Résilience et guérison - A Ciel Ouvert

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– 65 – garder uniquement les archétypes qui parlent à notre nature humaine pan-culturelle : la substantifique moel- le pour ainsi dire. Il a lancé ainsi la quête de vision dans la tradition School of Lost Borders, le nom de l’école qu’il a fondée avec sa femme Meridith Little. Au départ, l’objectif de Foster et de Little était d’aider des personnes dépressives, suicidaires ou dépendantes de la drogue. Pour qu’ils fassent l’expé- rience de cette quête, ils emmenaient les jeunes en pleine nature pour reprendre conscience de la flamme de vie toujours présente en eux, pour les motiver à retrouver une certaine joie des choses simples mais surtout pour percevoir un sens transcendant à leur existence, un autre mode d’être au monde. Mon mentor, Haiko Nitschke, a travaillé avec Steven pendant de nombreuses années. Il est le pionner de la quête de vision en Allemagne, où il a formé de nombreux accompagnateurs dans la tradi- tion School of Lost Borders. Si l’on s’intéresse à la méthodologie du rite de passage au niveau anthropologique et ethnologique, on constate que ces rites suivent toujours le même schéma*. Ainsi, dans une quête de vision, on est confronté à la séparation d’avec son milieu habituel, ses habitudes, ses dépendances. On est isolé dans un lieu retiré, on est confronté à des tabous (jeûne à l’eau de quatre jours, obligation de rester en pleine nature, etc.), et puis on revient : c’est la phase d’intégration. – 64 – Psychopraticienne, Awa Belrose accompagne les personnes en période de transition, en deuil ou en recherche de sens en proposant des expériences initiatiques en pleine nature. Toute sa confiance dans la nature et dans la capacité humaine d’auto- guérison coule dans son travail. Awa Belrose comprend son travail comme une contribution à l’avènement d’un monde respectueux de la nature et de l’humain. L a quête de vision nécessite une plongée en soli- taire dans une nature sauvage. Quels sont les initiateurs de cette expérience initiatique ? C’est Steven Foster qui, dans les années 1970, a permis de redécouvrir la quête de vision aux États- Unis et en Europe car un décret du gouvernement interdisait aux Amérindiens de pratiquer leurs céré- monies religieuses et culturelles. Dans les sociétés traditionnelles, la quête de vision était un rite de pas- sage qui marquait, dans la vie d’un individu, la fin d’une période importante et le début d’une autre. Initié par un Amérindien, Steven a dépouillé la quête de son côté folklorique et de sa mythologie (comme la « Femme bison », « Wakan Tanka », le Grand Esprit, ou « Chanupa Wakan », le calumet de la paix) pour en Résilience et guérison au cœur de la nature sauvage Expériences de quêtes de vision Entretien avec Awa Belrose * Voir, entre autres, les travaux d’Arnold van Gennep, de Joseph Campbell et de Mircea Eliade. Extrait de la revue Sources 47 www.sources-vivre-relie.org

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garder uniquement les archétypes qui parlent à notrenature humaine pan-culturelle : la substantifique moel-le pour ainsi dire. Il a lancé ainsi la quête de visiondans la tradition School of Lost Borders, le nom del’école qu’il a fondée avec sa femme Meridith Little.

Au départ, l’objectif de Foster et de Little étaitd’aider des personnes dépressives, suicidaires oudépendantes de la drogue. Pour qu’ils fassent l’expé-rience de cette quête, ils emmenaient les jeunes enpleine nature pour reprendre conscience de la flammede vie toujours présente en eux, pour les motiver àretrouver une certaine joie des choses simples maissurtout pour percevoir un sens transcendant à leurexistence, un autre mode d’être au monde.

Mon mentor, Haiko Nitschke, a travaillé avecSteven pendant de nombreuses années. Il est le

pionner de la quête de vision en Allemagne, où il aformé de nombreux accompagnateurs dans la tradi-tion School of Lost Borders.

Si l’on s’intéresse à la méthodologie du rite depassage au niveau anthropologique et ethnologique,on constate que ces rites suivent toujours le mêmeschéma*. Ainsi, dans une quête de vision, on estconfronté à la séparation d’avec son milieu habituel,ses habitudes, ses dépendances. On est isolé dans unlieu retiré, on est confronté à des tabous (jeûne à l’eaude quatre jours, obligation de rester en pleine nature,etc.), et puis on revient : c’est la phase d’intégration.

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Psychopraticienne, Awa Belrose accompagne lespersonnes en période de transition, en deuil ou enrecherche de sens en proposant des expériencesinitiatiques en pleine nature. Toute sa confiancedans la nature et dans la capacité humaine d’auto-guérison coule dans son travail. Awa Belrosecomprend son travail comme une contribution àl’avènement d’un monde respectueux de la natureet de l’humain.

La quête de vision nécessite une plongée en soli-taire dans une nature sauvage. Quels sont les

initiateurs de cette expérience initiatique ?

C’est Steven Foster qui, dans les années 1970, apermis de redécouvrir la quête de vision aux États-Unis et en Europe car un décret du gouvernementinterdisait aux Amérindiens de pratiquer leurs céré-monies religieuses et culturelles. Dans les sociétéstraditionnelles, la quête de vision était un rite de pas-sage qui marquait, dans la vie d’un individu, la find’une période importante et le début d’une autre. Initiépar un Amérindien, Steven a dépouillé la quête de soncôté folklorique et de sa mythologie (comme la« Femme bison », « Wakan Tanka », le Grand Esprit,ou « Chanupa Wakan », le calumet de la paix) pour en

Résilience et guérisonau cœur de la nature sauvage

Expériences de quêtes de vision

Entretien avec Awa Belrose

* Voir, entre autres, les travaux d’Arnold van Gennep, de JosephCampbell et de Mircea Eliade.

Extrait de la revue Sources 47www.sources-vivre-relie.org

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RÉSILIENCE ET GUÉRISON AU CŒUR DE LA NATURE SAUVAGE

cercle polaire. Je partirai avec un groupe et unechamane pendant dix jours.

Diriez-vous que, grâce à cette expérience, vousvous êtes connectée à la femme sauvage en vous ?

Oui, complètement ! Pendant la formation, Haikoétait accompagnée par Cris Hofner, elle aussi accom-pagnatrice de quêtes de vision et photographe,malheureusement décédée en 2016, qui était trèsinspirée par le livre Femmes qui courent avec lesloups, de Clarissa Pinkola Estés. Elle nous disait :« Quand tu es dans la nature, enlève tes vêtements etdéplace-toi comme un animal. » Il ne s’agit pas, biensûr, d’exhibitionnisme mais de reprendre contact avecson féminin puissant. Dans cette absence de frontièreentre mon corps de femme nue et la nature, je vais àla rencontre du monde naturel dans un état de vulné-rabilité (apparente). Je suis désarmée. Je n’ai rien àcacher, je me montre telle que je suis. Parce que je memontre telle que je suis, je me vois telle que je suisvraiment. Parce que je me vois telle que je suis vrai-ment, vulnérable, nue, mais courageuse et ouverte, jedécouvre ma force brute, ce qui fait vraiment de moice que je suis. En découvrant cela, je le deviens.

Qu’est-ce que la nature sauvage chez unefemme ?

Pour vous répondre, je parlerai de mon expériencepersonnelle. Quand je disparais en forêt pendant plu-sieurs jours, j’emporte uniquement de l’eau et de quoim’abriter. La première chose que je fais est de remer-cier le lieu où je suis. Je retire mes chaussures etj’entreprends une petite marche pour sentir la terresous mes pieds. S’il y a une source, je m’asseois prèsd’elle. Je fais le vide dans ma tête. Je me concen-tre surles bruits et les odeurs de la nature, les sensations demon corps. Puis, j’enlève mes vêtements, je me metsdans l’état dans lequel la nature m’a fait naître, j’entreen unité avec ce monde naturel. Je passe de l’eau surmon corps ou je me masse avec de la boue. Quandj’étais jeune, je me roulais dans la neige… Retrouverma nature sauvage, c’est être complètement présente àmon corps et en même temps dans la conscience dema présence vulnérable dans la nature. C’est vivre unerelation sensuelle avec l’environnement naturel. C’estreprendre conscience de ma finitude et de l’instant decohésion que m’offre le monde naturel. Je me sensvivante, je sens la force de vie pulser en moi. Jedeviens partie intégrante de la nature.

Clarissa Pinkola Estés écrit : « Pour converseravec le féminin sauvage, une femme doit tempo-rairement quitter le monde et adopter un état desolitude. Autrefois, le mot « alone » s’écrivait « allone », totalement un »...

Oui. Le féminin puissant renaît quand on est danscet état d’unité avec soi dans la nature sauvage. Seuledans une forêt, on se sent comme dans un mondeparallèle, un « supra-monde », mais en réalité c’estcela le véritable monde : c’est le monde qui pré-existe,le monde qui survit sous les métastases du mondevirtuel moderne. Nous laissons tout notre être vivre etêtre, nous revenons à notre vraie nature d’animalhumain. La femme retrouve sa nature sauvage quandon ne l’oblige pas à entrer dans un moule de conven-tions sociétales, religieuses, culturelles,professionnelles qui la blesse et l’oblige à se dissi-muler, à se mutiler pour vivre estropiée mais adaptéeparmi ses congénères.

« Par nature, la femme sauvage est pleine detalent, d’intensité », ajoute Pinkola Estés !

C’est vrai ! Dans mon cabinet de psychothérapieou dans mes stages de quête de vision, les femmes meconfient combien elles aspirent à se défaire de cecarcan qui les empêche d’être totalement elles-mêmes. Elles ressentent le besoin de se débarrasserde ce qui les écrase, parfois en poussant des cris,semblables peut-être à ceux d’une louve.

Comment se déroulent les stages de quête devision que vous animez ? Comment préparez-vousles personnes ?

Je demande aux participants d’envoyer une lettrede motivation dans laquelle je les invite à écarter toutromantisme, par exemple sur l’amour de la nature, carla quête de vision, ce n’est pas du camping ! On yvient pour renaître à soi-même, trouver une nouvelleorientation dans sa vie. Il est important que lespersonnes sachent nommer clairement, de façon prag-matique, ce qui motive leur quête de quatre jours etquatre nuits, seules, sans nourriture, sous les intem-péries, dans un abri de fortune.

Puis, pendant trois jours, comme le faisait monmentor Haiko, je les prépare au jeûne, leur expliqueses vertus physiques et du point de vue des pensées.L’esprit est plus clair et léger. À travers des exercices,les participantes reprennent contact avec la nature. Par

C’est un voyage intérieur qui demande du courage.On se retrouve face à soi-même, sans autre repère quela nature… mais avec soi. Les personnes entrepren-nent ce cheminement le plus souvent dans despériodes de crise, de transition, de deuil, de sépara-tion, lorsqu’elles cherchent un sens à leur vie, unnouveau chemin...

Comment avez-vous rencontré la quête devision ?

J’avais trente ans, j’étais chef de projet à la Posteallemande, je dirigeais une équipe et travaillais à l’in-ternational. Tout se passait très bien jusqu’à lanaissance de ma fille aînée, Anouck, en 2004. J’aialors réalisé que je ne pouvais pas continuer dans cettevoie. L’allaitement, ce petit être qui dépendait de moipour simplement tout… Je ne me sentais plus à maplace dans les réunions managériales à parler de busi-ness, de produits, de rendement. J’ai alors commencéà faire de l’accompagnement de personnes en fin devie, puis de personnes en deuil. J’étais concernée parl’épreuve du deuil car j’ai perdu un frère à l’âge dehuit ans, et suite à ce drame ma mère est tombée endépression et n’en est jamais ressortie. Je sentais queces accompagnements avaient besoin d’autre choseque d’une part de gâteau et d’un café autour d’unetable. Je me suis dit : il faut emmener les personnes endeuil dans la nature, qu’elles sentent le vent, le soleil,la bruine sur leurs visages ; il faut qu’on se parle de cequi leur fait mal en extérieur. Ayant vécu en Afrique etété très jeune confrontée à des incertitudes existen-tielles, j’avais déjà la nature pour refuge : une mamanqui m’accueillait telle que j’étais.

Fin 2006, je suis tombée sur un article présentant laquête de vision et cela a été pour moi une révélation.J’ai alors décidé de suivre la formation de HaikoNitschke, en Bavière.

Pouvez-vous nous raconter votre première expé-rience de quête de vision ?

J’avais déjà fait dix ans de psychanalyse et voulaiscontinuer à travailler sur moi. J’ai vécu ma premièrequête de vision à l’âge de trente-quatre ans. Ma filleavait trois ans et mon fils un an et demi. Je me suisrendue au stage en voiture et j’ai passé les 600 kilo-mètres à pleurer ! Je savais que j’allais mourir etrenaître à moi-même. J´étais bouleversée, émue,touchée, triste et en même temps profondémentheureuse que la vie me fasse ce cadeau de la quête.

Quand je suis arrivée, on m’a demandé de mettre monportable, mon alliance, mes bijoux dans une boîte.C’était le début du dépouillement. Je pensais pouvoirtéléphoner à mes enfants qui étaient encore petits.Mais pendant dix jours aucun appel n’était autorisé.C’était un coup terrible pour moi. Haiko nous aensuite préparés au jeûne et invités à regarder en facenos problèmes de l’enfance et nos schémas compor-tementaux, à entrer en contact avec la nature, àressentir que nous ne sommes pas séparés du mondenaturel. Il répétait sans cesse : « Sors de tes pensées,sors de ta tête ». Selon lui, si raisonner est parfois utilepour un calcul binaire ou une projection, il est aussivital de sentir la terre sous nos pieds, d’aller voir ceque nous dit la nature, d’écouter notre âme. Il disait :« Lorsque tu ressens de la souffrance, va dans lanature et vois ce qui t’attire. Es-tu touchée par cettefleur blessée, cet arbre tordu ? Assied-toi à côté de lafleur ou de l’arbre et écoute ce qu’ils ont à te dire.Regarde comment et en quoi cet « être » te ressembleet pose-lui ta question. La réponse, tu l’entendras avecton cœur, avec ton âme. »

La veille du départ dans la forêt – nous étions dansles Vosges –, je n’ai pas dormi : j’étais terrifiée. Il estvenu nous réveiller au milieu de la nuit. Je tremblaisde peur. Je lui ai posé une question matérielle – pardésespoir sûrement.  Haiko m’a regardée dans lesyeux, sans sourire mais sans méchanceté, me repla-çant face à moi même. Il m’a dit : « Tu sais, je ne saispas ce qui est bien pour toi ou pas » et il est sorti dela pièce. J’ai rassemblé mes affaires. Il a pratiqué lerituel de départ : dans un grand cercle, avec desbranches de sauge blanche, il nous a fumigés. Il aappelé les quatre directions et les esprits pour nousprotéger pendant la quête. Puis nous sommes partis.Pour l’anecdote, j’avais acheté une lampe de pochequi était censée marcher à merveille et le premier soirelle est tombée en panne. J’ai levé les yeux, et j’ai vuque la lune était pleine.

Cette première quête de vision m’a permis de faireun travail très profond sur ma relation avec ma mère,qui avait été longtemps douloureuse. Quand je suispartie, j’étais une petite fille et cette expérience m’apermis de devenir une femme adulte... De devenir uneamie, une sœur et une mère tout à la fois.

Il y a vraiment eu un avant et un après cette quête.Elle a transformé ma vie. Je repars en quête de vision,tous les cinq ans. En tant qu’accompagnatrice, il estessentiel pour moi de revenir à cette intensité, à cedépouillement. Ma prochaine quête aura lieu en 2020en Norvège, au milieu de nulle part, au dessus du

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exemple, je les fais cheminer très lentement dans laforêt pour prendre conscience du monde naturel et dessentiments et émotions qui remontent. Je leur proposeaussi de trouver un lieu dans la nature où elles sesentent bien, en harmonie, pour pratiquer le rituel destrois corbeilles. Dans la première, on dépose ce queque nous avons raté dans notre vie et qui ne reviendrajamais. Dans la deuxième, on met nos réussites, cepour quoi nous avons le droit d’être fières. Et dans latroisième, ce que nous n’avons pas encore accomplidans notre vie et que nous pouvons réaliser car noussommes encore vivantes. Pendant cet exercice, quidure trois heures, chacune est complètement focaliséesur son histoire. Ensuite, nous en partageons les fruitsen groupe.

Puis, le jour du départ en solitaire arrive. Je lesréveille très tôt – je ne leur dis pas l’heure ! –, on neparle plus, elles entendent le tambour, prennent leurssacs à dos, sortent au point de rassemblement. Jepratique un rituel d’adieu car, pendant quatre jours etquatre nuits, elles mourront à elles-mêmes et renaî-tront. Elles ne sont plus pour moi que des âmes encours de réincarnation. La dernière nuit de la quête,elles ne dorment pas. Elles entrent dans leur cercle dedétermination et prient pour recevoir leur vision. Laconsigne est :  quoi qu’il arrive, on ne sort pas ducercle jusqu’au moment où l’on discerne à nouveauclairement les couleurs autour de soi.

Lors d’un stage, en 2015, il a fait huit degréspendant la dernière nuit. Je m’inquiétais pour lesparticipantes et je n’ai quasiment pas fermé l’œil de lanuit. J’étais hantée par l’idée de ces femmes seules,confrontées à l’obscurité extérieure et intérieure, àl’humidité et au froid… Je me demandais si tout allaitbien se passer. Mais quand les participantes sont reve-nues, le lendemain matin, elles avaient un regardd’une clarté, d’une profondeur et d’une brillanceextraordinaires. Jusqu’à l’aurore, elles avaient prié,crié, chanté, dansé ! Elles ont rapporté de magnifiqueshistoires du temps de seuil.

Qu’est-ce qu’on découvre au cours de cettequête ?

La première chose qu’on retrouve, c’est soi-même,dans son authenticité. Ce terme est parfois galvaudémais, au sens premier, il signifie « être soi », « être làavec ce qui est, avec ce qui était et sera peut-être ».C’est son vrai visage, sans maquillage social et moral.Moi nue face à moi nue. Ma lumière, mon ombre.Lors de la dernière quête de vision que j’ai animée,

une femme était agoraphobe. Elle a passé les troisjours de préparation à pleurer de peur. Le jour dudépart, elle avait oublié sa lampe de poche. Elle s’estretrouvée seule dans la forêt, dans le noir… Monchien est resté avec elle. Je l’ai sifflé, mais il ne reve-nait pas. Il l’a suivie à son campement et est resté avecelle jusqu’au lever du jour. Il lui a redonné confiance.Il l’a aidée à reprendre contact avec la petite fille terri-fiée, qui avait besoin d’un gros nounours, dequelqu’un qui soit dans la bienveillance et porte sasouffrance avec elle. Il s’est quelque temps substituéà sa capacité à prendre cette petite fille effrayée encharge… jusqu’à ce qu’elle y arrive seule.

La nature sauvage peut donc guérir nos bles-sures. Qu’est-ce qui fait que la guérison a lieu ?

C’est un mélange de plusieurs choses. Le jeûnenous emmène dans une sorte de transe légère, car lecerveau fonctionne sans les excitants habituels quinous aident à tenir le coup, comme le café, la ciga-rette et autre drogues. On est dans une situation defaiblesse (le corps fonctionne au ralenti), l’espritgrand ouvert. Notre perception a une plus grandeacuité. On vit dans un abri de fortune et, si nousl’avons mal monté, nous en subirons les consé-quences. On se sent dans une plus grande fragilité. Aucours de ces nuits en solitaire, on se retrouve dansl’utérus de mère nature, dans cet équipement defortune, avec le ventre vide, entouré par des renards,des couleuvres, des sangliers ou des chevreuils.Parfois la pluie martèle notre abri : tiendra-t-il lecoup ? Si on veut dormir, il va falloir lâcher prise.C’est peut-être dans ce processus d’abandon et deconfiance que peuvent naître la résilience ou laguérison.

Propos recueillis par Nathalie Calmé

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Pour aller plus loin :Awa Belrose anime des stages dans le cadre de l’Université A Ciel Ouvert. Renseignements : www.acielouvert.orgSon site Internet (en allemand) : psychotherapie-belrose.de

L’Ouest dont je parle n’est riend’autre qu’un synonyme dumot « sauvage », et ce que je

me prépare à dire c’est que dans laVie sauvage repose la sauvegardedu monde.

Henry David ThoreauDe la marche (1862)