans le créer,in re dans le créé, et post rem dans le conna?tre*R : En pensant ensuite %ue nous nous étions proposés de traiter au&ourd’/ui le t/ème ' le but dumonde et celui de la vie ), &’ai réalisé %ue le monde n’a pas de but : parce %ue ' créé ), il est en e##etdé&" un but atteint*

L : Hu as raison* Un but, une #in, ou comme le dit .ristote, une ' cause #inale ), comme une idée du but %ue l’on veut atteindre, ne peut se révéler %u’ante rem, et " cause de ceci, seulement dans la pensée /umaine*

R : Dans le créé ou dans la nature, ne se révèle t il donc pas de #inalité M

L : 0 une e-ception, celle de l’agir /umain*

R : arce %ue l’/omme est une créature d’e-ception M

L : En e##et* $eulement avec l’/omme, e##ectivement, les entités créatrices ont mis au monde un3tre en mesure de se poser des #ins de manière autonome, et de #aire avancer ainsi la création* Ende/ors de l’/omme, seul le lien de cause " e##et se révèle de manièreidéelle, en éclairant, sous#orme de loi, le rapport entre les p/énomènes*

R : $ais tu, ce %ue Léonard de inci a dit " ce su&et M

L : <on, %u’a t il dit MR : Il a dit : ' nécessité admirable et étonnante, tu contrains par ta loi, tous les e##ets, " éc/éancetrès brève, " participer de leurs causes*

L : ;es compliments pour la mémoire

R : (n estime au&ourd’/ui cependant, dans le sillage de ^erner Beisenberg, %ue le monde n’est pasgouverné par la nécessité, et donc par la certitude, mais par la probabilité*

L : ;ais ceci est il probable ou certain M

R : Et %ui le sait M@ our revenir " nous, il me semble %ue la #inalité e-ige %u’e-iste, nonseulement entre l’e##et et la cause un lien idéel, mais aussi %ue l’idée de l’e##et, sous #orme de but,e-erce une action orientée " créer les conditions nécessaires " sa réalisation*

L : 8ue &ustement " cause de ceci, on les dit ' nécessaires, mais non su##isantes )* $upposons, pare-emple, %ue moi &e m’inscrive dans une école et %ue, après l’avoir #ré%uentée, &’en obtienne udipl me* L’inscription n’est pas la cause du dipl me, mais bien au contraire, la condition' nécessaire, mais pas su##isante ) pour l’obtenir*

R : D’accord*

L : Et pourtant, comme la cause précède l’e##et, ainsi l’inscription précède t elle le dipl me*1 .nte rem [ avant la c/ose, in re [ dans la c/ose, post rem [ après la c/ose

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R : oulant donner corps, %ue sais &e, au concept d’amour pour le prochain, &e devrai doncimaginer sous %uelle #orme ce principe universel pourra s’incarner dans la situation dans la%uellenous nous trouvons*

L : Et la #orme sera &ustement le résultat de la #antaisie ou de l’imagination morale*

R : La #antaisie ou l’imagination morale crée donc, " partir d’un seul concept, autant dereprésentations %u’il a de situations dans les%uelles le 2e se trouve " agir*

L : En comblant ainsi le vide %ui sépare le principe universel de l’action individuelle : ce vide &ustement %ue l’on s’e##orce de combler autrement au mo en de la ' casuisti%ue ) ou des' préceptes )*

R : Il m’est venu un doute*

L : 8uel est il M

R : Hu m’as dit, avant, %ue le ' 2e ) tire la représentation morale du concept sans l’aide de la perception puis tu as dit %u’une telle représentation doit 3tre rendue d’une manière adaptée " lasituation, et donc au monde de la perception* <’est ce pas contradictoire*

L : <on* $i tu te souviens bien, nous avons parlé, il a %uel%ue temps, de la nécessité de distinguerle concept cogniti# du concept moral, ou le &ugement de #ait du &ugement de valeur* (r, le donné percepti# développe une #onction essentielle dans la constitution du &ugement cogniti#, mais pasdans la constitution de celui moral* Dans ce cas, en e##et, le premier ne représente %ue le présupposédu second*

R : ourrais tu me donner un e-emple M

L : olontiers* Imagine %ue Hi4io observe un /omme %ui demande l’aum ne s’il était conscient dece %u’il #ait il dirait : ' 2e per7ois un donné %ue &e pense comme mendiant )* E/ bien, tant %u’il se

limite " réunir, dans l’Cme, le donné percepti# " celui conceptuel,du point de %ue moral il ne réussitencore rien* En tant %ue donné cogniti# ce mendiant est, en e##et, le m3me, aussi bien pour %ui lui#ait l’aum ne, %ue pour celui %ui la lui re#use*

R : La décision de lui #aire l’aum ne et de ne pas lui #aire dépend donc d’un autre &ugement M

L : E##ectivement, d’un &ugement moral %ui présuppose, comme &e l’ai dit, celui cogniti# ou #actu$ur le plan moral, les concepts se présentent sous #orme de%aleurs* (n pourrait carrément dire %uele concept est ' un et trine ), parce %ue sa réalité spirituelle est e-périmentée par le penser comme%érité, par le sentir commebeauté, et par le vouloir commebien, ou pour le coup, comme%aleur *

R : our en revenir " ma %uestion, tu m’as parlé des cas dans les%uels les représentations doivent3tre créées, mais pas de ceu- dans les%uels, " l’inverse, elles sont données*

L : 5’est simple : les représentations sont données %uand le su&et, pour donner une #orme " son agir,se ré#ère, plus ou moins sciemment, au- propres e-périences passées, " l’e-emple des autres ou "des modèles de comportement %ui lui ont été de %uel%ue manière proposés ou imposés*

R : ;ais n’est ce pas ce %ui survient tous les &ours M

L : ;al/eureusement si* .u- esprits non libres les moti#s se révèlent subitement comme desreprésentations provenant, d’une manière ou de l’autre, du passé* 5e sont des représentations %u’ilsse sentent pour cette raison en devoir d’apprendre, et non pas de créer*

R : 5’est " dire de reproduire, et non de produire*

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L : récisément* Du reste, si pour le conna?tre, on s’adresse au passé, m3me pour les principesmorau-, en tant %ue pursob ets ou contenus de connaissance, on doit aussi s’adresser au passé*

R : 2e comprends* En revenant " la #antaisie morale, &e pense de toute manière %ue le 2e, après avoitraduit le concept en image, doit ensuite traduire celle ci en comportement*

L : 5’est vrai* Dans l’acti%ité cogniti%e, on %a d’abord du corps / l’esprit et ensuite, de l’esprit /l’5me, tandis que dans celle créati%e, on %a d’abord de l’esprit / l’5me, et ensuite de l’5me aucorps* Et comme pour passer de l’esprit " l’Cme, on se sert de l’imagination morale, ainsi, pour passer de l’Cme au corps, on se sert d’une ' tec/ni%ue morale )*

R : Une ' tec/ni%ue morale ) M

L : E##ectivement une ' tec/ni%ue )* <’oublie pas %ue l’/omme ne crée pas les contenus de perception, mais au contraire, il modi#ie ceu- e-istants et ceu- ci pour pouvoir 3tre modi#iés,doivent d’abord 3tre connus* 8uicon%ue veut trans#ormer la réalité doit découvrir d’abord les lois%ui la gouvernent, ensuite la #a7on dans la%uelle il peut intervenir pour la modi#ier*

R : ourrions nous a##irmer %ue ces deu- moments ci correspondent, respectivement, " celui dudiagnostic et " celui de la t/érapie M

L : Et pour%uoi pas M 5omme le diagnostic doit précéder la t/érapie, et la t/érapie doit dépendre dudiagnostic, ainsi,le conna;tre doit précéder l’agir, et l’agir doit dépendre du conna;tre*

R : Il me semble cependant comprendre %ue celui de la tec/ni%ue moral est un problème decompétence, et non pas de #antaisie ou d’imagination*

L : .u&ourd’/ui, on dirait en e##et de 'InoJ'hoJ ) sa%oir aire, ndt !* (n peut apprendre latec/ni%ue, parce %u’elle a une nature de ' savoir )* Il peut aussi arriver %ue des personnes douées de#antaisie morale ne disposent pas des compétences nécessaires, tout comme il peut arriver %ued’autres dotées des compétences nécessaires ne disposent pas d’imagination morale*

R : Elles pourraient pourtant collaborer entre elles*

L : 5ertes, mais les compétents ou les tec/niciens devraient 3tre alors disposés " se laisser orienter par %ui dispose de l’imagination morale*

R : 5e %ui, en ces temps detechnocratie, n’est certainement pas aisé@ $ais tu, de toute manière, ce%ue &e suis en train de penser M

L : Hu penses " %uoi M

R : 2e suis en train de penser %ue si les idées morales, en tant %u’ob&ets ou contenus deconnaissance, ne peuvent 3tre %ue transmises ou communi%uées, comment #ait alors la morale pourévoluer M 0 savoir, comment #ait une%aleur nou%elle pour surgir et s’imposer M

L : ;ais vois tu, combien il est nécessaire comme &amais dans ce cas d’avoir présent " l’esprit toutce %ue nous nous sommes dits sur les rapports du conna?tre avec le passé et du créer avec le #utur*D’/abitude, celui %ui a##ronte une di##iculté, retourne par la mémoire au passé pour créer un modèlede comportement %ui lui serve de guide*

R : 0 savoir %u’il va du présent au passé, et revient ensuite du passé au présent*

L : Un ' esprit libre ), au contraire, va d’abord, pour ainsi dire, du présent au #utur, et revient

ensuite du #utur au présent* Le processus créati# %ui trans#orme l’idéeante rem dans l’idéein re est

FJ

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en e##et un processus %ui, grCce " l’idée obtenue par intuition, va du présent au #utur, et, grCce "l’idée réalisée revient du #utur au présent*

R : Est ce l’idée " constituer le présent M

L : <on, c’est le 2e* Le présent, %ui se révèle l" o= se rencontrent, dans le temps, le passé et le #utur,n’est en e##et %u’unre let ugace d’éternité: " savoir, du monde supra spatial, supra temporel et adimensionnel sans dimension,ndt ! du 2e*

R : Hu m’as #ait rappeler une c/ose* Il a longtemps, alors %ue &’étais en voiture sur une autoroute, &e vis %ue sur la voie opposée une %ueue de vé/icules s’était #ormée " cause d’un accident*

L : Et alors M

R : .lors, après avoir remonté la #ile des voitures arr3tées, et tandis %ue &’observais celles %ui#ilaient encore comme une #lèc/e dans la direction opposée " la mienne, &e pensai : ' auvrettes,elles ne savent pas encore ce %ui les attend )*

L : Hu connaissais en e##et leur #utur*

R : ;ais oui* 2’arrivai ainsi " conclure %ue leur #utur était mon passé, et leur passé était mon #utur, parce %ue nous avancions dans deu- directions opposées* 5e #ut en cette occasion, comme tu peu- bien le comprendre, %ue &e commen7ai " douter de la notion ordinaire du temps*

L : Et l’e-périence t’a servi M

R : 2e crois %ue oui, parce %u’elle m’a enseigné, disons le ainsi, " me mouvoir dans le temps* GrCc" ceci, par e-emple, il ne m’est plus di##icile, " présent, de comprendre %ue dans le créer,la choseest non seulement le utur de l’idée, mais aussi le présent de l’idée sous orme de but.

L : ense, en e##et, s’il te venait " l’esprit de te construire une maison* our se réaliser cette idéedevrait d’abord prendre une #orme de pro&et* ;3me dans ce cas, comme tu vois, la maison réelleserait, non seulement le #utur de la maison idéelle, mais aussi le présent de la maison idéelle sous#orme de pro&et*

R : En e##et, celle présente seraitla représentation de la maison réelle, et non la maison réelle* 2esuis en train de penser de toute manière %ue les c/oses sont telles %ue l’évolution se meut alors du#utur au présent, et non, comme on le croit généralement, du passé au présent*

L : 5’est vrai* Une c/ose est la direction dans la%uelle se meut l’é%olution, une autre celle dansla%uelle se meutnotre conscience de l’é%olution* 0 partir du moment o=, pour conna?tre l’évolution,nous remontons du présent au passé, nous sommes amenés " imaginer cependant %ue les #orcescréatrices vont " l’opposé, du passé au présent : " savoir %u’elles poussent, comme une%is a tergo<,du passé au #utur, au travers du présent*

R : 2e reconnais %u’il n’est pas #acile d’établir, sur la base de l’observation seule, si l’évolution estle résultat de #orces %ui poussent du passé vers le #utur ou de #orces %ui attirent du #utur au présent <ous savons %ue l’on a une évolution seulement %uand ce %ui est postérieur se développe par voienaturelle, de ce %ui est antérieur*

L : Et ceci nous le découvrons en procédant " rebours* .insi avons nous établi, par e-emple, %ue lesreptiles dérivent des lointains proto amnioti%ues* ;ais si nous avions vécu au temps des protoamnioti%ues, &amais nous aurions pu prévoir leur avenir de reptile*

1 vis a tergo, latin, #orce %ui agit par l_arrière, en poussant dans le sens du mouvement*F1

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R : our l’évolution, vaut donc le post'dire, et non pas le pre'dire : ne vaut, " savoir, %ue ' l’espritde l’escalier )* 0 propos des #a7ons de dire, du #ait %ue les idées se présentent comme perspectivesou pro&ets, nous avons l’/abitude de les dé#inir comme ' attra antes ), ce %ui donne &ustement lesens des #orces %ui du #utur attirent le présent*

L : 5omme tu le vois, nous avons tou&ours " apprendre du génie de la langue*

R : 2e l’ai pensé, moi aussi, %uand, en ré#léc/issant sur la di##érence entre l’esprit et l’Cme, &e mesuis rendu compte %u’en parlant, ce %ue nous disons me #ait penser aussi " une autre c/ose* Enmettant en branle notre étude de l’/istoire du présent au passé, on se l’imagine comme unmouvement %ui procède, " l’inverse, du passé au présent*

* : 5e %ui con#irme tout ce %ue nous étions en train d’observer*

R : our %ue soit possible une évolution, doivent donc pénétrer dans le présent des #orces %ui proviennent du #utur M

L : E##ectivement* Essa e d’imaginer, par e-emple, un pauvre %ui, a ant re7u sans s’ attendre unimportant /éritage, devienne ric/e " l’improviste* Il devrait 3tre clair, dans ce cas, %ue ce %ui est postérieur se développe, e##ectivement, de ce %ui est antérieur, mais pas " cause de celui ci* Unec/ose est, en e##et, comme tu l’as rappelé toi aussi, le lien temporel, e-primé par le conceptunapr)s l’autreou un a%ant l’autre, une autre c/ose est le lien causal, e-primé par le concept un aumoyen de l’autre* 8ui serait disposé " soutenir %ue l’/omme de notre e-emple est au&ourd’/ui ric/e" cause ou au mo en du #ait %u’/ier il était pauvre M

R : ersonne, &e pense*

L : Et crois tu %ue si nous l’avions connu dans son état de pauvreté, nous aurions pu prévoir %uecette condition l" se serait un &our trans#ormée en un état de ric/esse M

R : 5ertes pas* $a condition est c/angée seulement " cause de l’/éritage : " savoir d’un #ait

nouveau*L : E/ bien, toutchangement ou saut de qualité, se détermine uni%uement parce %u’" travers le présent, le #utur modi#ie le passé* $ur le plan /umain,c’est le %ouloir du -e qui se mani este dans letemps comme utur * Dans l’évolution morale du monde, ce sont par consé%uent les /ommes, parce%ue porteurs d’idées, " #aire de manière consciente tout ce %ue la nature #ait, " un autre niveau demanière inconsciente*

R : 5’est " dire %ue ce sont les /ommes %ui modi#ient la réalité sensible ou le monde percepti#* 0ce %ue &e vois, ton ' individualisme ét/i%ue ) amène ou élève l’évolutionnisme du plan naturel "celui spirituel*

L : 5’est en e##et l’évolution morale %ui a pour but ' l’esprit libre )*

R : 0 savoir %uec’est l’homme / a%oir pour but l’homme*

L : (u bien, comme dirait Begel, c’est l’/omme ' en soi ), ou l’/omme naturel, " avoir pour butl’/omme ' en soi et pour soi ), ou l’/omme spirituel* ;ais l’/eure est venue de s’en aller* 0 partirdu moment o= nous avons parlé du &ugement moral en tant %ue &ugement de valeur, nous pourrionsaborder la proc/aine #ois, la ' valeur de la vie ), et donc de l’optimisme et du pessimisme* 8u’endis tu M

R : ar#ait

L : .u revoir donc et " la semaine proc/aine*F

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R : .u revoir, donc*

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me semble, de toute #a7on, %ue nous sommes revenus " l’/istoire de la bouteille " moitié pleine etde la bouteille " moitié vide*

L : En e##et L’optimisme ne voit %ue la bouteille " moitié pleine parce %u’il redoute de voir celle "moitié vide, tandis %ue le pessimiste #ait le contraire* Le premier considère, pour ainsi dire, ' mal )la partie vide le second, celle pleine*

R : 5e %ui est bien pour l’un est donc mal pour l’autre, et vice versa*

L : En réalité, parce %u’unilatérau-, tous deu- sont des mau-*

R : ;ais aussi, en tant %ue complémentaires, des biens*

L : 5’est vrai* Il s’agit en e##et de deu- opposés susceptibles de se trans#ormer l’un en l’autre*

R : La moralité, comme disait <iet4sc/e, est donc ' au del" du bien et du mal ) M

L : En vérité, c’est le 2e, parce %u’il pose autant l’un %ue l’autre, " 3tre ' au del" du bien et dumal ), et donc de l’optimisme et du pessimisme*

R : Il me semble %ue oltaire constitue un bon e-emple du #ait %ue l’optimisme ou le ' buonisme )1

pour le pessimiste, c’est mal* Dansandide, il polémi%ue en e##et contre l’optimisme métap/ si%uede Leibni4, et en particulier contre l’idée %ue, le n tre, soit ' le meilleur des mondes possibles )* Hute souviens M

L : 2e me rappelle* Hout comme &e me souviens du pessimisme naturaliste de ;ac/iavel, celuimatérialiste de Bobbes, celui boudd/iste de $c/open/auer, celui c/rétien de VierNegaard et celuimétap/ si%ue, et en parti ' ratiocineur ) d’Eduard von Bartmann*

R : $i &e ne me trompe, il a aussi celui %ui parle de ' pessimisme de la pensée et d’optimisme dela volonté )*

L : 2e le sais* 5’est la position un peu sc/i4oOde de celui %ui voudrait se mettre " #aire, tout en pensant %u’il n’ a plus grand c/ose " #aire*

R : De toutes les manières, &’estime %ue le pessimisme impli%ue une pro#onde dé#iance dans lanature /umaine*

L : Hu as raison* Dans leTalmud , on arrive carrément " a##irmer %u’il aurait mieu- valu %uel’/omme n’ePt &amais été créé*

R : 2e crois %ue celle duTalmud est vraiment l’une des doctrines les plus pessimistes sur la nature/umaine* <on par /asard et &ustement parce %u’ils estiment l’/omme spontanément porté au péc/é

et au mal, ses adeptes adoptent en e##et une morale %ui règle c/a%ue moment de la vie au mo en detoute une série de préceptes ou de règles*

L : Hu te rappelles cette t pologie caractérielle " la%uelle nous #?mes allusion %uand nous traitCmesdu monisme M

R : 5ertes

L : E/ bien, nous pourrions la proposer de nouveau ici aussi*

R : Et comment M

1 ' buoniste ) : adepte du buonisme, en Italie, désigne un niais %ui croit %ue ' tout le monde est bon )* nde! Xou encoreen vrai #ran7ais du <ord : ' cuculs la praline, ndtY

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L : Hu sais %ue 2ung a parlé de deu- t pes ps c/ologi%ues, en dé#inissant l’un ' e-traverti ) etl’autre ' introverti )* ;oi, " l’inverse, &’ai appelé le premier ' st/éni%ue ) ou ' / stéri%ue ) > en lemettant en rapport avec lanature %i%ante ou avec la physis > et le second ' ast/éni%ue ) ou' neurast/éni%ue ) > en le mettant en rapport avec lanature morte ou avec lenomos* E/ bien,comme le t pe ' st/éni%ue ), " cause de son lien avec la nature vivante, " savoir avec le%ouloiretavec le sentir , est enclin " l’optimisme, ainsi celui ' ast/éni%ue ), " cause de son lien avec la naturemorte, " savoir avec le penser lié / l’appareil neurosensoriel , est enclin au pessimisme*

R : Il s’agit donc de c/oi- imposés par la nature personnelle ML : 5ertainement* Et seule une évolution spirituelle peut amener ce niveau au del"*

R : $elon toi, %ui d’autre %ue Leibni4, pourrait bien représenter l’optimisme M

L : Le premier nom %ui me vient " l’esprit est celui de 2ean 2ac%ues Rousseau, " cause de sanostalgie proverbiale du ' bon sauvage ) : ou bien de tout ce %ui se révèle comme état innocent denature* Garde " l’esprit, de toute #a7on, %ue le terme ' optimisme ) est relativement récent* Il semble%u’on ait commencé " l’utiliser seulement au di- /uitième siècle, précisément " partir duandidede oltaire*

R : 2e #ais erreur ou maints optimistes, compris Rousseau, estiment %ue la cause du mal est lamorti#ication ou la répression de la nature M

L : Hu ne #ais absolument pas erreur* ^il/elm Reic/, par e-emple, est convaincu %ue le mal dérivede la répression se-uelle* ;ais s’il en était ainsi, de %uoi dériverait donc une telle répression M

R : La #rustration d’un désir est de toute manière un #ait douloureu-*

L : Il n’ a aucun doute* 0 partir du moment o= désirer c’est tendre " l’activité vitale au del" ducontenu actuel de la vie, la satis#action d’un désir procure plaisir ou &oie, tandis %ue la #rustration procure douleur ou tristesse*

R : Donc, tu ne penses pas, comme $c/open/auer, %ue le désir lui m3me est douleur M

L : 2e ne le pense pas du tout 2e suis au contraire convaincu, comme pourrait d’ailleurs entémoigner n’importe %uel déprimé, %uedésirer c’est une oie* 8uand il s’atténue ou il diminue,surviennent en e##et le vide et l’ennui* <on seulement, pour cette raison, le désir est plaisir, et lenon désir est douleur, mais au plaisir en soi du désir peut s’a&outer celui %ui dérive del’assouvissement du désir*

R : 2e reconnais %ue la satis#action d’un désir procure du plaisir, tandis %ue sa #rustration procure dela douleur toute#ois il ne me semble pas %ue le plaisir et la douleur aient seulement cette origine*

L : Hu as raison* Une maladie, par e-emple, est une douleur %ui ne dérive pas de la #rustration d’undésir, tout comme un /éritage inattendu est un plaisir %ui ne dérive pas de l’assouvissement d’undésir*

R : 0 partir du moment o= tu distingues ledésirerdu désiré, c’est " dire d’undésir déterminé,estimes tu possible undésir pri%é de désiré: ce %ui revient " dire un désir ou un vouloir pur M

L : 5’est ardu, mais ce n’est pas impossible " réaliser*

R : Hu dis %ue l’on a le penser pur %uand on pense le penser peut 3tre a t on le vouloir pur %uaon veut le vouloir M

L : Disons plut t %uele %ouloir pur est un %ouloir libéré des sens ou un %ouloir qui %eut l’idée.

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millions et demi, verra la valeur de ce c/i##re augmenter %uand les pri- baissent et diminuer %uandles pri- montent*

R : 5e %ui veut dire %ue la valeur n’est pas le résultat d’additions ou de soustractions, mais d’unrapport : de celui, &ustement, entre le salaire et les pri-*

L : Il en va &ustement ainsi* Et comme la valeur de l’argent varie en rapport avec les pri-, ainsi lavaleur de la vie varie t elle en rapport au-besoins et au- désirs.

R : La %uantité du plaisir, rapportée " celle des besoins et des désirs, a donc une valeur relative*

L : ;ais certainement ar e-emple, un gros gain au loto sporti# totocalcio! ne sera plus aussi gross’il est obtenu par un s stème #inancé par de nombreuses personnes*

R : .u contraire, plus grand sera leur nombre et moindre sera le gain*

L : 5’est donc de la grandeur de notre désir %ue dépend celle du déplaisir %ue nous sommescapables de supporter pour le satis#aire* <ous ne comparons donc pas la grandeur du déplaisir aveccelle du plaisir, mais avec celle de notre désir*

R : Il ne s’agit donc pas de s’assurer si, dans la vie, prévaut le plaisir ou le déplaisir, mais de véri#iersi le désir ou la volonté d’atteindre le premier est si #ort %u’il dépasse le second*

L : 5omme tu vois, ce n’est pas le résultat du bilan %ue propose Bartmann " donner de la valeur " lavie, mais au contrairela orce de notre désir, d’aspirer ardemment ou d’aimer *

R : Il me semble, cependant, %ue l’ét/i%ue pessimiste veuille démontrer l’impossibilité d’atteindrele bon/eur pour contraindre l’3tre /umain " se mettre au service des idéau- les plus nobles et les plus élevés, en se morti#iant lui m3me*

L : ;ais, comme &e l’ai dit, on ne doit pas contraindre l’/omme " vouloir ou " ne pas vouloir%uel%ue c/ose on doit plut t l’aider, au mo en du conna?tre, " découvrir ce %u’il veut vraiment au plus pro#ond de lui m3me* Sre#, L’homme pour poursui%re les idéau* les plus nobles et les pluséle%és, doit se conna;tre et se réaliser lui'm(me, et non pas se morti ier *

R : 2e me trompe ou bien la #orce avec la%uelle nous tendons " réaliser, au mo en du vouloir, nosidéau- morau- ne dépend elle pas de la #orce avec la%uelle ceu- ci vivent dans notre penser M

L : Hu ne te trompes pas du tout <ous ne devons pas mettre notre%ouloir naturel au ser%ice d’unidéal abstrait , mais au contraire,trans ormer l’idéal abstrait en un idéal %i%ant " savoir en unidéal vivi#ié et animé par l’énergie du 2e* $i cela ne te dérange pas, &’aimerais te lire, " ce propos, unautre passage de $teiner*

R : ;ais pas du tout, bien au contraire@L : ' 8ui aspire au- idéau- d’/auteur sublime, le #ait parce %ue ceu- ci sont le contenu de sonessence, et leur réalisation sera pour lui une &ouissance par rapport " la%uelle le plaisir est une petitesse %ue les Cmes mes%uines retirent de leur satis#action des instincts communs* Les idéalistesse délectent spirituellement %uand leurs idéau- se trans#orment en réalités )*

R : 5e sera, mais en général, on se délecte des soi disant ' plaisirs de la c/air ), et non pas de ceu-de l’esprit*

L : <on seulement, mais on associe l’idée de l’esprit " celle de la ' morti#ication de la c/air )*

R : En #aisant ainsi endosser " l’esprit les v3tements du ' super &e ), dunomosou duthanatos*

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L : $i l’on pense, %ue c’est aussi pour cela, au #ond, %ue la troisième ' ersonne ) de la Hrinité estdite ' Esprit $aint )*

R : 5’est " dire M

L : ois tu, s’il e-iste un ' Esprit $aint ), cela veut dire alors %u’il en e-iste un autre %ui ne l’est pas et en tenant compte %ue 2ean Saptiste de la $alle appelle le premier ' sou##le de vie ), ' sourced’énergie ) et ' principe de lumière ), nous pourrions alors appelé l’autre, celui pro#ane, ' sou##le demort ), ' source de #aiblesse ) et ' principe de ténèbre )*

R : En e##et, ' La lumière resplendit au sein des ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pointreconnue )* $era ce pour cette raison %ue %uel%ues p/ilosop/es se sont remis " parler récemment de' pensée #aible ) M

L : 2e ne les sais pas* 5e %ue &e sais, comme &e te l’ai dit, c’est %ue l’esprit vivant ou la pensévivante est uneunité de orme et d’énergie, de lumi)re et de chaleur *

R : Hu n’es pourtant pas le seul " soutenir %ue l’/omme doit se réaliser lui m3me en satis#aisant sa propre nature*

L : Sien, maisquelle est sa natureMR : 2e comprends* $i la nature de l’/omme est spirituelle, satis#aire sa propre nature signi#ie alorssatis#aire et réaliser l’esprit*

L : Le #ait est %u’un /omme est complet %uand il développe pleinement sa propre nature, #aited’esprit, d’Cme et de corps celle ci, une #ois développée, il poursuivra la satis#action de ses idéau-morau- avec la m3me #orce et ténacité avec la%uelle il poursuit, d’/abitude, celle de ses désirs*

R : Et un /omme de ce genre, comment e-périmentera t il l’immoralité M

L : 5omme unedé ormation ou une mutilation de son propre (tre*

R : Le moment est arrivé de nous dire au revoir* 8u’as tu " l’esprit pour la proc/aine #ois M

L : La proc/aine #ois sera peut 3tre la dernière o= nous pourrons nous rencontrer* 2’estimerais utile, pour cela, en vue de compléter notre e-amen, de nous consacrer au problème des rapports entre' individualité et espèce )* 5ela te va M

R : D’accord* .u revoir alors, et " la #ois proc/aine*

L : .u revoir*

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L : Et pourtant c’est au 2e " les utiliser ou " &ongler avec eu-* 5omme un peintre, pour réaliser sontableau, se sert des couleurs dont il dispose, ainsi l’individu pour se réaliser lui m3me, se sert deséléments %ue la nature et la culture, ou si tu veu- le destin, mettent " sa disposition*

R : L’espèce devrait elle 3tre par consé%uent lemoyen et l’individualité la in :

L : D’ailleurs, de deu- c/oses l’une : ou c’est " l’individu " s’e-primer au mo en de l’espèce ouc’est " l’espèce " s’e-primer au mo en de l’individu* 8uand on dit de %uel%u’un, par e-emple, %u’ilest ' tout son grand père ) ou ' tout son père ), cela veut dire %u’il s’est identi#ié " un autre, et ils’ignore donc lui m3me comme 2e*

R : 5ela signi#ie t il %ue l’individualité est présente aussi %uand on l’ignore M

L : 5ertes M $i tu a##irmais : ' &e suis l’espèce ), ce serait &ustement " moi " l’a##irmer : " me pr3c/er, " savoir, comme ' espèce ) et " m’identi#ier avec ce concept*

R : ersonne, cependant, n’est totalement individu ou totalement espèce*

L : $ans doute* L’individu se distingue et s’émancipe seulement de manière progressive de tout ce%ui est espèce en lui ce %ui é%uivaut " dire, caractère, tempérament et constitution*

R : <e te semble t il pas %ue la nature et l’espèce conditionnent surtout les rapports entre l’/ommeet la #emme M

L : RilNe a dit en e##et : ' L’/omme aime seulement comme mCle, et non comme /omme )*

R : 2’admire beaucoup RilNe et &e me souviens bien de ses paroles* Elles se trouvent, si &e ne metrompe, dans les Lettres / un eune po)te* Il a aussi un autre passage de cet ouvrage sur le%uel &eré#léc/is souvent, au point %ue &e l’ai appris par c ur*

L : Le%uel M

R : oici : ' Le grand renouveau du monde consistera peut 3tre en ceci %u’/omme et #emme,libérés de toutes les erreurs et dégoPts, ne se c/erc/eront plus comme opposés, mais comme #rèreset proc/es et s’uniront comme des créatures /umaines, pour porter en commun, simples, sérieu- et patients, le di##icile se-e %ui leur est imposé )*

L : raiment, c’est beau, mais &e ne m’en souvenais plus* 5’est vrai de toute manière : surtout lacondition de la #emme est le plus souvent déterminée, socialement, par l’appartenance " son espèce,et non par son individualité*

R : En s’en tenant " ce %ue tu as enseigné, une c/ose est cependantl’indi%idualité, une autrelaconscience de l’indi%idualité*

L : 5ertes* 5’est pour%uoi nous avons dit %ue le 2e est aussi présent %uand on l’ignore : " savoir,%uand on n’est pas encore conscient de soi* Un nouveau né, par e-emple, est un 2e, mais il n’a pasencore conscience du 2e %u’il est*

R : 8uel%u’un a dit " ce propos : ' $i &’étais roi et ne le savais point, ce serait comme si &e ne l’étais point )*

L : <ous pourrions donc dire, en parap/rasant : ' $i &’étais un 2e et ne le savais point, ce seraitcomme si &e ne l’étais point )* L’ennui, toute#ois, c’est %u’en ignorant 3tre des 2e, nous nousidenti#ions avec l’espèce et morti#ions ainsi notre e-istence* L’e*istence de l’/omme, en e##et, n’est

pas déterminée, comme c/e4 tous les 3tres de la nature par son(tre, mais au contraire par saconscience de l’(tre ou par son auto conscience*

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R : $i &’ai bien compris, cependant, l’auto conscience na?t comme conscience de l’ego, et non pascomme conscience du 2e spirituel*

L : 5’est ainsi* La première auto conscience mPrit au terme du soi disant ' Cge évoluti# ) vers 1ans, ndt ! et se présente, en tant %u’e##et de l’identi#ication du 2e avec le corps, commeauto'conscience égo ste: comme conscience, par e-emple, masculine ou #éminine du 2e*

R : .lors, le ' 2e corporel ), dont parlent certains ps c/ologues, n’e-iste pas M

L : <on seulement il n’e-iste pas, mais c’est aussi un bel e-emple de réalisme naO# : on croit %u’ile-iste un ' &e corporel ) l" ou e-iste, au contraire, uneconscience corporelle du -e*

R : .u point o= en sont les c/oses, et en repensant " ce %ue nous nous sommes dits lors de nosrencontres précédentes, d’autre niveau- de conscience devraient se révéler : au dessus du premier,corporel et spatial, il devrait en e##et en avoir un second temporel, un troisième %ualitati#, et un%uatrième, %ue &e ne saurais dé#inir cependant*

L : <ous pourrions le dé#inir ' essentiel ), parce %ue c’est seulement " ce niveau %ue se réalise la pleine auto'conscience* .u premier niveau, le 2e s’identi#ie avec le corps p/ sico spatial, ausecond, avec le corps vivant temporel, et au troisième avec l’Cme, %ui lui donne une conscience ps c/i%ue de soi ou caractérielle*

R : 5’est " ce troisième niveau %ue l’on a la sub ecti%ité, et non l’individuel M

L : 5ertes* Le 2e ps c/i%ue ou ps c/ologi%ue se trouve en dessous du 2e spirituel*

R : .vant d’arriver " soi, le 2e se met donc en relation " trois niveau- di##érents M

L : <’oublie pas, cependant, %ue le premier, celui spatial, est le niveau de la conscience ordinaire,alors %ue le second, celui temporel, et " plus #orte raison le troisième, celui %ualitati#, sont desniveau- de conscience supérieurs* En tout cas, c’est seulement au %uatrième niveau %ue le 2e se

porte, autant au del" de son(tre inconscient et immédiat , %u’au del" de l’auto'conscience indirecte,en réalisant ainsi uneauto'conscience / la ois indirecte et immédiate*

R : $ais tu ce %ue dit " ce propos 2o/annes Hauler M

L : <on, %ue dit il M

R : Il dit, en s’adressant " Dieu : ' 2’ai circulé et &’ai c/erc/é partout dans le monde et &e ne H’ai pastrouvé : parce %ue Hu étais " l’intérieur et moi de/ors, Hu étais auprès de moi et moi, &’étais très loinde moi m3me )*

L : 5’est une belle pensée* Houte#ois, s’il n’avait pas été m sti%ue, en trouvant Dieu, il aurait trouvélui m3me et le monde et en trouvant lui m3me et le monde, il aurait trouvé Dieu* $ais tu plut t, pour ce %ui est de ce %ui est indirect et direct, comment répond l’(mnipotent au- Deva %ui,rassemblés autour de son tr ne, lui demandent %ui Il est M

R : <on, comment M

L : Il répond : ' $i outre moi, il en avait un autre, &e me décrirais par son truc/ement )*

R : Et " la m3me demande adressée par ;oOse, Dieu répond : ' ;oi, &e suis celui %ue &e suis)*

L : En a&outant : ' Hu diras ainsi au- #ils d’Isra`l : 2e suis m’a envo é " vous )*

R : Il me semble important de réaliser, en e##et, %ue la vraie auto conscience a un caractère " la #oismédiat et immédiat* 2ulius \vola, par e-emple, soutient %ue l’on pourrait #aire %uel%ue c/ose de

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mieu- %ue de ne pas se limiter " penser ou conna?tre le 2e : " savoir %u’on pourrait l’3tre ou le posséder*

L : Il a raison* ;ais si l’on ne parvient pas " l’3tre ou " le posséder, grCce " unelibre, progressi%e et patiente é%olution des ni%eau* de conscience %ue nous avons distingués, on court le ris%ue deretomber dans la simple immédiateté : " savoir celle de la%olonté naturelle, %ui se pr3te pas tant "3tre ' possédée ) %ue plut t " ' posséder ), éventuellement sous #orme de ' volonté de puissance )*\coute ce %ue dit Begel " ce propos : ' (n a de manière immédiate ce %ui est supérieur, mais on

parvient seulement grCce " une médiation* Hout penser est immédiat, mais le penser &ustement est,en soi, un processus, c’est un mouvement, une vie Houte vie est mouvement et processus, c’est%uel%ue c/ose de médiat, et d’autant plus la vie de l’esprit : elle consiste " passer d’un degré "l’autre, de ce %ui est purement naturel et sensible " ce %ui est spirituel, et ceci est une médiation )*

R : 5’est e-tr3mement clair* ourrions nous dire, en revenant " notre su&et, %ue, dans la nature, lesindividus sont e-emplaires de l’espèce, tandis %ue c/e4 l’/omme, l’individualité est l’espèce M

L : $ans aucun doute 5/a%ue plante ou animal est en e##et un e-emplaire de l’espèce, tandis %uechaque homme est une esp)ce en soi: c’est " dire un 2e appelé "humaniser sa propre natureanimale, végétale et minérale*

R : ;ais au dessus de l’espèce n’ a t il pas le genre M Il me semble %ue Vant appelle &ustement genus le concept supérieur et species celui in#érieur*

L : 5’est vrai* .u dessus des multiples espèces végétales il a en e##et la plante archétypeou7rp lan+e de Goet/e*

R : Et a t il aussi, au dessus des diverses espèces animales, uneanimal archétypeou 7rtier M

L : E##ectivement, il e-iste et c’estl’homme* Dans l’Cme /umaine, par e-emple, sont présentestoutes les espèces animales*

R : Et aussi au dessus des divers /ommes, en tant %u’espèces en soi, a t il un /ommearchétypeou 7rmensch M

L : Il a m3me ceci, et c’est le Logos ou le hrist : " savoir l’ Ecce homo, le 1enre humain ou,comme l’appelle $teiner, le ' Représentant de l’/umanité )*

R : Il me semble comprendre, cependant, %ue l’7rp lan+e et l’7rtier , par rapport au- plantes et au-animau-, sonttranscendants, alors %ue le Logos, par rapport " l’/omme, estimmanent.

L : Hu as raison* Le Logos, parce %u’il s’est #ait ' c/air ), /abite le 2e spirituel de tout /omme*

R : 5’est donc seulement sur le Logos %ue l’on peut #onder pour cette raison une vraie socialité ou#raternité*

L : Et le 5/rist ne dit il pas " ce propos : ' $ans ;oi, vous ne pouve4 rien #aire ) M

R : Il est donc impossible de réaliser une vraie sociabilité ou #raternité, si l’on ne tient pas comptede la réalité du Logos ou du 2e suis, comme #ondement commun " tous les 2e*

L : <on seulement, mais il est impossible de la réaliser si l’on sous estime ou on ignore la naturea' sociale ou anti'sociale de l’ego* Le #ait est %u’il est impossible d’imaginer une continuité #aited’/ommes p/ si%uement et ps c/ologi%uement égau-, mais il est possible d’en imaginer une #aited’/ommes %ui, tout en étant di##érents, se pensent, s’entendent et se %eulent égau* ou r)res en

hrist , et capables donc d’aimer*

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R : 2e pense %u’on court autrement le ris%ue %ue, au lieu de la liberté et de l’égalité spirituelle oumorale, surviennent la contrainte, l’uni#ormité, le con#ormisme ou, comme on dit au&ourd’/ui,l’/omologation*

L : Et l’/istoire n’a t elle pas démontré %ue %uand on a tenté de réaliser politi%uement l’égalité, ellea #ini &ustement ainsi M <ote, d’ailleurs, %ue dans deu- beau- termes %ue tu as utilisés,' uni#ormité ) et ' con#ormisme ), on retrouve le mot ' #orme )* 5eci dé&" devrait nous #airecomprendre %ue nous ne sommes pas au- prises avec l’esprit ou avec le 2e, %ui est d’autant plus

libre %u’il est privé de #orme, mais bien avec les réalités signées ou naturelles de la ps c/é et ducorps*

R : Une dernière c/ose : comment #ait on pour conna?tre le 2e d’autrui, si sa réalité, " partir de toutce %ue &’ai compris, ne se pr3te pas " une ob&ectivisation M

L : Rappelles toi : ' le semblable conna?t le semblable )* En #ace de tous les ' ob&ets ), le 2e estappelé " intégrer le percept avec le concept, tandis %u’en #ace d’un autre 2e, " savoir, en #ace d’unautre su&et, il doit 3tre capable de se mettre de c té de %uel%ue manière pour pouvoir l’accueillir enlui*

R : Et ceci est ce l’intuition M 2’ai lu %uel%ue part %ue ce terme dériverait deintheos'ire etindi%uerait un acte en mesure d’atteindre l’essence de l’ob&et*

L : 5’est grCce " l’intuition, en e##et, %ue nous atteignons, pour ainsi dire, le 2e d’autrui, et %ue le 2ed’autrui re&oint le n tre* ;ais il s’agit d’un p/énomène e-tr3mement subtil et comple-e %u’il esttemps, " présent, d’a##ronter*

R : D’accord* ;al/eureusement, &e dois te laisser* 5ependant &e me console du #ait %ue nous pourrons nous rencontrer une #ois encore*

L : <e t’en #ais pas* 2e t’attends ici dans sept &ours*

R : Hu peu- compter L : .lors, au revoir*

R : .u revoir*

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8uin4ième et ultime dialogue

R : Du moment %ue celle ci est notre dernière rencontre, &e voudrais te poser certaines %uestions, sicela ne te dérange pas*

L : Aais donc*

R : 5ommen7ons par celle ci : e-iste t il ou pas un au del" ML : Hu veu- dire une réalité %ui transcende notre e-périence M

R : 8ui transcende, soit les limites de l’e-istence #inie, soit celles de la connaissance /umaine*

L : $ais tu ce %ue Begel te dirait M

R : <on, %ue me dirait il M

L : 2e te le lis : ' Le monde réel, n’est pas autre part, il n’est pas dans l’au del", mais c’est aucontraire le monde réellement e-istant considéré dans sa vérité, non pas tant %u’il puisse 3tre touc/éet en général tel %u’il se mani#este au- sens : " l’ouOe, " la vue, et ainsi de suite )* Rappelle toi, detoute manière, ce %ue nous avons dit en son temps* 8ue l’e-istence n’est #inie %ue pour le percevoir,et %ue les limites du percevoir sont dépassées par le penser*

R : Dans le conna?tre et dans le créer M

L : 5ertes* Dans le conna?tre, on remonte de la singularité du percept eu concept, tandis %ue dans lecréer, on descend de l’universalité du concept au percept pour réaliser ou modi#ier l’ob&et*

R : Le seul concept et le seul percept ne su##isent donc pas M

L : Ils ne su##isent pas " la connaissance sensible* Le percept, %ui est une partie de la réalité, serévèle " nous par l’intermédiaire du corps, tandis %ue le concept, %ui est l’autre partie de la réalité,se révèle nous au mo en de l’esprit* Leur union seule, dans l’Cme, nous donne la réalité complète*

R : Le penser saisit doncles concepts de la réalité, tandis %ue le percevoir saisitla réalité desconcepts.

L : Il l’appré/ende, sur le plan ordinaire, en tant %ue réalité sensible et, sur le plan intuiti#, en tant%ue réalité spirituelle* Hu sais %ue le réel pour Begel, est ' unité d’3tre et d’e-istence )* E/ bien, leconcept, %uoi%ue sous une #orme déterminée, nous donne l’(tre, le percept nous donne l’e*ister , etle conna?tre en unissant l’un et l’autre, nous donne leréel *

R : ourrait on dire %ue le soi disant ' au del" ) n’est %ue l’essence d’ici bas et %ue l’ici bas n’est%ue l’e*istence de l’au'del/M

L : .ssurément* <ous pourrions dire %ue l’au'del/ n’est que l’intérieur de l’ici'bas, et %ue l’ici'basn’est que l’e*térieur de l’au'del/* <ous distinguons en e##et la réalité e-térieure du monde de celleintérieure de l’Cme, mais nous ignorons %ue la réalité de l’esprit, tout en se présentant " l’intérieur,est e-térieure " l’Cme*

R : ourrions dire, par consé%uent, %u’elle constituCt ' l’e-térieur de l’intérieur ) M

L : ;a #oi, ce %ue disaient les ;a?tres de 5/artres, nous pourrions nous aussi le dire* De toute

manière ce %ui importe le plus si l’on veut vraiment dépasser le dualisme d’intériorité etd’e-tériorité, c’est de réaliser %uel’e*térieur de l’intérieur h n’est autre %ue l’intérieur de

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l’e*térieur : " savoir, l’essence spirituelle du monde %ue nous e-périmentons au mo en des sens p/ si%ues*

R : Et dis moi, le concept singulier est il appré/endé par l’intellect M

L : (ui* Hout concept n’est %u’une tesselle de cette immense mosaO%ue constituée par le monde desidées et c’est grCce " la perception sensible et " l’intellect %ue nous parvenons " arrac/er, du tissuunitaire de ce monde, les concepts singuliers* 5eu- ci, une #ois isolés, sont utilisés par la raison pour recomposer, de manière consciente et progressive, l’unité originelle*

R : <ous disposons donc de tout ce %ui sert pour conna?tre le monde et nous m3mes*

L : Le #ait est %uel’homme est monde ou, pour 3tre plus précis, cette partie l" du monde %ui per7oitet pense, soit l’autre partie, soit elle m3me* 5e n’est %u’" cause de la perception sensible %ue l’unes’e-périmente opposée " l’autre* Le penser, en dépassant une telle opposition, réunit cependantl’/omme au monde et " lui m3me*

R : 5omment na?t alors l’idée, si répandue, %ue le #ondement du réel se trouve au del" du monde%ui nous entoure M

L : Elle na?t du #ait %ue les concepts et les relations, %u’en pensant, l’3tre /umain découvre entreceu- ci, sont estimées sub&ectives* Une #ois réduite ou dénaturée de cette #a7on, la réalité desconcepts et du penser, on part ensuite " la rec/erc/e de %uel%ue contenu %ui, en se trouvant ende/ors du monde e-périmenté et e-périmentable, en garantisse la réalité*

R : ;ais le penser, dis tu, n’est pas sub&ecti#*

L : En vérité, il n’est ni sub&ecti#, ni ob&ecti#, parce %ue c’est &ustement le penser " poser aussi bile concept de su et %ue celui d’ob et * ;3me les concepts ne sont pas sub&ecti#s, parce %u’ilsconstituent cette partie de la réalité %ue les sens ne sont pas en mesure de saisir* Il #aut rappeléd’ailleurs %ue m3me le contenu de notre personnalité sub&ective dérive du monde des idées*

R : Hu te ré#ères au 2e M

L : <on* Le 2e, comme le penser, est au del" du su&et et de l’ob&et* ar ' contenu de notre personnalité ob&ective ), &’entends cette partie du monde des idées %ui nous a été assignée par ledestin et " la%uelle se trouve particulièrement lié notre sentir* Il s’agit des %ualités dont l’Cme esttramée, %ui, en agissant sur la base des #orces de la sympathie et de l’antipathie, s’attirent si ellessont a##ines et se repoussent si elles sont contraires*

R : 5ela n’est pas clair pour moi*

L : ois tu, le 2e dispose de tout le monde des idées, tandis %ue l’Cme ou, pour mieu- dire, la ps c/é n’en dispose %u’en partie*

R : 5eci a t il peut 3tre " #aire avec ce %ue l’astrologie appelle ' t/ème natal ) M

L : De manière imaginative, en e##et* 0 partir du moment o= le monde des concepts est un monde' astral ) ou ' stellaire ), la partie de ce monde %ui nous a été assignée par le destin, nous pourrionsaussi la considérer, au sens large, une ' constellation )*

R : 5omme une partie plus ou moins grande, " savoir, du cercle 4odiacal*

L : De la%uelle le 2e, ne l’oublie pas, est le centre, cependant* 5’est pour cela %u’il a la possibilité

d’ac%uérir, comme le dit $teiner ' de nouvelles #orces astrales ) ou, comme dit 2ames Billman, de' #aire Cme )*

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R : En raison du #ait, &’imagine, %ue celui %ui se trouve au centre possède tout le cercle, et passeulement sa partie* 5elle %ui nous a été assignée, est elle alors en rapport avec le caractère M

L : En e##et, parce %ue le caractère dépenddu penser et, du %ouloir dans le sentir , et donc du destin*

R : Il semble %u’Esc/ le ait &ustement dit : ' Le #ait est le caractère )* ;3me les ob&ecti#s, en tant%u’idées, ne sont ils pas déterminés par un au del" e-tra/umain M

L : Begel dit %ue ' #in ) et ' but ) est ' le concept capable de s’ob&ectiver lui m3me ) mais uneidée, nous l’avons dit, peut devenir une ' #in ) ou un ' but ) seulement si c’est l’/omme %ui la veut*

R : .vant, si &e ne me trompe, ne doit elle pas, cependant, 3tre appré/endée par intuition M

L : 5ertes* Dans le conna?tre, d’abord la perception nous donne l’ob&et et ensuite l’intuition nousdonne le concept dans la création, c’est l’inverse, d’abord l’intuition nous donne le concept etensuite la perception nous donne l’ob&et*

R : 0 savoir l’ob&et créé* Il me semble pourtant %u’au su&et de l’intuition, on en parle en général demanière appro-imative ou incorrecte*

L : ;al/eureusement c’est le cas* our 2ung, par e-emple, l’intuition serait une ' #onction ) ps c/i%ue " distinguer non seulement de celles du sentiment ou de la sensation, mais aussi de la pensée*

R : 2e te con#esse %ue lors%ue &e lis 'Types psychologiques 3, cette distinction me laisse très perple-e*

L : 2e le crois bien 5e serait comme de dire %ue, dans la nature, la réalité, %ue sais &e, des c/èvresdoit 3tre distincte non seulement de celle minérale et de celle végétale, mais aussi de la réalitéanimale*

R : 5e serait absurde* Les c/èvres #ont partie du règne animal*

L : Hout comme l’intuition #ait partie du règne de la pensée, et n’est pas par consé%uent une#onction ou une réalité en soi*

R : ;3me si, tu admettras %u’elle en constitue une mani#estation très particulière*

L : Hu as raison* L’intuition conceptuelle est sui generis< parcequ’elle est caractérisée par le #aitd’3tre, en m3me temps,une perception du concept de la part du -e et une perception du -e de la part du -e: en bre#, une perception de l’esprit de la part de l’esprit, et donc uneauto'perception*

R : 5e n’est pas clair pour moi*

L : ois tu, dans l’intuition conceptuelle :celui qui réalise l’intuition et l’ob et de l’intuitioncoOncident : Le su et donne sa orce / la orme du concept et le concept donne sa orme / la orcedu su et.

R : a t il une di##érence entre cette intuition intellectuelle et l’intuition ' empiri%ue ) dont parleVant dans son est/éti%ue transcendantale M

L : En tenant compte du #ait %ue, pour lui, l’intuition empiri%ue se ré#ère " l’ob&et, et donc au p/énomène, on pourrait dire %ue l’intuition empiri%ue est une perception sensible, alors %uel’intuition conceptuelle est une perception spirituelle*

R : our%uoi as tu parlé d’auto perception M1 $ui generis, latin, propre " une espèce ou " une c/ose j spéci#i%ue!

KF

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L : Imagine %ue tu per7ois ou tu penses un arbre* 5elui ci est un ob&et %ui se trouve en de/ors detoi, et %ue toi, en %ualité de su&et, tu connais* $i tu décides cependant, en %ualité de su&et, de percevoir et de te penser toi m3me, la situation c/ange, puis%u’" présent, le 2e per7ois et pense le 2e*

R : arce %u’il se pose comme ob&et*

L : En réalité, cependant, c’est le su et qui pose et non pas celui qui est posé*

R : En s’en tenant " tout ce %ue nous avons dit la #ois passée, on peut poser le su&et " des niveau-di##érents*

L : En e##et, " divers niveau- de conscience*

R : $i &e me souviens bien, on réalise l’auto conscience égoOste %uand le 2e se pose dans l’espace, es’identi#ie donc avec le corps*

L : Et celle ci, désormais nous le savons, est l’auto conscience ordinaire, sensible ou intellectuelle*

R : (n en réalise, " l’inverse, une supérieure %uand le 2e se pose dans le temps, et une autre, " unniveau encore plus élevé, %uand le 2e se pose dans la %ualité*

L : 2uste* .u premier de ces niveau- supérieurs, l’auto conscience rev3t un caractèrebiographique, puis%ue le 2e s’e-périmente comme une réalité vivante ou comme un processus %ui se déroule, sanssolution de continuité, de la naissance " la mort au second, elle rev3t au contraire, un caractèrequalitati , puis%ue le 2e s’e-périmente comme une réalité de vie d’Cme, et donc étrangère au tempset " l’espace*

R : enses tu %ue ces deu- #ormes d’auto conscience puissent 3tre de %uel%ue manière représentée par le ' vitalisme ) et par le ' ps c/ologisme ) M

L : 2e dirais %ue oui* 5’est de toute manière au del" du troisième niveau %ue le 2e est appelé " passerde l’a%oir / l’(tre, parce %u’il ne dispose plus de niveau- au-%uels se poser ou au traversdes%uels se mettre en relation* Une c/ose est, en e##et, le 2e comme espace, comme temps, oucomme Cme, une autre le -e comme -e*

R : Et donc M

L : Et donc le 2e, ne pouvant plus s’identi#ier avec celui posé, doit remonter de nouveau lemouvement du poser pour arriver au posant et rentrer ainsi en soi m3me*

R : 2’imagine %u’en disant ' posé ), tu as voulu dire ' pensé ), tout comme en disant ' poser ) et' posant ), tu as voulu dire ' penser ) et ' pensant ) M

L : E-act*R : Le moment est venu de se dire au revoir* 2e le dis vraiment avec regret parce %ue &e sais %uecelles ci, au moins pour l’instant, est notre ultime rencontre*

L : $’il pla?t " Dieu, nous reprendrons peut 3tre nos conversations*

R : 2e t’assure %ue &e continuerai " penser " tout ce %ue tu as dit*

L : Et c’est ce %ui compte* ois tu, comme l’ u# a besoin, pour pouvoir donner vie " l’3tre du poussin, d’3tre amoureusement couvé, de m3me, la pensée a besoin, pour pouvoir donner vie " ellem3me, " savoir, " l’3tre de l esprit, d’3tre amoureusement méditée*

R : <’est pas ainsi %ue l’on se trans#orme M

KK

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L : 5ertes* Un conna?tre %ui ne se trans#orme pas, %ui ne s’améliore pas, %ui ne nous rend plus/umains, n’est pas un vrai conna?tre*

R : Hout comme &e pense %ue n’est pas un bon conna?tre le conna?tre %ui ne trans#orme pasn’améliore pas et ne rend pas plus /umain le monde*

L : $i cela ne te déplais pas, &e voudrais te proposer de te saluer et de nous éloigner en silence,reconnaissants d’avoir pu c/erc/er ensemble et avec &oie la vérité*

R : D’accord*

L : .lors au revoir*

R : .u revoir*

P.+. En prenant congé de mes ' vingt cin% lecteurs ), " l’instar de ;an4oni, &e voudrais les inviter " ré#léc/ir aussi sur le passage suivant de Begel :

' Les Grecs et les Romains > de m3me %ue les .siati%ues > ne savaient rien du concept grCce au%uelL&!omme en

tant u&!omme na?t libre, grCce au%uel l’/omme est libre laton et .ristote, 5icéron et les &uristes romains neconnaissaient pas cette notion, et la connaissaient encore moins les peuples, %uoi%u’elle seule soit source du droit *5ertes, ils savaient %u’un Xcito enY at/énien, un Xcito enY romain, unin-enuus , est libre ils savaient %u’e-istent deslibres et des non libres, mais ils ne savaient pas %ue l’/ommeen tant qu’/omme est libre l’/omme en tant %u’/ommesigni#ie l’/ommeuni%ersel , l’/omme tel %u’on l’appré/ende dans la pensée et comme la pensée sait l’appré/ender* Dansle c/ristianisme s’imposa la doctrine %ue devant Dieu, l’/omme est libre, parce %ue 5/rist a libéré l’/umanité devantDieu on est tous égau-, libérés pour re&oindre la liberté c/rétienne : de semblables déterminations rendent la libertéindépendante de la naissance, de la position sociale, de la culture etc*, et c’est e-traordinaire combien elle progresse deces #a7ons, mais celles ci sont encore di##érentes de ceci : %ue l’3tre libre accomplit leconcept d’/omme ) G*^*A*Begel : ours sur l’histoire de la philosophie > Later4a, Rome Sari JJ9, p*+FQ!*

Lucio Russo, Rome

Hraduction : Daniel VmiéciN!