RUOZZI PAOLA Sujet n°3 : “L’ANALOGIE”
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RUOZZI PAOLA
Sujet n°3 : “L’ANALOGIE”
L-11 LLS (Ling) = Laurea triennale in Lingue e Letterature Straniere, curriculum Linguistico-didattico
3 LT- Corso: “Introduzione al cambiamento linguistico” (Linguistica d’area) – 36h – 6 CFU
LE ROLE COMPENSATOIRE DE L’ANALOGIE DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS: INFLUENCE SUR LA
DÉCLINAISON ET SUR LA CONJUGAISON.
Les réfections analogiques ont concerné aussi bien la déclinaison que la conjugaison. Dans le domaine de la
déclinaison du nom, l’analogie n’a touché sporadiquement qu’au cas sujet, de sorte que, avec la disparition
de ce dernier, ses conséquences n’ont pas passé au français moderne ; un peu différent est le cas de la
déclinaison de l’adjectif, et en particulier de celle des adjectifs latins épicènes1 (du tipe grandis, -e, ainsi
que les participes présents), refaits sur le modèle des adjectifs latins en –us, -a, (-um), et donc finalement
différenciés en genre (grantz, au début masc. et fém. passe à grantz vs. grande, c'est-à-dire masculin vs.
féminin, le neutre s’étant perdu en chemin). Mais c’est dans le domaine de la conjugaison verbale que
l’analogie a produit ses effets les plus remarquables ; son action, en particulier, a servi à uniformiser les
paradigmes des verbes latins qui, une fois passés au français sous l’effet des lois phonétiques, avaient
donné des conjugaisons rhizotoniques, c'est-à-dire des conjugaisons où l’on observait une alternance
radicale entre les personnes dont la voyelle radicale latine était accentuée (ex. ámo > j’aime) et celles dont
la voyelle radicale, grâce à un déplacement à droite de l’accent, dû à l’allongement du mot, était atone (ex.
amámus > nous amons > nous aimons) ; un développement phonétique différent ayant marqué les voyelles
latines atones et les voyelles toniques, les paradigmes romans qui en étaient issus avaient fini par afficher
une conjugaison « sur deux bases ». Les modifications analogiques, visant à rétablir le même radical tout au
long de la conjugaison (par extension du radical le plus fréquent aux six personnes), se sont donc
conservées, non sans quelques incohérences (ex. je meus vs. je veux), jusqu’en français moderne.
(1) L’ANALOGIE DANS LA DÉCLINAISON DES NOMS ET DES ADJECTIFS.
Pour comprendre les résultats que la flexion latine du nom a donné en AF il faut tenir compte et des
terminaisons latines originaires (présence ou non d’un –s de flexion), et des remaniements que ces
terminaisons ont connus en bas latin et en latin médiéval (par ex., le nominatif pluriel des masculins de la
3e décl. est refait de –es en –i, ex. canes > cani, ce qui explique l’absence de –s au CSP pour ce type de
noms, mais le maintien du –s au CRP :
cas sujet (nominatif) pluriel : canes > cani > li chien
cas régime (accusatif) pluriel : canes > les chiens ;
le CSP des féminins en –a de la 1re déclinaison, par contre, a connu le processus inverse : puisque le
nominatif pluriel latin a été refait de –ae en –as, cela explique qu’en AF ces noms aient un CSP avec –s de
flexion qui le rend de fait identique au CRP :
cas sujet (nominatif) pluriel : rosae > rosas > les roses
cas régime (accusatif) pluriel : rosas > les roses.
1 Il s’agit d’adjectifs qui présentent une seule forme pour le masculin et le féminin (ex. grandis, fortis, viridis) et une
forme distincte pour le neutre (ex. grande, forte, viride). Ils appartiennent à la 3e déclinaison latine. Les participes
présents latins, en –ans/–ens (ex. amans, videns, dormiens, réduits à une forme unique –ans > -antis aux Ve-VIe ss.), qui présentent, au nominatif singulier au moins, une forme unique pour les trois genres, se rattachent également au adjectifs épicènes. En effet, ils ne différencient le masc./fém. du neutre qu’au pluriel (ex. amantes vs. amantia).
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Voici de suite une exemplification des aboutissements en AF des noms appartenant aux trois déclinaisons
latines survécues à la ruine casuelle : d’abord le masculin, et ensuite le féminin. Les articles définis qui
apparaissent dans les tableaux sont issus, par aphérèse, des formes latines suivantes :
ille > *illi > li (CSS)
illu(m) > illo(m) > le (CRS)
illi > li (CSP)
illos > les (CRP)
illa > la (CSS)
illa(m) > la (CRS)
illae > illas > les (CSP)
illas > les (CRP)
(1A) L’ANALOGIE DANS LA DÉCLINAISON DU NOM.
LA DÉCLINAISON DU NOM MASCULIN.
Il existe en AF trois types principaux de déclinaison du masculin.
LE PREMIER TYPE (flexion sur une seule base) contient les mots de la 2e déclinaison latine, y compris les
noms de la 4e refaits sur le modèle de la 2e, certains substantifs, tel castellum, passés du neutre au masculin
> castellus ; d’autres, comme caput > *capus, ont en même temps connu un changement de déclinaison et
perdu leur nature imparisyllabique (caput, -itis).
TYPE LATIN2 : murus, muru(m) (« mur ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li murs (< murus) li mur (< muri)
CAS REGIME le mur (< muru(m)) les murs (<muros)
TYPE LATIN : caballus, caballu(m)(« cheval ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li chevals > chevaus > chevax3
li cheval
CAS REGIME le cheval les chevals > chevaus > chevax
Notes de phonétique et de graphie : les noms dont le thème se termine par voyelle (ex. rois, roi) ou par [n] non
mouillé ni appuyé (ex. chemins, chemin ; chiens, chien) ne se modifient pas au contact de l’-s de flexion ; par contre, si
le thème se termine par certaines consonnes, ces dernières peuvent subir des changements au contact de l’ –s de
flexion ; en particulier :
[p], [b], [m], [k], [g] et [f]4 chutent devant –s :
drap + s = dras (“drap”); champ + s = chans (“champ”); cop + s = cos (“coup”)
gab + s = gas (“plaisanterie”)
verm + s = vers (“ver”)
duc + s = dus ; clerc + s = clers
2 Les formes indiquées comme « type latin » sont réduites aux cas nominatif et accusatif, c'est-à-dire les seuls cas qui aient survécu en AF. 3 Le “x” devient bientôt une notation graphique commune pour le groupe “us ». Même sort, par exemple, pour
l’adjectif salvus, -a, -um qui, au CSS et au CRP du masculin donne soit sals, soit saus, soit sax, ou bien pour l’adjectif bellus, -a, -um qui donne, aux mêmes cas, biaus, biax. Le CSS et le CRP sont en effet les seuls où il y ait un –s de flexion. 4 Y compris le cas du son [v] assourdi en [f] en coda, ou devant l’-s de flexion. Le [f] ne chute quand même pas toujours : voir, plus loin, clefs, de claves.
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sang + s = sans
cerf + s = cers ; chief + s = chiés (“chef”); ser(v) + s = sers (“serviteur”)
dans la suite [ul], le [l] disparaît : nul + s = nus (« aucun, personne »), mais il se maintient dans [il] fil + s = fils
au contact de l’-s de flexion, le [l] se vélarise en [u], comme le montre la déclinaison de cheval
les dentales [t] et [d], ainsi que [n] appuyé ou mouillé, suivis de –s, fusionnent avec celui-ci en produisant la
mi-occlusive [ts], graphiée [z] ; d’ailleurs, à partir de 1200, le groupe [ts], dont la dentale originaire sera de
moins en moins sensible, sera simplifié en [s], avec tendance à remplacer donc [z] par [s] (on trouvera alors
pechiés pour pechiez, jors pour jorz, escus pour escuz, pons pour ponz) :
pied + s = piez ; congie(d) + s = congiez (“permission”); cri(d) + s = criz (“cri »)
lit + s = liz ; serjant +s = serjanz; pont +s = ponz (“pont”); vent + s = venz (“vent”)
poing + s = poinz (“poignée”); jorn + s = jorz (“jour”)
LE DEUXIÈME TYPE (flexion sur une seule base) regroupe un petit nombre de substantifs latins de la 3e
déclinaison se terminant au nominatif singulier par –er (ex. pater, mater, liber) ou –or (ex. arbor, marmor),
donc sans –s de flexion au CSS. La liste complète est la suivante : père, frere, arbre, chandelabre, gendre,
livre, maistre, ventre, marbre.
TYPE LATIN : pater, patre(m) (« père ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li pere (s) (< pater) li pere (< patri < patres)
CAS REGIME le pere (< patre(m)) les peres (< patres)
Toutefois, par analogie des substantifs du 1er type, largement majoritaires, un –s a pu être ajouté au CSS,
comme dans le vers suivant, tiré de la Queste del Saint Graal, roman du XIIIe siècle :
Or vos dirai donc, fet li freres, que vos feroiz (Queste, 36, 13, cit. Joly G. (2004) : 10) (« Maintenant je vous
dirai, fit le frère, ce que je vous ferais », PR)
LE TROISIÈME TYPE (flexion sur deux bases), finalement, regroupe tous les noms de la 3e déclinaison latine
qui affichent un thème différent au CSS par rapport aux autres cas. Cette différence relève à la fois d’une
différence d’accentuation et d’une disparité du nombre des syllabes entre le nominatif et les autres cas. Il
s’agit donc de substantifs imparisyllabiques, pour la plupart à accent mobile (ex. báro, barónis) mais aussi à
accent fixe (ex. hómo, hóminis ; cómes, cómitis) dont le référent humain avait empêché la réfection du
nominatif (le modèle selon lequel le latin classique civitas, civitatis est refait en civitatis, civitatis n’est pas
suivi à cause de la fréquence des noms de personne dans les apostrophes).
TYPE LATIN : báro, barónem (d’abord « simple, naïf » en latin, ensuite « baron ») (imparisyllabique à accent mobile, 3e décl. lat)
SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li ber li baron
CAS REGIME le baron les barons
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TYPE LATIN : cómes, cómitis (d’abord « copain, compagnon » en latin, ensuite « comte ») (imparisyllabique à accent fixe, 3e décl. lat.)
SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li cuens li comte
CAS REGIME le comte les comtes
TYPE LATIN : hómo, hóminis(« homme ») (imparisyllabique à accent fixe, 3e décl. lat.)
SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET li uem (hom) li ome
CAS REGIME le ome les omes
Appartiennent au 3e type les mots d’origine latine en –o, -onem comme
li garz, le garçon (garcio, -onem, “mercenaire, valet, écuyer » ; relatinisation du francique ?)
li fel, le felon (fello-, -onem, “félon, criminel, lâche, traître”)
li compain, le compagnon (lat. pop. companio, -onem, littér. “celui qui mange du pain avec »,
« copain »)
li lerre, le larron (latro, -onem, “voleur”)
ou bien en –or, -orem, comme
li pastre, le pastor (pastor, -orem, “pasteur”)
li sire, le seignor > seigneur (senior, -orem “plus vieux »)
li maire, le majeur (major,-orem, « plus grand »)5
li emperere, l’empereor (imperator, -orem “celui qui donne les ordres »)
li chantre, le chantor (cantor, -orem “chanteur”)
li ancestre, l’ancessor (antecessor, -orem “celui qui précède”)
li traitre, le traitor (traditor, -orem, « traître »)
ou bien encore des mots d’origine diverse comme
li nies, le nevou > neveu (nepos, -otem, « neveu »)
l’enfes6, l’enfant (infans, infantem « bébé, enfant »)
TYPE LATIN : imperátor, -óris (« commandant », « celui qui donne les ordres » (imparisyllabique à accent mobile de la 3e décl. lat.)
SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET l’emperere(s) li empereor
CAS REGIME l’empereor/l’empereur les empereors/ les empereurs
Dans ce type aussi, le CSS peut recevoir un –s analogique de flexion, par souci de conformité avec la 1re
déclinaison (majoritaire).
5 Dans le cas de sire/seigneur, maire/majeur, on constate une spécialisation sémantique du CS et du CR en français moderne, qui a ainsi conservé les deux cas. 6 Il s’agit d’un de très rares substantifs qui, en AF, ne sont pas oxytons.
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Il existe finalement un QUATRIÈME TYPE de déclinaison, réservée aux mots latins qui, présentant un thème
consonantique en –s, demeurent invariables, tel mois, provenant de mensis, mensem). Le problème des
adaptations analogiques par l’ajout d’un –s de flexion ne se pose donc pas ici.
LA DÉCLINAISON DU NOM FÉMININ.
La déclinaison du nom féminin présente aussi trois types, dont le premier représente, comme dans le cas
du masculin, le modèle de déclinaison majoritaire.
LE PREMIER TYPE (flexion sur une seule base) inclut les mots (pour la plupart féminins) de la 1re déclinaison
latine (ex. rosa, rosa(m)), mais comprend aussi les noms de la 5e refaits sur la 1re, comme facies > facia,
glacies > glacia, rabies > rabia, ainsi que les neutres pluriels de la 2e, du type folia, poma, prata, pris pour
des féminins.
TYPE LATIN : rosa, rosa(m) (“rose”) SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la rose (< rosa) les roses (<rosas)
CAS REGIME la rose (< rosa(m)) les roses (<rosas)
TYPE LATIN : foemina, foemina(m) (“femme”) SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la feme les femes
CAS REGIME la feme les femes
Comme on peut le voir, ces substantifs n’affichent plus une déclinaison à proprement parler : une seule
forme caractérise le singulier, une seule forme le pluriel, comme en français moderne ; la seule
différenciation consiste dans l’ –s du pluriel, qui marque le nombre. L’article défini n’aide pas non plus à la
différenciation des cas à l’intérieur du singulier et du pluriel, s’agissant, ici comme là, d’une même et seule
forme.
LE DEUXIÉME TYPE (flexion sur une seule base) regroupe la plupart des mots issus de la 3e déclinaison
latine ; il s’agit et des mots parisyllabiques à accent fixe du type finis, -em (« fin ») ou potionis, -em
(« boisson, breuvage »)et des mots originairement imparisyllabiques à accent mobile (ex. virtus, virtutem ;
civitas, civitatem) dont le nominatif avait été refait sur la base des cas obliques7 (donc : virtutis, virtutem ;
civitatis, civitatem). Font donc partie de ce groupe les féminins dont le thème se termine par une consonne,
comme fain (« faim »), fin, main, maison, poison, raison, rien (« chose »), amor, flor (« fleur »), paor
(« peur », de pavor, -orem refait en pavoris, pavorem), honor, dolor, char (« chair » de caro, carnem, refait
en carnis, -em), cort, gent, jument, nuit, clef, nef, noif (« neige »), soif, ainsi que les féminins qui, ayant
perdu leur dentale finale post-tonique, se terminent par voyelle accentuée : cité, biauté (« beauté »), leauté
(« loyauté »), santé, verté (« vérité »), volenté (« volonté ») – et tous les noms abstraits de ce type – merci,
vertu, foi…etc.
7 Du coup, on avait donc neutralisé à la fois leur nature imparisyllabique et leur accent mobile.
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L’analogie intéresse ce type flexionnel dans la mesure où la particularité de ces noms est de pouvoir
présenter deux formes pour le CSS, l’une en –s étymologique (ex. vertuz, raisons, flors), l’autre sans (vertu,
raison, flor): les modèles en jeu ici sont à la fois celui de la déclinaison majoritaire en –e (le type feme), ainsi
que la tendance à réduire le paradigme du singulier, comme celui du pluriel, à une seule et même forme.
Là où le –s de flexion est ajouté, tout de même, on trouve les mêmes modifications phonétiques et
graphiques observées plus haut pour le masculin :
TYPE LATIN : virtutis, virtutem (“vertu”) SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la vertuz/la vertu les vertuz8
CAS REGIME la vertu les vertuz
TYPE LATIN : ci(vi)tatis, ci(vi)tatem (“ville ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la citez/la cité les citez
CAS REGIME la cité les citez
TYPE LATIN : clavis, clavem (“clé ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la clés/la clef les clés/les clefs
CAS REGIME la clef les clés/les clefs
TYPE LATIN : mortis, mortem (“mort ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la morz/la mort les morz
CAS REGIME la mort les morz
LE TROISIÉME TYPE (flexion sur deux bases) ne comprend que quatre mots, tous imparisyllabiques, dont
trois présentent un élargissement en –ain au cas régime9 (ante, antain (« tante », de amita, anem), nonne,
nonnain (lat. ecclés. pop. nonna, -anem« nourrice »), pute, putain (« putain »), de put(t)a, -anem), tandis
que le quatrième est le substantif suer, seror, issu de soror, sororem (« sœur »). Avec pute/putain, et
ante/antain, on est en présence de ces rares substantifs dont le CS a survécu en français moderne, au
détriment du CR (suer > sœur)10.
TYPE LATIN : soror, sororem (« sœur ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la suer les serors
CAS REGIME la seror les serors
TYPE LATIN : putta, puttane(m) (littér. fém. de put « puant, sale, mauvais » ; ensuite « putain »)
SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET la pute les putains
CAS REGIME la putain les putains
8 Le nominatif pluriel (-es) des imparisyllabiques féminins de la 3
e décl. latine n’a pas été refait en –i.
9 Ce type de formation, qui a connu un certain succès en AF, est sans doute d’origine germanique.
10 Dans le cas de ante (continuation du lat. amita, « tante du côté du père » ; cf. angl. aunt), la forme actuelle relève d’une soudure avec le possessif (ta ante > tante), structure qui constitue, à son tour, une déformation enfantine. Au XVIe siècle on trouve encore belante, forme agglutinée de belle ante, « belle tante ».
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Plusieurs noms propres, aussi, se déclinent selon ce modèle (ex. Berte, Bertain ; Eve, Evain).
Comme pour les masculins, il existe aussi un QUATRIÉME TYPE de déclinaison, invariable, réservée au
substantifs dont la base se termine par [s] (graphié –s), ou [ts] (graphié –z) : empereris, croiz, foiz (« fois »,
du lat. vices, « succession d’événements, vicissitudes » ; même racine qui a donné le fr. toutefois, de
toute(s)-fois, à son tour issu de toute(s)-voies, l’it. tuttavia etc.), paiz (« paix »), voiz (« voix »)…etc.
(1B) L’ANALOGIE DANS LA DÉCLINAISON DE L’ADJECTIF.
La déclinaison de l’adjectif en AF comporte les types suivants.
Le PREMIER TYPE, le plus banal, concerne les adjectifs issus des adjectifs latins en –us, -a, -um du type
bonus, bona, bonum ; par conséquent, ce type flexionnel englobe aussi les participes passés (surtout les
participes faibles, ou réguliers, accentués sur la voyelle désinentielle du type amatus, -a, -um) qui suivaient
en latin la déclinaison de bonus. Bien que le neutre disparaisse peu à peu, ces adjectifs se démarquent par
leur capacité à différencier le masculin du féminin : puisque, à partir du VIIIe siècle (où toutes les voyelles
finales chutent à l’exception de [a]), la terminaison –us ne laisse pas de traces alors que le [a] de la
terminaison féminine se conserve en passant à [ə], ces adjectifs affichent un féminin en –e, opposé au
masculin, à terminaison consonantique :
TYPE LATIN : bonus, -a, -um («bon »)
SINGULIER MASCULIN
PLURIEL MASCULIN
SINGULIER FÉMININ
PLURIEL FÉMININ
NEUTRE
CAS SUJET bons bon bone bones bon
CAS REGIME bon bons bone bones
TYPE LATIN : salvus, -a, -um («sauf, à l’abri, intact »)
SINGULIER MASCULIN
PLURIEL MASCULIN
SINGULIER FÉMININ
PLURIEL FÉMININ
NEUTRE
CAS SUJET sals/saus/sax salf/sal/sauf salve/sauve salves/sauves salf/sal/sauf
CAS REGIME salf/sal/sauf sals/saus/sax salve/sauve salves/sauves
TYPE LATIN : amatus, -a, -um (« aimé”)
SINGULIER MASCULIN
PLURIEL MASCULIN
SINGULIER FÉMININ
PLURIEL FÉMININ
NEUTRE
CAS SUJET amez amé amée amées amé
CAS REGIME amé amez amée amées
Notes de phonétique et de graphie sur les couples masculin/féminin :
lorsque la base du masculin se termine par une consonne sourde, la présence du [ə] au féminin,
originairement prononcée, entraîne une sonorisation de la consonne, en position intervocalique ; parfois la
graphie reflète la prononciation, comme dans vif/vive ; sauf/sauve ; chaitif/chaitive ; hastif/hastive ;
lait/laide ; vuit/vuide ; chaut/chaude; parfois, au contraire, malgré l’opposition sourde/sonore du type
mauvais/mauvaise, la graphie ne se soucie pas de différencier les deux sons.
Un cas particulier est représenté par les thèmes en [k] (graphié [c]), qui peuvent soit passer à [ ʃ ] comme
dans sec/seche, frais/fraîche ; blanc/blanche ; franc/franche ; soit se sonoriser et passer à [g] comme dans
lonc/longue.
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Notes de phonétique et de graphie sur le contact du –s de flexion avec la base:
Comme vu en précédence, les labiodentales [f] et [v] ont tendance à chuter devant le –s de flexion : les CSS
vis de vif + s, chaitis de chaitif + s, hastis de hastif +s ou bien saus de sauf + s en sont la preuve.
Il en est de même pour le son [k] (graphié [c]), qui chute devant le –s de flexion (lonc + s = lons).
Devant le –s de flexion, la latérale [l] tend à se vélariser en [u] comme dans le cas des substantifs : bel + s =
biaus ; fol + s = fous ; vieil + s = vieuz ; novel + s = noviaus.
Parfois l’-s de flexion produit, à la fois, vélarisation de [l] et chute de [v] passé à [f] : salv-us > salv + s > salf + s
> saus.
Le DEUXIÉME TYPE, le plus important peut-être du point de vue de l’analogie, est celui des adjectifs latins
épicènes, c'est-à-dire des adjectifs qui avaient une seule forme pour le masculin et le féminin, et une forme
distincte pour le neutre (ex. grandis, -e ; fortis, -e ; viridis, -e). Le type comprend donc des adjectifs à thème
en dentale (comme grand, fort, vert); mais aussi les adjectifs latins en –alis/elis/ilis (masc. et fém.), -
ale/ele/ile (neutre) du type carnalis, -e ; fidelis, -e ; gentilis, -e ; il comprend aussi les adjectifs latins en –is, -
e du type brevis, -e, ainsi que tous les participes présents français en –ant .
Note de phonétique et graphie : les modifications phonétiques dues au contact de l’-s de flexion sont les mêmes vues
en précédence :
fusionnement de la dentale avec –s > ts > z (ex. fortis > fort +s > forz)
vélarisation du [l] en [u] devant le –s de flexion (ex. carnalis > charnel + s > charneus ; mortalis > mortel + s >
morteus) ; mais, parfois, la latérale chute (gentil + s = gentis)
chute de la labiodentale [f]11
(ex. brevis > brief + s > briés)
TYPE LATIN : SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET granz grant
CAS REGIME grant granz
TYPE LATIN : cantantis, -e («qui chante ») SINGULIER PLURIEL
CAS SUJET chantanz chantant
CAS REGIME chantant chantanz
Ces réfections entraînent au féminin, comme on le voit, les mêmes modifications phonétiques vues pour le
type vif/vive (grant sonorise le [t] en [d], ou si l’on veut retrouve son [d] étymologique, lorsque la consonne
sourde se retrouve en position intervocalique : grant > grande). Le masculin grand du français moderne a
donc été refait, sous cette forme qui garde un [d] sonore en coda, selon le modèle du féminin.
Les participes présents, qui en principe ne se déclinent qu’en nombre, comme en latin, suivent très tôt ce
modèle, du moins dans la prose juridique12 anglo-normande, où la « féminisation » des participes se
produit bien avant le XVIe siècle, date à laquelle elle devient courante. La distinction formelle et
fonctionnelle entre participe présent et adjectif verbal n’étant survenue que tardivement, rien ne
s’opposait, de fait, à l’adéquation du paradigme participial à celui des adjectifs du type grandis, -e.
11 Ou bien de [v] assourdi en [f]. 12 La langue juridique est aussi appelée langue du palais, de la pratique, des notaires.
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Note historique sur les participes présents (et sur leur confluence dans l’évolution du gérondif):
Appartenant à la troisième déclinaison imparisyllabique à accent mobile, il a
subi la réfection du nominatif sur les cas obliques au singulier. Ce n’est
évidemment pas CANTANS qui a pu aboutir à chantanz […] mais bien
*CANTANTIS, et tous les participes présents ont été refaits de la même façon.
D’autre part, les nominatifs pluriels, quel qu’en soit le genre (les participes
présents étant épicènes) ont été refaits en –i comme canes en cani. En
définitive on a :
kantantis kantanti
kantante kantantes
avec accent fixe. […]
PROTOFRANÇAIS ET ANCIEN FRANÇAIS
Formes fléchies et non fléchies.
Quand commence le VIe siècle, la Gaule du Nord se trouve pourvue d’un
type unique de participe présent, quelle que soit la conjugaison13.
Au VIIe siècle, les voyelles finales devant –s s’amuïssent : CANTANTIS et
CANTANTES aboutissent tous deux à chantanz.
Au VIIIe, c’est le tour des [voyelles, PR] finales absolues : CANTANTE,
CANTANTI > chantant.
Dès lors, la flexion des participes présents est identique à celle des substantifs
du type murus ou canis :
chantanz chantant
chantant chantanz14
D’autre part, l’amuïssement des finales absolues au VIIIe siècle a une autre
conséquence : CANTANDO > chantand > chantant par assourdissement de
l’apico-alvéo-dentale finale. Mais cette forme non fléchie demeure distincte
du participe proprement dit, malgré l’homonymie, et cela jusqu’en français
moderne inclusivement […].
Au début du XIe siècle intervient la nasalisation. On a dès lors chantãnz,
chantãnt, et cet état de choses persiste jusqu’à la fin de l’ancien français et la
disparition de la flexion à deux cas. Bien entendu le participe demeure
épicène, mais l’adjonction d’un –e féminin analogique s’opère dans les mêmes conditions que pour les adjectifs.
(De la Chaussée 1989 (1975) : 298-299)
Ces adjectifs et participes avaient donc donné à l’origine, en AF, une forme également indifférenciée en
genre pour le masculin et le féminin ; toutefois, dès les plus anciens textes, on rencontre, pour les
féminins, des formes analogiques en –e, comme dans :
Ne sai vus dire cum lur ledece est grande (Alexis15, 610 ; cit. Joly 2004 : 17) (« Je ne sais vous dire combien
leur joie16 est grande », PR)
13 Aux Ve-VIe ss., tous les participes latins, ainsi que les gérondifs, sont uniformisés par l’ajout d’une terminaison unique en –ans (d’où vadante pour vadente, dormando pour dormiendo). Ce participe unique subira ensuite la réfection du nominatif de –ans en –antis, comme tout imparisyllabique de la 3
e décl. latine.
14 Le sort du –t devant –s peut donner, en réalité, plusieurs aboutissements : de la fusion (chantanz) à la fusion avec
un – t restitué (chantantz). 15 Poème qui date de 1050 A.D. environ. 16 Du lat. laetitia, “joie”, “rejouissance”. Aussi graphié leece (cf. Godefroy Dict. 1881-1902 : 753 ; vol. 4). Consultation en ligne: http://micmap.org/dicfro/chercher/dictionnaire-godefroy .
10
Cela ne signifie pas que les formes épicènes premières n’aient pas laissé de traces : les expressions grand-
mère, grand-chose, à grand-peine, grand-route, etc. gardent le souvenir du temps où grand pouvait être
indifféremment masculin et féminin17.
De plus, puisque le féminin de l’adjectif concerne de près la formation des adverbes de manière en –ment,
ces derniers ont suivi l’évolution morphologique des adjectifs : à côté de bonement, forme féminine
transparente, en AF on trouve forment, granment et vaillanment, qui emploient encore la forme épicène
des adjectifs fort, grant , vaillant. En français moderne,ce type de formation sans –e est demeurée
opérationnelle pour les adverbes composés avec les thèmes en –n (récemment, notamment, etc.), parfois
issus d’anciens participes (ex. abondamment, de abondant > abundant(em), indépendamment, de
independent(em)).
Comme pour les noms, il existe un TROISIÈME TYPE flexionnel, concernant les adjectifs, latins ou
empruntés qui, après évolution, avaient abouti à une forme invariable en –e ; cet [e] d’appui s’était rendu
nécessaire à cause d’une cumulation consonantique de coalescence complexifiée par la formation d’une
consonne épenthétique ([d] ou [b] : par exemple, rencontre entre nasale et vibrante (comme dans tener >
tenr > tendr, ou bien entre nasale et latérale comme dans humilis > huml > humbl).
TYPE LATIN : tener, -a, -um (“tendre“)
SINGULIER MASCULIN
PLURIEL MASCULIN
SINGULIER FÉMININ
PLURIEL FÉMININ
NEUTRE
CAS SUJET tendre(s) tendre tendre tendres tendre
CAS REGIME tendre tendres tendre tendres
Comme on le voit, malgré une invariabilité presque totale, le CSS peut recevoir un –s final analogique, sur
le modèle de la déclinaison majoritaire (type bons).
Il existe finalement un QUATRIÈME TYPE de flexion, qui se fait sur deux voire trois bases (selon que
l’adjectif a ou non conservé son ancien neutre) : il s’agit de comparatifs synthétiques latins dont la plupart a
passé au français moderne. Voici le tableau d’un d’entre eux, mieudre/meillor, respectivement issus de
melior /meliorem (« meilleur »), auquel répond mieuz, du neutre melius:
TYPE LATIN : melior, meliorem (masc. et fém.); melius (neutre) (« meilleur »)
SINGULIER MASCULIN
PLURIEL MASCULIN
SINGULIER FÉMININ
PLURIEL FÉMININ
NEUTRE
CAS SUJET mieudre(s) (< melior)
meillor (< meliori < meliores)
mieudre (< melior)
meillors (< meliores)
mieuz (< melius)
CAS REGIME meillor (< meliorem)
meillors (< meliores)
meillor (< meliorem)
meillors (< meliores)
17
Les formes de grand sans e, en association avec des noms féminins, ne furent plus comprises à partir du XVIIe siècle
et on les interpréta comme des formes féminines élidées, d’où la pratique de placer un apostrophe entre l’adjectif et le nom. Vaugelas et l’Académie, auxquels Auguste Brachet reproche tout bonnement de ne pas « connaître l’histoire de notre langue », ne firent pas exception.
11
Le CSS masculin peut recevoir , ici comme ailleurs, un –s analogique.
Font partie de ce dernier type flexionnel les comparatifs suivants :
graindre/graignor (« plus grand ») < grandior / -orem
meindre/menor/meins (« plus petit ») < minor/minorem/minus
pire/peior/pis (« plus mauvais ») < pejor/pejorem/peius
maire/maior (« plus grand, important ») > major/majorem/majus
joindre / joignor (« plus jeune « ) < jovenor/jovenorem < juvenor/juvenorem < junior/juniorem
BIBLIOGRAPHIE
BLOCH O. & W. v. WARTBURG (2004 (2002, 1932)). Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris : PUF. Collection « Quadrige ». CHAUSSÉE F. De la (1989 (1975)). Initiation à la morphologie historique de l’ancien français. Paris : Klincksieck.
GODEFROY F. (1881-1902). Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XV
e siècle.
Paris : Vieweg, Émile Bouillon, 10 tomes. En ligne : http://micmap.org/dicfro/chercher/dictionnaire-godefroy. HUCHON M. (2002). Histoire de la langue française. Paris : Librairie Générale Française. JOLY G. (2004). L’ancien français. Paris : Belin Atouts.
12
(2) L’ANALOGIE DANS LA CONJUGAISON DU VERBE.
C’est dans la conjugaison du verbe français que l’analogie a joué son rôle majeur. En particulier, elle a été
mise en œuvre pour uniformiser certains paradigmes où le statut tonique/atone de la voyelle radicale avait
fini par donner des conjugaisons rhizotoniques, c'est-à-dire le plus souvent à deux bases, la voyelle radicale
ayant connu des aboutissements phonétiques différents selon qu’elle était tonique ou atone.
En guise d’introduction (cf. Brunot 1969 : 285), l’effort pour réduire le paradigme des verbes à deux
radicaux à un paradigme à radical unique a de fait abouti à trois possibles cas de figure :
(1) Les formes accentuées sur le radical se généralisent : j’aime, nous aimons (ancien français : amons).
Cette tendance est minoritaire : le verbe aimer a généralisé la forme accentuée, alors que la plupart des
verbes du même groupe, comme par ex. donner (< doner : je doing/doins ; nous donons) ont étendu la
forme non accentuée du radical (je donne, nous donnons). Même processus pour le verbe demeurer, où la
forme accentuée du radical l’emporte sur la forme atone : je demeure, nous demeurons (AF : demorer, je
demour > je demeur(e), nous demorons ; pleurer : je pleure, nous pleurons (AF : plorer, je plour > pleur(e),
nous plorons).
(2) Les formes accentuées sur la désinence se généralisent : c’est l’aboutissement le plus fréquent, même
parce qu’il rend la conjugaison cohérente avec le thème de l’infinitif, toujours accentué sur la désinence (je
lave, nous lavons tout comme laver). Aujourd’hui, je couvre comme nous couvrons, face à l’AF : je cuevre >
je coeuvre, nous covrons > couvrons ; je lave comme nous lavons, face à l’AF : je lev/lef, nous lavons ;
aujourd’hui je lève, nous levons, face à l’AF : je lief/liev, nous levons ; je trouve, nous trouvons face à l’AF : je
truef/truev, nous trovons > trouvons).
(3) L’alternance ancienne se maintient : je peux mais nous pouvons, je dois mais nous devons, je veux mais
nous voulons, je sais mais nous savons, je meus mais nous mouvons, je meurs mais nous mourons. Il s’agit là
de verbes dont le paradigme irrégulier a pu survivre grâce à son emploi extrêmement fréquent. Le même
vaut pour aller et faire qui se servent de plusieurs bases pour la flexion du présent de l’indicatif.
(2A) DU LATIN AU ROMAN COMMUN ET DU ROMAN COMMUN AU FRANÇAIS : LES ALTERATIONS
PHONETIQUES MAJEURES.
Pour comprendre l’irrégularité acquise par certains paradigmes verbaux, il faut donc mettre au point les
modifications phonétiques majeures produites par la transformation du latin vulgaire d’abord en roman
commun et ensuite, à partir du roman commun, en français.
Le latin possédait 5 timbres de voyelles : il rachetait cette pauvreté relative par un dédoublement
quantitatif (= de durée) en voyelles longues et voyelles brèves. Il possédait aussi 4 diphtongues (eu, æ, œ,
au) qui seront très tôt réduites ([æ]/[œ] passent, par monophtongaison aux Ier-IIe ss., soit à [e] (ex. pœna >
pena ; æquus > equus), soit à [ε] (caelum > celum); [au] passe à [ɔ]à la fin du Ve siècle : aurum > or,
causa(m) > chose, cf. it. cosa ; cf. fr. claudere > clore).
La figure suivante montre le triangle phonétique latin ainsi que les modifications qu’ont subies les voyelles
qui le composent. Comme on le voit, ce sont surtout les voyelles placées sur les côtés du triangle vocalique
qui changent, plutôt que celles situées aux extrémités ; sur les côtés, les voyelles de timbre avoisinant sont
couplées et connaissent un destin commun. En particulier :
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(a) les voyelles qui se trouvent aux trois extrémités du triangle (ī, ū, ā/ă), se maintiennent pratiquement
intactes ;
(b) certaines voyelles brèves s’ouvrent (ĕ passe à [ε], ŏ passe à [ɔ]) ;
(c) certaines voyelles réunies par une prononciation similaire, sont couplées et changent de timbre ( ĭ/ē
passent tous les deux à [e], tandis que ŭ/ō passent tous les deux à [o]).
Figure 1 : La réorganisation du système vocalique latin en roman commun.
VOYELLES QUI SE MAINTIENNENT STABLES : ā/ă, ī, ū
Latin classique : ā/ă Roman commun : [a] Ancien FRANÇAIS : [a]/[ε]
Statut/position de la voyelle
Notes
barba(m) it. barba barbe [a] tonique entravée
pă tre(m) it. padre père [ε] tonique libre En fr., un [a] tonique libre passe ultérieurement à [ε]
mātre(m) it. madre mère [ε] tonique libre
Latin classique : ī Roman commun : [i] Ancien FRANÇAIS :[i] Statut/position de la voyelle
Notes
fīlu(m) it. filo fil tonique libre
vīvere it. vivere vivre tonique libre
spīritu(m) it. spirito esprit tonique libre
Latin classique : ū Roman commun : [u] Ancien FRANÇAIS :[u]> [y]
Statut/position de la voyelle
Notes
mūru(m) it. muro mur tonique libre Au VIIIe s., le fr. transforme [u] en [y] par influence de la phonétique gauloise
nūdu(m) it. nudo nu tonique libre
dūru(m) it. duro dur tonique libre
ī ū
ĭ ŭ
ē ō
ĕ ŏ
[e] ā/ă [o]
[ε] [ɔ]
voyelles d’avant -------------------------------------------------------- voyelles d’arrière
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VOYELLES QUI S’OUVRENT (SANS CHANGER DE TIMBRE) : ĕ [ε] > [iε] ; ŏ [ɔ] > [uε] > eu = [œ] / [ø]
Latin classique : æ/ĕ tonique libre
Roman commun : [ie]
Ancien FRANÇAIS : [ie] > [iε]
Statut/position de la voyelle
Notes
pĕde(m) it. piede pied tonique libre DIPHONGAISON ROMANE (IIIe s. après J.-C.)
fĕru(m) it. fiero fier tonique libre
fĕbre(m) it. febbre / esp. hiebre fièvre tonique libre
tĕ pidu(m) it. tiepido tiède tonique libre
(ille) vĕnit it. viene (il) vient tonique libre
mĕllu(m) it. miele miel tonique entravée
rĕ m rien tonique entravée
Latin classique : ŏ tonique libre
Roman commun :
[ɔ] > [uo] > [ue] /
Ancien FRANÇAIS :
[ɔ] > [ue] >eu [œ]/[ø]
Statut/position de la voyelle
Notes
nŏvu(m) it. nuovo nuef > neuf tonique libre DIPHONGAISON ROMANE (IIIe s. après J.-C.)
(ille) vŏlet it. vuole vuelt > veult > veut tonique libre
mŏveo it. muovo muef/muev > meu(s) tonique libre fŏcu(m) it. fuoco /esp. fuego fuec > feu tonique libre
mŏrit it. muore muert > meurt tonique libre
cŏr it. cuore cuer > cœur tonique libre
hŏmo it. uomo uem tonique libre
Latin classique : ŏ atone libre
[o]
[o] > [u] graphié ou
Le passage de [ŏ] atone libre à [ou] date peut-être du XIIIe siècle après J.-C.
cŏlōre(m) it. colore color >coulour > couleur
atone libre
dŏlore(m) it. dolore dolor > doulour > douleur
atone libre
jŏcare it. giocare joer > jouer atone libre
VOYELLES DE PRONONCIATION SIMILAIRE QUI CHANGENT DE TIMBRE : ĭ [oi] ; ē [e] > [ei] > [oi]
Latin classique : ĭ tonique libre
Roman commun : [e] fermé
Ancien FRANÇAIS : [e] > ei > oi [wé], [wa]
Statut/position de la voyelle
Notes DIPHONGAISON FRANÇAISE (VIe s. après J.-C.) : le [e] du bas empire (auquel se réduisent tant ĭ que ē, se maintient partout dans la Romania sauf en fr., où il passe d’abord à [ei] puis à [oi], ce dernier prononcé d’abord [wé] et ensuite [wá]
sĭti(m) it. sete (plus. formes) >soif tonique libre
pĭlu(m) it. pelo peil > poil tonique libre
fĭde(m) it. fede fei(d) > foi tonique libre
pĭra(m) it. pera peire > poire tonique libre
mĭnus it. meno meins > moins
Latin classique : ē tonique libre
Roman commun : [e] fermé
Ancien FRANÇAIS : [e] > ei > oi [wé], [wa]
Statut/position de la voyelle
tēla(m) it. tela teile > toile tonique libre
vēla(m) it. vela veile > voile tonique libre
mē it. me mei > moi tonique libre
habēre it. avere aveir > avoir tonique libre
MAIS, DEVANT NASALE : plēna(m) poena(m) > pēna(m) vēna(m) avēna(m)
it. piena it. pena it. vena it. avena
pleine peine veine aveine, avoine
18
tonique libre tonique libre tonique libre tonique libre
18 Le doublet aveine/avoine, qui s’est conservé, témoigne des deux phases de l’évolution du son [ē].
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Latin classique : ō tonique libre
Roman commun : [o]
Ancien FRANÇAIS : [o] > [u] graphié ou > [œ] / [ø] graphié eu
Statut/position de la voyelle
Notes DIPHONGAISON FRANÇAISE (VIe s. après J.-C.) : ō et ŭ se réduisent d’abord à [o] fermé, qui se diphtongue en [u] (graphié ou) puis en [œ] / [ø] (graphiés eu)
honōre(m) it. onore honor > honour > honneur
tonique libre
dŏlōre(m) it. dolore dolor >dolour > douleur
tonique libre
cŏlōre(m) it. colore color > co(u)lour > couleur
tonique libre
hōra(m) it. ora ore > oure > (h)eure tonique libre
famōsu(m) it. famoso famos > famous > fameux
tonique libre
sōlu(m) (« seul ») it. solo sol > soul > seul tonique libre
Latin classique : ŭ tonique libre
Roman commun : [o]
Ancien FRANÇAIS : [o] > [u] graphié ou > [œ] / [ø] graphié eu
Statut/position de la voyelle
gŭla(m) it. gola gole > goule > gueule tonique libre
Pour comprendre les modifications qui se produisent dans le corps du verbe lorsqu’il est conjugué, il est
peut-être utile de rappeler aussi le comportement phonétique de ō / ŭ toniques entravés et atones
initiaux (libres et entravés)19:
Latin classique : ō / ŭ toniques entravés
Roman commun : [o]
Ancien FRANÇAIS : [o] > [u] graphié ou
Statut/position de la voyelle
Notes
cō(ho)rte(m) it. corte cort > cour tonique entravée DIPHONGAISON FRANÇAISE (VIe s. après J.-C.)
cŭppa(m) it. coppa coupe tonique entravée
dŭlce(m) it. dolce dous/doux tonique etravée
sŭrdu(m) it. sordo sord > sourd/sourt
ŭltra it. oltre outre tonique entravée
ŭbi it. dove où tonique entravée
mŭltum it. molto mout / moult tonique entravée
sŭbtus it. sotto sous tonique entravée
Latin classique : ō / ŭ atones initiaux
Roman commun : [o]
Ancien FRANÇAIS : [o] > [u] graphié ou
Statut/position de la voyelle
Notes
cōlare it. colare coler > couler atone libre initiale DIPHONGAISON FRANÇAISE (VIe s. après J.-C.)
prōbare it. provare prover > prouver atone libre initiale
fōrmica(m) it. formica formi > fourmi(e) atone entravée init.
fōrnace(m) it. fornace fornase/fornaise > fournaise
atone entravée init.
ōbliviu(m) it. oblio obli > oubli atone entravée init.
pŭlmone(m) it. polmone polmun > poumon atone entravée init.
19 Une voyelle est libre quand elle termine la syllabe à laquelle elle appartient (ex. pa-trie); elle est entravée lorsqu’elle se trouve au milieu de la syllabe, enchâssée entre deux consonnes (ex. par-tie). Ces deux types de syllabes sont appelés, respectivement, ouverte et fermée.
16
(2B) LES DEUX PROBLEMES PRINCIPAUX : DESINENCE Ø A LA P1 DU PRESENT DE L’INDICATIF, ET
RHIZOTONIE.
(A) DESINENCE Ø A LA P1 DU PRESENT DE L’INDICATIF.
Tout verbe latin, de n’importe quelle conjugaison, se termine par –o à la 1re personne du singulier :
amo, moneo, lego, capio, audio.
Lorsqu’au VIIIe siècle après J.-C. toutes les voyelles finales absolues tombent à la seule exception du [a], qui
passe à schwa ou « e » muet ([ə]), la désinence latine –o ne laisse aucune trace. Par conséquent, le
désordre est complet : à la 1re personne du présent indicatif, chaque verbe se termine par la consonne, ou
plus rarement la voyelle, du radical resté sans désinence. En d’autres termes, aucune désinence commune
ne permet de reconnaître la 1re personne du singulier du présent de l’indicatif. Pour ne donner que
quelques exemples, en AF on a
je muef (= je meus),
je di (= je dis),
je doing/doins (= je donne),
je truef/trueve (= je trouve),
je vif (= je vis),
je prent (= je prends)
je faz (= je fais)
De plus, la consonne finale du radical, qui se retrouve en coda, subit des ajustements phonétiques tel
l’assourdissement: vivre donne je vif, servir donne je serf, boivre donne je boif, perdre donne je pert, rendre
donne je rent, prendre donne je prent, etc. Ce processus fait baisser ultérieurement la transparence de la
P1, et par rapport aux autres personnes et par rapport à l’infinitif du verbe ; l’opacité vis-à-vis de l’infinitif
est aggravée par la rhizotonie, illustrée au point (B) suivant.
(B) LA RHIZOTONIE.
Comme on l’a vu en partie dans les tableaux qui précèdent, les voyelles latines n’ont pas évolué de la
même façon selon qu’elles étaient toniques ou atones. En gros, la voyelle du radical verbal s’est retrouvée
atteinte par un phénomène de segmentation et donc de diphtongaison chaque fois que l’accent la
frappait : il s’agit des personnes P1, P2, P3 et P6 du paradigme (j’aim, tu aimes, il aime, ils aiment) ; par
contre, lorsque l’accent se déplaçait sur la désinence, comme le plus souvent en latin, aux personnes P4 et
P5, la voyelle radicale pouvait évoluer selon les règles des voyelles atones, ce qui signifie soit demeurer
inchangée (nous amons, vous amez), soit évoluer différemment : trŏpo > truopo > (je) truef (évolution du
[ŏ] initial tonique); mais trŏpatis > vous trovez (évolution du [ŏ] initial atone). L’état de choses des P4, P5
concerne aussi l’infinitif (AF amer pour FM aimer), qui en français est toujours accentué sur la désinence.
Les tableaux suivants montrent deux cas de rhizotonie : celui du verbe aimer, où le a- du radical reste
inchangé en position atone, et celui du verbe trouver, où le –ŏ évolue différemment selon sa position
tonique ou atone.
Latin : amo Ancien FRANÇAIS : amer Latin médiéval : trŏpo Ancien FRANÇAIS : trover
amo j’aim trŏpo je truef/trueve
amas tu aimes trŏpas tu trueves
amat il aime trŏpat il trueve
amamus nous amons trŏpamus nous trovons > trouvons
amatis vous amez trŏpatis vous trovez > trouvez
amant ils aiment trŏpant ils truevent
17
N’échappent à la règle de la rhizotonie que 4 verbes, qui déjà en latin présentaient un accent fixe sur le
radical, aux six personnes. Il s’agit de estre, faire, dire et traire : ces verbes, très fréquents, affichent un
paradigme entièrement fort, c'est-à-dire composé de formes accentuées sur le radical, par opposition aux
paradigmes des autres verbes, qui présentent un mélange de formes fortes (P1, P2, P3, P6) et de formes
faibles (P4, P5), c'est-à-dire accentuées sur la désinence, avec radical atone20 :
Latin : sum Ancien Français
sum je sui
es tu es
est il est
sumus nous somes (rar. sons)
estis vous estes
sunt ils sont
Les DÉSINENCES DU PRÉSENT DE L’INDICATIF peuvent être divisées en deux groupes principaux,
correspondant à autant de types verbaux :
(a) PREMIERE CLASSE : LA P2 ET LA P3 AFFICHENT UNE VOYELLE « E » DEVANT LEURS DESINENCES P2, P3 :
verbes actuels du 1er groupe.
P1 - Ø P4 -ons
P2 - e-s P5 -ez/-iez24
P3 -e P6 -e –nt
(b) DEUXIEME CLASSE: LA P2 ET LA P3 N’AFFICHENT AUCUNE VOYELLE « E » DEVANT LEURS
DESINENCES P2, P3 : verbes actuels des 2e et 3e groupes.
P1 - Ø P4 -ons + mes (faimes, dimes, sommes, *traimes)
P2 -s P5 -ez/-iez + tes (faites, dites, estes, traites)
P3 -t P6 -e –nt (+ 4 verbes en –ont : ont, sont, vont, font)
20
Dans les tableaux, la voyelle soulignée indique l’accentuation. 21
Forme régulière, mais non attestée. 22 Forme attestée mais extrêmement rare. 23
L’adjonction d’un –s intermédiaire à la P4 et à la P6 de dire s’opère au XIIIe siècle.
24 Forme réservée aux thèmes en palatale comme percier, changier, mangier, couchier, songier, etc. où le [i] assure l’articulation palatale de la consonne qui précède (cf. it. mangiare, cangiante).
Latin : facio Ancien Français
facio je faz
facis tu faiz
facit il fait
facimus nous faimes
facitis vous faites
faciunt ils font
Latin : traho Ancien Français
traho je trai
trahis tu traiz (t +s > ts = z)
trahit il trait
trahimus nous *traimes21
trahitis vous traites22
trahunt ils traient
Latin : dico Ancien Français
dico je di
dicis tu dis
dicit il dit
dicimus nous dimes / di(s)ons
dicitis vous dites
dicunt ils di(s)ent23