ACT U A L I T É S L A P O L É M I Q U E

Rodrigo Beenkens

Quand le foot et le vélo puent la magouille, les!journalistes sportifs se sentent cocus. Le!plus populaire d’entre eux veut arrêter de s’en excuser.

odrigo Beenkens veut être en paix avec sa conscience. Après les aveux de dopage de Lance Armstrong, il s’était excusé auprès des téléspectateurs de la RTBF de leur avoir “vendu des mensonges et de la tricherie, plutôt

que du rêve”.  Depuis, le commenta-teur sportif préféré des francophones a dû digérer des soupçons de corrup-tion pour l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, la révélation par Europol de 380 matches truqués en Europe et le procès Fuentes avec son vaste réseau de dopage sanguin. Soit la fin à une hypocrisie: non, le dopage n’est pas que l’apanage du cyclisme, mais aussi du foot, de la boxe et du tennis.

Face à ces scandales à répétition, certains journalistes sportifs sont dans leurs petits souliers. Un signe ne trompe d’ailleurs pas: avant même la

“ IL FAUT CHANGER L’ADN DU SPORT”

Isopix

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première question, Rodrigo Beenkens sort un discours manuscrit. “Parce que maintenant, c’est trop sérieux. Chaque mot compte.” Plongé dans ses notes, il enchaîne: “Beaucoup de gens m’ont dit que je n’aurais pas dû faire ces excuses. Mais j’ai reçu une lettre, il y a quelques jours, d’un éminent avocat belge, qui disait ceci: “Je me suis souvent demandé si je n’aurais pas dû m’excuser pour avoir défendu, avec sincérité, des visions finalement erronées quant à l’inno-cence ou la culpabilité de certains de mes clients.” Cela m’a interpellé, car cela dépasse le cadre du sport.”

k Vous avez fait un mea culpa singulier, suite aux aveux d’Armstrong. C’est le journaliste ou l’amateur de sport qui s’exprimait? RODRIGO BEENKENS - C’est plutôt mon tempérament. J’ai 50 % de sang et de gènes portugais. Je suis un Latin, un sanguin. C’était une démarche personnelle, qui n’engageait pas la RTBF. J’ai réagi émotionnellement. Un moment donné, la colère doit sortir. Mais j’en suis aujourd’hui à la deuxième étape: la réflexion et l’exploration. Et maintenant? Comment va-t-on vivre ça?

k Depuis votre mea culpa, d’autres scandales ont éclaté…R.B. - Des petits marrants m’ont de-mandé: “Et maintenant, tu vas pré-senter tes excuses pour le football?” Alors ça, jamais! Parce que cela fait des années que je mets le doigt sur les dysfonctionnements de l’Union belge, de la FIFA, de Sepp Blatter, de Michel Platini…

k Vous parlez parfois de “DéBlat(t)érages” et de “Platiniaiseries” pour qualifier les propos des présidents de la FIFA et de l’UEFA…R.B. - Quand Blatter dit “Il n’y a aucun produit capable de faire d’un mauvais joueur un bon joueur”, c’est une âne-rie sans nom! Tout le monde sait qu’il existe des produits qui augmentent la vitesse de pointe, la réactivité, la dé-tente verticale. Aujourd’hui, on est en pleine tempête, les affaires éclatent les unes après les autres… Mais c’est génial! Ça signifie que les choses bougent. On est à un tournant: non, les magouilles ne sont pas une fata-lité. Il faut changer l’ADN du sport!

k Sport et tricherie sont intrinsèquement liés?R.B. - Nous vivons une époque maté-rialiste et de réussite à tout prix. La triche est donc omniprésente. Mais on est aussi dans une société sur-médicalisée. Et je ne parle pas seule-ment de sport. Roger Bambuck - un sportif de légende français, ministre des Sports de François Mitterrand - disait: “Compte tenu de cette sur-médicalisation, comment voulez-vous que le sportif d’aujourd’hui échappe à son époque?” Cela dit, le cliché “le sport, c’est le reflet de la société”, que certains dirigeants du sport utilisent pour cacher leurs propres conneries et justifier les dérives, ça m’énerve!

k Allez-vous changer votre manière d’appréhender votre métier? R.B. - La seule chose que je puisse faire, c’est travailler, le plus honnête-ment possible, sur le subconscient des gens. C’est le public qui doit dire: “J’en ai marre!” Depuis le début de ma carrière, j’ai consacré 100 % de mon temps à la préparation des étapes, des matches, etc., plutôt qu’à la réflexion. C’est cela qui doit changer chez moi aujourd’hui. Je dois être moins le nez dans le guidon - ou sur les phases de jeu, pour parler des deux sports que je suis amené à commenter.

autre partie de notre cerveau nous met en garde: le match n’est-il pas vendu? Il y a un clivage: comment mêler l’émotion et la raison? Voilà toute la difficulté.

k Depuis quelques années, vous êtes assisté d’anciens sportifs dans votre tâche. Si ces consultants ne jouent pas les “insiders”, à quoi servent-ils?R.B. - Si vous réécoutez ce qu’a dit Cédric Vasseur sur Voeckler ces deux dernières années, il y a eu de grands moments: “Il faudrait quand même rappeler à ce garçon que la base du cyclisme, c’est qu’on ne grimpe pas le Galibier sur le grand plateau.” C’est vrai. Avec le recul, je pense que certains étaient dans une omerta. Et j’avoue ne pas avoir suffisamment osé leur tirer les vers du nez…

k Ces confidences, vous les auriez relayées à l’antenne? R.B. - Ce dont j’étais sûr, oui. Attention, j’insiste: entre “dire ce qu’on sait” et “dire ce qu’on croit savoir”, il y a une énorme nuance. Le plus grand déshonneur pour un journaliste, c’est de diffamer.

k Rodrigo Beenkens, le journaliste, s’est excusé, mais l’amoureux du sport, il se sent trahi? R.B. - J’adore mon métier. C’est ma force et ma faiblesse. Ce serait indé-cent d’en refuser les côtés négatifs comme ce qui se produit maintenant. Je suis un passionné. Le jour où je n’aurais plus la passion, j’arrête.

k Cela pourrait arriver?R.B. - Nous sommes dans une période de transition. Soit ce déballage se transforme en énergie positive et je serai alors très heureux d’y collaborer à mon niveau, soit rien ne change au terme de cette période, et alors je ferai autre chose.

k Vous vous donnez combien de temps?R.B. - Un an et demi, jusque fin 2014. Une saison de cyclisme, de foot, peut-être la Coupe du monde au Brésil… Ce pays, dont on dit qu’il est celui du football et dont je parle la langue, me fera peut-être découvrir certaines choses…

hPierre Scheurette

“ SOIT CE DÉBALLAGE SE TRANS!FORME EN ÉNERGIE POSITIVE, SOIT RIEN NE CHANGE ET JE FERAI AUTRE CHOSE.”

“ LE SPORT, REFLET DE LA SOCIÉTÉ, C’EST UN CLICHÉ!QUI M’ÉNERVE.”

“ IL FAUT CHANGER L’ADN DU SPORT”

k Quand on est commentateur, on n’est pas journaliste? R.B. - (Il hésite.) On essaie de l’être, mais on est d’abord là pour commen-ter. On est aussi dans une psychana-lytique de déni. Notre cerveau est constitué pour s’enthousiasmer devant un exploit mythique. Si Hazard marque le but en finale de la Coupe du monde, on ne peut pas se contenter de commenter “But de Hazard”, à l’alle-mande. Le public veut que nous le fassions vibrer. En même temps, une

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