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Romagnas du Mont Davis
KRIS T.L
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Romagnas du Mont Davis
Romagnas
Du Mont Davis
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KRIS T.L
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Romagnas du Mont Davis
KRIS.TL
Romagnas
Du Mont Davis
Tome 1
* roman *
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KRIS T.L
AVERTISSEMENTCeci est un roman.Ses personnages sont de pure invention.Lorsqu'il est fait allusion à des personnages, des organismes ou des manifestations ayant réellement existé, c'est simplement pour mieux intégrer l'action dans la réalité historique.
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes de l’article L.12265, 2è et 3è a, d’une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
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Romagnas du Mont Davis
À toi mon amour, mon mari,mon confident, mon ami,
à toi qui me permets d'accomplir tous mes rêves.
À toi Emilie, mon petit-ange.
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KRIS T.L
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Romagnas du Mont Davis
Chapitre Premier
— Mademoiselle, je vais vous demander de quitter mon
bureau.
— Pardon ?
— Je suis navré de constater qu'une aussi jeune et jolie jeune
femme que vous puisse s’adonner à de si viles pratiques.
— Mais !
— Je vous donne cinq minutes pour quitter les lieux, sinon
j'appelle la sécurité.
La sécurité ? Était-il complètement fou ? Que devais-je dire
pour qu'il me laisse le temps de m'expliquer ? J'étais abasourdie,
j'avais traversé les États-Unis afin de rencontrer cet homme,
certes je ne m'attendais pas à ce que l'on me déroule le tapis
rouge, mais quand même !
— Monsieur Cummings, j'ai vraiment besoin de vous.
Il se tenait debout devant moi, les poings serrés, la mâchoire
crispée, sa tignasse châtain-foncé hirsute. Ses magnifiques yeux
bleus, qui m'avaient tant séduite lorsque j'étais rentrée dans son
bureau, étaient à présent couleur encre, il respirait la colère. Il me
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KRIS T.L détaillait de la tête aux pieds, évaluant mes gestes, scrutant le
moindre de mes mouvements.
— Besoin de moi, c'est bien ça ? Très bien, dites-moi combien
voulez-vous ?
— Quoi ?
— Dites-moi votre prix et qu'on en finisse.
— Je ne suis pas ici pour votre argent, répondis-je avec
stupéfaction. Je gagne parfaitement bien ma vie.
— Que faites-vous ? m’interrogea-t-il tout à coup intéressé.
— Quoi ?
— Votre travail.
— Oh ! Gynécologue à El Paso.
— Vous venez du Texas ?
— Oui.
— Lesbienne ? demanda-t-il en arquant un sourcil.
— Non ! Mais pour qui vous vous prenez ? rétorquai-je
complètement choquée. Disait-il cela pour me déstabiliser ?
— Eh bien disons que j'ai une opinion très précise sur une
femme qui aime toucher une autre femme.
— Écoutez, je me fous de votre avis et je ne vois pas en quoi
le fait d'en savoir plus sur ma sexualité va vous aider ?
— Disons qu'en ce qui me concerne je n'ai qu'une seule
question.10
Romagnas du Mont Davis— Très bien, posez là !
— Est-ce que vous et votre copine êtes libres ce soir ?
Moi et ma copine ?
J'étais là, stupéfaite devant cet homme acerbe, auto-suffisant,
dominant son monde, mais magnifiquement beau dans son
costume Hugo Boss et son sourire en coin.
Il n'avait apparemment pas besoin de mon aide, si ce n'est pour
réaliser un foutu fantasme. Je secouais la tête pour m'enlever les
images de lui, moi et Ally... «Non pas Ally». Pourquoi fallait-il
que je pense à ma coloc d'université ?
— Écoutez, si je suis là c'est parce que j'ai des informations
capitales sur votre sœur.
— Ma sœur ? Ma petite sœur Tess ?
Son ton devint mélodramatique, il posa sa main sur son cœur
comme s'il était en train de jouer une pièce de théâtre.
— Oh, laissez-moi deviner... Mmm... ajouta-t-il en faisant
semblant de réfléchir. Je suis sûr que vous l'avez vue se faire
enlever par des extra-terrestres ?
— Quoi ? Êtes-vous dingue ?
J'avais l'impression de me retrouver devant Cal Lightman dans
« Lie to me », toutefois, même si j'aimais cette série et ce
personnage, le fait d'avoir sa pâle imitation en face de moi n'était
pas une expérience des plus agréables.
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KRIS T.L — Avez-vous idée du nombre de personnes qui sont venues
nous voir dans ce bureau ces trois derniers mois ? Toutes ces
personnes ont juré qu'elles savaient où se trouvait ma sœur.
Il passa derrière son bureau présidentiel. L'alliance bois, verre
et cuir conférait à ce bureau une ligne à la fois classique et
moderne. Plaçant ses deux mains à plat, il se pencha en avant
pour mieux me destabiliser. Il en imposait et le faisait sciemment.
— Écoutez : la GRC est sur l'affaire, alors si vous avez
quelque chose à dire je vous conseille de rentrer en contact avec
eux et de demander l'officier Mc Logan.
— La GRC ?
— Gendarmerie Royale du Canada.
— Oh !
— En ce qui me concerne je n'ai plus rien à vous dire...
Enfin... à moins que ma proposition vous intéresse... Il releva un
sourcil et laissa sa phrase en suspens.
Wow ! Était-il réellement sérieux pour une nuit torride ? Lui,
moi, Ally ? Non !
— Non mais quel con ! marmonnai-je pour moi-même.
Parle pour toi, une nuit avec lui ne se refuse pas, hurlait ma
conscience.
J'avais trouvé quelques articles le concernant sur le net. Il était
décrit comme quelqu'un de brillant, intelligent, séduisant et
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Romagnas du Mont Davissurtout célibataire. Ils avaient toutefois oublié de mentionner :
con, prétentieux et buté.
— Pardon ? contournant le bureau, il vint se placer derrière
moi.
— Non rien, effectivement je crois qu'il vaut mieux que je me
débrouille toute seule, bafouillai-je alors que sa promiscuité me
perturbait.
— Dommage, chuchota-t-il d'une voix suave dans le creux de
mon oreille.
— Je ne suis pas venue ici pour ça, murmurai-je à bout de
souffle, comprenant très bien à quoi il faisait allusion.
— Très bien, dans ce cas je vous dis au revoir Miss O'Brian du
Texas.
Il planta ses dents dans sa lèvre inférieure, puis secouant la
tête de gauche à droite il fit demi-tour et s'en alla ouvrir la porte
de son bureau. Je restai plantée là au milieu de cette pièce, les
yeux fermés, le cœur battant, complètement déroutée.
— Vous avez changé d'avis ? murmura-t-il d'une voix rauque
voyant que je ne bougeais pas.
Je lui tournais le dos, mais malgré ça je pouvais sentir son
regard détailler chaque courbe de mon corps, c'était un regard
lourd, sans gêne, à la limite de l'indécence.
— Non ! dis-je dans un sursaut de lucidité.
— Alors dans ce cas Miss O'Brian, la sortie est par là.
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KRIS T.L Il fit un geste de la main, me sommant de vider les lieux. À
quoi bon discuter, cet homme était certes d'une beauté à damner
un saint, mais il était aussi d'une arrogance à vous faire vomir.
Va au diable Cummings !
Alors que je passais le seuil de son bureau mes yeux se
posèrent sur la petite plaque métallique apposée sur sa porte.
Psychologue et analyste dans la morpho gestuelle et du non
verbal.
Spécialiste de mes fesses oui ! pensai-je en reniflant.
— Quelque chose à rajouter Miss O'Brian ?
Il me lança un regard peu amène, son ton avait changé, il était
dur et sans appel.
— Absolument... dis-je sur le point de lui expliquer le fond de
ma pensée. Mais au moment même où j'allais ouvrir la bouche, je
fus comme hypnotisée par la lueur de tristesse qui brillait dans
ses yeux. ...Rien, finis-je pas ajouter en baissant les miens.
Pas la peine de vous fatiguer, je connais le chemin.
J'étais en train d'attendre devant les portes closes de cette cage
d'ascenseur quand mes doigts s'attardèrent nerveusement sur le
pendentif que je portais autour du cou.
— Oh... le médaillon !
J'avais trouvé ce pendentif en or en forme de cœur, serti de
trois pierres précieuses accroché à son lit, elle devait l'avoir
perdu, aussi je l'avais récupéré afin de pouvoir le lui rendre. Sans
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Romagnas du Mont Davisrien dire je basculai mes cheveux sur le côté pour en détacher
plus aisément le fermoir.
En même temps que je rentrais dans la cabine et que j'appuyais
sur le bouton Parking visiteur, je tendis ma main vers lui.
— J'ai trouvé ce bijou, je crois qu'il lui appartient.
Instinctivement il avança sa main, mais lorsque nos doigts
rentrèrent en contact, je sentis comme une décharge et mon sang
se mit à pulser dangereusement vers mes tempes. Toutefois, avant
même que je n'ai eu le temps de rajouter un mot, les portes de
l'ascenseur se refermèrent sur moi.
— Comment avez-vous eu...? furent les seuls mots que
j'entendis avant que l'ascenseur ne m'emmène dans les
profondeurs de ce bâtiment qu'était le «Bay Adélaïde Center».
Une descente vertigineuse de deux cent dix-huit mètres en
quelques secondes seulement. Je pensai tout à coup à ce film
tourné ici même l'année dernière «Devil» de Shyamalan et cela
me fit frissonner d'effroi.
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KRIS T.L
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Romagnas du Mont Davis
Chapitre Deux
J'étais planté là comme un con devant cette cage métallique, la
main ouverte, tremblant de tout mon être, les yeux figés sur ce
pendentif. Était-ce seulement possible ? Est-ce que je devenais
fou ? Ce fut la voix de mon père qui me sortit de ma léthargie
alors qu'il se rapprochait de moi à grands pas.
— Grégory, je peux savoir ce qui t'arrive ? Grégory ? Greg,
tout le monde te regarde, dis-moi ce qu'il se passe.
En effet, des personnes assises dans la salle d'attente ainsi que
la standardiste du hall d'accueil, Mrs Cindy Adamson, me
dévisageaient. Il faut dire que je n'étais pas quelqu'un qui perdait
facilement le contrôle. Mais depuis la disparition de Tess, j'avais
réellement du mal à contenir mes émotions et je n'étais plus le
même.
J'avais l'impression de devenir fou.
Je levai les yeux, faisant un scan rapide de la pièce puis les
baissai de nouveau sur ma main avec le besoin viscéral de
vérifier si ce que je voyais était bien réel. Mon père se rapprocha
afin de voir ce qui me perturbait autant, il posa un rapide coup
d'œil sur ma main tendue et à son tour devint livide.
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KRIS T.L — Mon Dieu, comment est-ce possible ? murmura-t-il en se
maintenant d'une main au guéridon en fer forgé posé dans le hall
d'entrée.
Mon père, Alan Cummings était un homme bon, fort, grand,
tout le monde avait tendance à dire qu'on se ressemblait : le
même regard, des yeux bleus avec des reflets verts. Des cheveux
châtains parsemés de cheveux blancs mais toujours correctement
coiffés. Un bouc bien taillé. Il était doté d'un certain charme, du
sang Irlandais coulait dans nos veines et à cinquante et un ans il
était le deuxième célibataire le plus en vue de Toronto.
Il était apprécié de tous, ayant obtenu une reconnaissance au
cœur même de sa profession. Il était certainement l'un des
meilleurs Profiler sur tout le territoire canadien. Il avait créé son
agence de profilage et d'expertise comportementale et j'avais
rejoint son équipe dès la fin de mon cursus en psychologie à
l'université de Montréal. À vingt-sept ans, j'étais à présent l'un
des meilleurs analystes dans l'étude comportementale de la
morpho gestuelle et du non verbal.
En quelques mots : vous pouvez essayer de me mentir, mais
votre corps, lui, ne le fera pas et je serai là pour découvrir ce que
vous me cachez !
Cette nouvelle pratique avait un succès incontestable auprès
des agences de recrutement et des services de police.
Nous avions l'habitude de coopérer avec la Gendarmerie
Royale du Canada. Cette dernière nous avait informés que notre
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Romagnas du Mont Daviscollaboration pourrait se montrer dangereuse. Avions-nous affaire
à une personne qui voulait se venger ? Mais dans ce cas-là
pourquoi s'en prendre à ma sœur ?
— Greg, que fais-tu avec ce médaillon ? murmura-t-il à bout
de souffle en se tenant la poitrine.
— Elle me l'a donné...
— Qui ? Qui t'a remis ce pendentif ? Greg, réponds-moi.
Il m'attrapa par le bras et me tira jusque dans son bureau afin
de nous mettre à l'abri de tous ces regards importuns.
Il était près de dix-sept heures et les lumières de la ville en ce
soir de décembre commençaient à briller sous nos pieds, nous
donnant l'impression de vivre au-dessus d'un tapis d'étoiles. Le
givre recouvrait les baies vitrées et la nuit était en train de
prendre possession de notre cité.
Le bureau de mon père situé au cinquantième étage était
spacieux. Le vieux bureau de ma mère trônait au milieu de cette
pièce, une bibliothèque incroyablement riche en bouquins
accaparait un pan de mur entier.
J'aimais venir ici, car même si cet immeuble était
d'architecture contemporaine mon père avait réussi à créer une
ambiance chaleureuse, rassurante et cela même pour moi.
J'avais cette sensation étrange qu'auprès de mon père rien ne
pouvait m'arriver.
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KRIS T.L J'aimais cet homme pour son dévouement, sa droiture, son
impartialité, sa générosité. Il avait fait de moi un homme, un
associé. C'était un père formidable qui, malgré les années
passées, difficiles et douloureuses, n'avait jamais baissé les bras
et nous avait élevés ma sœur et moi avec amour et respect.
— Qui est-ce ? demanda-t-il en fermant la porte derrière nous.
— Elle s'appelle Lisy O'Brian.
— Et ?
— Elle vient tout juste de quitter mon bureau, elle a traversé le
pays pour nous rencontrer.
— Et ?
— Je ne sais pas !
— Comment ça tu ne sais pas ?
Son front se plissa, intrigué.
— Je ne sais pas ! dis-je en passant mes mains sur mon visage.
Lorsqu'elle a commencé à parler je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai
littéralement pété un plomb et je lui ai demandé de partir sans
prendre la peine de l'écouter.
— Que t'a-t-elle dit pour que tu perdes le contrôle ? Pourquoi
avait-elle ce médaillon en sa possession et quel est le rapport
avec ta sœur ? Tu sais que dans cette affaire la GRC n'a pas
beaucoup d'éléments, déclara-t-il en posant sa main sur mon
épaule.
20
Romagnas du Mont DavisJe savais que ce geste était fait pour m'apaiser et je réalisai
avec amertume que je venais de laisser filer la seule piste correcte
et sérieuse que nous avions eue depuis plus de trois mois.
— Comment était cette O'Brian ? demanda-t-il en se raclant la
gorge comme pour se donner une certaine contenance.
— Cheveux noirs, petite.
Enfin non pas si petite que ça, elle a de longues jambes,
pensai-je.
Eh bien pour quelqu'un en plein pétage de plombs je constatais
avoir pris le temps de la détailler et d'imprimer dans mon esprit
chaque courbe de son corps.
Elle était sexy, une petite poitrine qui semblait bien ferme sur
laquelle j'aurai bien aimé laisser courir mes doigts.
— Greg, dis m’en plus.
— Oui pa, euh je dirais un peu plus d'un mètre soixante, yeux
verts, cheveux mi- longs, noirs.
— Que faisait-elle avec ce pendentif ? Et quel lien peut-il
avoir avec ta sœur ?
— Je n'en sais rien. Les portes de l'ascenseur se sont refermées
peu après qu'elle me l'ait donné.
J'avais beau me poser la question, cela n'avait aucun sens, pas
maintenant, pas dix-sept ans après.
— Non mais qui est cette femme ? D’où vient-elle, bordel ?
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KRIS T.L Mon père n'avait pas pour habitude de jurer et en cet instant je
pouvais lire toute la frustration sur son visage.
— Elle vient d'El Paso et m'a dit être gynéco.
— Gynécologue ? C'est comme ça qu'elle a rencontré ta
sœur ?
— Je n'en sais rien.
— Comment ça ? Tu ne lui as pas demandé ? Mais Greg, pour
une fois que nous avions une piste sérieuse, tu avais quoi dans la
tête ?
J'avais quoi dans la tête, je me le demande encore. Cela faisait
plus de trois mois que ma vie était en stand-by. Plus de trois mois
que j'avais l'impression de vivre une expérience extra corporelle,
mon corps, mon esprit et mon âme totalement dissociés l'un de
l'autre. Plus de trois mois que ma moitié n'était plus à mes côtés.
Plus de trois mois que je passais mes jours et mes nuits à écouter
les élucubrations de personnes complètement illuminées.
Plus de trois mois, plus de quatre-vingt-dix jours, plus de deux
mille cent soixante heures à me dire qu'une minute passée était
une minute de perdue à jamais. Je n'en pouvais plus de cette
situation. Alors, oui comme le disait mon père, je venais de
merder en beauté.
Qu'est-ce qui m'avait pris d'envoyer promener cette jeune
femme. Je n'avais rien décelé dans son comportement ni dans sa
gestuelle qui puisse me faire penser qu'elle n'était pas sincère
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Romagnas du Mont Davisenvers moi. Bien au contraire, chaque item observé avait révélé
une personne honnête et perdue.
Oui, perdue ? Mais pourquoi ?
Peut-être parce que tu t'es comporté comme un pauvre nase,
pervers, ne pensant qu'à une seule chose, la mettre dans ton lit,
pensai-je en secouant la tête.
Mais je savais, je savais au fond de moi, que ce qui m'avait
effrayé chez cette femme était l'espoir, l'espoir d'avoir enfin des
réponses mais aussi la peur de connaître la vérité et d'être
confronté à quelque chose que je ne pourrais surmonter.
L'idée que quelqu'un ait pu faire du mal à ma petite sœur
m'était insupportable, alors, plutôt que d'écouter O'Brian et de
faire face à mon pire cauchemar, j'avais préféré rester dans
l'ignorance.
Levant les yeux vers mon père, je pouvais voir toute sa
détresse et son incompréhension. Il était là, abattu, les épaules
affaissées, se pinçant l'arête du nez.
— Bien, tout n'est pas perdu. Tu as son nom, son travail,
l'endroit où elle vit. Je vais appeler Matthew pour lui dire que
nous avons une piste et voir avec lui si la GRC a des
renseignements sur cette femme. Toi, en attendant, tu files à
l'aéroport et tu consultes tous les vols en partance pour le Texas,
on a peut-être une chance de lui mettre la main dessus avant
qu'elle ne quitte le territoire.
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KRIS T.L Ok ! Lui remettre la main dessus, humm... rien qu'à ces mots
mon esprit pervers reprit le contrôle en pensant à ses longues
jambes dans ces bottes en cuir marron, à ses fesses bien moulées
dans cette robe col roulé en laine grise.
— Greg, reprends-toi s'il te plaît et surtout ne lui fais pas peur.
— J'y vais et ne t'en fais pas je n'ai pas l'intention de lui faire
peur.
Mon père releva un sourcil et me lança un regard plein de
reproches.
— Greg, oublie, veux-tu ! Ne joue pas au con, ce n'est pas le
moment.
— Oui pa !
Mon père me connaissait mieux que personne, il savait que
j'étais sensible aux charmes des belles et jolies jeunes femmes et
n'étant pas engagé personnellement, j'avais tendance à en profiter.
Le plus souvent cela n'était que l'histoire d'une nuit et cela me
convenait parfaitement. Toutefois, depuis la disparition de Tess je
n'avais plus eu de relation avec qui que ce soit et pour tout avouer
je n'en avais éprouvé ni l'envie ni le besoin, jusqu'à ce soir.
C'est en faisant ce constat et en imaginant ses longues et fines
jambes encerclées autour de ma taille que je quittai le bureau de
mon père afin de me rendre à l'aéroport international Lester B.
Pearson de Toronto.
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Romagnas du Mont Davis
Chapitre trois
Je venais d'arriver dans ce fichu aéroport. En moins de 24
heures je me retrouvais à errer de nouveau à l'intérieur de ce
grand hall avec son plafond en demi-cercle et ses poutrelles
métalliques.
J'étais complètement retournée, l'estomac en vrac. Qu'est-ce
qui avait bien pu foirer ? J'aurais dû insister. J'avais fait tous ces
kilomètres pour rien. Mon Dieu, que devais-je faire maintenant ?
Appeler ce Logan du GRC ou bien rentrer ?
Dans quelle histoire tu t'es fourrée, Lisy ? Et puis ce
Cummings, pourquoi n'a-t-il pas pris la peine de t'écouter? hurla
ma conscience.
Mon Jiminy cricket était en marche et ne voulait plus me
lâcher.
Mon père, alors que je n'avais que six ans, m'avait emmenée
voir Pinocchio au cinéma. Il m'avait juré à l'époque que tout le
monde avait un petit criquet sur son épaule, une petite voix, une
bonne conscience qu'il fallait absolument écouter pour faire les
bons choix. Il avait toutefois oublié de me prévenir que cette
petite voix pouvait aussi nous pourrir la vie.
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KRIS T.L Il était près de dix-huit heures et je n'avais nullement
l'intention de rester ici une minute de plus. Il fallait que je
retourne à El Paso et que je me débrouille toute seule. Le souci
était que je ne savais pas par où commencer, ni où la chercher.
Il y avait énormément de monde dans le terminal,
apparemment quelques clients mécontents râlaient à cause de leur
vol annulé.
Je m'approchai de quelques pas et levai les yeux vers les
panneaux d'affichage : départ en partance pour le Texas annulé.
La barbe ! Ce n’était vraiment pas ma journée, ni même ma
semaine, pensai-je alors qu'une boule me serrait la gorge.
Me faufilant entre les voyageurs je m'avançais près du guichet.
Un jeune homme d'une vingtaine d'années regardait attentivement
l'écran de son ordinateur.
— Bonsoir, excusez-moi de vous déranger mais j'aurais besoin
de rentrer au Texas au plus vite.
Il leva ses magnifiques yeux bleus vers moi. Bleus comme
ceux de Cummings.
Quel crétin celui-là !
Je n'étais pas venue ici pour me faire rabrouer comme une
malpropre. Devais-je laisser tomber ou bien retourner le voir et
l'obliger à m'écouter ?
J'étais complètement perdue dans mes pensées quand
j'entendis le jeune homme en face de moi toussoter.
26
Romagnas du Mont Davis— Je suis désolé, mais en raison de la météo nous sommes
dans l'obligation de clouer les avions au sol.
Oh !
— Je vous conseille de prendre une chambre d'hôtel. Nous en
saurons plus demain matin. Il reste des chambres disponibles au
Méridien King Edward, si vous le souhaitez.
Décidément même les éléments se déchaînaient contre moi. Il
est vrai qu'il faisait un temps de chien. Une bruine verglaçante
avait fait son apparition dès que j'avais quitté le bureau de
Cummings. Et le trajet en taxi s'était montré quelque peu
périlleux.
— N'y a-t-il pas un autre moyen de regagner El Paso ? Ne
pourrais-je pas louer une voiture ?
— Toutes les compagnies de location ont été prises d'assaut,
un énorme carambolage a eu lieu sur l'autoroute Queens
Elizabeth, près de Niagara Falls à cause des intempéries. Je vous
conseille d'aller vous reposer et de revenir demain matin.
— Très bien, je vois que je n'ai pas d'autre choix, répondis-je
quelque peu déçue. Vous pouvez me dire où se trouve l'hôtel ?
— Lorsque vous sortirez du terminal, veuillez suivre le
panneau : centre Golden Horseshoe. Vous verrez, l'hôtel se trouve
dans ce quartier.
— Oh, ce sera parfait, je vous remercie.
27
KRIS T.L L'hôtel se situait justement près des bureaux de Cummings.
Peut-être était-ce là un signe ! Devais-je saisir l'occasion pour
retourner le voir et trouver un moyen de le convaincre ?
Tu peux toujours coucher avec lui ? me dit ma petite voix
intérieure. Vous aurez tout le temps de discuter après.
Ahahahah ! Très drôle Jiminy ! Mon dieu je devenais
complètement folle.
Pas de souci, il est psy, il sera ravi de s'occuper de toi.
La ferme !
— Bonne soirée Mademoiselle, me dit le jeune homme en me
faisant un sourire des plus éclatants.
— Merci, à demain, répondis-je confuse, lui faisant un signe
de la main.
Je partis en direction de la station de tramway qui se trouvait à
l'extérieur du bâtiment. La navette grise métallisée et rouge qui
faisait le trajet entre l'aéroport et le centre de Toronto était
complètement assiégée par une horde de touristes mécontents.
Je décidais de prendre mon temps et d'attendre le prochain
départ. Après tout je n'étais plus dans l'urgence et l'idée d'être
entassée et bousculée ne m'enchantait guère.
Je retournai au cœur même de l'aéroport afin de me mettre à
l'abri. Il faisait effroyablement froid et l'humidité pénétrait
chaque fibre de mon corps.
28
Romagnas du Mont DavisQuelle idée d'avoir mis une robe et des bottes ! Qui comptais-
je impressionner habillée de la sorte, j'étais bien plus à l'aise avec
mon bon vieux jean et mes santiags.
Il fallait absolument que je trouve un moyen de me réchauffer,
aussi je décidais de me rendre au Blenz Coffee le plus proche
pour consommer ma drogue journalière. Un délicieux Matcha
Latte : de la poudre de thé vert japonais fouetté avec du lait de
soja sucré à la vanille.
Mon seul péché mignon dans ce bas monde.
Les feuilles de Matcha, connues pour leurs vertus apaisantes
étaient censées apporter clarté mentale et énergie à celui qui en
consomme et là sincèrement, j'avais vraiment besoin de remettre
les idées en place.
Je flânais tranquillement avec ma tasse fumante à la main.
Profitant de ce petit moment de répit, je rêvassais devant les
vitrines de luxe de la galerie Duty Free lorsque mes yeux furent
attirés par une très jolie bague.
Vingt mille dollars ? Mais qui pouvait se permettre une telle
folie ! Dans les camps de clandestins que mon oncle aidait, ce
petit caillou aurait pu nourrir une cinquantaine de familles
pendant plus de deux ans.
Dans quel monde vivons-nous ? murmurai-je en secouant la
tête.
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KRIS T.L La silhouette familière d'une personne que j'avais quittée il y a
moins d'une heure se refléta dans la vitrine : un mètre quatre-
vingt, les cheveux en bataille, un costume noir coupé à la
perfection. Il était en pleine discussion avec le jeune homme qui
m'avait renseignée dès mon arrivée à l'aéroport.
Serais-tu en train de me chercher Cummings ?soufflai-je en le
voyant me décrire.
Petite de taille, ok ! Petits seins. Hey, mes seins ne sont pas si
petits ! pensai-je en imitant son geste.
Il montra du doigt les cheveux de la jeune femme qui se tenait
derrière lui. Celle-ci n'appréciant pas sa familiarité se mit à lui
crier dessus. Il s'excusa en levant les mains puis reprit ses
explications comme si de rien n'était.
Allez, bouge Lisy, il est temps d'aller le voir.
Pour lui dire quoi ?
Hey salut, alors ça, quelle coïncidence. J'étais justement sur
le point de retourner à votre bureau pour vous botter les fesses et
vous obliger à m'écouter. Ah ! Et je tiens à vous dire que mes
seins ne sont pas petits ...
Prenant une profonde inspiration, je tendis l'oreille tout en
marchant prudemment dans sa direction.
— Ah oui la jolie brunette avec de beaux yeux verts qui
souhaitait se rendre à El Paso, répondit le jeune homme.
30
Romagnas du Mont Davis— Pour tout vous dire ce ne sont pas ses yeux que j'ai
regardés, ajouta Cummings en lui faisant un clin d'œil.
— Oui, je comprends ! Je lui ai indiqué le Méridien King
Edward, Monsieur.
— Excellent choix.
— Bonne soirée, monsieur.
— Je l'espère, ajouta Cummings en lui tendant un pourboire.
— Avec plaisir Monsieur, dit le steward en baissant les yeux
sur le billet qu'il tenait dans les mains. Wow.... Merci… merci
beaucoup monsieur, bégaya-t-il.
Cummings le salua d'un geste de la main en reculant de
quelques pas.
Bon dieu....cent dollars ! Il vient de lui donner cent dollars,
cria Jiminy.
Décidément nous ne vivions pas dans le même monde.
Choquée, je préférai partir.
J'allais passer les portes du terminal quand je l'entendis
scander mon nom. Je pressai un peu plus le pas, tirant ma valise
pour monter dans le tram qui venait tout juste d'arriver.
Je le vis courir en faisant de grands gestes dans ma direction.
Il s'arrêta net lorsque la navette se mit en marche. Son regard
s'ancra au mien et à travers la vitre je lui fis un petit sourire pincé
accompagné d'un petit signe de la main, ce qui sembla l'énerver
fortement.
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KRIS T.L Oh ! Apparemment Cummings n'aimait pas être contrarié et ne
supportait pas la frustration. Je n'avais pas besoin d'avoir fait des
études en psychologie ni d'être analyse en morpho gestuelle pour
m'en rendre compte.
Tu as su venir jusqu'ici pour me trouver, tu sauras bien te
rendre jusqu'à mon hôtel, pensai-je.
Hôtel = Lit. Lit = mode à l'horizontal avec Cummings, me
souffla Jiminy.
Ce n'était peut-être pas une si bonne idée après tout !
Le voyage ne dura pas plus de trente minutes. Le tramway fit
au total six arrêts pour déposer quelques personnes, qui, comme
moi, devaient se trouver un hôtel pour la nuit.
Je descendis en traînant derrière moi ma petite valise à
roulettes. Même si je ne pensais pas m'attarder dans les environs,
j'avais tout de même prévu quelques affaires de rechange et
apparemment j'avais plutôt bien fait.
Arrivée devant le Méridien King Edward, je restais
complètement bouche bée devant les lieux.
C'était un hôtel de haut standing et je n'avais pas les moyens
de m'offrir un tel luxe. Je n'étais qu'une simple gynécologue
travaillant dans un petit cabinet de la banlieue d'El Paso.
Même si je n'étais pas à plaindre, je n'avais pas trois cents
dollars à jeter par la fenêtre pour une nuit improvisée dans un
hôtel. Certes il était splendide, un modèle de charme canadien
32
Romagnas du Mont Davisavec une tonnelle de ton bleu roi qui donnait sur un tapis rouge à
l'entrée. Les décorations de Noël déjà installées conféraient à ce
lieu un côté irréel et enchanté.
Je restais là, la bouche légèrement entrouverte, mon souffle
chaud contrastant avec l'air ambiant renvoyait de la buée tout
autour de moi.
Je ne pouvais décidément pas rester dans ce froid glacial, il
devait faire dans les moins quinze degrés. Je me tapotais les bras
pour me réchauffer, regardant ma montre je vis qu'il était déjà
dix-neuf heures trente.
La barbe !
À présent, non seulement il fallait que je me trouve un endroit
pour dormir, mais aussi un lieu pour me restaurer.
Remontant le col de mon duffle coat rouge, je décidai de
rebrousser chemin et de repartir en direction de la station de
tramway.
Au pire je pourrai toujours dormir dans le terminal.
J'étais sur le point de me baisser pour récupérer la poignée de
ma valise quand deux mains se posèrent sur mes hanches.
Mon cœur s'affola avant que je ne découvre qui osait un geste
si familier envers moi.
Mon cœur ne se calma pas pour autant lorsque mon regard se
retrouva happé par le bleu métallique de ses yeux.
— De nouveau indécise ? me demanda-t-il.
33
KRIS T.L Son souffle chaud caressa mon oreille et me fit frissonner. Il
resserra son emprise et me colla un peu plus contre lui, le nez
dans mes cheveux il inspira fortement avant de se reculer.
Wow !
Je restais chancelante, les yeux fermés sur le bord de ce
trottoir.
— Allez venez, vous aller attraper froid, dit-il, et avant même
que je ne puisse réagir il attrapa ma main et finit par me conduire
à l'intérieur de l'hôtel.
— Non, dis-je brusquement en retirant ma main.
— Je comprends que vous puissiez m'en vouloir, mon attitude
envers vous est impardonnable, mais je crois qu'il faut que nous
parlions, non ?
— Non... enfin... si... mais non, répondis-je confuse.
— Hey ? il pencha la tête sur le côté et me regarda amusé.
— Non ! Je suis désolée mais je n'ai pas les moyens de
m'offrir un tel luxe, dis-je en relevant le nez vers l'hôtel. Je vais
me trouver autre chose.
— Je me disais bien !
Il se mit à rire franchement, mais voyant le regard peu avenant
que je lui lançais, il se ressaisit aussitôt.
Gougeât, pour ne pas dire petit con.
— Ce qui veut dire ?
34
Romagnas du Mont DavisMon amour propre était quelque peu piqué à vif.
— Mmm, excusez mon impolitesse, je n'aurais pas dû.
Pas dû ? Ouais effectivement !
Prise par je ne sais quelle folie, je saisis la poignée ma valise
et d'un pas décidé je marchai en direction du groom qui m'ouvrit
les portes du Méridien King Edward.
Mais qu'est-ce que tu fous Lisy, fais demi-tour ! pensai-je alors
que mon cœur était sur le point de sortir de ma poitrine.
J'hésitai et m'arrêtai un instant avant de l'entendre rire à
nouveau.
— Je vais lui en faire voir des : « je me disais bien »
marmonnai-je furieuse. Ça veut dire quoi d'abord, que je ne suis
pas assez bien pour ce genre d'endroit ? Pauvre nase !
— Jolie valise ! ajouta-t-il en avançant de quelques pas, riant à
gorge déployée.
Quoi, qu'est-ce qu'elle a ma valise ?
— Oh !
Effectivement dans ma précipitation pour venir à Toronto
j'avais pris ma petite valise rose bonbon. Le seul truc fille que
j'avais en ma possession.
Je devais lui paraître ridicule, mais après tout qui s'en
souciait ! Relevant le nez, d'un pas décidé, je m'approchai de
l'entrée.
35
KRIS T.L Le groom de l'hôtel me salua et me regarda quelques secondes,
certainement surpris par mon indécision ne sachant pas
réellement si oui ou non il devait maintenir la porte ouverte.
Ça va te coûter un bras Lisy......
La ferme Jiminy, tu me déconcentres.
Oh non je ne veux pas voir ça ! me cria ma conscience.
Me retrouvant dans le hall du Méridien King Edward, je
fermai les yeux comme si le fait de les fermer pouvait annuler la
bêtise monumentale que je m'apprêtais à commettre.
36
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Quatre
Lorsque je les ouvris enfin, j'eus l'impression que mon cœur
allait cessé de battre. Je me mis à haleter tant la magnificence des
lieux me tournait la tête.
Oh la vache, j'étais réellement dans la mouise !
J'étais sur le point de faire demi-tour quand je vis Cummings
rentrer à son tour. Il fut salué par le majordome comme s'il était
un familier des lieux.
Bon allez Lisy plus que quelques pas et tu sauras combien va
te coûter ta stupidité. J'espère que tu te rends compte de combien
tu es ridicule, tu es venue ici pour aider Teresa, et au lieu de ça
tu vas te ruiner.
Prenant une profonde inspiration, je décidais de me rendre
jusqu'à la réception. Des colonnes en marbre rose encerclaient
cette immense salle, des tapis bleu-roi en couvraient le sol et des
canapés de la même couleur étaient disposés de façon à créer une
atmosphère Belle Epoque.
Un sapin de Noël majestueux trônait au milieu de cette salle,
c'était féerique.
37
KRIS T.L Une jeune femme se tenait derrière le comptoir, blonde, la
quarantaine, cheveux tirés en arrière dans un chignon strict,
tailleur bleu marine, elle leva son regard vers moi et m'adressa un
sourire commercial, mais on sourire s'illumina lorsqu’elle
remarqua la personne qui se tenait derrière moi.
Wow ! J’imagine que j'avais dû faire la même tête lorsqu'il
m'avait ouvert la porte de son bureau.
C'était effrayant, elle avait les yeux pétillants, sa langue
frétillante faisait des allers retours sur ses lèvres rouge sang.
Herk !
Toutefois, je la vis blêmir au moment même où je sentis le
corps de Cummings se presser contre le mien. Une sensation de
chaleur envahit mon corps causant un certain engourdissement de
mes membres inférieurs. Il posa de nouveau ses mains sur mes
hanches pour me stabiliser.
— Monsieur Cummings.
Elle s'adressa à lui en baissant les yeux comme dans un signe
de dévotion.
— Bonjour Myranda.
—Voici la clé de votre suite monsieur, chuchota-t-elle en lui
tendant la clé du bout des doigts.
Je restais bouche bée, ne sachant comment me comporter, je
fis volteface, me retrouvant le nez collé contre son torse,
38
Romagnas du Mont Davisj’inspirai à pleins poumons la fragrance de son parfum qui me fit
perdre littéralement les pédales.
Boisé, avec des notes de citron, de bois de gaïac, de cacao, de
cèdre, de poivre de Sichuan et de vétiver.
Il allait devenir sans aucun doute l’un de mes parfums
préférés.
Il baissa les yeux sur moi, surpris.
— Ne me dites pas que je viens de dire ça à haute voix ?
demandai-je en rougissant fortement.
Il hocha la tête et me fit un sourire en coin.
— J'ai... j'ai comment dire, un odorat très développé, balbutiai-
je en rougissant encore plus.
La réceptionniste lança une œillade à Cummings et celui-ci la
remercia en retour en lui faisant son plus beau sourire.
— Mais vous n'en avez pas marre ? lui demandai-je en me
dégageant exaspérée par son attitude.
— Pardon ? Je ne vois pas où est le problème.
— Mais vous êtes là à vous vendre tout sourire. Brrr, vous êtes
effrayant !
— Me vendre tout sourire ? Mademoiselle O'Brian ne serait-
elle pas un tantinet jalouse, par hasard ? rit-il.
— Quoi ?
Euh, non pas du tout, enfin... non !
39
KRIS T.L — Oui : jalouse, fière, butée, ça vous dit quelque chose ?
— Oh ! Certainement pas, mais merci pour l'analyse.
Toutefois, ne vous attendez pas à ce que je vous règle des
honoraires.
— Ne vous inquiétez pas, pour vous ce sera gratuit. Bien
venez, je vais vous montrer notre chambre. Se saisissant de ma
valise, il commença à se diriger vers l'ascenseur.
— Je ne peux pas faire ça !
— Écoutez, c'est vous qui êtes venue jusqu'ici pour me voir.
Alors, suivez-moi. Vous allez pouvoir vous mettre à l'aise et
pendant ce temps je vais nous commander à manger. Son ton était
quelque peu autoritaire, ce qui me fit gémir.
— Non, dis-je une nouvelle fois.
— Je peux savoir quel est votre problème ?
— Je ne monterai pas dans une chambre avec vous. Je ne suis
pas venue ici pour ça, fis-je en lui lançant un regard qui se voulait
direct et froid.
— Pardonnez-moi. Je crois que vous vous méprenez sur mon
compte. Il n'est pas question qu'il se passe quoi que ce soit entre
nous. Et alors que je saisissais le sens de ces mots, une pointe de
déception me serra les entrailles. Je dormirai sur le canapé,
ajouta-t-il pour être sûr que j'avais bien compris le message.
— Oh, très bien. Dans ce cas.
40
Romagnas du Mont DavisJe ne sais pas s'il perçut mon changement d'humeur, mais il fit
comme si de rien n'était et c'est sans mot dire que je le suivis dans
cet ascenseur ou comme tout bon gentleman qui se respecte, il me
fit passer la première. Je me collai contre la paroi, puis baissant la
tête j'attendis qu'il rentre à son tour.
— Pour une fois les portes ne se referment pas sur moi, ricana-
t-il en appuyant sur le bouton du deuxième étage.
Je hochai timidement la tête en comprenant à quoi il faisait
allusion.
Une fois arrivés sur le palier, nous longeâmes un grand couloir
feutré, une moquette épaisse dans les tons crème havane et
blanche amortissait nos pas. Mes mains étaient de plus en plus
moites au fur et à mesure que nous nous approchions de cette
chambre.
— Comment se fait-il que vous ayez une chambre dans ce
magnifique hôtel ?
— Oh pas d'inquiétude, je viens ici pour le travail.
— Pardon ?
— C'est une habitude chez vous ?
— De quoi ? demandai-je surprise, ne sachant pas où il voulait
en venir.
— De dire pardon à tout bout de champ.
— Oh ! Oui désolée.
41
KRIS T.L — Pardon. Désolée. Vous n'avez pas à l'être. Je vous taquine.
En fait le directeur de cet hôtel est un client de notre agence. Il a
mis une pièce à ma disposition afin que je puisse venir le voir
quand lui ou ses clients ont besoin de mes services.
— Oh et vous ne vous en servez qu'à titre professionnel ?
Oups !
— Miss O'Brian, vous me semblez bien curieuse tout à coup.
L'idée que j'aie pu faire certaines choses dans cette chambre vous
gênerait-elle ?
Nan ne pars pas dans cette direction Lisy ! me cria ma
conscience, alors que je virais cramoisie.
— Non, non absolument pas, dis-je en triturant les boutons de
mon manteau.
— Vous en êtes sûre ?
— Écoutez, je n'ai pas envie d'être analysée d'accord et je n'ai
nullement envie de savoir ce que vous avez fait dans cette
chambre. Je suis venue pour vous parler de Teresa.
— Teresa ?
Il s'arrêta net devant la porte de la chambre puis se tourna vers
moi en arquant un sourcil.
—Votre sœur, enfin je veux dire Tess, bégayai-je sous son
regard insistant.
42
Romagnas du Mont DavisIl inséra la clé dans la serrure avant d'ouvrir la porte. Il se
montra une nouvelle fois galant et me laissa passer.
Je fis quelques pas à l'intérieur de la pièce et avant même
d’avoir compris ce qu'il m'arrivait, il me coinça face contre mur,
son torse collé dans mon dos, sa main posée à la base de mon
cou.
Je poussai un cri de surprise en capturant sa main dans la
mienne.
— Qui êtes-vous ?
— Pardon ?
— Qui êtes-vous ?
Il prononça ces mots un peu plus fort, écrasant son corps
contre le mien.
— Je vous ai déjà dit qui j’étais, assénai-je en déglutissant de
le sentir si près.
Prenant sa main dans la mienne, je fis une rotation de son
pouce. La douleur occasionnée lui fit lâcher son emprise et avant
qu'il ne puisse réagir je le basculai en arrière, le bloquant au sol.
— Lisy O'Brian, gynéco à El Paso au Texas.
— Vous êtes sûre ?
— Sûre de quoi ?
— D'être gynéco ? Vous avez plus les manières d'un flic.
43
KRIS T.L — Je suis la fille d'un Border Patrol et j'ai pris des cours de
self défense l'année dernière.
— Vous pouvez me lâcher, je crois que vous avez le dessus,
ajouta-t-il en suffoquant.
— J'ai toujours le dessus, répondis-je du tac au tac.
Voyant les yeux de Cummings s'élargir, je réalisai le double
sens de mes mots, mais ma conscience complètement subjuguée
par ses beaux yeux bleus ne sourcilla pas d'un cil.
Je relâchais la pression, mais en un dixième de seconde, il
retourna la situation en sa faveur, me basculant en arrière, je me
retrouvai à mon tour coincée sous son corps fort et musclé.
—Vous disiez ?
Il accentua la pression en faisant un mouvement de bassin et la
friction de nos deux corps imbriqués l'un dans l'autre me fit
gémir.
— Je suis venue ici pour votre sœur, répondis-je haletante.
— Qui me dit que c'est la vérité ?
L'électricité entre nous était palpable, j'avais du mal à respirer.
J'étais surprise par sa question, mais en effet, qui lui prouvait mes
intentions.
—Vous pouvez tout aussi bien être la personne qui la détient
prisonnière. Que voulez-vous ? Pourquoi ne pas nous avoir
appelés afin de nous prévenir que vous l'aviez retrouvée.
44
Romagnas du Mont Davis— Je ne pouvais pas, murmurai-je incapable d'en dire plus.
Comme je vous l'ai dit je suis gynéco et la semaine dernière j'ai
rencontré votre sœur.
— Va falloir vous expliquer, Miss O'Brian.
— Je suis là pour ça, monsieur Cummings, dis-je avec
sincérité.
Il me regarda droit dans les yeux, s'attardant quelques instants
comme s'il essayait de déceler en moi une quelconque faille, mais
je ne mentais pas et après quelques secondes qui me semblèrent
durer une éternité, il me relâcha.
45
KRIS T.L
46
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Cinq
— Pour commencer je crois que nous sommes assez proches
et que je pourrais vous appeler Lisy, non ? demanda-t-il d’un ton
assuré, me tendant la main pour m'aider à me relever.
— Euh, oui enfin si vous le souhaitez. À présent face à lui, le
cœur battant, les mains moites, la bouche sèche, les cheveux
complètement décoiffés, j'inspirai un bon coup en levant les
yeux.
— Et vous, vous pourriez m'appeler Greg ? Son regard était
insistant.
— Oui, très bien, Grégory, ça me va, dis-je en me noyant dans
ses magnifiques yeux bleus.
Me faisant un sourire en coin il hocha la tête de gauche à
droite et je crus entendre un “c’est pas gagné” sortir de sa
bouche.
— Vous dites ?
— Non rien... rien, tout d'abord j'aimerais savoir comment va
ma sœur ?
47
KRIS T.L Sa voix se brisa, son front se plissa, pour la première fois, je
voyais de l'inquiétude à travers ses traits. Et le fait de le voir
baisser les armes le rendit à mes yeux plus humain et cela me
rassura.
— Eh bien... la dernière fois que je l'ai vue, elle allait bien.
— Et le bébé ?
— Oh vous voulez dire les bébés, au stéthoscope j'ai entendu
deux petits cœurs battre. Leurs constantes étaient bonnes,
toutefois, je n'avais pas toutes les informations et de ce fait je n'ai
malheureusement pas pu calculer les semaines d'aménorrhée.
Il souffla un bon coup comme si un poids lui était retiré de la
poitrine.
— Elle va bien, répéta-t-il dans un souffle comme pour s'en
convaincre lui-même. Elle va rentrer dans son huitième mois,
enfin je crois !
— Oh !
— C'est quoi ce oh ! Il y a un problème ?
— Lorsque je l'ai vu la semaine dernière, elle avait des
contractions, et avec des jumeaux il faut s'attendre à ce qu'elle
accouche prématurément.
— Des jumeaux, comme nous, murmura-t-il perdu dans ses
pensées.
— Vous êtes jumeaux ? répétai-je à mon tour en basculant la
tête sur le côté.
48
Romagnas du Mont DavisIl hocha la tête pour affirmer mais ne dit rien de plus tant
l'émotion qui l'étreignait était forte. Émue, je me raclais la gorge
afin de lui expliquer les circonstances qui m'avaient poussée à
rencontrer sa sœur.
— Mon oncle est médecin et vit avec sa femme Lisbeth à
Lajitas du côté US au Texas. Ils font partie «Des fantômes de
Terlingua», ils apportent leur aide aux migrants qui tentent de
passer la frontière clandestinement. Ils fournissent des points
d'eau dans le désert de Chihuahua et parfois, lorsque l'état de
santé des clandestins le nécessite, ils apportent soins et
médicaments.
— Mais c'est illégal ? s'insurgea-t-il.
Ok ! J’avais à faire à ce genre de type qui vit dans sa tour
d'ivoire et qui ne voit pas qu'en bas des gens crèvent encore la
bouche ouverte en rêvant de leur Eldorado.
— Effectivement, dis-je en retroussant mon nez.
J'espérais qu'il ne me fasse pas de leçon patriotique. J'étais
américaine par mon père, mais mes grands-parents maternels
étaient d'honnêtes mexicains.
Mon grand-père avait fait partie du programme Bracero, mis
en place en 1942, c'était un accord entre les États-Unis et le
Mexique qui permettait à des ouvriers mexicains de venir
travailler aux États-Unis pour pallier à la pénurie de main-
d'œuvre, notamment dans les travaux agricoles.
49
KRIS T.L Ma mère était venue au monde à Lajitas au Texas en 1962,
c'est là qu'elle avait grandi et rencontré mon père.
Mais il ne dit rien, hochant simplement la tête pour me
demander de poursuivre.
— C'est Lisbeth, la compagne de mon oncle qui est venue me
chercher, je n'ai pas l'habitude d'intervenir sur le terrain, mon
oncle s'y est toujours opposé par respect pour mes parents,
affirmai-je sans pour autant m'appesantir. Lisbeth se faisait
beaucoup de souci pour votre sœur, celle-ci avait des contractions
et de la fièvre, elle voulait que je la rejoigne, car mon oncle était
en mission à Polvosur, sur une autre plateforme qui accueille des
clandestins.
— Mais que faisait ma sœur avec des clandestins ? Je pouvais
voir l'incompréhension naître dans son regard.
— Ça, je ne sais pas. Lorsque je suis arrivée, elle était en plein
délire.
Elle n'arrêtait pas de dire : Greg, dites à Greg, lui seul
comprendra... m'a promis de revenir rien que pour moi. Cette
phrase vous dit peut-être quelque chose ?
À ces mots, je le vis blêmir, mais il ne daigna pas répondre,
préférant changer de sujet.
— Pourquoi l'avez-vous appelé Teresa ?
— C'est ce qu'il y avait d'écrit sur le journal de soins : Teresa
Rodriguez.
50
Romagnas du Mont Davis— Le journal ?
— Oui, mon oncle et Lisbeth ont pour habitude de tenir un
petit journal. Nous savons que ces personnes ne nous donnent pas
toujours leur vrai nom, ce petit journal nous permet de nous
souvenir d'eux et des soins que nous leur avons prodigués.
— Oh ! Et comment avez-vous fait le rapprochement dans ce
cas-là avec ma sœur Tess Cummings ?
— En fait, je l'ai appris par hasard. Je ne regarde que très
rarement la télévision et je n'ai pas pour habitude de m'attarder
sur les infos. Mais ce soir-là, alors que j'étais sur mon ordi, j'ai
reçu un mail. Vous savez ces chaînes qui circulent de contact en
contact. C'était une de ces alertes ; édition spéciale enlèvement.
Je ne l'ai pas reconnue de suite, elle a beaucoup changé vous
savez.
Sourcils froncés, il me laissa continuer le regard éteint.
— Quand je suis retournée la voir le lendemain pour
l'ausculter, j'ai vu qu'elle avait une cicatrice sur son avant-bras
droit. C'est à ce moment-là que j'ai fait le rapprochement avec la
fiche signalétique de mon mail.
— La cicatrice, murmura-t-il en fermant les yeux, comme si ce
souvenir lui était douloureux.
— Vous êtes allée lui parler ? Que vous a-t-elle dit ?
51
KRIS T.L — Elle était épuisée, les contractions l'avaient beaucoup
fatiguée, le temps que j'aide mon oncle à s'occuper d'autres
personnes en difficulté, elle s'était endormie.
— Ok !
Il semblait déçu et ma crainte augmenta, sachant très bien que
les nouvelles n'étaient pas si réjouissantes que ça.
— Vous savez, nous avons à faire à des personnes terrorisées.
— Terrorisées, dites-vous ! Savez-vous ce que c'est au moins
que d'être terrorisé ?
Bon ! Cela n'allait pas être si simple. Il était tendu comme un
arc et je pouvais sentir la douleur dans le son de sa voix.
—Je comprends ce que vous ressentez, soufflai-je d'une voix
chevrotante. Alors ce n'est pas la peine d'élever la ton avec moi.
— Je suis désolé.
Sa voix se brisa et par pudeur je continuais à parler pour éviter
d'affronter sa peine.
— Je comprends. Dans tous les cas lorsque je suis rentrée à la
maison, j'ai fait des recherches sur le net et j'ai trouvé une photo
de vous et de Tess, c'est comme ça que j'ai su que c'était bien elle.
— Et qu'avez-vous fait ? demanda-t-il impatient de connaître
la suite.
— J'ai appelé mon oncle.
— Et ?
52
Romagnas du Mont DavisSon front se plissa. Tendu, je pouvais voir à son regard qu'il
était sensible à chacune de mes expressions.
— Comme je vous l'ai dit ces gens sont terrorisés, il nous a
fallu du temps pour créer un climat de confiance. Mon oncle n'a
pas souhaité prévenir les autorités... enfin, je sais à présent que
c’était une erreur.
— Pourquoi dites-vous ça ? Que s'est-il passé ?
En moins d'une nanoseconde il se posta devant moi, les mains
sur mes épaules.
— Je n'ai plus de nouvelles.
— QUOI ? Mais où sont-ils ? demanda-t-il en me secouant.
— Arrêtez !criai-je d'une voix forte qui stoppa immédiatement
son geste. J'ai essayé de le joindre sur son portable, mais
n'obtenant pas de réponse, je suis retournée tant bien que mal
dans cette ferme désaffectée. Le problème c’est que lorsque je
suis arrivée sur les lieux, il n'y avait plus personne.
— Ce n'est pas possible, c'est un véritable cauchemar. Où se
situe cette putain de ferme ?
— Près de Terlingua, une petite ville fantôme du Parc national
de Big Bend
— Ok ! Je vais devoir passer des coups de fil. Putain j'en
reviens pas d'être bloqué ici à cause de ce temps POURRI !
53
KRIS T.L Sa main s'éleva dans les airs et d'un coup de colère il envoya
valdinguer le vase qui était posé sur la commode, celui-ci se brisa
en percutant le sol.
— Je suis désolée, soufflai-je.
— Désolée, vraiment ? Si vous aviez prévenu la police, ma
sœur serait ici avec nous ce soir, ajouta-t-il avec dédain, les yeux
remplis de larmes.
Une boule se forma dans ma gorge. J'étais consciente de tout
cela et je savais qu'il avait raison, mais la situation était
réellement complexe et mon oncle m'avait fait promettre de ne
pas faire intervenir les Border patrol.
Lisy O'Brian tu es dans une merde noire.
— Je crois qu'il serait plus sage pour vous de me laisser seul
quelques instants. Vous avez besoin de vous détendre. Relevant le
menton, il me pointa la porte de la salle de bains.
Oh ! Etait-ce une manière élégante de me congédier ?
— Au cas où vous l'auriez oublié, je suis venue ici de mon
plein gré, dis-je en appuyant sur chaque mot. Et il n'est pas
question que je vous serve de défouloir.
— J'aimerais savoir une chose O'Brian. Vous m'avez bien dit
être la fille d'un Border Patrol ? Pourquoi ne pas l'avoir prévenu,
il aurait pu faire quelque chose, non ?
— Mon père est mort, murmurai-je.
— Oh ! Je ...
54
Romagnas du Mont Davis— Il est mort quand j'avais neuf ans, le sujet est clos.
Je baissai les yeux pour mieux ravaler mes larmes, puis,
tournant la poignée de la salle de bains, je me réfugiai à
l'intérieur.
55
KRIS T.L
56
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Six
Cela faisait plus d'une demi-heure que j'étais sous cette
cascade d'eau chaude. Chaque gouttelette qui ruisselait sur ma
peau avait un effet thérapeutique et bienfaisant. Je me détendais
peu à peu en essayant de prendre du recul afin de réfléchir à la
situation. La douleur que j'avais vue dans ses yeux m'avait
littéralement chamboulée et j'avais pleuré plus de dix minutes,
adossée à cette porte avant de me déshabiller et de me glisser
sous la douche.
Je ressentais de la culpabilité et j'étais morte d'inquiétude, que
ce soit pour Tess, mon oncle ou bien sa femme.
Que s'est-il passé pour que vous preniez ainsi la fuite ?
Pourquoi ne pas m'avoir avertie que quelque chose n'allait
pas ?
Plus je réfléchissais, plus je trouvais cela bizarre, plus mon
angoisse augmentait, plus elle me broyait les entrailles. Quelque
chose ne tournait définitivement pas rond.
Cela ne pouvait pas être une descente de Border Patrol car si
cela avait été le cas ils auraient retrouvé Tess et les Cummings en
auraient été avertis.
57
KRIS T.L L’histoire du massacre de l'État de Tamaulipas1, au nord-est
du Mexique du 25 août dernier me revint en tête. Le récit du seul
survivant faisait froid dans le dos. Soixante-douze hommes et
femmes, candidats à l’immigration en provenance d’Amérique
centrale, victimes des trafiquants de drogue, avaient été faits
prisonniers dans un ranch à une centaine de kilomètres au sud de
la frontière du Texas.
Ils n’avaient pu payer la rançon qu’on leur demandait et
avaient été exécutés. Les assassins s'étaient enfuis à bord de 4 x 4
après un échange de tirs avec les Border Patrol. Les corps de
cinquante-huit hommes et de quatorze femmes avaient été
retrouvés entassés dans une pièce comme de vulgaires
marchandises de contrebande abandonnées à la hâte.
Non, Cummings n'avait vraiment pas l'air de se rendre compte
de la situation.
Tess était enceinte de près de huit mois et si j'en croyais les
dernières contractions, l'accouchement n'allait pas tarder.
— Bon dieu, mais où êtes-vous ? murmurai-je en m'adossant
au lavabo.
Mon reflet dans le miroir me renvoyait une image de moi peu
amène. Cernée, exténuée, excédée, j'avais vraiment une sale tête.
Ne pouvant me retenir plus longtemps, je collai devant ma
bouche la serviette afin de crier un bon coup.
1 Courrier International Hebdo n°1036
58
Romagnas du Mont Davis— Hey, tout va bien là-dedans ? demanda Greg en
tambourinant à la porte.
— Oui, dis-je en reniflant. Deux minutes.
Inspire, expire ma fille, tout va s'arranger, pensai-je en prenant
la serviette pour me sécher énergiquement les cheveux. Tout va
bien se passer, Lisy ! répétai-je afin de me donner le courage dont
j'avais besoin pour faire face à Cummings.
Inspirant fortement j'attrapai un drap de bain pour m'enrouler
dedans.
*
Gregory était là debout devant moi. Je déglutis en le sentant si
proche. Me détaillant avec insistance, je sentis son regard
descendre le long de mon corps.
Une gouttelette tomba d'une de mes mèches de cheveux et
glissa le long de mon cou avant de venir s'échouer dans le creux
de mes seins.
Son regard en suivit le parcours et mon cœur commença à
tambouriner dangereusement, lorsque je vis sa langue passer sur
sa lèvre inférieure.
Trop près, bien trop près.
L'atmosphère était chargée en électricité et je restai là,
complètement envoûtée par ses yeux noircis de désir.
Non ne réfléchis pas, non ! hurla ma conscience, en voyant ce
petit v se former entre les sourcils. Mais contre tout espoir, il
59
KRIS T.L tourna les talons et se dirigea vers la table de chevet. Prenant le
téléphone de l'hôtel, il composa le numéro du standard.
— Serait-il possible d'avoir deux plats du jour dans la chambre
deux cent dix-sept, s'il vous plait ?
Je restais bouche bée devant tant d'assurance.
—Merci. Ah, j'oubliais, mettez-nous une bouteille de
Casanova di Neri Brunello di Montalcino Tenuta Nuova de 2001.
— Oh, en plus d'être beau gosse, monsieur parle italien et s'y
connait en vin, marmonnai-je pour moi-même en reprenant une
respiration normale.
— Pardon ?
— Euh ! Je hochai la tête de droite à gauche. Non rien, dis-je
en rougissant.
— Vous devriez passer un peignoir, murmura-t-il d'une voix
rauque en se baissant pour ramasser les morceaux du vase brisé
au sol.
— Oh oui, excusez-moi.
— Dans l'armoire de la salle de bains.
— Quoi donc ?
— Les peignoirs ! insista-t-il troublé.
— Oh oui pardon, j'y vais, finis-je par dire en pointant de mon
index la porte.
60
Romagnas du Mont DavisPressant le pas, je partis en direction de la salle de bains, j'étais
quelque peu confuse par la tension et l'excitation qui
bouillonnaient dans mes veines.
— Wow, bravo Lisy ! On peut dire que tu sais te tenir !
marmonnai-je, retirant la serviette que j'avais autour de mon
corps pour la placer de nouveau devant ma bouche.
La vapeur s'était quelque peu évaporée, mes yeux n'étant plus
brouillés par les larmes, je pouvais voir combien cette salle d'eau
était incroyablement belle, grande et lumineuse. Dans le fond de
la pièce une baignoire aux formes intemporelles avec des pieds
en pattes de lion, polie directement dans la fonte, lui donnant un
aspect extérieur brillant et moderne.
En face se trouvait la douche dans laquelle je m'étais réfugiée
tout à l'heure. Deux personnes pouvaient se tenir à l'intérieur et
mon esprit perverti partit aussitôt à la dérive en m'imaginant moi
et Cummings dans cette cabine.
Reprends-toi Lisy, ce n'est pas le moment de fantasmer sur lui.
Saisissant le peignoir qui se trouvait accroché à la patère en fer
forgé, je m'enveloppai dedans. Il était doux, moelleux et frais,
avec une légère odeur de fleur d'oranger. Cette sensation divine
sur ma peau fit remonter en moi le souvenir de mon père qui
m'enroulait dans une grosse serviette et me frictionnait à la sortie
de mon bain dans notre maison de vacances.
L'eau y était toujours froide, sortant directement du puits, mon
père la faisait réchauffer dans une grosse marmite.
61
KRIS T.L Je gardais de mon père son côté bon vivant, aimant les bonnes
choses, le bon vin.
Certes, il n'avait jamais eu les moyens de s'offrir une bouteille
hors de prix comme venait de le faire Cummings, mais avec mon
oncle, ils s'étaient achetés quelques acres de terres sur le Mont
Davis et tous les week-ends nous allions jouer aux viticulteurs.
C'était un endroit paisible, une petite maison en bois, certes, ce
n'était pas un palace comme cette chambre d'hôtel car le confort y
était précaire, mais pour moi du haut de mes neuf ans, elle avait
représenté la plus belle maison au monde.
On y trouvait des sols arables entre trois cent et mille deux
cent mètres, les hivers étaient froids et les nuits au printemps
étaient fraîches, les températures variaient de 30° la journée à
- 35° la nuit. C'était un climat sec où les précipitations annuelles
ne dépassaient guère quinze à dix-huit centimètres, mais c'était
aussi un terroir favorable à la culture du raisin vinifère et nous y
avions trouvé là notre bonheur.
Mon père avait pour habitude tous les soirs de faire un feu de
bois avec les sarments de vigne. S'improvisant grand chef
gastronomique, il nous faisait cuire les meilleures grillades du
Texas.
Alors que j'entrai dans la pièce, mon ventre se mit à
gargouiller. Greg se retourna et me toisa quelques secondes avant
de murmurer quelque chose à son interlocuteur.
62
Romagnas du Mont DavisAbsorbée dans mes pensée, je n'avais même pas fait attention
qu'il était au téléphone.
Je haussai les épaules en m'excusant, puis resserrant les pans
de mon peignoir, je partis m'asseoir sur le canapé qui trônait en
face du lit.
La chambre était spacieuse, avec un salon dans le coin de la
pièce, un plasma se trouvait à l'intérieur d'un meuble en noyer. La
tapisserie, dans les tons crème et bordeaux était assortie aux
tentures ainsi qu’au couvre-lit. Les draps en percale étaient
rehaussés d'un parement en broderie anglaise. Le charme et
l’élégance d’antan était sans aucun doute les maîtres mots de cet
hôtel qui offrait à ses clients un refuge à la fois sophistiqué et
intime, loin du stress de la ville.
Malgré tout ce confort et ce luxe qui aurait pu en ravir plus
d'une, je ne me sentais pas à ma place.
La perte de mon père résonnait encore en moi et malgré ces
dix-sept ans passés, mon cœur saignait toujours.
Comment faire face aux collègues de mon père qui lui avaient
tourné le dos ? Comment leur pardonner ?
En l’espace d'une nuit j'avais tout perdu, mon père, mes
repères, ma vie.
Préférant partir vivre à El Paso chez ma tante Maria. Je m'étais
appuyée sur elle pour pouvoir grandir. À dix-sept ans, reçue à
l'University of Texas Medical Branch de Galveston, j'avais suivi
63
KRIS T.L mon cursus universitaire pour devenir gynécologue. Totalement
investie, la tête bien ancrée sur les épaules, j'avais terminé mon
cursus avec deux ans d'avance.
— Room service.
Ce sont trois petits tocs à la porte de la chambre qui me
sortirent de mes réflexions.
Greg raccrocha son téléphone et partit ouvrir la porte. Mon
ventre, quant à lui, me rappela à l'ordre dès que je vis le chariot
rentrer dans la pièce.
Le groom nous salua puis dressa la table en un temps record, il
déposa sur la table du salon deux cloches en argent sans oublier
la petite rose rouge dans un vase en cristal ciselé.
Nous devions passer pour un couple s'offrant un petit week-
end en amoureux, sauf que nous étions à mille lieues d'être un
couple passant un agréable moment dans un hôtel somptueux de
Toronto.
Grégory raccompagna le groom et lui tendit un billet. Je
roulais des yeux en imaginant un billet de cent dollars dans la
main de ce jeune garçon.
Lorsque la porte fut fermée, Greg vint tirer la chaise qui se
trouvait devant moi.
Wow !
64
Romagnas du Mont DavisDécidément il pouvait se montrer charmant et cette attention
me fit rougir. Inspirant fortement je m'assis sans rien dire en
attendant qu'il engage la conversation.
Mais rien !
Relevant nos cloches en même temps, nous découvrîmes
ensemble notre plat de résistance. C'était du magret de canard
avec une sauce aux fruits rouges, servi avec du gratin dauphinois.
Prenant à l'aide de ma fourchette une petite bouchée, je la portai à
ma bouche. Les saveurs de miel sauvage, de vinaigre et des
myrtilles éclatèrent contre mon palais.
— Hmm... Je ne pus retenir un gémissement de satisfaction.
Le gratin était savoureux et fondant, c'était délicieusement
orgasmique.
Les yeux de Greg s'élargirent, il bougea, mal à l'aise sur sa
chaise, puis se raclant la gorge, il prit une bouchée à son tour.
— Humm, ajouta-t-il, alors que j'osai un regard vers lui en me
mordillant la lèvre.
— Ça fait du bien, dis-je avant d'engloutir une deuxième
bouchée.
— J'ai l'impression que vous n'avez rien mangé depuis une
semaine, s'amusa-t-il en s'essuyant les lèvres avec sa serviette
d'un blanc immaculé.
Il était bon de le voir plaisanter, l'atmosphère était redescendue
d'un cran et c'était agréable.
65
KRIS T.L — Je n'ai rien pris de consistant depuis hier soir, enfin si je ne
compte pas le mini sandwich qu'ils nous ont servi dans l'avion.
Il attrapa la carafe de vin en cristal. Le sommelier de l'hôtel
l'avait déjà préparé pour le faire décanter.
Il s'en servit un verre, puis le porta à son nez, il le flaira par
deux fois pour en apprécier les arômes puis imprima un
mouvement giratoire de la main pour accroître l'oxygénation et
l'évaporation dans son verre.
— Je suis désolé de m'être emporté tout à l'heure. Je ne suis
pas quelqu'un d'impulsif d’habitude
— C'est oublié, dis-je en souriant timidement.
— Est-ce que cela te gêne si l'on se tutoie ? demanda-t-il en
arquant un sourcil.
— Non, pas du tout, pour tout vous... enfin... te dire... je serai
plus à l'aise, dis-je en roulant des yeux.
— Bien. Je veux tout d'abord que tu saches que je ne t'en veux
pas.
Je hochai la tête en jouant nerveusement avec ma fourchette.
Ok ! Il ne m'en voulait pas ! Tant mieux ! Après tout j'étais
dans la même galère que lui : mon oncle et Lisbeth étaient eux
aussi portés disparus.
— J'ai appelé mon père pendant que tu étais sous la douche. Il
tenait à te remercier personnellement d'être venue jusqu'à nous.
66
Romagnas du Mont Davis— Oh ! Merci, bredouillai-je.
— Il tient à t'affirmer que nous mettrons tout en œuvre pour
retrouver ta famille. Il nous rejoindra demain matin avec Mc
Logan.
— Merci.
—Toutefois, il est surpris que tu n'aies pas prévenu les Border
Patrol ?
Il bascula sa tête, évaluant une nouvelle fois mes réactions.
Hésitante, je me raclai la gorge ne sachant pas si je pouvais
réellement lui faire confiance.
Mon père Tom O'Brian trente-deux ans, US Border patrol de
profession était tombé lors d'une fusillade avec des trafiquants
sur les rives du Rio Grande. On avait retrouvé son corps meurtri
et sans vie dans l'eau avec une balle logée en plein cœur. Une
patrouille avait découvert son corps au petit matin avec une
certaine quantité de drogue sur lui. Ils en avaient vite déduit qu'il
était complice des narcotrafiquants.
J'avais beau n'être qu'une enfant, je savais que tout ceci n'était
qu'une mascarade. Quelqu'un avait couvert un méfait en
assassinant mon père, lui faisant ainsi porter le chapeau.
À cette époque je n'avais pas hésité à refaire le portrait de
camarades d'école qui avaient osé traiter mon père de « mule au
dos mouillé ». « Mule » étant le nom donné aux personnes qui
67
KRIS T.L transportent de la drogue et « dos mouillé » étant le surnom
donné aux clandestins qui traversent le Rio Grande.
J'aurai dû être confiée à mon oncle Enrique mais sa compagne
Lisbeth se comportait étrangement, n'arrivant pas à avoir
d'enfant, elle pleurait souvent et durant le séjour que j'avais passé
chez eux suite au décès de mon père, elle s'était montrée quelque
peu envahissante, voire étouffante.
Le juge m'avait alors demandé avec quels parents je souhaitais
vivre, mais en raison de son attitude qui me mettait à mal, j'avais
préféré rejoindre ma tante Maria, la sœur de ma mère, à El Paso.
Grégory me regardait intensément, voyant que je n'étais pas
prête à en dire plus, il me tendit un verre de vin.
— Je peux te poser une autre question ? demanda-t-il
soucieux.
— Oui bien sûr, dis-je en secouant la tête pour me reconnecter
avec la réalité.
— Le médaillon, où l'as-tu trouvé ?
— Je l'ai trouvé à Terlingua. Elle a dû le perdre en se levant,
car il était accroché à une tige en fer qui dépassait du lit de camp.
J'ai supposé qu'il était à elle.
Un silence pesant s'installa entre nous, il semblait perdu dans
ses pensées.
Pourquoi cet air si mystérieux tout à coup ?
— Je me suis trompée ?
68
Romagnas du Mont Davis— Non, non. Il nous appartient bien.
Une odeur de réglisse s'échappa de mon verre, sa robe rubis
était d'un noir profond. Le nez assez concentré sur des touches de
fruit noir, de mûre, de prune et de réglisse.
Le portant à mes lèvres pour en boire une petite gorgée, j'en
savourai toutes les saveurs, le tanin était superbe et fin. L'acidité
donnait une certaine vigueur à ce vin qui restait relativement
massif en bouche.
Les yeux de Grégory s'élargirent et je vis sa mâchoire quelque
peu s'affaisser.
— J'ai recommencé n'est-ce pas ? J'ai refait la même chose
que tout à l'heure dans le hall avec ton parfum, demandai-je alors
que je sentais la chaleur se répandre sur mes joues.
Il hocha la tête en mordant sa lèvre inférieure et cela me fit
gémir encore plus.
— Je ne sais pas pourquoi, mais dès que mon odorat se met en
marche, j'ai des flashs, je sens réellement les odeurs, je les vis et
me mets à les décrire à haute voix. C'est vraiment gênant, dis-je
en cachant mon visage entre mes mains.
— Non, ce n'est pas gênant, tu es juste surprenante, murmura-
t-il en relâchant sa lèvre.
J'avalais difficilement, la tension entre nous deux était de
nouveau palpable. Inspirant profondément, je décidai de passer
aux choses sérieuses.
69
KRIS T.L Advienne que pourra, pria Jiminy, en sachant très bien ce que
j'allais dire.
70
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Sept
Je m'apprêtais à prendre la parole, quand mon téléphone
portable se mit à sonner.
— Merde, mon sac, où est mon sac ? criai-je en me levant d'un
bond bousculant et renversant mon verre par la même occasion.
Greg montra du doigt mon sac qui se trouvait sur le fauteuil de
l'entrée.
— Désolée! marmonnai-je en voyant qu'il épongeait du vin sur
sa chemise blanche.
— C'est rien.
Saisissant mon sac, je le vidai sans ménagement sur le lit.
— Allo, Lisbeth ? criai-je en portant l'appareil à mon oreille.
Greg leva les yeux vers moi.
— Lisy ? C'est toi ?
Sa voix me semblait lointaine, quelque peu hachurée,
essoufflée.
— Oui, Lisbeth.
J'étais tellement soulagée de l'entendre.
71
KRIS T.L Vivants, ils étaient vivants. Un sentiment d'euphorie traversa
mon corps, mais celui-ci retomba aussi sec quand j'entendis
l'inquiétude qui suintait dans sa voix.
— Où es-tu ?
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Je ne sais plus quoi faire Lisy. J'ai appelé Tante Maria à la
maison, elle m'a dit que tu étais partie.
— Je suis à Toronto Lisbeth, mais vous, où êtes-vous ? Et que
s'est-il passé ?
— Mais que fais-tu à Toronto ? me coupa-t-elle sans prendre
la peine de répondre.
Grégory qui se tenait à côté de moi cherchait à capturer mon
regard pour trouver des réponses.
— C'est une longue histoire, je te raconterai, mais toi, dis-
moi, que s'est-il passé ? Je vous ai cherchés partout, n'ayant plus
de nouvelles d’Enrique je suis retournée à la ferme, mais vous n'y
étiez plus. Pourquoi êtes-vous partis ?
— Je ne sais pas, je ne sais plus. Lisy, pourquoi es-tu à
Toronto ? cria-t-elle.
— Hey, calme-toi d'accord. Qu'est-ce qui l'énervait tant dans le
fait que je sois à Toronto ?
— Il faut que tu rentres Lisy, Teresa a des contractions et je ne
sais pas quoi faire.
72
Romagnas du Mont DavisInquiétée par ces propos, je lançai un regard vers Greg.
— Écoute-moi, les vols sont annulés jusqu'à demain à cause
du mauvais temps.
— Quoi ? Non ! Ce n'est pas possible.
La panique était en train de s'emparer d'elle. Il fallait que je
trouve un moyen de capter son esprit. Il n'était pas question
qu'elle me fasse une crise d'angoisse maintenant.
— Les contractions sont espacées de combien ? demandai-je
calmement afin de la recentrer sur ce qu'elle savait faire de
mieux.
Lisbeth était une infirmière consciencieuse et même si nous ne
nous entendions pas vraiment dans la vie courante, travailler avec
elle ne m'avait jamais réellement posé de problème. C'était une
personne dévouée, appréciée par ses patients et c'est ce qui
m'importait le plus.
— Je ne sais pas... je... dirai toutes les demi-heures. Elle
semblait confuse, perdue, quelque chose de grave avait dû se
passer pour la désorienter autant.
— Ok ... OK ! Calme-toi, dis-moi où vous êtes ? Il y a de la
friture sur la ligne et j'ai du mal à t'entendre.
— Pu... ain d... té... ph... ne, marmonna-t-elle d'une voix
désincarnée.
..........
— Lisbeth, réponds-moi ! criai-je complètement paniquée.
73
KRIS T.L Greg posa ses mains sur mes épaules, son geste me surprit
autant qu’il m'électrisa, j'inspirai en fermant les yeux afin de
mieux contrôler les battements de mon cœur.
— Pourquoi es-tu à Toronto ? souffla-t-elle au bout de
quelques secondes.
— J'avais besoin de vérifier certaines choses au sujet de Tess,
tentai-je de la rassurer.
— Tess ?
—Oui en réalité, Teresa s'appelle Tess Cummings.
— Oh ! Je vois...
Un silence pesant s'installa à l'autre bout du fil.
— Dis-moi où vous êtes, s'il te plait !
— Je ne sais pas, murmura-t-elle.
— Quoi ? Comment ça tu ne sais pas ? Tu ne sais pas où tu
te trouves ? Vous êtes retenues quelque part ?
— Je ne sais pas si je peux te faire confiance, Lisy.
— Mais bien sûr que tu peux me faire confiance. C'était quoi
ce nouveau délire ? Sa paranoïa, son besoin d'être rassurée, cette
manière de mettre la pression à tout bout de champ me rendaient
folle. J'avais déjà du mal à supporter ses crises en temps normal,
mais là, sérieusement, ce n’était vraiment pas le moment qu'elle
me gonfle.
74
Romagnas du Mont Davis— Oncle Enrique est avec toi ? Passe le moi s'il te plait,
demandai-je en inspirant un bon coup afin de me calmer.
Grégory comprenant que quelque chose n'allait pas se
positionna sur le côté et me regarda avec insistance. Intrigué, sa
main droite vint se loger dans le bas de mon dos et ce geste
m'apporta le soutien qui me manquait.
Il était rassurant, il était là et c'est tout ce dont j'avais besoin
actuellement.
— Je ne peux pas Lisy. Il faut que tu rentres... juste que tu
rentres, chuchota-t-elle en pleurnichant.
— Demain Lisbeth, je te le promets. Pour Tess, il faut que tu
la masses, positionne-là en chien de fusil pour soulager son dos et
fais-la respirer calmement.
— Tu crois peut-être que je n'ai pas essayé toutes tes recettes
de grand-mère, Lisy ? se moqua-t-elle d'une voix dure et
cassante. Et puis arrête de l'appeler Tess, elle s'appelle Teresa tu
m'entends.
— Lisbeth...ne raccroche pas, criai-je dans le combiné.
— Je te rappellerai demain matin. Débrouille-toi comme tu
veux, mais rentre !
— Non, ne raccroche pas, passe-moi mon oncle s'il te plait.
Le regard de Greg reflétait certainement ma propre inquiétude.
— Ton oncle ? ajouta-t-elle d'un rire cynique qui me glaça le
sang.
75
KRIS T.L — Calme-toi s'il te plait, je vais rentrer, je te promets de
rentrer aussi vite que je peux, mais dis-moi d'abord où est mon
oncle, Lisbeth ?
— Il... je... il est mort Lisy. Ton oncle est mort.
Elle répéta ces mots d'une voix que je ne lui connaissais pas.
— Quoi ? QUOI ? Non, non ce n'est pas possible, Lisbeth dis-
moi que ce n'est pas vrai...
Une boule se coinça dans ma gorge, avaler me devint
douloureux. La sensation de perdre pied me saisit et un voile noir
passa devant mes yeux.
Greg m'attrapa dans ses bras et avant que je ne tombe sur le
sol et me posa délicatement sur le lit. Saisissant le téléphone de
mes mains, il se mit à parler dans le combiné.
— Lisbeth vous êtes toujours là ?
..........
— Je suis Gregory Cummings, le frère de Tess.
..........
— Ne criez pas, Lisbeth. Calmez-vous. Dites-moi où vous
êtes, on va venir vous chercher.
..........
— Lisbeth, Lisbeth répondez-moi je vous en prie, comment va
ma sœur ? Lisbeth.
76
Romagnas du Mont DavisLa panique que j'entendis dans le son de sa voix me fit relever
les yeux remplis de larmes vers lui.
— Merde ! cria-t-il en jetant mon téléphone sur le lit. Elle a
raccroché, hurla-t-il en passant une main dans ses cheveux.
Putain, mais c'est quoi son problème à cette folle ?
J'étais complètement prostrée, choquée.
Mon oncle est mort... mort... mort ... Ce mot faisait écho dans
ma tête, encore et encore et j'étais sur le point de tomber dans un
abîme sans fond.
Sans savoir d'où elle venait, je sentis une main s'abattre
violemment sur ma joue et elle eut pour effet de me ramener à la
vie.
— Excuse-moi pour ça, ajouta-t-il en se baissant devant moi.
J'étais là, pantelante, sur le bord du lit, les yeux hagards,
complètement vidée. Le cerveau hors d'usage, il m'était
impossible d'entendre, ni de comprendre ce qu'il me disait.
C'était étrange, j'avais l'impression que tout mon corps était
engourdi, comme si la souffrance ressentie avait fait sauter un
fusible dans ma tête pour mieux me protéger.
— Lisy, parle-moi s'il te plait. Lisy regarde-moi, sa voix était
douce. Lisy je suis désolé pour ton oncle, mais dis-moi, dis-moi
ce que t'a dit ta tante ?
— Elle n'est pas ma tante, répondis-je en élevant la voix.
Il me regarda surpris.
77
KRIS T.L — Oh ! Pardon. Je croyais que ton oncle et Lisbeth étaient
ensemble, j'ai dû mal comprendre.
— Non, ils le sont, mais je ne l'ai jamais considérée comme-t-
elle, elle n'a jamais voulu l'épouser de toute manière, me justifiai-
je.
Je ne savais même pas pourquoi je lui disais cela.
Techniquement elle était la femme qui partageait la vie de mon
oncle depuis plus de vingt ans et j'aurais pu la considérer comme
telle, mais depuis ma plus tendre enfance son côté complètement
intrusif et psychotique m'avait empêchée de créer un lien avec
elle. Elle était Lisbeth, un point c'est tout !
Je le sentis souffler, comme soulagé de me retrouver.
— Ne me fais plus jamais peur comme ça, O'Brian du Texas !
Il me fit un sourire, mais celui-ci n'illumina pas ses yeux.
— Mon oncle est mort, sanglotai-je.
Il hocha la tête et sans rien dire il se leva pour m'attirer dans
ses bras.
Je me laissais faire, sa douceur me surprit et fit tomber le
rempart que je m'étais construit durant toutes ces années. Et je me
mis à pleurer encore et encore, inondant ainsi sa chemise.
Je m'accrochais à lui comme à une bouée de sauvetage. J'étais
perdue au milieu d'un océan de pleurs, suffocant presque tant la
douleur me comprimait la poitrine.
78
Romagnas du Mont DavisMon oncle était mort. Mon père était mort. Ma mère était
morte. La douleur que je ressentais au fond de moi était
écrasante, la souffrance était telle que je n'arrivais plus à faire
face.
Il resta là et me serra un peu plus fort dans ses bras puissants,
me maintenant contre son corps chaud. Embrassant de temps en
temps mon front et mes tempes, me chuchotant des mots doux à
l'oreille pour que je me calme.
Je pouvais sentir ses mains posées sur ma taille, son souffle
dans mon cou. J'avais l'impression d'être dans un nuage de coton,
un endroit où plus rien ne pourrait me blesser.
— Chutttt, calme-toi.
Il me berça doucement, se balançant d'un pied sur l'autre et
continua jusqu'à ce que je relève les yeux vers lui.
— Je veux rentrer chez moi.
— Très bien, je vais appeler mon père et Matthew pour leur
dire que nous partons.
Il caressa ma joue et la chaleur de ses doigts me fit gémir.
— Matthew ?
— Matthew Mc Logan, agent de la GRC, mais aussi le fiancé
de ma sœur, mon futur beau-frère, mon meilleur ami.
— Oh, oui bien-sûr.
79
KRIS T.L J'avais vu son nom sur internet, mais je n'avais pas fait le
rapprochement avec Tess. Pourtant il était évident que Tess n'était
pas tombée enceinte par l'action du saint esprit.
— Elle n'est pas l'immaculée conception, marmonnai-je pour
moi-même.
Pourquoi n'avais-je pas pris la peine de vérifier si elle avait un
mari. J'aurais pu directement aller le voir, lui.
Tu aurais pu, mais avoue que ça aurait été dommage de ne
pas rencontrer Cummings.
— Immaculée conception, hein ? murmura Greg dans un
haussement de sourcils.
Et merde, j'avais encore parlé à voix haute.
— Eh bien, je peux t'assurer que pour les avoir entendus cette
nuit-là, elle n'est pas tombée enceinte en le regardant dans le
blanc des yeux.
Il fit une grimace qui me fit lâcher un petit rire sans joie.
Il se rapprocha une nouvelle fois de moi pour essuyer une
larme qui roulait sur ma joue.
— Bien, je crois que ma sœur n'apprécierait pas que je raconte
ses exploits nocturnes, aussi je te propose d'aller t'habiller
pendant que je rappelle mon père. Ensuite, let's go to the Texas !
80
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Huit
Le téléphone sonna dans le vide deux ou trois fois avant que
mon père ne daigne répondre.
Allez papa décroche !
J'étais complètement sur les nerfs, l'adrénaline courait dans
mes veines. L'idée que ma sœur puisse être en danger me bouffait
littéralement.
— Allo.
— Papa, c'est moi.
— J'allais justement t'appeler, je suis avec Matt, nous étions en
train de faire des recherches sur ta Lisy O'Brian.
— Et ? demandai-je d'une voix enrouée en bloquant sur les
derniers mots de mon père. Ma Lisy O'Brian.
— Elle est bien gynéco à El Paso. Elle est née à Lajitas le 4
avril 1985 et vit avec sa tante Maria Banavero depuis que son
père a été tué dans une fusillade.
— Une fusillade ?
— Oui. Son corps sans vie a été retrouvé sur les rives du Rio
Grande.
81
KRIS T.L Merde
— Elle n'avait que neuf ans à l'époque.
—Oui, je sais elle m'a dit que son père était mort alors qu'elle
n'était qu'une enfant.
— Elle t'en a parlé ?
— Ouais, enfin elle n'est pas rentrée dans les détails, précisai-
je rapidement.
— Où est sa mère ? Pourquoi est-elle partie vivre chez sa
tante ?
— Sa mère Catharina O'Brian, née Banavero, est morte en la
mettant au monde. Elle est fille unique.
Mais c'est terrible !
Elle était donc seule.
Je comprenais mieux sa souffrance et son désarroi face à la
perte de cet oncle. Mes parents étaient tous deux enfants uniques,
je n'avais aucune comparaison personnelle quant au lien que l'on
peut entretenir avec un oncle ou bien une tante, mais compte tenu
du contexte familial, je me doutais qu'elle avait reporté son
affection sur cet oncle qui avait dû représenter à ses yeux l'image
paternelle.
— Papa, nous devons partir.
— Quoi ? Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Tu as des nouvelles
de ta sœur ? Où est-elle ?
82
Romagnas du Mont DavisSa voix était tendue. Je regardai ma montre, merde ! Il était
plus de minuit.
— Nous partons pour El Paso.
— El Paso… Ta sœur est là-bas ?
— Lisy vient de recevoir un coup de fil de sa tante.
Sa tante ? Ouais, on va dire les choses comme ça ! Il était
inutile que je m'épanche sur les états d'âme de Lisy vis-à-vis de
celle-ci, c'était plus simple de la nommer de cette façon.
— Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais apparemment son
oncle, Enrique, est mort.
— Quoi ? Mais comment ?
— Je n'en sais rien, par contre ce que j'ai appris, c'est que ce
sont eux qui ont retrouvé Tess dans un camp de réfugiés à la
frontière mexicaine.
— QUOI ? Je n’y comprends rien, Greg. Que faisait ta sœur
avec des clandestins ?
— Je n'en sais foutrement rien papa, mais l'oncle et la tante de
Lisy aident les clandestins, ils interviennent comme médecins
dans une association, répondis-je calmement afin de faire
redescendre la pression.
— C'est quoi cette histoire ? Tu es sûr que cette O'Brian ne
nous mène pas en bateau ?
83
KRIS T.L — Non papa ! Je peux t'assurer qu'elle est honnête, j'ai analysé
chacun de ses items et je peux t'assurer qu'elle m'a dit la vérité, je
suis certain qu'elle a vu Tess et qu'elle n'a pas d'arrière-pensée.
— Je tiens à te prévenir quand même que ce que nous avons
trouvé au sujet de son père ne me plait pas du tout.
Il me semblait contrarié, mais je n'avais pas le temps de
m'épancher sur la question pour l'instant.
— Tu me raconteras ça plus tard, d'accord ?
— Greg, c'est important, insista-t-il.
— Écoute, je ne sais pas ce qu'a fait son père, mais j'ai
confiance en elle.
Je lui coupai la parole, ne voulant pas en savoir plus pour
l'instant, j'avais lu en elle comme dans un livre ouvert, elle était
honnête et loyale. J'avais envie de la croire, et puis de toute
façon, avions-nous seulement le choix ?
— Tu es sûr de toi ?
— Oui Pa. Et puis, j'ai moi aussi parlé à la tante de Lisy.
— Que t'a-t-elle dit ? Comment va ta sœur ? demanda-t-il
d'une voix angoissée.
— La communication a été coupée, dis-je, en sachant
pertinemment que je minimisais la situation.
84
Romagnas du Mont DavisJe savais qu'elle m'avait volontairement raccroché au nez, le
souci c'est que je ne savais pas pourquoi et que je ne voulais pas
inquiéter mon père inutilement.
— Elle était très agitée. Je pense que le fait d'avoir perdu son
mari l'a quelque peu désorientée et qu'elle était en pleine crise
d'angoisse.
— Je n'aime pas ça Grégory, son ton était dur, inquiet.
— Je sais, mais si j'en crois cette femme, Tess est sur le point
d'accoucher et nous n'avons plus trop de temps devant nous.
— Quoi ? Mais c'est trop tôt !
— Papa, s'il te plait, passe-moi Matthew, dis-je en essayant de
rester calme.
Il fallait que je le ménage car depuis plus de deux ans mon
père était suivi pour un problème cardiaque et il n'était pas
question qu'il nous fasse un malaise maintenant.
Mon père grogna dans le combiné avant de me passer mon
ami, mon frère, Matthew Mc Logan. Un écossais de pure souche,
mon meilleur ami, mais aussi le futur mari de ma sœur.
— Greg, dis-moi ce qu'il se passe ? Je vais devenir fou. Ton
père m'a fait venir en me disant que tu avais une piste sérieuse,
comment va Tess ?
— Matt, calme-toi, ok !
— Que je me calme ? Mais je ne peux pas me calmer, trois
mois Greg, trois mois que la peur me tord les boyaux.
85
KRIS T.L — Je sais Matt, mais pour l'instant j'ai besoin que tu te
ressaisisses et que tu fasses des recherches concernant une ferme
abandonnée située à Terlingua. Elle sert de base pour les
clandestins, c'est là que se trouvait Tess quand Lisy l'a vue pour
la dernière fois.
— Dans une ferme avec des clandestins ? Mais pourquoi ?
— On n'en sait rien, le coupai-je en me pinçant l'arête du nez.
J'imaginais mon père et mon ami en train d’halluciner. Moi
aussi j'étais totalement perdu. Comment Tess avait pu se
retrouver de près ou de loin en contact avec des clandestins ? Que
s'était-il passé durant ces trois mois pour qu'elle se retrouve à la
frontière mexicaine ? J'avais l'impression que ma tête allait
exploser.
— Tu viens de dire à ton père que tu as eu sa tante au
téléphone. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? Elle a bien dû te dire quelque
chose au sujet de Tess, te donner un indice ?
— Hey, du calme Bro, comme je l'ai dit : son mari est mort,
elle était paniquée, hystérique, en pleine crise de paranoïa aigüe.
— Elle t'a dit comment son mari est mort ?
— Non, j'ai essayé de lui parler, mais elle m'a raccroché au
nez.
Sincèrement sa réaction m'avait quelque peu énervé. C'est
vrai, quoi ! Elle aurait dû être heureuse de savoir que nous étions
86
Romagnas du Mont Davisà leur recherche, mais au lieu de ça, elle avait complètement
disjoncté.
— Fais gaffe à toi, ok ! Je ne sais pas où tu mets les pieds et je
ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose, ta sœur ne me le
pardonnerait pas.
— Ne t’inquiète pas pour moi, ok ! Pour l'instant ce que je
veux c'est la retrouver.
— Je sais, moi aussi, plus que tout au monde, assena-t-il, mais
je suis sérieux Greg, les choses ne sont pas claires dans cette
histoire. Son père a été impliqué dans une affaire de drogue.
Alors...
— Drogue ? le coupai-je surpris.
— Ouais, les cartels mexicains de la drogue gèrent la frontière.
Ils ont infiltré l’appareil d'État, les administrations régionales, la
police et l’armée, à tel point que les USA s’inquiètent de voir le
Mexique se transformer en narco-état.
— Mais quel est le lien avec Tess ?
— Peut-être a-t-elle vu quelque chose qu'elle n'aurait pas dû.
— Oui, c'est peut-être ça, répondis-je en inspirant un bon
coup.
— Bon écoute, avec ton père on va finir de se préparer. J'ai
l'adresse d'O'Brian, on vous rejoint directement là-bas. Vous ne
faites rien de stupide d'ici là et tu restes sur tes gardes, compris !
Il faut que je fasse des recherches et que je demande les
87
KRIS T.L autorisations nécessaires pour créer une passerelle avec le FBI
afin de pouvoir venir sur le sol US en tant qu'officier du GRC.
— Ok... Hé ! Matt ? l'interpelai-je avant de raccrocher. Fais ça
discrètement, je ne veux pas que l'on cause des ennuis à Lisy. Elle
n'a rien fait de mal, n'oublie pas que sans elle...
— Ok je ferai de mon mieux. Par contre il faudra que l'on
parle de ce que j'ai trouvé sur le père de ta copine, ajouta-t-il sur
un ton qui se voulait sans appel.
— Ma copine ?
— Je te connais assez pour comprendre en une seule phrase
que tu en pinces pour elle.
— Hey, c'est moi le psy, d'accord ! sifflai-je
— Ouais c'est ça ! Fais attention à toi, c'est clair ?
— À demain.
Je raccrochai, irrité de voir que mon meilleur ami pouvait lire
en moi si facilement. Matt était mon ami depuis plus de 17 ans.
Après le drame, nous avions déménagé pour nous rapprocher de
mes grands-parents maternels. Gabriel et Maryse Denoiseau,
expatriés français, venus s'installer au Canada dans la banlieue
d'Ottawa après la guerre.
Mes grands-parents avaient veillé sur nous, palliant ainsi à la
défection de mon père qui avait du mal à supporter la perte de ma
mère, Marielle. C'est à cette même époque qu'il s'était mis à
collaborer avec la police et à s'intéresser au profilage, s'en servant
88
Romagnas du Mont Davisd'exutoire, cela lui avait permis de se sentir utile et de faire en
quelque sorte son deuil.
Ma grand-mère qui était une femme incroyablement bonne et
aimante, l'avait soutenu en partageant ainsi sa peine et c'est avec
une patience d'ange qu'elle l'avait aidé à reprendre son rôle de
père auprès de ma sœur et moi.
Mes grands-parents étaient professeurs à l'université d'Ottawa.
Mon grand-père enseignait la musique et ma grand-mère donnait
des cours de français.
Tous les soirs, Matthew Mc Logan âgé d'une quinzaine
d'années était venu chez nous prendre des cours de guitare. Plus
posé, plus mature et s'était promu au rang de grand frère. Nous
prenant sous sa coupe il nous avait présentés aux autres enfants
du quartier et au fil du temps, nous étions devenus inséparables.
Avec les années, l'amitié qu'il avait envers ma sœur avait
quelque peu évolué et s'était transformée en amour. Je l'avais
d'ailleurs très mal vécu et cela nous avait valu une belle bagarre,
mais ma sœur avec son caractère bien trempé, m'avait fait
comprendre à coup de ciseaux dans mes fringues que si je
touchais encore à un seul cheveu de son amoureux, ce ne serait
plus à mes habits qu'elle s'en prendrait.
C'est donc dans la crainte de représailles que j'avais abdiqué et
cela pour son plus grand bonheur.
*
89
KRIS T.L La nuit allait être longue, plus de trois mille deux cent bornes
nous séparaient d'El Paso. Il allait nous falloir plus de 30 heures
de route pour arriver jusque-là. J'espérai que Lisy avait son
permis afin que nous puissions prendre le volant chacun notre
tour.
J'étais là à tourner comme un lion en cage, en attendant qu'elle
sorte de cette fichue salle de bains.
Je m'approchais de la porte légèrement entrouverte. Je ne
voulais pas paraître indiscret mais l'envie de jeter un œil était
vraiment tentante.
Elle était assise là, sur le rebord de la baignoire, à moitié nue,
les yeux baignés de larmes. Elle était en train d'enfiler ses bas et
faisait glisser le voile noir sur ses longues jambes. Elle était
magnifique et cela malgré la tristesse qui se dégageait d'elle à cet
instant.
Je déglutis et ma bouche se dessécha. Je ne désirais qu’une
seule chose, ouvrir cette porte, courir vers elle et la prendre dans
mes bras pour ne plus voir ce chagrin dans ses jolis yeux verts.
Matt avait raison, je n'étais pas insensible à ses charmes. Elle
avait tout ce qui me faisait rêver chez une femme.
Cummings ressaisis-toi, la situation est bien trop compliquée !
me sermonnai-je.
90
Romagnas du Mont DavisTrop de questions se bousculaient dans ma tête, trop de zones
d'ombre à éclaircir avant que je n'ose réellement me montrer tel
que j'étais.
Il fallait que je me reconcentre sur ce qui était important pour
l'instant, c'est à dire : ma sœur.
- Que faisait ma sœur avec des clandestins mexicains ?
- Que s'était-il passé à Terlingua pour qu'ils prennent la
fuite ?
- Comment ma sœur s'est-elle retrouvée en possession du
médaillon ?
- Comment est mort l'oncle de Lisy ?... et son père ?
Voilà toutes les questions auxquelles je devais répondre.
Il était mort alors qu'elle n'avait que neuf ans. Mon père venait
de me dire qu'elle était née en 1985, elle avait donc à ce jour
vingt-six ans.
Un rapide calcul s'imposa à moi, cela faisait donc dix-sept ans.
Cette constatation me fit froid dans le dos, me mettant face à mes
propres démons.
Ma gorge se serra en l'imaginant face à ce cercueil ouvert.
Cette douleur, je la connaissais, je l'avais vécue. J'étais à peine
plus vieux qu'elle quand quelqu'un m'avait arraché l'être que
j'aimais le plus au monde et cela devant mes yeux.
Ma mère.
91
KRIS T.L Sa souffrance faisait écho en moi et résonnait au plus profond
de mes tripes.
Elle aussi s'était formée une carapace pour se protéger, mais
celle-ci venait de se fendiller. La voir s'effondrer, pleurer, avait
ébranlé sérieusement ma propre armure.
Cummings, reprends-toi !
Dire que je l'avais trouvé forte, libre et obstinée. J'avais même
dû utiliser mon savoir pour l'emmener là où je voulais.
Un des principes fondateurs de notre belle société étant l'esprit
de contradiction, j'avais préféré jouer la carte de la psychologie
inversée plutôt que celle du charme.
-La manipulation : pour obtenir ce que je veux quand je veux.
-La dérision : afin de destabiliser son adversaire.
-Le plaisir ludique : les gens sont marrants quand on sait
jouer avec eux.
-L'apprentissage d'autrui : observer l'autre pour savoir dans
quelle direction aller.
-Et pour finir le plaisir inaliénable d'avoir raison et de
regarder l'autre se vautrer alors qu'il sait pertinemment qu'il est
en train de faire une bêtise monumentale.
Mais voilà, à présent je me sentais mal face à sa douleur. En
l'espace de quelques heures mon cœur ne battait plus de la même
façon et c'était quelque chose d'inattendu en ce qui me concerne.
92
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Neuf
J'étais enfin prête, il était temps pour nous d'y aller. Il fallait
que j'affronte mon destin et que je me fasse à l'idée que la mort
allait de nouveau dresser son voile sombre sur moi. J'étais
fatiguée et la boule qui pesait sur ma poitrine ne faisait que
grandir, se nourrissant au passage de chaque cellule de mon
corps. Il fallait que je puise au plus profond de moi pour trouver
la force de faire face à tout ça. Qu'allais-je trouver en arrivant à la
maison ? Comment dire à Maria que son frère était mort ? Et
Lisbeth, qui allait s'occuper d'elle ? Tant de questions, tant de
choses étaient sur le point de changer.
J'aurais voulu rester dans cette chambre d'hôtel car ici je me
sentais en sécurité, ici je pouvais imaginer que mon oncle était
toujours en vie et qu'il s'occupait de nos vignes sur le Mont
Davis.
Quittant cette salle de bains, mes yeux se posèrent sur
Grégory. Il semblait perdu, absorbé dans ses pensées, les yeux
collés sur une photographie.
— Qu'est-ce que c'est ? demandai-je en me rapprochant de lui,
intriguée.
93
KRIS T.L Il semblait tellement triste que mon chagrin et mon angoisse
me semblèrent bien fades.
— Rien, murmura-t-il en se levant, replaçant par la même
occasion la photographie défraîchie dans son portefeuille en cuir.
— Oh ! Fut le seul son qui sortit de ma bouche, acceptant que
lui aussi ait ses zones d'ombre.
Moi, j'en avais tellement que parfois j'avais l'impression de ne
vivre qu'avec des fantômes.
— On y va ?
Je hochai la tête en le suivant docilement vers la porte
d'entrée.
J'avais la nette sensation que la vie me présentait une nouvelle
épreuve et que mon destin était lié à celui de Grégory. Je le
regardais marcher devant moi et même si j'étais terrorisée face à
ce qui se profilait à l'horizon, j'étais prête à le suivre, lui, les yeux
fermés.
*
Nous quittâmes la chaleur de l'hôtel, pour nous plonger dans la
nuit froide de Toronto.
Il était près d'une heure moins le quart et l'air ambiant avait
chuté de cinq degrés supplémentaires. Nous avions fait à peine
dix pas que mes dents se mirent à claquer jusqu'à m'en décrocher
la mâchoire. Grégory se rapprocha de moi et m'attrapa par le bras
afin de me maintenir au chaud contre son corps.
94
Romagnas du Mont Davis— Viens là, me dit-il, me collant contre lui.
Je me laissais faire, appréciant le contact de sa main sur le bas
de mon dos. Nous avançâmes en longeant le trottoir jusqu'à ce
que nous nous retrouvions devant un gros 4x4 noir garé sur le
bas-côté.
Un Porsche Cayenne ! siffla ma conscience.
L’extérieur de cette magnifique voiture était décidément à la
hauteur de la réputation de Porsche. Comme tous les véhicules de
la marque, ce véhicule sport présentait une silhouette sportive,
énergique et typiquement masculine. En effet, ses ailes fortement
galbées, ses nouvelles entrées d’air avant avec ses jantes en
alliage lui conféraient une impression de puissance, un
aérodynamisme poussé.
— Un Porsche Cayenne, rien que ça !
Je n'étais pas si loin en fin de compte, même si je l'aurais plus
facilement imaginé au volant d'une Porsche Panamera.
— Ferme ta bouche, tu baves, me dit une voix que je
commençais à connaître.
— Oh ça va ! Pas la peine de te la péter Cummings, ce n'est
qu'une caisse.
— Quoi ? Qu'une caisse, ça ? Me nargua-t-il en me tendant les
clés.
95
KRIS T.L — Oh ! Tu veux que je conduise ? demandai-je en levant
aussitôt les mains pour les attraper.
— Trop tard ! ajouta-t-il en les plaçant hors de portée.
— Hey !
— Non, tu viens de vexer Veronica, il n'est pas question que je
te prête ma voiture.
— Veronica ? Tu as donné un petit nom à ta voiture ?
demandai-je en me pinçant les lèvres pour ne pas éclater de rire.
— Ça te pose un problème O'Brian ?
— Pas le moins du monde.
— Je suis heureux de te voir sourire à nouveau. Son regard
était chaud, extrêmement doux. Mais tu viens d'aggraver ton cas,
ma voiture est très susceptible, me souffla-t-il dans le creux de
l'oreille en même temps qu'il appuya sur la télécommande pour
déverrouiller les portières.
— Loin de moi l'idée de me moquer, mais si tu me laisses
conduire, je te dirai peut-être le nom de MA voiture.
— Oh ! Mademoiselle a donc le permis ?
— Non pas du tout, j'ai un âne !
— Bon, allez, pas la peine de sortir ton gun, Calamity Jane,
monte au chaud dans la voiture.
Il me fit une révérence en m'ouvrant la portière.
96
Romagnas du Mont Davis— Hey, je suis née au Texas, pas dans le Missouri, Cummings,
va falloir revoir tes classiques, dis-je en montant à bord de cet
énorme 4x4.
— Oh, excusez-moi du peu, Miss O'Brian. Je vois que tu es
une experte dans la conquête de l'ouest.
— Ne vous en déplaise monsieur Cummings, je ne suis pas
qu'une experte en toucher vaginal et je pourrais bien te
surprendre, répondis-je en lui lançant une œillade.
— Outch' ! Touché ! se moqua-t-il une main sur le cœur.
Installée confortablement à l'intérieur, mes yeux se régalèrent
du spectacle. L'habitacle était sublime, de couleur Camel, l'odeur
du cuir mélangée à celui de l’alcantara proférait une touche de
neuf. J'attachais ma ceinture en osant un regard vers lui et il était
là tout sourire, fier de son effet.
— Prête ?
— Oui, dis-je en inspirant un bon coup.
— Très bien, alors allons chercher ma petite sœur, murmura-t-
il en enclenchant la vitesse automatique.
Je fis oui de la tête. L'angoisse pesait sur mon cœur, mais ce
n'était pas le moment de flancher, il fallait avancer pour retrouver
Tess et Lisbeth et cela quoiqu'il nous en coûte.
— Tu as froid ? demanda Cummings en voyant que je
m'emmitouflais dans mon manteau, me collant un peu plus dans
le fond de mon siège.
97
KRIS T.L Sans attendre ma réponse il augmenta le chauffage. Lui aussi
avait les traits tirés : il avait ce petit v entre les sourcils, et la
lueur de malice qui brillait dans ses yeux quelques secondes
auparavant avait de nouveau disparu.
Je fis non de la tête. C'était seulement la tension qui retombait
et me faisait trembler.
Mettant le clignotant à droite, il tourna en direction de
l'autoroute Queens Elisabeth Way.
Collant mon front contre la vitre, je regardais la route défiler
devant mes yeux. Le bitume recouvert d'une couche de gel brillait
sous les réverbères, la pluie verglaçante avait cessé, mais le ballet
incessant des saleuses ainsi que les gyrophares orangés de la
voirie qui dégageaient les débris du carambolage ayant eu lieu en
début de soirée nous donnaient l'impression d'avancer au ralenti.
— La route va être longue, tu devrais dormir.
— Je n'ai pas envie de fermer les yeux.
— Oh ! Mais dans quelques heures tu vas devoir prendre le
volant de ce petit bijou et ...
— ... Et tu n'aimerais pas que j'abime ta Veronica, le coupai-je
en roulant des yeux.
Il hocha la tête en me faisant la moue.
— Tu sais pour ton information, j'ai quelques heures de
conduite derrière moi, fanfaronnai-je.
— Quelques heures, seulement ?
98
Romagnas du Mont DavisIl se détendit visiblement.
— En fait, j'adore conduire, dis-je en souriant.
Concentré sur la route, je pouvais le contempler à loisir.
Il était séduisant. Une mèche rebelle retombait sur son front,
son nez aquilin, son teint hâlé, ses yeux malicieux, son petit
sourire en coin. Il était si grisant à observer.
— Et ? demanda-t-il, tout à coup intéressé par ce que je lui
disais.
— Mon ex-petit ami était pilote.
Il fronça les sourcils.
— Tu es sérieuse ?
— Absolument, il faisait partie de l'équipe Mexicaine pour le
Rallye WRC, c'est lui qui m'a tout appris, affirmai-je en fronçant
les sourcils.
Oh, oui ! Il t'a tout appris, ironisa Jiminy en roulant des yeux.
— Tu m'en diras tant, alors je n'ai aucun souci à me faire pour
ma Veronica ? ajouta-t-il avec sarcasme.
Hey, jaloux ?
— Aucun.
Il me fit un sourire pincé avant d'allumer son lecteur CD et la
chanson « Lullaby » de Sia s'éleva dans les airs. En moins de
trois minutes mes yeux commencèrent à papillonner, j'étais
surprise que Cummings écoute ce style de musique, cela nous
99
KRIS T.L faisait au moins un point en commun. Deux avec le vin, me
chuchota ma sale petite voix.
— Deux, murmurai-je avant de m'endormir.
*
— Allez marmotte, réveille-toi. Il est temps pour nous de faire
une pause.
— Je veux un Matcha Latte, grognai-je entre mes dents.
— Et un Matcha Latte pour la dame.
— Quoi ?
Oh ! Nous étions dans la file d'attente d'un drive.
— Qu'est-ce qui t'arrive O'Brian, tu n'es pas du matin ?
— Mmm, grognai-je.
Après avoir réglé notre commande à la jeune femme qui tenait
la caisse du drive, nous allâmes nous garer quelques mètres plus
loin sur une aire de repos.
— Où sommes-nous ? demandai-je en me frottant les yeux.
— Indianapolis. Il est six heures et j'ai besoin de faire une
pause, bailla-t-il en s'étirant. Tiens, voilà ta tasse.
— Oh ! Merci, soupirai-je de plaisir en portant le gobelet à
mes lèvres.
— Eh bien, je veux bien me dévouer et t'apporter tous les
matins un Matcha Latte si tu soupires comme ça dans mes
oreilles.
100
Romagnas du Mont Davis— Cummings, arrête de parler, tu veux !
Merde, il me faisait quoi là, du charme ? Où était passé le con
arrogant et sexy d'hier soir. Enfin, sexy, il l'était toujours et ce
malgré la fatigue et les heures de conduite tirant ses traits.
— Oui. M'dame !
— Mumm, ronronnai-je de plaisir en fermant les yeux.
— O'Brian, arrête ça, tu veux !
Je lançai un regard en biais, il était là, pupilles dilatées en train
de mordre sa lèvre inférieure.
Wow putain de réveil, me cria ma conscience. J'aime ce mec,
c'est mon pote !
— Oh ! Pas maintenant...
— Pas maintenant, quoi ?
La barbe, j'avais de nouveau parlé à haute voix.
— Pas toi... lui, dis-je en me tapant la tempe.
— Lui ?
— Mon Jiminy !
— Ton Jiminy ?
— Ouais mon Jiminy Cricket, dis-je en haussant les épaules.
Ça va, fais pas le choqué, tout le monde a un Jiminy, marmonnai-
je entre mes dents.
Ok ! Laisse tomber Cummings.
101
KRIS T.L Il se mit à rire franchement en hochant la tête.
—Je suis avec une folle, éclata-t-il de rire, portant son gobelet
fumant à sa bouche.
— Je t'ai entendu.
Je grognai de frustration en sortant du véhicule pour me
dégourdir les jambes. Nous étions sur un espace aménagé, il y
avait des tables de pique-nique, un téléphone public, des toilettes
et des espaces de stationnement pour différents types de
véhicules. À quelques mètres de là se trouvaient un terrain de
jeux, une borne et un bureau d'information touristique.
Il faisait effroyablement froid, et l'air frais finit par me
réveiller.
— Tu veux un croissant ? demanda-t-il, pointant un sachet
rempli de délicieuses viennoiseries françaises.
—Tu sais que je pourrai t'épouser, affirmai-je en mâchouillant
un bout de croissant.
Oh merde ! souffla Jiminy en le voyant blêmir.
— Hey, détends-toi, je plaisante. Il faudrait d'abord que je
demande ta main à ta mère, et pour ça on ne se connaît pas assez.
Je le vis froncer les sourcils, puis sans rien dire, il tourna les
talons et partit se réfugier dans la voiture côté passager.
Oh ! C'était une blague! Pas la peine d'en faire toute une
histoire ! Qu'avais-je dit qui puisse le rendre si taciturne ?
102
Romagnas du Mont Davis— Excuse-moi ! dis-je en montant à bord du véhicule.
— Ce n'est rien, y a pas de mal !
— Je vois bien que je t'ai blessé, et j'ai horreur de faire du mal
aux gens, alors...
—Ma mère est morte, le sujet est clos.
103
KRIS T.L
104
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Dix
Cela faisait plus de quatre heures que je conduisais, j'avais
passé mon temps à ressasser les dernières paroles que nous
avions échangées.
Sa mère était morte. Quand ? Comment ?
Il avait employé les mêmes mots que j'avais utilisés pour mon
père. Il l'avait fait sciemment, c'était une évidence et quelque part
cela me rendit triste qu'il ne veuille pas m'en dire plus.
Peut-être était-ce une manière de me faire comprendre que lui
aussi avait vécu des choses terribles et que nous pourrions peut-
être nous faire confiance mutuellement.
J'étais tellement effrayée par ma vie et ma souffrance que je
n'osais la partager. Comment faire comprendre à quelqu'un que
sous mes airs de jeune fille au caractère bien trempé, j'étais
quelqu'un de fragile ayant peur de l'abandon.
La crainte de perdre les personnes auxquelles je tenais le plus
avait fait de moi une personne sauvage n'aimant pas se laisser
aller. Mais encore une fois, et ce malgré le fait que je tienne ma
vie sous un contrôle absolu, celle-ci venait de me démontrer que
105
KRIS T.L je n'étais à l'abri de rien et que quoique je fasse la mort savait
réclamer son dû le moment venu.
La perte de mon oncle m'était insoutenable. J'avais
l'impression que quelqu'un était en train de s'amuser à m'arracher
le cœur. Le lien que j'avais entretenu avec lui durant toutes ces
années avait été fantastique. Il m'avait chapeauté tout le long de
mon internat et c'est grâce à son soutien et à ses conseils que
j'avais pu suivre mon cursus et finir avec deux ans d'avance. Il
avait eu confiance en moi, en mes capacités et si la relation avec
Lisbeth n'avait pas été si compliquée, j'aurais accepté de vivre
avec lui avec plaisir.
Lisbeth... pensai-je. Comment va-t-elle gérer la mort de mon
oncle, comment va-t-elle faire toute seule ?
L'idée de devoir la prendre en charge émotionnellement me
terrifiait. Je n'avais jamais su m'y prendre avec elle. Sa
possessivité, son intrusion m'avait littéralement fait fuir à des
centaines de kilomètres d'eux. Et lorsque je venais les voir
pendant les vacances, je passais le plus clair de mon temps avec
mon oncle dans notre maison au Mont Davis.
J'avais tenu à la conserver et avec son aide, nous avions retapé
cette veille bicoque défraîchie. À présent elle avait l'eau courante
et grâce à des panneaux solaires nous avions même l'électricité
ainsi que la télévision.
106
Romagnas du Mont DavisNous avions racheté des pieds de vigne et j'avais même fait
planter des Romagnas. Une variété de fleurs des champs que ma
mère affectionnait tout particulièrement.
Mon père et ma mère s'étaient aimés dans cette maison, et c'est
dans cette maison, au dire de mon oncle, que j'avais été conçue
un soir de 4 Juillet.
Mais aujourd'hui, en ce jour funeste, cette maison ne
représentait à mes yeux que désolation et tristesse. Dire que
j'avais espéré y voir grandir un jour mes propres enfants. Leur
faire connaître l'amour de la terre, du vin, des fleurs et de la
liberté. Mais sans mes parents, sans mon oncle, tout cela me
semblait désormais impossible.
— Ne pleure pas, me souffla Grégory en essuyant une larme
du bout des doigts. Afin d'approfondir son toucher, je laissai
retomber ma tête contre le dos de sa main.
En l'espace de quelques heures il avait exécuté ce geste par
deux fois et à chaque fois j'avais ressenti ce petit quelque chose
en plus qui me faisait me sentir importante à ses yeux.
Il était réellement doux et protecteur, tant et si bien que tous
les à priori que j'avais eus sur lui s'étaient envolés au moment
même où il m'avait prise dans ses bras.
Il était tellement différent de la personne que j'avais rencontrée
quelques heures auparavant dans ce bureau froid et austère.
107
KRIS T.L — Tu veux que je reprenne le volant ? me demanda-t-il,
soucieux.
Je fis non de la tête, reniflant, les yeux fixés sur la route,
conduire m'évitait de trop m'épancher sur la situation.
*
Au bout de quelques kilomètres le besoin de m'arrêter se fit
ressentir, ma vessie se rappelant à mon bon souvenir. Nous
venions de passer Belleville et la prochaine ville se trouvait à
plus de cinquante-huit kms.
— Qu'est-ce que tu as ?
— Rien.
— Arrête-toi, me proposa-t-il en comprenant d'où venait ma
gêne.
— Je ne peux pas faire ça, le coupai-je aussitôt en fronçant les
sourcils.
— Tu ne peux pas le faire ?
À son petit sourire narquois, je vis qu'il s'amusait de la
situation.
—Écoute, je ne suis pas un mec, d'accord. J'ai besoin d'avoir
un minimum de confort.
— Oh ! bien sûr, je comprends ! se moqua-t-il en roulant des
yeux.
108
Romagnas du Mont Davis— Vas-y, moque-toi.
Nous roulâmes quelques bornes supplémentaires, mais n'en
pouvant plus je stoppai la voiture sur le bas-côté. M'éjectant du
véhicule, je partis me cacher derrière un talus pour faire ma petite
affaire.
Un bruit à quelques mètres de moi me fit sursauter.
— Cummings, c'est toi ?
N'obtenant pas de réponse je repris où j'en étais. Sentant
quelque chose me passer entre les jambes, de surprise et de peur
je tombai à la renverse en poussant un hurlement, me retrouvant
par la même occasion les quatre fers en l'air.
— O'Brian, où es-tu ? cria Cummings
Après ta valise Hello Kitty, voici ta deuxième humiliation, me
chuchota Jiminy.
— Là, couinai-je alors qu'une boule de poils sortait du fourré.
— Oh mon Dieu ! soufflai-je en regardant cette foutue bestiole
qui se rapprochait dangereusement de moi.
— Cummings...
Ce monstre aux dents pointues commençait à ouvrir sa gueule.
Grégory armé d'un bâton se présenta devant l'animal, celui-ci
effrayé se laissa tomber sur le sol, couché sur le côté, le corps
raide, les yeux fixes, sa mâchoire béante laissait entrevoir une
langue pendante. II bavait et déféqua une substance verdâtre si
109
KRIS T.L nauséabonde que Cummings recula de quelques pas en se
bouchant le nez.
— Wow putain, mais c'est quoi ce truc ? demanda-t-il le bâton
en l'air.
— Tu crois qu'il est mort ? lançai-je confuse.
Cummings se rapprocha de lui, une main couvrant son nez et
sa bouche.
— Pas la peine de crier, ce n'est qu'un petit opossum de rien du
tout, rigola-t-il, le secouant à l'aide du bâton.
Petit ?
Au même moment la bestiole se redressa sur ses pattes, nous
surprenant et nous faisant hurler tous les deux comme des filles,
et détala à toute vitesse en feulant.
— Ferme les yeux Cummings et tends-moi la main.
Mes bas étaient déchirés, et pire que tout, j'avais des épines de
chardon dans les fesses.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Il faut que l'on trouve une pharmacie, marmonnai-je en
sifflant de douleur.
— Pourquoi ? Tu t'es fait mal, ce truc t'a mordu ? demanda-t-il
en se tournant vers moi, affolé.
— Ferme les yeux, Cummings, criai-je, le pointant du doigt.
— Tu devrais me laisser voir, n'oublie pas que je suis docteur.
110
Romagnas du Mont Davis— Tu es psy, pas médecin, aide-moi et ramène-moi à la
voiture, dis-je en m'accrochant à son bras. Nous nous faufilâmes
entre les herbes hautes, puis remontant le talus, nous nous
retrouvâmes sur le bord de la route à l'arrière de la voiture.
— Banquette, ordonnai-je.
Il s'exécuta en m'ouvrant la portière. M'engouffrant à
l'intérieur, je me plaçais à plat ventre, les fesses en l'air.
— O'Brian ne pointe pas tes fesses comme ça vers moi.
— Ce n'est pas le moment Cummings, rétorquai-je en serrant
les dents.
— Tu vas me dire ce qui t'arrive, oui ?
— J'ai des épines.
— Des épines ?
— Oui, des épines. Quand ce truc immonde m'a attaquée, je
suis tombée à la renverse les fesses dans des chardons et j'ai des
épines logées là où il faut, criai-je énervée.
— Adieu symbole du Missouri.
— Quoi ?
Est-il en train de comparer tes fesses à un symbole ? se moqua
Jiminy.
— Oui, tu viens de détruire une plante en voie de disparition.
— Je peux t'assurer que mes fesses regrettent que cette plante
ne soit pas complètement éradiquée de la planète.
111
KRIS T.L — Mmm, pas moi.
— Cummings, criai-je en le fusillant du regard.
— Oh ! Ok ! Pas de souci. On va trouver une pharmacie.
Pendant plus d'une heure je gémissais sur la banquette arrière
de sa voiture, angoissant d'avance à l'idée de devoir lui demander
de l'aide. Mais il fallait que je me fasse à l'idée qu'à moins que ma
tête ne tourne à 180° ou qu'un troisième bras me pousse dans le
dos, j'allais devoir lui faire confiance.
Nous arrivâmes dans le centre-ville de Pacific. Il se gara
devant un centre commercial, le logo d'un établissement
pharmaceutique clignotait juste à l'angle d'un Tex Mex.
— Là-bas, regarde, il y a un motel, nous devrions faire une
pause. Cela nous fera le plus grand bien et je pourrai m'occuper...
de ... ça ! se moqua-t-il en reluquant une nouvelle fois mes fesses.
— Rêve pas Cummings ! répondis-je en enfouissant ma tête
dans mes bras.
— Je ne rêve pas, je sais seulement que sur ce coup-là tu vas
avoir besoin de moi. Il haussa par deux fois les sourcils puis
refermant la porte du 4x4, il partit en courant vers le centre.
Oh ! Mais pourquoi suis-je descendue de cette voiture ?
— Argggggggg ! criai-je en insérant mon poing dans la
bouche.
Et puis il fallait qu'il arrête de regarder mes fesses comme ça !
J’étais tendue, j'avais mal, son regard de braise n'avait pas quitté
112
Romagnas du Mont Davisle rétroviseur. Et m'imaginer le derrière à l'air devant lui me
rendait...
— Argggggggg !
Je deviens folle. Et puis qu'est-ce qu'il fout ? Il ne faut pas dix
ans pour acheter trois compresses, et de la crème
antihistaminique.
Au bout de trente minutes, il revint en arborant un sourire
victorieux.
— Allez viens, je nous ai réservé une chambre pour nous
reposer quelques heures, je vais pouvoir m'occuper de toi... Sa
langue passa sur sa lèvre inférieure. On pourra se commander
quelque chose à manger.
— Quoi ? demandai-je rougissante.
— Rien, ramène tes fesses O'Brian, finit-il par ajouter en
hochant la tête de gauche à droite comme s'il en chassait une
idée.
Je soufflai un bon coup, attrapant sa main au passage pour
m'aider à m'extraire de la voiture. La température ambiante était
quelque peu remontée en ce début d'après-midi. Une pluie fine
tombait sur nos épaules, il ramena mon corps contre le sien
comme si ce geste était devenu familier entre nous.
Ce corps qui épousait le mien à la perfection. Ce corps contre
lequel je me sentais si bien.
113
KRIS T.L Ce corps... se mit à gémir mon Jiminy en voyant l'hôtel se
profiler à l'horizon.
114
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Onze
Alors que nous passions devant une boulangerie située au coin
de l'avenue, l'odeur d'un Gooey butter cake me chatouilla les
narines, c'était une spécialité du Missouri à base de beurre gluant
et de sucre. L'air en était saturé.
— Tu as faim ? me demanda Cummings pendant que nous
étions en train de nous diriger vers l'hôtel.
Je fis oui de la tête tout en continuant d'avancer, car avant de
manger quoique ce soit je voulais absolument régler ce petit
problème qui m'incommodait de plus en plus.
L'hôtel était beaucoup plus typique que celui de Toronto,
moins onéreux, il était adapté aux gens de passage et aux
représentants.
La déco de Noël était installée mais il n'y avait rien de
clinquant ni d'ostentatoire. J'observai Cummings du coin de l'œil,
il n'oscilla pas d'un sourcil, parfaitement à l'aise.
Oh ! Alors comme ça, tu n'es pas si pédant Cummings, tu sais
te montrer humble et tu peux vivre parmi tes semblables !
Décidément sa popularité était en train de remonter en flèche, car
plus je passais du temps avec lui et plus je l'appréciais.
115
KRIS T.L Il partit réserver une chambre, je restai en retrait, ne voulant
pas attirer les regards sur mon accoutrement. Lorsqu'il me fit
signe de le suivre, je pressai le pas dans sa direction. Mon
comportement ne passa pas inaperçu et le réceptionniste me
détailla de la tête aux pieds en fronçant les sourcils.
Tu repasseras pour la discrétion, me chuchota Jiminy, alors
que je tirai un peu plus sur le bas de ma robe.
Cummings se tenait déjà devant la porte, carte magnétique en
main et sac pharmaceutique dans l'autre. Insérant la carte dans le
boitier, nous attendîmes tous les deux que cette satanée lumière
passe au vert. Moi je n'avais jamais su faire marcher ce truc, je
pouvais m'acharner pendant des minutes entières avant que le
voyant ne daigne passer au vert.
J'étais là, trépignant d'impatience ne pensant qu'à une seule
chose, mes fesses en feu.
Lorsque la porte s'ouvrit enfin, je rentrai en trombe et sans
réfléchir je quittai bottes, bas, robe.... tout ce que j'avais sur le
dos.
— Euh ! Je crois que je vais aller chercher ta valise dans la
voiture, murmura Cummings en déposant le sac plastique sur la
table de chevet. Mets-toi à l'aise, ajouta-t-il en faisant demi-tour.
— Oh oui... excuse-moi.
Merde ! J'étais là en tanga au milieu de cette chambre. Que
devais-je faire d'autre ? Comment allait-il s'y prendre pour me
116
Romagnas du Mont Davisretirer ces épines ? Devais-je m'installer sur le lit ? Ou attendre
qu'il revienne pour me mettre sur ses genoux ?
Mmm... Ses genoux.
Mon esprit quelque peu déviant me fit rougir férocement. Je
repensai à ce livre que j'avais lu il n'y a pas si longtemps, une
lecture avec un certain « Christian Grey, Fifty Shades of Grey de
James E.L ». Ce maître de l'univers avait nourri mes fantasmes
jour et nuit et j'en gardais jalousement le premier tome dans mon
sac à main.
Oh mon dieu, la situation était des plus gênantes, peut-être
aurions-nous dû demander à la réception si un médecin officiait
dans les environs.
Mais pour cela, il aurait fallu que nous ayons du temps devant
nous.
Pendant le trajet, j'avais essayé à plusieurs reprises de rappeler
Lisbeth, mais à chaque fois je tombais sur sa boite vocale.
— Mon oncle est mort, murmurai-je avec tristesse. Et tout ça
va finir par me rendre folle, ajoutai-je en me dirigeant vers la
salle de bains.
Retirant ma culotte et mon soutien-gorge, je me glissai sous la
douche. Capturant un peu de gel directement dans le distributeur
mis à disposition par l'hôtel, je me savonnai. Dès que ma main
entra en contact avec ma peau, une sensation de fraîcheur se
propagea sur mon corps. La texture était souple et agréable,
117
KRIS T.L l'odeur de menthe réveilla ma peau et une chair de poule se
répandit sur mon corps un peu comme lorsque l'on mange un
chewing-gum à la menthe ultra forte.
Cela faisait maintenant un petit moment que Cummings était
parti, et je commençais sérieusement à m'inquiéter.
Fermant les robinets, je quittai la chaleur rassurante de cette
douche pour m'enrouler dans une large serviette. Celle-ci ne
sentait rien de particulier, si ce n'est la propreté mais lorsque le
tissu frôla le haut de ma fesse, je gémis en poussant un petit cri.
— Je suis rentré, cria Cummings au même moment.
Je déglutis en soufflant un bon coup.
Allez, tu vas juste lui montrer un tout petit bout de peau. Ce
n'est pas comme si tu lui offrais ta virginité, murmura Jiminy en
roulant des yeux.
Lui donner ma virginité ?
L'idée n'était pas pour me déplaire, mais le souci était que je
n'étais plus vierge !
Après quelques minutes, je sortis de cette salle de bains. Il
était debout près de la fenêtre, l'air absent. Moi je restais là, mal à
l'aise, n'osant bouger, attendant qu'il se retourne pour me dire
quoi faire.
Il était divinement beau et son côté mélancolique le rendait
terriblement attirant.
Inspire, expire, me souffla ma conscience.
118
Romagnas du Mont Davis— Tu es prête ?
Cummings semblait tout aussi intimidé que moi, tendu, il
évitait soigneusement mon regard.
— Oui.
— Tu devrais t'allonger sur lit, ajouta-t-il d'une voix rauque.
— Oui.
— Cela t'ennuie si je vais prendre une douche ?
Je relevai les yeux vers lui, confuse.
— Euh ! Non vas-y...
— C'est juste pour me rafraîchir et me réveiller avant de
m'occuper de toi...
S'occuper de moi ! Je hochai la tête, ne sachant que répondre.
Mon cœur loupa un battement et les muscles intérieurs de la
partie la plus sombre de mon corps se resserrèrent de façon
délicieuse.
— J'en ai juste pour une minute.
Il attrapa un sac en papier kraft posé sur la commode puis
partit s'enfermer dans la salle de bains.
J'enroulai la serviette autour de ma taille, puis je fis ce qu'il
venait de me demander en m'allongeant à plat ventre sur les draps
frais. Lorsque les robinets d'eau se mirent en marche, je ne pus
m'empêcher de penser à cette eau se déversant généreusement sur
ses épaules. L'envie de goûter sa peau mentholée du bout de ma
119
KRIS T.L langue se répercuta jusque dans le bas de mon ventre,
m'émoustillant et me faisant gémir alors que mes jambes se
frottèrent l'une contre l'autre.
Décidément, j'étais réellement en train de perdre les pédales
face à cet homme à la sensualité exacerbée.
Au bout de quelques minutes il en ressortit, osant un regard
vers lui, je ne pus retenir un léger couinement lorsque je le vis
avancer vers moi.
Son corps musclé, son torse légèrement parsemé de poils, ses
abdos saillants, son V avec ce sentier heureux.
Oh mon dieu, il était la perfection incarnée.
Il replaça le sac en papier kraft sur la commode et plia ses
habits sur le dossier de la chaise. Se penchant en avant, je restai
hypnotisée par l'élastique de son boxer blanc qui moulait
parfaitement ses fesses. Il retira du sac un jean neuf. Prenant le
temps d'enlever les étiquettes avec ses dents, sa mâchoire se
crispa sur l'attache en plastique qui céda d'un seul coup, je frémis
en imaginant sa bouche sur certaines parties de mon corps.
— C'est nouveau ? demandai-je surprise,
— Je suis allé m'acheter des fringues pendant que tu étais sous
la douche, murmura-t-il en me tournant le dos. Je ne supportais
plus cette odeur de vin sur moi.
120
Romagnas du Mont Davis— Oh oui ! Je suis sincèrement désolée, murmurai-je en
repensant à mon verre de vin à l'hôtel. Il faudra que tu me donnes
ta chemise pour que je la lave.
— Ce n'est rien, ne t'en fais pas pour ça.
— Mais j'y tiens, ajoutai-je en le regardant enfiler son jean.
La scène qui se déroulait devant mes yeux, se passa comme au
ralenti, passant une jambe après l'autre, il fit remonter son jean
doucement le long de ses mollets et ses cuisses. Je me mordis
l'intérieur de la joue pour ne pas haleter tant la vision de ce jean
emprisonnant ses fesses me consumait toute entière.
Il se retourna vers moi et me regarda avec un petit sourire en
coin. Je fermai les yeux en plaquant mon nez contre l'oreiller. Lui
aussi allait me rendre folle. Ses pas avaient beau être amortis par
l'épaisseur de la moquette, je le sentis se rapprocher. S'installant
sur le bord du lit, il posa son genou contre mon corps, puis
repliant sa jambe il s'assit dessus.
— Tu as mal ?
— Un peu, marmonnai-je en tournant mon visage vers lui.
Mes yeux se posèrent instinctivement sur les boutons de son
jean qui n'étaient pas fermés et cela me fit rougir de plus belle.
Délicatement il balaya mes cheveux de mon visage, dégageant
ainsi ma nuque il laissa courir ses doigts le long de ma colonne
vertébrale jusque dans le bas de mon dos. Ses doigts frôlèrent la
121
KRIS T.L serviette et de son index il dessina le contour de mon tatouage
situé dans le creux de mes reins.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il d'une voix enroué.
— Romagnas, murmurai-je en frissonnant à son contact.
C'était la fleur préférée de ma mère.
— C'est très joli.
— Avec mon père, nous lui en apportions tous les week-ends.
— Tous les week-ends ?
— Elle...
Une boule se forma dans ma gorge m'empêchant dans dire
plus.
— Elle ?
— Elle est morte en me mettant au monde, soufflai-je en
fermant les yeux.
— C'est vrai, murmura-t-il pour lui-même. Je suis désolée. Je
n'aurai pas dû te demander.
— Ce n'est rien. Avec mon père nous allions tous les
dimanches apporter sur sa tombe un bouquet de Romagnas. Ce
tatouage a été une manière pour moi d'honorer ce rituel quand je
suis partie faire mes études loin de la maison. Une manière de
leur prouver que je ne les oubliais pas.
— C'est très délicat comme dessin, rajouta-t-il en abaissant un
peu plus la serviette pour pouvoir l'admirer.
122
Romagnas du Mont Davis— Merci, murmurai-je troublée.
C'était la première fois que j'expliquais à quelqu'un la raison
de ce tatouage. Cet instant était comme un moment suspendu,
comme si le temps s'était figé tant ses gestes étaient empreints de
sensualité et douceur. Je savais qu'il avait une vue imprenable sur
mes fesses et que mon corps ainsi découvert n'avait plus de secret
pour lui, mais cela n'avait aucune importance.
— Je peux voir où est-ce que tu as mal ? demanda-t-il en se
raclant la gorge.
Je relevai le bord de la serviette sur le côté gauche de ma
fesse, ne réfléchissant plus aux conséquences. Du bout des doigts
il en écarta un peu plus les pans, découvrant ainsi ma chair. Il
caressa la zone avec le plat de la main et son toucher m'électrisa.
— C'est douloureux ?
Je fis non de la tête, pour tout dire la douleur n'était plus
vraiment d'actualité, tout ce qui m'importait à présent était son
toucher, ne pensant plus qu'à une seule chose ; ses doigts sur moi,
ses mains sur moi. J'en voulais plus, tout le reste était sans
importance. Il se redressa et tendit le bras vers le sac en plastique
qu'il avait déposé sur la table de chevet.
— As-tu une pince à épiler?
— Oui. Dans ma trousse de toilette.
Il se releva et partit chercher ce dont il avait besoin. Déplaçant
la petite table basse, il installa le matériel de façon chirurgicale.
123
KRIS T.L — Je t'ai dit que j'étais médecin !
— Tu es psy, affirmai-je en roulant des yeux.
— Oui, mais lorsque j'ai commencé mes études, je me suis
d'abord essayé à la médecine.
— Oh ! Et qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
— Le sexe.
— Pardon ?
— Trop de sexe ! Trop de tentations ! Trop d'internes en tenue
d'infirmière, je ne foutais plus rien. Mon père a mis un ultimatum
mais voyant que ça ne changeait rien, il est venu me chercher et
je suis parti une semaine avec lui à une convention. J'ai assisté à
un stage en morpho gestuelle et là j'ai complètement accroché à
cette pratique quelque peu orthodoxe. J'ai donc demandé une
orientation en psycho et depuis j'adore titiller les gens là où ça
fait mal...
Cela l'excite, hein...! chuchota Jiminy alors que je me raclais
la gorge.
— Tout va bien se passer, me rassura-t-il en voyant que j'étais
en train de m'agiter. Il sortit les compresses du sac, le
désinfectant, la pince à épiler et une bougie.
— Une bougie ? Même si j'appréciais le fait qu'il s'occupe de
moi avec autant d'attention, je ne trouvais pas la situation
romantique au point d'allumer une bougie. Ça va piquer ?
demandai-je paniquée.
124
Romagnas du Mont Davis— Je vais me montrer aussi doux que possible. Et c'est avec
délicatesse et patience qu'il commença tout d'abord à désinfecter
la zone. Tes vaccins sont à jour, O'Brian ?
— Oui.
Dans un geste rassurant, il caressa le haut de mes fesses.
— Mmm...
— Ça va je ne te fais pas trop mal ? demanda-t-il d'une voix
rauque.
— Non.
— Ta peau est douce, murmura-t-il tellement bas, que je
pensais avoir rêvé.
Je poussais un petit cri lorsqu'il pinça un peu plus fortement
ma chair.
— Ah ! Nous allons devoir employer les grands moyens avec
celle-là !
— Quoi ?
Je relevai la tête vers lui, complètement affolée.
Il retira un briquet de sa poche. Tiens, je n'avais même pas fait
attention qu'il fumait.
— J'essaye d'arrêter, releva-t-il en voyant que je fixais le
briquet.
— Clean depuis plus de deux ans, affirmai-je.
— Je suis impressionnée, O'Brian.
125
KRIS T.L — Tu peux ! répondis-je avec assurance, car m'arrêter avait été
un véritable défi.
Il alluma la bougie, son parfum unique de citron vert et de
noix de coco ainsi que sa lumière douce créa tout de suite une
ambiance agréable et relaxante dans la pièce. J'étais sur le point
de fermer les yeux lorsque je le vis s'en saisir.
— Wow wow wow... tu m'expliques ?
— Chutttt calme-toi O'Brian, c'est un vieux truc de grand-
mère, souffla-t-il en se penchant en avant. Lorsque j'étais petit,
alors que je jouais à Colin Maillard avec ma sœur, je suis tombée
dans un cactus. Les aiguilles étaient tellement fines et il y en
avait tellement que ma grand-mère a dû utiliser cette technique
pour pouvoir me les retirer.
— Oh ! criai-je en sentant la cire chaude se répandre sur ma
fesse.
Ce n'était pas si chaud que ça en fait. Sentir son souffle sur
cette partie de mon anatomie me rendit toute molle et une douce
sensation se propagea dans le bas de mes reins. Du bout de
l'ongle il gratta un côté et délicatement il retira la fine pellicule de
cire et l'épine qui maltraitait ma chair.
— Et voilà, souffla-t-il fier de lui. Je suis le meilleur
— Tu es le meilleur, répétai-je en roulant des yeux. Merci !
— Tout le plaisir a été pour moi.
126
Romagnas du Mont DavisJe rougis en me noyant dans ses yeux bleus incandescents. Il
se rapprocha de moi et me déposa un bisou sur le haut de mes
fesses.
Oh ?
— C'est juste un bisou magique, ajouta-t-il en me voyant
déglutir. C'est ce que me faisait ma grand-mère pour que je
guérisse plus vite.
— Oui, couinai-je en plaquant ma tête dans l'oreiller.
— Bien, repose-toi deux minutes, femme. Je vais à la chasse
pour trouver de quoi nous sustenter. Et d'un geste brusque il me
claqua les fesses.
— La chasse ?
Surprise je me redressai dans le lit et vis ses yeux faire un
aller-retour de ma poitrine à mon visage.
— Désolée, soufflai-je, me couvrant les seins.
— Non, non, pas de souci... enfin... euh... je pars juste nous
acheter quelque chose à manger au Tex Mex du coin.
— Attends, je vais te donner de l'argent.
J'allais me lever quand il me stoppa d'un geste.
— Ne bouge pas, ok ! cria-t-il, relevant une main devant les
yeux.
Saisissant à tâtons son sac en papier kraft. Il en sortit une
chemise et un pull en laine qu'il enfila sans prendre le soin de
127
KRIS T.L retirer les étiquettes. Il passa sa veste et sortit sans se retourner
me laissant là, seule, complètement abasourdie.
128
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Douze
Je regardai ma montre, quinze heures trente. Remontant le col
de ma veste je retournai en direction du centre commercial, les
mains enfoncées dans les poches, mon esprit complètement
embrouillé. La voir à moitié nue enroulée dans cette mini
serviette m'avait mis au supplice. Ses seins, mon Dieu... ses
seins ! Je ne lui avais pas rendu justice en la décrivant au steward
de l'aéroport. Ils étaient ronds et fermes et l'envie de poser mes
mains et de les prendre en coupe avait failli me faire perdre le
contrôle.
Elle avait éhontément détaillé chaque partie de mon corps
pendant que je m'étais affairé à la soigner. Son regard s'était
attardé sur les boutons de mon jean que j'avais volontairement
laissés ouverts. Voir ses joues s'empourprer avait été un pur
délice. Et c'est avec un plaisir mal dissimulé que je m'étais
appliqué à lui retirer chacune des épines qui endolorissaient sa
chair.
Notre temps était précieux, certes et j'en étais conscient. Mais
je ne pouvais m'empêcher d'être reconnaissant envers cet
129
KRIS T.L opossum qui avait eu la bonne idée de se mettre en travers de sa
route ou devrais-je dire ses fesses.
Pourquoi t'es-tu enfui ? me demanda ma conscience.
Pour son bien, murmurai-je en essayant de m'en convaincre.
Car même si je crevais d'envie et de désir pour elle, je ne voulais
pas qu'elle imagine que je tentais d’abuser de sa confiance.
Pour la première fois de toute ma vie je n'avais pas envie que
les choses dérapent. Je voulais la découvrir, prendre mon temps,
lui plaire, la charmer. Je voulais la faire fondre sous mes doigts,
l'entendre gémir sous mes caresses et de nouveau avoir
l'opportunité de toucher son si joli tatouage.
Romagnas. C'était décidément un joli nom pour une fleur.
Tu deviens guimauve, se moqua ma conscience.
— Oh la ferme ! criai-je plus fort que de raison alors que je
rentrais dans le restaurant.
Je venais de crier tellement fort que la femme qui se tenait
derrière le comptoir se retourna pour me toiser. Elle me fusilla du
regard et sa mauvaise humeur n'eut d'égal que sa forte
corpulence. Voyant son visage peu enclin, je tentai un bonjour en
lui décrochant mon plus beau sourire, mais malgré tous mes
efforts elle ne bougea pas un sourcil et resta plantée en me
dévisageant de la tête aux pieds.
130
Romagnas du Mont DavisJ'étais sur le point de ressortir quand celle-ci se pencha au-
dessus du comptoir en m'offrant une vue vertigineuse sur sa
poitrine généreuse.
Wow !
— Qu'est-ce que je sers à ce beau blanc-bec ?
— Euh... bégayai-je surpris. Merde, j'étais parti tellement vite
de notre chambre d'hôtel que je ne savais même pas ce qu'elle
aimait.
— Bonjour, je pourrais consulter votre carte, s'il vous plait ?
— Tiens. Elle me la tendit de ses gros doigts potelés. Pose tes
jolis petites fesses ici et mets-toi à l'aise.
Elle me montra une petite table en bois noir dressée pour deux
personnes avec une nappe à carreaux rouges et blancs. Elle était
située près de la fenêtre et de là j'avais une vue imprenable sur
ma voiture.
Je soufflai en regardant ma montre. Le temps,
malheureusement pour nous, ne ralentissait pas sa course.
— Désolé, mais je vais prendre à emporter. Je n'ai pas
beaucoup de temps devant moi, ajoutai-je en passant une main
derrière la nuque.
— Comme tu voudras, chéri.
Déçue, elle repartit derrière ses fourneaux. Je détaillai la carte
me demandant ce que Lisy souhaiterait manger. Je savais qu'elle
aimait les Matcha Latte, qu'elle appréciait le vin, la viande rouge
131
KRIS T.L et le gratin dauphinois. Mis à part ça, je ne savais rien d'autre la
concernant.
Faux ! m’interpella ma conscience. Tu connais la sensation du
velouté de sa peau sous tes doigts, la douceur de son regard et le
tatouage qu'elle a de caché dans le creux de ses reins.
— Mumm... Son tatouage ! Je voulais à jamais graver la vision
de ses courbes sous la lueur vacillante de cette bougie.
— Alors vous avez choisi ? demanda cette femme au look de
Marilyn Monroe défraichie.
Je regardai autour de moi, le snack semblait clean. Il était
éclairé par des lanternes comme dans les vieux westerns. Le
comptoir était en bois et des selles de cheval servaient de
tabourets. Les plats présentés sur la carte semblaient appétissants
et l'odeur qui sortait des cuisines finit par réveiller mes papilles.
Euh... du poulet, tout le monde aime le poulet, pensai-je.
Je commandai deux chicken-fried steak avec deux portions de
potatoes, ainsi que deux crumbles aux fruits rouges.
— Quelque chose à boire, mon chou ? me demanda la femme
en me faisant un sourire charmeur.
Oh mon Dieu ! cria ma conscience. Un frisson parcourut mon
échine alors que je me passais une main sur mon visage.
— Du coca, s'il vous plait... Madame.
— Madame ? Oh ! Mais c'est qu'il est poli avec ça. Elle
approcha sa grosse paluche près de mon visage et me pinça la
132
Romagnas du Mont Davisjoue. Je vais te rajouter de la sauce piquante, une belle gueule
d'amour comme toi doit avoir obligatoirement une jolie jeune
fille qui l'attend quelque part. Tu dois être en forme... rajouta-t-
elle d'une voix grave en me tapotant la joue.
Fermant les yeux, je lui fis un sourire forcé. J'avais
sincèrement l'impression qu'elle allait me décoller le cerveau si
elle continuait à me tapoter la joue, ou devrais-je dire la tête étant
donné que sa main devait faire sans mentir une fois et demie mon
visage.
Oui, il y a bien une jolie jeune femme... pensai-je tristement.
Cela allait lui prendre quelques minutes pour me préparer tout
ça, aussi durant ce laps de temps je partis m'installer à la table
située près de la fenêtre. Les infos étaient diffusées sur un vieux
téléviseur dans un coin de la pièce. N'ayant pas le son, je me mis
à lire la bande d'informations qui défilait sur le bas de l'écran.
Je blêmis en lisant que le corps d'un médecin reconnu et
apprécié de Lajitas, Enrique Banavero, venait tout juste d'être
retrouvé au fond d'un puits à Terlingua, une ville fantôme du parc
national de Big Bend. D'après le légiste présent sur les lieux,
l'oncle de Lisy avait eu la nuque brisée. À l'écran on pouvait voir
sa photo. Ainsi que celle d'un autre homme en tenue de Border
Patrol. En arrière-plan, il y avait des voitures de BP ainsi que
celles du FBI garées devant une ferme désaffectée.
133
KRIS T.L Je le savais, Lisy ne m'avait pas menti, pensai-je en cherchant
aussitôt mon portable dans la poche de mon jean, pour appeler
Matt.
— Merde, grognai-je en tâtant mes poches, j'avais dû le laisser
sur la commode de la chambre d'hôtel.
— Ça te fera soixante-sept $ mon cœur...
— Oui...
— Hey ! Tu vas bien, j'ai l'impression que tu as vu un fantôme.
— Oui ça va. Merci, répondis-je. Gardez la monnaie.
— Oh, et en plus d'être beau comme un dieu, monsieur est un
prince ! Si ta demoiselle ne veut pas de toi, tu sais où me trouver.
Je m'appelle Samantha.
J'attrapai le sac et m'apprêtai à partir quand je vis au travers de
la vitrine une jolie jeune femme aux cheveux ébène qui courait en
direction de ma voiture.
Ma voiture ?
— Lisy ? criai-je en tapant sur la vitre du restaurant.
Elle releva la tête vers moi et me fit un hochement de tête, la
lueur qui brillait dans ses yeux était si triste que cela me déchira
le cœur.
— Hey ! Qu’est-ce qui se passe ? Attends-moi ! criai-je en
tapant un peu plus fort sur la vitre.
134
Romagnas du Mont DavisElle murmura quelque chose, mais je ne compris pas un traître
mot de ce qu'elle était en train de me dire. Elle s'engouffra à
l'intérieur du véhicule, le démarra puis enclencha la marche
arrière pour quitter la place de stationnement.
J'avais l'impression de voir un film en 3D se dérouler devant
mes yeux.
— Lisy, merde ! paniquai-je en laissant tomber mon sac de
nourriture sur le sol.
Sans même réfléchir, je sortis du Tex Mex et me mis à courir
après ma voiture. Celle-ci fit un demi-tour, et dans un crissement
de pneus elle enclencha la première en me laissant sur place.
Wow ! L’adrénaline courait dans mes veines, mes jambes se
mirent à flageoler, mon cœur était sur le point de sortir de ma
poitrine et je sentis comme une envie de vomir. Je tombai à
genoux au beau milieu de cette grande avenue, en sentant la peur
s'insinuer en moi.
Je mis quelques secondes avant de réaliser ce que je faisais là.
C'est le klaxon d’une semi-remorque qui me sortit de ma torpeur
et la grosse main de Samantha qui m’évita une mort certaine en
me tirant par le col de ma veste.
— Merde ! criai-je en regardant Samantha.
— Un merci m'aurait suffi... Elle semblait tout aussi choquée
que moi.
135
KRIS T.L Je restai quelques instants sur ce trottoir, tremblant, les yeux
hagards, mes pensées perdues dans je ne sais quel scénario
Hitchcockien.
— Allez, reste pas là beau gosse. Viens avec moi, dit
Samantha en me tirant par le bras. BERNI ! Le petit a besoin d'un
remontant ! ajouta-t-elle alors que nous rentrions de nouveau
dans le restaurant.
Un petit homme trapu portant un tablier de cuisine sortit de la
réserve, il était brun, avec une tonsure sur le haut du crâne, de
grands yeux marron qui respiraient la gentillesse. Il me fit un
sourire et me tendit un verre.
— Je te présente mon mari Berni, me dit Samantha avec un
sourire qui cette fois se voulait rassurant.
— Merci Berni, dis-je en prenant le verre. Je le portai à ma
bouche, avalai une gorgée et le recrachai aussi sec.
Merde ! C’était quoi ce tord-boyau ?
La main de Samantha s'éleva et vint s'abattre entre mes deux
omoplates, le choc fut si violent que j'étais certain de mourir d'un
décollement des poumons dans les secondes qui allaient suivre.
Je toussai en me demandant si la semi-remorque n'aurait pas
été une fin plus enviable car j'avais l'impression de me consumer
de l'intérieur.
— Alors, on n’est pas habitué à boire comme un homme ?
rigola Berni.
136
Romagnas du Mont Davis— Si, mais... c'est quoi ? toussai-je en me pinçant l'arête du
nez.
Les larmes me piquaient les yeux, ma gorge me brûlait et cela
n'avait plus rien à voir avec l'émotion, ni la peur qui m'avait
étreint il y a quelques secondes.
— Du mezcal mon chou, de l'eau de vie faite à base d'agave,
ça envoie, hein !
La voix grasse de Samantha résonna dans un rire tonitruant.
— Wow, j'ai l'impression d'avoir les poumons en feu.
— Alors c'était qui cette demoiselle ?
Que devais-je répondre à ça ! Qui était-elle ? Pourquoi était-
elle partie aussi vite ? Pourquoi ne pas m'avoir attendu ? Merde !
Je devenais fou.
— Tu sais, je plaisantais tout à l'heure, tu as beau être beau
comme un prince, je ne quitterai pas mon Berni pour tes beaux
yeux.
— Merde ! Elle m'a piqué ma voiture, marmonnai-je entre mes
dents.
— Où est-elle partie comme ça ? Elle m'a donné l'impression
d'avoir le diable aux trousses.
Je déglutis en voyant le regard de Berni se renfrogner.
— Ce n'est pas moi le diable.
137
KRIS T.L — Oh, ça je sais ! Toi, tu as plutôt une gueule d'ange.
Samantha me cramponna le menton entre son pouce et son index
et me le secoua en me regardant bien droit dans les yeux.
— Berni, va chercher les clés de voiture ! Je ne sais pas ce qui
a poussé sa dulcinée à s'enfuir, mais on va aider ce petit.
— Je ne voudrais pas abuser, dis-je en déglutissant, sentant
peu à peu la brûlure s'amoindrir dans ma gorge. Je vais prendre
un taxi.
— Ne dis pas de sottises mon joli. Trouver un taxi ici c'est
comme chercher une mine d'or.
Et Berni revint avec un trousseau dans les mains.
— Suis-moi.
Son humeur semblait s'être assombrie.
— Euh... Merci... merci pour tout.
— Allez, fous moi le camp d'ici... lança-t-elle en me redonnant
mon sac. Je t'ai remis un peu d'ordre dans tout ça.
— Merci.
— De rien, beau gosse...hey ?
— Oui ?
— Je ne veux pas revoir ton joli petit cul dans ce restaurant
avant que tu ne l’aies retrouvé, c'est clair ?
Je hochai la tête en signe d'assentiment.
138
Romagnas du Mont DavisAlors que je suivais Berni à l'arrière du bâtiment, je me frottai
la nuque en réfléchissant à ce qui venait de se produire.
— Tu sais gamin, je tiens énormément à cette caisse. Ce fut la
voix de Berni qui me fit relever la tête.
— Ok !
—Certainement autant qu'à ma Samantha, je me suis bien fait
comprendre ? ajouta-t-il en prenant soin de débâcher la voiture.
— Je crois, oui.
— Je ne te connais pas, mais si tu fais une seule rayure à mon
bébé, je te retrouverai et tu pourras dire adieu à tes bijoux de
famille.
— Oui, répondis-je en déglutissant.
Sincèrement je ne voulais pas le vexer mais j'avais d'autres
projets en ce qui concerne mes bijoux de famille.
— Ton permis ?
— Oh oui, tenez !
Waouh ! J’avais beau être sous le choc du départ précipité de
Lisy. Je ne pouvais qu'être émerveillé devant cette magnifique
Cadillac Chevy 53 bleu ciel complètement restaurée, un vrai petit
bijou.
— Grégory Cummings.
Il détailla mon permis, vérifiant qu'il soit bien conforme et
vrai. Tu m'as l'air d'être un bon gars, petit. Alors si j'ai un conseil
139
KRIS T.L à te donner, l'amour peut rendre fou, mais si elle en vaut la peine
comme ma Samantha, rien ne doit se mettre en travers de ta
route.
— Merci Berni, répondis-je en récupérant mon permis.
Je n'en revenais pas. Qui de nos jours prêterait sa voiture de
collection à un parfait inconnu ? Ces gens-là étaient atypiques.
Berni semblait être un petit bonhomme confiant et honnête,
Samantha quant à elle était une grande dame autant par sa
corpulence que par sa bonté d'âme.
—Lisy... à nous deux.
140
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Treize
Après une poignée de mains échangée avec Berni, lui
promettant une dernière fois que j'allais prendre soin de son bébé,
j'étais retourné à l'hôtel pour récupérer mon portable.
Il fallait absolument que je joigne Matt pour savoir ce qu'il
savait à propos de cette descente de flics à Terlingua.
Que s'est-il passé pour que tu partes comme ça, Lisy ? pensai-
je en appuyant sur l'accélérateur.
J'avais trouvé la porte de notre chambre entrouverte, sa valise
et ses fringues éparpillées sur le lit.
La bougie avait fini par se consumer totalement, dégageant
ainsi une odeur âpre, une odeur d'amertume.
Mon regard s'était posé sur l'écran plat allumé sur la chaine
des news. Je m'étais rapproché pour augmenter le son et m'étais
figé en regardant la photo encadré d'un Border Patrol, Il avait des
yeux d'un vert incroyable.
Son père.
Saisissant mon portable sur la commode, j'avais aussitôt quitté
les lieux.
141
KRIS T.L — Désolé, nous sommes obligés de partir, veuillez garder
notre chambre et nos affaires... avais-je dit en jetant une liasse de
billets sur le comptoir du réceptionniste qui commençait à se
lever.
— Monsieur... monsieur, j'ai ...
— Pas le temps, on verra ça plus tard. Je l'avais coupé en
courant vers la sortie.
— Mais monsieur... Celui-ci m'avait couru après dans le hall
d'entrée, mais voyant que je ne m'arrêtais pas, il s'était mis à
grommeler des injures, puis avait fait demi-tour.
Quel connard ! Ce n’était pas le moment de me les briser à
cause d'une chambre. Je lui avais jeté assez d'argent sur le
comptoir pour m'offrir cette foutue chambre pendant plus de
quinze jours.
*
Malgré mon non-respect de la vitesse autorisée, je ne l'avais
toujours pas rattrapée. Décidément cette femme était surprenante.
Elle était l'ex d'un champion de rallye, m'avait-elle affirmé un peu
plus tôt, je ne doutais plus de ses talents de conductrice à présent.
Toutefois je grognais de rage en imaginant je ne sais quel pilote
poser ses mains sur elle.
J'avais par la suite appelé mon père et Matt, ils étaient sur la
route. Ils venaient tout juste de passer Indianapolis.
— Alors où êtes-vous ? m'avait-il demandé.
142
Romagnas du Mont Davis— Je viens de quitter Pacific.
— Comment va Lisy ?
— Nous venons de voir les infos à la télé.
— Greg, tu as l'air bizarre, est-ce que ça va ?
— Lisy vient de partir.
— Partir ? Comment ça partir ?
— Elle s'est barrée, elle a foutue le camp, elle m'a planté !
Je repensais à son regard triste. Ce n'était pas le regard d'une
personne qui tente de fuir, mais celui de quelqu'un en détresse,
quelqu'un qui a peur.
Mais peur de quoi ? De qui ? De moi ?
Avait-elle peur que je découvre des choses inavouables sur son
père ? J'étais sûr que son départ précipité était en rapport avec ce
que j'avais vu sur l'écran de cette chambre d'hôtel.
— Pa, donne-moi tous les détails que tu as sur la mort de son
père ? Pourquoi en parlent-ils aux infos ?
—Deux mille dollars, voilà ce qu'il en coûte aux clandestins
pour pouvoir passer la frontière. Les «Coyotes» regroupent les
émigrants, hommes, femmes, enfants, dans une planque. Après
quelques jours, quand ils sont assez nombreux, ils leur font passer
le Rio Grande de nuit.
— Mais que vient faire la famille de Lisy là-dedans ?
143
KRIS T.L —Ils ont pour habitude d'avoir un point d'attache côté US.
Nous pensons que l'organisation pour laquelle travaillaient
bénévolement la tante et l'oncle de Lisy servait de couverture à la
mafia. Ils utilisaient les clandestins pour passer de la drogue.
— Des mules ?
— Oui.
— Tu crois que sa famille était au courant ?
— Je n'en sais rien.
— Quel est le rapport avec son père ? Il est mort il y a dix-sept
ans papa. Pourquoi en parler aujourd'hui ?
..........
— Papa ?
— Dix-sept ans, Greg.
— Je sais papa... avais-je répondu en sachant d'avance à quoi
il faisait allusion.
— Mais tu sais ce qu'il y a de plus bizarre dans tout ça...
— Dis-moi...
Je savais que cela réveillait en lui de vieilles blessures. Durant
toutes ces années il n'avait fait que survivre au décès de ma mère,
il avait promis avant qu'elle ne rende son dernier souffle de
veiller sur nous. Elle s'était éteinte dans ses bras, comment
oublier et refaire sa vie après ça, comment passer à autre chose
quand on a connu l'amour, le vrai, la femme qui fait vibrer
144
Romagnas du Mont Davischaque parcelle de votre corps, qui réveille en vous tant
d'émotion que sans le savoir elle nourrit votre cœur et votre âme.
..........
— Papa, tu vas bien ?
Mon père m'avait donné l'impression d'être à bout de souffle.
— Son père est mort deux jours après le décès de ta mère.
— Quoi ? Deux jours après maman ? avais-je murmuré en me
raclant la gorge. Tu m'as bien dit qu'il était mort dans une
fusillade, non ?
— Matt a réussi à avoir le rapport de police, son père est mort
d'une balle en plein cœur, il apparaîtrait qu'elle ait été tirée à bout
portant. Il n'a même pas eu le temps de dégainer son arme.
— Pour tirer d'aussi près il fallait qu'il connaisse son
agresseur.
— C'est ce que nous pensons. Mais il a été trouvé une certaine
quantité de drogue sur lui.
— Un ripou ?
— Il a été considéré comme tel durant des années. Matt a
creusé un plus loin et nous avons trouvé un document classé
après enquête, et il s'est avéré que rien de compromettant n'a été
retrouvé chez lui, ni drogue, ni argent sale, son compte perso était
clean.
— Cela ressemble plus à un coup monté.
145
KRIS T.L — Cela m'en a tout l'air.
— Qu'en est-il pour Enrique et Lisbeth ?
— Nous n'en savons pas plus pour l'instant.
— Lisy est donc partie vivre chez sa tante Maria ?
— Oui, après les obsèques. Les enfants de l'école lui ont mené
la vie dure.
— Oh !
— L'honneur de son père ayant été bafoué, il n'a pas eu droit à
des obsèques nationales. Et malgré le manque de preuves, il n'a
jamais été réhabilité, même pas à titre posthume.
— Merde papa, elle n'avait que neuf ans.
— Je sais fils... je sais...
Bien sûr qu'il savait. Nous en avions à peine dix quand ma
mère avait été assassinée devant nos yeux. Cela nous avait
changés à jamais, cela nous avait obligés à grandir plus vite et
nombreux avaient été nos cauchemars après cette nuit-là.
— Pour le médaillon, t'a-t-elle dit quelque chose ?
— Trouvé à Terlingua sur le lit de camp de Tess.
— Mais comment est-ce possible ?
— Je n'en sais rien papa. Elle n'en savait pas plus à ce sujet,
elle a pensé qu'il lui appartenait, c'est pour ça qu'elle l'a récupéré,
elle voulait juste le lui rendre.
— Oh !
146
Romagnas du Mont DavisSa tristesse était palpable, espérait-il quelque chose par rapport
à ce médaillon ? Souhaitait-il toujours retrouver la personne qui
avait tué ma mère ?
Bien sûr que oui ! Comme moi il gardait au fond de lui l'espoir
qu'un jour l'assassin de ma mère pourrisse derrière des barreaux.
Où es-tu Tess,.... et comment as-tu retrouvé le pendentif de
maman ?
Les paroles de Lisy dans cette chambre du Méridien King
Edward me hantaient.
Tess lui avait demandé de me dire : Greg, dites à Greg, lui
seul comprendra... m'a promis de revenir rien que pour moi. Je
me souvenais de ces mots, ils avaient été dits le soir où ma mère
avait été assassinée. L'agresseur avait ensuite saisi ma sœur et
j'avais tout fait pour qu'il la lâche, brandissant alors son arme il
avait tenté de me donner un coup de couteau, mais c'est ma sœur
qui en portait aujourd'hui les stigmates.
Se pouvait-il que Tess ait trouvé quelque chose sur la mort de
notre mère, mais dans ce cas-là, pourquoi être partie toute seule ?
Et quel était le rapport avec le Mexique ?
— On va s'arrêter pour manger un bout. Matt est fatigué, je
vais prendre le volant. Ça va aller pour toi ? m'avait demandé
mon père alors que j'étais perdu dans mes pensées.
— Oui pa, ne t'en fais pas. Je vais tout faire pour la rattraper...
147
KRIS T.L — Fais attention à toi. On te rejoint au plus vite. Sur ces
bonnes paroles, il avait raccroché, laissant un silence pesant me
posséder, me dévorer de l'intérieur.
*
Je me remémorais tous les moments que j'avais passés auprès
d'elle durant ces dernières vingt-quatre heures. Dieu seul sait
combien je l'avais trouvée sexy dans mon bureau, dans cette robe
grise en laine et ces bottes en cuir marron. Et puis il y avait eu ce
moment où je l'avais serrée contre mon cœur, elle avait énuméré
sans se tromper les composants de mon parfum. Emporio
Armani. Et puis le souvenir de sa bouche s'entrouvrant sur ce
verre au Méridien me revint en tête. La justesse de ses propos
concernant son analyse sur les arômes de ce vin m'avait coupé le
souffle.
Elle était un être d'exception, déterminée, courageuse,
terriblement attirante et surtout attachante. Je fermai les yeux une
nanoseconde juste le temps de me souvenir de la chaleur de son
corps sous la paume de ma main.
«Romagnas»
Décidément ce tatouage lui allait comme un gant, elle était
libre et sauvage comme cette fleur des champs. La tension que je
ressentais n'était pas seulement due au stress et à l'angoisse, il y
avait bien plus... tellement plus.
148
Romagnas du Mont DavisUn bisou magique était la seule idée potable qui m'était venue
à l'esprit pour justifier le besoin de poser mes lèvres sur son
corps.
MERDE ! criai-je de frustration. J'avais fui, j'étais parti
comme un....
Con… tu peux le dire, souffla ma conscience. Si tu ne t'étais
pas barré comme un imbécile, tu serais en ce moment même en
train de lui faire l'amour.
— Et toi pourquoi es-tu partie ? Je ne t'aurai jamais jugée,
soufflai-je agacé.
J'allumai la radio. L'animateur était en train de donner l'heure,
dix-huit heures. Je montai un peu plus le son lorsque Lost de
Mickael Buble s'éleva dans l'habitacle de la voiture. J'écoutai les
paroles de cette chanson qui prenaient un tout nouveau sens, elle
s'adaptait parfaitement à notre situation. J'augmentai le volume et
c'est sans pudeur que je me mis à fredonner...
Cause you are not alone
And I am there with you
And we'll get Lost together
Till the light comes pouring through
Cause when you feel like you're done
And the darkness has won
Babe, you're not Lost
149
KRIS T.L When the world's crashing down
And you cannot bear to crawl
I said, baby, you're not Lost
I said, baby, you're not Lost
I said, baby, you're not Lost
I said, baby, you're not Lost
— Non Lisy, tu n'es plus seule, tu n'es pas perdue, murmurai-
je à voix basse.
150
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Quatorze
Mon Dieu, mais qu'avais-je fait ? Je l'avais laissé... réellement
laissé...
Mes yeux n'avaient pu le quitter et je l'avais regardé dans le
rétroviseur s'effondrer sur cette route, avec cette lueur
d'incompréhension et de panique dans le regard. Je l'avais vu
tomber à genoux, les mains à plat sur ce bitume.
J'avais eu un moment de doute et mon pied s'était posé sur le
frein, mais contre toute attente luttant contre mes sentiments et ce
que me dictait mon cœur, je m'étais appliquée à suivre les
consignes de ma tante et j'avais accéléré, j'étais partie, le laissant
là, seul, dans ce froid glacial.
Les larmes n'avaient cessé de couler sur mes joues et je les
avais essuyées rageusement du plat de la main.
Que les ténèbres m'emportent ou bien qu'on me libère !
J'avais la sensation que ma vie ne tenait qu'à un fil et que
celui-ci risquait de rompre à tout moment.
Pourquoi, pourquoi la vie s'acharnait-elle contre moi ?
Qu'avais-je bien pu faire pour mériter ça ?
151
KRIS T.L Je ne m'étais jamais plainte, j'avais appris à assumer, à me
montrer forte, mais là, j'avais la nette impression de sombrer.
Dès mes toutes premières années, j'avais compris que je n'étais
pas une enfant comme les autres et que jamais je ne connaîtrai la
chaleur et le réconfort que peuvent apporter les bras d'une mère.
Mon père dévoué et aimant m'avait entourée de tout l'amour et
de toute l'attention qu'une petite fille est en droit de connaître. Il
avait mis sa peine de côté et c'est sous son regard bienveillant que
j'avais appris à faire mes premiers pas.
Je me souvenais encore de la première fois où il avait retiré les
roulettes de mon vélo, et de la peur qu'il avait eue lorsque j'avais
dévalé l'avenue sans pouvoir m'arrêter. C'est un poteau
téléphonique qui avait stoppé ma course. Il avait alors rangé mon
vélo en maugréant que je ne monterais plus jamais sur cet engin
de malheur.
Je me souvenais de cette lueur de fierté qui avait brûlé dans
ses magnifiques yeux verts lorsque j'étais montée sur scène pour
mon tout premier gala de danse, je n'étais qu'un simple petit lion,
et pourtant à la fin de la représentation il s'était levé de sa chaise
et m'avait applaudie comme si j'étais la plus belle des danseuses
étoile.
À mes huit ans, j'avais eu mon premier chagrin d'amour,
Felipe Bares. Son père, avocat, avait été muté dans une grande
firme à Houston.
152
Romagnas du Mont DavisÀ l'école, nous lui avions préparé une surprise pour son départ
mais le matin même de cette journée qui devait rester mémorable
à mes yeux, je m'étais retrouvée alitée avec 39° de fièvre et une
bonne angine.
Inconsolable. Mon père n'avait pas hésité une seconde car à
peine rétablie, il m'avait conduite jusqu'à son nouveau domicile.
Nous avions roulé toute la nuit vers Houston, puis avec l’accord
de ses parents il nous avait ensuite emmenés à la mer et nous
avions passé une merveilleuse journée sur cette plage du Golfe du
Mexique. Nous avions regardé ces pêcheurs adossés à leurs
vieilles voitures, leurs cannes plantées dans le sable. Je gardais
encore le souvenir de l'odeur de la mer, des embruns qui avaient
fouetté nos visages, de ces grandes dunes et de ces coquillages
que nous avions ramassés.
Durant ces neuf années passées avec lui j'avais appris à
apprécier les choses simples, à être forte, à respecter les autres et
à écouter mon cœur. Mais malgré tous ses efforts, il était resté ce
vide au fond de mon cœur qu’il n'avait pas réussi à combler,
j'avais tout de même fantasmé en voyant mes copines et leur
maman se promener main dans la main en allant faire leurs
courses. Je n’avais pu m’empêcher d’imaginer ce que cela me
ferait d'avoir un bisou le soir avant de m'endormir. J'avais envié
ma meilleure amie lorsque celle-ci se maquillait en cachette en
prenant le rouge à lèvre de sa mère.
153
KRIS T.L Un soir, après l'école alors que mes camarades de classe
avaient passé la journée à préparer un cadeau pour la fête des
mères, j'étais rentrée chez moi en pleurs. J'étais montée
directement dans le grenier et telle une petite souris j'avais ouvert
le cœur battant cette malle que mon père gardait précieusement.
Elle contenait tous les trésors dont une enfant puisse rêver, les
affaires de ma mère. J'avais passé la nuit à essayer ses robes, ses
chaussures à talons, ses chapeaux. J'avais senti ses vêtements,
essayant ainsi de trouver cette odeur qui aurait pu me rapprocher
d'elle.
Dans la nuit, mon père m'avait retrouvée endormie dans un
amoncellement de tissus. Il ne m'avait rien dit, je ne m'étais pas
fait gronder. Il m'avait simplement prise dans ses bras, embrassé
les cheveux, reconduite dans ma chambre et je m'étais rendormie
contre lui dans mon tout petit lit.
Au petit matin, au lieu de retourner à l'école, nous étions partis
apporter un bouquet de Romagnas sur la tombe de maman et c'est
l'odeur de cette fleur qui avait fini par apaiser mes pleurs.
Le soir même, allongée dans mon lit, je n'avais cessé de
repenser à ce merveilleux trésor trouvé dans cette malle. Ne
désirant qu’une seule chose, revivre cet instant magique, je
m'étais levée et sur la pointe des pieds je m’étais dirigée à travers
ce long couloir vers ma terre promise.
Passant devant la chambre de mon père, j'avais été étonnée de
l’entendre pleurer. Me postant derrière sa porte, le cœur battant,
154
Romagnas du Mont Davisj'avais hésité longuement, ne voulant pas le déranger. Mais ma
curiosité d'enfant avait fini par l’emporter et j’avais regardé à
travers la serrure. La peine que j'avais lue sur ses traits était telle
que cela avait instantanément brisé mes rêves de petite fille.
Aussi, j'étais retournée directement dans ma chambre et avec la
ferveur et la croyance d'une enfant de mon âge, j'avais passé la
nuit à prier, demandant à Dieu de lui rendre ma maman. Celui-ci
avait exaucé mon vœu, car deux jours après la fête des mères,
tante Maria était venue m'annoncer que mon père était parti
rejoindre ma maman et qu'ils étaient maintenant tous les deux
réunis et heureux au paradis.
Voulant à tout prix les retrouver, je m'étais enfuie. J'avais pris
mon sac à dos, cassé ma tirelire et m'étais faufilée entre les
passagers qui prenaient le bus pour le Mont Davis.
Mon père avait tenu à ce que ma mère soit enterrée aux pieds
de nos vignes. Un petit mausolée en pierre de lave qu'il avait bâti
de ses mains. J'étais certaine de les retrouver là-bas, certaine
qu'ils m'attendraient tous les deux.
J'étais descendue du bus au bas de la vallée. Le chemin s'était
montré difficile, aride et tortueux. Sur la route j'avais cueilli des
Romagnas, autant de fleurs des champs que mes bras pouvaient
en porter. J'étais arrivée là-haut à la nuit tombée, les mains et
genoux écorchés.
155
KRIS T.L Mon espoir avait été balayé par la brise d'un vent frais, car me
retrouvant seule devant cette tombe, je m'étais allongée à même
le sol et m'étais mise à pleurer.
À bout de force, je m'étais endormie et j'avais fait le plus beau
des rêves. Mon père et ma mère étaient là, se tenant la main dans
un champ de Romagnas et me regardaient dormir. Ils avaient
veillé sur moi jusqu'à ce qu'une voiture de police vienne me
récupérer.
Ma tante Maria ainsi que mon oncle Enrique étaient sortis du
véhicule. Perdue entre rêve et réalité, je les avais vus courir vers
moi. L'un des policiers s'était agenouillé près de moi et j'avais
senti son souffle chaud sur mon visage. Il m'avait parlé,
m'obligeant à revenir sur mes pas, à revenir vers cette lumière
bleutée qui tournait au-dessus de nos têtes.
Pendant ce temps, mes parents étaient partis en direction de
cette lumière blanche, m'abandonnant, ils m'avaient fait un
dernier signe de la main pour me dire au revoir.
J'avais alors ouvert les yeux dans la froideur de cette nuit du
mois de mai, j'avais essayé de crier pour les retenir mais le froid
et mes pleurs avaient eu raison de ma voix.
Mon oncle m'avait alors serrée contre son cœur, et c'est blottie
dans ses bras que je m'étais de nouveau endormie.
Mon réconfort et ma force, je les avais trouvés au petit matin
en me disant que, grâce à ma prière, mon père et ma mère étaient
156
Romagnas du Mont Davisenfin réunis et que, si en sacrifice je ne devais plus vivre avec eux
alors je devais l'accepter.
Quelques jours après la mort de mon père, j'étais retournée à
l'école, j'avais alors raconté mon rêve à ma meilleure amie
Vanessa.
Les autres enfants de ma classe qui étaient restés là à écouter
mon récit, n'avaient pas hésité à me traiter de menteuse, disant
que mon père n'était qu'un sale trafiquant de drogue et que s'il
était mort c'est parce qu'il n'était qu'une mule, un dos mouillé. Et
c'est ce jour-là, pour la première fois de ma vie, qu'à l'aide de mes
petits poings, j'avais défendu l'honneur de mon père.
En rentrant le soir chez mon oncle je lui avais juré que plus
jamais je ne verserais une larme et que plus personne ne dirait du
mal de mon père.
Mais voilà dix-sept ans plus tard. Je me retrouvais à nouveau
perdue, seule, abandonnée, pleurant comme cette nuit-là devant
la tombe de ma mère. Effrayée et meurtrie par cette peine qui
était sur le point de broyer mon cœur et de m'engloutir à tout
jamais.
*
Mon téléphone s'était mis à sonner et c'est groggy que je
m'étais levée pour répondre. Numéro inconnu. Je n'avais pas pour
habitude de décrocher lorsque les numéros n'étaient pas
identifiés.
157
KRIS T.L Décroche Lisy, avait murmuré Jiminy.
— La télévision... Pourquoi Lisy ? Pourquoi as-tu prévenu la
police ? Je savais que je ne pouvais pas te faire confiance.
Je ne comprenais pas un traître mot de ce qu'elle me disait.
La TV pourquoi me parlait-elle de la télévision ? Alors comme
une automate, j'étais partie allumer ce foutu téléviseur et là ma
respiration s'était coupée et mes jambes s'étaient mises à trembler
en voyant le visage de mon père sur cet écran plat.
Terlingua...
Il y avait des voitures de Border Patrol et du FBI qui
encerclaient les lieux. Sur les images je pouvais voir en arrière-
plan des hommes qui s'affairaient à remonter quelque chose d'un
puits.
Un corps... Mon Oncle.
— Oh mon Dieu ! avais-je crié en me mettant une main devant
la bouche, posant mon autre sur mon cœur. Qui avait bien pu lui
faire une chose pareille ?
La bile m'était montée dans la gorge, je m'étais précipitée aux
toilettes pour vomir.
— Pourquoi ? avais-je crié en reprenant le combiné
téléphonique. Mais ma tante était dans un tel état qu'elle n'avait
pu me répondre. Aussi face à la violence des images diffusées sur
ce téléviseur, je réalisai pour la première fois son enfer. Que
pouvais-je lui dire ? Que devais-je faire ?
158
Romagnas du Mont Davis— Reviens, m'avait-elle suppliée. Mais seule ! Personne, tu
m'entends, personne ne doit savoir où nous sommes, avait-elle
insisté. Surtout pas les autorités. Compris ?
*
Mon Dieu que vas-tu penser de moi ?
Il va penser que tu t'es fichue de lui, me cria Jiminy. Il n'allait
pas lui falloir longtemps pour connaître la vérité sur mon père.
Que penser d'une fille d'un Border Patrol accusé de trafic de
drogue, d'une fille qui venait de le planter au milieu de la route en
lui piquant sa voiture de luxe.
Ce journaliste, Ted Sylvester venait de décrire Terlingua
comme une plaque tournante de la drogue. L'organisation où
travaillaient bénévolement mon oncle et ma tante n'était en fait
qu'une couverture pour la mafia.
Je n'étais pas née de la dernière pluie, et cela faisait longtemps
que je ne croyais plus aux contes de fées. Je savais très bien que
la mafia avait infiltré des organismes humanitaires, mais je
refusais de croire que Lisbeth ou mon oncle puissent être liés
d'une quelconque manière à un trafic de drogue.
Ce chacal de journaliste avait fait son boulot et le
rapprochement entre mon père et mon oncle avait vite été établi,
pour les médias toute cette histoire était du pain béni.
La tentation de rendre compte de cette atrocité comme d’un
énième épisode de la sale guerre des cartels mexicains était
159
KRIS T.L grande. Mais les cartels de la drogue au Mexique ne s'étaient pas
faits tous seuls.
Ils prospéraient grâce à notre argent, grâce aux armes que les
États-Unis d'Amérique leur fournissaient.
Quant à l’immigration, elle était alimentée par nos besoins en
main-d’œuvre. Les cartels de la drogue avaient flairé là, la bonne
affaire et s'étaient lancés dans le marché juteux des clandestins.
Les pollos leur offraient bien plus d’avantages que la cocaïne.
Non seulement la mafia les rackettait au moment de traverser la
frontière, mais en plus ils les utilisaient comme mules et cela de
gré ou de force.
Je ne savais pas où j'allais, ni dans quoi j'allais mettre les
pieds, mais la pensée que la vie de Grégory puisse être en danger
à cause de ma famille me confortait dans l'idée que m'enfuir était
la meilleure solution.
Ma tante avait refusé de me dire où elle se cachait. Elle voulait
que je retourne directement à mon cabinet, elle m'avait soutenu
que sur place, je trouverai...
Mais trouver quoi ? Je n'y comprenais rien.
Qu'avez-vous vu pour être si effrayées? pensai-je en serrant un
peu plus mon volant.
Elle a vu ton oncle se faire assassiner de sang-froid et jeter
dans un puits. Je pense que c'est suffisant, non ? souffla Jiminy.
160
Romagnas du Mont DavisAu dire de ma tante, les contractions de Tess s'étaient calmées,
elle allait mieux et passait son temps à dormir.
Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'au vu de la situation
cela valait mieux pour elle.
*
J'avais essayé d'en savoir plus à son sujet mais au moment
même où je l’'avais nommé Tess, Lisbeth avait élevé la voix en
me disant : Teresa Rodriguez, je t'ai déjà dit qu'elle s'appelle
Teresa...Teresa... tu le fais exprès ou quoi ?
Pourquoi s’acharnait-elle à l’appeler comme ça ?
— Où as-tu rencontré Teresa ? lui avais-je alors demandé.
..........
Mais au moment même où je pensais obtenir une réponse, la
communication avait été coupée.
— Fais chier ! avais-je hurlé en jetant mon téléphone portable.
*
Et si elle avait raison, et que je me sois réellement trompée et
qu'elle ne soit pas la sœur de Grégory.
Une fiche signalétique dans un e-mail c'était peu comme
preuve. Je m'étais peut être faite des idées.
Pourtant Grégory avait réagi en voyant le médaillon. Il ne lui
était pas inconnu. Et après le lui avoir remis devant cet ascenseur
il était directement venu me retrouver à l'aéroport. J'avais vu son
161
KRIS T.L regard s'assombrir quand je lui avais parlé de la cicatrice qu'elle
portait sur son avant-bras. Et pour conclure et mettre fin à mes
doutes Teresa et Tess étaient toutes deux enceintes.
Tout ceci ne pouvait être une coïncidence. J'étais sûre au fond
de moi d'avoir raison. Tess et Teresa étaient bien la même et
unique personne.
Allumant la radio, j'entendis la fin du flash info, ils venaient
de lever l'alerte concernant les pluies verglaçantes, les avions
pouvaient de nouveau décoller. Le temps était plus clément et si
je restais sur ma lancée dans un peu moins d'une heure je serai à
l'aéroport de Springfield. J'espérais pouvoir embarquer dans le
prochain vol pour El Paso, cette idée m'apporta un certain
réconfort car je sentais la fatigue m'assaillir de plus en plus.
La voix douce de Mickael Buble monta en puissance dans les
hauts parleurs de la voiture alors qu'il entamait le refrain de cette
chanson que j'affectionnais particulièrement.
I said, baby, you're not Lost
— Grégory, murmurai-je.
Je n'espérais qu'une seule chose, que le réceptionniste de
l'hôtel lui ait bien remis mon message.
Fais-moi confiance.
Je t'en supplie, ne viens pas.
Lisy.
162
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Quinze
Et merde c'était quoi ce voyant orange ? La jauge d'essence ?
— Allez Veronica, encore un petit effort, ne me laisse pas en
rade sur le bord de cette route, pas maintenant, on est presque
arrivé, murmurai-je en tapotant le volant pour l'encourager.
Hey, Cummings a raison, ce n'est pas un cheval, tu sais !
— Fous-moi la paix Jiminy, criai-je en relâchant mon pied de
l'accélérateur.
Je ne savais même pas de combien de réserve je disposais sur
cette caisse. J'étais à quoi ? Quatre-vingt bornes, tout au plus, de
Springfield. La nuit commençait à tomber et il valait mieux pour
moi que je trouve une station au plus vite.
— Putain, où est-ce que j'ai mis ce fichu téléphone ?
Je me souvenais de l'avoir balancé sur le lit de l'hôtel lorsque
nous avions été coupées.
J'étais pourtant certaine de l'avoir récupéré après m'être
habillée.
Je me revoyais enfiler mon chemisier blanc, mon jean, mes
bottes et mon manteau.
163
KRIS T.L Ah !
Je soufflai de soulagement en le récupérant. Je pianotais ma
localisation sur le GPS intégré : Autoroute I-44 W. Je venais tout
juste de passer la sortie de Conway.
La route était de bien meilleure qualité, mais elle restait encore
humide. Il devait être près de dix-neuf heures. Tout allait
s'arranger, j'en étais certaine ou du moins j'essayais de m'en
convaincre. Toutefois, afin de ne pas tenter le diable, je réduisais
un peu plus ma vitesse afin de moins consommer. L'écran de mon
GPS me donnait en temps réel la distance qu'il me restait à
parcourir avant d'arriver à la prochaine station, trente-sept
kilomètres pour être précise.
Peu avant un virage, à une vitesse qui ne dépassait pas les 80
km/heure, Veronica fit une embardée sans que je n'en connaisse la
raison.
— Hey ! lâchant le téléphone, j'attrapai le volant à deux mains
afin de stabiliser le véhicule. Donnant un coup à droite, puis à
gauche, je stoppais la voiture cinq cent mètres plus loin sur la
bande d'arrêt d'urgence. Je restais là, le front collé contre le
volant, le souffle court, tremblant de tous mes membres.
— Ahhh, criai-je en passant mes mains sur mon visage.
Je quittai le confort du Cayenne pour faire le tour du véhicule.
— Ce n’est pas vrai, pleurnichai-je en plantant un bon coup de
pied dans le pneu arrière. Le changer ne m'impressionnait pas
164
Romagnas du Mont Davisparticulièrement, mais ce qui me faisait littéralement enrager,
c'était le fait de tomber en panne sur une route déserte à la nuit
tombée.
Dieu trouvait-il cela marrant de voir un pauvre humain se
dépêtrer à remplacer un pneu endommagé à l'aveuglette ?
— Merde !
— Un petit souci M'dame. Je peux vous aider ?
Une main posée sur mon cœur, je me retournai en sursautant.
J'étais tellement concentrée à chercher ce foutu cric dans le
coffre, que je n'avais même pas vu ce type approcher. Un pickup
gris bleu était garé à quelques mètres à l'avant du 4x4.
Ce qui me frappa à première vue chez lui, c'est sa tenue
country, elle était des plus spectaculaires car sous un parka noir
entrouvert, il portait une chemise de cowboy avec des boutons en
émail, une cravate texane et ses cheveux formaient une banane
gominée à la brillantine.
Wow !
— Non, ça va aller, répondis-je en serrant le cric contre moi.
— Il ne fait pas bon rester dans les parages, mademoiselle, le
lieu n'est pas très sûr.
— Je vous remercie, mais je viens d'appeler une dépanneuse,
mentis-je en déglutissant, avec un manque évident d'assurance
dans la voix.
— Je peux regarder, si vous voulez.
165
KRIS T.L Il se rapprocha un peu plus mais je me reculai d'autant en me
collant contre la portière.
— Oh, ce n’est pas joli. Un beau clou de charpente. Il y a une
scierie à Conway, tous les jours ils en perdent une quantité
incroyable sur cette route. C'est une véritable aubaine pour les
garagistes, voir les pompes funèbres si vous n'avez pas de chance.
Mais heureusement pour vous, vous ne deviez pas rouler vite. Il
donna une tape du plat de la main en se redressant et je sursautai
au bruit de l'impact dans la carrosserie.
— Pas la peine d'avoir peur ma petite dame, tout va bien se
passer. Je vais vous régler ça en deux secondes, faites confiance
au vieux Bobby. Saisissant le cric de mes mains, il le positionna à
l'emplacement réservé à cet effet.
— Il fait froid, vous devriez vous mettre au chaud dans ma
voiture.
— Euh !
Je restai là hésitante alors qu'il me tendait son trousseau de
clés.
— Vous ne risquez rien, insista-t-il en ancrant son regard dans
le mien.
Il devait avoir dans la quarantaine, un mètre soixante-dix,
cheveux poivre et sel. Un sourire chaleureux barrait son visage,
ce qui accentuait ses pommettes saillantes. Sa petite fossette au
166
Romagnas du Mont Davismenton était rehaussée d'un bouc bien taillé. Il me faisait penser à
un George Clooney version Cow-boy.
What else, murmura Jiminy dans un haussement de sourcils.
—Allez... c'est un ordre. Je n'aimerais pas avoir votre mort sur
la conscience. Il me fit signe de la main en me montrant sa
voiture. Je roulais des yeux en attrapant mon sac à main et mon
portable à l'intérieur du Cayenne.
La soufflerie montée à son maximum, je m'installai
confortablement et essayai de me réchauffer tant bien que mal. Il
pleuvait de plus en plus fort et je n'arrivais plus à distinguer son
corps au travers de la vitre arrière. Je posai ma veste sur le
dossier de mon siège et remarquai un étui à guitare posé sur la
banquette.
Il en mettait du temps. J'étais sur le point de ressortir du
véhicule quand la porte côté conducteur s'ouvrit en grand et qu'il
s'engouffra à l'intérieur. Il était trempé, le visage marbré,
complètement transi par le froid.
— Je suis désolé ma petite dame, mais les boulons de ce
satané engin n'ont pas voulu bougé d'un pouce.
Oh ! Décidément ce n'était pas mon jour.
— Bien, je vais devoir appeler une dépanneuse.
— Je croyais que c'était déjà fait ? me demanda-t-il surpris.
Pour toute réponse je mâchouillai ma lèvre inférieure en
haussant les épaules.
167
KRIS T.L — Ok, je vois ! Mais vu l'heure, je crois qu'il serait plus sage
que je vous dépose dans un garage, il y en a justement un sur ma
route, avec un peu de chance il ne sera pas fermé. Qu'est-ce que
vous en dites ?
Je me tortillai mal à l'aise sur mon siège. Devais-je accepter ?
Je ne le connaissais pas. Personne ne savait que j'étais dans cette
voiture... et si...
Et si tu finissais découpée en morceaux, termina Jiminy.
Je me mis à frissonner en regardant Bobby en biais, et ma
main se posa instinctivement sur la poignée de la portière.
— Si ça peut vous rassurer, vous n'êtes pas du tout mon genre
ma petite dame.
Son genre, qu'entendait-il par-là ?
Oh et puis zut, qu'est-ce que je risquais ? De toute façon j'étais
sur le point d'aller me jeter dans je ne sais quelle histoire sordide
avec la mafia en toile de fond. Alors je n'étais pas à un
enlèvement près. Et puis ce Bobby m'inspirait confiance.
Oui et puis comme ça, si jamais il te tue, tu ne connaîtras pas
la fin de l'histoire, me cria Jiminy.
La fin de l'histoire ? Quelle fin ? Celle où je vais finir
assassinée par un trafiquant de drogue et jetée au fond d'un puits
? Quitte à choisir mon bourreau, je préfère que ce soit Bobby !
pensai-je en fermant ainsi le clapet de ma conscience.
— Ok ! Je vous suis.
168
Romagnas du Mont DavisJ'attrapai la ceinture de sécurité.
— Attendez va falloir que je vous donne un petit coup de
main, elle est difficile à enclencher. Il se pencha vers moi et la
tira délicatement sans à-coup. Faut savoir la prendre avec
douceur, ajouta Bobby en me souriant.
Je fis oui de la tête, l'avoir si près de moi me mit mal à l'aise
car son odeur corporelle n'était pas sans me rappeler celle de
Cummings.
— Le nom de votre parfum ? demandai-je les yeux fermés en
inspirant profondément.
Surpris, il tourna son visage vers moi.
— Emporio d'Armani, pourquoi ?
Oh !
C'est un crissement de pneus, qui nous fit relever la tête. Une
voiture venue d'un autre temps se gara devant nous.
— Qui est ce fou ? Que veut-il ? demanda Bobby affolé.
Je haussai les épaules, tout aussi inquiète que lui.
L'homme abandonna son véhicule toujours en marche, laissant
sa portière ouverte, il se dirigea vers nous à grands pas.
Bobby était sur le point d'enclencher la première quand
l'homme se posta devant le pickup et dans un grand fracas il
claqua ses deux mains à plat sur le capot.
— Lisy, descends de là.
169
KRIS T.L — Vous le connaissez ?
Oui, fis-je dans un hochement de tête.
— Lisy, descends de ce véhicule, MAINTENANT.
Cummings respirait la colère. Il regardait Bobby avec tant de
fureur que cela me fit peur.
— Vous n'êtes pas obligée de descendre, me souffla Bobby
peu rassuré en posant sa main sur mon avant-bras.
— Lâchez-là ! hurla Cummings.
Perdu au milieu des phares du pickup, je pouvais voir ses
muscles se tendre, sa mâchoire se contracter. Ses yeux bleus
étaient à présent aussi sombres qu'une nuit sans lune.
— Hey ! Vous êtes dingue ? cria Bobby
La pluie battante tombait sur ses épaules. L'eau ruisselait sur
son visage. Il tremblait. Était-il furieux contre moi ?
Bien sûr qu'il est furieux, me cria Jiminy. Tu lui as piqué sa
Veronica. Tu lui as menti. Il a le droit de t'en vouloir, non ?
Oui, mais m'en voulait-il au point d'avoir volé cette voiture des
années cinquante ? D'où sortait-elle ? Une location ? Peu
probable.
— Oh mon Dieu !
— C'est votre ex ? Il ne m'a pas l'air commode. Vous voulez
que je vous en débarrasse ?
170
Romagnas du Mont Davis— Quoi ? Mon ex ? M'en débarrasser ? Non ! Enfin, c'est
compliqué, soufflai-je peu sûre de moi en me passant les mains
sur le visage.
— Compliqué comment ? demanda Bobby en appuyant sur
l'accélérateur.
— Non ! criai-je.
Cummings profita de ce moment de confusion pour se décaler
jusqu'à ma portière. Il l'ouvrit à la vitesse de l'éclair, puis me
saisissant par le bras il me fit quitter l'abri sécurisant de cette
voiture pour me ramener à l'avant dans la lumière des phares.
— Hey ! Qu’est-ce que vous faites ? cria Bobby. Mais
Cummings ne prit même pas le temps de lui répondre,
concentrant toute son attention sur moi.
— Tu vas bien ? Dis-moi que tout va bien ? Il ne t'a rien fait ?
Oh mon Dieu, Lisy, j'ai eu tellement peur.
Il était là touchant mon visage, touchant mes cheveux, les
soulevant et les faisant glisser entre ses doigts dans la lumière des
phares, caressant mes bras, mes côtes. Ses yeux suivaient ses
mains comme s'il voulait se persuader que j'étais bien réelle.
— Je vais bien, je te le promets, je vais bien. Je t'assure, dis-je
en posant délicatement mes mains sur les siennes.
Il n'était pas du tout en colère. C'était bien de l'inquiétude qui
brillait dans son regard. Il n'avait pas l'air de m'en vouloir et
même si j'en étais surprise, je m'en trouvai surtout soulagée.
171
KRIS T.L La pluie tombait sur nous deux, et en l'espace de deux
secondes je me retrouvai à mon tour complètement trempée. Mon
chemisier blanc me collait comme une seconde peau et une pluie
glaciale perlait en fines gouttelettes sur nos deux visages, glissant
et finissant leur course sur nos lèvres.
Le regard de Cummings se focalisa sur l'une d'elles. Il était
assez près pour que son souffle chaud caresse mon cou et mon
visage lové entre ses mains se délectait de son contact. Son pouce
se posa délicatement sur ma lèvre et instinctivement j'entrouvris
la bouche. D'un seul coup, tout s'accéléra. D'une main il
emprisonna ma nuque, mon corps pris en étau entre lui et le
pickup se moula à l'accueil que m'offraient ses bras. Ses lèvres se
posèrent avec avidité sur les miennes, et c'est avec force que sa
langue se glissa dans ma bouche.
Nos cœurs à présent en fusion étaient prêts à mener une
bataille sans merci.
Le feu et la glace réunis.
172
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Seize
Je venais tout juste de raccrocher avec Matt, ils me talonnaient
de près. Le bébé de Berni était une sacrée caisse, mais niveau
vitesse ce n'était pas une formule 1 et le confort était tout aussi
précaire, j'avais l'impression d'avoir les ressorts de mon siège
incrustés dans mon dos et mes fesses.
Nous venions de décider de nous retrouver dans moins de
quatre heures à l'aéroport de Springfield pour prendre le prochain
vol ensemble.
Où es-tu Lisy O'Brian ? Qu'est-ce que tu essayes de prouver ?
Le ballet incessant des essuie-glaces avait un effet hypnotique
et leur va-et-vient monotone anesthésiait mon cerveau.
Springfield quatre-vingt kilomètres. Enfin !
Cette grosse pancarte verte m'annonçait la fin de mon calvaire.
Durant cette dernière heure, ma seule priorité allait être de rester
éveillé et d'arriver à bon port.
Matt venait de me faire le topo des derniers événements.
173
KRIS T.L Aucune drogue, aucun indice, rien qui puisse impliquer qui
que soit n'avait été retrouvé sur les lieux, si ce n'est le corps
d'Enrique bien sûr.
Une ville fantôme, voilà à quoi ressemblait Terlingua. Un
mauvais western avec un règlement de compte en prime.
Nous avions discuté de la marche à suivre vis-à-vis de Lisy. Il
était prêt à la court-circuiter en bloquant sa carte bleue et je
savais qu'elle allait être à cours de carburant dans les prochaines
heures. Mais je n'étais pas certain de pouvoir la rattraper et l'idée
qu'elle puisse être perdue au milieu de nulle part sans argent
n'était pas très rassurante.
Le coin est vraiment paumé et si tu viens à la louper... Même
ma conscience était d'accord avec moi.
Matt s'était quelque peu fâché en prétendant que mon
jugement était faussé.
Que voulait-il dire par là ? Que j'étais trop proche de Lisy ?
Afin de lui faire entendre raison, j'avais intentionnellement
évoqué la sécurité de Tess, car quoique nous puissions dire ou
faire, elle était bien la seule personne sur cette terre à pouvoir la
retrouver.
Lui nuire, l'empêcher de la rejoindre sans avoir plus
d'éléments était quelque chose que je ne pouvais me résoudre à
faire.
174
Romagnas du Mont DavisÀ la sortie d'un long virage, les phares de mon véhicule
accrochèrent un point lumineux sur le bas-côté de la route. La
forme d'une voiture qui me paraissait familière se détacha du
décor. Une feuille d'érable entourée d'un fer à cheval.
Merde, ma plaque, mon Cayenne, Veronica.
S'en suivait un deuxième véhicule garé juste devant, un gros
4x4.
En raison de la vitesse à laquelle je roulais et de la pluie qui
s'abattait sur le pare-brise, j'eus du mal à distinguer qui se
trouvait à l'intérieur. Seules les silhouettes de deux corps
imbriqués l'un dans l'autre m'apparut dans la faible lueur du
plafonnier.
Je regardai une dernière fois dans le rétroviseur, et par réflexe
mon pied s'écrasa sur la pédale de freins.
Putain !
Dans un crissement de pneus assourdissant, je stoppai la
Cadillac devant le véhicule stationné sur le bas-côté.
Lisy !
Sans arrêter le moteur j'abandonnai la chaleur de mon véhicule
pour faire face à une pluie glaciale, chaque goutte d'eau était
autant de lames de rasoir qui me déchiraient la peau.
Que faisait-elle dans cette voiture ? Était-elle avec quelqu'un
qu'elle connaissait ? Ou bien quelqu'un qui lui voulait du mal ?
S'était-il arrêté pour lui porter secours ? Ou bien avait-il de
175
KRIS T.L mauvaises intentions vis-à-vis d'elle ? Tant de questions se
bousculaient dans ma tête.
Elle t'a mis à terre en deux secondes dans cette chambre
d'hôtel, me souffla ma conscience. Elle sait mieux se battre que
toi.
— Lisy descends de ce véhicule MAINTENANT, criai-je en
me rapprochant de la voiture.
La main du type se posa sur son avant-bras comme pour
l'empêcher de sortir.
Ne pose pas tes doigts sur elle, grognai-je en posant mes
mains à plat sur le capot.
— Lâche-là ! hurlai-je avec tant de haine que tous deux se
reculèrent dans leur siège.
N'aies pas peur ma douce je suis là.
La voiture se mit à vrombir un peu plus fort et je sentis comme
une poussée sous le capot.
Ouais, c'est ça vas-y roule moi dessus, connard. Qu'on rigole !
La fureur qui grondait en moi me donnait l'impression d'être
un de ces supers héros pouvant stopper un van d'une main.
Ou pas ! me cria ma conscience qui avait un instinct de survie
plus développé que le mien.
Lisy cria après ce type et posa sa main sur son torse comme
pour le stopper. Profitant de cet instant de confusion, je partis en
176
Romagnas du Mont Davisdirection de sa portière, l'ouvrant à la volée, saisissant son bras,
je la fis sortir sans ménagement en la ramenant à l'avant du
véhicule pour mieux l'observer dans la lueur des phares. Elle était
là, bien là, dans mes bras. Sentir son corps contre le mien me fit
perdre le sens de la réalité.
— Tu vas bien ? Dis-moi que tout va bien ? Il ne t'a rien fait ?
Oh mon Dieu, Lisy, j'ai eu tellement peur.
Je la touchais, vérifiant qu'elle n'ait subi aucun mal. La colère
que j'avais ressentie plus tôt était à présent remplacée par quelque
chose de beaucoup plus fort, de plus dévastateur, une onde de
choc s'apparentant à un tsunami. Une vague de fond détruisant
tout sur son passage donnant à mon âme l'espoir d'une ère
nouvelle, quelque chose qui jusqu'à hier n'existait pas.
L'envie de la serrer contre moi se transforma en un besoin
vital. Son corps épousait le mien à la perfection. Voir ces
gouttelettes inonder son corsage, s'écraser sur son visage,
s'échouer sur ses lèvres me donnait le tournis.
Prenant son visage en coupe, je déglutis lorsque mon pouce
partit recueillir une de ces gouttelettes perdues au milieu des
autres. Sentir son souffle chaud caresser mon doigt alors que sa
bouche s'entrouvrait me fit l'effet d'un blackout. Et c'est dans une
frénésie non dissimulée que mes lèvres partirent à la conquête des
siennes. Répondant à mon baiser elle enveloppa ses bras autour
de moi et accentua la pression de son corps contre le mien. Ses
lèvres étaient aussi douces que de la soie, beaucoup plus
177
KRIS T.L tentatrices que je n'aurai pu l'imaginer. Ma langue se montra
outrageusement déterminée et força le barrage de ses dents,
profitant ainsi de cette soif d'elle. Une sensation de chaleur
enveloppa mon corps et mon cœur, nous mettant à l'abri de
l'univers tout entier.
Mais ce type à l'intérieur du pickup fit éclater notre bulle de
bien-être et je grognai de frustration en sentant les mains de Lisy
s'appuyer contre mon torse.
— Bobby, chuchota-t-elle en reprenant son souffle.
— Hé ho ! Les jeunes, je ne veux pas vous déranger, mais
vous allez attraper la mort ! Vous voulez que je vous conduise
jusqu'au prochain garage ?
— Ça va aller j'ai une assistance dépannage, merci.
Apparemment il n'avait pas l'air d'un mec méchant mais un
sentiment totalement inconnu grondait au fond de moi et
s'amusait à obscurcir mes pensées.
Bobby ? Laisse tomber, elle est à moi, pensai-je en le regardant
bien droit dans les yeux.
Lisy mit fin à ce contact visuel en me bousculant pour
récupérer ses affaires.
— Merci Bobby.
— Ça va aller ma petite dame ? insista-t-il.
— Oui, a-t-elle ajouté en claquant des dents.
178
Romagnas du Mont Davis— Bobby ? l'interpellai-je, me raclant la gorge.
— Oui mon gars ?
— Vous ne connaitriez pas un endroit où nous pourrions nous
mettre au sec le temps que ma famille nous rejoigne ? Nous
comptions prendre le prochain vol pour El Paso.
Lisy me regarda en écarquillant les yeux.
— Quoi ? demandai-je avec incertitude
— Je pensais moi aussi prendre le prochain vol pour El Paso.
— Oh, eh bien tu vois, quoiqu'il arrive je t'aurai retrouvée,
répondis-je en fronçant les sourcils.
— Tu n'as pas eu mon message, n'est-ce pas ? murmura-t-elle
en baissant les yeux.
— Quel message ? Non, répondis-je en repensant à l'attitude
du réceptionniste de l'hôtel.
— Écoutez, j'habite à quelques kilomètres, autant venir chez
moi, nous interrompit Bobby.
— Eh bien, nous ne voudrions pas abuser de votre gentillesse.
— Si tel était le cas, je ne vous l'aurai pas proposé... Et dans ce
trou paumé vous ne trouverez rien jusqu'à Springfield. Allez,
faites-moi plaisir montez dans votre Cadillac et acceptez !
Je tournai la tête vers Lisy, elle grelottait tellement que je n'eus
pas le cœur de refuser.
179
KRIS T.L — Ok ! Le temps de prévenir l'assistance dépannage, d'avertir
mon père et je vous suis. Reste au chaud. Je vais mettre le signal
GPS de Veronica en route, je te fais confiance, tu ne bouges pas ?
ajoutai-je en la regardant bien droit dans les yeux.
— Oui, fit-elle la mine contrite en remontant à bord du pickup.
— Je vous la confie, dis-je très sérieusement à l'attention de
Bobby.
— Elle est entre de bonnes mains. Ne vous en faites pas !
Ok, mais garde tes mains sur ton volant, grogna ma
conscience.
La dépanneuse arriva en moins de vingt minutes, et à en voir
la mine réjouie du garagiste, je sus d'avance qu'il allait essayer de
m'escroquer.
Le plus poliment possible, je lui fis comprendre qu'il n'était
pas question qu'il me fasse une quelconque embrouille vis-à-vis
de Veronica. Et j'étais prêt à faire intervenir Berni si jamais il
arrivait malheur à ma voiture.
*
Bobby ne nous avait pas menti, nous mîmes à peine un quart
d'heure avant d'arriver dans un magnifique corps de ferme.
J'avais les fesses bien au frais car le siège en cuir de la
Cadillac était trempé.
Berni ! pensai-je en me réajustant mal à l'aise dans mon jean.
180
Romagnas du Mont DavisLorsque je sortis de la voiture, Lisy et Bobby étaient déjà sur
la terrasse.
Wow wow wow ! cria ma conscience lorsqu'une bête sortie tout
droit des enfers se redressa sur ses pattes.
Un chien, si je peux le nommer ainsi, se retourna dans ma
direction, poils hérissés, truffe froncée et babines légèrement
retroussées. Je n'étais, certes, pas un analyste chevronné dans la
morpho gestuelle canine mais je pouvais dire que cet animal
s'apparentant plus à un poney qu'à un chihuahua n'appréciait pas
ma venue et qu'il était déterminé à en découdre.
Bobby me fit signe de le rejoindre et j'entendis Lisy crier :
— Oh mais quel beau toutou.
Beau toutou ?...Où voit-elle un beau toutou ? s’affola ma
conscience, réfléchissant aux deux options qui s'offraient à elle.
La première étant de prendre ses jambes à son cou, la deuxième
consistant à s'évanouir et à perdre le peu d’estime que j’avais de
moi-même.
— Oh, mais c'est qu'il est tout mignon, ajouta-t-elle en le
caressant alors que celui-ci ne me lâchait pas du regard.
— Tu ne devrais pas faire ça, chuchotai-je à son attention, pas
rassuré de la voir poser ses mains sur ce cerbère tout droit sorti
d'un film d'horreur.
Oh oui, le chien de Baskerville ! souffla ma conscience.
181
KRIS T.L Me retrouvant enfin à sa hauteur, ce monstre se retourna vers
moi gueule ouverte, me sautant dessus il engloba la totalité de
mon visage. L'odeur pestilentielle de son haleine était à vomir et
j'eus l'impression de me vautrer dans la carcasse d'un rat crevé
lorsque celui-ci me lécha le visage.
— Hercule couché !
Oh seigneur ! D’un revers de manche j'essuyai la bave sur mes
joues.
— Je suis désolée, il adore les nouvelles têtes.
Hercule fit trembler le sol en laissant retomber ses pattes sur la
terre ferme, puis il retourna se recoucher sagement aux pieds de
son maître.
— Comme tu es mignon, ajouta Lisy en lui caressant la tête.
N'est-ce pas Greg ? s’amusa-t-elle à me chahuter en voyant ma
mine déconfite.
Bon vieux pote... faire la fête... adore les nouvelles têtes...
Herk !
— Allez venez par là, je vais vous présenter Jeff.
— Jeff ? demandai-je en reculant de deux pas, n'étant pas prêt
à subir un deuxième assaut.
— Mon compagnon, me rassurant Bobby, qui passant devant
moi, me fit un clin d'œil.
— Oh... oui... compagnon, très bien, m’écriai-je soulagé
182
Romagnas du Mont Davis— Je comprends mieux pourquoi je n'étais pas son style !
chuchota Lisy.
J'émis un grognement lorsque Lisy attrapa ma main en roulant
des yeux.
— Enfin te voilà ! cria un grand blond en ouvrant la porte
d'entrée. Mon Dieu, mais dans quel état es-tu ? Et c'est quoi cette
coupe de cheveux ?
Lisy et moi restâmes derrière Bobby complètement tétanisés à
cause de cette grande brindille, blond platine, la trentaine, dans le
style beau gosse efféminé, jean taille basse avec une chemise rose
à carreaux surpiquée aux épaulettes.
— Wow ! Mais qui sont ces pauvres créatures égarées ? Le ton
de sa voix monta dans les aigus quand il nous vit par-dessus
l'épaule de Bobby.
— Lisy et Grégory Cummings, répondit Lisy en lui présentant
sa main pour le saluer.
Je me raclais la gorge en relevant un sourcil. À la manière
dont elle venait de nous présenter, nous pouvions facilement
passer pour un couple.
— Panne de voiture ? demanda-t-il.
— Je leur ai proposé de venir se mettre au chaud à la maison
le temps que leur famille vienne les récupérer, ajouta Bobby.
— Mais allez-y rentrer vous mettre au chaud.
— Merci, fis-je en saluant Jeff de la tête.
183
KRIS T.L — Je vais devoir aller me changer les enfants. Je suis attendu
pour jouer.
— Musicien ? demanda Lisy.
— Guitariste dans un groupe de Country.
— Mais nous ne savions pas que vous deviez partir, nous ne
voulons pas vous déranger.
— Ne dites pas de bêtises voyons ! Nous adorons recevoir du
monde à la maison. N'est-ce pas Jeff ? Et puis vous n'aurez qu'à
venir me voir jouer tout à l'heure.
— Mais oui, allez-y, ne restez pas dehors par ce temps, nous
coupa Jeff en attrapant la main de Lisy pour l'obliger à rentrer. Et
d'un signe de tête Bobby m'invita à les suivre.
L'intérieur était aménagé avec goût. Une déco sombre et
automnale, masculine mais classe, avec deux grands canapés en
cuir marron positionnés devant un immense écran plasma. De
grosses bûches crépitaient dans l'âtre de la cheminée apportant à
la pièce une luminosité, une odeur de bois brûlé ainsi qu'une
chaleur apaisante.
— Je ne voudrais pas abuser, mais serait-il possible de me
rafraîchir. Hercule s'est comment dire montré très enthousiaste
lors de notre première rencontre.
J'avais son odeur qui flottait tout autour de moi et cela me
donnait la nausée.
— Il faut dire que ce chien a très bon goût.
184
Romagnas du Mont DavisJeff me détailla de la tête aux pieds avec un sourire en coin et
dans un haussement de sourcils il continua de caresser le chien.
Ok !
— De quelle race s'agit-il ? demandai-je en me frottant le nez
de mon index.
— C'est un grand Danois, il pèse cent-onze Kilos. Il figure
dans le livre des records, vous savez !
— Joli toutou, murmurai-je en regardant Lisy qui avait bien du
mal à contenir son rire.
— Suivez-moi je vais vous conduire jusqu'à notre chambre
d'amis. Surtout prenez votre temps. Mettez-vous à l'aise, reposez-
vous.
*
— Je crois qu'il faut que nous parlions.
Je me retournai, surpris qu'elle attaque de la sorte alors que
nous venions tout juste de refermer la porte derrière nous.
J'avais imaginé devoir lui poser mille questions, mais de
nouveau elle me déstabilisait en prenant les rênes.
— Je le pense aussi, mais d'abord avant que tu ne m'expliques
ton départ précipité, laisse-moi me rafraîchir, Hercule a un after-
shave très tenace.
— Oh ! Oui, bien sûr. Tu lui as plu, un vrai coup de foudre, se
moqua-t-elle en se mordillant la lèvre.
185
KRIS T.L — Bien sûr, tout le monde sait que je suis irrésistible,
murmurai-je d'une voix rauque.
Elle roula des yeux et me suivit jusqu'à la salle d'eau. Celle-ci
était design malgré son esprit local. Un meuble avec trois portes
coulissantes en teck, avec sur le plateau une vasque en pierre.
— Si... si je suis partie, c'est parce que j'ai reçu un coup de fil
— Tess ?
— Elle va bien, tout va bien. D'après ma tante elle dort la plus
part du temps et les contractions se sont arrêtées.
— Et ta tante ? T'a-t-elle dit où elles se cachent ?
— Non, elle est fragile. Mon oncle savait comment canaliser
ses débordements, mais là, sans lui, je ne sais pas comment gérer.
— J'ai vu les infos, murmurai-je en m'aspergeant d'eau.
— Ah ! Ok ! …Ça vaut peut-être mieux, non ? Au moins tu
sais qui je suis, ajouta-t-elle avec une pointe de sarcasme dans la
voix.
— Je sais, et pourtant je suis là !
Elle fit oui en baissant les yeux, ravalant ainsi ses larmes.
— Que t'a dit Lisbeth ? demandai-je en me raclant la gorge.
— De la rejoindre... mais seule. Elle me regarda droit dans les
yeux avant de rajouter. Je ne dois en aucun cas prévenir les
autorités.
— C'est loupé, affirmai-je en essayant d'évaluer sa réaction.
186
Romagnas du Mont Davis— Il faut que je retourne à mon cabinet, elle m'a soutenu que
sur place, je trouverai.
— Trouver quoi ?
— Si seulement je le savais, chuchota-t-elle en se passant une
main sur le visage.
— Bien ! je vais prévenir mon père. Ensemble nous pourrons
définir d'une tactique pour approcher Lisbeth.
Elle me regarda en fronçant les sourcils.
— Ton père ? Mais que va-t-il penser de moi ?
— Il va penser comme moi que tu es une fille courageuse.
— Une fille courageuse qui s'est tirée avec ta voiture.
— C'est oublié !
— J'ai peur, souffla-t-elle, j'ai peur pour toi...Les derniers mots
étaient murmurés si doucement qu'il me sembla avoir rêvé, mais
vrillant mon regard au sien, je compris que ce n'était pas le cas.
En deux secondes je me retrouvai collé contre elle. Une main
dans ses cheveux, mon nez frôlant le sien. Sa bouche entrouverte
effleura mes lèvres et je n'eus qu'une envie m'oublier dans ses
bras.
— Tu n'as pas avoir peur...
— Toutes les personnes qui m'entourent meurent. L'idée qu'il
puisse t'arriver quelque chose me terrorise.
187
KRIS T.L — Chutttt ! Il n'est pas question que je te laisse me filer entre
les doigts.
— Je comprends, je ne partirai plus. La vie de ta sœur est bien
trop importante, ajouta-t-elle en baissant les yeux.
— Lisy regarde-moi, lui dis-je en relevant son menton. Il n'est
pas question que Tu t'éloignes de moi.
188
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Dix-Sept
— As-tu seulement idée de la force de mon désir ?
Je haletai sous la pression de son corps. Son regard était d'une
telle douceur, d'une telle tendresse.
— Si tu savais tout ce que j'ai envie de te faire, ajouta-t-il en
caressant doucement mon menton. Il se pencha en avant pour me
soulever et mes jambes s'enroulèrent instinctivement autour de lui
comme si elles connaissaient déjà l'empreinte de son corps. Me
bloquant contre la porte, ses lèvres se posèrent avec délicatesse
sur les miennes.
— Oh Lisy ! Hmm... tu es magnifique. Prenant mon visage en
coupe, il me tira vers lui, plongeant sur mes lèvres, ma bouche
s'entrouvrit et c'est en frémissant que je répondis à son baiser qui
se montra de plus en plus exigeant et gourmand. M'enveloppant
de son corps il me serra fermement puis d'une main il me tira
contre ses hanches, dans cette position il m’était impossible
d'ignorer le désir qu'il éprouvait pour moi.
— Oh mon Dieu, dis-je en gémissant contre ses lèvres, me
délectant de la friction que nous procuraient nos deux corps
enlacés. Posant mes mains sur ses avant-bras, je les fis glisser
189
KRIS T.L vers son visage, jusque dans ses cheveux. Je me mis à haleter
lorsqu'il pinça mon lobe d'oreille entre ses dents, laissant courir
sa langue le long de mon cou, il me déposa sur le plan du lavabo.
Défaisant un à un les boutons de ma chemise, il continua à
parsemer mon corps de baisers en descendant vers mon nombril.
Posant sa main à plat sur mon ventre il défit les boutons de
mon jean. Et c'est sans me quitter des yeux qu'il le fit glisser le
long des mes jambes. Complètement électrisée par son toucher,
j'appréciais le contact de ses mains voyageant sur mes cuisses.
Se plaçant à genoux devant moi il attrapa mon pied et défit ma
botte, faisant suivre par la même occasion ma chaussette il
réserva le même sort à mon deuxième pied, puis d'un coup sec il
tira mon jean vers le bas.
— Tu es vraiment très belle, murmura-t-il en embrassant
l'intérieur de mes cuisses. Remontant jusqu'à ma fine culotte en
dentelle, il déposa un baiser en inspirant mon odeur.
— Et tu sens divinement bon...
Jamais, au grand jamais on ne m'avait parlé comme ça, et la
simple vision de son visage d'ange entre mes cuisses faillit me
faire venir. Il remonta jusqu'à ma poitrine, écartant les pans de ma
chemise, il saisit mes seins.
— Je t'ai vu me décrire à l'aéroport, haletai-je sous la
puissance de ses doigts.
190
Romagnas du Mont Davis—Oh ! C'est vrai ? Tu m'en vois désolé, je n'étais vraiment pas
objectif, ils sont magnifiques, murmura-t-il en passant son index
sur mon mamelon gorgé de désir, juste parfaits, ajouta-t-il avec
gratitude.
— Oh s'il te plaît... demandai-je en le suppliant d'en faire plus.
Et tandis que mes doigts se refermaient fermement sur ses
cheveux soyeux, ses lèvres se posèrent délicatement sur mon
autre mamelon. Basculant ma tête en arrière, ma bouche
s'entrouvrit et je me mis à haleter plus fort.
Sa main gauche descendit vers ma taille, malaxant ma hanche
il termina sa course sur mon intimité, elle glissa à l'intérieur de
ma fine culotte et dans un léger va-et-vient s’occupa de moi.
— Tu es délicieusement chaude et humide. Dieu seul sait
combien je te veux.
Sa respiration était à présent difficile, haletante, et la pression
de ses doigts me firent crier de plaisir. Soudainement, il se releva,
retirant ma culotte, il la jeta sur le sol carrelé de la salle de bains.
Il me souleva et me ramena dans la chambre. Me posant sur ce
grand lit, il se déshabilla devant moi, en prenant soin de ne pas
me quitter du regard.
Oh mon Dieu... pensai-je en voyant son érection fièrement
tendue. Saisissant son portefeuille dans la poche arrière de son
jean il en retira un préservatif et se repositionna entre mes
jambes. Fermant les yeux, il plongea en moi dans une lenteur
exquise.
191
KRIS T.L — Depuis le temps que je rêve de faire ça, murmura-t-il en
ancrant son regard au mien.
— Cela ne fait que vingt-quatre heures qu'on se connait,
murmurai-je à bout de souffle.
— Oui, haleta-t-il. Mais j'ai l'impression que ça fait une
éternité que je t'attends.
À ces mots je sentis mon orgasme se construire, et tandis que
lui s'enfonçait encore et encore, mon corps s’arqua de plaisir
avant d'exploser autour de lui.
— Dieu... criai-je sans retenue.
Il s'abandonna à son tour en soufflant mon prénom contre mon
oreille. Il nous fut difficile de rester éveillés après cet orgasme.
La tête calée contre son torse, je sentis la tension de ces dernières
heures quitter nos corps. Mes yeux papillonnèrent quelques
minutes avant que je ne me laisse aller contre lui dans ce grand lit
moelleux.
C'est le bruit de la douche qui me réveilla, regardant le réveil
digital sur la table de chevet, je vis que nous nous étions assoupis
une petite heure.
Passant mes mains devant les yeux, je réalisai ma chance.
Seigneur ! Je venais d'avoir un orgasme fort et puissant,
destructeur et transcendant. Le meilleur de toute ma vie.
192
Romagnas du Mont Davis— Que vais-je devenir ? soufflai-je en me laissant retomber
dans le lit, la tête dans l'oreiller.
Inspirant un bon coup, je décidai d'aller le rejoindre dans la
salle de bains. Mais lorsque mon pied se trouva en contact avec le
sol, il se posa avec maladresse sur quelque chose de mou et de
dur à la fois.
Son portefeuille.
Je me baissai pour le ramasser, une photo qui se trouvait
coincée à l'intérieur glissa et tomba à mes pieds. C'était la photo
qu'il avait regardée au Méridien. Une photo de famille.
La prenant dans les mains, je restai là à la contempler,
dessinant les contours de son visage du bout de mon index. Il
devait avoir à peine dix ans. Il avait l'air heureux, inconscient,
posant avec sa mère, son père et sa sœur devant un lac. La
ressemblance qu'il entretenait avec sa mère était subtile, sa
bouche, la forme du visage, la douceur dans son regard. La
ressemblance avec son père malgré son jeune âge était plus
marquée. Ces mêmes yeux, ce bleu électrique qui avait fait
chavirer mon cœur. Ce charisme, avec ce petit quelque chose
d'animal, de félin. Perdue dans mes pensées, je ne l'entendis pas
revenir dans la chambre, et c'est la sensation d'être observée qui
me fit relever la tête vers lui.
— C'est une très jolie photo de famille, soufflai-je à demi-
mots. Il resta à distance, silencieux, les sourcils froncés. Je suis
193
KRIS T.L désolée, elle est tombée de ton portefeuille, ajoutai-je confuse,
mal à l'aise, face à son regard si sombre.
— Ce n'est rien, murmura-t-il en baissant les yeux sur la
photo.
— Ce sont tes parents et ta sœur ? demandai-je en lui
adressant un sourire contrit.
— Oui.
Il y avait tant de tristesse dans ses yeux, tant de souffrance que
sans réfléchir je me levai pour l'attirer vers moi. Je ne portais que
ma chemise blanche, lui était torse nu avec une serviette autour
de la taille. Son nez se logea dans mes cheveux, inspirant un peu
plus fort, il me serra contre son corps mouillé. Frissonnant à son
contact, mes doigts encerclèrent sa nuque et je sentis ses épaules
s'affaisser.
— Elle est morte ce soir-là, souffla-t-il dans un sanglot retenu.
Oh !
— C'était le jour de la fête des mères. Il y a dix-sept ans,
murmura-t-il.
Il dut ressentir la tension qui emprisonnait mon cœur car sans
dire un mot il me serra un peu plus fermement contre lui.
— Dix-sept ans ? La fête des mères... soufflai-je pour moi
même en plissant les yeux, totalement perdue.
— Il faisait beau et nous étions partis faire un pique-nique au
lac Simcoé. Mon père s'était mis en tête de jouer au Robinson, il
194
Romagnas du Mont Davisavait fait un feu de bois en nous affirmant que nous ne
mangerions que le résultat de notre pêche. Bien entendu, on ne
s'improvise pas pêcheur du jour au lendemain et nous serions tous
morts de faim si ma mère, en personne avisée, ne nous avait pas
préparé en cachette de merveilleux sandwiches au beurre de
cacahuètes.
Ce souvenir heureux le fit sourire, mais cela ne dura que
quelques secondes avant que son regard ne s'obscurcisse à
nouveau.
— En fin d'après-midi, fatigués et déçus de n'avoir rien
attrapé, nous avons fait la vie à mon père pour qu'il nous emmène
au cinéma. « Le Roi Lion » était à l'affiche et nous voulions à
tout prix le voir. J'ai très bien vu qu'il n'était pas motivé et nous
aurions mieux fait de l'écouter et de rentrer à la maison, mais...
mais nous n'étions que des enfants, s'excusa-t-il la gorge serrée.
D'une pression de la main sur sa nuque, je lui intimai de
poursuivre.
— Je me souviens d'avoir insisté auprès de ma mère sachant
très bien que mon père ne pouvait rien lui refuser.
Plus il rentrait dans l'histoire et plus je sentais son corps se
tendre. C'était douloureux et j'étais triste pour lui. Sa respiration
se faisait de plus en plus difficile, ses mots n'étaient que
murmures, à peine soufflés dans le creux de mon cou. Je le tenais
fermement contre moi pour ne pas qu'il s'effondre, car je savais
qu'il était important pour lui qu'il aille au bout, qu'il exorcise cette
195
KRIS T.L terrible journée où le destin lui avait arraché certainement l'être
qu'il aimait le plus au monde.
— À la sortie du cinéma, mon père est parti récupérer la
voiture. Ma mère, ma sœur et moi sommes restés devant l'entrée.
Tess pleurait car elle ne trouvait plus sa peluche. Je me souviens
d'être reparti à l'intérieur de la salle pour voir si elle ne l'avait pas
oubliée sur son fauteuil. Lorsque je suis revenu avec le trophée en
main, fier de l'avoir retrouvée, je fus surpris de ne plus les voir.
J'ai entendu des bruits sur le côté du bâtiment, je me suis alors
avancé jusqu'à une ruelle mal éclairée. Ma conscience me criait
de faire demi-tour, mais je ne l'ai pas écoutée. Il faisait noir et
l'odeur pestilentielle des poubelles était insupportable.
Il continua de parler tout en fermant les yeux. J'avais
l'impression qu'il revivait ce moment douloureux, qu'il luttait
intérieurement pour poursuivre et me dévoiler la partie la plus
sombre de sa vie.
— Je me suis enfoncé dans cette ruelle et j'ai vu ma mère
allongée sur le sol, ma sœur se tenait prostrée contre le mur. Une
personne que je ne connaissais pas planait au-dessus d'elle. Je n'ai
pas tout de suite compris ce qu'il se passait, j'ai d'abord cru que
ma mère avait fait un malaise. Alors je me suis avancé en criant
« Maman » et là tout s'est accéléré. Dans la lumière du réverbère
j'ai vu briller une lame ensanglantée et c'est à cet instant que j'ai
réalisé toute l'horreur de la situation. Ce monstre lui caressait les
196
Romagnas du Mont Davischeveux et lui chantait une comptine. Je me souviens encore des
paroles :
Triste..........triste lueur du soir
Quand la nuit s'invite et que la mort vient te voir
Je suis là près de toi et je te tends les bras.
— Mais si je ne peux t'avoir. Alors personne ne t'aura,
terminai-je pour lui.
— Tu la connais ? J'ai pourtant fait des recherches sur le net et
je n'ai jamais trouvé ce texte...
— Je me souviens de cette comptine, je l'ai entendue quand
j'étais enfant.
Il se recula, me tenant à bout de bras. Une lueur nouvelle
brillait dans ses yeux.
— Lisy, je sais que ton père est mort deux jours après ma
mère, mon père a fait des recherches sur lui. Crois-tu qu'il y ait
un lien entre eux ?
—Un lien ? Entre nos deux familles ? Mon père et ta mère ?
Sincèrement je ne vois pas, dis-je en le regardant tristement.
Relevant sa main vers mon visage il essuya une larme qui roulait
sur ma joue, sans ce geste je ne me serais même pas rendue
compte que je pleurais.
— Que s'est-il passé ensuite ?
197
KRIS T.L — Ce monstre s'est relevé et s'est précipité sur Tess. Il a
attrapé ma sœur par le bras, et c'est sans réfléchir que je me suis
interposé pour lui barrer la route. J'ai vu la lame se lever et je ne
sais pas par quel miracle j'ai réussi à l'esquiver. Tess n'a
malheureusement pas eu cette chance. Elle a hurlé de douleur
lorsque la lame s'est enfoncée dans sa chair
— La cicatrice sur son bras ?
— Oui. Ce malade l'a alors lâchée et s'est enfui, en criant qu'il
reviendrait pour elle. Les cris de ma sœur ont alerté mon père qui
nous cherchait devant le cinéma. Quelques jours après l'assassinat
de ma mère, je me suis souvenu qu'il lui avait arraché quelque
chose autour du cou.
— Le pendentif ?
— Oui.
— Mais comment est-ce possible ? soufflai-je confuse, me
souvenant de la manière peu délicate dont je le lui avais remis.
— Je ne sais pas.
— Je suis tellement désolée, dis-je en ne pouvant retenir mes
larmes.
— Tu n'y es pour rien.
— Si j'avais su, je ne me serai pas montrée si cruelle et
insensible en te le remettant.
— Chutttt, ne t'inquiète pas pour ça, murmura-t-il en m'attirant
de nouveau contre lui. La GRC nous a affirmé à l'époque qu'il
198
Romagnas du Mont Daviss'agissait d'un vol à l'arraché qui avait mal tourné. Mais ma sœur
et moi n'y avons jamais cru. Quel voleur prendrait le temps de
caresser les cheveux de sa victime et de lui chanter une chanson ?
— Que t'ont-ils dit ?
— Rien, de toute manière qui écoute un enfant de dix ans ?
Ma mère s'est éteinte dans les bras de mon père. Elle est morte à
cause de moi, tout ça parce que j'ai voulu aller voir un foutu
dessin animé...
199
KRIS T.L
200
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Dix-huit
— Chutttt, a-t-elle dit en me crochetant la nuque. Rapprochant
sa poitrine contre mon torse humide. Je pouvais sentir la pointe
de ses seins durcir sous sa chemise ouverte au contact de ma peau
fraîchement lavée. Malgré le chagrin qui faisait rage au fond de
moi, je n'avais envie que d'une seule chose... Elle.
L'attraction qu'elle exerçait sur moi était si violente, si
fusionnelle, que je n'arrivais pas à me l'expliquer. Nous entraînant
tous deux sur le bord du lit, je sentis sa bouche s'écraser sur la
mienne, m'en réclamant avidement l'accès. Mordillant ma lèvre
inférieure, elle posa sa main sur mes fesses, enroulant ses doigts
autour de la serviette elle la fit tomber au sol dans une urgence
qui me rassura. Elle me voulait, elle me voulait vraiment, moi
Grégory Cummings ! Elle avait réussi à voir au-delà des
apparences, au-delà de mon arrogance mal placée et était prête à
me laisser une chance. La souffrance qui étreignait mon cœur me
donnait l'impression qu'il allait cesser de battre. Seul l'amour
qu'elle m'insufflait à cet instant me semblait assez fort pour me
redonner confiance en la vie. J'étais perdu, abandonné au milieu
de tous ces souvenirs douloureux et elle, par sa dévotion, son
201
KRIS T.L amour, et sa présence, elle représentait mon point d'ancrage, mon
îlot, ma terre promise.
Mes doigts vinrent se loger dans ses cheveux, écrasant son
corps contre le mien, elle me bascula sur le lit.
— Je t'ai dit que j'avais toujours le dessus, affirma-t-elle en
embrassant le coin de ma bouche.
Je repensai à notre premier contact au Méridien King Edward,
lorsqu'elle m'avait fait basculer en me crochetant le poignet.
J'étais heureux de constater que mon imagination ne m'avait pas
fait défaut. Je sentais son désir, sa chaleur rayonner sur mes
hanches. Elle se positionna au-dessus de moi, les mains posées
sur mon torse, ses doigts s'attardèrent sur mon ventre en faisant
des allers retours sur mes abdos, dessinant du bout des doigts
mon sentier heureux. Elle était sublime. Ses cheveux aussi noirs
qu'une mer d'encre retombaient en cascade sur ses épaules. Le
tissu qui recouvrait ses seins somptueux que j'avais envie de
sucer, de mordiller me fit grogner de frustration. Ses yeux
émeraude brillaient de mille feux. Les larmes mélangées à
l'excitation leur conféraient une profondeur, des nuances de vert
que je n'avais jamais vues auparavant. Elle était divinement belle,
et bien que l'idée de tomber amoureux me terrifiait, je ne pouvais
m'empêcher de penser que depuis qu'elle était entrée dans mon
bureau, la terre s'était décalée de son axe.
J'avais espoir, j'avais confiance, et dans ses bras j'avais envie
d'y croire.
202
Romagnas du Mont Davis— Je ....
Elle m'empêcha de finir ma phrase en se jetant sur ma bouche,
capturant mes lèvres, sa langue vint quérir la mienne pour
l'emmener avec fougue dans une danse qui me fit tout oublier.
Sur mes lèvres je pouvais goûter le sel de ses larmes. Elle
pleurait.
— Ne pleure pas.
Elle ferma les yeux, et cela me rendit fou de ne pouvoir y lire
ce qu'elle ressentait. Mes mains remontèrent le long de ses
hanches, frôlant ses côtes, mes doigts caressèrent l'aréole de ses
seins, puis remontant jusqu'à ses épaules je fis descendre le tissu
qui emprisonnait son corps. J'avais besoin de la voir, de la sentir.
Elle était divine, la plus belle des créatures, la plus désirable. Et
elle était à moi. Elle rouvrit ses yeux et ancra son regard dans le
mien. La fièvre que j'y lus me consuma, m'incendia le cœur et je
le sentis battre plus fort, plus vite, comme si c'était possible.
Ses petites mains s'attardèrent sur mon sexe et c'est avec délice
qu'elle se laissa glisser sur moi. Je fermai les yeux en me laissant
submerger par tant de plaisir. Ma respiration se fit haletante,
désordonnée, mes mains encerclèrent ses hanches et je vins plus
fort à sa rencontre, m'accordant à son rythme qui montait
crescendo.
—Regarde-moi, haletai-je alors qu'elle basculait sa tête en
arrière en fermant les yeux.
203
KRIS T.L Mes mains s'enfoncèrent dans la chair de ses fesses,
accentuant ainsi la pression de nos deux corps. Elle gémit et ses
dents blanches s'enfoncèrent dans sa lèvre rosie par l'excitation.
— Tu es si belle.
J'aurais pu hurler tant cette vision mettait à mal mes sens.
J'avais envie d'y aller fort, de la posséder, de la marquer, de la
faire mienne, qu'elle comprenne par mes actes, que mon cœur lui
appartenait, qu'il était sien, prisonnier à tout jamais. Elle roula
des hanches et se redressa, ses mains vinrent se poser sur mon
torse pour approfondir la puissance de mes coups. Sa bouche se
fendit en deux et laissa mourir un léger soupir.
Au-delà de la sensualité, au-delà de tout ce que j'aurai pu
imaginer, je ressentis la force d'un amour immense m'envahir.
Perdu, j'étais perdu.
Je me laissai écraser, broyer, submerger par ce sentiment au
moment même où je la vis entrouvrir ses lèvres pour crier mon
nom.
Le fait de sentir mon cœur battre à nouveau d'un amour aussi
pur, aussi beau, aussi grand, me donna l'impression de pouvoir
l'aimer toute la nuit. Qu'importe nos vies, qu'importe le monde,
qu'importe ce qui l'avait conduite jusqu'à moi, j'étais prêt et c'est
avec force que je la rejoignis en lui murmurant un «Je t'aime».
Un « je t'aime », à peine soufflé, rien que pour moi. Enfin c’est
ce que je croyais.
204
Romagnas du Mont DavisElle ouvrit les yeux et me regarda hébétée, sourcils froncés.
Quoi ?
À vrai dire j'étais moi-même surpris, jamais au grand jamais je
ne me serais cru capable de dire une telle chose. Mais voilà, qui
aurait pu prédire qu'une gynécologue d’El Paso allait venir jusque
dans mon bureau et réveiller mon cœur ?
Elle se pencha pour embrasser mes lèvres et c'est dans une
infinie douceur qu'elle me libéra.
— Tu ne peux pas me dire ça, ajouta-t-elle en s'allongeant à
côté de moi
— Te dire quoi ?
— Ça !
— Jamais je n'aurai cru dire ça un jour, et pourtant c'est ce que
je ressens, assurai-je en basculant ma tête sur le côté.
— Tu ne me connais pas.
— Je te connais suffisamment...
— Tu es fou.
— De toi, dis-je en appuyant mon regard.
— Sois sérieux !
— Je le suis.
— Grégory, cria-t-elle en se redressant. Tu ne peux pas !
— Pourquoi ? Tu as quelqu'un dans ta vie ?
205
KRIS T.L — Non ! Mais, merde... nous n'aurions pas dû.
— Je ne te crois pas.
— C'est la fatigue qui te fait délirer, tu ne peux pas éprouver
des sentiments pour moi... tu ne peux pas, souffla-t-elle en se
levant pour se rendre dans la salle de bains. Je l'interceptai en me
levant, me plaçant devant elle, je lui bloquai le passage.
— Je n'ai pas le droit de t'aimer, c'est ce que tu es en train de
me dire ?
— Oui, souffla-t-elle en baissant la tête.
— On ne choisit pas Lisy.
— Mais arrête de dire ça, on ne tombe pas amoureux comme
ça ! Pas en vingt-quatre heures, tu ne me connais pas.
— Si je te connais, je sais qui tu es.
Elle releva le nez en signe de défi.
— Tu t'appelles Lisy O'Brian, tu as vingt-six ans, tu es née à
Lajitas, ton père est Tom O'Brian, mort lors d'une fusillade sur les
bords du Rio Grande alors que tu n'avais que neuf ans, son nom a
été traîné dans la boue, on a dit de lui qu'il était impliqué dans
une affaire de drogue, mais cela n'a jamais été prouvé. Ta mère
Catharina O'Brian née Banavero est morte en te mettant au
monde. Tu es partie vivre à El Paso chez la sœur de ta mère
Maria Banavero, après le décès de ton père. Tu as fait des études
en médecine que tu as réussi brillamment, tu es têtue, un peu
cramée je dirais. Tu as cette petite fossette sur le bas de ta lèvre
206
Romagnas du Mont Davisqui m'indique quand tu es contrariée. Tes sourcils sont froncés,
tes yeux viennent de changer de couleur, ils sont si sombres, ce
qui me fait penser que tu as certainement envie de m'en mettre
une à l'heure actuelle, finis-je en reprenant mon souffle.
Elle était là devant moi, la bouche entrouverte, les bras
ballants, le souffle court.
— Comment ?
— Tu as oublié qui je suis ?
Elle hocha la tête et d'un revers de main elle essuya une larme
qui coulait le long de son nez. Ses cheveux en bataille formait un
halo sombre autour de son visage rosi par ce que nous venions de
faire.
— Es-tu en colère parce que j'ai des sentiments pour toi ?
ajoutai-je en cherchant à capturer son regard.
Elle leva les yeux au ciel en haussant les épaules.
— Je te connais Lisy O'Brian d'El Paso, soufflai-je.
Elle inspira fortement, les yeux mi-clos.
— Tu es quelqu'un de foncièrement honnête, si tu es venue
jusqu'à moi, c'est parce que tu es convaincue d'avoir fait ce qui te
semblait juste. Je ne sais pas ce qui s'est passé à Terlingua, mais
je ne te laisserai pas y retourner seule, ajoutai-je en me
rapprochant.
— Tu es si sûr de toi.
207
KRIS T.L — Tu es nue devant moi Lisy, aucun artifice pour te cacher. Et
je te vois, je sais qui tu es. Et je suis certain d'une chose, les
valeurs que tu défends t'ont été inculquées par un homme bon et
quoiqu'en disent les médias je suis sûr qu'ils se trompent sur lui.
Elle baissa la tête, je pouvais voir sa poitrine se gonfler de
douleur, ses poings se serrer jusqu'à s'en faire blanchir les
phalanges.
— Mon père, mon père était un homme honnête, chuchota-t-
elle la gorge nouée.
— J'en suis convaincu, dis-je en me rapprochant un peu plus.
Voyant qu'elle ne bougeait pas, je réduisai cet espace qu'il y avait
entre nous. L'attrapant, j'encerclai son corps de mes bras.
— Fais-moi confiance.
Elle hocha la tête, et se mit à sangloter. Nous glissâmes tous
les deux sur le sol. Nos corps enchevêtrés l'un dans l'autre furent
amortis par une moquette épaisse, ses jambes s'enroulèrent autour
de moi, alors que je la basculais en arrière. J'embrassais ses
larmes, son cou, le haut de sa poitrine. Sa peau était aussi douce
qu'une pêche, la chaleur de son corps m'enivrait tel un élixir.
— Je sais qui tu es... dis-je d'une voix étouffé par l'émotion.
Elle fit oui de la tête et posa ses lèvres chaudes sur les
miennes. Elle entrouvrit la bouche et sa langue vint caresser mes
lèvres.
208
Romagnas du Mont DavisJe lui fis une nouvelle fois l'amour, la possédant tendrement, le
plus intensément possible. Elle scella de nouveau ses yeux, mais
je pouvais voir les stries que son ricil noir avait laissées en
coulant sur ses joues.
J'avais remarqué sa présence dans mon bureau, sa volupté au
Méridien, la douceur de sa peau dans cette chambre d'hôtel à
Pacific. Mais en cet instant, la seule chose que je voyais était sa
vulnérabilité, elle semblait aussi fragile que cette fleur qu'elle
avait de tatouée dans le creux de ses reins.
209
KRIS T.L
210
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Dix-neuf
Était-il fou ? Avait-il perdu la raison ?
Aimer.
Ce mot était bien trop fragile pour le laisser mourir sur des
lèvres profanes.
Nous étions toujours allongés sur le sol, mon corps était
fourbu par tant d'attentions, mon cœur quant à lui était sur le
point d'imploser. Avait-il réellement le pouvoir de panser mes
blessures ?
Aimer.
Ce mot résonnait encore et encore dans ma tête. Que pouvais-
je répondre à ça ?
Moi aussi. Idem.
Je t'aime, me cria Jiminy, avec une force qui me fit sourire.
Cummings resserra un peu plus ses bras autour de mon corps
et je sentis ses lèvres se poser sur mes cheveux.
Oui, je l'aimais, j'en étais convaincue. Mais de là à le lui
dire...
Je soupirai de plaisir en appréciant l'étreinte de ses bras.211
KRIS T.L Aimer.
Décidément ce mot était bien trop puissant pour que l'on
puisse jouer avec.
Mon Dieu ! Il semblait tellement sincère, si sûr de lui. Il
connaissait pourtant ma situation. Devais-je me sentir mal du fait
qu'il avait fouillé dans ma vie ?
Il n'a fait que son travail, murmura Jiminy.
Oui, pour une fois j'étais d'accord avec ma conscience et
l'accueil de ses bras m'offrit un réconfort, un sentiment de
plénitude qui m'était totalement inconnu.
Aimer.
Depuis la mort de mon père je n'avais plus jamais prononcé ce
mot.
Mon dernier je t'aime avait été pour eux en cette nuit du mois
de mai, il y a dix-sept ans au Mont Davis.
Aimer.
Avais-je seulement le droit de l'aimer ? et d'être aimée en
retour ? Quel prix allais-je devoir payer si je me laissais aller ?
À cette pensée, mon corps se mit à frissonner, l'idée qu'il
puisse lui arriver quelque chose me terrifiait.
— Parle-moi, murmura-t-il contre mon oreille.
Je me rappelai d'une maxime que j'avais lue dans la bible de
Maria.
212
Romagnas du Mont DavisSi je parle, mes souffrances ne seront points calmées
Si je me tais, en seront-elles moindres ?
J'entrouvris les yeux. Relevant la main vers mon visage il
dégagea une mèche qui me couvrait la joue. Me souriant, il se
rapprocha pour embrasser pudiquement le bout de mon nez.
— Personne ne meurt vraiment en réalité, murmura-t-il en
m'embrassant une nouvelle fois.
Comment faisait-il ça ? Comment savait-il que je pensais à
mes parents ? Personne ne meurt vraiment en réalité, que voulait-
il dire par là ?
— Ils vivent à travers toi, chuchota-t-il à mon oreille. Tu lui
ressembles, tu as les yeux de ton père.
— Oui, dis-je en les fermant.
— Tu as cette chevelure indomptée, noir ébène, les cheveux de
ta mère, je suppose ?
Je fis oui de la tête.
— Continue, demandai-je la gorge nouée, appréciant le fait
qu'il me détaille de la sorte. Car voyant au-delà des apparences,
sa description était celle de mon âme.
— Tes lèvres sont pleines, délicates et rosées.
Il prononça ces mots en écrémant ma lèvre inférieure de son
pouce.
— Ma mère.
213
KRIS T.L — Elle devait être très belle car même si elle n'a fait que
t'effleurer à ta naissance, elle t'a donné cette beauté sauvage et
fragile à la fois.
Je comprenais enfin ce que mon père n'avait cessé de me dire
quand j'étais enfant.
Il faut vivre ma princesse, aller de l'avant, ne pas avoir peur
de se perdre, avoir confiance en l'autre, même si tu tombes, tu ne
devras jamais abandonner.
L'amour c'est le plus beau cadeau que la vie va te faire. J'ai
aimé ta mère, Lisy. Je l'ai aimée à en mourir.
Je te souhaite de connaître un amour aussi fort, celui qui au
premier regard remet en cause toutes tes croyances, qui bouscule
l'univers que tu as bâti, celui qui te transcende au point de te dire
qu'une seule minute à ses côtés vaut mieux qu'une éternité sans
l'avoir connu.
Voilà ce que mon père n’avait cessé de me répéter pour se
consoler de la mort de ma mère.
Aimer.
Grégory déposa un baiser sur mon front, mes joues, mes yeux,
mon nez et mes lèvres. Des bisous, si tendres et si doux, qu'ils
eurent pour effet de gonfler mon cœur d'un sentiment déraisonné,
puissant, ravageant tout sur son passage.
214
Romagnas du Mont Davis— Aime-moi, répondis-je simplement en laissant échapper une
larme.
— Ça ne sera pas pour tout de suite les enfants, cria Jeff à
travers la porte. Votre famille est arrivée.
— Quoi déjà ?
Paniquée je m'asseyai sur le sol et d'un revers de main je
m'essuyai le nez et les yeux.
Greg m'attrapa dans ses bras et me fit rouler en arrière.
— Tu crois qu'il nous a entendus ? demandai-je en regardant
en direction de la porte.
— Jeff ?
— Oui, soufflai-je embarrassée.
— Je l'espère, ajouta-t-il en se relevant. Je ne veux pas qu'il ait
de doute sur le fait que je sois hétéro.
Mon Dieu !
Je dus me mordre l'intérieur de la joue pour ne pas me mettre à
gémir en le voyant nu devant moi. Il était beau. Son corps était
parfait, sa peau était lisse, quelques poils parsemaient son torse,
ses cheveux décoiffés lui donnait un air espiègle. Ses yeux se
radoucirent et un sourire éclaira son visage.
— Aurais-tu peur de lui ? me moquai-je.
— J'ai autant peur de Jeff que de son chien.
— Merde.
215
KRIS T.L — Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Préservatif ! On ne s'est pas protégé.
— Outch’ !
— Tu l'as dit ! Dire que je fais la morale à tous ces jeunes qui
viennent dans mon cabinet.
— Je suis clean. Je me fais contrôler régulièrement et je me
suis toujours protégé... enfin à part ce soir, ajouta-t-il penaud.
— Idem.
— Pilule ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— Barrette contraceptive, dis-je en levant le bras.
— Ok ! Cela veut donc dire que je peux te refaire l'amour, là
maintenant tout de suite.
— Certainement pas. Ton père est là.
— Mon père sait déjà !
— Pardon ?
— Il a compris que j'avais flashé sur toi avant même que je ne
vienne te rejoindre à l'aéroport.
— Seigneur ! murmurai-je pour moi-même. Il faut que j'aille
me doucher. Tout va si vite, dis-je en saisissant sa main pour me
redresser.
Il m'attira contre son torse et m'embrassa une nouvelle fois.
— Lisy, tout va bien se passer.
216
Romagnas du Mont Davis— Je n'en suis pas si sûre.
— Allez va sous la douche, sinon je ne réponds plus de mes
actes, ajouta-t-il en me claquant les fesses.
— Hey ! Cela fait deux fois que tu me claques les fesses.
Il haussa par deux fois les sourcils avec son sourire en coin qui
me faisait craquer.
— Tu ne viens pas avec moi ?
— Non, je vais aller accueillir Matt et mon père.
— Bien !
Une boule se forma d'en ma gorge, m'empêchant d’en dire
plus.
J'allais rencontrer son père, un homme mort d'inquiétude,
rongé par le chagrin.
Étais-je seulement assez forte pour faire face à sa propre
souffrance ?
217
KRIS T.L
218
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt
Décidément quel meilleur endroit qu'une douche pour apaiser
ses peines et ses doutes, soufflai-je en me savonnant.
Un lit, bailla Jiminy.
— Ou une cuisine, répondis-je en écoutant mon ventre
gargouiller.
J'avais pour habitude de sauter des repas, parfois lorsque j'étais
accablée de travail j'oubliais même de me nourrir. C'est Maria qui
souvent venait me rejoindre à mon cabinet pour m'apporter les
petits plats qu'elle avait préparés à mon attention.
Maria, mon Dieu ! Elle avait dû voir les news sur CBS. Il
fallait que je l'appelle.
Je décidais de mettre de côté tout ce qui venait d'être dit dans
cette chambre.
Tout était tellement nouveau pour moi, une telle connexion, ce
sentiment d'avoir trouvé la personne qui vous transporte, avec qui
vous souhaitez passer le reste de votre vie.
Non décidément, c'est bien trop flippant, pensai-je en me
rinçant les cheveux.
219
KRIS T.L L'idée qu'il puisse devenir si important à mes yeux, qu'il
puisse changer le cours de mon univers, qu'il puisse me devenir
indispensable me faisait totalement flipper.
Je venais tout juste de le rencontrer, et jamais au grand jamais
je ne m'étais donnée à un homme en si peu de temps.
Que vais-je devenir quand cette histoire sera terminé ?
Je fermai les robinets, puis m'enroulant dans une serviette
chaude qui se trouvait sur le radiateur, je retournai m'installer sur
le lit.
*
— Hola Maria, soufflai-je dans le combiné.
— Oh madre de Dios, Lisy eres tú ? Pero dónde estás? Estás
bien ? (Oh mère de Dieu, Lisy c'est toi ? Où es-tu ? Tu vas bien ?)
— Sí, sí todo está bien, tía. (Oui je vais bien.)
— Llegó desgracia, Lisy (Il est arrivé malheur.)
— Je sais Maria, j'ai vu les informations.
— Des agents de la policía sont venus me voir Lisy.
— Oui, murmurai-je alors qu'une boule se formait dans ma
gorge.
— Il n'a pas fait ça Lisy, Enrique était un homme bien.
— Je sais Maria.
— Ellos son buitres. (Ce sont des vautours.)
220
Romagnas du Mont Davis— Oui des vautours, murmurai-je en repensant à cet enfoiré de
journaliste qui n'avait pas hésité une seule seconde à déterrer les
cadavres.
À cette pensée je fermais mes poings avec l'envie de les
écraser sur sa face de rat.
— Où es-tu ?
— Je suis près de Conway.
— Conway ?
— Je suis chez des amis, j'ai eu un souci avec ma voiture.
Comment pouvais-je qualifier Grégory ? Amant ? Ami ? Je
hochai la tête de droite à gauche, non, décidément il était bien
plus que ça.
— En voiture ? Tu as eu un accident, mi hija ?
— Non tout va bien, rien de grave, juste une crevaison, mais je
rentre demain par le premier vol.
— Sois prudente ma chérie, il ne me reste plus que toi.
Elle semblait à fleur de peau.
— Sí tía, soufflai-je. As-tu eu des nouvelles de Lisbeth ?
— Sí, elle m'a appelée pour me demander où tu étais. Oh mon
Dieu, Enrique, pleura-t-elle. Elle n'allait pas bien tu sais, elle m'a
donné l'impression d'avoir vu El Diablo.
— Quand était-ce ?
221
KRIS T.L — En fin de matinée, avant que je ne voie les informations à la
télévision. Elle fit une pause, je pouvais entendre à sa respiration
qu'elle s'était mise à pleurer. Elle m'a demandé d'aller lui ouvrir
ton cabinet, elle avait besoin de récupérer quelques affaires pour
une urgence.
Je pensais aussitôt à Tess. J'espérais que le travail ne se soit
pas déclenché.
— Était-elle seule ?
— Sí, mais es agents de la policía voulaient lui parler.
— T'a-t-elle dit autre chose ?
— Non, comme je l'ai dit aux policiers, elle est venue, elle a
pris ta mallette puis elle est repartie. Je n'avais pas encore vu les
informations. Oh, mon Dieu, Lisy, si seulement j'avais su...
— Je sais !
— Je l'ai trouvée étrange et excitée, mais tu sais avec son
caractère, j'ai mis ça sur le compte de son humeur instable, jamais
je n'aurais imaginé qu'une telle chose avait pu se produire.
Maria et Lisbeth ne s’étaient jamais réellement appréciées, je
me souvenais qu'au tout début après que je sois partie vivre chez
Maria, Lisbeth avait piqué une crise de nerfs et l’avait accusé de
n'être qu'une voleuse d'enfant.
— Maria as-tu une idée de l'endroit où elle pourrait se cacher ?
— Non mi hija.
222
Romagnas du Mont Davis— Tía, est-ce que tu peux aller à mon cabinet pour voir si elle
m'a laissé une note.
— Une note ?
— Oui, un papier, une adresse.
Je repensai à ce que Lisbeth m'avait dit : Quand tu seras là-
bas, tu sauras.
Elle m’insupportait quand elle agissait de la sorte, cette
tendance à surjouer, à mettre en scène, le moindre petit
événement inhabituel pouvait prendre un aspect tragique avec
elle. Cela me rendait folle de ne pas savoir ce qu'elle entendait
par là. Elle nous faisait perdre un temps fou avec ses devinettes et
Tess pouvait d'accoucher d’un moment à l’autre.
— Sí Lisy, pas de problème, je vais y aller de suite.
— Merci Maria, mais fais attention à toi.
— Lisy tu crois que Lisbeth est impliquée d'une quelconque
manière que ce soit dans ce qu'ils ont dit à la télévision ?
— Trafic de drogue ? Sincèrement je ne le pense pas, mais je
ne sais pas qu'il en est réellement, alors je vais te demander de
rester sur tes gardes.
— Sí.
— Je te rappelle dans une petite heure d'accord ?
— Sí
— Je t'aime Maria.
223
KRIS T.L ..........
— Tía ? l'interpellai-je en voyant qu'elle ne répondait pas.
— Sí, je suis là, c'est juste que je ne suis pas habituée à ce que
tu me dises des mots comme ça.
— Je sais, murmurai-je
Je réalisai avec tristesse qu'à elle aussi j'avais fini par lui
fermer mon cœur.
— Tu es sûre que tout va bien mi hija ?
— Sí, dis-je bouleversée.
Combien de personnes avais-je tenues à l'écart ? Mes craintes
et mes blessures n'excusaient pas tout.
— Je t'aime ma chiquita, ajouta-t-elle dans un sanglot avant de
raccrocher.
— À très vite Maria, murmurai-je en raccrochant à mon tour.
Je ne pouvais renier l'attachement que j'avais pour Maria. Elle
était drôle, indépendante, joueuse, à ses côtés l'on était obligé
d'aimer la vie.
Professeur de danse, peintre à ses heures, conteuse, elle
m'avait ouvert les portes du rêve. Son enthousiasme, sa volonté,
son caractère fort et indépendant m'avaient sans aucun doute
maintenue en vie durant toutes ces années. Elle avait su prendre
soin de moi, au péril de sa vie amoureuse, me faisant passer en
premier.
224
Romagnas du Mont DavisÀ plusieurs reprises, étant enfant je lui avais demandé
pourquoi elle n'avait pas d'amoureux, elle m'avait simplement
affirmé en me faisant tournoyer dans ses bras que personne
n'avait réussi à faire battre son cœur sur le rythme de l'Amour, me
faisant rire alors qu'elle insistait sur le r en prenant un accent
français.
— Grégory, soufflai-je alors qu'un sourire s'invitait sur mes
lèvres. Faisait-il battre mon cœur sur le rythme de l'Amour ?
Je n'avais plus les idées claires, la fatigue embrumait mes
pensées, mais je me connaissais assez pour savoir que mon cœur
ne battait plus sur le même tempo. L'amour était bel et bien en
train de frapper à ma porte. Mais étais-je prête à le laisser entrer ?
Je soufflai en secouant la tête. Il était temps pour moi de
m'habiller et d'aller les rejoindre.
Comment vont-ils réagir ? Angoissai-je. Seront-ils prêts à voir
au-delà des apparences ?
C'est en réfléchissant à tout ceci que j'enfilais mes vêtements.
Ma chemise était pratiquement sèche, mon jean encore humide
collait à ma peau. Je décidais de rester pieds nus afin de garder
mes pieds bien ancrés dans le sol. Un long frisson parcourut mon
échine lorsqu’ils quittèrent la chaleur de la moquette et foulèrent
le carrelage froid et austère de ce grand couloir, j'inspirai
longuement une dernière fois pour me donner courage.
*
225
KRIS T.L L'odeur d'une soupe au potiron flottait dans l'air et me fit
saliver.
En l'espace d'une semaine ma vie n'était plus la même, moi qui
avait pour habitude de me faire oublier, voilà que j'étais au centre
de toutes les attentions, j'allais devoir répondre à des tas de
questions et cela me terrifiait.
Il y avait tant de choses qui reliaient nos deux familles.
Mon père connaissait-il la mère de Grégory ? Si oui, dans
quelles conditions l'avait-il rencontrée ? Avaient-ils été proches ?
Plus je réfléchissais et plus cette idée saugrenue me semblait
plausible.
Ils étaient installés dans les canapés devant la cheminée, le feu
renvoyait une douce lumière sur leurs visages. Greg était installé
à côté d'un homme d'une cinquantaine d'années, il n'était pas utile
que je m'en réfère à la photographie que je venais de voir dans la
chambre pour l'identifier comme étant son père tant leur
ressemblance était frappante. En face d'eux il y avait un jeune
homme, la trentaine, il semblait inquiet, impatient. Jeff, quant à
lui, dans la cuisine s'acharnait devant les fourneaux.
Je toussotai pour signifier ma présence et tous se retournèrent
vers moi dans un silence absolu.
Je fus d'abord rassurée de croiser le regard doux de Grégory. Il
me fit signe d'approcher, puis se levant il vint se tenir à mes
côtés. M'attrapant par la taille, il me colla contre son corps. Mon
cœur fit un bond dans ma poitrine lorsque sa main se posa dans le
226
Romagnas du Mont Daviscreux de mes reins et qu'il prit le temps d'embrasser mes cheveux
sous les regards surpris de sa famille.
— Je vous présente Lisy O'Brian, dit Grégory en regardant
tour à tour son père et son beau-frère. Lisy je te présente mon
père, Alan Cummings et Matthew Mc Logan, le fiancé de ma
sœur.
— Monsieur Cummings.
Mon regard s'ancra dans ses grands yeux bleus remplis de
tristesse. Même nez, même démarcation au niveau de la
mâchoire, ses cheveux étaient grisonnants par endroit, mais la
barbe naissante de Grégory accentuait encore plus leur
ressemblance.
Le père de Grégory se leva et vint se tenir devant moi. Il ouvrit
ses bras et m'attira dans une étreinte paternelle.
— Merci.
— De rien, murmurai-je émue.
L'autre personne qui se tenait derrière lui, était en train de me
détailler de la tête aux pieds. Je me sentis quelque peu
déconcertée devant ce regard accusateur.
Ok ! me souffla Jiminy.
Je pris les devants, m'avançant vers lui, je tendis la main et son
attitude changea dès que nos doigts entrèrent en contact.
—Volontaire, indépendante, obstinée, je comprends mieux
pourquoi Grégory est sous votre charme.
227
KRIS T.L Je le regardai surprise.
— Laisse-là tranquille, veux-tu ? Ne va pas l'effrayer ! rigola
celui-ci en le saisissant par la nuque.
Leur échange me fit sourire, car d'un seul coup d’œil je vis
l'affection et la complicité qui existaient entre eux.
— Tout le monde à table ! cria Jeff à l'autre bout de la pièce.
228
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt et Un
—Je suis désolé pour votre oncle mademoiselle O'Brian,
commença mon père alors que nous nous installions autour de
cette table.
— Lisy, appelez-moi Lisy.
— Nous n'avons pas l'intention de porter un jugement Lisy et
nous ferons tout ce qu'il faut et tout ce qui est en notre pouvoir
pour vous aider, vous et votre famille.
Mon père en bon professionnel avait sans aucun doute
remarqué lui aussi que sous son côté bravache, elle était en réalité
sensible et peinée.
— Je vous en remercie, mais je ne pense pas qu'il soit possible
de faire quelque chose pour ma famille.
— Peut-être découvrirons-nous la vérité !
— Oui, peut-être, souffla-t-elle, tentant avec sa main de cacher
les tressautements de son menton.
— Lisy, je suis désolé d'attaquer de la sorte, mais j'aimerais
vraiment savoir comment va Tess ?
229
KRIS T.L Matt était sur les nerfs, il n'arrivait plus à cacher son
impatience.
— Elle va bien. Elle dort énormément d'après ce que m'a dit
Lisbeth, mais les contractions se sont calmées.
Je remerciai silencieusement l'intervention de Matt, recentrer
la conversation sur Tess était la meilleure chose à faire, nous
avions tant de points à éclaircir.
— Risque-t-elle d'accoucher prématurément ?
— Il faut s'y attendre, lorsque la grossesse est gémellaire il est
courant de ne pas aller au terme.
Je me tournai vers Matt.
—Tu savais qu'elle attendait des jumeaux et tu ne m'as
rien dit ?
— Une idée de Tess, elle voulait te faire la surprise.
— Eh bien c'est plutôt réussi. Tu as fait du bon boulot, j'ai hâte
de voir ta tête quand on t'annoncera que ce sont deux filles !
— Oh non ! Je n'ose même pas imaginer !
— Surtout si elles sont comme leur mère, ajouta mon père.
— Clair qu'il vaudrait mieux pour toi deux petits mecs aussi
beaux que leur oncle, fanfaronnai-je, en voyant là une manière de
détendre l'humeur de tous.
— Oh oui, aussi beau que leur tonton, soupira Jeff en levant
les yeux au ciel.
230
Romagnas du Mont DavisOk ! Je n'avais pas l'intention de la détendre autant, pensai-je
en faisant les gros yeux à Jeff.
Tous les regards se tournèrent vers moi et je pouvais constater
à leurs mines réjouies qu'ils se retenaient de rire.
Sympa, merci du soutien !
—J'aimerai savoir quelles sont vos suppositions en ce qui
concerne la disparition de Tess ?
Nous nous regardâmes tous les trois, décidément elle n'arrêtait
pas de me surprendre. Ils comprirent aussitôt que l’intérêt qu'elle
portait à Tess n'était pas feint et qu'elle était réellement inquiète
pour elle et quelque part j’en fus soulagé. Elle n'avait pas un
caractère à lâcher l'affaire et sa ténacité me rendait confiant en
l'avenir.
— Jusque-là nous pensions qu'elle avait été enlevée en raison
de notre profession, une vengeance, expliquai-je à Lisy.
— J'ai vraiment pensé que c'était quelqu'un qui cherchait à
m'atteindre personnellement, dit Matt en baissant les yeux.
— Et maintenant, vous avez tous changé d'avis ?
— Maintenant... Le silence s'installa alors que mon père
cherchait ses mots. Maintenant le passé et le présent se
confondent et nous ne pouvons ignorer certaines choses. Il y a ce
médaillon, jamais je n'aurais pensé le revoir un jour.
Mon père avait du mal à parler, l'émotion était tellement forte
qu'au simple son de sa voix on pouvait voir combien il était brisé.
231
KRIS T.L — Vous pensez que Tess a découvert qui a tué votre femme?
Il releva son regard embué de larmes, il avança sa main et Lisy
n'hésita pas une seconde en la saisissant, la pressant doucement,
son pouce passa au-dessus de ses phalanges.
— On va la retrouver, souffla-t-elle d'une voix réconfortante.
Ses yeux, ce vert émeraude où se mélangeaient bravoure et
fragilité m'hypnotisa et je dus fermer les miens pour reprendre le
fil de la conversation.
— Quand a-t-elle disparu ?
— Elle a eu des contractions alors que nous étions à un gala de
charité pour les pupilles de la Gendarmerie Royale du Canada.
C'est une soirée très médiatisée.
— Oui j'ai vu un reportage sur la CBS à ce sujet.
Lisy sembla soucieuse tout à coup, comme perdue dans ses
souvenirs.
— Tess n'est pas d'une nature très calme, elle tient rarement en
place, ce soir-là elle voulait danser, s'amuser, faire la fête une
dernière fois avant la naissance des bébés. Matt souffla quelques
secondes avant de reprendre. Mais au cours de la soirée, elle a
ressenti des vertiges et des bourdonnements dans les oreilles,
nous étions sur le point de partir quand elle s'est évanouie devant
le caméraman.
— Oui, elle m'a fait énormément peur ce soir-là, heureusement
qu'elle me donnait le bras, ajouta mon père.
232
Romagnas du Mont Davis— L'urgentiste de l'hôpital St Michael lui a fait passer une
échographie de contrôle et nous a assuré que les bébés se
portaient bien. Il a toutefois noté une tension trop haute et l'a faite
hospitalisée.
— Lui a-t-il prescrit un médicament pour l'hypertension ?
— Après lui avoir fait passer des tas d'examens, elle a été mise
sous Loxen en intraveineuse.
— Très bien !
— Au bout de quinze jours, elle ne supportait plus de rester
allongée à rien faire, elle a signé une décharge pour pouvoir
rentrer à la maison. Si j'avais seulement eu vent de son intention
de quitter l'hôpital, tout ceci ne se serait jamais produit, murmura-
t-il, se pinçant l'arête du nez.
Je posai ma main sur son épaule, il semblait si fatigué, si
épuisé.
— Pourquoi avoir pensé que sa disparition avait un rapport
avec votre travail ?
— Avec le métier que nous faisons, nous recevons des
menaces de mort tous les jours, nous ne pouvions mettre cette
hypothèse de côté, affirmai-je en me frottant la nuque
— Elle travaille avec vous ?
— Non, elle est journaliste.
— Oh !
233
KRIS T.L Je ressentis une certaine amertume dans le son de sa voix.
— Je ne suis pas fan des journalistes, s'excusa-t-elle.
— Je crois savoir pourquoi, mais Tess est journaliste
spécialisée dans la gastronomie.
— Et personne n'a vu ce qui s'est passé ?
— Sur les vidéos de surveillance, nous l'avons vue quitter
l'hôpital en compagnie d'une infirmière qui lui tenait le bras, mais
rien de plus.
— Avez-vous parlé à cette infirmière ?
Décidément elle était perspicace et ses questions pertinentes.
— La GRC l'a interrogée, mais son témoignage s'est limité au
fait qu'elle avait terminé son travail à dix-huit heures trente et
qu'elle avait aidé ma sœur à monter dans un taxi.
— Et pour le taxi ? enchaîna-t-elle.
— Rien à ce sujet, la station de taxi se trouve à quelques
mètres de l'hôpital et dessert tous les bureaux alentours. Personne
ne se souvient de ma sœur.
— Donc vous n'avez que la version de cette infirmière ?
— Effectivement.
—L'infirmière Rodriguez faisait apparemment un
remplacement.
— Quel est le nom que vous venez de dire ? demanda Lisy en
se redressant.
234
Romagnas du Mont DavisMerde, comment avais-je pu passer à côté de ça ? Mon cœur
commença à battre plus fort, plus vite, résonnant jusque dans mes
oreilles.
— Rodriguez, ce n'est pas comme ça que tu as appelé ma sœur
quand nous étions au Méridien?
— Oui, Teresa Rodriguez.
— C'est bien ce nom-là, affirma mon père. Pourquoi ?
La tension dans la pièce venait de monter d'un cran car nous
avions enfin quelque chose, un détail qui allait tout changer.
— Eh bien, mon oncle et ma tante ont pour habitude de tenir
un cahier à jour avec le nom des patients qu'ils rencontrent. J'ai
soigné une certaine Teresa Rodriguez, qui après vérification s'est
avérée n'être autre que Tess.
— Je vais prévenir les gars pour qu'ils fassent des recherches à
propos de cette infirmière, répondit Matt en attrapant son
téléphone.
Merde, comment avais-je pu passer à côté d'un truc si
énorme ?
— Il faut que je rappelle Maria, je lui ai demandé d'aller à
mon cabinet, Lisbeth m'a laissé entendre qu'elle y avait laissé
quelque chose pour me faire savoir où elles se cachent.
Jeff qui se trouvait à ses côtés n'avait pas bougé d'un pouce,
avec son tablier rose bonbon, il était comme figé dans l'espace
avec cette louche remplie de potage qui s'égouttait au-dessus de
235
KRIS T.L la soupière. Il nous regarda tour à tour, puis reprenant ses esprits,
il m'adressa un sourire contrit.
— Sainte vache, j'ai l'impression d'être plongé dans un esprit
criminel. Je suis désolé pour ta sœur, chuchota-t-il à mon
intention. Mais si je peux me permettre, tu es plus sexy qu'Aaron
Hotchner. Pourtant dieu sait que je fantasme sur cet homme.
*
— Tia ?... Quel matériel ? Une note ?... Un bouquet ? Des
Romagnas ?
Sa voix n'était plus qu'un murmure mal assuré.
— Lisy, assieds-toi. Qu'est-ce qui se passe ? m’inquiétai-je en
sentant la panique s'infiltrer en moi.
— Quelqu'un a fait livrer un bouquet de Romagnas à mon
cabinet.
Elle était livide, saisissant sa main moite je l'obligeai à
s'asseoir. Mon père voyant que quelque chose n'allait pas vint
nous rejoindre. Je sentais son regard inquiet qui pesait sur nous
par-dessus mon épaule.
— Si tia. Non ne t'en fais pas tout ira bien. Je te rappellerai
demain matin pour te dire à quelle heure nous arriverons... Si,
mais je ne serai pas seule Maria, je serai avec...
Elle releva la tête vers moi et un petit v se forma entre ses
sourcils.
236
Romagnas du Mont Davis— Des amis, souffla-t-elle alors qu'une larme glissait le long
de sa joue.
Je serais honoré de n'être que ton ami, mais j'ai vraiment
envie d'être plus que ça pour toi, pensai-je en m’accroupissant
devant elle, recueillant cette larme du bout des doigts.
— Triste, triste lueur du soir.
À ces mots elle ferma les yeux.
Quoi ? Mes yeux s'écarquillèrent, et mon cœur se comprima.
Elle dut lire la panique qui s’affichait sur mon visage car aussitôt
elle répondit à ma question pourtant restée muette.
— La carte qui accompagne le bouquet de Romagnas.
237
KRIS T.L
238
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Deux
J'allais me trouver mal.
— Triste lueur du soir, prononçai-je en fermant les yeux.
Grégory était toujours accroupi devant moi, en attente d'une
réponse.
— La carte qui accompagne le bouquet de Romagnas.
Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Pourquoi me retrouvai-je mêlée à cette histoire sordide.
Pourquoi cette vieille comptine réveillait en moi quelque chose
de si sombre ? De si obscur ? Comme si les ténèbres étaient là à
guetter ma venue.
— Tia je vais te laisser, je te rappelle le plus vite possible.
— Lisy, il va falloir que l'on parle toutes les deux.
— Que l'on parle ? Oui bien sûr Tia, on parlera, promis.
— Lisy ?
— Ne t'en fais pas Maria, tout ira bien.
Je raccrochai sans prendre la peine de lui dire au-revoir.
239
KRIS T.L Matt arpentait la pièce de long en large avec son portable collé
à l'oreille. Jeff, quant à lui était devant ses fourneaux, en train de
faire réchauffer la soupe.
— Je viens d'avoir la GRC, ils vont faire des recherches sur
cette Teresa Rodriguez, ils nous rappellent demain à la première
heure, affirma Matt qui venait de mettre fin à son appel.
Décidément cette histoire était de plus en plus complexe.
Pourquoi Tess se faisait-elle appeler Teresa ? Essayait-elle
d'échapper à quelqu'un ? Et puis ce bouquet à mon intention,
cette carte, cette comptine. Il fallait que cette personne me soit
personnellement proche.
Oh Seigneur venez-moi en aide, priai-je alors que la bile me
montait dans la bouche.
— Notre vol est à huit heures trente, nous devons être à sept
heures à la salle d'embarquement, nous informa Alan qui
raccrochait à son tour son téléphone portable.
— On a loupé quelque chose ? s’inquiéta Matt en voyant la
mine contrite de Grégory.
— Lisy a reçu un bouquet de fleurs.
— Oh, tu as de la concurrence Cummings ? Va falloir te
bouger le cul mon vieux.
— Il y avait un mot avec le bouquet. Une comptine que j'ai
entendue étant enfant, assénai-je froidement.
240
Romagnas du Mont Davis— C'est la même comptine papa, celle que nous avons
entendue Tess et moi quand maman a été assassinée.
— Comment est-ce possible ? Lisy ?
— Je suis désolée, je ne me souviens pas à quelle occasion j'ai
entendu cette chanson, j'ai juste cette sensation de froid, de
ténèbres qui m'aspirent et me tirent vers le bas, il fait noir, je
manque d'air, j'ai l'impression de me noyer.
J'étais là, une main sur le cœur, ressentant réellement cette
oppression. Tout ceci n'avait aucun sens. Durant toutes ces
années, je n'avais jamais pensé ne serait-ce qu’une seule fois à
cette comptine, mais maintenant il y avait cette carte qui m'était
destinée et qui éveillait en moi ce malaise sans nom. J'avais beau
réfléchir, il m'était impossible de me souvenir dans quelles
circonstances cette chanson m'avait été chantée, comme si, afin
de me protéger, mon cerveau empêchait mes souvenirs de
remonter à la surface.
Jeff revint avec la soupe, et par délicatesse je lui tendis les
assiettes afin qu'il puisse nous servir. Nous mangeâmes en
silence, têtes baissées, réfléchissant aux événements qui se
jouaient de nous.
Pour l'instant nous n'avions que quelques pièces du puzzle,
mais aucune d'entre elles ne voulait s'emboiter l’une dans l’autre.
— Quelqu'un sait pour ces fleurs, c'est évident ! affirma
Grégory.
241
KRIS T.L — Pourquoi ? Que représentent ces fleurs ? me demanda Alan
perplexe.
— Elles représentent mes parents, notre maison du Mont
Davis, leurs tombes.
— Nous sommes désolés pour tes parents, nous connaissons
bien entendu toute l'histoire. Si cela peut t'apporter du réconfort
nous avons des doutes en ce qui concerne la culpabilité de ton
père, nous pensons réellement à un coup monté.
Bien !
— Vous pensez comme moi qu'il y a un lien avec leur mort ?
— Sincèrement je n'en sais rien. Mais nous allons trouver, je te
le promets.
La sincérité que je lisais dans ses yeux m'émut et merci fut le
seul mot qui réussit à franchir mes lèvres.
Nous finîmes le potage de Jeff. J'étais reconnaissante que ce
ne soit qu'une soupe car malgré ma faim, ma gorge était tellement
serrée par l'émotion que j'aurais été incapable d'avaler autre
chose. La châtaigne donnait du croquant à ce velouté de potiron
et c'était un vrai régal pour mon ventre affamé. Lorsque Grégory
eut terminé sa dernière cuillerée, il se leva puis fit le tour de la
table pour venir s'asseoir à côté de moi. Il rapprocha sa chaise au
plus près de la mienne et sa main vint se loger dans le creux de
mes reins. Son pouce caressa l'endroit même où se trouvait mon
tatouage et son toucher m'électrisa. Je m'attendais à ce qu'il dise
242
Romagnas du Mont Davisquelque chose, mais au lieu de ça il m'embrassa les cheveux,
surprenant, d'après leur visage, Matt et son père.
Cet homme était doux, chaleureux, incroyablement
attentionné, beau à l'intérieur comme à l'extérieur.
Jeff nous apporta un plateau de fromages avec une corbeille de
fruits de saison.
—Vous pouvez vous reposer quelques heures, si vous le
souhaitez, proposa-t-il. Il y a une deuxième chambre d'amis à
l'étage qui n'attend que vous.
— C'est très aimable à vous, la fatigue que je ressens est telle
que je serais dans l'incapacité de bouger, assura Alan.
— Vous n'êtes qu'à une heure de l'aéroport, cela vous
permettra de dormir un peu.
— Nous vous remercions. Vous êtes notre bon samaritain en
ces temps difficiles.
— Oh mon Dieu, décidément entre le père et le fils mon cœur
balance, soupira Jeff en s'éventant.
— Aucune chance, répondirent-ils en même temps.
— Et voilà comment on brise des rêves...
— Tu as Bobby, le grondai-je en souriant.
— Il n'est pas jaloux, par contre ? toi !
243
KRIS T.L Il haussa par deux fois les sourcils et cela me fit rire, c'était un
rire sans joie certes, mais il eut pour effet de m'apporter un
certain réconfort.
— Nous avons une grosse journée demain, aussi, si cela ne
vous dérange pas je vais aller allonger mes vieux os quelques
heures et profiter de l'hospitalité de notre hôte.
Alan nous salua avant de se lever.
— Venez, je vais vous montrer le chemin.
— Je monte aussi, affirma Matt. Bonne nuit vous deux, ajouta-
t-il en nous faisant un signe de la main.
*
— Je crois que j'ai besoin d'une cigarette.
Cummings me tendit la main pour que je l'accompagne
dehors. Après avoir enfilé nos vestes et mes bottes, nous allâmes
nous installer sur la terrasse.
La pluie avait fait place à une bise glaciale qui pénétra aussitôt
nos chairs. Hercule, tapi dans l'ombre, se dressa sur ses pattes
lorsqu'il nous entendit refermer la porte derrière nous.
— Toi, tu ne bouges pas, murmura Cummings à son intention.
Celui-ci comprit le message et reposa aussi sec sa gueule sur
ses pattes avant, tout en nous lançant un regard de chien battu.
— Tu es trop cruel avec lui, dis-je en me rapprochant de la
bête.
244
Romagnas du Mont Davis— Je suis désolé pour lui, mais mon cœur est déjà pris.
J'étais sur le point de caresser Hercule quand Cummings
m'attira dans ses bras, me bloquant contre la rambarde, il se colla
à moi.
Il alluma sa cigarette et sa main droite vint se loger
instinctivement sur mon ventre, ce geste me sembla si familier et
naturel qu’il me fit sourire.
L'instant était magique, les nuages disparaissaient sous nos
yeux, laissant apparaître un quart de lune blafard au milieu de ce
ciel étoilé. Malgré la noirceur de la nuit nous pouvions distinguer
les plaines qui entouraient les bâtiments. Ce corps de ferme était
imposant, avec un mur en pierre qui encerclait les lieux. Un vieux
chêne trônait au milieu de la cour et étendait ses branches au plus
haut des cieux. L'étoile du berger scintillait au-dessus de nos
têtes. Mon père m'avait expliqué étant enfant que chaque âme
regagnant le ciel devenait une étoile pour guider les gens qui
restaient sur terre.
« Mon Dieu comme j'avais besoin qu'il me guide et me donne
la force d'avancer en cet instant ».
— Papa, soupirai-je en fermant les yeux.
Grégory embrassa l'arrière de ma tête et me serra un peu plus
fort contre lui. Inspirant fortement, j'appréciais l'instant et l'étau
rassurant que formaient ses bras autour de mon corps.
245
KRIS T.L Il tira une longue taffe sur sa cigarette qui se consuma
rapidement dans le froid de cette nuit d'hiver, une lueur rougeâtre
incandescente brilla au-dessus de mon visage et instinctivement
je tendis les lèvres vers ses doigts qui tenaient ce fruit défendu.
— Non, souffla-t-il en éjectant la fumée dans les airs.
— Hey !
— Je ne serai pas celui qui te fera succomber à la tentation.
— Je crois qu'il est trop tard pour ça, monsieur Cummings,
ronronnai-je.
Il envoya sa cigarette par-dessus la rambarde et sa main
remonta le long de mes côtes pour venir se poser sur ma joue.
— Je ne veux pas que tu abîmes ce joli corps, affirma-t-il en
me faisant tourner la tête vers son visage.
— Ce n'est qu'une cigarette.
— Ce ne serait pas raisonnable.
— Je sais, mais dans ce cas je te mets au défi d'arrêter !
— Très bien, pari-tenu, mais si je m'arrête, il va falloir que je
m'occupe l'esprit !
— Ce n'est pas de ton esprit que j'ai envie de m'occuper pour
l'instant, dis-je en frottant mes fesses contre son érection qu'il ne
pouvait plus dissimuler.
—Votre comportement me choque, miss O'Brian, chuchota-t-il
en entrouvrant ses lèvres.
246
Romagnas du Mont Davis— Tu ne le regretteras pas ? haletai-je en fermant les yeux
alors que ses lèvres se posaient sur les miennes. Le goût de sa
cigarette mélangé à son haleine me donna le tournis et je gémis
lorsque sa langue vint caresser la mienne.
— J'avais raison depuis le départ, tu n'es qu'une vile créature.
L'idée déplaisante que tout ceci puisse s'achever une fois que
nous aurions retrouvés Tess s'immisca dans mes pensées et me
comprima le cœur.
— Je suis là, murmura-t-il.
— Comment sais-tu ?
— Tu vois cette petite ridule que tu as entre les sourcils, elle
me prouve que tu es soucieuse, que tu as des doutes.
— Tout va si vite.
— J'en suis conscient. J'ai l'impression d'avoir vécu mille vies
depuis que tu es entrée dans mon bureau. Tout me semble si
différent.
— C'est exactement ce que je ressens, pourtant nous ne nous
connaissons pas et je n'ai aucun droit sur toi, mais l'idée que tout
ceci puisse s'arrêter.
Une boule se forma dans ma gorge, m'empêchant d'en dire
plus.
—Chutttt ! Je suis là !
247
KRIS T.L
248
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Trois
—Vous êtes là ?
Nous sursautâmes tous les deux lorsque Jeff apparut sur le
perron.
— Je vais aller rejoindre Bobby, qui m'accompagne ?
— C'est sympa de proposer, mais nous devons partir très tôt
demain matin et nous comptions...
— Venir avec toi, me coupa Lisy en me faisant un sourire
conciliant.
— Quoi ?
—Tu n'as qu'à aller te reposer, me proposa-t-elle en
m'embrassant tendrement, accompagnant son baiser d'un brossé
du plat de la main sur ma barbe naissante. Moi j’ai vraiment
besoin de me changer les idées.
Mais pourquoi ? cria ma conscience. Qui a dit que j'avais
sommeil ?
— Très bien, dans ce cas-là, je te l'emprunte, je vais lui
montrer ce que c'est qu'une vraie soirée country.
249
KRIS T.L Il l'attrapa par le bras, m'arrachant ainsi à la douceur de sa
main et le visage de Lisy s'illumina.
Wow ! Son sourire, ses yeux pétillants, sa joie! jalousa ma
conscience.
— Hé ! Je crois que je vais vous accompagner, maugréai-je
alors qu'ils étaient déjà en train de monter en voiture.
Je grognai deux fois plus lorsque je la vis s'installer à l'avant
de la Jeep.
Putain, j'avais d'autres projets pour cette soirée, décidément
plus je la voyais rire et plus l'envie de suspendre Jeff par les pieds
pour le faire sécher comme un jambon devant sa cheminée faisait
son chemin dans mon esprit.
— Alors vous êtes prêts ? nous demanda-t-il apparemment
heureux qu'on l'accompagne.
Heureux ? Vachement, je jubile, se marra ma petite voix
intérieure.
Il était plus de vingt trois heures passées, le manque de
sommeil associé à la frustration me mettait les nerfs en pelote.
— Du sexe, voilà ce qui m'aurait permis de relâcher la
pression, marmonnai-je en pestant à l'arrière du 4x4.
L'envie de lui faire de nouveau l'amour était si violent que j'en
éprouvai de la douleur, mon cœur se comprimait à chacun de ses
sourires, à chacun de ses battements de cils. La force de ce
sentiment naissant au fond de mes tripes pulvérisait tout, ce
250
Romagnas du Mont Davisbesoin de m'abandonner, de me laisser couler en elle était le seul
réconfort dont j'avais besoin pour l'instant et j'avais du mal à
accepter qu'il n'en soit pas de même pour elle.
Il nous fallut pas moins de dix minutes pour arriver sur un
grand parking en terre battue, Jeff gara sa Jeep devant une
immense grange en structure métallique qui portait les traces
d'une vieille peinture bleue rouillée.
— Arrête de bouder, me lança Lisy en me tirant par la manche
pour me faire sortir du 4X4.
— Je ne boude pas, bougonnai-je encore plus, peu enclin à lui
faire ce sourire qu’elle attendait.
— Quelque chose que tu ne connais pas de moi Cummings !
J’adore la danse country ! Elle haussa les sourcils puis
m'agrippant le bras, elle ne me laissa d'autre choix que de la
suivre.
Oh ! Ça c'était une nouvelle et le fait que ce soit quelque chose
qu'elle aimait allégea mon humeur instantanément.
Pffffff ... toutou, me souffla ma conscience de mauvais poil.
— Nous allons passer par les loges, nous dit Jeff en nous
pointant une grosse porte en fer qui se trouvait sur le côté du
bâtiment. Nous pouvions entendre le groupe jouer un morceau de
Queens / Fat bottowed girls. Jeff appuya sur une sonnette et nous
attendîmes quelques secondes le temps que quelqu'un vienne
nous ouvrir.
251
KRIS T.L — C'est moi, cria Jeff à travers l'interphone, tout excité de
nous faire découvrir les lieux.
Le videur, un homme d'une stature quelque peu remarquable,
aussi imberbe qu'un éphèbe grec, nous ouvrit la porte. Il portait
un shorty noir en cuir avec des lacets sur les côtés, le torse
totalement nu. Je restais bouche bée devant le tatouage qu'il
arborait fièrement sur sa poitrine, un cœur avec écrit « maman ».
Il fronça les sourcils en détaillant Lisy du coin de l'œil, puis se
radoucit en voyant la façon dont je le dévisageai.
Oh ! réalisai-je en me prenant un coup de coude de la part de
Lisy.
— Stanley : Lisy, Grégory, des amis, nous présenta Jeff.
Je déglutis en le saluant, mais par instinct de préservation je
me collai un peu plus à la femme dont j'étais éperdument
amoureux.
— Froussard, rigola Lisy.
Ce n’est pas drôle ! rétorqua ma conscience.
La pièce était bondée et d'énormes pales de ventilateurs
éclairées par des spots renvoyaient des ombres hypnotiques sur
les danseurs. La scène à l'arrière de la salle était baignée d'une
lumière artificielle et changeait de couleur au rythme de la
musique. Bobby nous voyant arriver nous fit signe d'approcher.
— Je vous retrouve tout à l'heure, c'est à mon tour de monter
sur scène, cria Jeff en nous laissant en plan.
252
Romagnas du Mont DavisOk ! fis-je en hochant la tête.
Lisy semblait sereine, à l'aise, moi de mon côté je ne pouvais
m'empêcher de balayer la salle des yeux.
Trop de mâles, beaucoup trop de mâles dans une seule pièce,
paniqua ma conscience en plissant les yeux.
— J'aimerais dédier cette chanson à Greg et Lisy, entonna
Bobby dans son micro. Lui est un vrai cheval fougueux ! ajouta-t-
il en me saluant de la main. Et elle ...
— Elle ! le coupa Jeff. Elle a su dompter la bête !
Des sifflets retentirent alors que certaines personnes se
retournaient pour nous dévisager.
Wow ! On va se calmer !
Le batteur qui se tenait derrière Bobby leva sa baguette au-
dessus de sa tête, puis la laissant retomber sur la caisse claire, il
entama le morceau en question.
— J'en étais sûre, cria Lisy, qui sans pitié m'abandonna, en me
laissant seul comme un con au milieu de toute cette testostérone.
Lâcheuse !
Bobby et Jeff commencèrent à chanter en duo : « Save a
horse » et même si je n'y connaissais pas grand-chose en musique
country je fus surpris d'en apprécier le rythme et de me voir battre
la mesure. Ils étaient plutôt bons !
Alors comme ça c'est moi le cheval fougueux ! yeah !
253
KRIS T.L Je me collai contre un pilier en acier, admirant ainsi le
spectacle. Lisy était là chantant et dansant et bon Dieu qu'elle
était sexy ! La salle avait l'allure d'une vieille usine d'équarrissage
désaffectée, elle semblait avoir été rafraîchie pour l'occasion. Des
tuyaux en zinc passaient au-dessus de nos têtes, ils étaient troués
par endroit et laissaient filtrer la lumière.
— Tu ne risques rien, cria Jeff à mon intention alors qu'il
descendait de scène en serrant quelques mains au passage.
— Ouais c'est ça ! Je n'en suis pas si convaincu !
— Crois-moi, on voit à cent mille lieux que tu es hétéro et
qu'il n'y a qu'elle qui compte !
Il avait raison, j'étais bien un hétéro pur et dur, et il n'y avait
pas de doute possible quant au sentiment que j'éprouvais pour
cette femme. Par contre, je n'étais pas certain que tous les mâles
ici présents soient gays.
Hé ! On ne touche pas !
Je me redressai aussitôt, reniflant, bombant le torse, prêt à
intervenir, alors qu'un mec serrait ma copine d'un peu trop près.
— Elle ne risque rien, rigola Jeff en me retenant par le bras.
C'est juste un quadrille.
— Ouais c'est ça, sifflai-je en fusillant du regard le gars en
question. Elle semblait si insouciante, si à l'aise, oubliées ses
heures sombres, oubliées ses idées noires, elle était là dansant
jusqu'à en perdre haleine, savourant ce moment de répit.
254
Romagnas du Mont Davis— Va la rejoindre.
La rejoindre ? Moi danser ? Très drôle !
Ses pieds martelaient le sol dans des brossés, des kiks, des
loops turn. Ses cheveux noirs voltigeaient dans les airs à chacun
de ses pas. La lumière des projecteurs retirait à son chemisier
blanc son côté opaque. La cambrure de ses reins ainsi que la
pointe de ses seins se dessinaient en ombre chinoise à travers le
tissu blanc. Voir ses fesses rondes et fermes moulées dans son
Levis et sa petite langue rose faire des allers-retours sur ses lèvres
entrouvertes alors qu'elle essayait de reprendre son souffle me
confirma le fait que pour rien au monde je n'aurai voulu rater ça.
— Tu viens ? Jeff me montra du doigt le bar.
J'hésitai quelques instants, partagé entre l'envie de me
désaltérer et celle de rester à ma place pour continuer à l’admirer.
— Je reste là ! finis-je par dire en regardant Jeff s'éloigner.
—Tu vas finir par te déshydrater ! me dit une voix qui m'était
totalement inconnue.
Le videur en mini shorty qui nous avait ouvert la porte un peu
plus tôt dans la soirée se tenait devant moi.
— Tiens, me dit-il en me tendant un verre de whisky.
— Béni sois-tu ! le remerciai-je en faisant tinter mon verre
contre le sien.
Je bus quelques gorgées, savourant ainsi la brûlure que laissait
le liquide ambré dans ma bouche après son passage.
255
KRIS T.L — J'ai remarqué que tu regardais mon tatouage tout à l'heure ?
Gonflant ses pectoraux, Stanley leur fit faire des soubresauts.
Ouais, ce moment d'égarement va te coûter cher,
m’enguirlanda ma conscience.
— Il te plait ?
Euh ! Que devais-je répondre à ça ?
— Il est sympa, chuchotai-je en cherchant Lisy du coin de
l'œil.
Help me ! Tout mon corps était à présent tendu.
Non pas tout ton corps ! chuchota ma conscience à mon
oreille.
Il se rapprocha un peu plus et leva sa main pour me la passer
dans les cheveux.
Wow, wow wow qu'est-ce tu fais là ? cria ma conscience sur le
point de lui broyer les doigts et de lui faire bouffer son mini
shorty, pendant que moi je cherchais désespérément à esquiver
son geste.
Lisy n'était pas une adepte de l'analyse corporelle, mais
j'espérai qu'elle reconnaisse néanmoins à mon expression faciale
totalement paniquée toute la détresse que j'éprouvais.
Yes ! Ses yeux me fixèrent un instant et c'est avec soulagement
que je la vis revenir vers moi.
256
Romagnas du Mont Davis— J'ai soif ! Elle attrapa mon verre et le but d'une traite, se
léchant la lèvre inférieure tel un chat, elle vint se caler contre
mon torse. Waouh ! Fait chaud ici ! cria-t-elle en s'éventant de la
main.
— Oh oui, j'ai eu très chaud !
— Je voudrais bien chevaucher ce cheval fougueux, proposa
Stanley sans détour, les yeux remplis de malice et de perversité.
Quoi ? hurla ma conscience qui était en train de suffoquer
après avoir fait une fausse route avec le whisky.
— Mon copain t'intéresse ? rigola Lisy.
— Sans vouloir vous offenser, Stan, je ne suis pas gay,
répondis-je les yeux exorbités.
—Vous êtes tous pareils, s'offusqua Lisy en plaçant ses mains
sur les hanches. Cela ne t'aurait pas dérangé hier soir de t'envoyer
en l'air avec moi et ma copine Ally dans ton bureau ? Mais
maintenant que les choses tournent à mon avantage, monsieur fait
le difficile !
À ton avantage ? Je savais bien qu'elle était trop belle, trop
vive d'esprit pour être honnête, s'épouvanta ma conscience qui
était sur le point de foutre le camp.
— Tu n'es pas sérieuse ? demandai-je choqué et plutôt mal à
l'aise face au sourire béat de Stan qui s'y voyait déjà !
Elle me regarda quelques secondes avant d'éclater de rire.
257
KRIS T.L — GOTCHA ! NON ! bien sûr que non, je voulais juste voir la
tête que tu ferais !
— Gotcha, hein ? Ok ! Un point pour toi, O'Brian.
Je reniflai, me souvenant de l'accueil que je lui avais réservé
dans mon bureau. Je voulais bien admettre que je m'étais
comporté comme un crétin de base, un mec quoi ! Toutefois, je
n'étais pas prêt à présenter mes excuses pour un fantasme qui
aurait pu nous procurer du plaisir à tous les deux.
— Qui est Ally ? demandai-je curieux.
— Ally ? J'ai dit Ally ? marmonna-t-elle en se mordillant la
lèvre.
— Oh oui !
Un sourire carnassier s'étira encore plus sur mes lèvres.
— Tu devras me passer sur le corps avant que je ne te parle
d'Ally. Et désolé Stan, je ne suis pas prêteuse. Elle me tira par la
main et m'entraîna au milieu de la piste de danse.
— C'est quand tu veux que je m'occupe de ton corps ? riai-je
en la tirant en arrière pour la ramener contre moi.
— Tu ne sauras rien.
— Je te ferai parler.
Elle se colla langoureusement à moi, elle semblait si chaude, si
vivante.
— J'aurais dû te laisser te débrouiller avec Stanley.
258
Romagnas du Mont Davis— Tu n'aurais jamais osé !
Ma jambe se plaça entre les siennes et la friction de ma cuisse
sur la partie la plus sensible de son corps la fit gémir. Elle leva les
yeux vers moi et le feu que je pus lire dans son regard se
répercuta directement dans mon aine. J'accentuai la pression afin
d'y trouver un soulagement lorsque ses mains vinrent se loger
dans mes cheveux.
There's just one way (Il y a juste une façon)
We're gonna work this out (Nous allons nous en sortir)
Forget what I did (Oublie ce que j'ai fait)
Forget what you said (Oublie ce que tu as dit)
Oh, darlin' (Oh chérie)
Come to bed (Viens au lit)
—Oh oui, viens au lit, Darling, susurrai-je en mordillant son
cou, laissant là cette danse se transformer dangereusement en
préliminaire.
— Il est temps qu'on rentre, acquiesça-t-elle en embrassant la
ligne de ma mâchoire.
— Mouais !
— Je vais chercher les clés.
Nous retournant, c'est amusé que je la vis fendre la foule sans
ménagement, bousculant deux trois gars au passage.
259
KRIS T.L — Hey les jeunes, alors comment vous trouvez l'endroit ?
demanda Bobby en descendant de scène. Vous venez prendre un
verre avec moi ? Je vais profiter qu’Hellène soit sur scène pour
faire une petite pause !
— C'est vraiment génial, s'enthousiasma Lisy. Mais nous
sommes vraiment fatigués, nous allons rentrer.
Elle était une bien piètre menteuse et Bobby ne se laissa pas
duper.
— Je vais vous raccompagner, proposa aussitôt Jeff qui n'avait
rien vu de l'échange.
— Passe-leur tes clés, tu vois bien qu'ils n'ont pas besoin d'un
chaperon.
— Encore ! s'exclama Jeff en roulant des yeux.
— Ouais je ne sais pas pourquoi mais j'ai une folle envie de
monter à cheval.
Oh comme j'aimais cette femme.
— Hey ! Pour info ! nous interpella Bobby alors que nous
étions sur le point de partir. Nous avons un jacuzzi.
— Un jacuzzi ?
— La porte de droite qui donne sur le patio.
Et avant que je n’aie eu le temps de remercier nos hôtes, je me
sentis tiré en arrière par le fond de mon pantalon.
Hiiiiii-haaaa !
260
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Quatre
Un jacuzzi, quel merveilleux endroit, pensai-je alors que les
bulles chatouillaient déjà mon corps qui s'enfonçait dans l'eau
tiède.
— Que Dieu protège Bobby et Jeff.
— Qu'est-ce que tu dis ?
— Rien.
Greg se tenait devant une station Ipod posée sur un bar à
colonnades.
Une déco grecque, qui l'aurait cru ? pensai-je en roulant des
yeux. Des statues en marbre, des mâles dont les attributs n'étaient
en rien cachés et nous saluaient tout autour du jacuzzi.
Eh bien, on ne peut faire plus cliché, soupira Jiminy.
Je fermais les yeux, bercée par la musique qui s'échappait des
enceintes. La voix angélique d'Eli Lieb renforçait d'autant plus le
contraste avec ce lieu. Grégory prit le temps de se déshabiller,
mais contre toute attente il partit sous la douche italienne qui se
trouvait dans le coin de la pièce. La paroi en verre était une idée
de génie, et me donnait le loisir de me délecter du spectacle.
261
KRIS T.L Dire que depuis hier soir tu l'imagines nu sous une douche.
De sa main droite il se savonna toutes les parties de son corps,
s'attardant doucement sur le bas de son ventre. Je fermais les
yeux et ne pus retenir un soupir de soulagement lorsque ma main
se retrouva prisonnière de mes cuisses, sans même en avoir
conscience mon geste se fit plus précis totalement synchrone aux
mouvements qu'il s'infligeait.
— Qu'est-ce que tu fais ? me demanda-t-il les yeux remplis de
convoitise.
Je sursautai au son de sa voix.
Prise en flag, chuchota mon Jiminy.
— Je... je ne t'ai pas entendu revenir, bégayai-je rougissante.
Un sourire en coin s'étira sur son visage et c'est sans
préambule qu'il s'invita dans le jacuzzi.
— Alors ? m'attrapant par la taille il me tira sur ses genoux.
— Alors quoi ?
— Tu étais magnifique, continue, m'ordonna-t-il d'une voix
rauque.
Je pouvais sentir contre ma cuisse l'effet que ma petite
prestation avait eu sur lui.
— Non !
— Si. J'ai envie de te voir te faire plaisir, chuchota-t-il dans le
creux de mon oreille.
262
Romagnas du Mont DavisUn sourire gêné s'invita sur mes lèvres et mon cœur s'emballa.
Comprenant combien il m'était difficile de mettre à exécution sa
demande, il prit les devant en saisissant ma main.
— Laisse-toi faire, suggéra-t-il en m’écartant délicatement les
cuisses. L’idée qu'il puisse mener la danse m'affola un peu.
— Oh mon Dieu, gémis-je alors que ses doigts encerclaient les
miens.
— Ne bouge pas, m’ordonna-t-il en faisant pression de sa
paume sur la mienne.
J'inspirai en fermant les yeux, laissant ses doigts faire des
merveilles. Il était si bon de me laisser aller contre son torse,
m'abandonnant avec délicatesse à sa main experte.
— Tu es merveilleuse.
Il y avait tant de tendresse dans sa voix que je me sentis planer
comme ce trapéziste somnambule qui ne voulait plus redescendre
de son fil dans cette chanson jouée sur l'Ipod. Oh Seigneur, faire
l'amour sur ces paroles rendait l'acte si puissant qu'il faillit me
faire perdre la raison.
— Viens sur moi.
Greg me souleva, me plaçant à califourchon sur lui, je pus
sentir tous mes muscles frémir et se contracter quand il me
pénétra.
— Enfin complète, murmurai-je de satisfaction.
263
KRIS T.L Son visage était à hauteur de ma poitrine, à chaque
mouvement je pouvais sentir les poils naissants de sa barbe frôler
la pointe de mes seins. La piqûre ressentie sur mes mamelons
engendrait un inconfort mélangé à du plaisir à l'état pur. Sans plus
attendre il aspira un de mes tétons et ma tête bascula en arrière.
Ses mains se refermèrent avec puissance sur le haut de mes fesses
afin de me maintenir en place. La chaleur de l'eau aromatisée aux
fruits rouges nous procurait une barrière de protection, nous
enveloppant, nous cajolant, nous mettant à l'abri de tout ce qui
n'était pas nous.
Tournant la tête, je vis notre reflet dans le miroir, et me voir lui
faire l'amour me transporta dans un autre monde. Un soleil chaud
rougeoya au fond de mon ventre. M'abandonnant avec passion,
savourant cet instant de pure magie, je sentis les prémices de mon
orgasme. Mon ventre s'alourdit et se crispa dans un embrasement
vif et irréel, un oubli de soi à en effleurer l'au-delà.
— Jouis pour moi, susurra-t-il entre deux va-et-vient. À ses
mots, je ne pus retenir un râle, il plaça sa main sur ma bouche
pour retenir ma plaidoirie et son geste eut pour effet d'augmenter
ma jouissance. Dans un dernier mouvement de bassin, je le vis se
tendre à son tour.
— Oh mon Dieu !
Je m'effondrai sur son torse, exténuée et repue par ce plaisir
foudroyant.
Que dire après ça ?
264
Romagnas du Mont DavisRien... rien ne pouvait être dit, rien ne devait être dit, au risque
de briser le charme.
Nous restâmes tous les deux enlacés dans cette eau chaude. Le
jacuzzi se remit en route, envoyant par salve des bulles qui
caressèrent nos corps durant de longues minutes. Mais malgré
cette chaleur réconfortante, la tension liée à la fatigue et le
contrecoup de tout ce que nous avions vécu me fit frissonner.
— Viens te coucher.
Sans plus attendre il me souleva du sol, calant ma tête, je
profitais de cette promiscuité pour nicher mon nez dans son cou,
imprimant au plus profond de moi sa fragrance, un mélange de
lui, de sexe et de gel douche aux fruits rouges.
*
— Il est l'heure de se lever les enfants.
Mes yeux papillonnèrent quelques secondes, le temps que je
m'habitue aux rayons qui filtraient dans la pièce, des particules de
poussière virevoltaient autour de nous et me donnait l'impression
d'être protégée des dieux. Je m'étirai tel un chat, ronronnant
presque de satisfaction. Tournant la tête vers la droite, je
m'émerveillais de la vision qui m'était offerte. Il était là, nu,
enroulé dans les draps, une main relevée au-dessus de sa tête.
J'étais séduite, subjuguée, éprise... c'est forte de cette constatation
que je sentis mon cœur se gonfler de bonheur lorsque j'entendis
de nouveau quelqu'un tambouriner à la porte de notre chambre.
265
KRIS T.L — Greg, Lisy, il est temps !
— Oui, pas de souci, on arrive.
J'étais sur le point de me lever quand je sentis deux bras
m'encercler.
— Où comptes-tu aller comme ça ?
— Greg, n'y pense même pas, cria son père à travers la porte.
Je ne pus retenir mon rire lorsque je vis la mine déconfite de
Greg. Il avait le visage d'un enfant à qui on vient de retirer une
sucrerie. La lèvre inférieure tremblotante, le nez pincé, le regard
larmoyant.
— Allez, bouge ton corps.
— Hmm... oui, bouger mon corps. Mordillant ma lèvre, il
exerça une pression du bassin.
— Greg ! le grondai-je.
— Quoi ?
— Allez, vous deux ! Magnez-vous les fesses, j'ai une femme
à aller sauver. La voix de Matt tonna au travers de la porte. Greg
se figea, et un voile de tristesse traversa son regard.
— Allez viens! murmurai-je dans un souffle en embrassant le
bout de son nez. Il est temps d'y aller.
*
Neuf heures du matin, l'avion était sur le point de prendre son
envol. J'inspirai fortement, la peur au ventre.
266
Romagnas du Mont Davis— Alors comme ça tu as la frousse O'Brian ?
— Pas la peine de faire de l'humour Cummings, grognai-je en
osant ouvrir un œil dans sa direction.
L'avion s'aligna en bout de piste, je fermai les yeux lorsque je
sentis par l'effet de la propulsion mon corps se coller au siège.
— Lâche ma main.
— Quoi ?
— Lisy, s'il te plait, lâche ma main, se plaignit-il.
— Oh désolée ! dis-je en le voyant secouer ses doigts, ses
phalanges étaient blanchies par la pression que j'avais exercée. Je
m'agrippai au siège durant tout le décollage, priant Dieu et tous
ses saints ; mes muscles se relâchèrent dès que l'avion se stabilisa
dans les airs et qu'il reprit une station à l'horizontale. Je soufflai
de soulagement en sentant la main de Greg se poser sur ma joue.
— Ouvre les yeux, tout va bien.
Il passa son bras par-dessus son épaule et m'attira contre lui.
— Tu as prévenu ta tante Maria de notre arrivée ?
— Oui je l'ai appelée quand tu es parti prendre nos billets, elle
va venir nous chercher à l'aéroport.
—Très bien.
— Comment allons-nous procéder ?
267
KRIS T.L — Avec mon père, il nous a semblé plus juste de prendre nos
quartiers chez toi le temps de voir comment approcher Lisbeth
sans l'effrayer.
— Elle doit être terrifiée, soufflai-je à demi-mots.
— Il y a de quoi.
— Tu sais, je n'arrête pas de penser à ce bouquet.
— Et ?
— Et la seule chose qui me relie à ces fleurs sont mes parents.
— Je sais.
— Et si elles étaient cachées au Mont Davis.
— J'y ai pensé.
— C'est loin, il va nous falloir encore une bonne demi-journée
de voiture pour arriver jusque-là !
— J'espère seulement que Tess va tenir le coup jusqu'à ce que
nous arrivions.
— Que crois-tu qu'il se soit passé pour qu'elles aient besoin de
se cacher ?
— Si je le savais, murmura-t-il en regardant son père qui
discutait avec l'hôtesse de l'air.
— Je crois que ton père a une touche, souris-je en regardant la
jeune femme minauder devant Alan.
— Il a un succès fou ! Faut dire qu'on est plutôt beaux gosses
dans la famille.
268
Romagnas du Mont DavisJe roulai des yeux en hochant la tête de gauche à droite.
— Ce n'est pas la modestie qui va t'étouffer Cummings.
— Jamais.
— Il n'a jamais pensé à refaire sa vie ?
— Non, je crois que tant que nous ne trouverons pas qui a fait
ça, il ne tournera pas la page.
— Oui, ça se comprend.
— Pourquoi me demandes-tu ça ?
— Pour rien.
— Je ne sais pas ce que tu as en tête miss O'Brian, mais ton
sourire me plait.
— On verra !
Sans attendre, il m'attira dans ses bras, m'installant
confortablement contre son épaule je me calquai sur sa
respiration qui m'apaisa instantanément.
— Tout va s'arranger, murmura-t-il en embrassant le haut de
ma tête.
— Oui.
Et c'est avec cet espoir naissant au fond de mon cœur que je
m'endormis dans ses bras.
*
— Je crois qu'il est temps de te réveiller.
269
KRIS T.L Ces mots à peine soufflés me tirèrent d'un rêve des plus
étranges. J'étais avec Lisbeth, je n'avais pas plus de dix ans, nous
étions toutes les deux en train de nous baigner dans une piscine.
J'ouvris les yeux avec cette sensation étrange que quelque chose
de terrible était sur le point d'arriver.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien, rien du tout, embrasse-moi, répondis-je en essayant
de ne pas l'inquiéter inutilement.
— J'aime la Vanilla-sex avec toi miss O'Brian, murmura-t-il
contre ma bouche.
J'écarquillai les yeux, avais-je bien entendu ?
Wow ! Excellente façon de te changer les idées, me suggéra
Jiminy.
Je restais muette, balayant du regard la zone où j'avais posé
mon sac à main.
Putain !
— C'est ça que tu cherches ?
Il tapotait du bout des doigts mon bouquin.2
Quoi ? Oh ! NON !
— Eh bien, on peut dire que je suis surpris, Mademoiselle
O'Brian.
— Rends-moi ça, dis-je en essayant de récupérer mon livre.
2 Fifty Shades of Grey James EL
270
Romagnas du Mont Davis— Tssssss, tu plaisantes j'espère !
— Non, Cummings, rends-le moi. Tu n'avais pas le droit de
fouiller dans mon sac.
Ce livre érotique était mon jardin secret en quelque sorte et
l'idée qu'il puisse en avoir lu quelques pages me consuma toute
entière.
— Pour ton information je n'ai pas fouillé. L'hôtesse m'a
gentiment demandé de ranger ton sac à main dans le
compartiment à bagages et cet ouvrage est malencontreusement
tombé sur moi. Il m'a pratiquement assommé, tu sais !
— Pas assez à ce que je vois, grommelai-je en tendant la main
pour le lui arracher.
— Oh non ! Je veux savoir si oui ou non elle signe ce fichu
contrat.
Saisissant le livre, il le glissa dans son sac à dos qu'il replaça
dans la soute à bagages au-dessus de nos têtes.
— Greg s'il te plait, murmurai-je en roulant des yeux
— Oh si je me souviens bien tu ne devrais pas faire ça !
— Tu es sérieux ? m'inquiétai-je tout à coup.
Il haussa les épaules, alors qu'une lueur perverse se mit à
briller dans ses yeux.
Oh merde !
— Jamais.
271
KRIS T.L — Ne jamais dire jamais.
— Oh si Cummings ! Ce point-là n'est pas discutable, jamais
et je le répète encore une fois pour que tu saisisses bien,
JAMAIS.
Il fit la moue et me dévisagea un instant.
— QUOI ?
—J'ai une cravate tu sais...
272
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Cinq
Enfin de retour à la maison, pensai-je en descendant de la
passerelle.
Le soleil était à son zénith, la luminosité aveuglante, l'odeur
âcre et offensante de la poussière pénétrait chaque fibre de ma
peau. Je souris lorsque mes pieds foulèrent le sol.
Après quelques formalités pour Greg et sa famille, nous
passâmes enfin le portique de sécurité. L'aéroport était bondé, les
avions ne cessaient d'atterrir, récupérant ainsi le retard dû aux
intempéries, et c'est dans ce flux constant de voyageurs que je vis
le visage familier de Maria se détacher au-dessus de tous. Levant
sa main pour me faire signe, je vis qu'elle avait pleuré tant ses
yeux étaient rougis par les larmes qu'elle avait dû verser.
— Maria, soufflai-je en accélérant le pas pour me réfugier
dans ses bras.
— Chutttt tout va bien ma chérie, je suis là, murmura-t-elle en
m'étreignant avec force.
Grégory, Alan et Matt restèrent en retrait. Maria releva la tête
vers eux et les observa quelques secondes avant de m'essuyer mes
larmes comme quand j'étais enfant.
273
KRIS T.L — Vous devez être les amis de Lisy ?
Elle tendit la main à Alan.
— Oui, madame. Celui-ci l'attrapa, mais au lieu de la lui serrer
il lui fit un baise main.
— Maria, je te présente, Alan Cummings, Matthew Mc Logan
et Grégory, messieurs je vous présente ma tante Maria Banavero,
la sœur d'Enrique.
— Veuillez recevoir nos sincères condoléances pour votre
frère, madame.
— Merci, messieurs.
— Maria, ils sont de la famille de Tess Cummings.
— Qui ? me demanda-t-elle confuse.
— Tess Cummings, une jeune femme que j'ai auscultée la
semaine dernière, elle était avec Enrique et Lisbeth au camp de
réfugiés de Terlingua.
— Sans vouloir vous offenser messieurs, vous n'avez pas la
tête de réfugiés Mexicains.
— Irlandais madame, répondit Matt avec une pointe de fierté
dans la voix.
— Plus de Madame, appelez-moi Maria.
— Maria, acquiesca Alan d'un mouvement de tête.
Dans un battement de cils elle tenta de cacher son émotion,
mais ce fut peine perdue pour l'œil avisé d'Alan.
274
Romagnas du Mont DavisTel père tel fils ! murmura Jiminy.
— Bien, et que pouvait bien faire votre fille avec mon frère ?
— En fait, ma fille est portée disparue depuis plus de trois
mois.
— Mais comment ?
— Si votre nièce n'était pas venue nous trouver à Toronto,
nous n'aurions jamais su où elle se trouvait.
— Mon Dieu ! Je n'ose imaginer l'angoisse que vous avez dû
vivre, vous et votre femme.
Je me raclai la gorge en tournant la tête de gauche à droite.
— Quoi ? ai-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
murmura-t-elle à mon intention.
— En fait, je suis veuf.
— Oh, je suis confuse, je ne voulais pas ...
— Ne vous en faites pas Maria, assura Alan le regard
bienveillant.
— Maria.
— Oui chérie ?
— Tess est en ce moment avec Lisbeth.
— Quoi ?
— Mais nous ne savons pas où elles se cachent, nous ne
savons pas ce qui s'est passé et pour couronner le tout, Tess est
enceinte de huit mois et ne devrait pas tarder à accoucher.275
KRIS T.L — Enceinte ?son regard s'obscurcit et durant une nanoseconde
il me sembla qu'elle en était contrariée.
— Nous ne voudrions pas vous déranger, mais pourrions-nous
prendre nos quartiers chez vous, le temps de retrouver ma fille et
Lisbeth, demanda Alan soucieux.
—Oui bien entendu, il n'y a pas une minute à perdre. Tournant
les talons, elle nous fit signe de la suivre, ce que nous fîmes sans
nous faire prier.
*
J'étais dans la cuisine quand je sentis une présence derrière
moi.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Grégory se rapprocha et posa ses mains sur mes hanches.
— J'ai besoin de ma dose.
— Ta dose ? demanda-t-il en regardant par dessus mon épaule.
— Matcha latte, tu en veux ?
— Avoue, ceci n'est autre qu'un filtre d'amour pour
m'enchaîner à toi.
—Oh oui, un filtre d'amour pour mon valeureux et preux
chevalier, souris-je en roulant des yeux.
— Un chevalier qui vous sera à jamais redevable madame.
— Je vous dégage de toute loyauté envers moi, cher ami. Me
tournant vers lui je savourai toute la profondeur de son regard.
276
Romagnas du Mont Davis— Je ne peux accepter, je suis lié à vous jusqu'à ce que la mort
nous sépare, Miss O'Brian.
Mes yeux s'élargirent de stupeur alors que la réalité me
revenait de plein fouet.
— Désolé, je ne voulais pas dire ça !
— Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
— Chutttt, je suis là. Je suis désolé, je n'aurai pas dû.
—Jusqu'à ce que la mort nous sépare, répétai-je pour moi
comme si ces paroles étaient le signe d'un mauvais présage.
*
Nous restâmes dans les bras l'un de l'autre, mon oreille collée
contre sa poitrine, je me laissai bercer par les battements de son
cœur, son rythme devenu le mien apaisa doucement mes peurs.
— Je crois que mon père est sous le charme de Maria,
murmura-t-il en jetant un œil dans leur direction.
— Tu crois vraiment ?
— Oui m'dame, je trouve qu'il agit différemment, ses pupilles
sont dilatées, signe de désir et puis il a cette manière de passer sa
langue sur sa lèvre inférieure.
— Hey, arrête de faire ça, c'est ton père ! dis-je en lui tapant le
torse. Il n'y a pas un protocole qui t'interdise d'utiliser cette
pratique envers tes proches.
— Non, se marra-t-il. Mais c'est fortement déconseillé.
277
KRIS T.L — Alors je te le déconseille, soufflai-je contre ses lèvres.
— Avoue que tu y as songé toi aussi ?
— Quoi donc ?
— Mon père et Maria.
— Peut-être bien, souris-je en regardant par-dessus son épaule.
— Décidément les femmes de cette famille ont un pouvoir sur
nous pauvres âmes égarées.
—Allez viens, arrête de dire des bêtises. Saisissant le plateau
en bois qui se trouvait en haut de l'étagère, je plaçai les tasses à
café. Matt semblait absorbé par sa lecture, le nez plongé dans son
ordinateur portable. Il ne fit même pas attention à moi lorsque je
vins poser une tasse de thé à côté de lui.
— Je l'ai, cria-t-il en me faisant sursauter.
— Tu as du nouveau ?
Greg se posta afin de visionner l'écran.
— Merde ! C'est quoi encore que cette histoire, assena-t-il
d’un air dubitatif.
— Elle est morte, ajouta Matt en se tournant vers nous.
— Quoi ? Mais quand ?
— Il y a plus de trente ans, répondit Greg.
Trente ans ?
— Ce n'est pas possible, ça ne peut pas être-elle ?
278
Romagnas du Mont Davis— J'ai demandé à mes collègues de vérifier un éventuel lien
avec ton père et la mère de Greg.
— Et ?
La peur de découvrir quelque chose d'horrible sur mon père
me coupa la respiration. J'avais cette sensation bizarre de n'être
qu'une spectatrice impuissante face à un désastre annoncé.
Greg voyant mon malaise vint se tenir à mes côtés et d'un
geste tendre il me caressa la joue.
— Ça va ?
— Oui.
—Teresa Rodriguez, mariée, vingt-huit ans, elle s'est fait
renverser par une voiture.
— Merde !
— Elle était enceinte.
— Quoi ?
— Ton père était un jeune officier quand cela s'est produit,
c'est lui qui a instruit l'affaire à Princeton.
— C'est là qu'il a fait son école.
Matt se tourna ensuite vers Alan, mais parut hésiter un instant.
— C'est à propos de votre femme, Marielle.
— Je sais.
— Papa ?
279
KRIS T.L — Oui, murmura-t-il. L'accident a eu lieu quelques mois avant
que ta mère et moi ne fassions connaissance.
Wow !
— J'ai rencontré Marielle quand j'étais stagiaire en psychiatrie
au Centre National du trouble de l'alimentation de Toronto.
Il s'arrêta quelques instants afin de reprendre son souffle, une
main posée sur son cœur.
— Et ?
— Après l'accident elle est tombée en dépression, refusant de
se nourrir, ses parents n'ont eu d'autre choix que de la faire
hospitaliser dans ce centre où je travaillais.
Merde !
— C'est donc comme ça que vous vous êtes rencontrés ?
Greg semblait abasourdi.
— Elle est repartie vivre chez tes grands-parents et moi j'ai
terminé mes études. Nous nous sommes fréquentés pendant plus
d'un an et demi. Nous avons fini par nous marier et pour notre
plus grand bonheur vous êtes nés toi et ta sœur. Même si cet
accident l'a marqué au plus profond de sa chair, vous lui avez
redonné l'envie de vivre.
La voix d'Alan se brisa, et Greg ne put retenir un sanglot tant
l'émotion était forte.
Mon dieu, pensai-je en fermant les yeux. Tant de vies gâchées.
280
Romagnas du Mont Davis— Lisy, est-ce que tu as un fax ? Mes collègues vont
m'envoyer le procès-verbal de l'accident, peut-être en saurons-
nous plus à ce sujet.
— Oui Matt, bien sûr.
Je partis en direction de mon bureau, heureuse d'avoir quelque
chose à faire. Mon cerveau groggy essayait tant bien que mal
d'analyser cette nouvelle information.
Marielle ? Teresa enceinte ? Les similitudes avec Tess étaient
bien trop importantes pour que cela ne soit qu'une coïncidence.
Aurions-nous droit à la vengeance d'un mari blessé ? chuchota
Jiminy.
Mais dans ce cas, quel est le lien avec la mort de mon père et
que vient faire la comptine dans toute cette histoire ? Et pour
finir pourquoi s'en prendre à Tess dix-sept ans plus tard ?
Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête.
—Triple merde, marmonnai-je en me passant les mains dans
les cheveux.
Est-il possible que mon père ait falsifié des preuves pour
protéger la mère de Greg ?
J'étais partagée entre l'envie de comprendre et la peur de
savoir, aussi quand dix minutes plus tard le bip de mon fax
retentit et que la feuille qui devait nous éclairer sur cet événement
tragique se présenta devant nous, mon cœur se mit à cogner plus
fort, résonnant jusque dans mes tempes. Sans attendre la fin du
281
KRIS T.L transfert, Matt l'arracha d'un coup sec, puis tournant les talons il
partit rejoindre les autres.
— Alors ? demanda Greg.
— Teresa est bien morte, répondit Matt en lisant le document.
Mais pas au moment de l'accident.
Pas au moment de l'accident ?
— Elle a été maintenue en vie, le temps de donner naissance à
une petite fille.
Un soupir de soulagement traversa mon corps face à cette
révélation.
— Ne te réjouis pas.
Pourquoi ?
— Elles n'ont pas survécu. Elles sont décédées toutes les deux
quelques heures après l'accouchement.
Non !
Une chape de plomb tomba sur mes épaules, mon cœur se
serra, c'était plus que ce que je ne pouvais encaisser.
— Il est dit dans le procès-verbal que Marielle n'était en rien
responsable. Des témoins de la scène ont vu Teresa, elle était
accompagnée de sa petite sœur, celle-ci a échappé à sa
surveillance, et l'enfant s'est retrouvée sur la route. Teresa a
essayé de la tirer par le bras, mais celle-ci a résisté en refusant de
la suivre, elles ont trébuché au moment même où Marielle
282
Romagnas du Mont Davisarrivait en voiture, elle n'a pu les éviter et les a percutés de plein
fouet.
Seigneur !
— Qu'est devenue la petite fille ? osai-je demander dans un
murmure.
Matt regarda une nouvelle fois la feuille qu'il avait entre les
mains.
— Il est dit qu'elle a été gravement blessée, de multiples
fractures, le bassin touché, ajouta-t-il en relevant les yeux vers
moi.
— Quel âge avait-elle ? demandai-je émue.
— À peine dix ans.
Mon dieu !
Ne voulant pas afficher ma faiblesse aux yeux de tous et
sentant les larmes affluer, je partis sans rien dire me réfugier dans
ma chambre.
À peine la porte fut-elle fermée que je me laissai glisser au sol,
l'amertume, la souffrance, la folie que je retenais depuis tant
d'années me submergea, ne pouvant la retenir plus longtemps je
me mis à pleurer.
*
283
KRIS T.L
Après je ne sais combien de temps, d'heures, de minutes,
j'ouvris les yeux. Mes larmes avaient fini par se tarir, mais je
restai là assise sur le sol, les bras enroulés autour de mon corps.
Une lumière douce filtrait à travers les stores en bois, la
tapisserie dans les tons topaze et opale créait une ambiance
apaisante. Mes yeux voyagèrent autour de la pièce, s'arrêtant sur
chaque objet, peluche, photo : mon père, ma mère, Maria,
Enrique, Lisbeth.
— Le bouquet ? murmurai-je en me relevant.
— Lisy ?
Je sursautai à la voix de Maria.
— Je ne savais pas où mettre ce bouquet, s'excusa-t-elle en
entrant dans la chambre. Tu sais, je me souviens de cette
comptine.
— Quoi ?
— Oui, c'était quelque temps après que tu aies aménagé ici.
Oh !
— Ce fut un moment difficile, tu ne te souviens pas ?
— Me souvenir ?
Elle sembla chercher ses mots et cela ne fit qu'amplifier mes
craintes.
— Bon Dieu, Maria, dis-moi !
284
Romagnas du Mont Davis— Ne blasphème pas dans ma maison jeune fille.
— Excuse-moi, mais je vais finir par devenir folle.
— Viens, je crois qu'il est temps que l'on parle.
Elle s'installa sur le lit et tapota du plat de la main la place afin
que je vienne m’asseoir à ses côtés.
—Maria, commençai-je. Cette comptine représente quelque
chose de terrible n'est-ce pas ?
— Terrible ? Ça aurait pu l'être si je n'étais pas arrivée à
temps.
— Que veux-tu dire ?
— Je n'aurai pas survécu si j'avais dû te perdre.
Elle ferma les yeux et son front se plissa de douleur.
— Il était tard, poursuivit-elle. Nous étions sur le point d'aller
nous coucher. Comme tous les soirs, je suis venue dans ta
chambre pour te souhaiter bonne nuit, mais quand j'ai ouvert la
porte, tu n'étais plus là.
— Et ? demandai-je doucement en lui intimant de poursuivre.
— J'ai entendu quelqu'un fredonner cette comptine, j'ai
cherché d'où cela venait, je t'ai appelé mais tu ne m'as pas
répondu.
— Tu es sûre que c'était cette comptine ?
— Oui, j'en suis certaine.
— Pourquoi n'ai-je aucun souvenir ?
285
KRIS T.L — Parce que ce soir-là tu as perdu connaissance.
— Perdu connaissance, mais que s'est-il passé ?
— Tu es tombée dans la piscine, tu as failli te noyer. Si je
n'avais pas suivi mon instinct et si je n'étais pas sortie dehors...
Noyer ? Alors cette sensation que j'avais d'étouffer, d'être
attirée par les ténèbres...
— Mais qui a bien pu me chanter cette comptine ?
Elle haussa les épaules en signe d'impuissance.
— Quand j'ai sauté dans l'eau, il n'y avait que toi.
286
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Six
— Lisy, il y a des Border Patrol de Lajitas qui viennent
d'arriver, ils souhaiteraient t'interroger.
Des Border Patrol ? Dans ma maison ?
Un frisson parcourut mon corps et des larmes importunes
s'invitèrent sans que je ne puisse les contrôler.
— Lisy, il serait raisonnable d'aller leur parler, m’intima Greg.
— Raisonnable ? Tu es sérieux ?
— Lisy, souffla-t-il en poussant la porte de ma chambre afin
d'entrer.
N'avance pas !
Mon corps tout entier hurlait, reportant sur Grégory toute la
colère que me faisait vivre cette intrusion.
— Calme-toi, chiquita, écoute ce garçon.
D'un pas décidé Maria se dirigea vers la sortie.
— Sois patient avec elle, murmura-t-elle avant de quitter la
pièce, posant une main sur son épaule.
287
KRIS T.L Je restais vacillante, le regard dans le vide, cherchant un
moyen de m'échapper, de revenir en arrière, de remonter le
temps.
— Lisy.
— Je ne peux pas !
— Lisy, murmura-t-il en se rapprochant encore plus.
— Reste où tu es, le menaçai-je d'une voix à peine audible.
Mais sans que je puisse esquiver son geste il m'attrapa dans
ses bras et me serra contre lui.
— Lisy, tu n'as pas le droit d'abandonner.
— Laisse-moi tranquille, soufflai-je. Va au Mont Davis, elles
sont là-bas.
— Lisy, je ne peux y aller sans toi.
— C'est trop douloureux, dis-je les yeux remplis de larmes. Je
ne suis pas assez forte pour faire face à tout ça.
— Tu te trompes.
— C'est toi qui te trompes Cummings. Fermant les yeux, je le
repoussai du bout des doigts.
Comment peux-tu lui faire ça ? gronda Jiminy effaré.
Une bataille intérieure faisait rage. Je n'avais cessé de me faire
violence durant ces derniers jours, j'avais pris la décision de me
rendre directement à Toronto pour éviter de me retrouver face
aux coéquipiers de mon père et voilà que tout ça...
288
Romagnas du Mont Davis— Tout ça n’a servi strictement à rien, murmurai-je pour moi-
même.
Peut-être, mais à présent tu n'es plus seule pour leur faire
face, me sermonna Jiminy.
Greg se tenait près de la commode :
Triste, triste lueur du soir
Quand la nuit s'invite
Et que la mort vient te voir
Je suis là près de toi
Et je te tends les bras
Mais si je ne peux t'avoir
Alors personne ne t'aura...
Je pouvais voir ses muscles se tendre de douleur sous sa
chemise, quand il broya de sa main droite la carte qui scellait nos
destins.
— Quand je suis venue vivre ici, soufflai-je en fermant les
yeux, ma tante m'a sauvé la vie.
— Je le sais, Lisy, elle s'est occupée de toi.
— Non, tu ne sais rien ! dis-je, le coupant avec véhémence.
— Explique-moi.
289
KRIS T.L — Elle a entendu cette comptine ce soir-là.
— Quand ? Il me regarda, perdu.
— Elle a eu juste le temps de me sortir de l'eau, répondis-je
sans réellement l'entendre.
— De l'eau ? Quelle eau ?
— Elle m'a retrouvée au fond de la piscine, inconsciente, j'ai
réellement failli me noyer, tu sais…
— Lisy...
Cette eau était si sombre, si froide, mes membres
s'engourdissaient, mon cœur ralentissait, je me sentais si
bien...enfin en paix...
— Lisy...
Posant ses mains sur mes épaules, il me secoua légèrement
pour me faire revenir vers lui.
— Haaa ! lâchai-je en reprenant mon souffle.
— On ne peut échapper à notre destin plus longtemps, Lisy.
Nous devons nous rendre au Mont Davis, ensemble. J'ai besoin
de toi, Tess a besoin de toi. Sans me laisser d'autre choix, il
attrapa ma main et m'entraîna telle une automate hors de mon
refuge vers ces limbes peuplées de fantômes.
*
Des Border patrol étaient en pleine discussion avec Matt qui
répondait professionnellement à chacune de leurs questions. Nous
290
Romagnas du Mont Davisrestâmes là à contempler leur interaction, sans mot dire. Il y avait
deux hommes. Un jeune d'une vingtaine d'années à peine, il
devait sortir d'école, il avait cette particularité qu'ont ces jeunes
officiers, cette moustache à peine étoffée pour se vieillir. L'autre
bien plus vieux, le visage rond, dégarni, ventre bedonnant attira
mon attention.
Ne leur fais pas confiance, les mots de Lisbeth me revinrent
avec force et mon cœur se mit à cogner plus fort.
Remarquant mon manque d'assurance, Gregory me pressa la
main.
— Miss O'Brian, monsieur Cummings, nous salua le jeune
Border Patrol qui venait de remarquer notre présence.
— Messieurs, réussis-je à répondre la voix chevrotante.
— Lisy, voici donc la petite Lisy O'Brian.
L'officier que je reconnaissais pour avoir été le binôme de mon
père se rapprocha.
— Bonjour.
— Comme tu as grandi, tu es devenue une bien jolie jeune
femme, aussi belle que l'était ta maman.
Ma mère ?
Sans pouvoir me contrôler, j'émis un mouvement de recul,
saisissant mon malaise, Greg s'avança d'un pas, faisant de son
corps un bouclier.
291
KRIS T.L — Grégory Cummings, analyste en morpho gestuelle,
consultant pour la Gendarmerie Royale du Canada, se présenta-t-
il.
— Officier David, monsieur. Alors comme ça vous êtes
comme ce gugus que l'on voit dans cette série ? Harvey, c'est quoi
déjà son nom ?
— Lightman, le coupa Grégory en lui serrant un peu plus fort
la main.
— Hmm... Oui, c'est ça ! dit David en se raclant la gorge.
J'aime bien cette série, affirma-t-il d'une voix moins assurée en
plaçant sa main meurtrie derrière son dos.
— Bien, l'inspecteur Mc Logan, vient de nous faire un
compte-rendu détaillé des faits concernant la disparition de votre
sœur monsieur Cummings.
— Nous allons vous aider à la retrouver, affirma ce David.
Comme tu as aidé mon père, hurlai-je intérieurement.
— J'aimerais toutefois éclaircir un point avec vous
mademoiselle O'Brian, demanda le jeune officier Harvey.
David était là à me contempler avec cette lueur indescriptible
dans le regard.
— Oui ?
— Quand avez-vous vu votre oncle pour la dernière fois ?
292
Romagnas du Mont Davis— Je l'ai eu au téléphone, mercredi soir. Je l'ai appelé pour le
prévenir au sujet de Tess. Voyant qu'il ne me rappelait pas, je suis
retournée à Terlingua, mais il n'y avait plus personne.
— Vous n'avez rien remarqué de suspect ?
— De suspect ? Tout le monde avait disparu, bien sûr que j'ai
trouvé ça suspect.
— Dans ce cas pourquoi ne pas nous avoir prévenus ?
demanda David avec un sourire en coin.
— Pourquoi ? répondis-je avec sarcasme. Il osait me
demander pourquoi ?
— Mademoiselle O'Brian a répondu aussitôt à un appel à
témoin sur le net par rapport à ma fille. Prenant son témoignage
au sérieux, nous avons souhaité la rencontrer au plus vite,
intervint le père de Grégory en se postant devant moi.
— Dès que nous avons eu connaissance des faits, nous avons
averti le FBI et vos supérieurs qui se sont rendus immédiatement
sur les lieux, ajouta Matt.
— Oui, je faisais partie de la patrouille dépêchée à Terlingua,
affirma Harvey.
Ils mentaient, Matt et Alan étaient en train de mentir pour me
couvrir et même si dans les faits, tout était exact, j'avais
néanmoins omis de faire mon devoir de citoyenne. Un sentiment
de culpabilité déploya ses ailes au fond de mon cœur.
293
KRIS T.L Si jamais par ma faute il arrivait malheur à Tess, pensai-je en
fermant les yeux.
— Bien ! murmura David en se frottant le front avec son
mouchoir.
— Dernière petite question Lisy, pensez-vous que votre oncle
ait pu tuer votre père ?
— Mon oncle ? Tuer mon père ? Vous plaisantez, vous n'êtes
pas sérieux ?
— Oh je reconnais bien là le caractère bien trempé de ta mère,
une sacrée bonne femme tu peux me croire.
Pourquoi ce David s'acharnait-il à me parler de ma mère ?
— David, je ne pense pas que ce soit le moment !
La voix de ma tante venait de claquer dans les airs.
Assez dit ? Pas le moment ? Que voulait-elle dire par là ? Et
pourquoi était-elle si familière avec ce Border Patrol ?
— Oui, bien sûr Maria ! Je ne voudrais pas réveiller les morts,
plaisanta celui-ci d'une voix sarcastique.
Des images de moi, enfant, assise sous le porche de notre
maison à Lajitas me revinrent en mémoire. Je revoyais cet
homme demandant des comptes à mon père, une dispute avait
éclaté entre eux et ils s'étaient battus.
— Officier David ?
294
Romagnas du Mont Davis— Oui inspecteur ? Matt le regardait sévèrement. Pourquoi
supposer qu'Enrique ait pu tuer Tom O'Brian ?
— Nous pensons qu'O'Brian tournait autour de la compagne
de Banavero, nous avons trouvé ce carnet de notes chez lui, il
appartenait à Tom.
Mon père et Lisbeth ? Impossible !
— Pouvons-nous y jeter un coup d'œil ?
— Bien sûr, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur miss
Penrose.
— Penrose ? J'ai lu ce nom quelque part, marmonna Matt en
se dirigeant vers le fax que nous avions reçu tout à l'heure.
— O'Brian a fait des recherches sur elle, et si l'on s'en réfère
aux dates de son carnet, cela s'est passé juste avant qu'il ne soit
assassiné, ajouta Harvey en tendant le carnet à Greg.
Mon père avait fait des recherches sur Lisbeth ?
C'est dans un silence quasi religieux que nous attendîmes qu'il
eut fini de lire le document qu'il avait entre les mains.
— Merde, Elisabeth Penrose, souffla-t-il.
Elisabeth ? Lisbeth était le diminutif d'Elisabeth.
Mon cerveau ne mit qu'une seconde pour faire le lien.
— Elisabeth ? Enfin je veux dire Lisbeth n'est autre que la
sœur de Teresa Rodriguez ?
— Oui.
295
KRIS T.L — Que cherchait O'Brian à son sujet ? insista Matt.
— Nous ne savons pas, certaines pages du calepin ont été
arrachées.
—J'ai l'impression d'être plongée dans un cauchemar ! Lisbeth
serait derrière tout ça ?
J'étais consciente qu'elle était dérangée, mais de là à penser
qu'elle était le lien.
— Messieurs, faites-moi connaître l'évolution de votre
enquête, je veux tout savoir, ses antécédents, ses parents, tout !
dit Matt à l'intention de David et Harvey. Ne laissez rien au
hasard, pas le moindre petit détail, je me suis bien fait
comprendre ?
Son ton était formel, directif, et ne laissait aucune place à la
discussion. Son côté professionnel était à son apogée, il semblait
galvanisé, prêt à défier quiconque se mettrait sur son chemin.
— Oui Inspecteur, répondirent en même temps les deux
officiers.
— Ce fut un plaisir de te revoir, Lisy. À très bientôt ! salua
David avec cette lueur indescriptible dans le regard et ce sourire
en coin qui me glaça le sang.
À très bientôt...
Pourquoi avais-je le sentiment que ces quelques mots
sonnaient comme une promesse silencieuse.
296
Romagnas du Mont Davis
*
— Les enfants, venez ici, il nous faut faire le point avant
d'aller nous jeter dans la gueule du loup.
Alan se tenait près de la table de la salle à manger, les traits
tirés, le teint pâle, il semblait fatigué, sa main posée sur le rebord
de la chaise.
— Papa tu devrais aller te reposer, avec Matt nous allons nous
occuper de tout.
— Me reposer ? Tu plaisantes j'espère ?
Greg se passa une main dans les cheveux en signe
d'exaspération avant de capituler et d'aller s'asseoir à table.
— Bien, reprenons, nous savons à présent que Lisbeth n'est
autre que la sœur de Teresa.
C'était hallucinant, qu'avait bien pu trouver mon père à son
sujet pour qu'elle décide de le tuer.
— Maria, Lisy, vous n'auriez pas une photo de Lisbeth pour
qu'on puisse la comparer à la vidéo qui a été faite à l'hôpital où
l'on voit Tess partir en compagnie de cette infirmière ?
— Si bien sûr, je vais vous chercher notre album.
Matt attrapa son téléphone sur la table.
— Bien, je vais prévenir le service pour qu'ils nous envoient la
bande vidéo de l'hôpital par mail.
297
KRIS T.L — Greg j'aurais besoin que tu passes en revue le carnet de
notes de Tom O'Brian.
— Alan ?
— Oui Lisy ?
— Avec Grégory nous pensons que Tess et Lisbeth se cachent
dans ma maison au Mont Davis.
— Y'a-t-il un moyen de vérifier ? Ligne téléphonique ?
Connexion internet ?
— Non, aucun réseau.
— Ok, alors je crois que nous allons devoir nous fier à votre
intuition !
— Et pour David, qu'est-ce qu'on fait ? demanda Gregory. Il y
a quelque chose chez lui que je n'aime pas.
— Moi, aussi, affirma Alan.
— Je vais demander à ce que l'on vérifie ses états de service.
Bien ! cria ma conscience qui s'en trouva aussitôt soulagée.
Au bout de quelques minutes ma tante revint avec notre album
photo, Alan par courtoisie se leva pour le récupérer.
— Maria, auriez-vous la gentillesse de nous...
— ...préparer du café ?
— Oui.
— Avec plaisir Alan.
298
Romagnas du Mont DavisWow ! Voilà que maintenant ils terminent la phrase de l'autre,
soupira Jiminy des étoiles plein les yeux.
— Vous êtes un ange, souffla celui-ci en la regardant partir en
direction de la cuisine.
— Papa, râla Greg. « Vous êtes un ange ? » Tu n'as rien trouvé
de mieux à lui dire ?
— Concentre-toi sur ton carnet et laisse faire ton vieux père...
Je ne suis pas si rouillé, marmonna-t-il dans sa barbe.
*
— Maria.
— Si chérie ?
— Qui est ce David ?
Elle renifla avant de se tourner vers moi.
— Maria, j'ai besoin de savoir.
— Très bien, autant que ce soit moi qui te le dise, marmonna-
t-elle. Avant que ton père ne soit avec Catarina, David a essayé de
la courtiser.
Courtiser ?
Je frémis en imaginant cet homme tourné autour de ma mère.
— Ne me dis pas que ?
— Non, non bien sûr que non ! Ta mère l'a gentiment
éconduit, mais un soir alors que nous étions à une fête toutes les
deux, il a essayé de lui forcer la main.
299
KRIS T.L — Quel salaud.
— Quelques années plus tard, David a été affecté dans le
même commissariat que ton père.
— Et ?
— Il s'est vanté d'avoir couché avec ta mère, Tom a vu rouge
et lui a cassé la figure.
— Il me répugne.
— C'est ce que disait ta mère.
— Ma mère, murmurai-je tristement.
— Mais il a raison, tu sais !
— Comment ça raison ?
— Tu lui ressembles.
Oh !
— Tu as sa force, n'en doute jamais.
— Mais c'est tellement dur, tia.
— Je sais ma chiquita. Mais ce n'est pas le moment de
flancher. Je ne sais pas ce qu'a fait Lisbeth, mais la fille d'Alan a
besoin de toi.
— Tu l'aimes bien n'est-ce pas ?
— Qui ça ?
— Alan.
— Cela ne te regarde pas jeune fille.
300
Romagnas du Mont DavisElle me lança son torchon à travers la figure et se mit à rire.
Il était étrange de vivre ces émotions diamétralement
opposées. Mon âme portait le deuil face à toute cette tragédie
alors que mon cœur semblait vouloir reprendre vie.
La voir rire et heureuse, me conforta dans l'idée que Greg
avait raison, il était temps pour nous de faire face, nous ne
pouvions échapper plus longtemps à notre destin.
301
KRIS T.L
302
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Sept
J'avais devant les yeux un arrêt sur image de la vidéo de
surveillance de l'hôpital St Michael avec Lisbeth en gros plan
tenant le bras de Tess Cummings.
— Il n'y a aucun doute possible, c'est elle.
Mon Dieu, qu'as-tu fait Lisbeth ? Un frisson parcourut ma
colonne vertébrale.
— Lisy, il faut que tu nous briffes sur son caractère.
Lisbeth est folle, c'est aussi simple que ça ! souffla Jiminy.
—Je ne sais pas comment vous dire ça, mais je n'ai jamais été
à l'aise avec elle, finis-je par répondre à Alan.
— Si je peux me permettre, intervint Maria.
— Je vous en prie !
— Le fait que Lisbeth s'en prenne à votre fille qui est enceinte
ne me plait pas du tout. Elle a toujours été obnubilée par les
enfants. Je savais qu'elle ne pouvait pas en avoir, nous savions
tous que c'était dû à un accident, mais nous n'en connaissions pas
les circonstances exactes, mais maintenant après tout ce que nous
venons d'apprendre.
303
KRIS T.L — Continuez !
— Quand le père de Lisy est mort, elle a tout fait pour
récupérer la petite. Elle me regarda et m'adressa un sourire
contrit.
— Je ne voulais pas aller vivre avec elle, affirmai-je avec
tristesse.
—Elle a très mal vécu le fait que Lisy s'installe chez moi. Elle
m'a harcelée des jours et des nuits durant, m'accusant de n'être
qu'une voleuse d'enfant. Si mon frère ne l'avait pas calmée, Dieu
seul sait comment cela ce serait terminé.
—J'ai de vagues souvenirs de cette période, murmurai-je pour
moi-même.
— Vous pensez qu'elle pourrait s'en prendre aux bébés ?
— J'aimerai pouvoir vous dire non, mais le bouquet qu'a reçu
Lisy a tendance à me faire penser le contraire.
— Pourquoi dites-vous ça ? nous coupa Matt les yeux remplis
d'inquiétude.
— A cause de la comptine, qui d'autre à part elle a pu écrire
cette carte ?
— Lisy accepterais-tu d'être hypnotisée ? me demanda
soudainement Greg.
— Hypnotisée, moi ?
— J'aimerai savoir ce qu'il s'est réellement passé ce soir-là !
304
Romagnas du Mont Davis— Fais-le ! répondis-je sans hésiter.
— Tu es sûre de toi ?
— Je t'ai déjà remis mon cœur, alors mon esprit n'est qu'une
formalité ! souris-je confiante.
— Très bien, alors viens t'allonger sur le canapé.
Sans réfléchir je fis ce qu'il me dit, Greg s'installa à mes côtés,
genoux au sol, son visage à quelques centimètres du mien.
— Tu es bien installée ? murmura-t-il en calant correctement
ma tête sur un oreiller.
— Oui.
Ses pupilles sont si rétrécies, murmura Jiminy qui semblait
tout aussi impressionné que je pouvais l'être.
— Lisy, inspire et expire lentement.
Posant sa main droite sur ma poitrine, il accompagna ma
respiration.
— À trois tu ne feras plus qu'un avec ma voix, tu es prête ?
Plus qu'un avec ta voix, ton corps, ton cœur, ton âme, pensai-
je avant de lui répondre.
— Oui.
— Un... Deux...Entre chaque décompte je pouvais sentir son
souffle sur ma peau, sa respiration se calquait à la mienne ou bien
était-ce moi qui. Trois. Lisy, nous sommes ce fameux soir où tu
es tombée dans la piscine.
305
KRIS T.L — Oui.
— Où est-ce que tu es ?
Dans ma chambre.
— Es-tu seule ?
Non il y a quelqu'un avec moi, Lisbeth, Lisbeth est dans ma
chambre.
Le flashback de cette soirée me revenait en mémoire. Une
main sur mon cœur, je me sentis faire un bond dans le passé,
comme si les pièces du puzzle se mettaient en place.
— Oui, c'est bien, murmura la voix de Greg.
Je la vois en train de préparer mes habits, elle chante : Triste,
triste lueur... Elle veut que je m'habille… mais je ne veux pas, je
ne veux pas la suivre, il fait tellement noir dehors.
— Tu ne risques rien, continue.
— Mais elle a pris ma peluche, Little Bears.
— Que fait-elle ?
Elle est là devant moi, elle me gronde. «Tu n'es plus un bébé
Lisy».
— C'est bien
Moi, je veux peluche... je pleure. C'est la peluche que mon
père a offert à ma mère le jour où elle a appris qu'elle était
enceinte.
306
Romagnas du Mont DavisTu n'en as plus besoin maintenant, je vais être ta nouvelle
maman, crit-elle en perdant patience. Elle pose Little Bears sur
le lit et se met à chanter.
— C'est bien Lisy, tu y es ! la voix réconfortante de Greg
résonnait au travers de ces brides d'images oniriques.
Nous sommes sur la terrasse, elle me tire par le bras. Tu me
fais mal...
Revivant l'instant, je ressentais la pression des doigts sur mon
avant-bras.
Nous longeons la piscine pour rejoindre la voiture.
J'entends la voix de tia, j’ai envie de crier, mais elle me couvre
la bouche de sa main.
Je sens le goût du sang, je suis en train de la mordre, je serre
de toutes mes forces, mon pouls s'accélère.
Elle me gifle et je m'effondre. Ma tête vient de percuter le sol.
Aïe, ça fait mal, j'ai très mal à la tête et j'ai froid, c'est
humide, tout est bizarre autour de moi, de l'eau, je suis dans
l'eau, il fait si froid ; mon cœur, je sens mon cœur ralentir.
J'ouvre les yeux et je vois le reflet de son visage à travers cette
eau si trouble.
Je remonte à la surface, je tente de respirer.
Je crie ; «Lisbeth»...
307
KRIS T.L Elle est là, à genoux sur la margelle de la piscine, me regarde,
mais ne bouge pas, elle chante, elle chante encore cette
comptine...
Si je ne peux t'avoir, alors personne ne t'aura...
Nonnn !
— Lisy, Lisy c'est bien, reviens maintenant, je vais faire un
décompte et tu te souviendras de tout, compris ? Trois, deux, un...
Greg exerça une pression sur mon épaule.
— Ahahahah ! inspirai-je en reprenant mon souffle.
— Lisy, est-ce que ça va ?
Retrouvant mes esprits je croisai le regard de Maria qui
remplit les yeux de larmes, avait une main collée devant la
bouche.
— Chiquita, ajouta-t-elle avant de tomber à genoux à côté de
moi.
— Ça va tia, ne t'en fais pas, tout va bien, je vais bien, la
rassurai-je en la prenant dans mes bras.
— Si je vois cette femme, je l'étrangle de mes propres mains.
— Merci Lisy, souffla Greg ému.
— Te sens-tu prête à faire face ? Tu es plus impliquée qu'il n'y
parait et je ne veux pas te faire courir le moindre risque, demanda
Alan apparemment inquiet. Il y avait dans son regard toute la
tendresse d'un père et cela me réconforta.
308
Romagnas du Mont Davis— Oui. Tess a besoin de moi.
— Bien, nous allons t'équiper d'un micro et d'une oreillette,
assura Matt les sourcils froncés.
Ok !
— Y'a-t-il une grange, un abri près de la maison pour que nous
puissions installer notre matériel ?
— Oui, il y a un cabanon où mon père entreposait ses outils,
maintenant il sert d'atelier à Maria, il est situé à deux cents mètres
de la maison.
— On a une portée de combien avec ce petit bijou ?
Greg tenait dans ses mains un petit truc noir qui ressemblait à
un émetteur.
—Cinq cents, assura Matt qui rangeait son ordinateur dans sa
sacoche. Bien je crois qu'il est temps d'y aller, ajouta-t-il à
l'attention de tout le monde.
— Fais attention à toi.
Maria toujours à genoux devant moi posa sa main droite sur
ma joue.
— Oui Maria
— Je refuse qu'il t'arrive quoi que ce soit, compris chiquita !
— Nous veillerons sur elle, assura Alan d’un sourire
conciliant, avant de l'aider à se relever.
*
309
KRIS T.L
— Greg, équipe Lisy, s'il te plait, que je puisse faire un essai.
Triple merde, pensai-je alors que mon Jiminy enfilait son gilet
pare-balle.
Nous venions de passer quatre heures dans ma voiture, jamais
au grand jamais ma vieille guimbarde n'avait été aussi vite pour
venir jusqu'au Mont Davis.
— Je ne vais jamais y arriver, murmurai-je à l'attention de
Greg qui me plaçait une oreillette.
— Tu m'entends ? Un deux, un deux ...
— Oui c'est bon, Matt, répondis-je en relevant mon pouce.
— Je serai là Lisy, c'est moi qui vais te guider, je te dirai quoi
faire, ajouta Grégory en rabattant une mèche de cheveux devant
l'appareillage.
— Comment dois-je procéder ?
—Tu devras faire en sorte de me décrire l'environnement, me
dire ce qu'il se passe, me dire si elle est seule, et surtout comment
va Tess.
Oh mon Dieu !
—Tu vas réussir, concentre-toi sur les émotions de Lisbeth.
— Ok ! Que veux-tu savoir ?
310
Romagnas du Mont Davis— J'ai besoin de dresser un portrait, il faut que tu m'orientes
en décrivant son attitude, tous ces petits gestes qui pourront te
sembler anodins, mais qui pour moi auront tout leur sens.
— Je ne suis pas sûre de pouvoir faire ça !
— C'est juste le temps pour nous de mesurer la situation Lisy,
ensuite nous interviendrons.
— Ok ! soufflai-je la peur au ventre.
— Je ne te laisserai pas, compris !
Oui !
—Vous êtes prêts ? nous demanda Matt qui avait pris le temps
d'installer son ordinateur portable et d'autres composants
électroniques sur l'établi situé au milieu de la pièce.
— Oui, répondis-je en me massant les tempes.
L'atelier n'était pas très grand et l'odeur de térébenthine et
d'huile de lin saturait l'air ambiant accentuant ce mal de tête qui
était en train de prendre possession de mon crâne.
— Maria a beaucoup de talent, constata Grégory en regardant
tout autour de lui les toiles entreposées ici et là.
— Oui.
—C'est toi, n'est-ce pas ? demanda-t-il en se rapprochant d'un
chevalet.
Je hochai la tête.
311
KRIS T.L Il retira le drap qui recouvrait le tableau où je posais avec mon
père.
— On voulait lui offrir pour son anniversaire, mais il est mort
avant que Maria n'ait eu le temps de le finir.
— Je suis sincèrement désolé Lisy.
— Je sais, ne t'en fais pas.
— Je te promets de tout faire pour trouver celui qui a fait ça !
— Oui, je n'en doute pas !
— Lisy tu es prête ? me demanda Matt.
Je frottai ma nuque ankylosée par un manque de sommeil
évident.
— Oui.
Grégory ouvrit la porte du cabanon.
—Faut y aller, murmura-t-il en relevant mon menton.
— La nuit est tombée, il fait sombre, nous allons en profiter
pour nous rapprocher, ordonna Matt qui semblait impatient d'en
découdre, mais après tout qui pouvait l'en blâmer, trois mois à se
morfondre, à ne pas savoir si celle qu'il aimait était toujours en
vie.
— Hey, viens là !
Greg m'attira contre lui.
— Ne me laisse pas tomber Cummings.
—Jamais O'Brian, ajouta-t-il avant d'embrasser mes cheveux.312
Romagnas du Mont DavisJe gémis lorsque ses mains abandonnèrent mon corps et restai
là sans bouger telle une condamnée à mort.
— Tu permets ?
Alan qui se tenait derrière nous, s'excusa auprès de Grégory en
me prenant la main. Celui-ci hocha la tête et nous laissa seul
quelques instants.
— Lisy, je tenais à te remercier, tu es une femme très
courageuse.
— Courageuse ? Vous plaisantez, j'espère ! Si j'avais fait mon
devoir dès que j'ai reconnu Tess, elle serait déjà avec vous à
l'heure qu'il est.
— Ne sois pas si sévère avec toi, Lisy. On est ici et c'est le
principal !
— Si vous le dites.
— Fais attention à toi jeune fille, je ne veux pas qu'il t'arrive
quoi que ce soit, Gregory ne le supporterait pas et moi non plus.
Sans réfléchir je fis un pas en avant, comprenant mon
intention Alan ouvrit les bras et m'accueillit dans une étreinte
paternelle.
— Merci ! soufflai-je émue en embrassant sa joue.
*
— Lisy, tu m'entends ?
— Oui, Matt.
313
KRIS T.L — Bien ! Je vais rester là près de l'entrée, au moindre souci,
j'interviens, d'accord ?
— Oui.
— Lisy ?
J'étais sur le point de taper à la porte quand Matt m'interpella
une dernière fois.
— Quoi ?
— Merci !
— Tu me remercieras après.
Il hocha la tête et leva le pouce en l'air. Le signal était donné,
il était temps pour moi d'y aller.
*
— Lisbeth, dis-je en tapant doucement à la porte, Lisbeth c'est
moi, Lisy, tu es là ?
J'entendis des pas derrière la porte et des meubles racler le sol.
Elle s'est barricadée. Ce n’est pas bon signe ça ! chuchota
Jiminy la peur au ventre.
— Lisbeth, c'est moi.
— Tu es seule ?
J'hésitai une seconde en regardant dans la direction de Matt
qui se cachait derrière le banc en bois sur la terrasse.
— Oui, affirmai-je alors que Matt me faisait signe de
poursuivre.314
Romagnas du Mont Davis— Bien.
Passant sa tête à travers l'entrebâillement, elle regarda à droite
puis à gauche.
— Lisbeth, l'interpellai-je.
— Oui, oui, rentre.
M'attrapant par le col de ma veste elle me tira à l'intérieur.
— Lisbeth, comment ça va ? demandai-je concernée.
Elle me regarda quelques instants, le regard dans le vague,
comme si je ne représentais à ces yeux qu'une image
fantasmagorique.
— Lisbeth, je suis bien là ! assurai-je d'une voix douce et
rassurante.
— Lisy, tu m'entends ? La voix désincarnée de Greg résonna
dans l'oreillette.
..........
— Lisy, si tu m'entends, racle-toi la gorge.
— Rhmmm, toussai-je en mettant une main devant ma
bouche.
— Bien, on y est, tu vas être mes yeux bébé.
J'inspirai profondément pour me donner du courage.
— Lisbeth, pourquoi es-tu venue te cacher ici ?
— Je me suis toujours sentie en sécurité ici, chuchota-t-elle
comme si les murs avaient des oreilles.315
KRIS T.L — Oui tu l'es, on a passé de bons moment dans cette maison.
D'accord avec elle, je la confortai dans l'idée qu'elle ne risquait
strictement rien. Est-ce que la jeune femme que j'ai auscultée
l'autre jour est ici ?
— Oui, c'est bien continue comme ça, murmura Greg, parle
lui, il faut absolument que tu gardes le contact avec elle.
— Teresa était très fatiguée, je l'ai installée dans ta chambre.
— Ma chambre ?
— Oui.
— Tu as bien fait, on pourrait peut-être aller la voir ?
J'aimerais me faire une idée objective de son état.
— Peut-être...
— Peut-être ? Pourquoi dis-tu ça ? Tu n'as toujours pas
confiance en moi ?
— Si, si enfin, je peux avoir confiance en toi, non ?
— Rassure-la Lisy !
— Oui, bien sûr que tu peux me faire confiance. J'ai fait toute
cette route pour venir t'aider, n'oublie pas !
— Oui, m'aider, il faut que tu m'aides, m'aider oui ...
— Lisbeth, ressaisis-toi s'il te plait, je suis là maintenant.
J'essayai d'adopter la même attitude qu'aurait eue mon oncle si
jamais il avait été là ! La fermeté, voilà ce qui marchait avec elle.
316
Romagnas du Mont Davis— C'est bien Lisy, tu fais du bon boulot, reconnecte-la avec la
réalité, parle lui de son travail et des soins qu'elle a apportés à
Tess.
— As-tu pris la tension de Tess.... resa ? bafouillai-je, en
arrêtant de respirer, horrifiée par l'erreur monumentale que je
venais de faire.
— Oui, je l'ai vérifiée toutes les heures, elle est haute et j'ai
peur qu'elle ne fasse une pré-éclampsie.
Mon dieu ! chuchotai-je pour lui seul.
— On a évité la catastrophe...désolé ! murmura Greg.
— Mmm, déglutis-je avant de reprendre mon souffle.
— Bien, il faudrait que je l'examine. On peut aller la voir ?
— Oui, je crois qu'il est temps.
Je la suivis, jetant un œil autour de moi, je vis qu'elle avait
placé des meubles devant toutes les fenêtres donnant sur
l'extérieur.
Merde ! Mais de qui as-tu peur Lisbeth ?
— Lisbeth, tu peux me dire ce que tout cela signifie ?
— C'est pour éviter qu’il me retrouve, répondit-elle comme
une évidence.
— Qui, qui veut te retrouver ? Lisbeth, regarde-moi, de qui as-
tu peur ?
317
KRIS T.L — Peur, peur, j'ai peur, je dois avoir peur, il a dit que je devais
avoir peur...
— Lisbeth, Lisbeth, tu ne risques rien, tentai-je en posant une
main sur son épaule.
— Oh oh oh, Lisy est trop curieuse, elle est curieuse comme
son papa...
— Mon père ? Pourquoi me parles-tu de mon père ?
— Chutttt, je ne dois rien dire, rien dire, rien dire du tout…
— Rassure-la Lisy, ne la laisse pas partir dans son délire.
Concentre-toi sur Tess, on verra après ce qu'il en est de ton père,
ne te laisse pas submerger par tes émotions.
— Oui, soufflai-je... Ok Lisbeth, tu ne dois rien me dire, ce
n'est pas grave. Rentrons dans la chambre, tu veux ? Allons voir
Teresa.
— J’ai un secret tu sais, murmura-t-elle comme si elle parlait à
une enfant.
— Je t'écoute.
— Tu avais raison, elle ne s'appelle pas Teresa, mais chutttt !
souffla-t-elle en posant un doigt sur ses lèvres.
— Oui, chutttt ! fis-je en imitant son geste.
318
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Huit
— Tess, soufflai-je en me rapprochant du lit.
Celle-ci ouvrit les yeux, elle semblait épuisée, déshydratée, les
yeux rougis par la fatigue.
— Tess, je m'appelle Lisy, dis-je doucement en posant une
main sur son front.
— De l'eau, murmura-t-elle à mon attention.
— Oui, de l'eau. Lisbeth, va me chercher un verre d'eau s'il te
plait.
— Lisy, comment va ma sœur ? demanda Grégory d'une voix
qui laissait deviner son inquiétude.
— Bien, tout va bien se passer, tu lui ressembles tellement,
ajoutai-je pour lui seul.
— Qu'est-ce que tu dis ? Lisbeth se tenait derrière moi avec le
verre dans les mains.
— Rien, je n'ai rien dit Lisbeth.
— AHAHAHAHHAHHAH ! hurla Tess en se contorsionnant.
— Merde, Lisy, qu'est-ce qu'il se passe ? cria Greg dans mon
oreillette.319
KRIS T.L Comme une rose rouge qui fleurit et déploie ses pétales, une
tache écarlate se répandit sur le drap blanc qui recouvrait son
corps.
— Tess, écarte un peu plus tes jambes, demandai-je en
soulevant le drap.
— Elle est en train d'accoucher ?
— Oui, le travail a commencé. Lisbeth as-tu apporté ma
mallette ?
— Tiens la voilà !
— Lisy, attends je vais faire intervenir l'ambulance, s'affola
Greg.
— On n'a plus le temps. Tess, regarde-moi, tu vas devoir
t'accrocher.
— Je ne peux pas.
Sa voix était si faible.
— Non, non, non, Tess, écoute-moi, ne décroche pas, le bébé
est engagé, il faut le sortir de là ! Lisbeth, apporte-moi ma
trousse, vite... À trois, je vais te demander de pousser Tess... Tess,
tu m'entends ?
Mon cœur loupa un battement quand l'image de ma mère
s'invita dans mon esprit.
Oh non, maman, pas question que cela se termine comme ça !
320
Romagnas du Mont Davis— Courage, on y est ! Grégory, envoie-moi l'ambulance s'il te
plait.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Quoi ?
— Tu viens de demander une ambulance ? À qui parlais-tu ?
— Non, je n'ai rien dit...
— Lisy, ne te fous pas de moi, je t'ai entendue...
— Ok ! Je parlais au frère de Tess, Grégory, soufflai-je
exaspérée.
— Comment ça tu parlais au frère de Tess ?
— Lisbeth, ce n'est pas le moment, d'accord !
— Oh, non ! Non, non et non. Je n'ai pas fait tout ça pour
rien !
— Lisbeth à quoi est-ce que tu joues ?
— Sors ce bébé de là tout de suite ! hurla-t-elle.
— Ahahahah, cria Tess alors que son corps s'arquait sous la
douleur qu'occasionnait le passage du bébé.
— Lisbeth, il nous faut de l'aide, je ne peux pas faire ça toute
seule.
— De l'aide, pas besoin d'aide, tu vas l'accoucher, c'est ton
job !
321
KRIS T.L — Merde, mais je suis gynéco pas obstétricienne, tu vois bien
que les choses se présentent mal. Il me faut une assistance
respiratoire pour Tess.
— Je me fous de Tess !
— Quoi ? Mais tu es complètement dingue.
— Je veux son bébé, alors bouge-toi.
— Lisy, je vais préven..........grrrrrrrr...qu.... vo... no...
— Greg, Greg, je ne t'entends plus, qu'est-ce qu'il y a ?
Envoie-moi l'ambulance, maintenant ! paniquai-je.
Lisbeth me gifla avec force, me faisant chanceler en arrière.
M'attrapant par les cheveux, elle pencha ma tête sur le côté, puis
m'arrachant l'oreillette elle la jeta sur le sol avant de l'écraser.
— Je veux ce bébé, alors tu vas me faire le plaisir de
l'accoucher sinon je m'en charge. Saisissant le scalpel dans ma
trousse d'urgence, elle se rapprocha de Tess.
— Non, c'est bon, criai-je en voyant la lame se rapprocher
dangereusement du ventre de Tess. Je vais le faire... Tess,
regarde-moi.
— Non, non, pleura-t-elle.
— Il va falloir être forte. Greg et Matt vont bientôt arriver !
— Tu vas la faire accoucher, oui ! hurla Lisbeth.
— Ahahahah !
322
Romagnas du Mont Davis— Merde, le bébé est trop engagé, il vient par le siège. Je vais
devoir le retourner Tess…
— Tu vas faire quoi ? souffla-t-elle la voix remplie de
désespoir.
— Lisbeth, passe-moi le gel. Tess, je vais te demander
d'arrêter de pousser, tu peux faire ça ?
— Oui.
— Tess, je vais y aller !
— Quoi ? Oh non, non pas ça, Ahahahah...
— Courage, voilà, je le sens, oui encore ouiiiii, allez bébé, un
petit effort, tourne-toi.
Ma main était à présent engagée dans le col, je pouvais sentir
la hanche du bébé contre ma main, dans un mouvement lent et
précis, je le fis remonter.
Oui, comme ça...tourne-toi !
— Ahahahah !
— Tess, inspire, expire, je t'en prie laisse-toi aller.
— Je ne peux pas, je veux qu'il sorte. Mon Dieu, aidez-moi.
—Tess, calme-toi c'est bon, tu as fait du bon boulot.
— Fffff... ffff... fff....
— Oui, c'est ça, continue. Écoute-moi, à présent tu vas devoir
pousser de toutes tes forces, tu m'as comprise ?
— Oui.323
KRIS T.L —Alors, on y va ? Un... Deux... Trois, POUSSE !
— Ahahahah...
— Lisbeth, aide-moi s'il te plait, appuie sur son ventre. Un
deux trois, encore Tess, oui comme ça, pousse !
— AHAHAHAHHAHAHA...
— Oh mon Dieu. Inspire, expire, Tess, reprends des forces...
Le temps semblait s'être arrêté. Tess avait la tête basculée en
arrière et tentait difficilement de reprendre son souffle.
—Voilà comme ça : inspire, expire, lentement, calme-toi.
Lisbeth. Pourquoi ? finis-je par demander en me tournant vers
elle les yeux remplis de larmes.
— Tu ne m'as jamais aimée !
— Quoi ? Moi ? je ne comprends pas ! bégayai-je.
— À part ton oncle, personne ne m'a jamais aimée.
— Je suis désolée, Lisbeth.
Fais-la parler, mets-la en confiance, m'avait répété Greg à
plusieurs reprises.
— Lisbeth, pourquoi t'en prendre à Tess, elle n'y est pour rien.
— Elle a ce que j'ai toujours voulu avoir !
— Un bébé ?
— Oui, ma sœur était sur le point d'avoir son bébé, tu sais ?
Nous allions former une famille unie avec Paco.
— Paco ?324
Romagnas du Mont Davis— Son mari, il s'occupait bien de nous, tu sais, il a tout perdu
ce jour-là !
— Je comprends.
Tant de vies ont été gâchées, tout ça à cause d'un malheureux
accident, pensai-je en levant les yeux vers Lisbeth.
— Si nous n'avions pas eu cet accident, cracha-t-elle en
regardant Tess.
— Je sais Lisbeth, mais Tess n'y est pour rien.
— Quand j'ai vu son nom sur cet écran télé...
— De quoi parles-tu ?
— Du soir ou nous regardions le reportage sur les pupilles de
la Gendarmerie Royale du Canada.
— Oh oui, je me souviens.
— Elle ressemblait tellement à sa mère, si insouciante, si
heureuse et surtout... enceinte, alors que moi… moi je ne pouvais
pas avoir d’enfant.
— Lisbeth, c'est avec Marielle que vous avez eu l'accident, pas
avec Tess, la coupai-je.
Elle me regarda surprise, et se mit à rire franchement.
— Tu es bien la digne fille de ton père ! Il a fallu que tu ailles
fouiner dans mon passé et maintenant tu vas dire comme Paco
que tout est de ma faute !
— Tu n'étais qu'une enfant, tu n'as pas à t'en vouloir !
325
KRIS T.L — Peut-être bien, peut-être pas, marmonna-t-elle en faisant
virevolter le scalpel devant elle.
— Lisbeth, est-ce que c'est toi qui a tué mon père ?
— Ahahahah.
Lisy, ressaisis-toi, Greg a raison ce n'est pas le moment de te
laisser submerger par tes émotions, mumura Jiminy.
— Tess, regarde-moi, à trois on y va !
— Ok !
— UN... DEUX... TROIS...
À trois, elle hurla à son tour, lâchant tout ce qu'elle avait à
donner, la délivrance arriva enfin. Saisissant la tête du bébé,
j'effectuai une rotation afin de lui dégager les épaules et le
miracle s'accomplit.
— Oh ! haletai-je en ne pouvant retenir mes larmes, lorsque
les cris perçant de ce petit être s'élevèrent autour de nous.
Aussi beau que son tonton, murmura Jiminy.
— Tess, tu as un joli petit garçon. Coupant le cordon, je pris la
serviette que me tendait Lisbeth pour l'enrouler dedans.
— Tess ?
...........
— Tess ? Non ! Tess, pas maintenant, pas après tout ça ! Criai-
je, horrifiée de voir son corps inerte étendu sur le lit.
Merde, mais qu'est-ce qu'ils foutent ?
326
Romagnas du Mont Davis— Matt... hurlai-je avec désespoir. Tess, non, ne lâche pas, je
t'en supplie.
Posant délicatement le bébé à côté d'elle, je me mis à genoux.
— Tess, tu n'as pas le droit d’abandonner, pas maintenant, pas
après tout ça !
— Triste, triste lueur du soir, murmura Lisbeth en prenant le
bébé dans ses bras.
— Non ! Repose ce bébé, tu m'entends. Lisbeth !
— Je vais partir, Lisy, ce bébé a besoin d'une nouvelle maman.
Je saurai m'en occuper et prendre soin de lui ! délira-t-elle.
— Non, tu n'iras nulle part, criai-je à son attention. Tess,
réveille-toi, je t'en prie !
Un grand râle sortit de sa bouche au moment même où je la
secouai.
— Ahhhhhhhnnn...
— C'est bien, c'est bien, respire !
Relevant ses jambes, je vis la tête du deuxième bébé
apparaître.
— On ne peut plus attendre, il va falloir que tu pousses à
nouveau.
— Non, souffla-t-elle d'une voix faible.
— Tess, s'il te plait, juste une dernière fois.
327
KRIS T.L J'étais sur le point de me placer de nouveau entre ses jambes
quand la porte d'entrée de la maison s'ouvrit dans un vacarme
assourdissant.
— Les secours et ta famille sont là, dis-je avec soulagement.
Par ici, vite, criai-je à l'attention des personnes qui se tenaient
dans l'entrebâillement de la porte.
— Deux fois dans la même journée, m'interpela une voix
grasse et mielleuse, c'est beaucoup trop de plaisir, O'Brian.
Un rictus malsain éclaira ce visage ingrat que je reconnus
aussitôt.
— Vous ?
328
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Vingt-Neuf
— Pour vous servir O'Brian, surjoua-t-il en me faisant une
révérence. Viens ici, toi, et ne joue pas au con.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que vous faites ? Me redressant, je
vis Matt entrer dans la chambre, il avait une plaie sanguinolente
ouverte au niveau de la tête, réalisant ce que j'étais en train de
faire, il essaya de se dégager, mais David lui asséna un coup de
crosse derrière la nuque.
— Non, criai-je en voyant Matt s'effondrer à mes pieds.
— Mais qu'est-ce que vous voulez espèce de malade ?
— Où est Penrose ? demanda-t-il d'une voix froide et
mauvaise.
— C'est donc de vous qu'elle a peur ? dis-je en repensant à
toutes les mises en garde qu'elle avait pu me faire au sujet des
autorités.
— Elle a des papiers qui m'appartiennent. Lève-toi !
— Je ne peux pas, cette femme a besoin de moi. J'osai un
regard vers Tess qui commençait à gémir. Chutttt !
— Oh mon dieu, cria-t-elle en écartant un peu plus les jambes.
329
KRIS T.L — Qu'est-ce qu'elle a ? David sembla décontenancé.
— Elle accouche ! Ça ne se voit pas ?
— Ahhhhhhhhhhahahahahahhh...
— On y retourne Tess, ça va aller.
Le passage du premier bébé facilita le travail. La tête
s'engagea sans problème et en moins de deux poussées, j'eus dans
les mains une jolie petite poupée.
Saisissant le scalpel qu'avait laissé Lisbeth, je coupai le
cordon, puis l'enroulant dans le drap je posai le bébé
délicatement contre le flan de sa mère qui déposa instinctivement
une main protectrice sur elle.
— Greg et ton père vont arriver, ne bouge pas !
— Ton petit copain ? Ce gugus de pacotille ! Je suis désolée de
t'annoncer ça, mais lui et son père ont fait la connaissance de mon
meilleur ami. Il releva son flingue devant ses yeux et l'embrassa.
— NONNNN !
Une rage incontrôlée éclata au fond de moi, libérant ainsi toute
la frustration de ces dernières heures, je fis un bond en me jetant
sur lui avec le scalpel dans les mains.
— J'avais raison, tu as bien le caractère de ta mère, m'assénant
une gifle monumentale, il me fit valdinguer contre l'armoire de la
chambre.
— LISY ? cria Lisbeth en me voyant au sol.
330
Romagnas du Mont Davis—Lisbeth, pars, murmurai-je en la voyant revenir avec le bébé
emmailloté dans un petit pyjama bleu.
— Comme on se retrouve Penrose.
— Lisy, qu'as-tu fait ? demanda Lisbeth affolée. Ses yeux
papillonnant entre David et Matt toujours inconscient sur le sol.
— Où as-tu caché les feuilles du carnet ? la coupa David.
— Le carnet de mon père ? demandai-je.
— Oh ! Perspicace comme ton gentil papa à ce que je vois.
Son ton était amer, plein de rancœur.
— Donc quand vous êtes venus nous voir tout à l'heure chez
Maria ?
—Ce n’était pas pour le plaisir ! J'avais juste besoin que tu me
conduises jusqu'à cette folle.
— Pourquoi avoir tué mon père ?
— Ton père ? Mais pour l'argent, ma belle, la drogue, les
clandestins, il avait tout découvert et voulait me faire tomber. J'ai
profité d'une dispute entre lui et Penrose pour lui régler son
compte.
— Tom savait qui j'étais et voulait tout dire à Enrique, mais
jamais je ne lui aurais fait du mal Lisy, jamais, sanglota Lisbeth.
— Arrête de pleurnicher ma jolie, il n'a eu que ce qu'il
méritait.
— Et pour mon oncle ?
331
KRIS T.L — Oh miracle ! Le gentil tonton défenseur et protecteur,
soucieux de ces pauvres âmes qui errent dans notre si beau désert
est venu me trouver avec ce putain de carnet, il voulait que je
stoppe mon trafic, que je n'embête plus ces pauvres petits
clandestins !
— Il y a quinze jours, Enrique a trouvé le carnet de ton père
dans mes affaires, m'expliqua Lisbeth honteuse. J'ai voulu
arracher les pages qui me concernaient et c'est là que j'ai trouvé
des notes concernant David.
— Mais qu'est-ce qu'il y a de si important dans ce putain de
carnet ?
— Le paradis ma jolie ! me coupa David. Un numéro de
compte bancaire au Bahamas que ton père avait réussi à
consigner comme preuve, à cause de lui je n'ai jamais pu
récupérer mon pognon ! Même mort il a réussi à me pourrir la
vie...
— Vous n'êtes qu'un connard, vous me répugnez !
— Oh tout de suite les grands mots. Allez, bouge ton cul
maintenant, et toi aussi ! cria-t-il à l'attention de Lisbeth qui se
tenait prostrée dans le coin de la pièce avec le bébé dans les bras.
Il va falloir que tu me donnes ces notes et tout de suite, compris !
— Je ne les ai pas sur moi.
— Alors où sont-elles ? s'énerva David en pointant de nouveau
son arme sur elle.
332
Romagnas du Mont Davis— Dans ma voiture... MA voiture, pleura-t-elle en se
recroquevillant sur elle-même, protégeant de son corps le bébé.
— Eh bien, nous allons nous rendre jusqu'à ta caisse.
— Chutttt, calme-toi, ajouta-t-elle à l'attention du nourrisson
qui s'était mis à pleurer.
— Fais-moi taire cette saleté de môme, tu m’as compris !
— Et où comptez-vous partir avec ce pognon ? demandai-je
pour détourner son attention. Soyez réaliste, vous êtes fichu !
Regardez autour de vous, bordel ! Vous n'allez tout de même pas
tous nous descendre ?
— Pour trois millions de dollars, tu ne devrais pas me tenter
ma belle !
Son regard était rempli de haine, sa bouche écumait une bave
blanchâtre qu'il essuya d'un revers de manche.
— Vous ne vous en sortirez pas !
— Il m'a fallu plus de dix-sept ans pour m'apercevoir que
c'était cette garce qui avait le carnet de ton père, alors dis-toi bien
une chose : personne ne viendra se mettre en travers de mon
chemin maintenant que je touche au but ! Alors on y va....
MAINTENANT, cria-t-il à l'attention de Lisbeth.
— Ouiii... pleura-t-elle en s'avançant vers lui.
— Laissez-la ! Laissez-nous, elle vient de vous dire où se
trouvent ces fichus papier, alors prenez-les et tirez-vous !
333
KRIS T.L Une lueur perverse brilla dans ses yeux.
— Pour que tu lâches tes chiens à mes trousses ?
— Vous voulez quoi ? Nous prendre en otage ?
— M'encombrer d'une folle et d'un marmot, certainement pas !
Mais toi !
Un sourire s'étira sur ses lèvres.
Moi ! Mon sang se glaça à la vue de sa langue qui s'attardait
sur le coin de sa bouche.
— Tu seras bien plus qu’un otage ma belle ! Mon lot de
consolation en quelque sorte, pour tout ce temps perdu, en
souvenir de ta maman !
Jamais ! cria Jiminy.
— Bouge, maintenant !
— Lisbeth, dis-je en me retournant. Ne laisse pas Tess comme
ça, appelle les secours, je t'en supplie !
Elle baissa les yeux et tourna légèrement la tête.
— Non, nonnn ! Je t'en supplie Lisbeth, écoute-moi, ne fais
pas ça ! Tu n'as pas le droit, tu m'entends, criai-je en comprenant
qu'elle ne ferait rien.
— Ça suffit ! hurla David, me tirant par les cheveux. Arrête
ton cinéma, veux-tu ? Il va falloir te montrer un minimum
coopérative si tu veux passer du temps en ma compagnie !
334
Romagnas du Mont Davis— Lisbeth, Lisbeth criai-je encore plus fort, trébuchant alors
qu'il ne cessait d'avancer. Lâchez-moi, vous me faites mal.
— Ce n'est rien à côté de ce que je pourrais te faire, crois-
moi !
— Alors butez-moi, maintenant, parce que vous n'obtiendrez
plus rien, dis-je alors que nous nous retrouvions sur le perron de
la maison.
— Tu crois ça ! affirma-t-il en pointant son revolver sur mon
front.
Je gémis en fermant les yeux. La mort, peut être un moment
paisible pour celui qui l'attend, car sans Grégory à quoi bon me
battre !
Je me retrouvai là, dehors, dans cette nuit froide, face à cet
homme qui me tenait en respect avec son arme, la lèvre en sang,
un goût de fer dans la bouche. La lune haute dans le ciel éclairait
les alentours.
— Lisyyy... entendis-je crier au loin.
Grégory ? Oh mon Dieu, doux paradis, tu es là, tu m'appelles.
— Lisyyy...
Sa voix résonna un peu plus fort dans mes oreilles.
— Greg… réalisai-je en ouvrant les yeux.
Il était là, vivant, près du cabanon, avachi contre la porte.
— Greg, criai-je, prête à courir vers lui.
335
KRIS T.L La première chose que j'entendis fut le cliquetis de l'arme de
David.
Ne bouge plus, pria Jiminy, stoppant net ma course.
— On dirait que j'ai loupé ton petit copain, grogna David.
— Vous n'êtes qu'une enflure !
Reprenant de l'assurance, je lui crachai au visage.
— Je sais ma princesse, mais ne t'en fais pas pour moi, je vis
très bien avec ça !
Il essuya sa joue et me tira en arrière jusqu'à la voiture de
Lisbeth.
— Maintenant, ouvre cette caisse et récupère les papiers.
Je fis ce qu'il me dit, récupérant les documents dans la boite à
gants, je priai Greg de me rejoindre au plus vite.
— Ne tente rien d'absurde ma jolie ou je n'hésiterai pas à te
tirer une balle entre les deux yeux, mais avant ça je me ferai
plaisir en m'occupant personnellement de ton petit copain. Son
rire tonitruant résonna dans toute la vallée.
— Hhhh...
—Très bien, je vois qu'on s'est compris. Allez, monte dans ma
voiture maintenant, et mets-toi au volant.
— Lisyyy.... Nonnn !
Mon dernier regard fut pour Greg qui marchait péniblement en
direction de la maison en se tenant l'épaule.
336
Romagnas du Mont DavisJusqu'à ce que la mort nous sépare, pensai-je montant dans le
véhicule.
337
KRIS T.L
338
Romagnas du Mont Davis
Chapitre Trente
Je ne l'avais pas vu venir, ce connard nous avait littéralement
pris par surprise.
Putain de fils de pute, pensai-je en me mettant à genoux à côté
de mon père.
— Papa, est-ce que ça va ?
— Oui fils, ne t'inquiète pas ! Je crois que la balle est ressortie.
— Laisse-moi voir ta blessure. Ouvrant les pans de sa
chemise, je vis le trou qu'avait occasionné la balle dans son flanc
droit, juste en dessous des côtes. Aucun organe n'était visiblement
touché, on l'avait échappé belle. Attrapant le talkie sur l'établi,
j'appelai l'ambulance.
— Fusillade au Mont Davis, besoin de secours immédiat. Un
homme à terre ainsi qu'une femme sur le point d'accoucher. Mon
père est blessé dans le petit cabanon à l'entrée de la propriété,
précisai-je.
— Bien reçu, monsieur, nous arrivons.
— Papa, les secours vont bientôt arriver, il faut que j'aille voir
ce qu'il se passe dans la maison. Est-ce que ça va aller ?
339
KRIS T.L demandai-je en lui faisant un point de compression avec le tissu
qui avait servi à recouvrir la toile de Lisy et son père.
— Oui c'est bon !
Retirant ma veste, je la lui plaçais sous la tête.
— Greg, c'est bon, vas-y ! insista-t-il en me repoussant.
— Ok, mais je vais devoir tuer ce connard !
— Si jamais il a fait du mal aux filles, n'hésite surtout pas !
— Ne bouge pas d'ici.
— Très drôle !
— Ouais, je crois que tu vas devoir remettre ta petite danse
avec Maria, murmurai-je en m'aidant de la chaise pour me
redresser.
— Hey ! Tu saignes ? s'affola-t-il en voyant l'état de ma
chemise.
— Ouais, ce n'est rien, ne t'en fais pas pour ça ! répondis-je en
serrant les dents.
L'idée qu'il ait pu s'en prendre à Tess ou à Lisy me rendait
complètement fou. Me redressant, je n'eus qu'une seule envie : le
retrouver pour broyer chacun de ses os un par un.
Je me souvenais de la réticence et du recul qu'avait éprouvés
Lisy à son égard. Fait chier ! J'aurais dû me fier à mon instinct.
Tout était de ma faute, j'aurais dû voir que quelque chose ne
tournait pas rond chez ce type.
340
Romagnas du Mont DavisDire que j'avais osé demander à Lisy de me faire confiance. Je
serrais les dents en repensant à ces derniers mots : Appelle
l'ambulance, maintenant. Le travail avait commencé, et à l'heure
actuelle, Dieu seul sait comment cela s'était passé. Me tenant au
chambranle de la porte, je quittai le cabanon.
— Pa, déconne pas, tiens le coup ! dis-je en me retournant une
dernière fois.
— Ne t’en fais pas pour moi, file !
Je fis quelque pas à l'extérieur, chancelant, je me retins à la
porte. Levant les yeux vers la maison, je crus que mon cœur allait
cesser de battre quand je le vis lever son arme sur elle. Il la tenait
à bout portant et semblait apprécier cela.
Je vais te crever, hurla ma conscience à ce fou décérébré.
— Lisyyy...
Sans même m'en rendre compte, je venais de hurler son nom.
La lune éclairait son visage et malgré la distance qui nous
séparait il me sembla la voir sourire.
Quoi ? Non, non, n'abandonne pas !
— Lisyyy... criai-je à nouveau.
Tout était de ma faute, c'est moi qui l’avais conduite vers cet
enfer. Sans la quitter des yeux, je me mis à courir dans cette allée
en terre, le chemin était caillouteux et je trébuchai à plusieurs
reprises. La douleur que je ressentais à cause de cette balle n'était
rien à côté de l'angoisse que je vivais en voyant Lisy accepter son
341
KRIS T.L sort. Il la tira à l'arrière de la maison et je ne pus voir ce qu'ils y
faisaient.
— David, si tu touches à un de ses cheveux, je te tue ! hurlai-
je. Mais au bout de quelques secondes, je les vis revenir.
— Lisyyy... Nonnnnnnn !
Ses yeux s'ancrèrent aux miens et durant un court instant je fus
comme anéanti quand je compris qu'elle ne résisterait pas !
— Lisy... murmurai-je, à bout de souffle, en la voyant monter
à bord de la voiture de David et partir dans l'allée opposée.
Bouge ton cul, Cummings.
J'entendis l'ambulance arriver au loin et fus rassuré de savoir
que mon père allait être pris en charge.
Qu'est-ce que ? Une voiture d'un bleu métallisé surgissant de
nulle part me frôla de très près.
— Lisbeth ? Mon pouls s'accéléra et la crainte de découvrir je
ne sais quel carnage à l'intérieur de la maison me fit hésiter, mes
pas devinrent plus lourds au fur et à mesure que j'avançais vers la
terrasse. C'était une maison en bois, la porte ouverte donnait sur
un long couloir avec des appliques en fer forgé.
— Matt, criai-je en m'avançant prudemment.
— Elle a pris un des bébés, cette salope a pris mon fils ! cria
Matt en quittant la chambre.
342
Romagnas du Mont Davis— Matt, soufflai-je, le rattrapant de justesse dans les bras. Est-
ce que ça va ? demandai-je en voyant la vilaine coupure qu’il
avait sur le front.
— J’ai eu des jours meilleurs ! Et ton père ?
— À terre !
— Quoi ?
— On s'est fait baiser, putain !
— Ton père est mort ? paniqua-t-il en essayant de se dégager.
— Non, non, il va bien. Les ambulanciers s'occupent déjà de
lui. Comment va ma sœur ?
— Tess est dans la chambre avec notre fille, elles ont besoin
de soins, elle est épuisée et désorientée. Putain que ça fait mal !
grimaça-t-il en se frottant la nuque. Et Lisy ?
— Avec David ! murmurai-je en baissant la tête, les mains sur
mes genoux pour reprendre ma respiration.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu fous encore ici ? cria-t-il en
me poussant d'une main vers l'extérieur. Dégage, va la chercher !
Ces mots me firent l'effet d'un électrochoc et malgré le souffle
court et la douleur occasionnée par la balle, je me mis à courir les
deux cents mètres qui me séparaient de la voiture de Lisy.
Montant à l'intérieur, je fus soulagé de voir qu'elle y avait laissé
les clés. A peine démarré, j'appuyais sur l'accélérateur de cette
vieille Chevrolet, la propulsant dans l'allée, j'évitai de justesse la
343
KRIS T.L barrière ainsi que les ambulanciers qui transportaient mon père
sur une civière.
— Je vais te tuer, grognai-je en tapant le volant du plat de ma
main.
J'avais la sensation d'avoir un tisonnier chauffé à blanc planté
dans l'épaule, basculant mon torse en avant, je m'agrippai au
volant un peu plus fort.
C'était une route de montagne qui passait devant le Fort Davis,
avec un précipice sur le côté de la voie. Une route à peine
praticable. Je poussai la voiture de Lisy à son maximum, faisant
rugir le moteur et crisser les pneus dans la caillasse. L'adrénaline
qui courait dans mes veines m'empêchait d'analyser la situation et
le danger auquel je devais faire face. Seule la vie de Lisy
m'importait et quoiqu'il m'en coûte il fallait que je la retrouve.
La vision de cet enfoiré menaçant Lisy avec son arme me
hantait et me vrillait l'estomac.
— Fait chier ! hurlai-je en accélérant. Je revoyais David entré
dans le cabanon, revolver en main, tirant sur nous avant même
que nous ayons le temps de faire le moindre geste.
Quel salaud, pensai-je en revoyant mon père s'effondrer
devant mes yeux. Il s'en était fallu de peu pour que nous y
restions tous les deux.
*
344
Romagnas du Mont Davis— Bon Dieu, j'ai réussi ! criai-je en voyant devant moi les
feux arrière de la voiture du Border Patrol.
Ils étaient là ; à quoi, un, deux, trois virages, tout au plus. Il
m'était impossible de rouler plus vite, la route était en si mauvais
état que je risquais à tout moment de me foutre en l'air dans le
ravin. J'essayai néanmoins de conserver une certaine distance afin
de ne pas les perdre de vue, gagnant de malheureuses secondes à
chacun des virages.
Par je ne sais quel miracle, la distance entre nos deux voitures
s'amenuisa.
— Merde Lisy, qu'est-ce que tu fous ? hurlai-je alors que je la
talonnais de près, l’évitant de peu, lorsqu’elle fit une embardée.
Wow ! sursautai-je quand une balle traversa le pare-brise.
Arrivée à une intersection, Lisy freina d'un coup sec.
Retrouvant le bitume, elle tourna sur la gauche en direction de
Presidio. Une course poursuite s'engagea entre nos deux voitures,
mais c'est bien trop tard que je compris son intention.
— Lisy, m’égosillai-je en voyant la voiture foncer droit devant
vers un pont en bois.
Le percutant de plein fouet, je vis la voiture décoller dans les
airs et retomber en contrebas dans le fleuve. Freinant comme un
malade, je quittai mon véhicule toujours en marche. Me penchant
par-dessus le parapet je vis la voiture de police s'enfoncer dans
les eaux tumultueuses du Rio Grande.
345
KRIS T.L Non !
La pluie commença à tomber sur mes épaules, comme si le
ciel pleurait lui aussi un être cher. L'eau était si noire que je ne vis
même pas où je sautais, ma respiration se coupa au contact de
cette eau si froide et il me fallut quelques secondes avant de
réaliser ce que j'étais en train de faire.
La voiture avait totalement disparu, je n'avais plus une minute
à perdre. Prenant une profonde inspiration, je plongeais vers la
source de lumière émise par les phares de la voiture.
Le fleuve par chance n'était pas profond en cet endroit et la
voiture toucha rapidement le fond. Remontant à la surface, je
repris une bouffée d'air avant de replonger aussitôt dans cette eau
glaciale qui m'anesthésiait de plus en plus.
Le courant était fort. Je glissai mon bras à l’intérieur de
l’habitacle, profitant que vitre de David soit légèrement
entrouverte, mais la force de l'eau qui pénétrait à une vitesse folle
m’empêcha de trouver la poignée.
— Greg, cria Lisy qui essayait de se détacher.
Nageant jusqu'à sa porte, je lui fis signe de baisser la sienne.
— Ça ne marche pas, paniqua-t-elle alors que l'eau montait de
plus en plus.
Lisy, paniquai-je en la voyant se débattre alors que l’eau
montait.
346
Romagnas du Mont Davis— Jusqu'à ce que la mort nous sépare, souffla-t-elle en posant
ses mains à plat sur la vitre.
Nonnn, saigna mon cœur, posant mes mains sur les siennes au
travers de cette vitre, qui nous séparait. Non Lisy, je ne vais pas
t'abandonner, hurlai-je intérieurement alors que mes poumons
commençaient à brûler.
Elle ne pouvait pas m'être arrachée de la sorte, pas après ce
qu'elle avait fait pour nous, pour moi ! Il n'était pas question que
je sois responsable de la mort de cette femme. Ma mère avait été
un assez lourd tribu à payer, je refusais de revivre ça !
Remontant à la surface je pris une goulée d'air frais avant de
replonger de nouveau vers elle. Constatant avec frayeur que l'eau
était à présent à hauteur de sa poitrine.
Trop vite, tout va beaucoup trop vite, cria ma conscience alors
que je tapais de toutes mes forces ;mais mes poings amortis par
l'eau perdaient de leur puissance à chaque fois qu'ils s'écrasaient
sur la vitre
Lisy, le flingue.
Je lui fis signe en montrant du doigt l'arme de David posée sur
le tableau de bord. Elle comprit aussitôt et l'attrapa. Le relevant
au-dessus de l'eau, elle tira sans attendre dans le pare-brise, celui-
ci ne mit pas longtemps à céder sous la pression et c'est avec une
rapidité effrayante que l'eau s'engouffra à l'intérieur.
Lisy, paniquai-je la voyant suffoquer devant mes yeux.
347
KRIS T.L Me glissant à l'intérieur, je tirai de toutes mes forces sur sa
ceinture. Mon bras me faisait terriblement souffrir, mais il n'était
pas question que j'abandonne.
Posant mes lèvres sur sa bouche, je soufflais tout l'air que je
retenais dans mes poumons. Priant Dieu pour qu'il me vienne en
aide, je tirai une seconde fois sur la ceinture qui finit par céder.
Enfin libre !
Tirant son corps sans vie vers moi. Je m'appuyai sur le capot
de la voiture, puis poussant sur mes jambes, je nous fis remonter
à la surface.
De l'air... inspirai-je en ouvrant la bouche.
— Mon dieu Lisy. Tu ne vas pas te débarrasser de moi comme
ça ! Impossible que je te laisse partir, soufflai-je en essayant de
reprendre mon souffle.
Nageant vers la rive, j'allongeais son corps inerte sur le sol.
Me plaçant à genoux à côté d'elle, je pris son pouls.
Rien !
Mains à plat sur son thorax, je commençai le massage.
—Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze,
douze, treize, quatorze, quinze, comptai-je avant de pincer son
nez, et d'insuffler de l'air dans ses poumons. Lisy, merde ! Ne me
laisse pas, criai-je en recommençant le massage. Pour qui te
prends-tu pour me laisser seul ? Tu as retourné ma vie, mon cœur
et tu penses pouvoir abandonner comme ça ! Lisy, je t'interdis de
348
Romagnas du Mont Davislaisser tomber, tu es la personne la plus forte que je connaisse,
alors résiste, reviens bébé, j'ai tant besoin de toi. Lisyyy !
349
KRIS T.L
350
Romagnas du Mont Davis
BONUS (Lisy)
— Je vais crever ton petit copain, cria David à mes côtés. Et
ensuite je me chargerai de te le faire oublier.
Il ouvrit la fenêtre de moitié et passa son bras avec son
flingue, comprenant son intention, je fis une embardée sur la
route au moment même où il appuyait sur la détente.
Greg... Grégory était là, derrière moi, il ne m'avait pas laissée.
Dès que nous avions quitté le Mont Davis, je n'avais cessé
d'espérer qu'il nous rattrape.
— Enfin, murmurai-je.
— Tu veux jouer à ça ma jolie, cria-t-il en rechargeant son
flingue. Ok ! Jouons.
Ce mec était totalement taré, pointant son flingue sur moi, je
compris que plus rien ne l'arrêterait, voyant la départementale, je
plantais un coup de frein avant de tourner sur la gauche.
— Salope ! hurla-t-il en lâchant son revolver sous le coup de
la surprise.
Sans lui laisser le temps de le récupérer, je vis le pont se
dessiner au loin. Je ne sais ce qui se passa dans ma tête : mais je
351
KRIS T.L sus que c’était la solution. Attrapant la ceinture d'une main, je
m'attachai.
— Qu'est-ce que tu fous ?
Accélérant, sans réfléchir, je projetai la voiture contre la
rambarde en bois qui vola en éclats, le véhicule décolla dans les
airs, nous retrouvant comme en apesanteur, je vis l'eau se
rapprocher avant que la voiture ne la percute avec violence. Le
choc fut tel que je perdis connaissance quelques secondes.
Il fait froid, pensai-je en ouvrant les yeux.
— Ce connard a enfin ce qu'il mérite, soufflai-je en voyant le
corps inanimé de David à mes côtés.
L'eau entrait par sa fenêtre légèrement entrouverte et m'arrivait
déjà aux genoux.
Brrrrrrrrr ! Putain qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ? paniqua
Jiminy alors que j'essayais de défaire ma ceinture.
— Greg, souris-je en voyant son visage à travers la vitre.
Passant sa main dans l'ouverture, il essaya d'ouvrir la portière.
Mais celle-ci sous la force de l'eau qui pénétrait dans l’habitacle
de la voiture n'oscilla pas d'un pouce.
C'est la fin, c'est comme ça que tout va se terminer, pensai-je
en le regardant nager de l'autre côté de la voiture. Posant mes
mains à plat sur la vitre, j'attendis qu'il soit à ma hauteur.
352
Romagnas du Mont Davis— Jusqu'à ce que la mort nous sépare, dis-je au moment même
où il posa ses mains sur les miennes au travers de la vitre. Je
t'aime, soufflai-je, ne le quittant pas des yeux.
L'eau commençait à monter et la sensation d'étouffer se fit de
plus en plus oppressante.
On ne peut échapper à notre destin, paniquai-je en le voyant
remonter à la surface.
Je repensais aux paroles qu'il m'avait dites un peu plus tôt
dans ma chambre. Mais il revint aussitôt et s'acharna à donner de
grands coups de poings dans la vitre.
— Quoi ? demandai-je en le voyant me montrer quelque
chose.
Oh, le flingue de David ?
Oui, affirma-t-il en levant son pouce.
Une, deux, trois, quatre balles percutèrent le pare-brise et l'eau
s'engouffra à une vitesse vertigineuse sans que je n'aie eu le
temps de prendre ma respiration. Par réflexe j'entrouvris la
bouche.
Non, non pas comme ça, s’étouffa Jiminy, avant de sentir les
lèvres de Grégory se poser sur ma bouche.
Oh douce mort, pensai-je.
Ces dernières quarante-huit heures défilèrent devant mes yeux.
Son visage, ses traits, sa ressemblance avec son père. Ma venue
dans son bureau, la manière dont j'avais eu envie de le gifler tant
353
KRIS T.L son assurance m'avait désarçonnée. Au premier regard, je n'avais
eu envie que d'une seule chose, lui.
Lui sur moi, lui en moi, lui sous moi, lui à mes côtés, oui c'est
ça ! À mes côtés pour l'éternité.
Tous ces mots qu'il avait osé me dire, toute la tendresse dont il
avait fait preuve à mon égard. Malgré l’horreur de la situation, je
venais de vivre les deux jours les plus beaux de toute ma vie.
Mais voilà, le voile obscur qui n'avait cessé de caresser mon
corps depuis toutes ces années m'enveloppait enfin, et
m'entraînait avec délice vers le silence, cette paix intérieure qui
allait adoucir mes souffrances.
Je payais enfin mon dû pour avoir touché du bout des doigts ce
bonheur éphémère. Partir. Partir comme cette nuit là dans la
piscine.
Oui ! J’avais refusé volontairement la main tendue de Lisbeth.
Préférant la noirceur des ténèbres, plutôt que de vivre à ses côtés.
Peut-être que cette envie de mourir ne m'avait jamais quittée ?
Mais cette fois, ce n'était pas la main tendue de Lisbeth que
j'avais devant moi. C'était celle de Grégory, une main forte,
aimante, qui n'était pas prête à me lâcher.
— Lisy, merde ! Ne me laisse pas, entendis-je au loin.
Les visages de ma mère et de mon père s'invitèrent dans mon
esprit.
354
Romagnas du Mont DavisCe n'est pas le moment Lisy, chuchotèrent-ils ensemble à mon
intention.
*
— Tu m'entends. Pour qui te prends-tu pour me laisser seul.
Tu as retourné ma vie, mon cœur et tu penses pouvoir
abandonner comme ça ! Lisy, je t'interdis de laisser tomber tu
m'entends, tu es la personne la plus forte que je connaisse, alors
résiste, reviens bébé, j'ai tant besoin de toi. Lisyyy !
Son appel, son besoin de moi, illumina une partie infime dans
mon cœur, et telle une fleur qui éclot, je sentis son amour me
réchauffer de l'intérieur.
Ahhhhhh ! Inspirai-je en ouvrant la bouche.
..........
Mourir n'était rien, vivre était bien plus douloureux. La
douleur que je ressentais était abominable, les poumons en feu,
ma gorge me faisait terriblement mal.
— Connard, je vais te tuer !
Quoi ?
Tournant difficilement la tête, je vis une masse informe en
mouvement bouger à quelques mètres de moi.
— Greg ?
— Ahahahah...
— Greg, Greg ? toussai-je en me raclant la gorge.
355
KRIS T.L Mettant mes mains à plat sur ce sol boueux, je réussis à me
mettre à genoux, recrachant ainsi l'excédent d'eau que j'avais
ingurgité. Secouant la tête, je plissais les yeux afin de mieux
distinguer ces deux corps à quelques mètres de moi.
— David ?
Me reprenant à deux fois, je réussis à me mettre sur mes pieds.
M'approchant doucement, je constatais que cet enfoiré maintenait
Gregory au sol, le pouce enfoncé dans sa chair au niveau de son
épaule ensanglantée.
— Ahahahah, hurlait Gregory.
Non, non ! Me baissant, je pris la première chose qui me
tombait sous la main, sans attendre mon bras se leva au-dessus de
moi, puis avec force, ce bout de bois que je tenais percuta la tête
de David. Sonné, il retira sa main de l'épaule de Grégory, puis se
relevant il se tourna vers moi.
— Ça c'est pour mon père, criai-je en le tapant une nouvelle
fois. Ça pour Enrique et ça... ça pour Grégory. Lâchant le bout de
bois, je le regardai tituber avant que son corps ne tombe dans le
Rio Grande.
*
Lisy, mon prénom fut le seul mot que j'entendis avant de
m'écrouler. Pas de choc, pas d'impact, juste la douceur de ses bras
qui enveloppe mon corps et me soulève.
— Ils sont là !
356
Romagnas du Mont DavisDes gyrophares éclairèrent le ciel au-dessus de nos têtes.
— Monsieur Cummings, ne bougez pas, nous descendons
vous chercher, cria une voix que je reconnus comme étant celle
d'Harvey.
— Gregory, murmurai-je
— Je t'avais promis de ne pas te laisser.
Papa, maman, il est temps !
Debout au milieu d'un champ de Romagnas baigné par un
soleil aveuglant, je laissais la brise caresser mon corps.
Habillée d'une robe blanche, je laissai ma mère piquer
quelques fleurs dans mes cheveux.
Il faut vivre ma princesse, aller de l'avant, ne pas avoir peur
de se perdre, avoir confiance en l'autre, même si tu tombes, tu ne
devras jamais abandonner.
L'amour est le plus beau cadeau que la vie va te faire...
Je te souhaite de connaître un amour aussi fort, celui qui au
premier regard remet en cause toutes tes croyances, qui bouscule
l'univers que tu as bâti, celui qui te transcende au point de te dire
qu'une seule minute à ses côtés vaut mieux qu'une éternité sans
l'avoir connu.
Ton père et moi sommes enfin en paix, vis pour toi, vis
maintenant...
357
KRIS T.L — Grégory...
Il était là dans cette pièce, la clarté y était aveuglante. Mes
yeux papillonnèrent quelques instants, le temps pour moi
d'accepter de quitter ce doux rêve.
— Ne me fais plus jamais ça O'Brian, murmura-t-il en
essuyant la larme qui roulait sur ma joue
—Avec plaisir, Cummings !
Je souris en voyant son visage se rapprocher du mien, me
laissant happer par la profondeur et l'intensité de ses yeux bleus,
je murmurai un « je t'aime » à peine audible.
— Quoi ?
— Je t’aime.
Ces mots que j'avais tant de mal à prononcer jaillirent sans que
je ne puisse les contrôler et c'est dans une infinie tendresse que
ses lèvres se posèrent sur les miennes.
Fin de la première partie.
358
Romagnas du Mont Davis
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l'auteure : KRIS T.L Auteur.
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KRIS T.L
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