ROPARS WUILLEUMIER Marie Clair Ecraniques

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ROPARS-WUILLEUMIER, Marie-Claire. Ecraniques. Le film du texte. Lille : Presses universitaires de Lille, 1990, 228p. -Nous ne lisons pas sans rôver; el si parfois nous analysons, c'est pour renouveler le plaisir d'errer.» Ropars Cette oeuvre de Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Écraniques, colossale par son contenu, rassemble des textes déjà publiés, d'autres inédits et vient notamment à la suite de son ouvrage : Le Texte divisé. Ce dernier examinait l'écriture filmique et la loi intervallique du montage et cherchait, ce faisant, à faire état de la circularité du sens et de renonciation filmiques. Bien que l'auteure souligne à plusieurs reprises l'aspect «essayiste» de l'actuelle entreprise ou, mieux, celui de la prise et de la saisie de l'écriture de la modernité, Ecraniques marque un pas décisif quant à l'enquête portant sur l'errance discursive de cette écriture, même filmique, que l'analyse du texte par le film suffit à réfléchir : «(...) la modernité rend à l'oeuvre l'opacité formelle d'un acte qui ne sera dit de langage que parce qu'il agit par et contre le seul langage (...)» (p. 29). Traversant le texte du film, le film, lecteur du texte, voire le film et le texte absents appelés dans la textualité, l'exploration de l'écriture par le film fait théoriquement appel au film comme opérateur des différences entre la voix et le silence, entre l'image esquissée et arrêtée dans le mouvement de «(...) la transitivité du discours» (p. 29) par renonciation même de son absence dans la chute du texte. L'auteure fait, en d'autres termes, référence à la notion de montage filmique comme s'il s'agissait d'une sorte de lieu spéculaire de l'écriture, «l'expérience porte [donc] moins sur les matériaux que sur les opérations (...)» (p. 25). Lesquels matériaux sont, à l'évidence, représentatifs d'une certaine hétérogénéité initiale, laquelle, comme on le sait, désigne le fait de mobilisation des images, des musiques, des bruits, et des voix et appelle, par conséquent, une sorte d'hétérogénéité autre, celle du «hors» et du of découpés en et par lui. Or, cette hétérogénéité sert précisément le «démontage» du texte littéraire qui, illusoirement homogène sur le plan linguistique, retient d'une certaine façon les espaces off de l'écriture et appelle, en ce sens, d'autres lieux de la signification. Hors-champ du texte appelé dans le champ du texte, découpe, contrariété, annulation, déroute, dévoiement plutôt qu'«instrumentalité des signes», l'auteure emprunte, autrement, la

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  • ROPARS-WUILLEUMIER, Marie-Claire. Ecraniques. Le film du texte. Lille : Presses universitaires de Lille, 1990, 228p.

    -Nous ne lisons pas sans rver; el si parfois nous analysons, c'est pour renouveler le plaisir d'errer.

    Ropars

    Cette uvre de Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, craniques, colossale par son contenu, rassemble des textes dj publis, d'autres indits et vient notamment la suite de son ouvrage : Le Texte divis. Ce dernier examinait l'criture filmique et la loi intervallique du montage et cherchait, ce faisant, faire tat de la circularit du sens et de renonciation filmiques.

    Bien que l'auteure souligne plusieurs reprises l'aspect essayiste de l'actuelle entreprise ou, mieux, celui de la prise et de la saisie de l'criture de la modernit, Ecraniques marque un pas dcisif quant l'enqute portant sur l'errance discursive de cette criture, mme filmique, que l'analyse du texte par le film suffit rflchir : (...) la modernit rend l'uvre l'opacit formelle d'un acte qui ne sera dit de langage que parce qu'il agit par et contre le seul langage (...) (p. 29).

    Traversant le texte du film, le film, lecteur du texte, voire le film et le texte absents appels dans la textualit, l'exploration de l'criture par le film fait thoriquement appel au film comme oprateur des diffrences entre la voix et le silence, entre l'image esquisse et arrte dans le mouvement de (...) la transitivit du discours (p. 29) par renonciation mme de son absence dans la chute du texte. L'auteure fait, en d'autres termes, rfrence la notion de montage filmique comme s'il s'agissait d'une sorte de lieu spculaire de l'criture, l'exprience porte [donc] moins sur les matriaux que sur les oprations (...) (p. 25). Lesquels matriaux sont, l'vidence, reprsentatifs d'une certaine htrognit initiale, laquelle, comme on le sait, dsigne le fait de mobilisation des images, des musiques, des bruits, et des voix et appelle, par consquent, une sorte d'htrognit autre, celle du hors et du of dcoups en et par lui. Or, cette htrognit sert prcisment le dmontage du texte littraire qui, illusoirement homogne sur le plan linguistique, retient d'une certaine faon les espaces off de l'criture et appelle, en ce sens, d'autres lieux de la signification.

    Hors-champ du texte appel dans le champ du texte, dcoupe, contrarit, annulation, droute, dvoiement plutt qu'instrumentalit des signes, l'auteure emprunte, autrement, la

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    course des rflexions de Blanchot concernant la parole en interrogeant le paradoxal tat de l'criture qui retient la rcriture dans l'criture du texte. L'analyse tend ainsi laisser entendre le non-crit de l'criture, prendre en compte l'branlement du texte, la rupture, la discontinuit, comme moment irradiant de la parole et (...) respiration du discours (Blanchot, p. 108).

    Cette uvre se fonde, en clair et tel que l'auteure le souligne, sur le principe d'une analecture qui laisse prsager du doute d'une (...) pense de l'impensable (...) (p. 225) et, on l'a suffisamment not, elle se fonde sur la pratique d'une filmo-lecture d'uvres d'crivains et/ou de cinastes tels que Duras/Resnais, Klossowski/Ruiz, Aquin/Aquin, Des Forts/Des Forts, Mann/Visconti.

    Double et disjonclif, le film multiplie, dans le texte, le circuit de l'errance; mais rigoureux, il nous contraint dlimiter strictement les voies de l'htrogne, par o se perptue le paradoxe du texte : un paradoxe n'a pas tre rsolu, mais au contraire explor telle est du moins la rgle du texte, que l'emprunt filmique permet d'accrotre (p. 227).

    Miroir thorique des uvres de la modernit, l'ouvrage emprunte volontairement la forme mouvante d'un engendrement analytique du paradoxe o, par dfinition, une fois pos le terme initial, l'auteure examine son contraire, le signe enferme la fois son absence et son ouverture sur d'autres signes, l'nonc retient encore l'indicible de l'crit. Marie-Claire Ropars s'attache donc d'abord tablir les vises et les prcautions thoriques de l'analyse et ouvre son propos sur la traverse du texte dans le film par l'tude de l'atomisation, des garements formels et narratifs du film de Duras et Resnais, Hiroshima mon amour, et par celle de l'opration de dmontage textuel de l'uvre de Blanchot, L'Arrt de mort.

    Ce film de Duras et Resnais donne, comme on le sait, lire des images de la guerre et fait, en quelque sorte, taire l'image et la voix, celle principalement de la narratrice qui, par opposition ou diffraction, s'tiole aux artes des images. L'analyse de ce film met donc en vidence la disjonction et donc la possible jonction de la bande image par rapport la bande son et sert, ce faisant, clairer la prsence d'un off qui (...) double ngativement l'nonc (...) (p. 54) et permet, ce propos, de mieux comprendre le travail narratif du texte dans le film :

    (...) en mettant en scne le transfert opr par la jeune femme de son amour allemand sur un amant japonais, le film masquera le transfert qu'il propose au spectateur de l'innommable d'Hiroshima ct de l'criture sur le racontable de Nevers ct de la parole;

    Cinmas, vol. 3, n 1

  • dtournant ainsi l'criture vers le rcit aprs avoir chang l'Histoire en criture (pp. 53-54).

    Examinant le tracement ou le montage de l'impossible rcit dans le roman de Blanchot, L'Arrt de mort, Ropars dmontre, de plus, comment par glissements et versions contradictoires, le livre s'arrache du rcit et davantage, comment :

    (...) plus le texte se dveloppe, plus il assure sa propre bance : [par des] failles de raccords [et des] passages au noir de plus en plus tendus, [par la] multiplication des chos et des reflets internes, qui djouent la dlimitation des paragraphes; et, pour finir, [par] l'interruption, o vacille la temporalit (pp. 53-54).

    uvre plurielle par rapport aux incessants dbordements des textes dans le texte et par rapport au drobement du texte par des personnages/narrateurs clats, le film La Femme du Gange et le livre Le Ravissement de Loi V. Stein de Duras font ici tat d'une dperdition de la narration au profit d'une criture par l exhibe dans le sinueux parcours du texte. Ropars se penche entre autres ici sur l'usage du plus-que-parfait dans le texte littraire, sur le passage du je au /'/, sur la perte d'identit des personnages menacs par une sorte d'oubli et par l'absence d'un off qui, mme informul, les retient aux abords du texte, sur la menace d'un non-voir appel par le voir, tous ces lments contribuant fragmenter et ddoubler le rcit littraire et le rcit filmique. Mis en texte par une narration dforme et tronque, le texte de Duras se tient dans l'intervalle et la disjonction et retient le travail de l'criture dans le tissu du texte par lequel le rcit, branl, ne saurait tre apais. Il s'agit d'un rcit, mais gangren par l'immensit de l'imprononc et le doute d'un texte hors-texte rappel dans le site mme du texte.

    Les textes de la modernit ne souffrent pas, tel que le dmontre ici Ropars, uniquement de l'appel des voix et des rcits qui, dans le hors-champ du texte se trouvent rappels dans le texte, mais ils souffrent galement de la distance inaugure par le dire en rapport avec le langage. L'analyse laisse croire que, chez Klossowski, si la reprsentation est en fuite c'est, dit sommairement, sans doute pour rompre le malfice qui veut que l'nonc ne peut tmoigner de l'entiret de la pense. L'auteur, Klossowski, se voit ainsi forc d'innocenter le dire en le tenant dans le non-vrai, le non-faux, le..., et de rappeler dans le texte la dispersion mme du sens comme vise nonciative et ce, notamment, par l'exclusion d'un je qui, comme la parole, demeure irreprsentable ou tromp par son propre discours. Dans le film de Ruiz, lecteur du texte de Klossowski, La Vocation suspendue, Ropars montre comment

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    s'opre ce travail de dmantlement. Les signes affluent, la fois vus et entendus, disjoints et non sparables (...) (p.93). Le film sert, ici encore, de rvlateur dans la mesure o il joue le jeu d'un ddoublement formel et d'un double ratage : les squences, titre d'exemple, des deux hypothtiques films dans le film demeurent, semble-t-il, (...) non scables en parties diffrentes (...) (p. 94) de sorte que le lecteur n'a pour ainsi dire pas de prise sur le texte. Faute, encore une fois, d'assumer le dire en assurant dans le film le lire plutt que le dire , le je comme le tu sont comme mis en abysse d'un on anonyme : l'auteur et le lecteur se trouvent, ce faisant, dtrousss, dsavous, vritablement exclus :

    Plus que toute autre uvre de Klossowski, La vocation suspendue permet ainsi de dnouer la chane des oprations qui de lecture barre en lecteur simul, et d'nonciation drobe en nonc dnonc, tracent le cercle d'une criture o le langage se dit dans le ddire de la logique (p. 110).

    Partant du champ de la parole et, plus particulirement, de l'tude de la voix off, Ropars tend le paradoxe de la voix, de ses rfrences et, davantage, de ses inferences, dans les frontires du texte littraire de Des Forts, La Mmoire dmentielle. Rappelant le film absent dans le texte, cet ouvrage fait de plusieurs faons appel au montage : montage vertical, l'crit retient le taire de la voix; montage horizontal, le rcit, squentiellement annot, se trouve par de blancs, d'intervalles. Or, il faut bien voir que l'analyse mme de la voix off, particulire au cinma, a fait en sorte d'offrir la littrature une sorte de miroir ou de mmoire : (...) entre lecteur et lecture, l'image multiplie de l'criture, par qui seule nous lisons (p. 26), refltant ainsi la fuite de l'crire dans l'criture. Et encore :

    Ainsi le modle filmique qui informe obliquement la mise en mmoire du rcit vhicule-t-il moins la plnitude des reprsentations qu'il ne contraint suivre le trac d'un double montage en disjonction, o l'espace sonore, par rcession ou par excs, accrot l'opacit d'une chane visuelle faite de morceaux rapports (p. 143).

    Pour conclure ce compte rendu qui, l'vidence, ne saurait tmoigner de l'entiret des propositions thoriques avances, des nuances qui y sont apportes et, mme, des uvres qui y sont abordes les analyses des uvres d'Aquin, de Des Forts et, enfin, du couple Mann/Visconti n'ont que trs peu ou pas t voques , on aimerait citer longuement les deux dernires phrases de la conclusion de cet ouvrage, Ecraniques, qui loin de fermer le dbat mettent en vidence la ncessit d'une perptuelle relance de l'entreprise :

    Cinmas, vol. 3, n 1

  • Active, instable, l'viction de la personne, si remarquable en Klossowski ou Blanchot dploie le libre champ d'une subjectivit que n'accapare aucun sujet; mais pour rendre audible la voix souterraine qui traverse l'criture de ces uvres dj lointaines, il a fallu passer par l'explosion souveraine de cinastes qui, longtemps aprs, Resnais ou Ruiz, mettent en pleine lumire la sdition de textes capables la fois de sduire el de se sparer. Ncessit du cinma, que dclare Duras lorsqu'elle se fait le destructeur de l'identit textuelle en devenant scripteur de film; drivation filmique rige en principe par Visconti l'changeur de rcits; ou ruse d'une analogie cinmatographique que Des Forts el Aquin simulent en se l'appropriant : en tous les cas le dsastre du livre va de pair avec la dissimulation de l'uvre. A cette attaque du texte peut seule rpondre une lecture qui ne serait ni jeu de rles ni jouissance complice, mais marche frontalire, esquive et attirance : une lecture jalouse, peut-tre (p. 227).

    Lucie Roy Universit Laval

    OUVRAGE CITE

    Blanchot, Maurice. L'Entretien infini. Paris : Gallimard, 1983.

    c r a n i q u e s . Le film du texte 153