Roscoff - Sauvetage en Mer

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Histoire de la station de sauvetagede Roscoff, depuis ses déuts ( 1866 )jusqu'à l'arrivée des canots moteurs (1958 )par Jean Pillet

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La station de sauvetagede Roscoff

Depuis ses débuts ( 1866 ) jusqu'à l'arrivée des canots à moteurs (

1958 )par Jean Pillet

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Charles Roignant Esprit LE MAT - 1838 / 1905 Esprit LE MAT - Fils

Pendant la guerre 1914/1918 à l'abri du Marin de Roscoff

Entretien du canot de Sauvetagede Rosoff au Theven

La photo  prise vers 1914. Assis, de gauche à droite :

Esprit Le Mat - Charles Roignant. Debout de gauche à droite

Esprit Le Mat fils,  Masson, Saout, Joseph Corne.

Le Commandant Philippes de Kerhallet devient peu à peu une épave

Le canot Armand-Béhic est remonté vers son abri

Le Commandant-Philippes de Kerhallet

au musée de Port-Louis

Cliquer sur les photos pour les agrandir

Table des matières

Préface Avant propos

o 1 - Fondation de la Station de sauvetage de Roscoffo 2 - L'Armand-Béhic, premier canot de sauvetage de Roscoff

2.1 - Caractéristiques et description 2.2 - Sa première sortie d'entraînement par mauvais temps 2.3 - Son patron Esprit Le Mat et le mémoire du prix de vertu 2.4 - Liste des sorties pour assistance ou sauvetage

o 3 - Le Commandant Philippes de Kérhallet, deuxième canot de sauvetage de Roscoff 3.1 - Ses caractéristiques 3.2 - Son arrivée et son baptême

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3.3 - Liste de ses sorties pour assistance ou sauvetage 3.4 - Le Commandant Philippes de Kérhallet est rayé de la liste des canots de sauvetage

o 4 - Conclusiono Bibliographieo Remerciements

PREFACE

Si la ville de ROSCOFF s'est choisi récemment devise « La Mer au Futur », elle n'oublie pas pour autant que l'histoire de ce « vieux trou de flibustiers » « vieux nid à corsaires », selon le poète Tristan Corbière fut depuis les temps les plus reculés, liée à la mer.

Or, chez les « gens de mer », solidarité et courage sont des vertus innées, mais par trop souvent méconnues, hélas, du grand public.

Plaisancier à ses heures, nul caillou n'a de secret pour lui, de la baie de Morlaix à la Cornouailles anglaise.

En charge de très hautes fonctions à la tête de la Société nationale de sauvetage en mer, héritière de nos sympathiques hospitaliers sauveteurs bretons, il est au fait de tous les rouages de ce type d’œuvres à caractère humanitaire.

Deux bonnes raisons pour le Dr Pillet - qui avait déjà su capter notre attention à travers un ouvrage qui fait autorité dans le monde maritime - pour retracer, par le détail, dans le style alerte et concis qui est le sien, la vie si attachante de la Société de sauvetage de Roscoff qu'il a si bien connue.

Quelle histoire passionnante de la vie courageuse de nos marins que ce récit très vivant, émaillé d'anecdotes permettant de renouer avec le souvenir de Roscovites illustres et de rendre hommage, à travers eux, aux sauveteurs de tous les âges.

Nul autre que Jean PILLET ne pouvait se faire meilleur narrateur de cet inlassable dévouement propre à nos anges gardiens des mers.

Quel bel exemple de civisme et d'abnégation en vérité dans un monde où trop souvent hélas, l'égoïsme est roi !...

Michel MORVANMaire de la ville de Roscoff Conseiller régional

Président de la Société de sauvetage de RoscoffAnnée - 1989

AVANT PROPOS

Le livre « Le sauvetage au temps des avirons et de la voile » paru en août 1986, avait été écrit avec la pensée suivante : « laisser à chaque station, la possibilité d'écrire sa propre histoire ». Et voilà que je suis pris à mon propre « piège ». A mer haute, les bernaches, ces oies noires à l'élégant petit collier de perles fines, blanches, batifolent sous mes fenêtres, présentant mille facettes différentes levant un peu ma plume, je les compare au sujet que j'ai à traiter.

Mon texte aura-t-il leur élégance, leur calme, leur précision de mouvements, leur diversité, car il faudra qu'il intéresse des lecteurs d'origines très différentes. Aussi, ai-je essayé de retracer de mon mieux la vie de ces canotiers de sauvetage qui sont eux aussi, à leur manière, des oiseaux de mer.

Les « gens de la Côte » le savent bien. Tout homme de mer risque d'être confronté un jour ou l'autre à la mer cruelle, mangeuse d'hommes, soit comme sauveteur, soit comme marin de métier ou d'occasion, en grand danger de devenir naufragé.

Ce travail a d'abord été écrit pour les familles de Roscoff qui retrouveront avec plaisir et fierté les noms d'anciens ou de grands anciens de chez eux.

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Ces hommes, chers Roscovites, vous ont légué leur passé courageux, fait de devoir accompli dans le respect de la grande tradition maritime, l'entraide entre gens de mer.

Il n'était pas question d'une part, de s'écarter des textes d'archives, à savoir les rapports établis après chaque sortie par le patron : car, inventer des conversations ou des répliques ce n'est plus de l'histoire, mais du roman et d'autre part, il n'était pas question non plus de ne mettre en avant que des sauvetages particulièrement difficiles, en renvoyant en fin de texte des sorties semblant être de routine.

Peut-on dire que ces dernières, qui arrachaient ces hommes de leur travail ou de leur modeste confort à terre, pour les jeter comme bénévoles, au large dans le danger et le froid sont moins valables !

Elles seront donc en place chronologique souvent indiquées seulement par la date et le nom du navire assisté ou sauvé. Et à côté des familles de Roscoff, dont font partie beaucoup d'estivants, il y a les touristes, les scientifiques de la Station biologique, les plaisanciers de passage, les curistes, les visiteurs qui connaissent le musée de Port-Louis où se trouve exposé le vieux canot de sauvetage à avirons de Roscoff, construit en 1897 et remis à neuf. Aussi mon souhait est-il que chaque lecteur, de Roscoff ou non, jeune ou moins jeune, puisse comme nos bernaches qui choisissent leur petite algue préférée, trouver dans ce texte les passages qui répondront le mieux à l'intérêt qu'ils portent aux choses de la mer.

1 - Fondation de la station de sauvetage de Roscoff

Pilier Ouest de la baie de Morlaix, la ville de Roscoff a les pieds dans l'eau, le nez au vent, et est assise sur un jardin potager, qui depuis toujours donne des productions de premier choix.

Pendant longtemps, elle a exporté ses oignons de l'autre côté de la Manche, grâce à ses Johnny, dont l'histoire est bien connue. La pêche la faisait vivre avec de nombreuses petites unités et, son port, quoique à sec, à marée basse, comme beaucoup d'autres en Manche, était utilisé par toutes sortes de cotres, chasse-marée, goélettes, pour le transport de bois, charbon, ciment, sable, etc.

Sans oublier la récolte du goémon.

C'est dire que son activité maritime était intense ; or, c'est bien connu la mer est de mauvais caractère quand le vent la tourmente. « Par le calme ma petite sœur aussi navigue », ce vieux dicton des anciens de la voile ne doit pas être oublié par nombre de jeunes qui naviguent pour leur plaisir et non pour leur gagne-pain, qui certes acquièrent une certaine expérience de la mer par temps maniable, mais peuvent se trouver « piégés » un jour ou l'autre.

Le clocher de fine dentelle de l'église, si beau à voir, a dû être regardé dans le passé bien des fois par des capitaines ou patrons de pêche en détresse, comme une bouée de sauvetage qu'il fallait atteindre impérieusement pour sauver leur vie.

C'est dire que le sauvetage est un chapitre important de l'histoire de Roscoff.

Bien sûr, il y a toujours eu des tentatives locales, personnelles, et isolées, pour tenter de sauver des vies.

Mais le « sauvetage à bras d'hommes » n'a pu être tenté, surtout dans les pires conditions, qu'à partir du moment où des sociétés de sauvetage ont été créées et ont mis en place des canots spécialement étudiés, et construits pour cet usage exclusif.

La plus ancienne société de sauvetage en France, est la « Société humaine et des naufrages de Boulogne », fondée en 1825. Mais c'est à partir de 1865, année de la fondation de la « Société centrale de sauvetage des naufragés », présidée par l'amiral Rigault de Genouilly, qu'un immense effort a été fait pour doter toutes les côtes de France d'un réseau de protection efficace avec des équipages entraînés.

La station de Roscoff a été fondée en 1866 dès la seconde année de la création de la « Société centrale de sauvetage des naufragés ».

Voici ce qui a été écrit à l'époque : « La maison abri a été construite aux frais des Ponts et Chaussées et remise à la Société le 12 février 1867. Situé sur le quai Sud et orientée parallèlement au rivage, ce qui est un défaut ».

La cale de lancement est une pente empierrée assez rudimentaire qui a dû être améliorée à plusieurs reprises, mais un ressaut brusque qui la termine devrait disparaître. A marée basse, le port assèche complètement, mais grâce à la

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fermeté du sol et à la vaillance de la population maritime, le lancement reste toujours possible et s'effectue même rapidement dans toutes les circonstances.

La route se prête à un transport par chariot attelé de deux chevaux. Roscoff a toujours été une station modèle à tous les points de vue.

2 - L'Armand-Béhic, premier canot de sauvetage à avirons de Roscoff

2.1 - Caractéristiques et description

Le premier canot a été l'Armand-Béhic, canot de sauvetage type anglais qui avait été choisi par la Société centrale, présidée par l'amiral Rigault de Genouilly.

C'était le 9,78 m. mais construit en France aux chantiers, Augustin-Normand, du Havre dont il portait le n° 4.

Armand Béhic était un homme d'une puissance de travail peu commune qui fut le deuxième président, le véritable animateur et l'organisateur de cette immense entreprise française, les « Messageries Maritimes ».

Le canot avait dû être offert par lui.

On peut imaginer facilement l'intérêt que représentait pour Roscoff et surtout pour ses marins, l'arrivée d'un canot de sauvetage ; le premier, un vrai, comme ils n'en avaient encore jamais vu.

Il était probablement venu du Havre par voie ferrée, et était là, sur son chariot, devant la porte de l'abri.

Les grandes roues ont dû leur sembler énormes, 1 m 80 de diamètre, avec un gros moyeu en bronze et une jante très large pour être porteuse sur un sol mou.

La coque était splendide, imposante, blanche pour les oeuvres vives (sous la flottaison), vert-foncé pour les oeuvres mortes (au-dessus de la flottaison). Grimpés sur le chariot, jeunes et vieux détaillaient avec beaucoup d'intérêt

la ligne de sauvetage extérieure en guirlande, sur laquelle s'agripperaient les mains tremblantes des naufragés ; les cinq bancs pour les dix canotiers avec la grosse pastille en bois précisant bien la place de chacun ; les cale-pieds permettant un gros effort sur l'aviron et au centre au niveau des cale-pieds, trois de chaque côté,

six grandes soupapes de bronze avec leur collerette de 26 cm de diamètre et astiquées et brillantes comme sur un « Yak » !

les grands dômes de redressement avant et arrière, étaient peints en blanc et l'armement intérieur les émerveillait. Il y avait tout ce qu'il fallait y compris un petit baril d'eau douce et un caisson de biscuits de mer.

Peu de temps auparavant, ils avaient eu connaissance des essais de sécurité faits au chantier au Havre les 23 octobre et 2 novembre 1866. Tout était normal ainsi

le canot était insubmersible, grâce à des caisses à air. Même crevée, la coque flottait encore ; chaviré, il se redressait très vite grâce à une petite quille et aux dômes de redressement ;

plein d'eau jusqu'aux bancs, les soupapes de vidange fonctionnaient bien et évacuaient l'eau en 30 secondes environ.

2.2 - Sa première sortie d'entraînement, par mauvais temps

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On peut admirer la « Société centrale de sauvetage des naufragés », pour qui, créer une station était de fournir:

le canot avec son armement complet, - le chariot, l'abri en dur construit ou non à ses frais, désigner un patron, un sous-patron et deux fois 10 hommes d'équipage et ceci afin de pouvoir combler les vides

dus à des retardataires.

Tout cela était le résultat d'un tour des côtes de France très complet du commandant Albert, premier inspecteur de la Société, qui était en relation directe avec l'amiral président de Paris.

Les premières sorties se faisaient toujours avec lui et toujours par petit temps. Ce qui fut fait.

Dès lors, ils devaient manœuvrer seuls et les hommes commençaient à avoir confiance dans leur patron et dans leur canot, mais ils entrevoyaient tout de même avec un peu d'anxiété une sortie par mauvais temps absolument indispensable pour leur entraînement. Le canot était-il par gros temps aussi manœuvrable qu'on le disait ? Les lames embarquées par-dessus bord étaient elles vraiment avalées par les soupapes de vidange ?

Bref, le 3 mars 1867, le président de la station et le patron François Ropars décidèrent de sortir.

« On avait choisi un jour de mauvais temps pour exercer les équipages qui étaient au complet, aucun des bateaux de pêche n'avait pu sortir à cause des forts vents d'Est, qui soufflaient en tempête et du mauvais état de la mer ».

Tirer de l'abri le chariot portant le canot et le descendre à l'eau fut sans problème.

Tous avaient enfilé leur brassière de sauvetage par-dessus leur ciré et les dix canotiers, deux par banc, mettaient en place leur aviron.

A tribord avirons verts, à bâbord avirons blancs, ceci pour faciliter les commandements du patron qui pouvait dire (en breton naturellement) « allez les verts » ou « stoppez les blancs ».

Quelques-uns avaient gardé aux pieds leurs sabots ; ces « boutous » universellement portés à la campagne et sur les côtes : parfois même avec une tige de toile ou de cuir cloué qui les transformaient en sabot bottes. Mais la plupart était nu-pieds, c'était plus prudent en cas de bain forcé et ils adhéraient mieux aux cale-pieds. Sur la tête, c'était la grande fantaisie le suroît classique en toile huilée noire ou le béret galette ou une vieille casquette.

Le sous-patron avait vérifié que chacun avait bien passé son avant-bras dans l'anneau de sécurité correspondant à sa place et il était paré à intervenir avec le grand aviron de queue pour aider une manœuvre.

Chacun était prêt.

Un moment de silence relatif entre deux rafales de vent, et le patron François Ropars, debout à l'arrière, adossé à la cloison, tenant la barre avait dans ses yeux le regard plein de confiance et d'énergie des onze hommes qui assis en face de lui le fixait...

Faisons-les revivre sur le papier, en les citant :

Sous-patron, Dirou (Jean-Marie) - Canotiers, Roignant (Mathieu), Sévère (Claude), Bellec (Jean), Cocaign ,(Henri), Cozic (Tanguy), Kenfort (Auguste), Le Mat (Esprit), Le Mat (Jean-Marie), Lumière (Jean-Marie), Péron (Jean-Marie).

Au commandement dans l'eau calme du port, les dix avirons s'abaissèrent en même temps et, avec un bon coup de rein terminé par un effort des bras solides, tous donnèrent une première poussée à l'Armand-Béhic qui s'éloigna. Restaient à terre, le second équipage, les membres du Comité, et un groupe amical venu les encourager.

D'un geste très simple, le patron rythmait l'effort tout en maintenant avec sa grande barre le cap à suivre. Une fois sorti du port, le canot a commencé à danser, et les gros embruns à arriver, mais aussitôt les six soupapes font entendre leur claquement et le bateau se vide instantanément.

Les canotiers devaient se taire pour rester attentifs et ménager leur souffle, mais il y avait sûrement de temps à autre un bavard qui donnait son impression « gast oui ! » certes ils avaient tous une grande habitude des avirons même par mer creuse, mais là, ce bateau avançait superbement. Continuons la lecture du rapport.

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« Il s'est manifesté au début une certaine hésitation de la part des canotiers. Ils croyaient que le bateau ne pourrait avancer à l'aviron contre un vent aussi violent, à cause de sa légèreté et de sa hauteur au-dessus de l'eau. L'essai du 3 mars les a si bien rassurés qu'au lieu de faire une course dans le chenal de l'Ile de Batz, comme il avait été projeté dès le départ, ils ont hardiment franchi la pointe de Bloscon, l'endroit le plus dangereux de la côte par vents d'Est ».

C'est qu'à bord, tout allait bien, se sont dit à terre, le deuxième équipage et les marins qui suivaient cet entraînement avec grand intérêt.

Et une fois doublé Bloscon, Ropars a dû commander à quatre hommes seulement de maintenir aux avirons le canot « bout au vent » ; il a fait mâter et hisser les deux voiles au tiers, probablement avec un ris et sans tourmentin.

« Et c'est ainsi qu'ils sont revenus à la voile en passant au vent du rocher de Ménanet. Au retour les hommes étaient enthousiasmés et disaient aux spectateurs qui se trouvaient sur le quai de Roscoff qu'avec un bateau comme celui là, ils pouvaient aller partout.

Le second équipage s'est embarqué plein de confiance et a fait son exercice avec le même succès ».

Ce fut sûrement un joyeux retour bien fêté par les équipages et le Comité de la Station comprenant le président, le vice-président et le secrétaire trésorier.

Roscoff a toujours eu, comme toutes les stations, des équipages de premier brin.

Dans les récits qui vont suivre on aimerait pouvoir citer chaque homme pour que les familles retrouvent leurs anciens mais il faudra s'en tenir surtout aux patrons et sous-patrons qui sont toujours l'âme d'un équipage lancé dans le danger.

Voici les grands noms à retenir encore que cette liste pourrait être beaucoup plus longue :

François ROPARS, le premier en date, Esprit LE MAT, père et fils , Charles ROIGNANT, Joseph MASSON, Joseph CORRE, Jean-Marie DIROU, Jean-Marie PERON, François CORRE, Arthur LE MAT, dernier sous-patron en date.

2.3 - Son patron: Esprit Le Mat et le mémoire du prix de vertu

Esprit Le Mat mérite, encore plus qu'un autre, qu'on s'attarde sur lui.

Une grande partie de ce qui suit intéressant le premier canot, est extraite du « MEMOIRE adressé à l'ACADEMIE FRANÇAISE par les notables habitants de Roscoff (Finistère) pour un concours à un prix de Vertu de Le Mat Esprit pilote lamaneur patron du canot de sauvetage de Roscoff et daté du 10 octobre 1889 ».

« Né le 15 janvier 1838, fils de feu Joseph et Françoise Créach, à l'âge de 13 ans, il embarque comme mousse sur un bateau pilote et y reste pendant 14 mois puis au long cours comme novice puis comme matelot pendant 42 mois.

A l'âge de 20 ans comme inscrit maritime il est appelé et sa conduite exemplaire et son dévouement au devoir sont remarqués et quoique illettré, il est congédié comme quartier maître de manœuvre de 1ère classe au bout de 42 mois de service. Le 27 juillet 1861, il s'est marié à Marie-Jeanne Roignant. De ce mariage naîtront quatre enfants.

Jusqu'en 1864 il navigue au long-cours et revient dans son pays. A cette époque, la pêche est fructueuse et il faut désormais nourrir sa famille. Il élèvera ses enfants en bon père de famille, d'une conduite exemplaire, économe, et d'une probité à toute épreuve.

C'est à cette époque que commencent les actes de courage et de dévouement de ce brave sauveteur.

Le 8 juillet 1864, embarqué comme matelot à bord de la chaloupe de pêche Les Deux Maries surpris dans le raz de Roveur à 3 milles au Nord de l'Ile de Batz, par une bourrasque de vent de nord est, il concourt au sauvetage de Kerné Alphonse, seul survivant des trois hommes composant l'équipage de la Florence qui avait pour patron son beau-frère.

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Seize jours après, le 24 juillet 1864, passant près du port de Roscoff, il entend crier au secours. Un enfant vient de tomber à l'eau, mais il a disparu. Le Mat se jette tout habillé dans la direction qu'on lui indique, nage, plonge et ramène à terre Lorette Kerné, fille de celui qu'il sauvait quelques jours avant.

D'office, il est nommé canotier du canot de sauvetage, dès la création de la station en 1866. Esprit Le Mat, patron du canot de Roscoff ».

2.4 - Liste de ses sorties, pour assistance ou sauvetage

D'abord canotier ayant comme patron François Ropars, Esprit Le Mat est nommé sous-patron dès le 16 juillet 1868.

Voici la liste aussi complète que possible de toutes les sorties pour assistance ou sauvetage de ce canot, y compris quelques interventions courageuses n'ayant pas nécessité son lancement.

On y retrouvera très vite Esprit Le Mat.

1867 - 2 décembre, Patron F. Roparso Naufrage du Brick anglais, Jane Alice qui s'est brisé sur la côte est de l'Ile de Batz.

1869 - 12 septembre, Patron F. Roparso Assistance au chasse-marée Félix.

1870 - 17 août, Patron F. Roparso Assistance au lougre Cristelle.

1871 - 10 février, Patron F. Roparso Sauvetage des trois hommes d'équipage de la chaloupe Ste-Barbe de  Roscoff - 3 Hommes sauvés

1872 - 26 avril, Patron F. Roparso Assistance au lougre Stéphanie.

1872 - 29 novembre, Patron F. Roparso Assistance à navire Joséphine.

1874 - 13 décembre, Patron F. Roparso Naufrage du steamer autrichien  Risano. o Au petit jour, un grand steamer en détresse est signalé. Le canot de sauvetage est mis à la mer par coup

de vent de nord. L'équipage du canot est composé du 1er armement, patron François Ropars, le sauvetage sera rude mais on doit y arriver. Le 1er  équipage peut être à bout de forces et le sous-patron et le second armement ont pour instruction de se tenir prêts à toute éventualité. Vers onze heures du matin, une baleinière du steamer atterrit avec le capitaine et le second, puis une yole contenant cinq hommes ; ils expliquent en anglais que se voyant perdus, ils ont abandonné leur navire qui, depuis deux jours, est entre deux eaux, qu'ils n'ont pas eu connaissance du canot de sauvetage et qu'il reste encore à bord quatorze hommes à bout de forces.Le sous-patron Le Mat a compris, le navire avec le jusant va être jeté à la côte d'ici peu. Avec six de ses canotiers, ils prennent la baleinière à demi pleine d'eau, et font force de rames : le navire est à 200 mètres à peine de la côte. Malgré la grosse mer, ils font le tour de l'épave en hélant, personne, une lame monstrueuse déferle, la yole par miracle est épargnée, mais le Risano coule. De retour à terre, les sauveteurs apprennent que le canot de sauvetage avait pu, avant eux, recueillir les quatorze hommes en danger de mort.

o 14 Hommes sauvés. 1875 - 1er octobre,

o Esprit Le Mat est nommé patron et est à son poste à tous les événements de mer qui se produisent sur la côte. En cas d'absence le nom du sous-patron qui le remplace sera indiqué.

1877 - 14 janvier, Patron E. Le Mato Un riverain indique à 5 heures du soir qu'un navire démâté est mouillé en détresse à 3 milles de la côte

de Cléder. Le Mat rassemble son équipage et attend le jusant pour prendre la mer. Mise à l'eau à 3 heures du matin, 9 milles à parcourir par grosse mer, la côte ne forme qu'un brisant.A 10 heures du matin, le canot accoste le navire qui est la goélette paquebot Victorine de Nantes, capitaine Le Neveu.L'existence des hommes est assurée, mais une accalmie se fait, les vents sont bons pour atteindre la rade de l'Ile de Batz ; il faut tâcher de sauver le navire. Au travail ! On installe une voile de fortune et, à 5 heures du soir, les sauveteurs rentrent ayant mis en sûreté équipage et navire.

o 6 Hommes sauvés autrement dit, l'équipage a été rassemblé à la nuit (coucher de soleil heure « ancienne » vers 16 h 30), a dîné et vaguement dormi pour être à bord à 3 heures du matin bien avant

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le lever du jour (vers 8 heures) et a tiré sur le « bois mort » (les avirons). Vent de bout pendant 7 heures pour parcourir 9 milles (16 km).     Dans des cas analogues, certains canotiers arrivaient parfois au bout de leur peine, les mains et les fesses en sang !Ils avaient été absents de Roscoff pendant 14 heures.

1877 - 25 aoûto Bateau Alcyone parti en dérive avec deux hommes. 2 Hommes sauvés

1881 -  30 janvier, Patron F. Roparso Bateau pilote 1 Homme sauvé

1882 - 13 novembre, sous-patron Ch. Roignanto Gabarre Petit-Breton

1883 - 16 octobre sous-patron Ch. Roignanto Bateau Pilote Charlotte. Le pilote Péron du port de Roscoff sort avec un lamaneur pour conduire la

Césarine de Régnéville, grosse mer ils sont emmenés au large, l'Armand-Béhic. sort à la nuit et sauve pilote lamaneur et bateau. 2 Hommes sauvés.

1884 - 7 janvier Patron Le Mato Avec son bateau sauve Bonny Joseph. o 1 Homme sauvé.

1884 - 10 octobreo Vapeur anglais Bellmoreo Le sémaphore de l'Ile de Batz signale un grand steamer en détresse mouillé dans le noroît de l'Ile de

Batz ; c'est le Bellmore. Le bateau de sauvetage est mis à l'eau et fait de vains efforts pour sortir des passes. Le vent du nord souffle en tempête. L'équipage, sorti vers 3 heures du soir, est épuisé. La nuit arrive et les courants rendent toute tentative de sauvetage impossible. On rentre à 8 heures du soir. A 11 heures du soir, Le Mat rassemble ses canotiers, les courants sont maintenant favorables, on en profite pour sortir des passes, mais la tempête redouble de violence, les hommes sont à bout de forces et les sauveteurs passent la nuit, dans une crique de l'Ile de Batz. 11 octobre, le bateau de sauvetage reprend la mer à 6 heures et demie et est assez heureux d'accoster le navire vers midi. Le capitaine est prêt à abandonner son navire mais sûr désormais de sauver l'équipage, Le Mat propose d'essayer de sauver le bateau. Les chaînes sont filées par le bout et, habilement mené, le navire qui a son arbre de couche cassé, vient jeter sa dernière ancre à une encablure de terre. En même temps, l'équipage de dix-neuf hommes est recueilli par le canot de sauvetage, et débarqué, sain et sauf.

o 19 Hommes sauvés.o Passer la nuit dans une crique de l'Ile de Batz, en hiver... il ne faut pas oublier que ces canots n'ont pas

de cabine donc aucun abri contre la pluie ou les embruns et ils ont dû s'allonger sous les bancs... trempés de sueur et d'eau de mer !

o Les dômes avant et arrière sont des réserves de flottabilité inaccessibles. 1885 - 25 août

o Chaloupe Kan de Morlaixo Aux régates de Roscoff, la chaloupe Kan de Morlaix, montée par six amateurs, fait route : il vente grand

frais de Sud. Vent et jusant rendent le trajet difficile.L'Armand-Béhic est sur place, et Le Mat surveille tout ; il a remarqué les fausses manœuvres de la chaloupe, qui peu à peu dérive dans le nord, est prise dans les raz violents de Mor ar Cleuss et disparaît dans le nord de l'Ile de Batz. Le canot de sauvetage les ramènent au port de Roscoff, à la nuit. L'équipage inexpérimenté, à bout de force, se laissait dériver, « à la grâce de Dieu » ! 6 Hommes sauvés.

1886 - 27 maio Canot Nanine - Orage violent qui sème le désordre sur les canots occupés à la pêche au maquereau.

Nanine montée par un homme, est engagée et mouille vers midi à 2 milles environ de terre espérant du secours. A 2 heures, Nanine est ramenée au port par le canot de sauvetage. 1 Homme sauvé.

1889 - 3 et 4 févriero Vapeur Vendée.o Le sémaphore de l'Ile de Batz signale un steamer anglais en détresse et dérivant vers la terre : position

désespérée. Le canot de sauvetage est aussitôt mis à la mer et longeant le môle cherche à atteindre l'entrée du chenal de l'Ile de Batz. Il est 5 heures du soir, la tempête de nord et le flot de grande marée rendent la manœuvre du canot presque impossible. Qu'importe !... à 7 heures du soir, ils n'ont réussi qu'à faire 300 mètres, trois hommes tombent épuisés, le canot reprend la route du port. Peu de temps après leur retour, nouvelle dépêche du guetteur ; « le vapeur n'est plus qu:à 2 milles de la côte, sa perte est certaine ». Les courants vont se renverser, il faut reprendre la mer en remplaçant les trois canotiers épuisés. Il est 10 heures du soir quand, contournant le musoir, le canot disparaît dans la direction du nord. Le 4 février 1889, le bateau de sauvetage rentrait au port de Roscoff avec son équipage exténué. Cette dernière sortie avait duré onze heures. La tempête avait fait vingt et une victimes, la mer rejetait les cadavres avec les épaves.

1890 - 5 juino L'Académie française décerne un prix de Vertu à Esprit Le Mat.

1891 - 23 octobre

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o Deux bateaux de pêche, Olive et Anne-Marie sont en perdition.o Quatre personnes sauvées et trois secourues. 4 Hommes sauvés.

1892 -  11 novembreo Panache Alma (Douanes) - 3 Hommes sauvés.

1892 -  13 octobreo A 9 heures, du chef guetteur du sémaphore de l'Ile de Batz "Sloop" 6 milles N.O. pavillon en berne,

semble ne pouvoir gouverner.o L'Armand-Béhic est aussitôt lancé et met la voile. Il vente en tempête de N. NE. et dans les grains très

violents le vent varie du nord à l'est. A midi, à 9 milles environ dans le nord de l'Ile de Batz, le canot est à portée de voix du navire La Valérie de Nantes allant de Cherbourg à Morlaix. Le capitaine indique qu'il a avant tout besoin d'un pilote, et qu'à cause de la grosse mer, son navire sur lest gouverne très mal. Le Mat juge l'accostage trop dangereux et fait signe à Valérie de le suivre : à environ 1 mille de terre, quand la mer commence à calminer, elle fut élongée par le canot de sauvetage et le sous-patron Roignant Charles pilote put sauter à bord. A 1 heure et demie, la Valérie mouillait en sûreté sur rade de l'Ile de Batz et à 2 heures notre canot rentrait à Roscoff.

o Son vaillant équipage était composé de : Le Mat (Esprit) patron ; Roignant (Charles) sous-patron ; Le Mat (Jean-Marie), Le Mat (Esprit) fils, André (Laurent),    Saout (Louis), Saout (François), Autret (Victor), Guyader (François), Quéré (Auguste), Frout (Baptiste), Masson (Joseph), Corre (Joseph), canotiers.

o 3 Hommes sauvés. 1893 - 8 mai

o Dundee Persévérant démâté. 1893 - 8 octobre

o Assistance à Torpilleur 137. 1894 - 20 janvier.

o Gabarre Françoise secourue. 1895 - ( date ? )

o Victorine secourue. o 2 Hommes sauvés

1896 - 25 septembreo Bateau de pêche Les deux sœurs  secourues o 5 Hommes sauvés.

1896 -, 6 octobreo Chaloupe Marie-Joseph assistée.

1896 - 7 décembreo Brick Louis-Elisa secouru. o 7 Hommes sauvés.

Cette sortie est la dernière de l'Armand-Béhic. Il sera en place mais sans détresse à secourir jusqu'à l'arrivée de son successeur, le canot Commandant Philippes de Kerhallet. A cette date, Esprit Le Mat a reçu pour sa station, le prix de l'amiral Méquet du ministre de la Marine, un témoignage officiel de satisfaction de la « Société centrale » :.

une médaille d'argent de deuxième classe, une médaille d'argent de première classe, une médaille d'or de deuxième classe, et le 5 juin 1890, l'Académie française lui a décerné un prix de Vertu (Prix Montyon) de mille francs et une

médaille commémorative en bronze.

Pendant les rares moments qu'il passe à terre, tous ses soins sont donnés au canot de sauvetage dont la conservation est parfaite.

Les produits de sa pêche et de son pilotage, et ensuite sa retraite annuelle de 456 F sur les Invalides de la Marine forment les ressources du ménage.

Ils ont pu acquérir une maisonnette et un bateau. L'un et l'autre peuvent représenter une valeur de 2 500 F.

Le prix Montyon était donc pour l'époque très important.

La mémoire se termine par le trait suivant. Le 28 novembre 1888, il mariait deux de ses enfants ; la fin du banquet arrive et au moment où ils doivent commencer les chansons Le Mat demande un instant de silence.

« Mes enfants, nous sommes ici dans la joie, mais n'oublions jamais les naufragés. Je vais faire une quête pour la Société centrale de sauvetage des naufragés. Les gros sous pleuvent dans l'assiette et Le Mat quitte le banquet pour remettre sa collecte au trésorier du Comité. Cette somme figure aux annales de la Société centrale ».

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Voici les dernières années de l'Armand-Béhic ; quittant Roscoff, il a été renvoyé au chantier Augustin Normand au Havre pour remise en état et ensuite à l'Herbaudière en mars 1899 pour y rester en service jusqu'en 1909. A cette date il était condamné et vendu 407 F chariot compris.

3 - Le Commandant Philippe de Kerhallet, deuxième canot de sauvetage à avirons de Roscoff.

3.1 - Ses caractéristiques

Le nouveau canot est un 10,10 m du type à redressement, reconnaissable par ses dômes blancs avant et arrière qui assurent sa remise en position quand il lui arrive de chavirer. Il sort de la planche à dessin du grand chantier Augustin Normand et est nettement amélioré par rapport au 9,78 m (31 de construits).

Il est meilleur sous voiles et plus porteur, (48 seront lancés). Il porte le n° de chantier 67 longueur 10,10 m largeur 2,27 m tirant d'eau en charge 0,55 m déplacement 3,6 tonnes tests de sécurité pratiquement identiques au précédent - équipage et voilure sans changement. Arrivant au Havre, il a été installé dans son abri le 3 décembre 1897.

Esprit Le Mat a 59 ans, et c'est certainement pour lui une grande joie de recevoir un canot neuf, et c'est aussi une grande fête pour Roscoff.

Voici ce que rapportent les annales de la « Société centrale de sauvetage des naufragés ».

3.2 - Son arrivée et son baptême

Le dimanche 12 décembre 1897 à 4 heures du soir, a eu lieu devant la maison abri le baptême du canot Commandant Philippes de Kerhallet don généreux à la station de Roscoff de Mme Monrival, veuve de M. le capitaine de vaisseau Philippes de Kerhallet.

Depuis le matin et malgré une violente tourmente de S.O., la petite ville de Roscoff est en fête, tous les bateaux pêcheurs sont pavoisés ainsi que ceux dans le port et les édifices publics.

A 3 heures, le patron Le Mat rassemble ses canotiers et sort le canot de la maison abri. Déjà une foule compacte est là, assistant à cette manœuvre. La façade de la maison est décorée avec un goût parfait, au mât de pavillon flotte le pavillon national et celui de la Société, une superbe guirlande encadre la porte au-dessus de laquelle et de chaque côté se balancent trois ancres de grandes dimensions, faites de lauriers fleuris, de chrysanthèmes et de camélias. Le Commandant Philippes de Kerhallet, entièrement pavoisé, porte en tête de chacun de ses mâts un bouquet de mêmes fleurs, et ses formes élégantes disparaissent presque (sauf le nom) sous les guirlandes de verdure. Ces décors sont dus à l'initiative des jeunes filles et femmes des canotiers, des pêcheurs et de leurs amis.

Quatre heures sonnent à l'église paroissiale de Roscoff, Notre-Dame de Croatz-Batz. Le clergé, suivi de la population entière et d'une foule d'étrangers, arrive devant le canot, aux côtés duquel sont rangés les vingt-quatre canotiers en costume de travail et portant leur ceinture de sauvetage. Devant la maison abri se tiennent M. Georges Philippes de Kérhallet, fils de la bienfaitrice, le vicomte Macé, inspecteur de la Société, le président et les membres du Comité local, la municipalité, tous les chefs de service de la localité et un grand nombre d'invités. Le clergé monte à bord du canot dans lequel l'attendent et le reçoivent, le patron Le Mat et le parrain et la marraine, deux charmants enfants de 4 et 5 ans : René Laligne, fils de notre sympathique commissaire dé la marine, et Jeanne Le Mat, petite fille du patron et fille de canotier. Ils tiennent un superbe bouquet.Un méchant et noir nuage de nord ouest qui depuis une heure menace de troubler la fête se dissipe tout à coup et disparaît dans le nord est... puis la cérémonie religieuse a lieu et M. Georges Philippes de Kérhallet remet un pli au président du Comité à l'adresse des femmes des canotiers ; attention touchante de

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Mme Monrival qui a voulu qu'elles et leurs enfants, ne prenant pas part au banquet puissent fêter en famille le baptême du nouveau canot.

C'est le moment du lancement, l'accalmie continue, le flot arrive et avec lui la nuit. Le patron qui a placé ses canotiers à leur poste donne le signal, mais déjà, malgré tout son sang froid, il n'est plus maître de sa manœuvre. Les Roscovites, eux aussi, sont à leur poste de sauveteurs, hommes, jeunes gens, et enfants ont saisi les traits et le Commandant Philippes de Kerhallet, enlevé dans un élan, irrésistible, descend comme une flèche la rampe rapide qui relie le hangar à la grève, une immense étincelle jaillit, en même temps qu'un choc violent imprime un fort coup de roulis au canot, le fer d'une des roues vient de broyer un bloc de quartz. Le patron et les canotiers entraînés dans cette course de 100 mètres entrent dans l'eau jusqu'à la ceinture et montent à bord. Le Commandant Philippes de Kerhallet reçoit la baptême de la mer. Les canotiers lèvent les rames et poussent des vivats en l'honneur de leur bienfaitrice et de son fils. Les acclamations redoublent dans la foule ; nous sommes tous très émus.

Après quelques évolutions, le canot rentre et est remisé...

Mme Laligne, tenant par la main les petits parrain et marraine, porte une grande corbeille de sacs de dragées et avec une grâce charmante en fait une distribution prodigue à tous. Mais la nuit froide est venue, l'eau de mer ruisselle sur les lourds vêtements des canotiers, le Commandant Philippes de Kerhallet est paré à toute éventualité.

A 6 heures et demie a lieu le banquet, la municipalité, les chefs de service et les invités y assistent avec le Comité et les équipages du canot portant leurs décorations.

En face de la place d'honneur qu'occupe M. Georges de Kérhallet sont les armes de Roscoff avec sa fière et dure devise bretonne « A Rei a Squei ». En légende les encadrants « virtus et spes » à notre bienfaitrice, au-dessus le drapeau français et le pavillon de la Société... Au champagne, le président local se lève et adresse à M. Georges Philippes de Kérhallet les paroles suivantes

Discours du président du Comité local de sauvetage, M. Le Dault.

« Monsieur, en nous faisant l'honneur d'assister à ce baptême vous nous donnez ainsi que Mme votre mère un témoignage de haute sympathie... ce don perpétuera parmi nous son souvenir...

Vous appartenez, Monsieur, à l'une de ces anciennes et illustres familles de Bretagne qui ont toujours eu pour devise : « honneur, patrie et charité ». Ces nobles traditions sont restées intactes dans la vôtre et votre bonne et généreuses mère le prouve aujourd'hui.

Fils d'un marin officier supérieur, adoré de ses équipages, vous êtes ici entouré d'une vraie famille de sauveteurs. Parmi eux vous voyez les hardis vétérans de l'Armand-Béhic, l'éloge de ces vaillants équipages n'est plus à faire et les nombreuses décorations qu'ils portent disent assez ce qu'ils sont des hommes de devoir... Messieurs, levons nos verres en l'honneur de notre bienfaitrice, de son fils et de toute leur famille, et en disant adieu à l'Armand-Béhic, faisons tous nos vœux pour la longue brillante et heureuse carrière du Commandant Philippes de Kerhallet.

Discours de Monsieur Laligne commissaire de l'Inscription Maritime.

« Monsieur, notre président, M. Le Dault, vient de vous dire combien le comité et les canotiers de sauvetage de Roscoff sont reconnaissants à Mme Monrival du superbe canot qu'elle a offert à la station. Sous la rude écorce qu'on lui attribue volontiers, le marin sent fortement tout ce qui est noble et grand. Ce sont les marins en effet qui occupent nécessairement la majeure partie de la lugubre liste des victimes de la mer, et c'est à eux, dès lors, que profite surtout l'intervention si précieuse des embarcations de sauvetage, cette forme sublime de la charité et du dévouement.

Ce sont les marins aussi qui fournissent ces mâles équipes de sauveteurs, qui veillent sans cesse sur divers points du littoral ; et si ils sont trop nombreux pour faire tous partie de ces phalanges d'élite, à la formation, c'est à qui s'inscrira pour combler les vides que la maladie, la vieillesse ou la port sont seules capables d'y créer.

Permettez-moi donc de vous dire combien nos marins vouent de reconnaissance à Madame votre mère... Dites-lui aussi que le pieux souvenir qu'elle a attaché au canot qu'elle confie à nos marins sera religieusement gardé par eux et par nous tous ; et que les pêcheurs de Roscoff qui seront appelés à l'honneur de le monter sauront se rendre dignes du vaillant et regretté commandant dont leur embarcation porte le nom ».

Allocution de M. Macé, inspecteur de la Société centrale de sauvetage des naufragés.

« Messieurs,

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En saluant la nouvelle embarcation que la Société centrale vous confie, j'ai le devoir de vous faire connaître la haute personnalité maritime qui lui a donné son nom, par la pieuse initiative de Mme Monrival la compagne de sa vie. Mme Monrival, mariée en premières noces au commandant Philippes de Kérhallet, est une femme de suprême bonté, la providence des souffrants ; de généreuses fondations telles que le pavillon des femmes à l'hôpital de Trouville sont dues à son inépuisable libéralité ; en déléguant aujourd'hui son fils unique, M. Georges Philippes de Kérhallet, cette femme admirable, cette mère, a mis le comble à ses attentions, j'oserai dire à sa tendresse pour vous, à son amour du bien.

Le capitaine Philippes de Kérhallet était breton, comme vous messieurs, il a proclamé la fière devise de Portzmoguer « Var Doué, Var Bro ! Pour Dieu, pour la Patrie » comme vous il a aimé le sol natal et tout fait pour l'illustrer. Né à Rennes le 17 septembre 1809, M. Philippes de Kérhallet se sentit attiré par l'existence aventureuse de l'homme de mer ; il entra à l'école navale d'Angoulême en 1825.

Sa carrière, toute de travail, dota la marine française de cartes et de livres universellement admirés ; ces plans et ces écrits sont un véritable monument d'exploration nautique qui fera passer le nom de son auteur à la postérité.

L'excès même du labeur hydrographique accompli dans les pays malsains, usa prématurément la santé de l'intrépide officier qui lutta jusqu'à la dernière minute, ne manifestant qu'un regret, celui de ne pas mourir à son poste, sur le pont d'un vaisseau, en face de l'ennemi ; le commandant s'éteignit le 16 février 1863 à l'âge de 53 ans.

Marins de Roscoff, compatriotes du célèbre corsaire Balidard, fils des hardis compagnons de jean de Penhoët, amiral de Bretagne, grande famille de sauveteurs, et vous en particulier, pilote Esprit Le Mat dont la vie exemplaire est un chapelet d'héroïsme, que Dieu vous protège et vous aide ! qu'il vous accorde le succès dans les sorties de sauvetage que vous accomplirez, qu'il sauvegarde le beau canot auquel votre bienfaitrice, Mme Monrival a fait attribuer le nom sonore du commandant Philippes de Kérhallet. »

M. Georges Philippes de Kérhallet se lève et remercie tous au nom de sa mère et au sien, puis s'approchant du patron Le Mat dont la poitrine est couverte de médailles, il l'embrasse et lui dit « Brave patron Le Mat vous n'avez plus de médailles à recevoir, mais il y a encore au-dessus d'elles une place à remplir, puissé-je, l'amiral Lafont, président de la Société centrale, m'y autorisant, être assez heureux pour vous attacher moi-même celle qui manque encore, et qui sera la suprême récompense d'une vie irréprochable, de votre courage, de votre abnégation, de votre dévouement ».

A ces mots, les applaudissements et les vivats redoublent, l'émotion est à son comble. Il est 10 heures du soir, la fête est terminée.

3.3 - Liste de ses sorties pour assistance ou sauvetage.

Voici la liste aussi complète que possible de toutes les sorties pour assistance ou sauvetage de ce canot y compris quelques interventions courageuses qui ont pu se faire sans lui.

1899 - 28 mars - Gabarre Annao Patron Roignant Charles. Cinq hommes d'équipage.o Cette gabarre avait quitté le port de Penzé le matin pour charger du goémon ou des pierres sur la côte

est de l'Ile de Batz. Une tempête du sud s'est levée, pêcheurs et goémoniers eurent grand peine à gagner un refuge. La gabarre Anna en avarie grave mouillait entre Ty-Soazon et la roche Orvil : vers 3 heures un quart, elle tenta un appareillage pour se dégager, mais vint talonner sur la pointe est de la roche. Affolés, deux hommes se jetèrent à l'eau et grimpèrent sur la roche : entre temps, la gabarre s'était dégagée, était cassée et gouvernail brisé. Le patron Le Mat était en mer, Roignant Charles pris le commandement et, avec l'aide des présents, y compris femmes et enfants, traînèrent le canot jusqu'au bout du banc de galets, dit Quellen à l'entrée de la jetée. A ce moment, les canots de pêche rentraient et nos canotiers qui s'y trouvaient gagnèrent le canot de sauvetage. Lancement à 3 heures, équipage complet ; il recueillait non sans peine les hommes sur le rocher, assurait dans la mesure du possible le mouillage de l 'Anna et prenait à bord les trois hommes qui s'y trouvaient. A 5 heures, le Kerhallet rentrait avec tout son monde sain et sauf et l'Anna ayant rompu ses amarres dérivait entre deux eaux est nord-est (voir plus loin au 13 août 1899 la remise de récompense pour cette sortie).

o 5 Hommes sauvés. 1899 -  26 juillet - Dundee Beata

o Patron Autret Victor.o Le Beata quittait Roscoff le 25 juillet vers 7 heures et demie du soir drossé par le calme et le courant, il

se jetait sur la roche du grand Gogou ; quatre hommes plus onze passagers.Il fallait faire vite, mais patrons, sous-patrons et presque tous les canotiers étaient en mer sauf Autret Victor, Saout François, Corre Baptiste. Autret avait pris le commandement et des marins de bonne

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volonté prirent les places des canotiers, grâce au dévouement de tous le Commandant Philippe de Kérhallet lance à 8 heures et demie accostait le Beata qui avait mis son pavillon en berne à 8 heures 45. Le capitaine était seul à bord, les passagers ayant été mis sur Ty-Saozon par des canots du port.Le capitaine refusant encore de quitter le bord, notre patron s'étant assuré que passagers et équipage étaient en sûreté sur l'îlot revint au navire vers 10 heures et demie. Peu après, la mer baissant encore, Beata brusquement coula par l'avant ; le capitaine et les naufragés furent tous ramenés à terre.Armement : Autret Victor patron, Saout François, Corre Baptiste, Rolden François, Laurent Hervé, Roignant Jean (oncle), Roignant Jean (neveu), Nicol Joseph, Ropars Alexandre, Renet Victor, Cueff Henri, Béguel Guillaume canotiers.

o 15 Hommes sauvés. 1899 - 13 août

o Remise de récompenses décernées par la Société aux canotiers ayant pris part au sauvetage de l'Annao Extrait du discours de M. Le Dault, président de la Station dans la grande salle du conseil de l'hôtel de

ville de Roscoff. 1897 - 12 décembre (date inoubliable pour la station)

o Nous fêtions le baptême de notre nouveau canot, le Commandant Philippes de Kerhallet et nous faisions des vœux, pour son heureux et brillant avenir. Notre espoir n'a pas été déçu et son premier sauvetage a eu un plein succès. Le patron Le Mat et beaucoup de canotiers étaient en mer, le sous-patron Roignant Charles fit le nécessaire. C'est pour récompenser ces actes de courage que la Société décerne les médailles et diplômes d'honneur suivants : Roignant Charles, sous-patron (rappel de médaille d'or) une montre en or; . Le Mat Jean Marie, brigadier, une médaille d'or ; . Masson Joseph, canotier, une médaille d'or ; Corre Joseph, médaille d'argent de 1ère

classe ; Saout François, médaille d'argent de 1ère classe ; Le Mat Esprit, fils, médaille d'argent de 1ère

classe ; Autret Victor, médaille d'argent de 2ème classe ; Creignou Pierre, médaille d'argent de 2ème

classe ; Quéré Auguste, médaille d'argent de 2ème classe ; Le Duc Louis, médaille de bronze ; Cocaign François, diplôme d'honneur ; Ropars Alain, diplôme d'honneur.

o Canotiers, venez recevoir vos récompenses et nos félicitations". 1899 - 2 novembre - Dundee Saint Pierre les Calais

o Vers 3 heures et demi, du soir le sémaphore de Primel annonce qu'un dundee venait de couler près de la base du Pot de Fer, à l'est de la roche Duon. Le patron Le Mat appareille, grand frais de sud sud-ouest, explore le chenal et les environs de Duon, navigue vers Primel et là apprend que le navire Saint-Pierre-les-Calais est de Paimpol, qu'il avait chaviré près de la base du Pot-de Fer, que le patron d'équipage avaient été recueilli et amené à Primel.

o Le canot de sauvetage rentrait alors à Roscoff, les hommes étaient exténués par des manœuvres incessantes à la voile et aux avirons.

o Ont pris part à cette sortie : Le Mat Esprit, patron, Roignant Charles sous-patron, Le Mat Jean Marie, Le Mat Esprit fils, Autret Victor, Saout Louis,       Corre Joseph, Frout Baptiste, Quéré Auguste, Roignant Hyacinthe, Cocaign Henri, Le Duc Louis, Jézéquel Pierre, Le Dault Président.

1899 - Le Mat Esprit est nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur. 1900 - 6 août - patron Roignant  Canots de pêche en détresse  Epi de la Vierge, Eperlet  Régina

o Trois navires sept hommes sauvés.o 7 Hommes sauvés

1901 - 8 mars - Trois mâts goélette Sainte-Martheo Cette tentative de sauvetage du trois-mâts Sainte-Marthe en perdition s'est faite conjointement dans des

conditions particulièrement difficiles par les canots de Roscoff et de l'Ile de Batz.o Les deux canots ont failli se perdre et finalement se sont réfugiés l'un à l'abri de l'Ile de Sieck, l'autre

dans la crique de Porsguen en Plouescat et les canotiers exténués et trempés ont du faire plus de 7 km à pieds pour regagner leurs foyers.

o La figure de proue du trois-mâts, perdu, une Sainte-Marthe est conservée à Kerfissien, à l'entrée de la ferme de M. Roger Guillerm.

1901 - Roignant Charles est nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur.o Charles Roignant nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1901 pour avoir participé à 20 sorties et

sauvé 49 vies humaines 1901 - 31 janvier - goélette Valentine

o A 1 heure et demie de l'après-midi par tempête d'est nord-est, le capitaine Parantoen de la goélette Valentine venant de Cardiff, mouillée en rade de Roscoff, mettait son pavillon en berne jugeant son navire en danger. Le patron Le Mat accosta la Valentine, fit monter à bord le sous-patron et pilote Roignant avec six canotiers et, à 3 heures, la goélette était mouillée par lui, en sûreté, en petite rade de l'Ile de Batz.

o 6 Hommes sauvés 1903 - 8 décembre - Joséphine

o 5 hommes sauvés et un navire.o A 11 heures et demie la station est informée qu'une goélette, mouillée depuis la veille au soir à Bloscon,

avait son pavillon en berne. Le Mat pris la mer aussitôt. C'était la Joséphine de Brest. Sa position était critique, tempête de nord-ouest, ressac très violent, l'ancre engagée dans la roche, une ancre perdue à

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Londres et une autre dont la chaîne avait cassé la veille au soir. Le Mat fit monter à bord le sous-patron pilote Roignant et cinq canotiers pour aider à la manœuvre, c'était des plus urgent, la mer baissait. On put appareiller en filant la troisième chaîne par le bout. Dans cette situation, la Joséphine n'ayant plus d'ancre et, dans la crainte d'une saute de vent, le patron Le Mat pour garantir la vie des hommes décida d'accompagner le navire qui fut conduit et amarré en sûreté sur une tonne de la rade de Morlaix à 2 heures. A 6 heures du soir, malgré vent et courant debout, le Kerhallet rentrait à Roscoff. La sortie a été particulièrement pénible, nos canotiers ont dû se mettre à l'eau pour le lancement du canot car la mer était déjà en dehors des jetées.

o 5 Hommes sauvés. 1905 - 11 juillet - date du décès d'Esprit Le Mat (père) 1905 - 2 septembre - goélette Africaine

o patron  Esprit Le Mat (fils) 1905 - 19 novembre - secours à un bateau 1906 - 12 mars - secours à un cotre en  détresse

o 3 Hommes sauvés 1906 - 2 octobre - lougre La Frétillante

o 3 Hommes sauvés 1907 - 3 juillet - sloop Cap-Horn 1907 - 7 novembre - goélette Pacifique 1907 - 14 décembre - sloop Solférino 1908 - 8 janvier - dundee Alfred-Marie

o 3 hommes sauvés. 1908 - 27 décembre, dundee Rémora

o 1 Homme sauvé 1909 - 12 février - gabarre Saint-Louis

o Vers 1 heure de l'après-midi, un riverain des environs de Sainte-Barbe, vint hors d'haleine annoncer qu'une gabarre venait de sombrer près de la basse de Bloscon. 15 minutes plus tard, le Kerhallet était lancé mais, pour le faire flotter, les canotiers eurent de l'eau jusqu'au ventre par une température de 0°. Une demi-heure après, ils étaient sur place malgré la mer creuse et déferlante. La gabarre Phœnix d'Henvic qui faisait du goémon eut connaissance du naufrage et arriva avant nôtre canot et sauva deux hommes d'équipage. Cherchant le troisième, on crut le voir : hélas, ce n'était qu'un ciré flottant. Après une heure de recherches, le patron Le Mat est rentré à 3 heures se mettre à l'abri.

1910 - 9 février - dundee Rémora o patron Esprit Le Mato 6 Hommes sauvés.

1910 - 7 mai - bateau Roosevelt  - patron Masson Joseph 1910 - 16 décembre - gabarre Cécile

o 1 Homme sauvé 1910 - 27 décembre - vapeur Saint-André 1911 – 25 Mars -  dundee Georges-Marius 1911 – 22 décembre -  bateaux Saint Michel et Cyrus 1912 – 2 avril -  goélette Batavia 1912 – 2 avril -  goélette Malouine 1912 – 29 novembre -  Trois bateaux en détresse 1914 – 12 février -  gabarre Phoenix

o patron Le Mat et sous-patron Corre 1915 – 12 novembre – gabarre Phoenix 1916 – 3 décembre – vapeur de détresse 1917 - 9 décembre, vapeur échoué sur Roch-Haro

o Dépêche reçue du guetteur de l'Ile de Batz à une heure après-midi : « vapeur nationalité inconnue ouest sud-ouest, 6 milles pavillon en berne dérive rapidement direction Skeis. Le Mat prend la mer avec le Kerhallet ; vent du nord, temps à grains violents et fréquents. A la voile aidé des avirons, louvoyage dans le chenal de l'église et une partie du chenal de l'Ile de Batz: pris cap à l'ouest sur le vapeur signalé ; arrivé sur les lieux à 3 heures, le steamer est échoué sur la demi-marée de Roch-Haro (Cléder). L'équipage a dû l'abandonner et se réfugier dans les embarcations du bord, car aucune réponse aux appels, et personne de visible. Retour à Roscoff à 5 heures moins quart, équipage trempé et transit de froid.

1919 - 3 juilleto Ce n'est pas une sortie du canot de sauvetage, mais des appels « au secours » sont lancés, car un

enfant qui godille vient de tomber à l'eau. Deux jeunes marins en permission Dirou Hyacinthe et Menut Emile viennent de prendre un bain et se jettent à l'eau. Dirou arrive le premier saisit le jeune Lindivat Louis, âgé de 8 ans, au moment où il coule et arrive à le mener à terre sain et sauf. Le secrétaire du Comité, Craignou.

1920 - 17 juillet, remorqueur Tumulte 1920 - 11 septembre, sloop Coureur

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o Avons été prévenus qu'un bateau goémoniers depuis le matin demandait du secours, aussitôt le Kerhallet a été lancé avec Le Mat mais, quelques minutes avant, un bateau du port appareillait aussi et prenait à son bord les quatre hommes composant l'équipage du Coureur qu'ils abandonnèrent. Cette embarcation montée par des cultivateurs, personnes inexpérimentées des choses de la mer, se trouvait dans une situation critique. N'osant pas mettre à la voile et craignant que leur ancre vienne à chasser et de faire côte, la nuit approchant, ces goémoniers se sont décidés à faire des signaux de détresse.

o Nos canotiers sont restés sur les lieux jusqu'à la rentrée de ces hommes dans le port.o Ollichon, chef mécanicien en retraite, président du Comité.

1921 - 31 décembre, sloop Marie-Louiseo Ce matin à 5 heures et demie, les douaniers de service annonçaient qu'une gabarre et un autre bateau,

tous deux de l'Ile de Batz, se trouvaient à la côte sur l'Ile Verte.o L'équipage de la gabarre renflouée venait de rentrer au port mais ces hommes indiquent à M. Craignou,

secrétaire trésorier, que la Marie-Louise avait coulé en flottant, que le patron Guillerm Charles blessé d'un coup de gui avait dû gagner l'îlot à la nage, et qu'il y avait encore sur l'île ses trois jeunes fils, transis et mouillés depuis la veille. Une embarcation armée par quatre hommes à cause de la tempête de nord-ouest, n'avait pu y parvenir et avait dû rentrer au port. C'est alors que le Kerhallet a été lancé pour aller chercher ces malheureux qui grelottaient et faisaient pitié à voir : il était à craindre que le patron succombât et que les enfants contractassent une maladie grave.

o 4 Hommes sauvéso Ollichon, président du Comité.

1922 -  12 avril, bateaux Soisic et Catherine.o Temps relativement beau le matin, à midi le vent commence à fraîchir et augmente rapidement au flot.

Tous les bateaux étaient sortis, et durent rentrer. Le bateau goémoniers Soisic se trouvait à Ty-Saozon. L'équipage essaya d'appareiller mais à cause du vent violent ils furent rafalés à proximité des cailloux. A 4 heures, le marin pêcheur Cocaign Henri vint prévenir M. Craignou, secrétaire trésorier, que le bateau demandait du secours

o nos canotiers rentraient au port, aussitôt le Kerhallet fut lancé et fit route sur l'îlot. Prudemment, Le Mat mouilla l'ancre et accosta Soisic. Les goémoniers au nombre de quatre abandonnèrent leur bateau et embarquèrent sur notre canot qui se dirigea sur la pointe de Bloscon où la Catherine d'Henvic était mouillée depuis 2 heures ; surprise par la tourmente à Berven, elle regagnait son port d'attache, quand par le travers de Carantec sa voilure manqua. Elle dut fuir devant l'ouragan et venir mouiller à l'abri de la terre à Roscoff.

o Le patron Le Mat demanda aux hommes ce qu'ils comptaient faire : ils répondirent sans hésiter "quitter la gabarre et rentrer avec le canot de sauvetage".

o 6 Hommes sauvéso Ollichon.

1922 -  21 décembre, un goémonier 1923 - 3 octobre, langoustier Le croisé

o Le 3 octobre après une grande baisse du baromètre dans la nuit, vent d'ouest. Tous les bateaux du port étaient sortis ; à 9 heures saute de vent au nord. A 9 heures et demie, il ventait en tempête, toutes les embarcations abandonnaient leur pêche pour rallier le port.

o Un langoustier, Le Croisé, se trouvait mouillé en rade de Ty-Saozon ; à 10 heures et demie, le navire chassait sur une longueur de 500 mètres. Il risquait de s'échouer sur l'îlot Pighet et mit son pavillon en berne car il n'y avait qu'un seul matelot à bord.

o Prévenu par un pêcheur et un télégramme du guetteur sémaphorique, Le Mat mit à la mer le canot de sauvetage, mais dut compléter son équipage par trois hommes supplémentaires, les canotiers n'étant pas tous rentrés. 20 minutes plus tard, il accostait le dundee en perdition. Le Mat est monté à bord avec quatre canotiers

o Le Mat Esprit (fils), Masson Alphonse, Dirou Joseph, Oulhen Jean, armateur du navire et capitaine au long cours. Nos hommes ont viré une ancre puis filé la deuxième, et appareillé pour la rade de Morlaix. Le canot de sauvetage est rentré au port, mais a passé la nuit dans le port neuf où, en mortes-eaux, il ne devait pas échouer, car un autre dundee donnait des inquiétudes.

o Le Croisé a mouillé deux ancres en dedans de Pen a Lan, mais furie de vent le fit chasser en direction du phare de l'Ile Noire. On se décida à le changer de mouillage et à monter jusqu'aux bouées de la rade après avoir perdu une ancre.

o Un peu au vent des Cinq-Cheminées, on a mouillé l'ancre et porté des aussières sur l'un des coffres. En embarquant dans le canot, le matelot du bord Goasduff a été projeté à la mer, heureusement il put saisir l'embarcation et monter à bord après avoir été coincé entre le canot et le navire. L'homme ayant une forte constitution (!), l'accident ne présente pas de caractère de gravité. Nos canotiers ont débarqué à 19 heures à Locquénolé. Ils n'ont pu se changer et se restaurer qu'à 20 heures. Le courrier de l'Ile de Batz a dû se réfugier à Roscoff, le canot Breiz-Izel, mouillé à Rannic, est parti avec une trinquette déchirée à l'abri de Pen al Lan. Le bateau Marsouin est resté mouillé dans l'anse de Sainte-Barbe. Le canot de sauvetage a été remisé hier soir. En le montant, le canotier Autret Henri a eu le doigt pris dans une manœuvre ; il a été soigné par M. Carnier pharmacien, il en résulte une incapacité de travail d'une huitaine de jours.

1924 -  6 mars - vapeur danois Ingar

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1924 - 27 avril - goélette Ardente 1924 - 17 août - régates de Roscoff.

o Ce n'est pas une sortie du canot de sauvetage. Le sloop Clotilde fut chaviré par un violent grain ouest nord-ouest et les quatre hommes précipités à la mer. Les bateaux Les Mocos et le Missouri vinrent au secours des naufragés. Les Mocos, patron Marron Joseph, arriva le premier et put sauver trois marins. Le Missouri, patron Masson Théodore, put prendre le quatrième qui était accroché à un aviron. Masson est canotier de la Station, titulaire d'un diplôme d'honneur de la Société centrale, il a participé au prix « fondation Carnégie » (sauvetage des hommes de La Rafale 1909).

o Ollichon. 1926, 14 novembre, goélette Tourmente

o Dans la matinée, la goélette Tourmente du port de Paimpol, venant de Galway (Irlande) à destination de Roscoff avec un chargement de soude destiné à l'usine de produits chimiques de Plouescat mouillait en rade de Roscoff, n'ayant pas assez d'eau pour rentrer. Une partie de l'équipage était à terre pour faire des vivres.

o Vers 11 heures et demie saute de vent très brutale dans un fort grain de suroît au noroît. Le navire chassait sur ses ancres et une des draines cassa. L'équipage hissa le pavillon en berne. Prévenu aussitôt, le patron Le Mat mit le canot de sauvetage Le Kerhallet à la mer, et se dirigea au plus vite sur le navire.

o Le Kerhallet est sorti appelé par les signaux de la goélette Sylvabelle de Bayonne mouillée en rade de l'Ile de Batz. Tempête de vent d'ouest après une nuit affreuse. Le canot se rendit avec peine auprès de la goélette, et priés par le capitaine, quatre canotiers restèrent à bord pendant 5 heures pour aider à la manœuvre rendue difficile par le mauvais temps et la tenue incertaine du mouillage.

o 1 Homme sauvé o Salaün

1930 - 11 janvier - Caboteur à tapecul Rose Léontineo Patron Corre Victor.o A une heure un quart le caboteur à tapecul Rose Léontine mouillé en rade de Roscoff a mis son pavillon

en berne. Le patron Corre, étant sur le port, vint me prévenir et le canot de sauvetage lancé aussitôt. Il a mis à la voile au bout de la jetée, et 10 minutes plus tard il était le long du bord, où il était devancé par un bateau pilote, patron Hyacinthe Le Mat qui a embarqué son fils à bord du navire. Notre canot a pris une amarre que lui a lancée le capitaine : trois de nos canotiers sont montés à bord pour aider à l'appareillage. Voilure hissée, on a filé la chaîne par le bout, le bateau a bien abattu et a fait route pour rentrer au port sans incidents.

o Equipage : Corre Victor patron, Masson Joseph, Corre Louis, Autret Baptiste, Le Saout Alexandre, Masson Alphonse, Gillet Joseph, Corre Hyacinthe,        Rohou Gontran, Guillou François, Henry Théophile.

1942, Pendant l'occupation allemande.o Note transmise par Monsieur Le Got Goulven, chantier naval, place de la République, Roscoff. Secours à

deux pêcheurs cernés par la mer sur un rocher devant Pempoul.o « L'amarre retenant le canot à son chariot n'ayant pas été larguée au moment du lancement (ou plus

probablement n'ayant pas été frappée sur les « crocs à échappement » d'où elle se serait dégagée spontanément) c'est un frère de M. Le Got qui s'est précipité à l'eau pour la lâcher. Le bateau est parti à l'aviron, patron Corre François et a hissé sa voilure derrière Bloscon, le vent étant portant mais la voilure était pourrie et est partie en lambeaux.

o Voyant le canot de sauvetage arriver, quelques riverains dont M. Guilcher ont chargé un petit canot sur une « satosse » et l'ont mis à l'eau au vent de la roche pouvant ainsi récupérer les naufragés avant l'arrivée du Commandant Philippes de Kerhallet, dont les canotiers ont été quittes pour leur peine. Mais le vent était fort et, au lieu de revenir à Roscoff, ils se sont réfugiés au-delà du pont de la Corde et après avoir été récompensés d'un boujaron*, ce qui était la tradition, sont retournés chez eux".

1946, 8 décembre Secours à deux naufragés.o Equipage : Corre François patron, Le Mat Arthur sous-patron, Corre Hyacinthe, Guillou François, Dirou

Joseph, Autret Louis, Béguel Edouard, Maron Joseph,     Corre Jean, Créach François, Rohou Vincent. 1948, 7 août un sauvetage.

o Patron et pilote Corre François. 1948, 4 octobre - Sortie pour des bateaux de pêche en détresse.

 

Là se termine la liste officielle des sorties notées depuis la fondation ; 73 au total mais les toutes dernières n'ont pas dues être comptabilisées.

Vraisemblablement avant sa vente, dans ses dernières années, le canot a dû participer, fleuri, à quelques fêtes de la mer.

Les rares anciens, qui ont pu être interrogés, ont un souvenir très pénible des ultimes sorties à l'aviron.

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* boujaron : gobelet en fer blanc, de 6 centilitres pour distribuer les rations.

Beaucoup de bateaux de pêche avaient un moteur et, en cas d'urgence un patron préférait prendre la mer avec son propre canot motorisé.

Esprit Le Mat (Père) est mort le 11 juillet 1905.

Il avait été nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1899 pour avoir participé comme sous-patron et patron à vingt-quatre sorties et au sauvetage de soixante-neuf vies humaines.

Charles Roignant a été nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1901 pour avoir participé à vingt sorties et au sauvetage de quarante-neuf vies humaines.

Le fils d'Esprit Le Mat portant le même prénom que son père après avoir été canotier a pris sa suite comme patron. Il a été nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1926 pour avoir participé à trente et une sorties et au sauvetage de quatre-vingt quatre vies humaines.

D'autres aussi se sont distingués comme sous-patron ou patron dont les noms sont indiqués au début de cet article.

Pour en revenir aux canots, on peut écrire qu'à deux ils ont assuré soixante-quinze sorties. .

soixante-sept vies humaines sauvées par l'Armand-Béhic en vingt-sept sorties. quatre-vingt-huit vies humaines sauvées par le Kerhallet en quarante-huit sorties.

Ces chiffres pouvant être à quelques unités près.

A Roscoff, l'ancien abri existe encore ; c'est la coopérative des marins pêcheurs.

Il n'a pas été possible malheureusement de retrouver les tableaux de sorties qui se trouvaient toujours fixés aux murs à l'intérieur de tous les abris : date, nom du navire, nombre de vies sauvées.

Ces tableaux ont dû être enlevés en 1953 après la vente du canot et probablement détruits... hélas.

C'était une belle évocation d'un courageux passé et qui montrait aux visiteurs qu'un canot de sauvetage à longueur d'année et 24 heures sur 24 devait toujours être prêt à prendre la mer, au premier coup de cloche du tocsin ou au premier coup de canon du sémaphore, avec un équipage parfaitement entraîné, et acceptant d'avance toute "fortune de mer", la meilleure comme la pire.

3.4 Le Commandant Philippes de Kerhallet est rayé de la liste des canots de sauvetage.

1953, 8 janvier.

Les archives de la station portent cette dernière ligne le Commandant Philippes de Kerhallet est vendu à la Société des régates de Pempoul, chariot et armement (lettre n° 20 du 6 janvier 1953).

M. Le Got se souvient de l'avoir réparé après qu'il avait été abordé par un fort bateau ; et m'a fait parvenir la note suivante : « ... quant au chariot il a pris la route pour aller à Pempoul, mais le cerclage très rouillé d'une roue a cédé en roulant, et le chariot a été abandonné au haut de la côte de Pontigou. Je ne sais ce qu'il est devenu après ».

(moi non plus car dans toute la France je n'ai jamais pu retrouver chariot ou roue ; le moyeu était une belle pièce de bronze... C'est probablement la raison).

et les années passent.

De 1953 à 1974... le Kerhallet perdant son identité s'enfonce dans la brume de l'oubli et devient peu à peu une épave.

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Ce qui suit a paru sous la signature de l'auteur, le Docteur Pillet dans le n° de juillet 1976 des annales de la S.N.S.M. et a été repris dans l'ouvrage .intitulé "Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile" Edition le chasse-marée Estran 1986 et dans la lettre roscovite de janvier 1988.

1975

Depuis longtemps je m'intéressais aux canots de sauvetage à avirons des sociétés de sauvetage.

Mais retrouver et conserver, pour les générations futures, un authentique canot d'autrefois présentait un intérêt tout autre ; je me décidai à tenter l'aventure.

Mes recherches commencèrent. Lettres, déplacements, appels téléphoniques amenaient toujours la même réponse : « Un canot de sauvetage à l'aviron, mais, c'est fini mon cher Monsieur ! »

J'en étais toujours à zéro, quand le « hasard », ce hasard qui, selon la belle pensée de Pasteur « ne favorise que les esprits bien préparés », me combla. C'était au soir du 26 octobre 1974. J'étais avec un ami sur la plage du Letty, près de Bénodet et je tombais en arrêt sur « lui », L’ancêtre. Il était identifiable au premier coup d’œil malgré ses blessures. « Tu n'es pas fou, me dit mon ami, c'est une baleinière de cargo ». Alors je lui montrai la forme typique des ferrures du gouvernail, le croc à échappement, la place des six soupapes de vidanges, et, sortant mon couteau, je tâtai le bordé. Le rapide bilan du dommage était lourd.

Coque crevée en 3 ou 4 endroits Dômes avant et arrière arasés

Bancs de nage sciés

Pont défoncé et trous bouchés avec du bois de caisse

Ventrières arrachées

Préceinte tribord cassée en trois endroits

Gouvernail amputé

Quatre soupapes manquantes

Cale bourrée de Klégecel, ce qui lui permettait de flotter

A nouveau me couchant sous la coque, mon poinçon tâtait le gal bord, les râblures, la quille, l'étrave, l'étambot, les bouchains au niveau du portage : hormis les avaries, aucune trace de pourriture ; en particulier le double bordé en teck était parfaitement sain. La question serait de retrouver du teck de Siam ou de Birmanie, pour le pont. Il n'y avait pas à minimiser les difficultés d'ordre moral et matériel qui allaient s'amonceler. Mais, je le sentais avec une joie profonde, l'aventure était commencée et j'étais décidé, coûte que coûte à arriver au but.

« Première manche » .

Il fallait d'abord l'acheter. Il appartenait à l'Union des Centres de Plein Air (U.C.P.A.) mais les dirigeants locaux ignoraient totalement son origine, son nom, sa date de construction. Il servait de ponton. Si "en échange" nous pouvions fournir un autre ponton, le canot était à nous. Grâce à la S.N.S.M. et en particulier à notre vice-président, l'administrateur général Georgelin, il fut possible de trouver et d'acheter aux Domaines un ras déclassé par la Marine.

Je lançai alors une souscription privée en dehors de la S.N.S.M., pour que des esprits chagrins ne puissent nous reprocher de dépenser de l'argent, sur de vieux bateaux, au détriment d'unités nouvelles. Je m'adressai d'abord à mes amis « frères de la côte », puis à des relations et, par des revues de yachting, au grand public. Je partais dans le cirage, mais d'emblée, je peux le dire, presque chaque jour, le courrier m'apportait des chèques avec toujours un mot amical et encourageant et cette aide financière était loin d'être négligeable.

Le ras acheté aux Domaines devait être remorqué de Brest au Letty. Une occasion n'était pas facile à trouver mais, là encore, l'administrateur général Georgelin sut frapper à la bonne porte. Ordres, contrordres et finalement tout se passa bien : le ras arriva à son nouveau mouillage. Il ne restait qu'à ramener le canot près de chez moi, au Diben en Plougasnou. Le faire naviguer était impensable. Un bon ami me proposa de se charger du transport. Hélas, un bon matin son chauffeur de poids lourds me lança un S.O.S. par téléphone : « Je suis sur place, mais, je n'ose pas ni le prendre, ni même le soulever : il va arriver en miettes ! » Il fallut donc passer par un transporteur spécialisé, et c'est ainsi qu'en juillet

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le canot arrivait sur le terre-plein des chantiers de constructions navales de Vincent et Jean Rolland au Diben. La première manche était gagnée.

La seconde manche allait se jouer.

Dès le soir, j'allai au chantier. Certes j'avais bien prévenu le patron que le canot n'était pas neuf, qu'il avait des blessures... bref, qu'il ne m'en veuille pas en lisant ces lignes, je me doutais bien de ce que serait ce premier contact !

J'arrivai dans son dos.

« Bonjour, cher patron ». Pas de réponse, puis d'un ton faussement dégagé. « Vous avez vu le canot ? »« F...ez cinq litre de fuel dedans et mettez-y le feu » me répondit M. Rolland sans se

retourner. « Mais M. Rolland, le temps des « tantad » (feu de la Saint-Jean) c'est en juin ». « Je ne travaillerai jamais sur une pourriture pareille ». Alors là, je fais semblant de ma fâcher. Car on peut dire

tout sur le canot, sauf qu'il est pourri.

Quinze jours plus tard le travail était accepté. Je me portais garant personnellement d'un règlement immédiat suivant les conditions habituelles d'une construction neuve. Nous allions bénéficier de la grande expérience que M. Rolland avait de ces canots et je savais qu'après les réticences du début, il mettrait à cette restauration le meilleur de lui  -même et nous ferait profiter de certaines pièces mises de côté il y a une trentaine d'années et provenant d'un canot de sauvetage identique, la deuxième manche était gagnée.

Je réunissais les membres de la station S.N.S.M. de Plougasnou, président Jean Flamanc, et leur exposais mon projet ; ils furent conquis et d'emblée le capitaine Laurent Caroff, patron de la vedette S.N.S.M. 15  Notre Dame du Trégor fut mon bras droit et la moitié de mon bras gauche.

Nous nous mîmes d'arrache-pied au travail tous les deux et quand, plus tard, le canot rentra dans le grand hangar, le brûlage de la peinture intérieure et extérieure était terminé et le ponçage très avancé ; la cale vidée de son Klégécel avait été lavée à grande eau et nettoyée ; les placards collés sur le bordé avaient été enlevés ; le pont était réparé avec du teck d'origine récupéré sur un ancien canot de sauvetage et cadeau du chantier. Bref, son aspect s'améliorait.

D'après les mesures prises, c'était un 10,10 m. construit chez Augustin Normand entre 1878 et 1907. Un numéro et deux lettres retrouvées lisibles après brûlage de la peinture sur l'étrave et communiquées à M. Augustin Normand permirent enfin de savoir qu'il s’agissait du canot Commandant Philippes de Kerhallet construit par son grand-père au Havre en 1897 pour la station de Roscoff.

La coque restaurée, c'était bien, mais la présenter avec son armement complet décuplerait son intérêt, tout était problème et tout fut résolu.

Et le temps des finitions arriva. Un dernier coup de ponceuse sur le beau pont en teck, les cuivres à briquer, le gréement à installer et la voilure à hisser.

Elle provenait d'une grand voile neuve de Claverie, cadeau du chantier Ernest Sibiril, dans laquelle Arthur Le Mat, dernier sous-patron du canot avait taillé, cousu et ralingué "à l'ancienne" les trois voiles dans son grenier, rue des Perles.

L'armement absolument complet à mettre en place, y compris le sac pour naufragés, avec peignoir de laine et deux gants de crin pour friction...

Et le 15 décembre 1975, à la date fixée deux mois auparavant, c'était la première présentation officielle du canot aux autorités S.N.S.M. du Finistère. Le chantier Rolland était en fête et très amicalement le buffet était offert par la station de Roscoff, président M. Michel Morvan. L'amiral préfet maritime s'était fait représenter par le commandant Bellec.

Le Commandant Philippes de Kerhallet en place dans la salle d'exposition du musée de la citadelle de Port-Louis

Au début de janvier 1976, le canot partait pour Paris emmailloté comme un nouveau-né et était installé au stand de la S.N.S.M. au salon international de la navigation de plaisance.

Ce fut un plaisir pour moi d'être présent pendant toute la durée de l'exposition, secondé par M. Froment, capitaine au long-cours.

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J'avais le sentiment d'avoir derrière moi toutes ces générations maintenant disparues de canotiers qui avaient été l'âme de ces canots. L'intérêt du public se manifesta par un défilé incessant sur le stand de la S.N.S.M. du premier au dernier jour.

Le 20 janvier 1976 eut lieu la remise officielle du canot à l'amiral Amman, président de la S.N.S.M., sur la passerelle devenue estrade se trouvaient aux côtés de M. Aymar Achille Fould, fondateur du musée de l'Atlantique, le commandant Luc Marie Bayle, directeur des musées de la marine, le patron Laurent Caroff et moi. Le canot fut ensuite confié au commandant Bayle, pour figurer dans le musée de l'Atlantique de Port-Louis. Le capitaine Caroff et moi avons reçu de l'amiral Amman, une médaille de reconnaissance de la S.N.S.M.

Un immense merci, à tous ceux qui m'ont encouragé et aidé de toutes les façons possibles, et m'ont permis de terminer dans un soleil étincelant une aventure passionnante, qui avait débuté dans la brume devant une pauvre épave, avec la seule volonté de réussir.

Et voici la suite, et la fin de cette longue histoire : par une lettre du secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports, M. Chamois, adressée à l'amiral Amman président de la S.N.S.M. et qui me l'a transmise le 30 novembre 1976.

« ...Etant de passage à Saint-Pol-de-Léon, j'avais remarqué, mouillé sur une vasière, un ancien canot de sauvetage en assez piteux état certes, mais qui avait encore belle allure...J'appris qu'il avait été acheté quelques années auparavant par Monsieur B. personnalité bien connue à Saint-Pol-de-Léon, pour mettre à la disposition de la troupe marine S.D.F. dont le fils était responsable.

La disparition dramatique de celui-ci avait amené la mise en sommeil du groupe et entraîné par voie de conséquence l'abandon du canot.

J'ai pris contact avec Monsieur B. qui se déclara d'accord pour le céder à un organisme de jeunes.

J'alertais immédiatement mon ami Pierre Buisson, secrétaire général de l'Union nautique française, qui recherchait justement des bateaux pour le centre du Letty.

L'affaire fut très vite conclue et le canot fut acquis, mais son transport par la route posa de sérieux problèmes.

Il finit par arriver à Bénodet et fut confié au chantier Craff pour une remise en état et des modifications de coque et de gréement.

Rebaptisé « Dumbo » il donna au cours des années qui suivirent l'occasion à de nombreuses palanquées de jeunes de découvrir l'art subtil des virements de bord.

J'ignorais sa fin comme ponton et le regrette. »

Quand cette lettre m'est parvenue, le canot était au musée de Port-Louis depuis dix mois. Son identité avait été précisée plus d'un an auparavant, par son numéro de chantier gravé dans l'étrave.

Quant à la station de sauvetage de Roscoff, elle a été en sommeil à partir de 1953.

Les Hospitaliers sauveteurs bretons l'ont réveillé en 1958, en y installant la vedette Arcoa monomoteur à essence de 6,40 m. Itroun Varia Croas Batz.

Le président de la station était M. François Branellec.

En 1967, toutes les anciennes stations de la « Société centrale » ou des « H.S.B. » ( Hospitaliers Sauveteurs Bretons ) ont fusionné sous les couleurs de la « Société nationale de sauvetage en mer ».

CONCLUSION

Le canot Philippes de Kerhallet lancé au siècle dernier a été le premier en date à être recherché, trouvé, et remis en état pour être placé dans un musée.

En 1974 -1975 ce n'était pas chose courante et ce « sauvetage » a provoqué, dans ses débuts, quelques sourires !...

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Depuis, sur ce sujet, les vents ont tourné.

En 1986, le musée de la pêche de Concarneau a pu acquérir et remettre en état l'ancien canot de Grand Camp, le Commandant-Carreau.

Le 17 juillet 1988, l'ancienne station de Cayeux ouvrait à nouveau ses portes pour présenter au public le canot Benoît-Champy superbement réarmé, et placé dans son abri d'origine.

Il reste encore trois unités de même type qui seront peut-être conservées.

En complément de ces présentations il fallait écrire sur le plan national le "Sauvetage au temps des avirons et de la voile". C'est chose faite, et ce livre a reçu deux prix en 1987

le Prix de l'Amicale des administrateurs des affaires maritimes le Prix Henri Vovard de l'Académie de marine.

Ces canots sont un prestigieux souvenir du passé, ex-voto grandeur nature, en hommage aux anciens patrons, sous-patrons et canotiers qui ont au péril de leur vie, et parfois hélas, au prix de leur vie, tenté de sauver celle des autres.

Les bateaux ont changé, la mer comme les hommes est restée la même, le drame de l'Aber-Wrac'h nous l'a rappelé.

Aujourd'hui les équipages des vedettes et canots tous temps de la S.N.S.M. sont dignes de leurs anciens.

Comme eux, ce sont des volontaires, des bénévoles, aussi courageux que modestes.

Grâce à ces anciens canots, grâce à leur histoire, la S.N.S.M. n'est pas en danger de perdre la clef de son avenir, puisqu'elle n'oublie pas son passé.

Docteur Pillet, Carantec 1989

Bibliographie

Les archives de la « Société centrale de sauvetage des naufragés » conservées par la S.N.S.M.  Les annales du sauvetage maritime numéro de juillet 1976, édité par la S.N.S.M. Le livre « Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile » édition le chasse marée estran, 1986.

Crédit photographique

La plupart des illustrations proviennent :

du livre « Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile » édition le chasse marée estran 1986. de collection particulière de l’œuvre des « Abris du marin ».

Le docteur Jean Pillet a été ophtalmologiste à Morlaix, pendant 35 ans.

A côté d'occupations professionnelles importantes, privées et hospitalières, il a tenu à avoir une activité maritime, suite de navigations en Manche, pour son plaisir, et suite de son service dans la Marine nationale.

Inscrit aux « Hospitaliers Sauveteurs Bretons » (H.S.B.) en 1946, il fonde en 1948 le « Yacht Club de Morlaix » avec conférences et cours de navigation.

Puis il devient aux H.S.B. Chef de secteur de Morlaix, et en 1967 avec la fusion H.S.B. et Société Nationale de Sauvetage en Mer, (S. N. S. M.).

Son président, l'amiral Amman, le nomme par la suite administrateur, et un peu plus tard, membre du Comité de direction.

Place qu'il quitte en juin 1988 pour limite d'âge.

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Le Dr Pillet a toujours été attiré par le sauvetage en mer, mais il estimait que la période du sauvetage côtier sans moteur était particulièrement dangereuse et courageuse, et qu'il fallait à tout prix en conserver le souvenir.

C'est chose faite, grâce à lui. Par la découverte et la remise en état d'un canot construit en 1897 et dont ce livre raconte l'histoire.

Par la publication de son livre « Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile », qui est un travail d'historien et un ouvrage de référence.

Remerciements

L'auteur remercie tout particulièrement

M. Michel Morvan, Maire de Roscoff Conseiller Régional Président de la Station S.N.S.M. M. le Professeur Pierre Lasserre, Directeur de la Station Biologique de Roscoff, Président de

l'Association Art et Culture Capitaine de vaisseau François Bellec, Directeur des Musées de la Marine M. Marc Moreau, Membre de l'Association Art et Culture à Roscoff Mme Bernadette Lasserre, Maire-adjoint de Roscoff, chargé du tourisme et de la culture M. Rémy Sanquer, Maire-adjoint de Roscoff, chargé de la communication M. Jean Lirin, Roscoff M. François Branellec, Saint-Pol-de-Léon Mme Madeleine Corre M. Goulven Le Got, Roscoff Mme Norbert Beuzit, Roscoff M. Eugène Moysan, Le Guilvinec

Éditions de l'Association Art et Culture à RoscoffAchevé d'imprimer sur les presses de Cloître Imprimeurs 29220 SAINT THONAN le 13 juillet 1989.

Dépôt légal : 3° trimestre 1989