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ROBERT CASTEL raconte...

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ROBERT CASTEL

r a c o n t e . . .

K A O U I T O ,

P A S T A F A G O U L ,

A B B A Z ,

E T L E S A U T R E S . . .

Les meilleures histoires de l'humour pied-noir

Éditions Mengès

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© Copyright 1978 Editions Mengès

ISBN 2-85-620-039-7.

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PREMIER ATTENTION

Les livres commencent souvent, et même la plupart du temps, par une préface, un préambule, une introduction, un avant-propos, un prologue, une dédicace, un avis, et même des prolégomènes (voir dictionnaire ou l'emprunter).

Mais à quoi ça sert, une préface, un préambule, une introduction et tout le reste?...

D'abord, des préfaces, il en existe un wagon plus quinze. Corneille, Racine, Molière, La Bruyère, Pascal, Bossuet, Voltaire, Chamfort, Diderot, Montesquieu, tous mes confrères ont écrit une ou plusieurs préfaces. Alors celui qui veut lire une préface, il a vraiment l'embarras du choix.

Une préface de plus ou de moins, ça ne va rien changer au prix des fraises, surtout en début de saison.

Ensuite, examinons l'utilité d'une préface. Généralement pour ne pas dire dans la plupart des cas, une préface sert de préambule, ou si vous préférez d'introduction. Vous ne verrez jamais une préface après la conclusion. C'est rare. A ma connaissance le cas ne s'est pas produit. Ou alors, il faut commencer par la fin, et considérer la conclusion comme un prélude, ce qui est une façon de voir les choses, si l'on soutient que la fin est un commencement. De plus cette méthode présente un avantage inestimable : celui de vous faire gagner un temps énorme, ce qui de nos jours n'a pas de prix.

Vous me direz qu'on peut mettre aussi la préface au milieu du livre. C'est loin d'être inintéressant par l'origina- lité. D'autant qu'il n'existe aucun texte de loi empêchant

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cet usage. Mais à mon avis ce n'est pas ça non plus qui fera diminuer le prix des fraises, même en fin de saison.

Quoi qu'il en soit, l'auteur peut placer sa préface à sa fantaisie ou à son gré. On n'en a rien à glander, et en plus on s'en tape le coquillard. Ce qui est un euphémisme, voire une métaphore, ou à la rigueur une espèce de catachrèse.

Je crois donc, qu'on vient de faire le tour de la question d'une manière exhaustive.

Reste le problème de l'objet de la préface. J'ai bien étudié cette question, et je peux vous dire que les avis sont différents et même contradictoires, tout en étant estimables de part et d'autre. Ce qui nous donne donc une idée précise de l'ensemble.

Mais, si on veut pousser plus loin l'analyse, et je sens qu'on m'y invite de toute part, on peut dire sans risque de se tromper, et sauf erreur de ma part bien sûr, que la préface sert à informer le lecteur sur les intentions, les motifs, les buts et les raisons qui ont incité l'auteur à écrire le livre, sans parler des droits d'auteur évidemment.

On peut aussi écrire une préface pour formuler les raisons pour lesquelles il eût mieux valu ne pas écrire le livre, et ce, d'une manière rédhibitoire. On n'en lit pas souvent de cette sorte et nombreux sont ceux qui le regrettent profondément.

On peut aussi écrire une préface pour d'autres raisons. Mais alors, en l'occurrence, c'est à l'auteur de nous les exposer, et sous sa seule responsabilité. De toute façon, plus on est clair, mieux on se fait comprendre. J'ai toujours été, quant à moi, un partisan farouche de ce principe.

Nonobstant, de sa préface, l'auteur peut en faire l'usage qu'il lui plaît. Même un cache-col pour la demi-saison. On s'en balance à un point que c'est pas croyable!

En ce qui me concerne et pour mon compte personnel, j'aurais beaucoup de choses à dire sur la préface et autres prodomes et proèmes (voir le même dictionnaire, ou mieux encore l'acheter carrément).

Mais toutes choses égales, et ayant analysé le sujet dans ses moindres aspects, je dirais qu'une préface m'apparaît de plus en plus vaine et stérile.

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J'aurais pu, à l'aide d'un jeu de mots subtil, m'en servir de pré-texte. Mais, las, à quoi bon?

J'aurais pu, sans jeu de mots, m'en servir de prétexte pour régler des comptes avec Pierre, Paul, Jacques et d'autres ordures du même acabit. Ils ne perdent rien pour attendre, mais ce n'est ici ni l'endroit, ni le lieu, ni la place, ni le moment, ni l'heure.

J'aurais pu placer en exergue cette phrase d'un type qu'on appelle Rabelais et qui a dit : « Il faut que les hommes y rigolent, pourquoi rigoler, c'est la santé! »

J'aurais pu paraphraser, avec aisance, mon aîné Cham- fort qui a écrit que « La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri ».

Finalement non. Après examen, toutes ces incitations m'ont semblé superfétatoires et fallacieuses (si vous n'avez pas encore de dictionnaire, alors je ne peux plus rien pour vous!).

Et comme la chose que je hais le plus au monde c'est de parler pour ne rien dire, il m'est apparu qu'une préface s'avérait de plus en plus vaine, dérisoire, et chimérique, termes qui sont d'ailleurs tous synonymes entre eux, les uns les autres.

Alors, à quoi ça sert une préface? A rien! Non, décidément, je n'écrirai pas de préface.

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DEUXIEME ATTENTION

Finalement, après avoir bien réfléchi in petto, je me suis dit quand même qu'il n'était pas inutile de vous éclairer par une notice préliminaire — qui n'a rien à voir avec une préface stérile au sujet de laquelle vous connaissez mon opinion — sur certains aspects de l'ouvrage qui pourront légitimement vous étonner.

Laissez-moi d'abord vous dire, que je suis pied-noir. Je préfère annoncer la couleur. J'ai toujours réussi à le dissimuler, sauf aux Etats-Unis, où l'on me prend pour un Français d'Alger, et en Scandinavie où l'on sait que je suis rapatrié. En Chine, au Japon et en Afrique du Sud, là-bas aucun problème : on sait tout de suite que je suis né à Bab- El-Oued.

En dehors du style, qui vous fera songer tantôt au Chateaubriand des « Mémoires d'Outre-tombe » par le lyrisme et la majesté des périodes, tantôt à Chamfort par la vivacité du trait, l'elipse de la pensée et l'ironie sous- jacente, tantôt à Pascal par la fulgurance et la profondeur, tantôt à beaucoup d'autres qui n'ont comme seul mérite que d'être nés avant moi, vous serez surpris de ne pas rencontrer à chaque page les mots : « couscous », « bro- chettes », « mon frère » par-ci « mon frère » par-là, le « po, po, po, » traditionnel, les « tchallefs » (bobards), les « mer- guez » de Fort-de-l'Eau, ou de « Chez Bitouche » rue de Tanger, sans parler des « Blisblis » (pois chiches grillés), des « tramousses », et de la « kémia » (amuse-gueule). Il m'eût été facile de mettre par-ci, par-là, et ailleurs,

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quelques « falso » pour parler des faux amis (et Dieu sait s'il y en a !). J'aurais écrit « tachtche » à la place de faconde, « rabia » pour rage ou colère, « tchouffa » pour échec, etc., etc., etc., etc., etc. (Je mets beaucoup d'etc. pour être sûr de ne rien oublier.)

De tout cela, j'aurais aimé vous parler. J'aurais aimé en saupoudrer ma prose. Mais c'est Kaouito lui-même qui m'en a dissuadé quand il a appris, je ne sais par quelle mauvaise langue, que j'allais parler de lui, de Pastafagoul, de Abbaz, et des autres...

— Je t'en supplie, m'a-t-il dit, n'emploie pas toutes ces expressions! Pastafagoul, Abbaz et les autres, ils en ont ras le bol de ce folklore de bazar. Et moi, encore plus qu'eux!

— C'est difficile! lui ai-je répondu. Tu me demandes l'impossible. Comment, nous pieds-noirs, pouvons-nous ne pas parler de couscous, merguez et brochettes?

— Alors quoi! m'a rétorqué Kaouito, vexé et indigné, c'est ça notre humour, si nous en avons un? C'est un menu de restaurant avec des « po, po, po, » et des « mon frère » à tout va! Tu me déçois, vraiment tu me déçois!

Décevoir Kaouito me chagrinait profondément. Il savait d'ailleurs qu'il m'était très cher. Et je crois que lui aussi m'aimait bien. J'essayais alors de le raisonner, de lui faire comprendre que ces évocations et ce vocabulaire faisaient partie de notre folklore, de notre univers.

Alors, il a bondit : — C'était notre univers! C'est devenu un folklore de

pacotille. Laisse ça aux gens du Nord (c'est-à-dire à partir de Marseille). Eux ils ont le droit de se moquer de nous et de nous parodier avec ce pittoresque d'importation sans droits de douane! Quand ils veulent nous imiter, c'est tout ce qu'ils ont, les pauvres. Ils puisent dans cet arsenal de « po, po, po, » et de « mon frère » et de « purée » en croyant faire les intéressants. Ils exagèrent, en pensant que ça fait plus vrai, plus authentique. On va pas les vexer en leur disant qu'ils sont lourds comme des quinze tonnes chargés de fonte. Ils savent pas, ils sont excusables. Mais que les pieds-noirs aient recours à de tels artifices, alors ça, ça me tue! C'est de la prostitution! On n'a pas besoin de faire la pute pour amuser la galerie!

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Là, Kaouito se trompait. Je lui aurais aisément démontré que bien souvent il fallait le faire. J'aurais même pu lui citer des noms, mais...

— Tu sais, Kaouito, excuse-moi de te le dire, tous les pieds-noirs ne sont pas comme toi !

Il laissa tomber la sentence comme un couperet de guillotine :

— Y'a des cons partout ! Que répondre à ça? Je tentais quand même de tirer une

dernière cartouche : — Mais les gens ne vont pas comprendre! Tu ne les

connais pas. Ils aiment qu'on parle de tout ça. Ils adorent, et ils en redemandent. Toi, tu exiges trop de moi, je peux pas être plus royaliste que le roi! Et en plus, moi, j'ai le droit, moi! Et tu sais pourquoi. Depuis 1957, avant tout le monde et après en 1962, avant tout le monde, moi j'ai...

Il m'interrompit : — Ouais!... je sais!... je sais... — Mais ce serait plus beau si tu t'en servais pas! Parce

que si tu le fais, me dit Kaouito, alors c'est moi qui ne te parlerais plus. Explique-leur aux gens et ils comprendront. A moins que tu en sois incapable. Ce qui m'étonnerait pas d'ailleurs, et encore moins Pastafagoul qui m'a toujours dit qu'aux Jeux Olympiques de la connerie, tu gagnerais la médaille d'or.

J'étais humilié et abasourdi par cette agression. Je ne répondis pas.

Kaouito alluma une cigarette sans m'en offrir. Ce qui était chez lui le signe de la réprobation ultime. Et, pour me bien faire comprendre que dans l'instant, il me tenait en piètre estime, il tourna les talons sans condescendre à m'accorder l'aumône d'un « au-revoir ».

Ulcéré j'étais! Ravalant mon amertume, je me mis à réfléchir sur les raisons de sa conduite qui me paraissait le comble du paradoxe : un pied-noir qui reniait les us et coutumes de son passé par une coquetterie suprême? Ce n'était pas possible! Kaouito était plus intelligent, plus subtil qu'une contradiction, fut-elle, éminemment sédui- sante dans sa singulière ambiguïté!

Et au bout d'une semaine (il me fallut une semaine parce

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que je réfléchis lentement) la raison m'en apparue aveu- glante de vérité et de logique. Elle ne manquait d'ailleurs pas de panache! Puisque j'allais parler de lui et de ses amis, il ne voulait pas que je les fasse passer pour des rigolos de bas étage, puisant dans un magasin au pittoresque de troisième zone, des poncifs, des lieux communs, et des clichés galvaudés et avilissants. Kaouito à sa manière, refusait la démagogie. Chapeau Kaouito! Je ne l'en estimais que davantage, et compris qu'il m'avait donné une petite leçon, sans prendre des airs pontifiants et sans pédantisme.

Je saurais m'en souvenir.

Certes, les Français de France, et certains autres aussi, auraient été sensibles à la couleur locale. N'y comprenant pas grand-chose, et pour cause les pauvres, ils auraient confondu le succédané qu'on leur sert copieusement quand on veut « faire du pied-noir », avec l'indispensable, et l'esbrouffe avec le naturel. Et il me revient en mémoire cette phrase de mon père (oh, oui, il avait raison!) « De loin, quand on n'a pas bonne vue, on prend toujours un corbeau pour un aigle. »

Mais hélas, six fois hélas, je ne me faisais aucune illusion sur l'efficacité de mon sacrifice, ni sur l'utilité de cette auto-censure, tant il est vrai qu'il ne sert de rien d'avoir raison tout seul, ou de le croire, parce que soi-même plus soi-même ça ne fait toujours qu'un et le même. D'où la vanité des mathématiques primaires! Ma seule consolation étant une satisfaction d'orgueil mal placé : exaucer Kaouito parce que c'est plus beau encore quand c'est inutile. La belle affaire!

Voilà pourquoi, cher lecteur, soucieux de respecter la volonté de Kaouito le Censeur, le couscous, les merguez, les brochettes et les autres... vous ne les trouverez point ici (je mets mon « style » au régime), mais vous les trouverez dans tous les restaurants de France et de Navarre, et même d'ailleurs ! Car c'est une invasion culinaire et linguistique à nulle autre pareille.

Voilà pourquoi, cher lecteur, les « po, po, po, » et les « mon frère » vous ne les trouverez point ici. Il y en a

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tellement ailleurs! Et je ne veux pas ajouter à cette inflation.

L'amitié est exigeante. J'espère que Kaouito, Pastafagoul, Abbaz et les autres

m'en sauront gré, et que vous cher lecteur, vous m'approu- verez d'avoir sacrifié à leur fraternelle et tacite sommation, et de vous avoir traité de la sorte en ami, aussi exigeant que les miens.

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Les types étaient assis à une table, chacun devant son verre, chacun dans sa pensée, chacun dans son rêve. Ils étaient tous là, ou presque. Et pourtant personne ne parlait.

Kaouito le premier brisa le silence : — Rien n'est plus comme avant! annonça-t-il d'un ton

désabusé, désenchanté, et un peu triste même. — Tu as raison!... Les choses de maintenant elles valent

pas celles d'avant, répondit Pastafagoul, en lui empruntant le même ton (tout ce qu'il peut emprunter il emprunte. Pastafagoul, et en plus il rend jamais).

— Si on va bien qu'à voir, réciproquement c'est le contraire, ajouta Abbaz, philosophe et assez péremptoire.

— C'est juste, approuva Meuzllott. Regardez l'argent de maintenant, il vaut rien à côté de celui d'avant... Les tissus de maintenant. ils valent rien! C'est tout artificiel, et cynergique.

— Tu veux dire synthétique, corrigea Kaouito. — J' veux dire que c'est pas naturel... — Même la nourriture elle est pas ce qu'elle était,

regretta Abbo qui commençait à avoir faim. Avant, le poulet, c'était du poulet, le lait c'était du lait, maintenant c'est tout du bidon...

— Et même les bidons ils sont pas les mêmes, dit Kaouito avec un haussement d'épaules.

— Même les saisons, elles sont plus ce qu'elles étaient, gémit Clémendo en pensant à un stock de chemisettes d'été

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qu'il avait acheté, et qui lui restait sur l'estomac comme un gilet pare-balles, vu que depuis six mois, ce putain d'hiver, y ne voulait pas finir. J'aurais dû prendre des imperméables, regretta-t-il, avec des sanglots dans la voix.

— Même la rigolade, c'est plus ce que c'était! déplora Pastafagoul. Avant quand on rigolait, on rigolait! Mainte- nant c'est tout de l'arnaque, c'est pas naturel, c'est du toc, du donbi...

— C'est quoi du Donbi? demanda Messmoum, légère- ment inquisiteur.

— C'est du bidon, au verslen! expliqua Kaouito. — Et c'est quoi le « verslen »? surenchérit Messmoum.

dont la curiosité était inépuisable. — C'est l'envers retourné! lui répondit Kaouito légère-

ment agacé. Putain, toi et le français vous êtes pas entrés par la même porte, hein!

— Ah... dans le temps, dit Bonazo, légèrement amer, c'était autre chose! Quand on déconait, on déconait! Qu'est-ce que je regrette le passé!...

— Et moi aussi je le regrette le passé, murmura Zarfana, avec mélancolie.

— Ah! le passé!... on n'arrive pas à l'oublier! Impos- sible. On a beau faire, quand on y pense on a toujours la nostalgie! s'exclama Casse-ficelle, avec des montagnes de regrets dans la voix, les yeux, et les mains.

— C'est vrai, poursuivit Boogie, le représentant, la nostalgie y'a pas moyen de s'en défaire!

— Ah ouais la nostalgie, moi aussi je la sens, des fois, comme la menthe quand on sent le thé, soupira Bombe-à- l'Œil, qui avait beaucoup lu Apollinaire et Verlaine.

— Vous voulez que je vous dise, conclut Kaouito, l'air grave et doctoral : même la nostalgie, elle est plus ce qu'elle était!

Chacun reprit son rêve, peut-être en pensant qu'il y aurait un bon livre à écrire, avec un titre pareil. Et Pastafagoul, s'adressa à Kaouito pour lui remémorer des lambeaux du passé.

— Tu te rappelles Kaouito, quand on était à Alger, toutes les conneries qu'on a pu faire!

— Putain! si je me rappelle!

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— Tu te rappelles la fois où tu es rentré au Tantonville, le restaurant, avec les trois enfants!

— Tu parles, si je m'en rappelle! — J'étais moi? demanda Zarfana. — Non, tu étais pas. — Et alors, qu'est-ce qui s'est passé? Vas-y, raconte...

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... Kaouito, flanqué de trois enfants, entre au « Tanton- ville » le grand restaurant du Square Bresson à Alger, com- mande une choucroute royale, et trois chocolats pour les trois bambins, avec pâtisseries, nombreuses et abondantes.

Quand il a fini, Kaouito appelle le garçon et lui dit : — Ecoutez, je fais juste un saut au tabac à côté, vous

voulez être gentil de veiller sur les gosses ? — Certainement, fait le garçon. Cinq minutes s'écoulent, puis dix, et encore dix, et

Kaouito n'est toujours pas revenu. Finalement le garçon s'adresse aux enfants : — Alors, papa ne revient pas? — Mais c'est pas notre papa, répondent les enfants. — Qui c'est alors? — Eh ben, on était en train de jouer dans la rue, et ce

monsieur est venu. Il nous a demandé si on voulait du chocolat et des gâteaux. Nous, on a dit oui. Alors, il nous a emmené ici.

Au Sahara, dans la banlieue sud de Ouargla, où il fait encore plus chaud que dans le Nord, deux bédouins dis- cutent :

— Alors, ce permis de conduire, tu as réussi à le décrocher?

— Non, dit l'autre. Mais cette fois-ci, c'est pas ma faute! L'examinateur, y peut pas me sentir. Alors, y m'a fait

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conduire sur le parcours le plus difficile..., tu sais, celui où il y a un palmier!

A la Grande Brasserie, autour d'une table, quatre types jouent aux cartes. Kaouito, Pastafagoul, Fartass le chauve, et un autre qui est borgne. Soudain, Kaouito, fou de colère, se lève et dit :

— Messieurs, il y en a un parmi nous qui triche avec effronterie! Je dirai pas lequel, mais si il continue, je lui crèverai l'autre œil !

— Alors Kaouito, et ton fils, il travaille? — Ouais!... Et il a trouvé une bonne place hein!... — Sans blague. Qu'est-ce qu'il fait? — Il est clerc de notaire chez un huissier.

M Palomba, qu'elle était gentille comme tout la pauvre, elle achetait depuis quelque temps du pain de régime, pour maigrir bien sûr. Mais elle abandonna son régime, en avouant au boulanger Mingual, que ce pain ne lui avait pas fait perdre un seul gramme! L'autre, pour ne pas perdre la figure, vu que l'autre elle perdait rien non plus, il lui fait avec un sang-froid terrible :

— Mais enfin, madame Palomba, c'est pas étonnant! Vous n'en mangez pas assez !

Ça ne va pas très fort pour Kaouito, et il est obligé de faire la manche, avenue de la Bouzaréah, là où il y a beaucoup de passage. Il arrête un type.

— Je regrette, j'ai pas de monnaie. Je vous donnerai tout à l'heure, quelque chose en revenant.

— D'accord, fait Kaouito, en râlant, mais si vous saviez ce que j'ai déjà perdu, en accordant du crédit...

Kaouito est un très mauvais payeur. Il n'est pas le seul, mais enfin lui, il est vraiment très mauvais payeur.

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Aussi, une société de crédit, à laquelle il avait fait un emprunt lui a écrit : « Cher monsieur Kaouito,

Après vérification de nos dossiers, nous avons constaté que nous avons fait pour vous, plus que votre propre mère : nous vous attendons depuis dix-huit mois! »

Même que j'étais présent le jour où Pastafagoul, il lui a demandé : « Mais qu'est-ce qui se passe Kaouito? Le docteur il vient sans arrêt chez toi, sans arrêt! C'est grave ou quoi?

— Très grave!... Il veut se faire payer!

En pleine campagne, dans la région de Staoueli, un type demande son chemin à un habitant du coin :

— Vous n'avez qu'à aller tout droit. A la ferme Serralta, vous tournez à gauche.

— C'est que, je ne connais pas la ferme Serralta. — Bon. Alors suivez la route sur une lieue... — Malheureusement, je ne sais pas à quoi correspond

une lieue dans cette région. — Bon. Alors je vais vous dire ce qu'il faut faire.

Continuez jusqu'aux trois Frênes, et ensuite... — Mais comment reconnaître un frêne, d'un autre

arbre?

— Hé ben!... fait l'autre. Comment voulez-vous que je vous indique votre chemin, si vous connaissez rien à rien!...

— C'est dur, dit M Kaouito à son boucher, c'est dur de payer 20 F, ces petits beafsteaks!

— Madame, répond le boucher, si je vous les faisais payer 10 F, ce serait encore plus dur!

— Je regrette, dit un monsieur, mais je ne donne jamais d'argent, à qui mendie dans la rue!

— Bah!... qu'à cela ne tienne dit Kaouito, montons dans mon bureau.

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Kaouito a été malade, mais grâce à Dieu, son médecin, l'a bien soigné et Kaouito va le trouver pour le remercier.

— Docteur, vous m'avez sauvé la vie. Pour vous exprimer ma reconnaissance, les mots me manquent, vraiment les mots me manquent...

— Mais non, mais non, fait le docteur. Vous me devez seulement 150 F.

— Hélas! fait Kaouito... ils me manquent aussi!

Spadaro, le grand, pas l'autre, (l'autre Spadaro il est plus petit, et en plus, ils ne se connaissent même pas tous les deux), donc Spadaro le grand, il a une petite usine, qui marche pas mal. La preuve il a 2 secrétaires. Il va les trouver en leur annonçant :

— A la fin du mois, je vous augmente! Le visage des deux jeunes filles s'illumine d'un large

sourire. — Oui, dit Spadaro, au lieu d'être deux, vous serez

trois !

Kaouito est engagé comme caissier dans une banque. Et le chef de service lui dit :

— Prenez cette liasse, monsieur Kaouito, et vérifiez si il y a bien 100 billets.

Kaouito commence à compter: 1, 2, 3, 4, 5,... 25, 26, 27,... 48, 49, 50,...

— Bon, dit-il en rangeant la liasse dans le coffre, si le compte y est jusqu'ici, y'a pas de raison pour qu'il n'y soit pas par la suite.

A Alger, une jolie fille, (n'importe laquelle, parce qu'elles sont jolies les filles de mon pays!) descend la rue Michelet à pied, quand une somptueuse voiture de sport arrive à sa

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hauteur, et ralentit. Le conducteur, ce prétentieux de Martial Badjidj, entrouvre la portière et dit, en voulant imiter Tyrone Power dans « Le Brigand Bien-Aimé ».

— Alors, mademoiselle, je vais passer huit jours en Espagne. Ça vous intéresse?

La fille, toise ce fanfaron de Martial et lui dit : — Oui, beaucoup. Rapportez-moi un kilo d'oranges.

Kaouito est allongé. Il se repose de la sieste qu'il vient de faire. Arrive Pastafagoul, qui le secoue :

— Kaouito, tu dors? — Qu'est-ce qu'il y a?... Qu'est-ce que tu veux?... — Je te demande si tu dors. — Qu'est-ce que tu veux si je dors pas? — Je voudrais que tu me rendes un service... j'ai besoin

de 100 F. — Oh là là là!... fait Kaouito en se retournant de l'autre

côté, tu vois bien que je dors.

A Alger, à la prison de Barberousse, un assassin devait être guillotiné. Au petit jour, le directeur de la prison, le sous-directeur, l'avocat, l'aumônier, le procureur de la République et diverses autres personnalités pénètrent dans la cellule. On réveille le condamné. Il ouvre les yeux, regarde tout ce monde autour de lui et demande innocem- ment : « Est-ce que ma présence est vraiment nécessaire? »

C'est l'heure de l'apéritif chez Solivérés, à la Grande Brasserie. Chacun est devant sa petite anisette « cristal », et Pastafagoul, y veut faire l'intéressant.

— Moi, y dit, j'ai connu un noir, il était si tellement noir, mais, tellement noir, que dans la nuit la plus noire, il faisait une tâche noire!

Fartasse y va pour répondre. Mais Kaouito y le bloque, et il dit :

— Laisse, je vais lui répondre moi à ce cataplasme! Toi! Toi! Toi! Prétentieux! Moi, j'ai connu un type, il était telle-

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ment maigre, tellement maigre, que pour s'apercevoir qu'il était rentré dans un endroit, il fallait qu'il passe deux fois par la porte!

Kaouito, était envahi par la lecture des sondages. Sondage de ceci, sondage de cela! Il téléphone à un grand institut de sondage.

— Voilà monsieur, y'a des tonnes de sondages partout, mais une chose m'étonne. Comment ça se fait, que depuis le temps, on m'a jamais interrogé à moi, pourquoi?

— Monsieur, répond son correspondant, selon les lois de la probabilité vous n'avez pas plus de chance d'être interrogé que, — je ne sais pas moi... — que d'être frappé par la foudre...

— Eh bien, justement fait Kaouito, j'ai déjà été frappé deux fois par la foudre!

— Alors, comment va votre insomnie? demande le docteur à Kaouito.

— Pire que jamais docteur! A tel point, que j'ai même plus envie de dormir, quand c'est l'heure d'aller travailler!

Par quel miracle, ça on ne le saura jamais, toujours est-il que Kaouito va passer une semaine de vacances en Espagne. Et il se rend vers 16 heures, 16 h 30, dans une administration, où il trouve porte close. Il interroge le concierge :

— Les fonctionnaires espagnols, y travaillent pas l'après- midi ou quoi ?

— En fait, répond le concierge, c'est le matin qu'ils ne travaillent pas. L'après-midi, ils restent chez eux.

Inutile de vous dire que Kaouito fait encore les démarches, pour trouver une place dans ces bureaux !

Kaouito est invité à dîner chez Pastafagoul. Toute la famille est là. On sert un plat avec un petit poulet rôti, mais

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petit, mais petit le pauvre, plus petit que rôti! Et Kaouito penche sa tête vers le poulet, et presqu'il colle son oreille.

— Qu'est-ce que tu fais? lui dit Pastafagoul. — Hé!... je l'écoute parler. — Ah ouais!... tu l'écoutes. Et qu'est-ce qu'il te dit? — Il me dit : « Oh là là! Qu'est-ce qu'il y a comme

monde! Qu'est-ce qu'il y a comme monde!... »

En pleine nuit, Sauveur Gambaruti, qu'il a l'apparte- ment, rue Barrat, au-dessus du magasin, il est réveillé par un bruit bizarre, qui vient d'en bas. Il arme son revolver, descend sur la pointe des pieds, et surprend le cambrio- leur :

— Haut les mains, où je te brûle! Le voleur lève les mains, fixe le revolver, et dit avec un

sang-froid genre Alec Guiness dans « Le Pont de la rivière Kwaï ».

— Combien avez-vous payé ce magnifique revolver? — Hé, c'est une arme splendide, fait Sauveur! Je l'ai

achetée, heu... 2 millions! — Je vous en offre le triple, fait le voleur. — Le triple!!! Affaire conclue, dit Gambaruti. Et il lui

donne son revolver!

A la place des Trois-H or loges, à Bab-El-Oued, Baptiste le guitche y tombe sur Kaouito. Il lui dit :

— Est-ce que tu peux garder un secret? — Moi! Je suis un tombeau, tu sais ce que c'est, un tom-

beau! — Dans ces conditions, prête-moi 500 F. Alors Kaouito répond : « Ecoute, je vais te dire c'est

comme si je n'avais rien entendu! »

— Ah, dit Fartass, qu'est-ce que je voudrais être riche! Si je pouvais connaître le chemin de la richesse!...

— Le chemin de la richesse, répond Kaouito, c'est très simple. Tu n'as qu'à prendre à droite, ensuite tu prends à