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RÔLE DES SADA DANS LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DE KINSHASA Frans Goossens Programme FAO Approvisionnement et distribution alimentaires des villes EC/08-96 avril 1997 © FAO Aliments dans les Villes

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RÔLE DES SADADANS LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

DE KINSHASA

Frans Goossens

Programme FAOApprovisionnement et distribution alimentaires des villes

EC/08-96 avril 1997© FAO

Aliments dans les Villes

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PRÉSENTATION DE L’AUTEUR

Frans Goossens est ingénieur agronome et économiste. Après des recherchespour la Commission des Communautés Européennes sur les quotas laitiers etla structure des exploitations laitières au Département d’Economie Agricolede l’Université Catholique de Louvain (K.U.Leuven), il a effectué desrecherches au Zaïre sur l’approvisionnement vivrier de la ville de Kinshasa de1987 à 1990. Depuis 1992, il est chercheur au Département d’EconomieAgricole de l’Université Catholique de Louvain. En 1994, il a obtenu le gradede Docteur en Agro-Economie avec une thèse intitulée “Performance ofCassava Marketing in Zaire”. Ses domaines de recherche sont lacommercialisation des produits agricoles, l’évaluation de la performance dessystèmes agricoles et de commercialisation et l’évaluation des projets dedéveloppement.

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RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Cette étude analyse l’impact de l’insécurité alimentaire massive sur lesystème urbain de distr ibut ion des v ivres au Zaïre , et plusparticulièrement dans la capitale. La sécurité alimentaire peut être définiecomme l’accès pour tout le monde et à tout moment, à une nourrituresuffisante afin de mener une vie active et saine. Un consommateur urbainen insécurité alimentaire adapte ses habitudes alimentaires (voir chapitre3) et se lance souvent dans le petit commerce des vivres (voir chapitre 4).L’hypothèse de base de cette étude repose sur l’existence d’une relationambiguë entre une situation d’insécurité alimentaire et le fonctionnementd’un système de distribution urbain des vivres. D’une part, le secteur dedistribution contribue à une meilleure sécurité alimentaire, parce qu’il estsouvent la seule source d’emploi à laquelle les personnes en insécuritéalimentaire ont accès. Ces dernières ne disposent généralement que deleur capital humain, c’est-à-dire la main-d’oeuvre familiale et unecertaine expérience dans le petit commerce des vivres. D’autre part, laprésence massive des pauvres dans les systèmes de distribution empêcheune compétition efficace et conduit à une hausse des marges dedistribution et des prix. Ce fonctionnement inefficace aboutit parfois àun niveau de prix élevé, au moment où les plus pauvres font leurs achatsde vivres, ce qui diminue leur pouvoir d’achat et leur sécurité alimentaire.A l’exception du commerce, l’agriculture et l’horticulture périurbaines eturbaines sont une autre source d’emploi à basses barrières à l’entrée (voirchapitre 5).

Au chapitre deux, la situation générale au Zaïre et à Kinshasa enparticulier est décrite. Le pays est actuellement caractérisé par unesituation socio-économique catastrophique avec une insécurité alimentairemassive, surtout en milieu urbain. En même temps, la croissance descentres urbains, qui est de 5 à 7% par an depuis des décennies, donne lieuà une pression énorme sur le système de commercialisation et dedistribution des vivres. Les systèmes formels de collecte, de transport et dedistribution des vivres disparaissent en raison du cadre macroéconomiqueincertain qui empêche les investissements: entretien des routes et des pontsinexistant, manque de carburant, de pièces de rechange, de crédits, d’uneinfrastructure de télécommunication, d’une administration efficace etfiable, et d’un système judiciaire fiable. Le secteur formel est remplacé parune multitude de petites entreprises informelles.

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Le chapitre trois décrit le comportement du consommateur vis-à-vis de sanouvelle situation d’insécurité alimentaire. Celui-ci essaie de maximiserson niveau de consommation par l ’adoption d’autres habitudesalimentaires, en développant certaines activités économiques, surtout dansle commerce, et en minimisant les risques par l’organisation de systèmesde solidarité, généralement des tontines, des groupes d’épargne et decrédits. Dans la ville de Kinshasa, le repas de base d’une personne eninsécurité alimentaire comprend de la pâte de manioc, préparée à base detubercules séchés, consommée avec des légumes-feuilles, et parfois, dans lamesure du possible, avec une sauce à base d’huile de palme (oud’arachide), d’oignon, de tomate et de pili-pili. Rarement, on ajoute dupoisson frais de mer ou de la volaille. Chacun des ingrédients du repas debase est le meilleur marché dans sa catégorie, délivré avec un minimum deservices. Le manioc et les légumes-feuilles sont devenus plus importants.Le régime al imentaire est extrêmement monotone et la qualiténutrit ionnel le est pauvre. I l existe une demande spécif ique desconsommateurs les plus pauvres pour des achats de vivres en petitesquantités, qui se font nécessairement au niveau du détail ou du micro-détail. Ces consommateurs n’ont pas de requêtes spécifiques en matière deservices du marché, ou de valeur ajoutée, et leur demande en vivres(surtout de manioc) excède l’offre au moment du paiement des salaires. Ilen résulte que les plus pauvres paient souvent un prix qui est plus élevéque celui payé par le consommateur moyen.

Au chapitre quatre, l’impact de la situation d’insécurité alimentairemassive sur le circuit de commercialisation des vivres est analysé. Il existede très nombreuses activités informelles à basses barrières à l’entrée tellesque le commerce de détail et de micro-détail des vivres et le commerce parles colporteurs. Les marchés de détail s’approchent du modèle du marchélibre tel que décrit dans la littérature économique: un grand nombre devendeurs et d’acheteurs, une atomicité, une absence de barrières à l’entrée,une certaine transparence, une absence de monopoles, etc.Malheureusement, il y a peu de compétition entre les commerçants quiévitent les risques et préfèrent la solidarité entre eux, provoquant ainsiune hausse des marges de distribution. Le rôle social des marchés, c’est-à-dire la création d’emplois à basses barrières à l’entrée, la distribution desrevenus, la création des systèmes d’assurance, de solidarité et de créditsentre les petits commerçants, etc., devient relativement plus important quele rôle économique, à savoir la distribution efficace des vivres. Les margesde distribution augmentent au fur et à mesure que le rôle social d’un

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système devient plus important. Les plus pauvres, pour qui les barrières àl’entrée au commerce de détail sont encore trop élevées, en sont lesvictimes. Ceux-ci ne profitent pas des avantages, mais payent souvent unprix plus élevé pour la nourriture.

Le chapitre cinq commente la structure des entreprises agricoles engénéral et le développement rapide des activités agricoles en milieuurbain et périurbain. L’horticulture disparaît en milieu rural. Celui-cin’est plus compétitif pour les produits périssables vis-à-vis du milieu(péri)urbain en raison des problèmes d’évacuation des produits agricoleset d’achat des intrants. Ce développement a plusieurs avantages.Premièrement, l ’hort iculture urbaine et pér iurbaine offre desopportunités aux familles en insécurité alimentaire: les barrières àl’entrée sont souvent basses, à condition que la terre soit disponible. Lespauvres disposent du capital nécessaire: la main-d’oeuvre familiale et unecertaine expérience de base en agriculture et en horticulture. Ce genre detravail a toujours été méprisé et était, autrefois, réservé aux plus démuniset aux étrangers. Deuxièmement, la production des légumes contribue àune amél iorat ion de la s i tuat ion nutr i t ionnel le des pauvres .Troisièmement, la création d’emploi dans l’horticulture urbaine pour lesplus démunis contribue à une diminution de la pression sur les systèmesde distribution des vivres.

Au chapitre six, l’évolution future du système de distribution des vivres àKinshasa est commentée. En cas d’amélioration de la situation socio-économique, il y aurait évidemment une amélioration de la sécuritéalimentaire de la population, avec moins de pression sur les systèmes dedistribution urbains et moins de commerçants, une compétition plus saineet une diminution des marges de distribution, et une distribution desvivres plus efficace. De plus, un cadre macroéconomique sain et stablepourrait davantage améliorer la performance du secteur vivrier par unecroissance économique durable, une stimulation de l’épargne et del’investissement, et la maintenance et l’extension des infrastructureséconomiques essentielles. Dans le cas contraire, à savoir une stabilisationou une détérioration de la situation macroéconomique, les marchés dedétail et l’agriculture urbaine continueraient à jouer aussi bien leur rôleéconomique que social avec une moindre efficacité ainsi que des marges etdes prix élevés.

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En conclusion, un système de distribution offre des opportunités auxpauvres d’une métropole africaine: là, ils peuvent utiliser leur capitalhumain. Malheureusement, leur présence massive empêche unecompétition saine et mène à une hausse des marges et des prix. Ceciaboutit à une diminution du pouvoir d’achat des consommateurs et esttrès désavantageux pour les plus démunis pour qui les barrières à l’entréesont encore trop élevées.

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TABLE DES MATIÈRES

Présentation de l’auteur ....................................................................Résumé exécutif ...............................................................................Liste des sigles ..................................................................................Liste des tableaux .............................................................................Liste des figures ................................................................................

INTRODUCTION ..........................................................................

Chapitre 1: LE CONCEPT DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ............................................................

1.1 - Questions .......................................................................

Chapitre 2: DESCRIPTION DE LA SITUATION AU ZAÏRE ET À KINSHASA ..........................................................

2.1 - Le cadre socio-économique ............................................2.2 - La population et les centres urbains ...............................2.3 - Les infrastructures de transport ......................................2.4 - Les flux des produits agricoles et horticoles ...................2.5 - Questions .......................................................................

Chapitre 3: LES STRATÉGIES DES CONSOMMATEURS .............

3.1 - Le consommateur et la sécurité alimentaire ....................3.2 - Le petit commerce, une garantie pour la survie ...............3.3 - Les assurances et crédits informels, et les systèmes

de solidarité .....................................................................3.4 - Le pouvoir d’achat et la structure des dépenses ..............3.5 - La sécurité alimentaire et les habitudes de consommation .

3.5.1 - Les vivres caloriques ...........................................3.5.2 - La viande de boeuf, le poulet, et le poisson .........3.5.3 - Les légumes .........................................................

3.6 - Le consommateur en insécurité alimentaire et le marché des vivres ....................................................3.6.1 - La demande en services du marché .....................3.6.2 - L’impact du jour de paie .....................................3.6.3 - La vente au micro-détail .....................................3.6.4 - Le marché des pauvres: “wenze ya bitula” ..........

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3.7 - Conclusions et contraintes .............................................3.8 - Questions .......................................................................

Chapitre 4: COMMERCIALISATION ET DISTRIBUTIONURBAINE DES VIVRES ................................................

4.1 - Le circuit de distribution ................................................4.2 - Les détaillants .................................................................

4.2.1 - Les marchés de détail ..........................................4.2.2 - Les pratiques commerciales .................................4.2.3 - Les prix ...............................................................4.2.4 - Les marges ..........................................................4.2.5 - Le comportement ................................................

4.3 - Les par-colis ...................................................................4.4 - Les semi-grossistes .........................................................4.5 - Les grossistes ..................................................................4.6 - La sécurité alimentaire et le commerce ...........................4.7 - Conclusion: une faible performance du circuit

de distribution ..................................................................4.8 - Questions .......................................................................

Chapitre 5: AGRICULTEURS ET HORTICULTEURS ...................

5.1 - L’entreprise agricole traditionnelle .................................5.2 - L’horticulture .................................................................5.3 - La ceinture verte de Kinshasa .........................................5.4 - L’agriculture et l’horticulture urbaines et la sécurité

alimentaire .....................................................................5.5 - Questions .......................................................................

Chapitre 6: INTERVENTION ET ÉVOLUTION FUTURE ............

6.1 - La stratégie d’intervention ..............................................6.2 - Le scénario: “stabilisation ou évolution négative

dans le pays” ..................................................................6.3 - Le scénario: “amélioration de la situation actuelle

dans le pays” ..................................................................6.4 - Questions .......................................................................

Bibliographie ....................................................................................

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LISTE DES SIGLES

BEAU Bureau d’Etudes et de Planification UrbainCECOMAF Centre pour la Commercialisation des Produits Maraîchers

et FruitierCOOPEC Coopératives d’Epargne et de CréditDMPCC Direction des Marchés, Prix et Crédits de CampagneINERA Institut National de Recherches AgricolesINS Institut National de la StatistiqueJEEP Jardins et Elevages de ParcelleONATRA Office National des TransportsONG Organisation Non GouvernementalePASMAKIN Projet d’Assistance aux Maraîchers de KinshasaUNIKIN Université de Kinshasa

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 Structure des dépenses de la consommation familiale à Kinshasaen 1969, 1975 et 1986

Tableau 2 Consommation des produits de base à Kinshasa en 1969, 1975 et1986

Tableau 3 Approvisionnement de Kinshasa en légumes selon la provenance,en 1985

Tableau 4 Quantités consommées par personne durant un mois etélasticités-revenus des fruits et légumes à Kinshasa

Tableau 5 Détaillants par taille de l’entreprise en octobre - novembre 1990Tableau 6 Structure des prix des produits agricoles en provenance du Bas-

Zaïre et du Bandundu sur les marchés de détail de Kinshasa en1987, 1988 et 1989

Tableau 7 Ratio entre la marge de détail et le prix au consommateur de 1984à 1989

Tableau 8 Changements des prix en termes réels à Kinshasa entre janvier1984 et décembre 1989

Tableau 9 Structure des recettes et des dépenses des détaillants sur lesmarchés de Kinshasa en octobre 1990

Tableau 10 Structure des recettes et des dépenses des vendeurs de légumessur les marchés de détail de Kinshasa en octobre 1990

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 Carte administrative du ZaïreFigure 2 Carte avec les zones administratives des régions du Bandundu et

du Bas-ZaïreFigure 3 Carte administrative de la ville de KinshasaFigure 4 Courbes de la demande des services de distributionFigure 5 Schéma de la chaîne de commercialisation

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Introduction

La sécurité alimentaire peut être définie comme l’accès pour tout le monde età tout moment, à une nourriture suffisante dans le but de mener une vieactive et saine. Le premier chapitre de ce document est une introductiongénérale sur le concept de la sécurité alimentaire.

Cette étude se limite à une analyse de l’impact de l’insécurité alimentairemassive sur le système de commercialisation et de distribution des vivres, enmilieu urbain zaïrois. L’insécurité alimentaire influence le système dedistribution des vivres et vice versa: toute personne se trouvant dans unesituation d’insécurité alimentaire est consommateur, ou à la recherche d’unemploi, ou parfois commerçant, etc. Le manque de pouvoir d’achat est unecontrainte externe au développement du système de distribution des vivres.De plus, une période de crise dans une économie nationale se manifestesouvent par une croissance exponentielle d’un système informel decommercialisation et de distribution des aliments. Ce secteur, avec sesbarrières d’entrée très basses, est accessible à la masse populaire, qui est à larecherche d’un revenu de base et qui essaie de survivre. Cette accessibilité aun impact étonnant mais profond sur la structure et l’efficacité des marchésdes vivres: l’efficacité sociale d’un marché devient parfois plus importanteque l’efficacité économique.

L’hypothèse de base de cette étude repose sur l’existence d’une relationambiguë entre la sécurité alimentaire et un système de distribution urbain desvivres. D’une part, le secteur de distribution contribue à une meilleuresécurité alimentaire, parce qu’il est souvent la seule source d’emploi àlaquelle les personnes en insécurité alimentaire ont accès. Elles ne disposentgénéralement que de leur capital humain: la main-d’oeuvre familiale et unecertaine expérience dans le petit commerce des vivres. D’autre part, laprésence massive des pauvres dans les systèmes de distribution empêche unecompétition efficace et mène à une hausse des marges de distribution et desprix. Ce fonctionnement inefficace aboutit parfois à un niveau de prix élevé,au moment où les plus pauvres font leurs achats de vivres, ce qui diminueleur pouvoir d’achat et leur sécurité alimentaire.

Les environnements institutionnel et physique influencent fortement lescanaux par lesquels l’individu et la famille se fraient un accès à la nourriture.Actuellement, la situation socio-économique au Zaïre est catastrophique, et

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ceci après une dégradation du niveau de vie et du pouvoir d’achat depuisenviron 20 ans. Il en résulte une situation d’insécurité alimentaire massive dela population. La situation dans laquelle se trouvent l’individu et la familleactuellement est fortement déterminée par la politique commerciale,monétaire, fiscale et agricole du Zaïre. Le chapitre deux analyse lescontraintes imposées par le cadre socio-économique et physique au Zaïre, surle système de distribution des vivres à Kinshasa. Le cadre socio-économique,la structure de la population, les infrastructures de transport et les flux desproduits agricoles sont commentés.

Le chapitre trois analyse les stratégies de survie des consommateurs. Le butdu chapitre est d’arriver aux caractéristiques spécifiques de la demande envivres des plus démunis. Le comportement du consommateur avec sademande spécifique, influence la structure et l’organisation des marchés.Ensuite, il existe des associations informelles, des systèmes de solidarité, etc.

Le chapitre quatre décrit l’impact de l’insécurité alimentaire sur la com-mercialisation des produits vivriers. Différents acteurs dans un circuit decommercialisation jouent un rôle dans la réalisation de la sécurité alimentaireallant du producteur au consommateur. Dans l’étude, l’accent est mis sur lesdétaillants et les colporteurs, deux catégories à très basses barrières à l’entrée.

Ces dernières années, le Zaïre a connu une croissance énorme de laproduction des légumes en milieu urbain et périurbain dans tout le pays audétriment de la production en milieu rural. A l’exception du commerce, cesecteur représente une deuxième source d’emploi à basses barrières à l’entrée.Les légumes jouent un rôle important pour le maintien et l’amélioration de laqualité nutritionnelle des repas de la population urbaine. Le chapitre cinqdécrit le changement structurel dans le secteur agricole.

Dans un dernier chapitre, figurent des commentaires sur les stratégiesd’intervention, ainsi que sur l’évolution future du système de distributionurbain des vivres, en partant de deux scénarios macroéconomiques, à savoirune amélioration de la situation actuelle et une stabilisation au niveau actuel.

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Chapitre 1

LE CONCEPT DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Déjà en 1948, lors de la ratification de la Déclaration Universelle des Droitsde l’Homme, le droit à l’alimentation a été reconnu ne fut-cequ’indirectement. Le Conseil Alimentaire Mondial reprit le thème en 1974 etdéclara que: “Chaque homme, femme et enfant a le droit inaliénable d’avoirà manger et ne doit pas souffrir de malnutrition afin de se développerpleinement et de conserver ses facultés physiques et mentales”.

La banque mondiale (1986) a défini la sécurité alimentaire au milieu desannées 80 comme l’accès pour tout le monde et à tout moment à unenourriture en suffisance afin de mener une vie active et saine. L’individu estl’élément central de cette définition. Afin d’arriver à une bonne situationnutritionnelle pour chaque individu, il faut à chaque fois passer par les étapessuivantes:

a) mettre à disposition une alimentation suffisante;b) permettre l’accès individuel à une alimentation suffisante et

adéquate;c) acquérir individuellement une alimentation suffisante et adéquate;d) consommer individuellement une alimentation suffisante et

adéquate;e) digérer l’alimentation consommée.

Le concept de la sécurité alimentaire a évolué au fil des années. Dans lesannées 70, le déficit au niveau de la consommation alimentaire étaitprincipalement attribué à une offre insuffisante et non garantie de nourriture(étape a) sur le plan national et international, pour laquelle la quantiténécessaire était calculée sur la base de besoins physiques objectivementétablis. Sen (1981) a lancé l’idée dans les années 80 que ce n’était pas tantune offre insuffisante et non garantie de nourriture qui était à la base de lafamine et de la sous-alimentation mais bien une carence dans l’accès auxdenrées alimentaires. Les famines se sont d’ailleurs souvent présentées dans

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un environnement où la nourriture abonde. La disponibilité alimentaire estseulement une condition nécessaire, mais pas suffisante à la consommationalimentaire (étape b). En outre la recherche sur le terrain apprend pourtantque même un accès assuré à une alimentation en suffisance ne constitue pasla garantie d’un bon état nutritionnel. La nourriture doit être obtenue (étapec). Ainsi ceux qui se trouvent en insécurité alimentaire préfèrent parfois avoirfaim plutôt que de vendre directement une partie de leurs actifs en échangede denrées alimentaires. Le capital physique peut être divisé en capitalproductif tel que la terre, les animaux, les arbres, l’équipement, et en capitalnon productif tel que les bijoux, une habitation et l’épargne. Le capitalhumain d’une personne comprend son travail, sa connaissance technique etsa santé. Son capital social se construit à partir de sa position sociale, de safamille, de sa parenté et de son cercle d’amis. Un individu vit généralementdans une famille. Ainsi l’acquisition finale de la nourriture se fait au niveaude la famille, tandis que la consommation réellement individuelle est aussidéfinie par la répartition à l’intérieur de la famille. Le rôle de la femmesemble être ici crucial (étape d). Pour arriver à un bon état nutritionnel, lasanté, les soins portés aux enfants et l’environnement sanitaire jouentfinalement aussi un rôle important (étape d-e). La voie vers une bonnesituation nutritionnelle se trouve parsemée d’obstacles.

La sécurité alimentaire constitue une manière d’aborder la problématique dudéveloppement; c’est un principe organisateur. On ne devrait pas s’attendre àdes projets de sécurité alimentaire, mais plutôt à des stratégies de sécuritéalimentaire. Les stratégies sont supposées porter à l’action et les stratégies desécurité alimentaire conduisent à un ensemble de politiques et deprogrammes interconnectés mis en place afin d’améliorer l’accès àl’alimentation.

L’étude de la sécurité alimentaire comprend la chaîne alimentaire dans sonentièreté, depuis la production jusqu’à la consommation en passant par lacommercialisation. L’utilisation de ces différentes formes de capital dans unecombinaison bien définie donne à la personne en insécurité alimentaire accèsà la nourriture. Dans le cas d’une population urbaine, ce capital se bornesouvent à une main-d’oeuvre et une connaissance technique limitée:l’agriculture urbaine et périurbaine et le petit commerce. Il est évident quedans une situation de crise, le nombre des commerçants dans le petitcommerce ainsi que dans l’agriculture urbaine (horticulture et petitsruminants) augmente.

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1.1 - QUESTIONS

1. Comment peut-on définir “la sécurité alimentaire” (5 étapes)?2. Quel est le capital principal d’un individu en insécurité alimentaire?3. Quelles activités économiques dans une métropole africaine sont adaptées

au capital des pauvres?

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Chapitre 2

DESCRIPTION DE LA SITUATION AU ZAÏRE ET À KINSHASA

2.1 - LE CADRE SOCIO-ÉCONOMIQUE

La période 1973-1996 est caractérisée par un déclin continu de l’économiezaïroise et du niveau de vie de la population. Ce déclin est le résultat deschocs subis par l’économie suite à la détérioration de la situation interneet/ou externe. Les déséquilibres internes trouvent leur origine dans ladétérioration des infrastructures de base, la vétusté des équipements etappareils de production, le manque de capitaux et la faiblesse à la fois del’appareil institutionnel et des ressources humaines nécessaires à la gestiontant administrative que financière du pays. Certaines décisions de politiqueéconomique et notamment des projets trop ambitieux et des mesures dezaïrianisation (nationalisation) ont aggravé ces déséquilibres. En outre, lamultiplication des interventions des pouvoirs publics a considérablementgêné le fonctionnement de certaines unités de production. Les déséquilibresexternes ont été amorcés en 1973 à la fin du boom enregistré sur le marchédes matières premières et surtout du cuivre, après le premier choc pétrolier de1973 suivi de celui de 1979, et de la guerre en Angola qui a rendu inopérantle chemin de fer de Benguela. C’est également en 1974 que la zaïrianisationest intervenue, rompant les circuits de distribution et le tissu économique etcommercial. C’est ainsi que l’endettement est devenu le passage obligatoirepour s’approvisionner en biens et services et en capitaux frais en provenancede l’extérieur (Goossens et al., 1992). Cette dette s’estimait à un peu plus dehuit milliards de dollars, soit près de 125% du Produit Intérieur Brut à la findes années 80 (Kalonji, 1990).

Pendant la période 1965-1990, le pays est devenu de plus en plus dépendant dequelques produits pour ses recettes en devises, à savoir le cuivre, le cobalt, lesdiamants et le café. Le cuivre et le cobalt sont produits par la compagnie d’étatGécamines, qui se situe dans la région du Shaba et qui rencontre de grandesdifficultés suite au non-renouvellement et/ou manque de maintenance de son

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équipement (Maton, 1991). La production de 1991 a été estimée à la moitié decelle de 1959, année précédant l’indépendance. En 1993-1995, la production ducuivre a presque cessé. Certaines exportations agricoles traditionnelles sontdevenues non compétitives (coton, huile de palme), mais le café a gagné enimportance. Le secteur manufacturier du Zaïre transforme des matièrespremières d’origine locale ou importées. Faute de compétitivité et de stabilitééconomique, très peu d’exportations sont réalisées. C’est surtout le secteurinformel d’extraction des diamants qui fait vivre le pays actuellement à unniveau économique très bas.

Depuis 1982, le libéralisme économique concerté est la pierre angulaire del’organisation du système économique. Dans cette optique le rôle de l’Etat selimite à fournir les infrastructures économiques et institutionnelles de base. Lesecteur privé doit donc jouer un rôle prépondérant dans le développementéconomique du pays. Le Zaïre poursuit un programme d’ajustement structureldepuis 1983, mais ce programme a été interrompu à plusieurs reprises. Ladifficulté à maîtriser les équilibres macroéconomiques et à stabiliser l’économiefait que finalement il n’y a guère eu d’ajustement structurel au Zaïre.

La situation économique et financière du Zaïre depuis 1991 est marquée parune forte détérioration des équilibres fondamentaux se caractérisant par uneaugmentation rapide du financement monétaire du Trésor, un niveau élevé del’inflation, une dépréciation rapide du zaïre-monnaie, un ralentissementaccentué de l’activité productive et une réduction des exportations. Suite àl’instabilité sociale et aux pillages de 1991 et 1992, beaucoup d’entreprisesformelles ont cessé leurs activités, les investisseurs ont quitté le pays et lesouvriers ont perdu leur emploi formel. L’importance croissante du secteurinformel est due à la disparition du secteur formel.

Actuellement, toute l’attention est orientée vers un changement politiquedans le sens d’une plus grande démocratisation des institutions et de lagestion de l’Etat. La base économique du pays de laquelle dépendent lesrecettes gouvernementales et l’apport en devises s’est amoindri. Suite au non-paiement des salaires dans l’administration, celle-ci ne fonctionne guère.L’Etat a cessé de fonctionner, ce qui a un impact néfaste sur les soins desanté, l’enseignement, l’administration, l’état des infrastructures de transport,la justice, la stabilité de la monnaie, les centres de recherche (agricole etautres), les infrastructures de communication, la coopération internationaleau développement, la sécurité sociale, etc. Il est impossible pour le secteurinformel de remplacer l’Etat dans la plupart de ces domaines.

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Il est évident qu’avec une telle évolution macroéconomique, le nombre defamilles qui se trouvent dans une situation d’insécurité alimentaire aaugmenté de façon exponentielle. Les soins de santé, l’enseignement et lanourriture de base ne sont plus une certitude, et les risques généraux desurvie ont augmenté. Un cadre macroéconomique sain et stable pourraitdavantage améliorer la performance du secteur vivrier par une croissanceéconomique durable, une stimulation de l’épargne et de l’investissement, et lamaintenance et l’extension des infrastructures économiques essentielles. Il estévident que dans la situation actuelle, les ménages ont changé leurcomportement en tant que consommateurs, employeurs, entrepreneurs,membres de la société civile, etc.

En ce qui concerne le système de commercialisation et de distribution des vivres,la situation macroéconomique est largement impliquée:

• peu d’investissements à long terme à l’intérieur du pays; les systèmesformels de collecte et de distribution des intrants disparaissent à causedu non-entretien des routes et des ponts, du manque de carburant, depièces de rechange, de crédits, ainsi que d’un manque de sécuritégénérale;

• le remplacement du secteur formel par le secteur informel, est surtoutdû à la disparition du secteur formel;

• une diminution de la taille des entreprises de commerce, est due auxproblèmes de contrôle et de gestion qui se posent, et aux commerçantsinformels ont peu de moyens financiers;

• les problèmes de télécommunication, l’absence d’un système financier,l’absence d’un système judiciaire, etc., compliquent les transactions; lescommerçants exigent un contrôle personnel de la marchandise, despaiements en espèces;

• l’absence d’une administration efficace complique les procéduresadministratives, les importations des intrants, etc.;

• l’absence d’un système judiciaire complique la résolution des conflitsentre commerçants; il y a plus de paiements en espèces;

• les problèmes de pouvoir d’achat (voir chapitre 3); le consommateurest réticent pour payer les services du marché;

• la mauvaise position concurrentielle des importations vis-à-vis de laproduction locale à cause de l’inflation.

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2.2 - LA POPULATION ET LES CENTRES URBAINS

En 1990, près de 40% de la population du Zaïre vivait dans les zonesurbaines (définies comme des agglomérations d’au moins 5 000 habitants)(Shapiro, 1990). La population totale du Zaïre s’accroît d’environ 3,1% paran. La population urbaine est passée de 3,4 millions en 1960 à plus de 12millions en 1985, ce qui représente un taux annuel d’accroissement de 5,3%.La disparité de croissance des populations urbaine et rurale a augmenté dansles dernières années; de 1975 à 1984, la population urbaine a augmenté de7% contre 1,2% pour la population rurale. L’exode rural qui caractérise leZaïre peut être attribué en partie à la situation sociale généralement médiocredes zones rurales. Vers la fin des années 80, 5% de la population rurale avaitaccès à l’eau potable et 15% seulement disposait de services locaux de santé.Les services d’enseignement étaient inexistants ou d’une qualité inférieuredans de nombreuses zones rurales. Ces cinq dernières années, la situations’est considérablement dégradée.

L’exode rural se fait surtout sentir au niveau des actifs agricoles masculins.Les femmes sont plus représentées dans le groupe de 15 à 55 ans. A titred’exemple, le taux de masculinité (pourcentage d’hommes par rapport auxfemmes) est de 88% dans la région du Bas-Zaïre et de 79% dans la région duBandundu. Les hommes âgés de plus de 55 ans par contre, sont plusnombreux que les femmes du même âge. Une comparaison avec la structurede la population de la ville de Kinshasa révèle que dans la capitale lasituation est inversée. Les hommes âgés de 15 à 55 ans sont nettement plusnombreux que les femmes de la même catégorie d’âge (Institut National de laStatistique, 1989). Le rapport de masculinité y est de 108%.

Capitale depuis 1923, la ville de Kinshasa a attiré d’année en année denouvelles populations. En 1889, la ville naissante s’étendait sur 115 ha pour5 000 habitants. Vers 1919, 14 000 habitants occupaient une superficie de650 ha. En 1960, 5 500 ha à caractère urbain supportaient une populationde 400 000 habitants. En un siècle, la population, sur le site actuel, est passéede 30 000 à plus de 3 millions d’habitants. Les estimations de la populationactuelle varient entre 3,5 et 5 millions d’habitants. La pressiondémographique a créé d’immenses besoins en matière d’habitat,d’équipements publics et de produits alimentaires. Si l’on accepte unecroissance de 6% jusqu’en 1995, et ensuite de 5% - hypothèse raisonnablequoiqu’arbitraire - il y aura 7,3 millions de Kinois en l’an 2000. Si cettepopulation continue à occuper l’espace avec des densités d’occupation

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identiques à celles de 1982, il y aura alors 58 400 ha (584 km2) de surfacebâtie.

La population est caractérisée par une pyramide des âges typique d’un paysen développement: 46% de la population rurale a moins de 15 ans, 9% aplus de 55 ans et 45% de la population rurale entre 15 et 55 ans peut êtreconsidérée comme active. Le coefficient “enfants à charge”, qui est lepourcentage d’enfants âgés de moins de 15 ans par rapport aux adultesappartenant au groupe économiquement productif de 15 à 55 ans, est de1,02. Le Zaïre compte environ un adulte en âge de travailler par enfant âgéde moins de 15 ans. Un pays industriel dispose généralement de deux à troisadultes en âge de travailler pour chaque enfant à charge. A mesure qu’unpays se développe sur le plan social et économique, un coefficient élevéd’enfants à charge affaiblit davantage les ressources des ménages et risqueaussi d’affecter les relatifs programmes de développement du pays. Dans unpays où le nombre d’enfants à charge est considérable, une partdisproportionnée des ressources publiques et privées doit être consacrée auxbesoins des jeunes (soins de santé, éducation, etc.). C’est pourquoi uneréduction notable du coefficient d’enfants à charge permettrait de libérer desmontants non négligeables pouvant être investis dans d’autres secteurs dedéveloppement (The Futures Group, 1985).

Suite à la croissance de la population nationale d’environ 3% par an, laproduction des vivres doit nécessairement s’accroître du même pourcentage.L’exode rural et la croissance des centres urbains de 5 à 7% par anaboutissent à une pression énorme sur le système de commercialisation et dedistribution des vivres: chaque année, 5 à 7% de plus doit êtrecommercialisé afin de maintenir un statu quo. Chaque année, plus demarchés et autres infrastructures de commercialisation sont nécessaires. Lademande de produits agricoles pour le marché de Kinshasa est largementressentie dans les régions du Bandundu et du Bas-Zaïre: respectivement 65et 58% des ménages de ces régions déclarent que la destination finale deleurs produits est Kinshasa. Actuellement, il y a une croissance des activitéshorticoles dans les centres urbains en raison de la détérioration desinfrastructures de transport et des citadins qui essaient de valoriser leurcapital humain, c’est-à-dire la main-d’oeuvre et une connaissance del’agriculture.

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2.3 - LES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT

Les trois grands axes interrégionaux au Zaïre sont la route goudronnée Matadi- Kinshasa - Kikwit (à l’ouest du pays), le fleuve Zaïre et ses affluents (axenord-sud), et le train Lubumbashi - Ilebo (sud-est).

Au Zaïre, l’infrastructure de transport a continué sa tendance générale à ladétérioration, malgré la mise en place du Service National des Routes deDesserte Agricole, les efforts de réhabilitation de l’Office des Routes et del’ONATRA (Office National des Transports), la mobilisation de ressourcesfinancières plus importantes et la mise en place de nouvelles procédures degestion. La pénurie des moyens de transport est surtout matérielle: manque deroutes, de pistes, de camions et de bateaux. La plupart des routes, surtout cellesde l’intérieur du pays, n’ont plus de route que le nom. Les facteurs principauxqui ont contribué à cette dégradation sont: le climat politico-économiqueinstable, le non-respect de la législation sur la charge utile et les vitessesautorisées, l’absence d’un système de drainage et d’un système d’entretienefficaces. Bref, la cause profonde est l’incapacité de mobiliser, de gérer et decanaliser effectivement les ressources financières de manière suffisante pour laremise en état fonctionnel de l’infrastructure économique et pour samaintenance.

Depuis 1991, il y a une dégradation accélérée de la situation. Etant donné la criseprofonde de l’Etat, il n’y a actuellement presque plus d’entretien des routes. Lesaxes cruciaux pour l’approvisionnement de Kinshasa, tels que les routes Kinshasa- Matadi (direction Bas-Zaïre) et Kinshasa - Kikwit (direction Bandundu) sont entrès mauvais état. Seuls les “camions de brousse” passent encore.

Il est clair que le gouvernement zaïrois, qui dispose de faibles ressources, ne peutpas revêtir et entretenir toutes les infrastructures de transport. Il est surtoutimportant qu’en milieu rural, les goulots d’étranglement, tels que les ponts, lesbacs, etc., restent en bon état. Les bailleurs de fonds ont donc ici un rôle à jouer.

L’impact de la détérioration des infrastructures de transport sur l’ap-provisionnement en nourriture de la ville de Kinshasa et la sécuritéalimentaire est le suivant:

• hausse du prix du manioc de 30 à 40 dollars le sac de 70 kg; bienqu’il n’y ait pas de données pour les autres vivres, on peut supposerque l’évolution a été la même;

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• disparition de la production des légumes dans certaines zones deproduction traditionnelles du Bas-Zaïre (à plus de 60 km de la ville);les produits périssables sont difficiles à transporter sur les longuesdistances dans les circonstances actuelles;

• développement d’un secteur agricole urbain et périurbain, qui abénéficié de la dégradation des routes; il s’agit surtout d’uneproduction de légumes et de l’élevage de petits ruminants dans lesparcelles de case;

• réduction de la cueillette des feuilles de manioc en milieu rural due auxproblèmes de transport (surtout à la durée du transport); le maniocs’adapte également bien dans des circonstances urbaines peufavorables;

• les voies fluviales sont plus fréquentées que les routes; certaines zonesde production traditionnelles sont devenues moins importantes;

• le secteur formel se retire encore plus des activités de collecte et detransport à cause des risques élevés, ce qui crée des opportunités pourle secteur informel; le circuit des colporteurs se développe rapidement.

2.4 - LES FLUX DES PRODUITS AGRICOLES ET HORTICOLES

Le système national de commercialisation des vivres au Zaïre peut êtresubdivisé en six sous-systèmes (voir figure 1), entre lesquels il y agénéralement très peu d’interaction en raison des distances et d’un manqued’axes de transport.

En premier lieu, il y a la ville de Kinshasa (voir figure 2), principal centre deconsommation, et les régions du Bandundu et du Bas-Zaïre, principales zonesde production (voir figure 3). Ce système se situe autour de la route Matadi(Bas-Zaïre) - Kinshasa - Kikwit (Bandundu). A Kinshasa, l’horticulturepériurbaine prime. L’offre de manioc, de maïs et d’arachides provient desfermes traditionnelles des régions du Bandundu (par la route et par bateau),du Bas-Zaïre (par la route) et en moindre mesure de l’Equateur et du Haut-Zaïre. Les céréales pour la fabrication du pain sont importées. L’offre delégumes dans la ville de Kinshasa provient principalement d’un grandnombre de petites fermes de subsistance dans la région du Bas-Zaïre, desentreprises maraîchères de la ceinture verte de la ville. La viande bovineprovient des grands élevages du Bas-Zaïre et du Bandundu. Le problème detransport en ville est important en raison du manque de transports publics.Le Bas-Zaïre approvisionne traditionnellement la capitale, ainsi que les villes

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Figure 1Carte administrative du Zaïre

Figure 2Carte administrative de la ville de Kinshasa

Légende

Région: BandunduRoute asphaltée: ..............

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locales, telles que Matadi, Boma, Mbanza-Ngungu, en fruits et légumes. Laplupart des fruits et des légumes, destinés au marché de Kinshasa, sonttransportés par camion, par la route Matadi - Kinshasa. Les quantitésarrivant par train sont minimes. Actuellement, la route Matadi - Kinshasa esten mauvais état, ce qui est fort défavorable au transport des produitspérissables à partir des zones éloignées, et ce qui a causé la disparitionpartielle des activités horticoles dans les zones de Songololo et de Mbanza-Ngungu. Dans la région du Bandundu, l’agriculture est hautementtraditionnelle et concerne principalement les produits vivriers. La cueillettede fruits et de feuilles de manioc, et la production extensive de petitesquantités d’oignons, de tomates, de pili-pili et de légumes-feuillesprédominent. L’horticulture périurbaine est dominée par une production delégumes-feuilles, et destinée à l’autoconsommation. Les petites quantités delégumes, surtout des feuilles de manioc, et des fruits (notamment bananes etananas) sont acheminées vers Kinshasa sur le fleuve Zaïre et par la routeKinshasa - Kikwit.

Figure 3Cartes avec les zones administratives des régions du Bandundu et du Bas-Zaïre

1 Kiri2 Inongo3 Mushie4 Bolobo5 Bandundu6 Kutu7 Oshwe8 Bagata9 Idiofa

10 Bulungu11 Masi-Manimba12 Kenge13 Gungu14 Feshi15 Kahemba16 Kasongo-Lunda17 Popokabaka18 Kimvula19 Madimba20 Kasangulu21 Mbanza-Ngungu22 Songololo23 Luozi24 Seke-Banza25 Tshela26 Lukula27 Boma

Sous-région du Mai-Ndombe: zones 1, 2, 3, 4, 6, 7Sous-région du Kwilu: zones 8, 9, 10, 11, 13Sous-région du Kwango: zones 12 et 14 à 17Sous-région urbaine du Bandundu (ville): 5Sous-région urbaine de Kikwit (ville)Sous-région de la Lukaya: zones 18 à 20Sous-région des Cataractes: zones 21 à 23Sous-région du Bas-Fleuve: zones 24 à 26Sous-région urbaine de Boma: 27Sous-région urbaine de Matadi (ville)Région du Bandundu: zones 1 à 17Région du bas-Zaïre: zones 18 à 27

Matadi

Kinshasa

Kikwit

Echelle:1/7 000 000

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En second lieu, les régions de l’Equateur et du Haut-Zaïre, où l’agricultureest hautement traditionnelle et concerne surtout les produits vivriers. Lemaïs, le manioc, le haricot coloré, la banane plantain et d’autres fruits de laforêt sont acheminés vers Kinshasa sur le fleuve Zaïre. A l’exception de laville de Kisangani, il n’existe que de petits centres urbains. En ce quiconcerne l’horticulture, la cueillette des fruits et des feuilles de manioc, etla production extensive de petites quantités d’oignons, de tomates, de pili-pili et de légumes-feuilles sont les plus importantes. Ensuite, il y al’horticulture périurbaine, dominée par une production de légumes-feuilles,et destinée à l’autoconsommation.

En troisième lieu, les régions du Kasaï, où la production agricole concernesurtout le manioc et le maïs. Il existe une très petite production horticolelocale en milieux urbain et périurbain, comparable à celle du Bandundu, etune commercialisation orientée vers les centres urbains locaux: Mbuyi-Mayi, Kananga, Tshikapa. Ensuite, il y a le développement récent desactivités horticoles aux alentours de Gandajika, dont les produits sontsurtout vendus à Mbuyi-Mayi. Les interactions avec les autres régions sontpeu nombreuses.

En quatrième lieu, la région du Shaba, avec des flux de produits (surtoutmanioc et maïs) qui s’orientent d’abord vers la ville de Lubumbashi, et enmoindre mesure vers Kolwezi et Likasi. Les zones de production se situentprincipalement dans le nord et au centre du Shaba, à partir d’uneproduction périurbaine. Des importations de maïs, de riz, de fruits,d’oignons et de pommes de terre, ainsi que des intrants agricoles,proviennent de la Zambie et de l’Afrique du Sud. A l’exception dutransport de maïs, par rail, au Kasaï, les interactions avec les autres régionssont peu nombreuses.

En cinquième lieu, il y a la région du Kivu, important producteurtraditionnel de légumes (carottes, choux blancs, poireaux, oignons,pommes de terre, etc.). Les légumes sont surtout vendus dans les centresurbains locaux et transportés par avion vers Kinshasa et Lubumbashi. Lessystèmes horticoles sont relativement intensifs et ont un avantagecomparatif, à savoir le climat et l’altitude. Récemment, la productionhorticole a été perturbée par le grand nombre de réfugiés ruandais.Actuellement, il n’y a guère de trafic vers Kinshasa et les autres villeszaïroises.

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Les principales évolutions des dernières années et des années à venir sont:

• le développement de l’horticulture dans les centres urbains et enmilieu périurbain; cette évolution existe dans tous les centresurbains du Zaïre, mais elle est plus prononcée dans la ville deKinshasa; dans d’autres villes, elle connaît une renaissanceremarquable, mais l ’ampleur de l’activité est moindre;l’approvisionnement en légumes traditionnels, à savoir les feuillesde manioc, pose moins de problèmes; ensuite, la plupart desfamilles dans les petites villes sont également des agriculteurs;

• la disparition quasi totale du transport de légumes par avion duKivu vers la ville de Kinshasa est dû à la faible demande à Kinshasaet à la perturbation du système agricole au Kivu;

• la demande créée par l’énorme croissance de la ville de Kisangani,suite aux découvertes des diamants et au développement du secteurdiamantaire;

• le problème des refoulés en provenance du Shaba (environ 1million de personnes) se pose dans les régions du Kasaï;

• la quasi disparition des flux des produits périssables (légumes) àpartir du milieu rural du Bas-Zaïre due aux problèmes detransport; la production en milieu rural est remplacée par celle enmilieu urbain;

• pour les décennies à venir, les points de crise quant à la demandeurbaine en produits vivriers sont: Kinshasa, Kisangani, Mbuyi-Mayi, Kananga et Kikwit.

2.5 - QUESTIONS

1. Quel est l’impact d’une détérioration de la situation socio-économiqueau niveau national sur le système de commercialisation des vivres?

2. Quel est l’impact de la croissance de la population et de l’exode rural surle système de commercialisation et de distribution des vivres?

3. Quel est l’impact d’une détérioration des infrastructures de transport surl’organisation spatiale de la production agricole?

4. De quelle façon la situation macroéconomique influence-t-elle lefonctionnement du système de commercialisation des vivres?

5. Pourquoi le secteur informel de commercialisation remplace-t-il de plusen plus le secteur formel?

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Chapitre 3

LES STRATÉGIES DES CONSOMMATEURS

3.1 - LE CONSOMMATEUR ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Les consommateurs, qui se trouvent en insécurité alimentaire adoptent desstratégies de survie. Tout d’abord, ils adoptent d’autres habitudes alimentaires(voir section 3.5) afin de maximiser leur niveau de consommation et ledéveloppement de certaines activités économiques (souvent le petit commerce)(voir section 3.2), et ensuite ils organisent des systèmes informels de solidaritéafin de minimiser les risques généraux (voir section 3.3).

Dans une première phase d’insécurité alimentaire, le consommateur changeses habitudes alimentaires. Afin de maintenir le niveau de la consommationau niveau du ménage et de l’individu, les produits les plus coûteux sontremplacés par des substituts ou d’autres aliments moins chers (voir section3.4). Premièrement, une baisse du pouvoir d’achat se reflète généralementdans une augmentation de la part relative des vivres caloriques (céréales,tubercules, manioc, etc.), qui remplacent les aliments riches en protéines(viande, soja, haricots, volaille, poisson, etc.). Deuxièmement, des chan-gements entre les composantes de chaque groupe de produits interviennent:entre les différentes catégories de céréales, de viande, de poisson, delégumes, etc.; les céréales les plus chères sont remplacées par d’autres moinscoûteuses; la viande de première qualité par les abats, le riz de premièrequalité par les brisures, les carottes par les feuilles de manioc, etc. En cas deréduction du pouvoir d’achat, le résultat de ces deux types de substitutionsse traduirait par:

• une diminution de la diversité du régime alimentaire;• une concentration sur la quantité, c’est-à-dire une consommation

d’énergie en suffisance;• une diminution de la consommation de protéines et de micro-

éléments.

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Pour un adulte de 55 kg, menant une vie normale et active, la consommationminimale d’énergie nécessaire s’élève à environ 2 450 kcal par jour. Laqualité n’implique pas une quantité suffisante, comme c’est souvent le casdans les modèles nutritionnels basés sur le manioc (par exemple au Zaïre).

Dans une deuxième phase d’insécurité alimentaire, la consommation estsouvent repoussée à des niveaux dangereusement bas. Même en achetant lesaliments les moins chers, le consommateur ne réussit plus à absorber leminimum en calories et en protéines. Le régime alimentaire de la populationen insécurité alimentaire est généralement extrêmement monotone et necontient que quelques vivres, les moins chers. Il est caractérisé par un rôleprépondérant des vivres caloriques, par une insuffisance des protéines et desmicro-élements.

La sécurité alimentaire a été définie en termes d’accès en mettant l’accent surl’individu. La prise de conscience de l’importance de la perception culturellede l’alimentation a conduit à un élargissement du concept de la sécuritéalimentaire.

Les stratégies de survie individuelles sont en général complétées par diversesstratégies de groupe comme l’épargne collective, l’échange de travail, etc. Laréciprocité et les liens informels sont à la base de ce système dont le succèsrepose sur des normes sociales et sur l’intérêt de chacun de continuer à suivreles règles du jeu. Ces systèmes offrent bien une solution pour les risquesspécifiques, mais pas pour les risques généraux. Si, dans une régiondéterminée, chacun est touché par une baisse de l’offre d’emploi, les synergiesinformelles apportent peu de solutions. A ce moment-là, seules comptent lespropres stratégies individuelles, dont fait partie la vente des biens personnels.Les aspects informels des assurances sont commentés dans la section 3.3.

3.2 - LE PETIT COMMERCE, UNE GARANTIE POUR LA SURVIE

La population en insécurité alimentaire vivant dans une métropole africaine,a généralement accès à un choix très limité d’activités. Les investissements sefont souvent dans le petit commerce de distribution des vivres pour lesfemmes, et de collecte et de transport des produits agricoles pour leshommes, en raison des barrières d’entrée extrêmement basses. Pour laplupart de ces femmes, qui sont souvent nées en milieu rural, qui neconnaissent que l’agriculture et le commerce de vivres, qui ont un niveau

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d’éducation restreint, et qui ne parlent souvent que les langues vernaculaires,il n’existe pas d’autres sources d’emploi dans une métropole, surtout enpériode de crise économique. Ces femmes ne font presque jamais appel auxcaisses d’épargne pour les crédits de démarrage et les fonds de fon-ctionnement d’une petite entreprise familiale. Généralement, les fondsnécessaires sont fournis par la famille. Le conjoint constitue la principalesource des capitaux investis: le mari prélève de son salaire un montant qu’ilmet à la disposition de son épouse lui permettant de s’installer au marché dedétail ou d’organiser la vente des biens de première nécessité sur une tabledevant son habitation.

Le premier souci d’un ménage qui vit du salaire mensuel du mari, estd’acheter un sac de manioc. Dès l’achat de ce sac, la survie de la famillejusqu’au mois prochain est en principe garantie. Le reste de l’argent estinvesti dans la marchandise qui est vendue au marché de détail par l’épouseou la fille. Cette activité commerciale aide les ménages à faire un bénéficedirect et à réduire les risques généraux, ainsi:

• l’épouse essaie de gagner un petit surplus afin de compléter lesrevenus du ménage (bénéfice direct);

• l’argent, investi dans les vivres, est débloqué petit à petit; grâce à cesliquidités, l’épouse achète chaque jour une petite quantité delégumes, d’huile de palme, et de poisson, pour la consommationjournalière; ceci permet au ménage d’atteindre la fin du mois(réduction des risques); les fonds sont protégés contre un usageirréfléchi par un membre de la famille et aussi contre l’inflationgalopante (réduction des risques);

• le commerçant devient membre d’un groupe de commerçants oucollègues sur le marché, ce qui lui permet d’obtenir plus facilementun crédit informel en cas de nécessité (maladies dans la famille, fraisscolaires) (réduction des risques);

• dès que le commerçant est “connu”, il obtient plus facilement lamarchandise à crédit;

• les recettes du commerce de détail peuvent être investies dans lessystèmes d’épargne et de solidarité.

Il est clair que “gagner un revenu supplémentaire” n’est que l’une desmotivations pour exercer un commerce. Les marchés de détail jouentégalement un rôle social en situation de crise, rôle qui, pour les marchés dedétail, empêche une compétition saine et efficace, d’où une augmentation des

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marges de distribution (voir section 4.1). En fait, les commerçants sur lemarché évitent de se faire concurrence sur la base des prix, c’est-à-dire de“casser les prix”.

Parfois les vendeurs ont reçu un don de leur famille pour monter uncommerce. Les fonds retournent généralement aux besoins familiaux en casde nécessité, ce qui empêche souvent une bonne gestion et une croissancerégulière des entreprises. Chaque fois que la famille a un problème financier,les fonds de roulement de l’entreprise sont utilisés. Le commerçant est obligéde repartir à zéro.

3.3 - LES ASSURANCES ET CRÉDITS INFORMELS, ET LES SYSTÈMES DE SOLIDARITÉ

Il existe toute une série de systèmes informels d’assurance, de crédit, definancement et de solidarité, souvent organisés par les commerçants sur lesmarchés de détail. En fait, ils’agit pricipalement de systèmes d’épargnecollective et non pas d’un véritable crédit.

Le “crédit en nature” est surtout pratiqué après la période de récolte, lorsqueles produits abondent sur les marchés et que les semi-grossistes (et lescolporteurs) ont des difficultés à les écouler. A ce moment-là, il arrive que lessemi-grossistes cèdent une partie des produits vivriers aux détaillantsmoyennant une caution, ou parfois même sans caution quand il s’agit d’unepersonne à qui le semi-grossiste fait confiance. Le détaillant vend les produitset perçoit sa marge bénéficiaire, ensuite la différence est remise au semi-grossiste. L’inconvénient est que le prix de détail sur les marchés peut baisseralors qu’une convention sur le remboursement a déjà été conclue. Lesdétaillants reçevant parfois des produits à crédit représentent 22%. Le créditest habituel dans le commerce du manioc (36%) et des bananes (33%) etpeu habituel dans le commerce du maïs (14%), du riz (9%), des arachides(17%) et des haricots (16%). Cette forme de crédit, consent à 73% despersonnes de ne rien payer à la livraison, à 13% de payer moins que lamoitié de la valeur et à 14% de payer la moitié ou plus.

Le “likelembe” consent à un groupe de personnes de décider de mettre à ladisposition de l’un des membres, un montant fixe suivant un calendrier deremboursement déterminé. Ce système est surtout populaire auprès desdétaillants en produits vivriers: 27% des détaillants pratique le likelembe. La

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contribution moyenne est de 2,5 dollars par mois. Dans ce cas, cinq membress’engagent par exemple à verser chacun 2,5 dollars par mois à l’un d’entreeux. Pendant les cinq mois qui suivent, chaque membre recevra une seule fois12,5 dollars. Toutes les cotisations sont remises à un membre appelé “mamaya likelembe”. C’est lui qui reçoit l’argent et assure le respect du calendriercommun. Le délai de déroulement du likelembe varie selon le calendrier: unjour, une semaine, quinze jours ou un mois. La moitié de ces personnes utilisecet argent pour le commerce et la famille, un tiers pour augmenter les fondsde roulement du commerce. Il existe plusieurs inconvénients au likelembe,car il s’agit d’un véritable emprunt sans intérêt pour le premier bénéficiaire etd’une épargne sans intérêt pour le dernier. En cas de forte inflation, la pertede pouvoir d’achat pour les derniers est importante. Le retrait unilatéral dulikelembe ou l’incapacité financière de continuer l’opération fait perdre aumembre sortant le droit d’être remboursé dans les délais prévusantérieurement et il n’existe aucune garantie pour les membres en cas de non-remboursement ou de décès de l’un des participants.

Le “muziki” est un système qui ressemble au likelembe. La seule différenceest qu’avec l’argent cotisé le bénéficiaire doit organiser une fête pour lesautres membres.

Dans le système des “cartes”, les détaillants placent les bénéfices ou unepartie de ces derniers chez une personne surnommée “papa carte” ou“mama carte”. Les versements se font suivant un délai et un montant fixe.Il y a par exemple des cartes d’un mois avec un montant fixe par jour, descartes d’une semaine, etc. Le montant est inscrit sur une fiche gardée parl’épargnant et dans un registre. L’argent est collecté sur le marché-mêmepar l’organisateur du système des cartes qui passe d’une table à l’autre, etqui uti l ise l ’argent pour ses propres besoins. Dans ce système,l’organisateur ne prélève pas de pourcentage déterminé. Au moment oùl’épargnant retire son argent l’organisateur du système prélève le versementde base. En supposant qu’il s’agisse de versements journaliers avec unretrait après un mois (30 versements par mois), les frais d’épargne sont de3% (1/30). Les vendeurs participant au système des cartes représentent37%. La contribution journalière moyenne est de 0,3 dollar et varie entre0,06 et 0,8 dollar par jour.

La “Banque Lambert” est un système qui consiste à accorder un crédit pourune période d’un mois, mais avec un taux d’intérêt allant de 20 à 50%. Ils’agit d’un système dangereux pour le détaillant, car les marges bénéficiaires

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des produits vivriers sont généralement basses. Le système est parfois utilisépar ceux qui cherchent un fonds de démarrage ou qui veulent renforcer leurfonds de roulement.

En conclusion, la masse populaire s’adresse peu aux institutions de créditformelles. Les formalités sont trop lourdes, des garanties sont demandées et laperte de temps pour retirer l’argent est trop grande. Les nombreuses réformesdu secteur financier zaïrois dans le passé ont diminué la confiance dans lesinstituts formels. Le système des cartes offre de meilleures conditions auxdétaillants: il n’y a aucune perte de temps, ni de frais de transport, car l’argentest collecté et remboursé sur place et peut être retiré chaque jour. De plus, lesfrais sont minimaux. Etant donné qu’il s’agit généralement de petites sommeset que les frais se situent autour de 3%, le système coûte moins cher qu’uncompte en banque.

Mais l’inflation galopante est telle que ces systèmes ont actuellement perdude leur importance. Le dollar est utilisé pour les épargnes, et la coupureminimale d’un dollar est moins accessible aux plus démunis.

3.4 - LE POUVOIR D’ACHAT ET LA STRUCTURE DES DÉPENSES

En termes réels, les salaires ne représentaient en 1985 que 73% du niveau de1975 pour le secteur privé et 24% pour les agents de l’administrationpublique (Banque du Zaïre, 1988). Depuis 1985, le pouvoir d’achat s’estencore considérablement détérioré en raison d’une érosion des salaires, d’unequasi-disparition du secteur formel et d’un non-paiement des salaires dans lesecteur public depuis quelques années. En janvier 1996, le salaire mensueld’un enseignant était de 3 à 4 dollars, et celui d’un professeur de 5 à 8dollars. Les fonctionnaires avaient des salaires du même ordre de grandeur, etces salaires n’étaient pas payés régulièrement. En 1995 et en 1996, la crise del’Etat zaïrois a eu des implications catastrophiques.

Malheureusement, la dernière enquête sur les budgets des ménages au Zaïredate de 1986. En 1969, 1975 et 1986, Houyoux (1986) a effectué desenquêtes sur le budget et la consommation des ménages à Kinshasa, qui sontla principale source d’information sur les habitudes alimentaires.

En 1975, un ménage moyen comptait 5,8 membres et 7,3 membres en 1986,soit une augmentation de 25%. Ceci est une indication de la pression sociale sur

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les ménages: la jeune génération se marie plus tard, les familles sont obligées deloger plus de membres du clan, etc. Les dépenses par membre avaient diminuéde 26% entre 1975 et 1986. Les dépenses par personne ont diminué de 20%pour la nourriture, de 60% pour les vêtements, de 40% pour l’éducation; ellessont restées stables pour le transport et les soins de santé. Bien qu’il n’existe pasde données, on peut supposer, au vu du cadre macroéconomique, que lasituation s’est détériorée considérablement depuis 1986.

Les enquêtes ont révélé qu’en 1986, la nourriture constituait 62% du budgetd’une famille à Kinshasa (voir tableau 1). Les ménages les plus pauvresdépensaient 70% de leur revenu pour l’alimentation; les ménages les plusriches seulement 50%. Ces niveaux sont extrêmement élevés, ce quidémontre l’impact potentiel d’une baisse des prix des vivres. La nourriture est

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Tableau 1STRUCTURE DES DÉPENSES DE LA CONSOMMATION FAMILIALE

À KINSHASA EN 1969, 1975 ET 1986

1969 1975 1986 1986% % % (ZA)

Vivres 67,4 59,6 62,1 5315Logements 14,9 15,9 15,8 1353Vêtements 7,3 9,3 4,7 402Transport 4,4 7,4 9,4 804Dépenses diverses 3,0 4,6 4,4 275Education 1,0 0,8 0,6 61Soins de santé 2,0 2,4 3,0 258

Total 100 100 100 8568Total en zaïres 31,42 79,59 8568 8568

Nombre de personnes par ménages 5,9 5,8 7,3 7,3Nombre de ménages dans l’enquête 1471 1367 205 205

Comparaison de l’indice des prix et de l’indice des dépenses totales

Prix 100 244 27701Dépenses par ménage 100 253 27253Dépenses par personne 100 257 22026

Source: Houyoux, J. 1986.

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la composante la plus inélastique du budget familial. Les élasticités-revenusétaient de 0,62 pour les vivres, 1,02 pour le logement, 2,55 pour lesvêtements, 3,8 pour les investissements en logement, et 0,79 pour le transport.Une élasticité-revenu de 0,62 implique qu’une hausse du revenu de 1%aboutit à une augmentation de la consommation des vivres de 0,62%. Pourles plus démunis, l’élasticité-revenu pour la nourriture de base est actuellementprobablement autour de 1%: une hausse du revenu de 1% aurait pourrésultat une augmentation de la consommation des produits de base de 1%.

Les ménages se sont adaptés de plusieurs façons à la baisse du pouvoird’achat durant cette longue période. Les changements du régime alimentairesont commentés dans la section 2.1. Les ménages ont désinvesti depuis desdécennies afin de maintenir les dépenses pour la nourriture à un niveauacceptable. Actuellement, ils se trouvent probablement au niveau le plus bas,comme le démontre le nombre de plus en plus petit de biens de base: de 79 à50 grands lits pour 100 ménages de 1969 à 1986, de 348 à 207 chaises, de180 à 154 lits, de 50 à 38 radios. Les maisons sont construites avec la main-d’oeuvre familiale, parce que le taux d’inflation et les frais de constructionélevés réduisent les possibilités de construire à bas prix. L’investissement enlogement est la forme d’épargne la plus valable et la plus répandue. Laqualité des maisons a diminué en choisissant d’autres matériaux deconstruction, en construisant meilleur marché ou en dépensant moins pourl’intérieur et l’entretien.

La pauvreté actuelle de la majorité de la population est la principale cause dela malnutrition. A Kinshasa, les revenus moyens ne sont pas suffisants pourl’achat d’un panier minimal de nourriture et la distribution des revenus estextrêmement inégale: 10% des ménages gagnant plus de 50% du revenutotal de la ville et 90% des ménages gagnant les autres 50% du revenu(Houyoux, 1986).

3.5 - LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LES HABITUDES DE CONSOMMATION

3.5.1 - Les vivres caloriques

Le rapport entre la quantité de produits de base (manioc, maïs, riz, bananesplantains, pain) consommée par personne en 1986 et en 1975 est de 1,01.Bien que la quantité consommée de ces produits de base n’ait pas changé

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durant cette période, les dépenses par mois et par personne ont baissé de 37% entermes réels pour ces produits entre 1975 et 1986. La population urbaine a puprofiter des baisses considérables des prix des cossettes de manioc (- 28%), du riz(- 47%), du maïs (- 66%) et du pain (- 66%) pour maintenir la consommation.Ces baisses sont le résultat d’une baisse des prix au niveau mondial, d’unepression des produits importés sur les prix des produits locaux, des dons, etc.

Bien que la consommation totale (en kg) des produits de base soit restée stableentre 1975 et 1986, des glissements dans la consommation des cinq produitsexaminés (manioc, maïs, pain, riz, bananes plantains) ont eu lieu. Ils sontprincipalement causés par les changements des rapports de prix. Selon Houyoux(1986), la consommation du manioc est passée de 6,1 kg par mois et parpersonne en 1969 à 5,4 kg en 1975 et à 4,6 kg en 1986 (voir tableau 2). Cettechute est uniquement causée par une baisse de la consommation des tuberculesfrais et des chikwangues1. La consommation des cossettes2, la source de caloriesla moins chère, s’est stabilisée, mais celle des deux autres formes les plus chèresa baissé. Les zones de production des tubercules frais et des chikwangues n’ontguère changé (milieu périurbain, jusqu’à 150 km du centre-ville), bien que lapopulation de Kinshasa n’ait cessé de croître. Il en résulte une hausse relative desprix par rapport aux cossettes. L’offre des cossettes par contre, a pu suivre lademande grâce au désenclavement de la région du Bandundu. La duréerestreinte de conservation des chikwangues limite les zones qui peuventapprovisionner Kinshasa. Cette restriction implique que la production n’a paspu suivre la demande, provoquant ainsi une hausse des prix. Au contraire, laproduction des cossettes s’est adaptée à la demande. Depuis la fin des années 70,quand la route nationale Kinshasa - Kikwit a été asphaltée, la région duBandundu est devenue le principal fournisseur de manioc à Kinshasa, et le prixa baissé: les cossettes sont devenues relativement moins chères que lachikwangue.

Les chikwangues ont été remplacées dans le régime alimentaire par le pain, le rizet le maïs, dont la consommation a augmenté de respectivement 34, 44 et 38%de 1975 à 1986. La substitution a une dimension ethnique: la chikwangue et leriz sont deux produits de base du même groupe de population, à savoir leshabitants des forêts du Mayombe et les tribus de la cuvette centrale, del’Oubangui et de l’Uele. Le pain aussi, qui comme la chikwangue ne nécessiteaucune préparation, est un substitut idéal.

(1) Pâte de manioc (2) Tubercule séché

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Ces dernières décennies, le pain est surtout devenu important pour le petitdéjeuner et pour la consommation quotidienne dans la rue durant la journée.Le pain, qui a l’avantage d’être préparé rapidement et consommé sanssuppléments, risque d’être difficilement remplaçable, une fois que lapopulation s’y est habituée, surtout si son prix concurrence celui du manioc.A Kinshasa, la consommation de pain est passé de 1,17 kg par mois et parpersonne en 1976 à 1,58 kg en 1986.

Le maïs est un produit de base de la population originaire du Kasaï et duShaba. Pour ce groupe, la demande est probablement moins sensible auchangement de prix que pour le reste de la population. La consommationmoyenne par Kinois est basse, bien qu’elle soit passée de 220 g à 310 g parmois et par personne entre 1975 et 1986, ce qui peut être considéré comme

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Tableau 2CONSOMMATION DES PRODUITS DE BASE À KINSHASA

EN 1969, 1975 ET 1986

Produits Consommation Dépenses réelles Ratio(kg/mois/personne) (ZA/mois) Q86 P861969 1975 1986 1969 1975 1986 Q75 P75

Manioc 6,12 5,38 4,60 651 647 427 0,85 0,73cossettes 4,17 4,05 4,29 484 516 391 1,06 0,72tubercules 0,91 0,23 0,06 76 19 5 0,26 1,00chikwangues 1,04 1,10 0,24 91 112 31 0,22 1,27

Pain 1,77 1,17 1,58 457 339 156 1,34 0,34Riz 0,61 0,74 1,07 168 218 168 1,44 0,53Plantains 0,37 0,32 0,44 20 24 40 1,36 1,22Maïs 0,27 0,22 0,31 45 44 41 1,38 0,34

Total 9,14 7,83 80 0 1 341 1 272 832 1,01 0,64

Poisson 0,95 1,42 1,05 734 1 268 470 0,74 0,50frais 0,52 0,63 0,86 180 261 205 1,37 0,57autre 0,43 0,79 0,19 554 1 007 265 0,24 1,09

Viande 0,36 0,20 0,28 314 250 152 1,40 0,43Volaille - 0,16 0,38 - 213 313 2,37 0,62

Total - 1,78 1,71 - 1 731 935 0,96 0,54

Quantité consommée en 1986/Quantité consommée en 1975 = Q86/Q75Prix de 1986/Prix de 1975 = P86/P75.

Source: Houyoux, J. 1986.

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une réaction aux changements des prix. Vers la fin des années 1980, lapopulation semblait s’intéresser plus à la farine de maïs dont le prix était plusintéressant que celui du manioc. Ceci a abouti à une consommation demélanges de farine (manioc et maïs). Une bouillie à base de farine de maïs estégalement devenue populaire pour le petit déjeuner.

Le riz, le maïs et le pain sont entrés dans le régime alimentaire grâce à defortes baisses des prix. L’évolution de leur consommation dépendra del’évolution de leurs prix vis-à-vis du manioc, surtout pour les deux premiersqui constituent la nourriture de base d’un petit groupe de la populationkinoise.

En conclusion, pour le segment le plus pauvre de la population, la cossette demanioc est la principale source de calories, car son prix est plus avantageux.Souvent elle est même la seule source, ce qui peut provoquer des problèmesnutritionnels, surtout aux enfants. Les mélanges de farine de maïs et demanioc sont une alternative intéressante en raison de leur meilleure valeurnutritionnelle.

3.5.2 - La viande de boeuf, le poulet et le poisson

A Kinshasa, la consommation des produits d’origine animale comprendsurtout la viande de boeuf locale ou importée, la volaille, principalementimportée, et le poisson. Le poisson séché et fumé est souvent de provenancelocale, le poisson salé est partiellement importé et le poisson frais est presquetoujours importé. Le poisson frais provient des eaux internationales au largede l’Afrique. Il est directement importé au Zaïre par les chalutiers(principalement des pays de l’Est) et est de basse qualité. Entre 1975 et 1986,la consommation totale de viande, volaille et poisson n’a guère changé (1,78kg par personne et par mois en 1975 contre 1,71 kg en 1986) grâce à unebaisse du prix moyen au kg de 46%. Cette baisse des prix reflète, pour cesproduits, une tendance générale à la baisse ainsi qu’un glissement de laconsommation vers les formes les moins chères et parfois de qualitéinférieure.

Entre 1978 et 1984, une forte baisse du prix du poisson frais, causée par uneforte augmentation des importations de qualité inférieure a eu lieu. Depuis1984, les prix du poisson fumé, séché et salé ont doublé en prix réels, et celui

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du poisson frais n’a que légèrement augmenté. Ceci a abouti à unesubstitution du poisson fumé et salé par le poisson congelé non éventré,appelé “mpiodi”. Ainsi la consommation du poisson frais est passée de 0,63kg en 1975 à 0,86 kg en 1986, tandis que celle du poisson transformé (salé,fumé et séché) a diminué, passant de 0,79 kg par mois et par personne en1975 à 0,19 kg en 1986. La consommation de poisson séché, qui coûte leplus cher, a diminué de 84%, le poisson fumé de 70% et le poisson salé, quiest le meilleur marché, de 64%. Il est clair qu’il s’agit d’effets de substitution.La baisse de la consommation du poisson, de 1975 à 1986, a partiellementété compensée par une augmentation de la consommation de viande de boeuf(viande “capa”; abats, tripes, etc.) et de poulet (poulet à bouillir). Pour cesderniers, la qualité des importations a également subi une baisse.

La baisse générale des prix de la viande de boeuf, du poisson frais et de lavolaille a atteint la position concurrentielle de la pisciculture et des élevageszaïrois, mais elle a été très avantageuse pour les consommateurs des centresurbains. L’afflux de produits importés à des prix très concurrentiels a fait quela population citadine s’est ruée vers les produits importés au détriment desproduits locaux.

Pour les plus pauvres, les produits d’origine animale sont des vivres de luxequi sont généralement hors de portée. Parfois, ils peuvent se permettred’acheter un poisson frais ou des haricots. Les haricots, riches en protéines,sont un substitut de la viande et du poisson.

3.5.3 - Les légumes

Selon une étude réalisée par le Ministère de l’Agriculture zaïrois en 1985, untotal de 53 800 tonnes de légumes frais ont été commercialisées à Kinshasaen 1985, soit une moyenne mensuelle de 4 480 tonnes (voir tableau 3).Selon l’étude, 29 000 tonnes (54%) étaient produites dans la ceinturemaraîchère. La région du Kivu produisait 13,7%, soit 7 630 tonnes (surtoutpommes de terre, carottes, choux, poireaux, etc.). Les importations nereprésentaient que 2,2% du total avec 1 194 tonnes. Les variétés de légumesimportés peuvent être comparées, pour l’essentiel, avec celles qui sontproduites au Kivu. Environ 24% des légumes provenaient du Bas-Zaïre(feuilles de manioc, tomates, patates douces, piments, etc.), 4% duBandundu (surtout mfumbwa et feuilles de manioc), et 2% du Plateau deBateke à 50-150 km de Kinshasa (surtout feuilles de manioc). Les

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importations concernaient surtout l’oignon. En 1985, il s’agissait de 600tonnes d’oignons pour une importation totale de 1 194 tonnes. Le tableau 4présente le résultat d’une enquête sur la consommation de légumes et defruits à Kinshasa en 1986 menée auprès de 250 ménages à Kinshasa). SelonHouyoux (1986), la consommation était de 77 g par jour et par personne en1986, soit 46 g de feuilles de manioc et 31 g d’autres légumes. Les feuilles

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Tableau 3APPROVISIONNEMENT DE KINSHASA EN LÉGUMES

SELON LA PROVENANCE, EN 1985 (TONNES PAR AN)

Produits Bas-Zaïre Bandundu Ceinture Kivu Importationsmaraîchère

Patates douces 1 543 21 - - -Haricots blancs 912 68 111 - -Aubergines 190 41 - - -Tomates 2 225 - - 10 104Piments 1 252 2 - - -Oignons 418 - - 50 599Feuilles manioc 5 753 286 3 899 - -Biteku-teku 570 - 9 203 - -Mfumbwa 204 430 - - -Bilolo - - 1 329 - -Céleri - - 1 145 - -Ciboule - - 1 338 - -Concombres - - 200 - -Epinards - - 1 059 - -Laitues - - 465 - -Matembele - - 2 069 - -Ngai-ngai - - 4 562 - -Pointes noires - - 1 528 - -Pommes de terre - - - 2 190 337Ail - - - 10 8Carottes - - - 1 540 14Haricots verts - - - 3 12Choux - - - 2 210 4Poireaux - - - 1 400 6Salades - - - 2 44Chou-fleurs - - - 4 21Divers - - 2 264 46 45

Total 13 067 848 29 172 7 465 1 192

-: pas de données.

Source: BEAU, 1986.

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de manioc sont de loin les principaux légumes. Elles couvrent plus de 50%de la consommation totale en légumes à Kinshasa et plus de 70% ailleurs.Leur consommation est surtout élevée en milieu rural zaïrois. Ellesreprésentent une source importante de protéines. La consommation desfeuilles de manioc s’élevait à 1,6 kg par personne et par mois en 1969 et se

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Tableau 4QUANTITÉS CONSOMMÉES PAR PERSONNE EN UN MOIS

ET ÉLASTICITÉS-REVENUS DES LÉGUMES ET DES FRUITS À KINSHASA

Espèces Kg/mois/personne Elasticités-revenus

Ignames 0,005 -Patates douces 0,016 -Pommes de terre 0,027 2,70

Sous-total féculents 0,048 -

Carottes 0,001 0,64Oignons 0,137 0,42Feuilles de manioc 1,296 0,50Salades 0,004 -Epinards 0,100 0,87Lengalenga 0,322 -Tomates fraîches 0,059 0,34Ngai-ngai 0,059 0,54Matembele 0,103 0,57Aubergines 0,009 3,00Choux blancs 0,001 2,06Pili-pili 0,157 0,20

Sous-total légumes 2,248 0,30

Banane douces 0,124 1,41Citrons 0,004 1,26Oranges 0,100 1,63Avocats 0,020 1,09Goyaves 0,005 0,62Mangues 0,002 1,70Ananas 0,003 -Autres 0,011 -

Sous-total fruits 0,269 1,35

Total 2,565 -

Source: Houyoux, J. 1986.

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stabilisait à 1,3 kg en 1975 et 1986 (Houyoux, 1986). Etant donnél’évolution du pouvoir d’achat, la consommation par personne a baissédepuis 1986. Actuellement, elle est estimée à 50 g par personne et par mois,mais de nombreux glissements ont eu lieu.

Les légumes-feuilles (feuilles de manioc, d’igname, de patates douce, deharicots, d’amarante, d’oseille, etc.) constituent toujours la base de laconsommation des légumes en milieu urbain zaïrois. Ces dernières années, lesfeuilles de la patate douce (matembele) ont gagné beaucoup d’importance etont partiellement remplacé les feuilles de manioc. Selon plusieursconsommateurs, le matembele est actuellement le deuxième légume àKinshasa. C’est pour cette raison que cette espèce est surnommée “Mokonziya Ndunda” ou “chef des légumes”. La substitution se fait pour deux raisons.Tout d’abord, les feuilles de la patate douce sont plus faciles à préparer et à unmoindre coût, ensuite, elles sont devenues relativement moins chères que lesfeuilles de manioc. L’offre en feuilles de manioc a probablement diminué (entermes relatifs) à cause de la détérioration de l’infrastructure routière et duglissement relatif vers le transport fluvial. Les feuilles de manioc ne supportentqu’un transport de un à deux jours. La croissance actuelle du secteurmaraîcher urbain est basée sur une production de légumes-feuilles. Laproduction de feuilles de manioc en milieu urbain a connu une croissanceimportante, mais la qualité de ces feuilles est généralement mauvaise car ellescraignent la poussière, la pollution, etc. Elles sont surnommées “caoutchouc”.

Au Zaïre, les légumes sont rarement consommés frais. Les légumes-feuillessont cuits et préparés avec une sauce à base d’huile de palme ou d’huiled’arachide, de tomate (souvent en boîte), de pili-pili et d’oignon. Laconsommation de ces trois produits, dits complémentaires, variait autour de150 g par personne et par mois en 1986. Ils sont cultivés dans toutes lesrégions, généralement en petites quantités, pour l’autoconsommation. Enmilieu urbain, la tomate fraîche est un produit de luxe, qui n’est pascompétitif. La consommation de tomates en boîte est le double de celle detomates fraîches.

L’élasticité-revenu de la consommation d’un produit est la mesure de lavariation relative du revenu et permet d’analyser la façon dont se comportele ménage lorsque le revenu varie. Si le coefficient est supérieur à 1, la partde la dépense considérée croît relativement plus que les revenus, et lorsquecroissent les revenus, si le coefficient est égal à 1, la part est constante, s’ilest inférieur à 1, la part diminue relativement moins que les revenus. Le

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poste “légumes” est inélastique, tandis que les fruits ont une élasticitésupérieure à 1. L’élasticité-revenu pour les légumes était de 0,30 en 1986, cequi indique qu’une augmentation du revenu de 1% provoquerait uneaugmentation de la consommation de légumes de 0,30%. Les composantesdu repas journalier, à savoir les légumes-feuilles, le pili-pili, l’oignon et latomate avaient en 1986 des élasticités-revenus assez basses: entre 0,30 et0,50. L’élasticité des légumes-feuilles se situe autour de 0,50. Actuellementces élasticités-revenus se situent probablement autour de 1, en raison de labaisse du revenu. Une augmentation du revenu aurait un impact direct et dumême ordre de grandeur relative sur la consommation de légumes.

La ciboule, le poireau et l’ail sont utilisés comme condiments dans les platstraditionnels. Les achats de légumes se font généralement en très petitesquantités, destinées à la consommation de quelques jours. Le chou blanc, leconcombre, l’aubergine, la pomme de terre et la laitue sont des produits degrand luxe: les élasticités-revenus varient entre 2 et 3. Une baisse desrevenus de 1% implique une baisse de la consommation de 2 à 3%. Etantdonné la détérioration de l’économie et du pouvoir d’achat durant cesdernières années, la consommation de ces produits a baissé de façonsignificative. De plus, une partie importante du groupe cible pour ceslégumes, dits de type “européen”, a quitté le Zaïre ces dernières années,provoquant un glissement relatif vers les légumes-feuilles dans les habitudesalimentaires.

D’une façon générale, la consommation de fruits est basse à Kinshasa. Elleétait de 0,30 kg par mois et par personne en 1986 alors qu’elle était encorede 0,63 kg en 1969 et de 0,49 kg en 1975. Elle concerne surtout la bananedouce et l’orange. Les fruits sont caractérisés par une élasticité-revenu de1,35, ce qui indique que le niveau des revenus a un impact important et quela demande en fruits a fortement diminué ces dernières années en raison de labaisse du pouvoir d’achat.

3.6 - LE CONSOMMATEUR EN INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LE MARCHÉ DES VIVRES

Une augmentation du nombre de consommateurs en insécurité alimentaireaboutit généralement à un accroissement du nombre de commerçants dansles marchés de détail. De plus, les changements n’interviennent pas quedans le régime alimentaire, mais également dans d’autres aspects de la

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demande, tels que les services du marché demandés, les quantités, etc. Cettesection commentera ces aspects.

3.6.1 - La demande en services du marché

Le changement de la demande totale pour les services du marché dépendprincipalement du revenu du consommateur: plus le revenu disponible estélevé, plus le consommateur peut se permettre les services du marché. A titred’exemple, il est intéressant d’examiner le commerce du manioc. En pratique,le consommateur l’achète à tous les stades, c’est-à-dire de l’arrivage du sac demanioc à Kinshasa jusqu’au verre de farine. Toutes ces formes de manioc setrouvent sur la courbe de l’offre (voir figure 4). A gauche, à bon marché, lesac de cossettes sur le parking, à droite, le verre de farine au wenze près de lamaison. Le consommateur peut acheter à plusieurs niveaux, selon la forme

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0

DI

QIQuantité de services par unité

Marge de distribution

P1

P2

P3

P4

Q2 Q3 Q4

D2

D3

D4

Figure 4Courbes de la demande des services de distribution

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du produit, le degré de nettoyage, l’unité de mesure, etc. Dans l’exemple, lesconsommateurs sont classés en quatre groupes, du revenu le plus bas (D1) aurevenu le plus élevé (D4). Les différentes courbes de la demandecorrespondent aux différentes classes de revenus. Chaque niveau du circuitde distribution occupe une autre position sur la courbe de l’offre. Celarevient donc à dire que le consommateur peut acheter le manioc:

• au marché de demi-gros, par sac, non trié, avec le transport à sacharge (Q1, P1);

• au marché de détail, par bassin, généralement après triage (Q2, P2);• au marché de détail, par tas (Q3, P3);• au marché de détail, sous forme de farine, par gobelet, avec marge

de transformation (Q4, P4).

Pour chacun de ces niveaux, la quantité de services offerts, ainsi que la margede distribution diffèrent.

Il résulte directement de cette insécurité massive que le consommateur achèteses vivres caloriques de base, par exemple le manioc, le plus souvent aumarché de demi-gros. Il préfère acheter un sac de cossettes de manioc, produitavec une valeur ajoutée minimale, et organiser le transport, le triage, et latransformation lui-même afin de valoriser sa main-d’oeuvre (Q1, P1). Les pluspauvres sont obligés d’acheter au fur et à mesure qu’ils gagnent de l’argent, enpetites quantités au marché de détail, et souvent à un prix plus élevé.

3.6.2 - L’impact du jour de paie

En général, les ménages achètent le sac de manioc pour leur consom-mation mensuelle au moment où ils reçoivent leur salaire. Dès que cettequantité est consommée, ils achètent de petites quantités afin de couvrir lapériode jusqu’au salaire suivant. Le paiement des salaires se fait à une datefixe. Les fonctionnaires perçoivent leur salaire le 20 du mois et lesemployés du secteur privé reçoivent souvent une avance le 15 du mois et lereste à la fin du mois. Beaucoup de salariés du secteur informel sont payésà la fin du mois. Ceci se reflète également dans les variations des prix dumanioc au cours du mois. Le maximum est atteint dans les trois premiersjours du mois, le minimum, du 13 au 15 du mois. L’amplitude dumouvement est de 11% du prix moyen. Ce mouvement au cours d’unmois n’existe que pour le manioc du Bandundu. Ce dernier, d’une qualité

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inférieure à celui du Bas-Zaïre, est acheté en premier lieu par les personnesà faibles revenus qui achètent le manioc directement après paiement deleur salaire.

L’inconvénient de cette fluctuation est que les consommateurs les pluspauvres paient leur sac de manioc relativement cher car, ne pouvant plusattendre, ils sont obligés d’en acheter au début du mois.

3.6.3 - La vente au micro-détail

Les autres signes de croissance de l’insécurité alimentaire sont les ventes aumicro-détail autour des marchés et sur les tables devant les maisons. Lesvendeurs se concentrent surtout sur les condiments, le sucre, et les ingrédientspour la sauce qui accompagne le fufu (pâte de manioc).

En 1995, il était possible d’acheter le quart d’une petite boîte de purée detomates (70 g), certains consommateurs ne pouvant plus acheter une boîteentière. On trouve aussi autour du marché de détail, des micro-détaillantsassis par terre, qui vendent des demi-oignons, des tiges de ciboule et de céleri,des feuilles de poireau, etc.

Les clients du marché de micro-détail sont souvent les plus pauvres qui nepeuvent se permettre que d’acheter de très petites quantités. Ceux quiorganisent le commerce, sont des pauvres avec très peu de moyens et sansaccès au crédit pour acheter de la marchandise. Ce système est pervers dansle sens où les prix au kg, à ce niveau du commerce, sont souvent très élevés,tandis que les clients sont les plus pauvres. De plus, les conditions de vente entermes d’hygiène et de fraîcheur des produits, sont souvent moins bonnes quesur les marchés réguliers.

3.6.4 - Le marché des pauvres: “wenze ya bitula”

Le marché officiel est ouvert de 8 heures à 15 heures. Après 15 heures, ledétaillant brade les invendus pour le bonheur des petites bourses. Ceci alieu dans le marché appelé “wenze ya bitula”, qui se tient autour desmarchés réguliers et qui n’utilise pas leur infrastructure. Les commerçantsessaient de récupérer leur fonds de roulement et d’éviter les pertes dues auxinvendus. Un vendeur qui a absolument besoin d’argent, pour cause de

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problèmes familiaux, peut également vendre des produits non périssablesdans ce marché. Les bénéfices nets sont bas. Souvent, le vendeur y perd del’argent, mais de cette façon, il peut au moins partiellement récupérer soncapital sans incider sur le prix normal du marché et sans rompre l’équilibreexistant entre les détaillants. L’offre, surtout des produits non périssables,est si basse et irrégulière au “wenze ya bitula”, que les consommateurs n’yachètent pas régulièrement. Il y a dix ans encore, l’achat sur les “wenze yabitula” avait un cachet négatif, alors qu’aujourd’hui l’acceptation socialeest plus générale.

3.7 - CONCLUSIONS ET CONTRAINTES

La structure de la consommation des vivres de la population urbainedétermine partiellement les quantités, les qualités, les formes des produits,et les services ajoutés que procurent le producteur et le commerçant. End’autres mots, la demande du consommateur englobe un nombre decontraintes pour le système de production et de commercialisation. Dansla ville de Kinshasa, le repas de base d’une personne en insécuritéalimentaire comprend des tubercules séchés de manioc préparés sousforme de pâte, consommés avec des légumes-feuilles préparés, et lorsquec’est possible, avec une sauce à base d’huile de palme, d’oignon, de tomateet de pili-pili. Quelques fois, on ajoute du poisson frais de mer ou de lavolaille. Le repas est très monotone et la qualité nutritionnelle extrê-mement basse. Le tubercule séché ou cossette est la source de calories lamoins chère.

La demande de vivres des citadins en insécurité alimentaire a les caractéris-tiques suivantes:

• étant donné leur pouvoir d’achat, ils préfèrent acheter les vivres lesmoins chers, délivrés avec le minimum de services supplémentaires(une valeur ajoutée limitée, un emballage qui ne coûte pas cher, unminimum de standardisation, etc.);

• la consommation de la viande est abandonnée et/ou évolue vers lestypes les moins chers: abats, tripes, etc.; les haricots, le pouletimporté et le poisson frais remplacent partiellement la viande deboeuf;

• le poisson le meilleur marché est le plus populaire: congelé, nonéventré, importé en vrac, ou vendu à la pièce au marché de détail;

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les détaillants l’achètent en blocs congelés de 25 kg; le poisson local(fumé, séché) coûte trop cher; la quantité de poisson ajoutée à lasauce a souvent été réduite, il ne s’agit plus que d’une petite quantitéajoutée pour le goût;

• la population n’achète qu’un assortiment limité de légumes:légumes-feuilles (patate douce, amarante, feuilles de manioc,haricots, courge, etc.), pili-pili, oignons, tomates (en boîtes); leslégumes-feuilles les moins chers (feuilles de patate douce etd’amarante) ont pris de l’importance;

• la préparation (longue ébullition) des légumes, de la viande ou dupoisson, implique que la présentation et la qualité visuelle ontsouvent une importance secondaire;

• les débouchés des légumes tels que les pommes de terre, les choux,le poireau, la ciboule, le céleri, etc., sont actuellement limités entermes relatifs de population, bien que pour les grandes villes ils’agisse d’un nombre considérable de consommateurs.

En ce qui concerne la structure des marchés, l’impact de la demande actuelle duconsommateur est la suivante:

• les circuits de distribution informels sont les mieux adaptés auxbesoins des pauvres; ils offrent les produits et les services demandéspar la majorité de la population; ce service n’est offert ni par lespetits magasins, ni par les grands; la population n’a pas lapossibilité de conserver les produits périssables dans un frigo; elleachète chaque jour des légumes, près de la maison au marché duquartier, en petites quantités; ceci implique un nombre importantde points de vente, service offert par les marchés de détail dusecteur informel;

• la population n’est pas prête à payer pour une qualité supérieureou des services de marché complémentaires; le développement defilières, qui s’adressent à la masse populaire, et qui offrent unproduit de meilleure qualité, ou avec une valeur ajoutée plus élevée,n’est possible que si le prix n’augmente pas;

• les structures typiques, telles que la vente au micro-détail, lademande élevée à la fin du mois, l’augmentation du nombre decommerçants et par conséquent des marges, ont pour conséquenceque les plus pauvres paient parfois un prix élevé pour les produitsde base, recevant souvent un produit de mauvaise qualité.

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Les systèmes de solidarité concernent surtout les assurances et les créditsinformels entre consommateurs.

3.8 - QUESTIONS

1. De quelle façon le consommateur s’adapte-t-il à une situation d’insécuritéalimentaire?

2. Quels sont les grands changements dans le régime alimentaire d’unefamille qui évolue d’un niveau de vie élevé vers une situation d’insécuritéalimentaire?

3. Définissez les caractéristiques de la demande en vivres d’une personne eninsécurité alimentaire.

4. Quelles sont les structures de distribution des vivres à Kinshasa qui ontété créées pour répondre à la demande spécifique des gens en insécuritéalimentaire?

5. Quelles sont les caractéristiques d’un système de solidarité?

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Chapitre 4

COMMERCIALISATION ET DISTRIBUTION URBAINE DES VIVRES

4.1 - LE CIRCUIT DE DISTRIBUTION

La collecte des produits agricoles, leur transport aux marchés urbains et ladistribution urbaine représentent une part importante du prix auconsommateur: la marge de commercialisation est souvent de 50 à 85% duprix au consommateur (voir tableau 5). Pour les produits vivriers de faiblevaleur marchande destinés à l’alimentation d’une population disposant de revenus modestes et qui dépense plus de 70% du revenu pour lanourriture, la marge de commercialisation représente une part importante dupouvoir d’achat. En même temps, l’agriculteur et l’horticulteur en milieurural, périurbain ou urbain reçoivent un prix bas pour leurs produits.Intervenir dans la commercialisation afin de réduire les marges pour-rait avoir un impact significatif sur le pouvoir d’achat de la populationurbaine et surtout des plus pauvres à travers une baisse du prix au marché.Ainsi les agriculteurs pourraient en profiter à travers un prix plus élevé à laproduction.

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Tableau 5STRUCTURE DES PRIX DES PRODUITS AGRICOLES

EN PROVENANCE DU BAS-ZAÏRE (BZ) ET DU BANDUNDU (BDD)SUR LES MARCHÉS DE DÉTAIL DE KINSHASA EN 1987, 1988

ET 1989 (100% = PRIX AU CONSOMMATEUR)

Manioc Maïs ArachidesBDD BZ BDD BZ BDD BZ

Producteur 22 38 33 36 35 58Semi-grossiste 68 66 84 83 78 77Détail 100 100 100 100 100 100

Source: Goossens, F. 1994.

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Production agricole +

Transformation Ö la ferme

Collecte + emballage + triage

Importation Transport routier et fluvial

Vente en gros

Vente en demi-gros

micro-dÇtail

Consommation

Vente au

Vente au dÇtail

Figure 5Schéma de lachaîne decommercialisationSource:Goossens, F.,Minten, B. etTollens, E., 1994.

Production agricole +Transformation à la ferme

Collecte + emballage + triage

Transport routier et fluvialImportation

Vente en gros

Vente en demi-gros

Vente au détail

Vente au micro-détail

Consommation

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Le circuit de distribution des vivres à Kinshasa ressemble à celui d’autres paysafricains. La seule différence réside dans les circonstances zaïroises, où le rôledu secteur informel est extrêmement important. Le circuit est composé d’unsoi-disant “circuit court” et d’un “circuit long”. Le “circuit court” comprendsouvent un unique intermédiaire, parfois deux, entre le producteur et leconsommateur, à savoir le colporteur (par-colis) et/ou le détaillant. Le “circuitlong” comprend un importateur ou collecteur, un grossiste, un semi-grossiste etun détaillant. Le “circuit court” est en général tout à fait informel et le “circuitlong” souvent partiellement formel (voir figure 5). Une situation extrêmed’insécurité alimentaire a un impact sur tous les niveaux de la chaîne decommercialisation, mais surtout au niveau du détail et des colporteurs enraison des barrières d’entrée qui sont extrêmement basses.

La chaîne de commercialisation comprend les intermédiaires suivants:

• les par-colis, qui achètent les vivres auprès des paysans et revendent audétaillant et même au consommateur en ville; ils louent une place surun véhicule pour eux-mêmes et leur produits;

• les détaillants qui achètent auprès des par-colis et des semi-grossistes etvendent leur produit au marché de détail ou dans la rue (vendeursambulants, tables devant les maisons, etc.) au consommateur;

• les semi-grossistes qui organisent la vente dans un dépôt et qui fontpartie du soi-disant “circuit long”; ils commercialisent principalementdes produits qui arrivent par bateau, qui sont importés ou qui arriventpar camion mais qui ne sont pas directement vendus sur les parkings etqui passent par les grossistes, puis par les semi-grossistes; l’unité de venteest généralement le sac; à Kinshasa, le commerce de demi-gros estrelativement difficile à définir; les fournisseurs des semi-grossistes sontaussi bien des grossistes, des semi-grossistes, des producteurs que des par-colis; parfois les semi-grossistes font également fonction de grossistes,transporteurs, collecteurs, etc.; il arrive aussi que les consommateursachètent directement auprès des semi-grossistes et ceci surtout pour lanourriture de base (manioc, bananes, riz, maïs, etc.); théoriquement, lessemi-grossistes fonctionnent dans ces cas comme des détaillants;

• les grossistes exerçant généralement depuis longtemps, s’occupaientsouvent par le passé de la collecte de l’arachide, du maïs, du riz, et ducafé à l’intérieur du pays, et de la distribution des intrants, des biensmanufacturés et du poisson salé; actuellement, ils ont réduit leursactivités à l’intérieur du pays et se concentrent surtout sur l’im-portation des vivres;

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• les transporteurs routiers et fluviaux peuvent être propriétaire,locataire ou gérant d’un camion ou d’un bateau; la plupart du temps,ils ne possèdent pas toute la marchandise transportée sur le camion;les par-colis louent une place sur le camion ou le bateau.

4.2 - LES DÉTAILLANTS

4.2.1 - Les marchés de détail

La ville de Kinshasa compte un grand nombre de marchés de détail dispersésdans toute la ville, dont la taille est très diverse et qui forment le niveau leplus bas du système de distribution en produits vivriers. En mai 1989, uneliste complète des marchés de détail a été établie: Kinshasa en possède 115.Environ 20% des vendeurs ne disposent pas d’une table. Sept marchés sontuniquement constitués de vendeurs installés par terre, et 22 autres, devendeurs avec des tables. Tous les marchés n’ont pas les mêmes horaires, 68marchés fonctionnent uniquement durant la journée, 40 durant la journéeet la soirée et 7 seulement le soir. Les marchés les plus grands sont lemarché Central (15 500 vendeurs), celui de Gambela (4 600 vendeurs), deSomba Zikida (+Type KA) (4 000 vendeurs), de Matete (3 600 vendeurs) etde Lemba (2 100 vendeurs). Selon une enquête menée en 1985, il existait85 marchés de détail avec 72 000 vendeurs (Kanene, 1990). Les 5 marchésles plus grands comprenaient 30 000 vendeurs, soit 42% du total. Lesmarchés de Kinshasa sont classés en deux catégories, à savoir les marchésurbains et les marchés de zone. Les marchés urbains sont ceux dont lagestion, l’aménagement, l’équipement et le bon fonctionnement nécessitentune intervention de l’autorité urbaine, tandis que ceux de la deuxièmecatégorie tombent sous l’autorité des responsables de zone (la ville deKinshasa comprend 24 zones administratives). Généralement, chaque zonedispose d’un grand marché de détail et de plusieurs wenzes. Ces marchésconstituent une importante source de revenus pour les autorités de zone.

Le commerce en produits vivriers est principalement entre les mains desfemmes (plus de 95% des détaillants sont des femmes), qui pratiquent lecommerce pour la survie. Le manioc, les légumes, l’arachide, et la bananesont généralement achetés auprès des par-colis. Ils sont presque toujourscommercialisés à travers le circuit court et informel. Les achats se font surlesdits “parkings”, où les camions venant de l’intérieur du pays s’arrêtent.Kinshasa compte environ 65 à 70 parkings. Le riz, les haricots, et la farine

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de maïs sont achetés auprès des semi-grossistes, qui s’approvisionnent eux-mêmes auprès des grossistes.

L’infrastructure des marchés est souvent pauvre: les tables sont en bois, lesol n’est pas goudronné, la voirie et les installations sanitaires sontinexistantes. Néanmoins, une série de taxes existe dans le but spécifique(souvent théorique) d’entretenir l’infrastructure, d’assurer l’hygiène, etc. Lesproduits sont répartis sur le marché de telle sorte que chaque produitoccupe une aire déterminée appelée pavillon. Chaque pavillon comprend unnombre d’étals, qui sont à leur tour composés de tables. Il existe deux typescourants d’étal: le plus fréquent se compose de quatre piliers soutenant unetoiture à deux versants. Les tables sont disposées de manière à former uncarré. Le deuxième type d’étal a une forme rectangulaire. Un étal comprenden moyenne cinq tables. Celles-ci sont construites et vendues par desentreprises désignées par la zone. Le constructeur vend les tables auxcommerçants et doit généralement verser 10% des recettes à la zone. Achaque renouvellement des tables, les vendeurs perdent leur droit depropriété et doivent payer à nouveau s’ils tiennent à continuer leurcommerce. Environ 60% des vendeurs sont propriétaires des tables. Lesdétaillants se plaignent que les autorités renouvellent trop souvent les tables.

La plupart des marchés sont nés spontanément suivant l’extension spatialede la ville. La population commence par organiser un petit marché autourde quelques tables. Dès que le marché atteint une certaine taille, lesautorités appliquent la réglementation en cours et créent uneadministration officielle. Le taux de croissance du marché dépend de lalocalisation. Ainsi, les principaux marchés de détail se situent autour desroutes venant du Bandundu et du Bas-Zaïre, à la gare de Matete et dansl’ancien centre-ville.

L’importance des marchés de détail a fortement augmenté depuis lazaïrianisation en raison de la disparition de nombreux magasins.Auparavant, la vente des produits vivriers se faisait davantage dans lesmagasins de la ville tenus par des étrangers, surtout par des Portugais etdes Grecs. Après la zaïrianisation en 1974, les entrepreneurs zaïroispossédant des fonds et s’intéressant peu au commerce de détail, quinécessite un contrôle strict et continu de l’entreprise, ont préféré s’occuperdu commerce de gros ou de demi-gros, ou encore du transport. En outre, lecommerce de détail en produits vivriers est traditionnellement le domainedes femmes. Par conséquent, la distribution au détail des produits vivriers

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est prise en main par les femmes avec peu de moyens financiers. Au coursdes dernières années, leur nombre a fortement augmenté à cause de ladétérioration de la situation économique du pays.

En 1990, la valeur de la transaction d’achat était en moyenne de 48dollars, variant entre 17 dollars pour les vendeurs de légumes et 89 dollarspour les vendeurs d’huile de palme. Ces produits étaient écoulés en 3,6jours (voir tableau 6). Il est clair que les détaillants ont généralement unpetit fonds de roulement. Ils ne font presque jamais appel aux caissesd’épargne pour des crédits de démarrage, car ils trouvent les fondsnécessaires dans la famille. Les frais de démarrage d’un commerce de détailsont restreints et ne couvrent que la taxe journalière, éventuellementl’achat d’une patente, le loyer d’une table et les fonds de roulement. Cecientraîne une augmentation énorme du nombre de vendeuses en période decrise économique. En période de récolte, il est relativement facile d’obtenirdes produits à crédit.

4.2.2 - Les pratiques commerciales

L’uniformité des unités de vente et une claire définition des qualités des produitsofferts avec une différenciation des prix sont des facteurs structurels importantspour une bonne performance du système de commercialisation. En l’absence de

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Tableau 6DÉTAILLANTS PAR TAILLE DE L’ENTREPRISE

EN OCTOBRE - NOVEMBRE 1990

Produits Valeur d’achat par transaction (dollars) Jours de vente

Manioc 32 2,7Maïs 49 3,3Riz 55 3,6Arachides 39 3,2Bananes 38 4,3Huile de palme 89 6,2Légumes 17 2,2Haricots 84 5,1

Moyenne 50 3,8

Source: Goossens, F. 1994.

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ces conditions, le temps nécessaire pour les transactions est plus élevé, parcequ’un contrôle personnel de la qualité et de la quantité est indispensable. Auxmarchés de détail, les ventes s’effectuent à l’aide d’unités de mesure diverses detoutes sortes et de toutes dimensions. Les qualités et quantités des produits sontrelativement bien définies: un assortiment assez large est offert auconsommateur avec une différenciation des prix. Mais pour le consommateur,les prix sont difficiles à comparer. Cette diversification fait partie de la stratégiedes commerçants. Le détaillant, pour qui le prix n’est pas un instrument decompétition, se tourne vers d’autres instruments. Les détaillants préfèrentvendre des qualités et des formes de produits autres que leurs collègues, ou ilsutilisent d’autres unités de vente afin que le marché soit moins transparent. Lemarché des haricots en est un exemple typique: souvent plus de dix variétés oumélanges de variétés sont offerts au consommateur. La vente de fruits et légumesen bottes ou piles de tailles différentes, la vente au détail de manioc où leschikwangues ont plusieurs tailles, où les qualités des cossettes ou de la farine demanioc sont différentes, où les unités ou piles de cossettes et tubercules sontdifférentes, etc. sont de nombreux exemples. Plus la gamme de produits estgrande plus les consommateurs sont satisfaits.

L’emballage sert surtout à protéger, durant le transport, les produits contre lesdégâts d’origine mécanique, ainsi qu’à répartir le produit en colis pratiques pourla manutention et la commercialisation. Le manioc, le maïs et l’arachide sontvendus par sac. La quantité par sac est relativement bien standardisée, alors quela qualité nécessite souvent un contrôle personnel. Dans le secteur des fruits etlégumes, il y a très peu d’emballage et la qualité est insatisfaisante. Les oranges etles citrons sont souvent transportés en sac. Pour les tomates et certains fruits, descasiers en bois, standardisés sont utilisés dans la région du Bas-Zaïre. Leurutilisation ne prévoit pas de feuilles ou de papier pour doubler l’emballage. Leslégumes-feuilles sont transportés et vendus en bottes. Pour certains fruits etlégumes, tels que le safou, la carotte, etc. il existe des paniers en bambou ourosier. L’avantage des paniers est qu’ils ne doivent pas être réutilisés. La possibilitéd’améliorer la manutention de la production horticole et fruitière au Zaïre afind’éviter les pertes et de préserver la qualité et l’aspect, est immense, mais il n’estpas certain que tout cela puisse être réalisé sur le plan économique. Il sera trèsdifficile d’introduire un nouveau type d’emballage pour des raisons différentes:

• le secteur est très atomisé;• les commerçants n’ont pas les moyens nécessaires;• le transport de l’emballage vide pose des problèmes de mobilité aux

commerçants;

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• le consommateur n’est actuellement pas prêt à payer un supplémentpour une qualité ou des services supérieurs.

Les services d’information sur les marchés ont pour but d’aider les produc-teurs et les commerçants à équilibrer l’offre et la demande à tel ou tel marchéet de limiter ainsi des fluctuations excessives des prix. En général, les inter-médiaires reçoivent assez vite l’information sur les prix aux différentsmarchés grâce au grand nombre de par-colis qui passent. Le marché deslégumes est moins transparent que celui du manioc et des céréales. Le marché

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Tableau 7RATIO ENTRE LA MARGE DE DÉTAIL ET LE PRIX AU

CONSOMMATEUR DE 1984 À 1989 (100% = PRIX AU CONSOMMATEUR)

1984 1985 1986 1987 1988 1989

Manioc cossettes Bandundu 17,8 22,3 25,4 32,2 43,3 44,8Manioc cossettes Bas-Zaïre 12,0 13,4 18,0 20,0 24,9 34,7Maïs (grains) 11,5 12,8 16,3 16,1 20,8 15,4Arachides en gousses 14,6 28,0 24,8 26,4 20,3 24,8Riz local 13,7 12,4 15,2 15,6 21,8 22,4Haricots blancs 11,1 8,3 12,5 24,5 31,5 29,6Plantains 35,4 19,8 45,8 36,6 20,7 33,6Huile de palme 20,3 22,1 32,1 34,5 46,1 65,4

Source: Goossens, F. 1994.

Tableau 8CHANGEMENTS DES PRIX RÉELS À KINSHASA ENTRE JANVIER 1984 ET DÉCEMBRE 1989 (%)

Produits Demi-gros Détail

Manioc tubercules séchés -16 +22Manioc farine - +38Maïs (grains) +5 +13Arachides en gousses +65 +65Haricots -4 +33Riz local +17 +31Huile de palme -48 +11Plantains +44 +36Feuilles de manioc - +63

Source: Goossens, F. 1994.

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des haricots, du maïs, du riz et de l’huile de palme, à savoir des produitshautement standardisés, est relativement transparent: l’information dumarché et la connaissance des prix sont meilleures, les marges de détail sontbasses, et on ne discute pas le prix. Les vivres peu standardisés comme lemanioc, les fruits, les légumes et les bananes nécessitent plus d’interventionpersonnelle, plus de discussion sur les prix et ont des marchés moinstransparents. Les commerçants disposent de très peu de sourcesd’information et la qualité des informations sur les fruits et légumes estgénéralement médiocre en raison des problèmes de standardisation et despetites transactions. Il est donc difficile de donner des informations valables.

4.2.3 - Les prix

Pour la fixation des prix, le marchandage est d’usage courant au marché dedétail. Le prix est discuté dans 70-80% des cas. Pour les produits qui sontpeu standardisés, tels que les fruits et légumes, le marchandage est mêmeutilisé par 80-100% des détaillants. Au marché des céréales, le marchandageest moindre: les vendeurs de riz, de haricots et d’huile de palme discutentdans 50-60% des cas. Le processus de formation des prix par marchandageest une pratique courante et même indispensable au marché des produitspérissables. C’est la seule façon d’arriver à un accord sur le prix d’un produitnon standardisé.

Durant la journée, les prix changent. Le matin, les prix sont plus élevés et sontstables jusqu’à midi. Dans l’après-midi, ils enregistrent une baisse. Lesdétaillants baissent les prix vers la fin de la journée afin de récupérer leurargent, d’éviter des pertes, etc. Le matin, le vendeur est plus intransigeant surle prix minimum qu’il peut accepter. Pour les tubercules séchés de manioc, lesprix à la fin de la journée sont de 6 à 10% inférieurs à ceux du matin, et pourles légumes les différences sont beaucoup plus importantes. Pour les céréales,la différence varie de 3 à 4%. La pratique du “matabish” consiste à ajouterune petite quantité du produit acheté en guise de remerciement, surtout avecun client habituel. La pratique est très fréquente au marché des fruits etlégumes.

D’une manière générale, les prix des vivres sont élevés à Kinshasa. Le maniocest vendu à 0,5 dollar le kg pour les tubercules séchés. Les prix au détail deslégumes dans le secteur formel sont exorbitants: les tomates importées étaientvendues à 4,5 dollars le kg, les carottes à 3 dollars le kg en janvier 1996 par le

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magasin “select”. Aux marchés de détail aussi, les prix des légumes sontgénéralement élevés (voir tableaux 6, 7 et 8): souvent, le prix fluctue autourde 1 à 2 dollars le kg pour des produits tels que les tomates, les pommes deterre ou les aubergines locales. Ceci est élevé pour un pays où les conditionssont extrêmement favorables à la production et les zones de production setrouvent souvent à quelques kilomètres du marché de détail. La principaleraison pour ce niveau de prix est la marge de commercialisation élevée.

4.2.4 - Les marges

La marge de distribution des produits vivriers peut être évaluée sur la base detrois critères:

• la part de la marge de distribution dans le prix au consommateur;• la structure de la marge;• la relation entre la taille de l’entreprise et la marge de distribution.

Comme le démontre le tableau 6, la marge de collecte et de transport aussibien que la marge de distribution sont larges et contribuent au prix élevé à laconsommation. A la fin des années 80, les agriculteurs dans les régions duBas-Zaïre et du Bandundu recevaient 20 à 40% du prix au consommateurpour le manioc, 30 à 35% pour le maïs, 30 à 60% pour l’arachide. En 1996,le prix au producteur est seulement de 50% du prix au consommateur enmoyenne pour certains légumes-feuilles en provenance du milieu périurbain(distance de 3 à 15 km), ce qui est extrêmement élevé, étant donné les courtesdistances jusqu’au consommateur urbain.

Le tableau 7 démontre l’évolution de la marge de distribution entre 1984 et1989. Depuis 1984, la situation s’est dégradée. En 1984-1985, la marge dedistribution était de 11 à 20% du prix au consommateur, en 1988-1989 parcontre, elle variait de 20 à 40% pour la plupart des produits, ce qui estexagéré pour ce type de commerce de détail. Le tableau 8 démontre que ladétérioration trouve son origine au niveau de la distribution: les prix à laconsommation augmentent beaucoup plus vite que ceux du demi-gros. Riley(1972) considère des marges pour le commerce de détail de 5 à 15% à Cali(Colombie, Amérique Latine), dans un système de commercialisation trèssemblable à celui de Kinshasa, comme acceptables. A Kinshasa, la situationest tout à fait différente.

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La marge de distribution doit couvrir les frais de distribution, leremboursement des investissements, le profit rétribuant la prise de risques, larémunération de la main-d’oeuvre, et les frais de transformation. Lestableaux 9 et 10 présentent la structure de la marge de distribution. Les fraisdirects et mesurables des détaillants ne sont pas tellement élevés, mais

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Tableau 9STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES DÉTAILLANTS

SUR LES MARCHÉS DE KINSHASA EN OCTOBRE 1990 (EN DOLLARS PAR JOUR)

Produits vendus MoyenneManioc Maïs Riz Arachides Haricots

Recettes vente 15,6 19,8 16,0 15,5 15,8 15,8Dépenses achat 10,4 13,2 13,6 10,9 14,7 12,0Bénéfices bruts 5,2 5,6 2,4 4,6 1,1 3,8Frais 2,6 2,3 1,8 2,2 1,9 2,2Bénéfices nets 2,6 3,3 0,6 2,4 -0,8 1,6

Source: Goossens, F. et al. 1994.

Tableau 10STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES VENDEURS

DE LÉGUMES SUR LES MARCHÉS DE DÉTAIL DE KINSHASA )

Dollars par mois %

Recettes 335 100Dépenses achats 214 63,9

Bénéfices bruts 121 36,1

Frais 3Transport commerçant 10 2,5Transport produits 8,5 0,3Stockage 1 0,3Emballage 1 0,9Taxes 3 0,5Table 1,5 2,4Inflation 8 9,9Pertes 33 19,8

Total 66 16,3

Bénéfices nets 55 16,3

Source: Goossens F. et al. 1994.

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l’échelle du commerce, c’est-à-dire la quantité vendue par jour, est très petite.Par conséquent, les détaillants ont besoin d’une grande marge nette afin degagner un revenu acceptable (1 à 1,5 dollar par jour). De façon générale, lamarge brute est de 33% du prix de vente, la marge nette de 10%.

La taille des commerces est trop petite, ce qui fait que les marges sontnécessairement devenues trop grandes pour garantir un revenu minimal. Lescauses principales de ces coûts élevés sont le grand nombre des intermédiaires,la faible quantité traitée par chacun, le manque d’une compétition efficace, leva-et-vient inutile, le manque de standardisation des poids, des mesures et desemballages, nécessitant un contrôle exhaustif à chaque échange, les nom-breuses pertes de produits, et le manque d’informations objectives sur les mar-chés. La diminution de la quantité vendue par détaillant, qui gonfle les fraispar unité de produit, s’explique à son tour par:

• la mauvaise situation économique qui aboutit à une baisse dupouvoir d’achat et des quantités achetées par les consommateurs;

• l’augmentation du nombre de vendeuses dues à la crise économiqueet le rôle social du marché, ce qui entraîne une diminution de laquantité vendue par vendeuse;

• une diminution de la demande pour les services du marché de détailpour certains produits; les gens achètent plutôt en demi-gros.

Ce sont surtout les plus démunis qui souffrent du manque d’efficacité dans ladistribution, car leur maigre revenu ne leur permet pas de s’approvisionneraux marchés de demi-gros.

4.2.5 - Le comportement

Dans la théorie économique, on suppose toujours que, si le nombre decommerçants augmente, il y a plus de concurrence et les marges baissent. Cecine semble pas être le cas au Zaïre en raison du comportement des détaillants:ils évitent une compétition basée sur les prix, et se partagent le marché.

Dans leur extrême environnement social, les détaillants à Kinshasa ont adoptéun comportement de “vivre et laisser vivre”: 97% des détaillants disentpratiquer le même prix que leurs collègues et 60% se mettent d’accord entreeux. Ce comportement est dans l’intérêt de tous: une situation stable aumarché garantit un revenu bas mais régulier, chacun est membre d’un groupe

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ce qui facilite l’accès au crédit, l’accès aux systèmes d’épargne et de solidarité.Un commerçant, ayant beaucoup de succès, préfère s’orienter vers un produitplus rentable ou plus prestigieux, plutôt que de faire de la compétition aumême niveau. La situation est stable aussi longtemps que personne n’utilise leprix comme instrument de compétition. De plus, un groupe de détaillantspourrait toujours prendre des sanctions sociales ou autres contre desdétaillants cassant les prix. Dans la société africaine, le contrôle social dugroupe sur l’individu est considérable.

Des pratiques collusoires sont souvent attribuées à la présence de groupesethniques, organisés le long des chaînes de commercialisation. Au Zaïre, parexemple, le poisson séché et fumé est souvent vendu par les Lokele, Ngombeet Mbunza, groupes ethniques vivant au bord du fleuve Zaïre, le fumbwa(légume-feuille) est vendu par les Basengombe, les chèvres et les moutons parles Bakongo, les haricots par les ethnies du Kivu et du Haut-Zaïre, le riz localpar les tribus du Haut-Zaïre et de l’Equateur, et les bananes par les groupesdu Bas-Zaïre et du Haut-Zaïre. Ainsi les transporteurs et les colporteursopèrent dans leur région d’origine.

Il existe des profils spécifiques des détaillants et des semi-grossistes selon leproduit qu’ils vendent:

• le manioc est souvent vendu par de petites entreprises, mal gérées,dépendant d’un crédit pour leurs achats, dont la structure financièreest relativement faible, et qui perdent souvent leurs propres moyensfinanciers; elles achètent de préférence aux par-colis; le manioc estensuite vendu par des femmes relativement agées, pauvres, et dont leniveau d’éducation est très bas, parce qu’il s’agit d’une activitédépréciée et méprisée;

• les commerçants disposant de suffisamment de moyens financierspréfèrent souvent commercialiser des haricots et du riz;

• les commerçants qui marchandent habilement se spécialisent dans lesbananes ou les légumes; le marchandage est un aspect très importantdans le commerce de ces produits;

• les bons commerçants disposant de peu de moyens se spécialisentdans le commerce des arachides, commerce difficile, mais qui exigepeu de moyens;

• le charbon de bois est souvent vendu par les vieilles femmes ayanttrès peu de moyens financiers; ce travail est souvent méprisé par lapopulation;

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• les jeunes filles sont les plus fréquentes dans la vente des fruits etlégumes; leur choix est motivé par le fait que ces produits n’exigentque peu de fonds de roulement;

• les jeunes garçons s’occupent de la vente des bonbons, biscuits,gâteaux, glaçons et cigarettes.

L’homogénéité relative des caractéristiques des commerçants dans chaquesegment et à chaque niveau du marché des vivres, est due à une organisationhiérarchique de la chaîne en termes de statut social, rentabilité et investis-sements de base. Le commerce du manioc et du charbon est situé à la base dela pyramide, le commerce des haricots, du riz et du poisson fumé au sommet.Les détaillants disposant de suffisamment de moyens financiers n’investissentpas dans un travail déprécié, ni dans le commerce de manioc, de légumes, etc.Il en résulte que dans chaque section du marché, les commerçants sontrelativement homogènes en ce qui concerne les caractéristiques personnelles,les moyens, la taille de l’entreprise, le comportement, la stratégie, etc. et il y apeu d’innovateurs. Dans une situation semblable il y a peu de compétition.

En conséquence, nombreuses sont les personnes en insécurité alimentaire surles marchés de détail surtout dans le commerce du manioc et du charbon, enraison du travail qui est méprisé, dans le commerce des légumes carl’investissement est limité, et dans le micro-détail.

4.3 - LES PAR-COLIS

Le système de collecte, de transport, et de distribution en demi-gros est basé surde petits commerçants ambulants ou des colporteurs qui opèrent à moindrefrais fixes. Ils sont appelés par-colis, lutteurs ou lolema et ils constituent unfacteur important de compétition dans le système. Les par-colis sont lesopérateurs dominants dans le secteur de la commercialisation des produits(semi-)périssables, tels que les fruits, les légumes, les bananes et aussi le manioc.

Les par-colis sont généralement des jeunes hommes avec un niveau d’étudesplutôt bas, qui vont souvent acheter des produits dans leur région d’origine. Ilpeut y avoir un, ou éventuellement deux intermédiaires entre le producteur etle consommateur, c’est-à-dire le collecteur-revendeur et le détaillant. Lescollecteurs-revendeurs n’ont pas de propre moyen de transport et ontgénéralement peu de fonds de roulement. Ils louent un camion en groupe etprocèdent à des achats sur les lieux de production. Ils achètent directement

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auprès du paysan et revendent souvent au détaillant et même auconsommateur. L’achat des produits se fait aux marchés ruraux ou dans lesvillages, de porte à porte. Après leur arrivée en ville, les par-colis vendent leursproduits sur les “parkings” qui sont en fait des marchés de demi-gros. Il n’y apas ou peu de par-colis spécialisés uniquement dans le transport des fruits etdes légumes. Habituellement, ils transportent le manioc, le maïs, l’arachide etune petite quantité de légumes (souvent feuilles de manioc) et de fruits. Lescommerçants spécialisés en légumes sont actifs dans les régions du Bas-Zaïre etdu Kivu où il y a une certaine spécialisation dans la production horticole. Lespar-colis qui commercialisent les produits périssables, opèrent sur une échellebeaucoup plus limitée que leurs collègues dans le secteur du manioc ou descéréales. Certains par-colis opèrent sur les bateaux du fleuve et apportentsurtout des bananes plantains. Il y a aussi des voyageurs qui parfoistransportent en avion de petites quantités à partir du Kivu, surtout descarottes, des poireaux et des choux.

Il existe également un circuit informel qui lie l’horticulteur et l’agriculteururbain et périurbain au consommateur urbain. Les horticulteurs vendent lesproduits sur champ, par “plate-bande” et l’acheteur récolte les produits lui-même pour les vendre en ville. Les maraîchers évitent souvent les risques decommercialisation. Parfois, ils récoltent leurs produits et partent eux-mêmesvers les marchés pour vendre aux consommateurs ou aux détaillants. Lesménages, ayant des parcelles de case, vendent parfois de petites quantités auxvoisins et sur le marché du quartier en cas de surplus ou d’un besoin d’argent.Le commerçant se déplace à pied, en vélo, en bus, etc. sur une distance dequelques kilomètres. Généralement il s’agit de femmes qui ne transportent quede très petites quantités de légumes. Ce circuit domine l’horticulturepériurbaine des villes, et souvent il n’y a qu’un seul intermédiaire entrel’horticulteur et le consommateur.

Les seuils d’entrée dans la profession sont presque inexistants: 60% des par-colis n’ont pas de permis d’achat, ils paient seulement des taxes sur lesparkings, et exercent le métier depuis peu de temps. Ceci explique la forteaugmentation du nombre de par-colis durant ces dernières années. Souvent, ilsobtiennent les produits agricoles à crédit dans leur village, et ils ne payent letransport qu’après la vente de leurs produits en ville. Il est évident que ce sontles personnes en insécurité alimentaire qui essaient de développer ce typed’activités, bien que les conditions de travail soient extrêmement difficiles etsouvent dangereuses étant donné l’état des routes et les conditions de voyage.

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En conclusion, le circuit des par-colis s’est développé comme une réponselocale aux contraintes du système de collecte, de transport et de distribution endemi-gros des produits vivriers périssables et semi-périssables. Ce système decommercialisation fonctionne sans marchés de collecte bien organisés, sanscrédits, sans infrastructures de distribution, mais réussit à nourrir Kinshasatout au long de l’année.

4.4 - LES SEMI-GROSSISTES

Les semi-grossistes achètent un certain nombre de sacs, ils en organisent letransport vers leur dépôt et ils les revendent par petites unités ou à la pièce auxdétaillants et même aux consommateurs. Environ la moitié des semi-grossistessont locataires de leur dépôt, les autres sont propriétaires. Ils ne disposent pasde moyen de transport. Etant donné que le but principal est d’approvisionnerle commerce de détail, les dépôts se situent autour des grands marchés dedétail. Les semi-grossistes s’approvisionnent principalement dans les zones dela Gombe, de Kinshasa et de Limete où se trouvent la plupart des grossistes.Les semi-grossistes avec dépôt se situent dans le circuit des produits quiarrivent par bateau, sont importés ou arrivent par camion mais qui ne sont pasdirectement vendus sur les parkings et qui passent par les grossistes puis par lessemi-grossistes.

Les entreprises de demi-gros font généralement partie du secteur informel.Leurs faiblesses sont l’absence de comptabilité dans beaucoup de cas, lacomptabilité se réduisant à l’enregistrement des recettes, l’absence deréinvestissements et même d’amortissements, les profits étant utilisés poursubvenir aux besoins immédiats de consommation des propriétaires et de leursfamilles. L’utilisation des fonds de roulement pour résoudre les problèmesfamiliaux est fréquente, ce qui empêche une planification à long terme. Lemélange des fonds familiaux et commerciaux pose une lourde hypothèque surla stabilité et la santé financière des entreprises. Le point fort de ce secteur estson dynamisme.

La valeur d’une transaction d’achat des vivres est en moyenne de 550 dollars.Cette quantité est vendue en 7,2 jours. Le chiffre d’affaires est de 92 dollars parjour. La marge moyenne entre la valeur d’achat et la valeur de vente est de 22%.La marge brute par jour est de 60 dollars, ce qui est très élevé du fait qu’il n’y aguère de frais et qu’on ne produit généralement pas ou guère de valeur ajoutée.

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La structure du commerce de demi-gros est atomistique, mais il y a desbarrières à l’entrée. Pour les candidats semi-grossistes, trouver des fonds dedémarrage semble constituer la plus grande difficulté. Environ 80% d’entreeux renouvellent les stocks avec leurs propres moyens. Les personnes, setrouvant dans une situation d’insécurité alimentaire, n’ont pas accès à ce typede commerce. De ce fait, le nombre de semi-grossistes fluctue en fonction de lasituation économique: il y a surtout des investissements de la part des famillesavec des moyens financiers mais sans opportunités d’investissement. Ceux quine disposent que de leur capital humain, s’orientent vers le commerce de détailou le secteur des colporteurs.

4.5 - LES GROSSISTES

Les entreprises des grossistes sont généralement anciennes, solidementimplantées dans le pays depuis l’époque coloniale ou de création plus récentedepuis la zaïrianisation de 1974. En effet, la plupart des maisons de gros ontété mises sur pied par des intérêts étrangers, souvent comme succursale oufiliale d’une entreprise étrangère. Avec la zaïrianisation, toutes ces entreprisesont été confiées à un acquéreur zaïrois. Après l’échec de la plupart d’entre elles,le gouvernement avait décidé à l’époque de radicaliser la zaïrianisation, c’est-à-dire de confier les entreprises zaïrianisées en difficulté à l’Etat. Quelques annéesaprès, la politique de rétrocession aux anciens propriétaires a succédé àl’aventure malheureuse et certains grossistes d’origine non zaïroise ont reprisleurs affaires, souvent en association avec un partenaire zaïrois.

La caractéristique principale des grossistes est qu’ils sont toujoursverticalement intégrés, avec des succursales et des représentations à travers lepays et la maison mère le plus souvent en Europe, au Moyen-Orient ou enAsie. Beaucoup sont également intégrés horizontalement; ils s’occupent deplusieurs produits relevant de la même branche ou de branches apparentées.Cette intégration permet d’échapper en partie à la taxation sur le chiffred’affaires (C.C.A. de 3 à 20% selon le produit) à chaque vente des produitslorsqu’une facture de vente est établie. Ainsi, un produit importé par lasociété mère en Europe et vendu à un client dans une ville à l’intérieur dupays peut être passé par plusieurs établissements de la même société, maisfinalement la C.C.A. ne sera payée que deux fois, à l’importation lorsque lesdroits, les taxes d’importation sont acquittées et lors de la vente finale auclient. C’est ainsi que l’importation de produits vivriers est toujours l’affairede grossistes.

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Les grossistes sont également actifs dans les produits d’origine locale quinécessitent une transformation industrielle ou un conditionnement spécialisé,comme par exemple le maïs, les arachides, le riz, l’huile de palme et lesproduits d’exportation comme le café, le cacao, le caoutchouc, le thé et lequinquina. Ils s’occupent rarement du manioc, produit vivrier principal, maiss’ils le font, c’est au deuxième plan, seulement pour approvisionner leurspropres travailleurs et employés. Au Zaïre, le manioc ne subit aucunetransformation industrielle et le caractère semi-périssable des cossettes demanioc ou de la farine exclut un stockage dépassant un mois.

Les grossistes disposent généralement d’une infrastructure commerciale etd’une infrastructure de transport importantes. Ceux qui se spécialisent dansl’importation ont généralement une source importante de génération dedevises, à savoir le commerce de l’or, des diamants, du café, etc. Une seulegrande entreprise approvisionne la capitale et beaucoup de villes à l’intérieurdu pays en produits congelés (poisson de mer, viande bovine, poulets et autresproduits). Environ 200 grands camions frigorifiques et 400 chambres froides àKinshasa assurent une chaîne du froid ininterrompue. Les économies d’échelleà l’importation et la maîtrise technique et économique de la distribution desvivres importés sont en contraste avec la commercialisation des produitsd’origine locale, et surtout avec le système de commercialisation du manioccaractérisé par l’absence de vrais grossistes.

Pour les produits vivriers achetés en milieu rural, les grossistes font usage d’unréseau de dépôts, de camions, d’infrastructures portuaires (quai privé, grues),de bateaux ou de baleinières, de magasins et d’usines de conditionnement oude transformation. Ils sont particulièrement importants pour le maïs et le riz.Pour ces deux produits, il existe une dizaine de grossistes influents, disposantd’un réseau d’achat, de stockage et de transport et d’unités de transformation.Les achats se font par des commissionnaires ou des employés de la société.Pour le maïs, les moulins se trouvent presque toujours au principal centre deconsommation en ville, tandis que pour le riz, les usines de décorticage sontsouvent situées dans la ville la plus proche des lieux de production. Ce sont cesmêmes grossistes qui s’occupent également de l’importation de ces produits encas de nécessité et si l’opération est rentable. Pour le maïs, le principal grossisteest la Gécamines à Lubumbashi, société para-étatique d’exploitation du cuivreet des minerais associés, qui fournit la farine de maïs à ses travailleurs et à sesemployés comme partie intégrante du salaire. Cette même société importeannuellement des quantités importantes de maïs de l’Afrique australe, même

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lorsque la production nationale est suffisante.Les grossistes approvisionnant Kinshasa de l’intérieur du pays utilisent presquetoujours des bateaux ou des baleinières, sauf au Bas-Zaïre. Au Bandundu, cesbateaux/baleinières ont généralement moins de 100 tonnes de charge utile,tandis que pour les autres régions, ils dépassent les 100 tonnes. L’Equateur et leHaut-Zaïre fournissent surtout de l’huile de palme, du maïs et du riz, tandisque les haricots, les légumes et le bétail viennent surtout du Nord-Kivu et duSud-Kivu.

Les grossistes travaillent à grande échelle, aussi bien dans l’usinage que dans letransport et la distribution. Les secteurs de commerce dans lesquels lesgrossistes sont importants (maïs, riz, haricots) ont généralement uneperformance bien meilleure que celle des sous-secteurs (manioc) caractériséspar l’absence ou la moindre importance des grossistes. L’importation et ladistribution urbaine du poisson frais et du poulet sont d’une importancecruciale pour les familles qui se trouvent en insécurité alimentaire. De plus, cesproduits sont riches en protéines, tandis que le Zaïre et surtout les centresurbains en sont déficitaires.

4.6 - LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LE COMMERCE

L’insécurité alimentaire massive a un impact considérable sur la structure ducircuit de commercialisation et de distribution des vivres à Kinshasa:

• une explosion d’activités informelles, surtout celles ayant de bassesbarrières à l’entrée: le commerce de détail, de micro-détail et lescolporteurs; ces activités offrent aux pauvres des opportunitésd’utilisation de leur capital humain;

• les plus démunis se spécialisent dans les activités les plus méprisées: lecommerce des tubercules séchés de manioc, du charbon, du bois à feu;

• un système qui est moins efficace parce que le rôle social (solidarité)est souvent plus important que le rôle économique; le prix à payersont des marges de distribution plus larges;

• pour la catégorie des plus démunis, la barrière d’entrée est souventencore trop élevée; et contemporainement, les prix augmentent.

Les marchés de détail se rapprochent du modèle du marché libre tel que décritdans la littérature économique: un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs,de l’atomicité, l’absence de barrières d’entrée et de sortie, une certaine

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transparence, l’absence de monopoles, etc.; le problème majeur est qu’il n’y aque très peu de compétition entre les commerçants qui évitent les risques etpréfèrent la solidarité entre eux, d’où il résulte une hausse des marges dedistribution.

4.7 - CONCLUSION: UNE FAIBLE PERFORMANCE DU CIRCUIT DE DISTRIBUTION

En ce qui concerne la commercialisation des vivres, des légumes et des fruits,on a constaté que la performance du circuit est faible. Les indicateurs de cettefaiblesse sont les suivants:

• les marges de commercialisation sont élevées (100% du prix auproducteur pour la production périurbaine, jusqu’à 25 km duconsommateur); pour les produits venant des zones de production,situées à 25-100 km, les marges s’élèvent à 70-90% du prix auconsommateur;

• pour la plupart des vivres, les prix au consommateur sont élevés,surtout parce que la valeur ajoutée est extrêmement basse;

• l’échelle des activités est trop petite, parce qu’il y a trop decommerçants dans le secteur des détaillants et des colporteurs.

Plus spécifiquement pour le secteur des fruits et des légumes, on peutconclure que:

• les fluctuations saisonnières des prix et de l’offre sont importantes,bien qu’il soit techniquement possible de produire des légumes toutel’année; l’horticulture est une activité de saison sèche; leconditionnement et l’entreposage sont peu développés; lasurabondance saisonnière de certains produits, accompagnée de prixtrès bas, pose souvent un problème aux commerçants et auxconsommateurs; l’emmagasinage des produits en période de récolten’a pas de sens sauf pour les oignons et éventuellement pour lespommes de terre; dans ce cas, il faut avoir des variétés qui supportentce traitement; on peut également prolonger la saison des récoltes parl’étalement des semailles, le choix de variétés hâtives ou tardives,l’irrigation, etc. pour certaines cultures;

• la qualité est parfois médiocre; surtout pour les fruits et les tomates,des problèmes de conditionnement se posent;

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• certains produits, tels que l’oignon, la pomme de terre, l’ail, et latomate, ne peuvent pas concurrencer les produits importés, surtout enraison des problèmes de collecte de ces produits locaux; lesimportations de légumes frais concernent surtout l’oignon, la tomateet la pomme de terre.

Les raisons de la faible performance du secteur de commercialisation desproduits vivriers, se trouvent à tous les niveaux de la chaîne de com-mercialisation.

Au niveau national, la situation socio-économique est évidemment fortdéfavorable. Un système de commercialisation efficace nécessite un cadremacroéconomique stable et sain qui conduit à l’investissement à long terme.Plus directement, il y a l’état déplorable des moyens de communication etd’évacuation, des infrastructures et des équipements de transport, etl’inefficacité des services de contrôle et d’encadrement (voir chapitre 2).

La structure de la production vivrière, horticole et fruitière, implique lanécessité d’un secteur informel de commercialisation afin d’organiser lacollecte. La structure des unités de production et les petites quantités mises envente augmentent le coût de collecte et sont peu attractives pour le secteurformel (voir chapitre 5).

Au niveau de la commercialisation, il existe des risques liés au type de produitset à l’absence quasi-totale de technologie de commercialisation, telle quebalances, emballage, marchés spécialisés, etc. Les transactions de vente sontpetites, ce qui implique qu’un acheteur-collecteur de vivres doit nécessairementvisiter un nombre important de producteurs afin de rassembler un lotconsidérable. Ceci est une première motivation pour le secteur formel de ne pass’intéresser au secteur des vivres. La qualité des vivres n’est pas standardisée(maturité, variété génétique, méthode de récolte, etc.), ce qui implique qu’il estdifficile d’appliquer un prix uniforme: il faut un contrôle strict pour chaquetransaction de vente. Ensuite, il faut souvent discuter le prix, ce qui augmentele temps nécessaire pour les transactions. Il est d’ailleurs difficile d’envoyer unemployé payé pour faire ce genre de transactions d’achat. Ceci est unedeuxième motivation pour le secteur formel pour ne pas s’intéresser au secteurdes vivres. Aux problèmes du morcellement et de la standardisation de laproduction, s’ajoutent encore les problèmes des infrastructures de transport,d’une absence des marchés de gros ou de demi-gros à Kinshasa. Parconséquent, les petits commerçants informels détiennent la totalité du

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commerce, la quantité vendue par jour est extrêmement basse, les marchés sontpeu transparents, les marges et les prix élevés. Le nombre de commerçants afort augmenté en raison de la crise socio-économique qui fait rage au Zaïre.Les commerçants en insécurité alimentaire évitent la compétition des prix. Ilspréfèrent une paix sociale entre les commerçants. Il y a donc une absencequasi-totale de compétition et la quantité vendue par jour est extrêmementbasse, ce qui aboutit dans une hausse des marges de distribution. Ladominance des petits commerçants résulte en une absence de technologie decommercialisation.

Au niveau de la consommation, la demande de la majorité de la populationurbaine a les caractéristiques suivantes: une demande restreinte pour lesservices du marché, et une demande pour les produits les moins chers (voirchapitre 3).

4.8 - QUESTIONS

1. Décrivez le circuit de commercialisation et de distribution des vivres àKinshasa. A quels niveaux de la chaîne de commercialisation (détaillants,semi-grossistes, grossistes, etc.) l’insécurité alimentaire massive a-t-elle unimpact?

2. Comment les détaillants se comportent-ils vis-à-vis de leurs collègues?Pourquoi est-ce que ce comportement aboutit à une marge de distributionplus élevée?

3. Dans une situation d’insécurité alimentaire, l’efficacité sociale devient plusimportante que l’efficacité économique. Expliquez.

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Chapitre 5

AGRICULTEURS ET HORTICULTEURS

5.1 - L’ENTREPRISE AGRICOLE TRADITIONNELLE

Le secteur agricole zaïrois comprend d’une part des millions de petitesexploitations agricoles et d’autre part des plantations. La production desproduits vivriers est presque entièrement entre les mains des petitesexploitations. La superficie moyenne cultivée par ménage agricole est de 1 à1,5 ha. Les investissements dans le logement, l’entreposage et les culturespérennes sont principalement créés par la main-d’oeuvre familiale à l’aide dematériaux locaux. Les petits agriculteurs cultivent avec des instrumentsmanuels. La traction animale et la mécanisation sont très rares. L’outillageclassique du paysan zaïrois comprend principalement des houes et desmachettes. Il n’achète pas beaucoup de facteurs de production tels que lessemences, les engrais et les pesticides. L’utilisation d’engrais chimiques estpresque inexistante. Les boutures de manioc et les semences de maïs,d’arachides, de riz et de haricots viennent principalement de la productionpropre. Les crédits et l’épargne formels sont inexistants pour le paysan: leseul secteur qui émerge comme base pour le développement financier est leréseau de Coopératives d’Epargne et de Crédit (COOPEC). La principalesource des revenus du paysan est la vente du manioc et il utilise cet argentpour financer les frais scolaires, les frais médicaux et les biens manufacturés.La responsabilité de l’homme et de la femme concernant les revenus et lesdépenses est souvent séparée: les hommes contrôlent le revenu des cultures derente tandis que les femmes le font pour les produits vivriers; l’hommes’occupe le plus souvent des grandes dépenses (frais scolaires, frais médicaux,vêtements), tandis que la femme s’occupe plutôt des achats de tous les jourscomme la nourriture.

Les modes de faire-valoir sont caractérisés par la coexistence des loiscoutumières et de la loi foncière. L’absence d’un statut de propriété terrienneprivée constitue souvent un handicap qui limite l’accès à la terre et qui inhibeles améliorations foncières. La culture du manioc est la base du système

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cultural dans la plus grande partie du pays: le rendement efficace sous desconditions difficiles, la production d’énergie élevée par rapport aux céréales, lebesoin restreint de main-d’oeuvre par calorie récoltée et la possibilité degarder une continuité dans l’offre durant l’année expliquent cetteprépondérance. La densité de population influence la durée de la jachèrepratiquée, la disponibilité des terres et l’évolution de la fertilité des sols: leproblème se pose surtout dans le Bas-Zaïre (38,2 personnes/km2) où la densitéde population est le triple de celle du Bandundu (12,5 personnes/km2).

Un ménage moyen comprend environ six personnes, et 50% de la populationrurale a moins de quinze ans. Dans le système traditionnel zaïrois, la femmeest responsable de la plupart des travaux agricoles. Les seules tâches agricolesde l’homme dans la répartition traditionnelle du travail sont le défrichement,l’abattage et le brûlage en forêt. L’influence des possibilités de commer-cialisation peut changer certaines coutumes, bien que lentement: l’hommes’occupe plus de l’agriculture dans la région s’il y a un accès au marché. Laplupart des ménages travaillent plus lors du labour, des semailles et dusarclage (octobre-novembre) et moins d’avril à juin, c’est-à-dire après lesgrandes récoltes et avant la préparation des champs pour l’année suivante.Ainsi, tant qu’il y aura des terres en suffisance et que le facteur travailconstituera la contrainte principale de la production, l’intensification, aumoyen d’intrants modernes, a très peu de chances de réussir.

5.2 - L’HORTICULTURE

L’horticulture en milieu rural est généralement pratiquée par desentreprises hautement traditionnelles. La culture des légumes se faitsurtout durant la saison sèche, dans les bas-fonds. L’horticulture estcaractérisée par le recours à une main-d’oeuvre familiale, par de petitscapitaux et une abondance de terres en milieu rural. Dans la ceinture vertede Kinshasa, il peut exister un manque de terres fertiles. La plupart despetits agriculteurs cultivent leurs terres avec des instruments manuels,dont des houes en métal, des machettes, des bâtons à bêcher et descouteaux. Les dépenses en espèces pour l’achat d’intrants représentent unfaible pourcentage de la valeur de la production. Les engrais et lesproduits phytosanitaires ont actuellement très peu d’importance.Néanmoins, l’horticulteur semble bien maîtriser les techniques deproduction qui sont à sa disposition.

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L’horticulteur-type est handicapé par le manque de moyens économiques, cequi l’empêche de prendre de trop gros risques, et souvent par un sentimentd’infériorité sociale. Traditionnellement, la profession de maraîcher étaitsocialement peu respectée. Les maraîchers étaient souvent âgés et les jeunesétaient rebutés par les conditions de travail difficiles: corvée d’arrosage à lamain, transport d’eau sur de longues distances, tri manuel des orduresménagères pour le compost, etc. Etant donné la crise économique, l’attitudevis-à-vis des cultures maraîchères a changé de façon positive. Néanmoins, leshorticulteurs du Shaba sont rarement originaires du Zaïre, mais souvent del’Angola, de la Zambie, etc.

L’offre en légumes dans la ville de Kinshasa provient principalement d’un grandnombre de petites fermes de subsistance de la région du Bas-Zaïre, desentreprises maraîchères de la ceinture verte de la ville, et en moindre mesure dela région du Kivu, située à l’est du pays. Au Bas-Zaïre, la production de fruitset de légumes se situe surtout dans les zones de Mbanza-Ngungu, de Songololoet de Madimba, c’est-à-dire les zones autour de la route asphaltée Matadi-Kinshasa, à une distance de 80 à 200 km de la capitale. Les conditionsécologiques y sont favorables à un grand nombre de cultures. De plus, la zonede Mbanza-Ngungu, qui s’étage de 500 à 900 m, est favorable à la culture deslégumes des régions tempérées. Dans le Bas-Zaïre, il existe une longue traditionde production de fruits et légumes destinés à Kinshasa. Dans la région duBandundu, à l’est de Kinshasa, il n’y a qu’une production très limitée delégumes et de fruits pour Kinshasa, du fait que les principales zones deproduction se situent à une distance de 300 à 600 km de la capitale. Laproduction y est principalement destinée à l’autoconsommation.

La production du groupe de légumes-feuilles, notamment le matembele, lengai-ngai, le biteku-teku, etc., est surtout située dans la ceinture verte deKinshasa. Le Bas-Zaïre n’est pas concurrentiel dans ce segment du marché enraison des problèmes de transport, du caractère périssable de ces légumes et dela valeur basse de ces produits (par rapport au coût du transport). La seuleexception est la feuille de manioc, qui est produite au Bas-Zaïre commeproduit secondaire - le tubercule étant le produit principal - et à Kinshasacomme produit principal. En milieu urbain, les feuilles sont récoltées toutes lestrois semaines. Une enquête du BEAU en 1986 démontrait que les autrescultures importantes du Bas-Zaïre sont la tomate, le piment, la patate douce etl’oignon (voir tableau 3). Etant donné le mauvais état de la route Matadi -Kinshasa, la production des cultures très périssables s’est déplacée etrapprochée des villes. A Songololo, par exemple, les paysans préfèrent la

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production d’oignons, de manioc et d’arachides comme cultures de rente à cellede la tomate. Les légumes dits “européens”, tels que le persil, l’aubergine, leharicot vert, la laitue, la carotte, le navet, le chou, et l’artichaut, provenaientprincipalement de la région du Kivu dans les années 80 et avaient uneimportance limitée dans le Bas-Zaïre (BEAU, 1986).

Au Bas-Zaïre, un assortiment assez complet de fruits tropicaux est cultivé. Lesfruits les plus importants sont la banane douce, l’ananas et l’agrume. Laproduction de bananes douces se situe surtout dans la sous-région du Bas-Fleuve; l’ananas est cultivé dans le Bas-Fleuve et les zones de Songololo,Mbanza-Ngungu, Madimba et Kasangulu; à quelques exceptions près, il s’agitd’une production à une petite échelle; la production d’agrumes se situeprincipalement dans la sous-région des Cataractes. A l’exception de la culturede la banane douce à Seke-Mbanza, la production fruitière est généralementextensive: il s’agit souvent d’un nombre limité d’arbres fruitiers autour deshabitations. Il est à mentionner que le centre de recherche de l’INERA àM’vuazi (Mbanza-Ngungu) est (entre autres) spécialisé dans la sélection et lamultiplication des arbres fruitiers.

Les importations de légumes représentent moins de 2% du marché global. Ils’agit de variétés et de qualités de légumes destinées à une clientèle spécialedisposant de revenus élevés. Pour les bas revenus, les importations neconcernent que les oignons et la purée de tomate en boîte.

5.3 - LA CEINTURE VERTE DE KINSHASA

En 1972, l’aire maraîchère à Kinshasa comprenait 101 ha (estimationCECOMAF). Selon le Département de l’Agriculture, il y avait 4 300producteurs ayant comme activité principale en 1981 la production delégumes. La superficie moyenne par cultivateur variait généralement entre 0,09et 0,11 ha. Le projet CECOMAF (Centre pour la Commercialisation desProduits Maraîchers et Fruitiers) avait permis le regroupement de 8 000maraîchers en 12 centres coopératifs: N’djili, Kimbanseke, Funa (Mont-Ngafula), Masina, Tadi (Kimbanseke), Kisenso, Mokadi (Kimbanseke),Ndingi-Ndingi, Tianga (Kimbanseke), Lemba-Imbu, Tshiengwe (Masina),Manzanza (Kimbanseke). Ces derniers exploitent les périmètres aménagés dansles vallées autour de la ville. Le PASMAKIN (Projet d’Assistance auxMaraîchers de Kinshasa) a succédé au CECOMAF.

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Ces dernières années, l’importance de la ceinture verte de Kinshasa s’estconsidérablement accrue et ceci surtout en dehors des périmètres aménagés,principalement en raison de la dégradation de la situation socio-économique,de l’inflation et de l’érosion des revenus. C’est surtout depuis 1992, qu’il y aun “boom” dans ce secteur. De nombreuses familles dépendent de cetteproduction pour leur survie ou pour compléter le régime alimentaire plutôtmonotone. Il y a des zones de squatting et des parcelles le long de routes etde rivières en pleine ville. Sur les terres de mauvaise qualité, il s’agit surtoutd’une production de feuilles de manioc.

Il existe également un certain nombre d’initiatives des ONG dans les secteursmaraîcher et fruitier. Le projet “Jardins et Elevages de Parcelle” (JEEP) estl’un des plus importants. Le JEEP a son siège au département de Biologie dela faculté des Sciences à l’UNIKIN et reçoit un financement de plusieursdonateurs. Le projet vulgarise des activités de jardinage et la culture duKikalakasa (Psophocarpus scandens).

A la fin du mois de février 1995, les prix des légumes à Kinshasa étaient, pourune plate-bande de 20 m2, de: 13 dollars pour la ciboule; 12 dollars pour lebibolo; 10 dollars pour les épinards; 8 dollars pour le biteku-teku; 8 dollars purle ngai-ngai; 5 dollars pour le matembele et 4 dollars pour la pointe noire.

L’horticulture urbaine et périurbaine s’adapte facilement à la stratégie desécurité alimentaire des consommateurs. Beaucoup de Kinois s’intéressentuniquement aux cultures dont la période végétative ne dépasse pas un mois,comme par exemple le matembele, le biteku-teku, le ngai-ngai et les épinards.De cette façon, la culture des légumes-feuilles procure un revenu stable et trèsrégulier. Une personne cultivant quinze plate-bandes de 20 m2 peut en vendreune tous les deux jours. Ceci lui rapporte un revenu brut de 4 à 5 dollars parjour ou environ 100 dollars par mois. Le revenu net varie dans ce cas entre60 et 75 dollars. Les risques techniques de production sont minimes. Enraison du cycle court, il y a moins de problèmes de maladies. De plus, leslégumes-feuilles peuvent être cultivés toute l’année, même durant la saisondes pluies.

En janvier 1996, des horticulteurs à Kinshasa, à Mbuyi-Mayi et àLubumbashi mentionnaient même des revenus de 100 à 250 dollars parmois. La capacité d’investissement est limitée ou même inexistante. Le revenunet sert généralement à la consommation immédiate.

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Les horticulteurs organisent la production des légumes remarquablementbien en fonction du marché, étant donné les contraintes existantes.

La structure de la production horticole périurbaine contribue à la faibleperformance du système de commercialisation:

• l’horticulteur-type vend régulièrement une plate-bande, afin de gagnerune petite somme d’argent: de 7 à 12 dollars; les transactions de ventesont petites, ce qui implique qu’un acheteur-collecteur de légumes doitnécessairement visiter un nombre important de producteurs afin derassembler un lot considérable; ceci est la première motivation pourlaquelle le secteur formel ne s’intéresse pas au secteur des légumes;

• la qualité des légumes n’est pas standardisée (maturité, variétégénétique, méthode de récolte, etc.); ceci implique qu’il est difficiled’appliquer un prix uniforme: il faut un contrôle strict pour chaquetransaction de vente; ensuite, il faut souvent discuter le prix, ce quiaugmente le temps nécessaire pour les transactions; il est d’ailleursdifficile d’envoyer un employé payé pour faire ce genre de transac-tions d’achat; ceci est la seconde motivation pour laquelle le sec teurformel ne s’intéresse pas au secteur des légumes;

• les risques sont élevés; aux problèmes du morcellement et de lastandardisation de la production, s’ajoutent encore les problèmes desinfrastructures de transport, d’une absence des marchés de gros ou dedemi-gros à Kinshasa;

• la production de fruits se fait de façon tout à fait informelle et sur unetrès petite échelle;

• le caractère saisonnier de la production horticole, la surabondancesaisonnière de certains produits, accompagnée de prix très bas, posentsouvent un problème aux commerçants et aux consommateurs; l’em-magasinage des produits en période de récolte n’a de sens que pour lesoignons et éventuellement les pommes de terre. Dans ce cas, il fautavoir des variétés qui supportent ce traitement ou il faut prolonger lasaison des récoltes par l’étalement des semailles, le choix de variétéshâtives ou tardives, l’irrigation, etc. pour certaines cultures.

Aussi longtemps que les problèmes d’échelle de production et destandardisation ne seront pas résolus, le secteur formel ne s’intéressera que peuau commerce des légumes. Le commerce se situera dans le secteur informel oùla main-d’oeuvre nécessaire pour le contrôle personnel et exhaustif de chaquetransaction est disponible, et se réalisera sur une très petite échelle.

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5.4 - L’AGRICULTURE ET L’HORTICULTURE URBAINES ET LA SÉCURITÉALIMENTAIRE

La production agricole et la sécurité alimentaire:

• l’accès au marché diminue en milieu rural, ce qui change les termesd’échange des agriculteurs ruraux de façon négative: on obtientmoins lors de la vente des produits agricoles, on paye plus lors del’achat des biens manufacturés; souvent, on retourne vers unesituation d’auto-subsistance à l’intérieur du pays; le pourcentage despersonnes en insécurité alimentaire augmente en milieu rural;

• l’horticulture urbaine et périurbaine crée des opportunités pour lesfamilles en insécurité alimentaire: les barrières d’entrée sont souventbasses, à condition que la terre soit disponible; les pauvres disposentdu capital nécessaire: la main-d’oeuvre familiale; le bas niveaud’éducation ne pose aucun problème spécifique pour la culture deslégumes-feuilles à cycle vegetatif très court (peu de problèmesphytosanitaires);

• l’horticulture est réservée aux plus démunis car le sentiment deméprise sociale pour ce genre de travail est diffus;

• les tomates et les oignons sont très peu populaires dans la stratégiedes horticulteurs en raison des risques à la production, de la périodede culture relativement longue, et de la nécessité d’utiliser despesticides; la culture des légumes-feuilles est très adaptée à lastratégie des plus démunis (recettes régulières, risque de productionlimité, débouchés relativement sûrs, demande stable au long del’année, investissements réduits);

• la croissance de l’agriculture dans les milieux urbain et périurbaindiminue la pression sur le système de distribution, en raison de lacréation d’emplois pour les plus démunis.

5.5 - QUESTIONS

1. Quelles sont les caractéristiques d’une entreprise agricole?2. Pourquoi le secteur des légumes est-il si intéressant pour les gens en

insécurité alimentaire?3. De quelle façon la structure de la production horticole contribue-t-elle à

une faible performance du système de commercialisation?

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Chapitre 6

INTERVENTIONS ET ÉVOLUTION FUTURE

6.1 - LA STRATÉGIE D’INTERVENTION

L’objectif global d’une stratégie d’intervention est d’améliorer la performancedu système de commercialisation, pour aboutir à une réduction des marges decommercialisation. En cas de réussite, on obtiendrait:

a) une diminution du prix au consommateur (la nourriture est plusaccessible aux personnes en insécurité alimentaire);

b) une augmentation du prix au producteur (les termes d’échange duproducteur s’améliorent);

c) une augmentation du volume commercialisé (de la quantité commer-cialisée) (le pouvoir d’achat du consommateur augmente en raison duprix accessible, donc il achète plus).

Les points a et c auront un effet immédiat et positif sur la situation des per-sonnes en insécurité alimentaire en milieu urbain. L’effet b aura un impact surla situation du producteur. Mais il faut atteindre un autre objectif qui est lastabilisation de l’offre et de la demande au cours du mois et tout au long del’année. Ainsi, le consommateur en insécurité alimentaire aura un accès plussûr à la nourriture.

Afin d’atteindre ces objectifs, la stratégie d’intervention dans la commer-cialisation doit viser davantage à:

a) la réduction des pertes et des risques tout au long de la chaîne decommercialisation;

b) la favorisation d’une économie d’échelle au niveau du commerce afind’augmenter la productivité de la main-d’oeuvre et de l’équipement;

c) l’amélioration de la transparence des marchés (par exemple parl’information sur les prix, la standardisation de la qualité et desunités de mesure, l’organisation des marchés de demi-gros).

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Il serait ainsi possible de mettre en concurrence plusieurs opérateurséconomiques, de faire augmenter l’offre tout en réduisant les marges decommercialisation et par conséquent les prix au consommateur. Lesinterventions doivent prendre en considération les contraintes d’une demandelimitée pour des produits chers et à valeur ajoutée élevée. Une diminution desmarges de distribution aurait plus d’impact en cas d’augmentation significativede la productivité de la main-d’oeuvre, qui serait évidemment accompagnéed’une diminution de l’emploi dans les marchés de détail.

Les projets spécifiques dans le domaine de la commercialisation qui peuventcontribuer à atteindre ces objectifs sont:

• la vulgarisation des méthodes de récolte, de transformation et deconditionnement;

• la création de marchés de demi-gros de fruits et légumes, et demarchés de gros pour le manioc;

• la vulgarisation de l’organisation de la collecte, et de la mise en ventedes produits;

• la formation des détaillants;• le transport des produits agricoles en zone périurbaine;• la vulgarisation des habitudes de consommation;• la diminution de la variation saisonnière des prix et de l’offre;• le développement de filières de certains vivres (surtout du manioc, des

bananes, des oignons, et des tomates).

Ces projets ne sont pas des projets de sécurité alimentaire, mais ils améliorentl’accès à l’alimentation et diminuent l’insécurité alimentaire.

6.2 - LE SCÉNARIO: “STABILISATION OU ÉVOLUTION NÉGATIVE DANS LE PAYS”

En cas de stabilisation de la situation macroéconomique au niveau actuel oud’une détérioration, il serait difficile d’améliorer la situation de sécuritéalimentaire de la population et les interventions dans le secteur de distributionauraient peu de succès. Les détaillants et les colporteurs ne trouvent pasd’emploi dans d’autres secteurs de la société, ils évitent les innovations et neprennent pas de risques. Ils restent dans le secteur de la distribution, même s’ilsne gagnent presque rien. L’accès aux systèmes de solidarité et une protectiondes moyens financiers contre l’inflation sont souvent une motivation suffisante.

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6.3 - LE SCÉNARIO: “AMÉLIORATION DE LA SITUATION ACTUELLE DANS LE PAYS”

En cas d’amélioration de la situation socio-économique actuelle, il y auraitun impact immédiat sur les différents niveaux de la chaîne de com-mercialisation, se traduisant par:

• une amélioration du cadre général: communications, routes,systèmes de crédits, administration;

• une augmentation du pouvoir d’achat: autres emplois, demandepour les services du marché, plus de demande sur les marchés dedétail, et une augmentation de la productivité de la main-d’oeuvre etde l’équipement dans le commerce;

• une diminution de la pression sur le système de commercialisation;les détaillants et les colporteurs pourraient quitter le secteur ducommerce des vivres, pour trouver un emploi dans d’autres secteursde l’économie; une augmentation de la productivité de la main-d’oeuvre aurait lieu.

Il résulterait une augmentation de la productivité à tous les niveaux de lachaîne et une diminution des risques. Les commerçants seraient plus ouvertsà l’innovation, prêts à prendre des risques et à faire jouer la concurrence.

6.4 - QUESTIONS

1. Décrivez une stratégie d’intervention dans le secteur de distribution auZaïre.

2. Quel scénario aurait-on dans le secteur de distribution des vivres en cas dedétérioration de la situation actuelle au Zaïre?

3. Quel scénario aurait-on dans le secteur de distribution des vivres en casd’une amélioration de la situation actuelle au Zaïre?

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