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Rhizome Il devient de plus en plus impossible de ne pas croiser ou prendre de front la thématique « adolescence ». L’adolescence commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, ce qui en révèle sa nature de construction sociale. Fascinants autant que suspects, les adolescents, les « jeunes », posent des problèmes aux institutions. « Ils » envahissent l’espace psychique des personnes autant que l’espace public de la cité : centres commerciaux, Stade de France et autres lieux, bouleversant le bel ordon- nancement des règles établies. Que veulent-ils ? Faire la fête ? Détruire ? Se faire recon- naître ? En tout cas la spirale de la méconnaissance, mais aussi celle de la peur et du ressenti- ment, se déroulent quasi sans espace de réflexion. « Ils » envahissent même la nosographie de la pathologie psychiatrique adulte puisque certains auteurs, et non des moindres (Jean Bergeret, Jean-Jacques Rassial) suggèrent d’aborder la pathologie montante, constituée d’états limites et de troubles identitaires narcissiques, comme une adolescence prolongée qui maintient l’incertitude identitaire. Dans ce numéro 6 de Rhizome, nous n’évoquerons pas tous les adolescents qui vont bien, ni quels sont leurs « trucs » pour y parvenir. Tout au plus notre ami Marzouki, dans sa page d’humeur corrosive, interroge t-il sur l’éternel adolescent que nous portons en nous. Nous envisagerons surtout, pour tenter de les penser, des rencontres singulières, des situations particulières. Comment rencontrer cet adolescent à Paris ou à Bamako, à Sousse ou à Bobigny ? Ceux dont nous parlons sont en échec scolaire, en errance, en pri- son, violents, suicidaires ou suicidés. Ils vont mal. Ils ne sont pas en souffrance psy- chique mais en péril psychique et somatique. Comment résister lorsque, habité par une mélancolie d’indignité, un(e) adolescent(e) nous pousse à la faute, c’est à dire à l’abandon de responsabilités, voire au rejet ? Comment faire appel à la loi, à la limite, sans la réduire aux règlements ? Ces questions, nous avons à les élaborer, nous, parents, éducateurs, aidants, soignants, politiques. N’oublions pas que cette mélancolie des jeunes, souvent méconnue, renvoie aux pensées à peine latentes de beaucoup d’adultes désemparés : « Le passé est un cimetière, L’avenir est un désert », comme l’a écrit une jeune fille dans un service d’urgence. C’est pourquoi il faut lire le rapport du Commissariat Général du Plan, ou au moins le texte écrit pour Rhizome par Dominique Charvet, Président de la Commission « Jeunes et politiques publiques » qui a élaboré ce rapport. Il s’agit d’une contribution éclairante pour notre temps, au titre superbement stimulant : « Jeunesse, le devoir d’avenir », que nous avons mis en exergue de ce numéro. Dans une société où la pression est faite pour que les jeunes sachent ce qu’ils veulent dans le même temps où leurs aînés ont souvent perdu toute ambition collective, nous, les adultes actuellement en charge, nous avons à travailler avec eux et pour eux le devoir d’avenir. Celui-ci n’est ni plus ni moins que « le travail de civilisation » dont Freud nous a rappelé le caractère difficile, douloureux et toujours inachevé. Bulletin national santé mentale et précarité édito RHIZOME n.m. (gr. rhiza, racine). Tige souterraine vivante, souvent horizontale, émettant chaque année des racines et des tiges aériennes. 6 Au sommaire DOSSIER Jeunesse, le devoir d’avenir p. 2-3 Dominique Charvet Etre parents aujourd’hui et en situation de grande précarité Claire Vercraene p. 4 L’adolescent, l’identité et la violence scolaire Jean-Jacques Jordi p. 5 Réflexions sur l’incarcération des mineurs Cyrille Canetti, Isabelle Roustang p. 6 L’adolescent au nom de la loi : oui, mais laquelle ? Sylvie Quesemand-Zucca p. 7 Le suicide de l’adolescent : la mort dans les yeux Robert Brès p. 8 A propos des adolescents en errance : la mélancolisation d’exclusion ou d’une souffrance psychique dans l’actuel Olivier Douville p. 9-10 RUBRIQUES LE COIN DU CLINICIEN La « désadoption » Comment être témoin d’un parcours d’exclusion calamiteux ? p. 11-12 Jean Furtos SUR LE TERRAIN DES PRATIQUES Accueil thérapeutique et adolescence dans le Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile du Nord des Hauts de Seine p. 13 - 15 Michèle Zann, Jeanne Gaillard LIBRES PROPOS, PROPOS LIBRES Dangereuse adolescence : persiflage et grincements de dents p. 14 - 15 Moncef Marzouki ACTUALITES p. 16 Octobre 2001 Jean FURTOS « Jeunesse, le devoir d’avenir » RHIZOME est téléchargeable sur le Web : www.ch-le-vinatier.fr/orspere

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eIl devient de plus en plus impossible de ne pas croiser ou prendre de front la thématique« adolescence ».L’adolescence commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, ce qui en révèlesa nature de construction sociale. Fascinants autant que suspects, les adolescents, les« jeunes », posent des problèmes aux institutions. « Ils » envahissent l’espace psychique des personnes autant que l’espace public de lacité : centres commerciaux, Stade de France et autres lieux, bouleversant le bel ordon-nancement des règles établies. Que veulent-ils ? Faire la fête ? Détruire ? Se faire recon-naître ?En tout cas la spirale de la méconnaissance, mais aussi celle de la peur et du ressenti-ment, se déroulent quasi sans espace de réflexion. « Ils » envahissent même la nosographie de la pathologie psychiatrique adulte puisquecertains auteurs, et non des moindres (Jean Bergeret, Jean-Jacques Rassial) suggèrentd’aborder la pathologie montante, constituée d’états limites et de troubles identitairesnarcissiques, comme une adolescence prolongée qui maintient l’incertitude identitaire. Dans ce numéro 6 de Rhizome, nous n’évoquerons pas tous les adolescents qui vontbien, ni quels sont leurs « trucs » pour y parvenir. Tout au plus notre ami Marzouki, danssa page d’humeur corrosive, interroge t-il sur l’éternel adolescent que nous portons ennous.Nous envisagerons surtout, pour tenter de les penser, des rencontres singulières, dessituations particulières. Comment rencontrer cet adolescent à Paris ou à Bamako, àSousse ou à Bobigny ? Ceux dont nous parlons sont en échec scolaire, en errance, en pri-son, violents, suicidaires ou suicidés. Ils vont mal. Ils ne sont pas en souffrance psy-chique mais en péril psychique et somatique. Comment résister lorsque, habité par une mélancolie d’indignité, un(e) adolescent(e)nous pousse à la faute, c’est à dire à l’abandon de responsabilités, voire au rejet ?Comment faire appel à la loi, à la limite, sans la réduire aux règlements ? Ces questions,nous avons à les élaborer, nous, parents, éducateurs, aidants, soignants, politiques.N’oublions pas que cette mélancolie des jeunes, souvent méconnue, renvoie aux penséesà peine latentes de beaucoup d’adultes désemparés : « Le passé est un cimetière, L’avenir estun désert », comme l’a écrit une jeune fille dans un service d’urgence.C’est pourquoi il faut lire le rapport du Commissariat Général du Plan, ou au moins letexte écrit pour Rhizome par Dominique Charvet, Président de la Commission « Jeuneset politiques publiques » qui a élaboré ce rapport. Il s’agit d’une contribution éclairantepour notre temps, au titre superbement stimulant : « Jeunesse, le devoir d’avenir », quenous avons mis en exergue de ce numéro.Dans une société où la pression est faite pour que les jeunes sachent ce qu’ils veulentdans le même temps où leurs aînés ont souvent perdu toute ambition collective, nous,les adultes actuellement en charge, nous avons à travailler avec eux et pour eux le devoird’avenir. Celui-ci n’est ni plus ni moins que « le travail de civilisation » dont Freud nousa rappelé le caractère difficile, douloureux et toujours inachevé.

Bulletin national santé mentale et précarité

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RHIZOME n.m. (gr. rhiza, racine). Tige souterraine vivante, souventhorizontale, émettant chaque année des racines et des tiges aériennes.

6Au sommaire

DOSSIER

Jeunesse, le devoir d’avenir p. 2-3Dominique Charvet

Etre parents aujourd’hui et en situation degrande précarité Claire Vercraene p. 4

L’adolescent, l’identité et la violence scolaireJean-Jacques Jordi p. 5

Réflexions sur l’incarcération des mineursCyrille Canetti, Isabelle Roustang p. 6

L’adolescent au nom de la loi : oui, mais laquelle ? Sylvie Quesemand-Zucca p. 7

Le suicide de l’adolescent : la mort dansles yeux Robert Brès p. 8

A propos des adolescents en errance :la mélancolisation d’exclusion ou d’une souffrance psychique dans l’actuel Olivier Douville p. 9-10

RUBRIQUES

LE COIN DU CLINICIENLa « désadoption »

Comment être témoin d’un parcoursd’exclusion calamiteux ? p. 11-12Jean Furtos

SUR LE TERRAIN DES PRATIQUESAccueil thérapeutique et adolescence

dans le Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile du Nord des Hauts de Seine p. 13 - 15Michèle Zann, Jeanne Gaillard

LIBRES PROPOS, PROPOS LIBRESDangereuse adolescence : persiflage

et grincements de dents p. 14 - 15Moncef Marzouki

ACTUALITES p. 16

Octobre 2001

Jean FURTOS

« Jeunesse, le devoir d’avenir »

RHIZOME est téléchargeablesur le Web : www.ch-le-vinatier.fr/orspere

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Jeunesse, le devoir d’avenir

Dominique CHARVETMagistrat, Présidentde chambre à laCour d’appel de Paris.

BIBLIOGRAPHIE :

* « Jeunesse, le devoir d’avenir »,la Documentation Française2001.

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Un retournement deperspectiveA la fin des années 90 la questionjeune est venue se réinscrire dansl’agenda politique. D’une part àtravers la prise de conscience deslimites de la pensée publique quise résumait en quelques constatsassez stérilisants : la jeunesse s’al-longe, elle va mal quand elle estau chômage, elle fait mal quandelle crée de l’insécurité et on a,quasiment, “tout essayé”. D’au-tre part des initiatives financiè-rement et symboliquementfortes étaient prises : mise enplace d’un programme de plu-sieurs centaines de milliers d’em-plois-jeunes, suppression duservice national.Le Commissariat général duPlan a alors été mandaté par lePremier ministre pour conduireune réflexion sur les jeunes et lespolitiques publiques ; ses travauxviennent d’être publiés*. Ilsdevraient concourir, avec ceuxdu rapport Brin, élaboré dans lecadre du Conseil économique etsocial, à nourrir la concertationqui va commencer dans unecommission parlementaire envue de la création d’une alloca-tion d’autonomie.Mais au-delà de décisions que lesperspectives politiques peuventéventuellement accélérer, l’en-semble de ces travaux fait émer-ger des sujets qui touchent à lastructuration même de notresociété et aux choix collectifsfaits et à faire.

De quoi parle t-on : une jeu-nesse insaisissable ?

L’interrogation est sans douteparadoxale quand le terme estsous toutes les plumes, le corpsde la jeunesse sur toutes les ima-ges, le désir de jeunesse dans tousles esprits.Pourtant l’incertitude duconcept est à la mesure de sonusage protéiforme. Nous savonsce que nous avons quitté : untableau ternaire des âges(enfance/adolescence, âge adulte,vieillesse) pour des périodes auxseuils et aux contenus incertains.Le banquier a un produit jeune

dès 12 ans et on est jeune à 30ans pour les “emplois-jeunes”.On peut d’ailleurs faire le mêmetableau flou de l’autre côté de lavie, entre 50 et 70 ans .Là ne s’arrête pas la difficulté dela définition. Etre jeune est uneexpérience personnelle incontes-table. Sa diversité est telle, despersonnages de “la Haine” ou de“La Squale” aux banals collégiensque nous croisons au quotidien,que l’on peut s’interroger sur cequi est partageable dans cetteexpérience. Surtout qu’il ne s’a-git pas que de cinéma et que l’onvérifie statistiquement le creuse-ment des inégalités à l’intérieurde la jeunesse dans la présentepériode.

Bref la jeunesse n’est-elle qu’unmot, pour reprendre celui dePierre Bourdieu ? Probablementplutôt une déconstruction-reconstruction. Déconstructiondu modèle précédent, où descohortes d’adolescents, à l’issued’une période, parfois succincte,de scolarisation-formation en-traient dans la double carrièreprofessionnelle et matrimonialepour un parcours sans retour.Reconstruction à partir d’uneambition : l’augmentation dunombre et du niveau de la scola-risation. Et de plusieurs crises ausens de remodèlements. D’abordla transformation de modes deproduction laissant à l’extérieurde l’emploi les candidats insuffi-samment qualifiés, imposant auxmoins bien protégés, les jeuneset les femmes en France, lebesoin de flexibilité des entrepri-ses. Ensuite, et plus fortementque nous n’en avons conscience,la poursuite de la dimensionindividualisante du projet démo-cratique. Pour prendre un exem-ple dans mon milieuprofessionnel, le développementdu recours au procès plutôt qu’àl’action collective paraît signifi-catif de ces nouveaux modes d’ê-tre mais les stratégies fémininesd’autonomisation par la prolon-gation des études et la généralisa-tion de l’accès à l’emploi vontdans le même sens. La conjonc-tion de ces évolutions remet en

cause les appartenances statutai-res et les solidarités collectives,choisies ou contraintes, pourrenvoyer à des parcours et desresponsabilités d’abord person-nels.Autant que ce qu’elle est en soi,la jeunesse donne à voir ce quiest notre destin commun ou val’être : la nécessité de s’adapter àune société du savoir, le creuse-ment dans la différence des sorts,le défi d’être constammentacteur de son destin.

Des choix publics incertains

Avons-nous été au niveau de cesdéfis ? Quantitativement il nefait pas de doute qu’en multi-pliant par deux en une vingtained’années la dépense d’éducation,en aidant plus d’un tiers desemplois auxquels accèdent lesmoins de 25 ans, la collectivité afait un effort financier considéra-ble.Toutefois à y regarder plus près,on s’interroge sur le point desavoir si la préférence n’a pas étédonnée à un traitement d’ur-gence de symptômes plutôt qu’àla mise à jour de questions struc-turelles que révèlent les parcoursdes jeunes et, voire, si l’on nes’est pas enfermé dans certainescontradictions. De quoi sert d’é-lever le niveau de compétenced’une génération si, lui faisantlargement payer la flexibilitérequise par les entreprises, ondilue leurs capacités à travers unparcours chaotique d’accès àl’emploi - petits boulots, multi-ples périodes de chômage, etc ?Quelle cohérence entre l’injonc-tion à la citoyenneté faite auxjeunes et une réalité qui est celled’une tutelle étatique - dans uneinstitution éducative qui peine àévoluer - et d’une dépendancefamiliale par le refus à l’accès àdes ressources autonomes (refusdu RMI, suppression ou inacces-sibilité des prestations attachéesau chômage) ? Les choix français sont peu favo-rables aux jeunes malgré les mul-tiples mesures de rattrapage, dediscrimination positive. Ils sesituent ainsi dans une tradition

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Jeunesse, le devoir d’avenir (suite)

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culturelle privilégiant l’âgeadulte, méfiante à l’égard de lajeunesse perçue comme ungroupe à part potentiellementdangereux, éventuellement àprotéger mais surtout à civiliser.Au-delà, ces choix sont significa-tifs de la difficulté que nousavons à concevoir les profondestransformations à l’œuvre et lamise en cause des mécanismes dereproduction sociale : on neremettra plus “son pas dans celuide son père”, et à articuler unprojet collectif pour affronter lesrisques de l’avenir.

Un projet pour tout le monde

Sans doute n’est-ce ni la pre-mière ni la dernière fois que lajeunesse sert de fantassin à l’his-toire qui va. Sans doute aussibeaucoup de jeunes sont-ils luci-des sur les difficultés de lapériode qu’ils traversent. Encorefaudrait-il que cela « serve àquelque chose ».Nous avons fait le tour des poli-tiques court-termistes, prolifé-rantes et segmentées réduisant lalégitimité de chacun à son han-dicap et produisant un « Etatcharitable » selon une excellenteformule.Il n’est d’ailleurs pas interdit depenser que la crise d’autorité,souvent accolée à la questionjeune, ait aussi pour origine ce

refus d’affrontement du présentet cette absence d’engagementpour l’avenir que donne à voirun certain nombre de fonction-nements institutionnels derrièreun bavardage incessant sur lasolidarité et la citoyenneté.

La proposition à faire aux jeunesest celle de la compréhension etde la maîtrise de la société quivient. Elle doit s’établir autourdes notions d’éducation et dedémocratisation. Il faut repren-dre ici le projet ambitieux de l’é-ducation-formation tout au longde la vie, déjà défendu par le rap-port Boissonnat et aujourd’huiau coeur des réflexions de laCEE. Il faut ériger comme undroit du citoyen celui d’unecréance de formation pas seule-ment professionnelle mais aussidestinée à maintenir la capacité àêtre un citoyen à part entière. Etcommencer par les jeunes pourqu’ils sachent qu’on a besoind’eux, qu’on les attend pour fairedemain, qu’en conséquence lesadultes d’aujourd’hui investis-sent sur les adultes qu’ils vontêtre. Le rapport du Plan proposela mise en place d’un “capital” deformation de 20 ans utilisable enune seule fois ou à plusieursmoments de sa vie, renouvelabledès lors que l’un occupe unemploi. A ce capital s’ajouteraitune allocation-formation égale

aux bourses de l’enseignementsupérieur et versée directementaux jeunes dès 18 ans.

Démocratiser est mettre en pos-session du monde ceux qui yarrivent : le leur rendre compré-hensible, les associer commeacteur et auteur. Il y faut unerigueur du propos qui seul per-met de construire : dire qu’il n’ya pas de monde sans drogue,appeler un “petit boulot” par sonnom. Il y faut lutter pour deslogiques de production du bienpublic : construire une réparti-tion des ressources éducatives auregard des défis réels et non enfonction de ceux qui habitent lesinstitutions. Il y faut le goût departager le pouvoir : reconnaîtredans les illégalités et les désordresde banlieue bien plus qu’un sujetpolicier, social mais bien aussiune interpellation politique pourlaquelle il faut sans doute inven-ter de nouveaux moyen d’expres-sion.

Le débat sur l’autonomie desjeunes est aujourd’hui largementouvert. Il faut s’en saisir non pastant pour pérenniser un sort par-ticulier fait à la jeunesse qui àterme s’avère toujours décevantmais pour interroger les fonc-tionnements de société et desinstitutions qui pourraient ycontribuer. ■

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Etre parents aujourd’hui et en situation de grande précarité

Claire VERCRAENEDirectrice du Servicede Prévention del’A.D.E.F.OAssociation Dijonnaise d’Entraide des Familles Ouvrières1, Rue de la Prévôté21000 Dijon

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Etre pauvre, autrefois, était unvécu collectif, une situation

sociale de classe, porteuse desa propre culture, une culture

de la lutte le plus souvent.

Maintenant la précarité est uneexclusion, une situation à lamarge, floue, incertaine, dans unprovisoire qui peut durer. Mais lespersonnes ou les familles en dangerde précarité ne sont-elles pas plei-nement des habitants de notrehumanité ?… Pour les enfants deces familles en difficulté, commepour tous jeunes, l’apprentissagede la vie et de ses lois, le «devenirgrand» ne peut se faire que dans lacollaboration de la cité avec lesparents, hommes et femmes recon-nus comme digne d’intérêt. C’estseulement ainsi qu’une transmis-sion entre générations est possible.Des familles (une bonne centaine),venant de quartiers que l’on ditdifficiles fréquentent le Club dePrévention de l’A.D.E.F.O àDijon. Ce service à la particularitéde rencontrer non pas prioritaire-ment des adolescents (comme c’estle cas habituellement en préven-tion spécialisée), mais des familles,et notamment des familles avec desjeunes enfants. Les rencontres ontlieu dans les règles de la préventionspécialisée, c’est-à-dire sans man-dat nominatif et dans la libredurée, de quelques mois àquelques années. Les familles vien-nent librement. Ce sont des moda-lités d’approche qui nous semblenttout à fait intéressantes.Ces familles ont souvent une his-toire faite d’abandon et de place-ment se répétant de génération engénération, auxquels s’ajoutent desdifficultés liées au contexte écono-mique.

Nous (une petite équipe de tra-vailleurs sociaux), proposons destemps d’accueil collectifs ou indi-viduels, réguliers ou ponctuels,avec la possibilité de participer àdes activités concernant les parentsseuls, ou les enfants seuls, ouparents et enfants, sur le lieu qu’onappelle le « Club » à Dijon ou à lamaison familiale de Grancey, pourdes séjours de vacances.

Pour nombre d’entre les familles,ces rencontres régulières, dans unlieu qui a une longue histoire, sontun repère stable, un temps poursortir de l’isolement, ou bienencore un lieu d’apprentissage endouceur des séparations entreparents et enfants. Pour d’autres,dont les enfants sont placés, c’estun lieu régulier de retrouvailles.

C’est à partir de ces temps d’ac-cueil que se tissent les relationsentre les familles et nous, maisaussi entre les familles elles-même.Il est tout à fait nécessaire d’atta-cher de l’importance à ce qui se vitlà, entre elles, instaurant des liens,des passages d’expérience, desdédramatisations d’évènements duquotidien, en bref, une apparte-nance pour des gens en manqued’appartenance. Beaucoup n’ontpas connu leurs propres parents.Un silence pesant vient en place detransmission de leur histoire qui,souvent, s’inscrit avec perte et fra-cas dans les corps et dans les actes.Ce sont des personnes très viteinsécurisées, avec une vie socialeréduite ou conflictuelle, en grandedemande de reconnaissance etd’affection pour elles. Elles ontbesoin de régularité, de continuité.

Les moments de rencontres quenous proposons sont chaleureux,quasi ritualisés, favorisant la paroleet un apprentissage des règles de lavie sociale. Les enfants voient leursparents parler avec d’autres, ils nesont plus les seuls interlocuteurs dela souffrance parentale : « Tu vois,Untel, il s’occupe de ta maman tupeux jouer tranquillement »... resi-tuant chacun à sa place. Commentapprendre à l’école quand on esten souci pour ses parents ? Noustentons d’être des passeurs derelais, de mettre des ponts entre lesmondes si éloignés que sont poureux l’intime et le dehors, la mai-son, la crèche, l’école, le travail…Ce sont les mots qui peuventrelier ; c’est quand les grandes per-sonnes se parlent qu’un enfantpeut grandir dans la confiance etaimer l’un sans trahir l’autre.

Dans nos sociétés, dans nos cités,l’enfance est souvent en dangerd’un trop de présence maternellepour mille raisons sociales, écono-miques et culturelles. Dès quequelque chose existe dans lasociété pour proposer un espace àces mères, elles ont une chance detrouver une place plus juste auprèsde leurs enfants. L’enfant est moinsentraîné dans la dépression mater-nelle, il n’est plus le seul objet deson désir. La mère se tourne versd’autres désirs, elle s’écarte de cetterelation dont on ne sait plus trèsbien qui est la mère qui est l’en-fant. Du « deux » s’installe. Samère n’est pas toute pour lui, elle aun « ailleurs » qui va donner del’air à son enfant. Soutenir cettefonction paternelle, ce tiers, n’estpas prendre la place du père, maisparler de ce père : « Tu vois, tonpère n’accepterait pas que tu parlescomme ça à ta mère ». Tâche diffi-cile pourtant que la rencontre deces pères quand ils sont présents…En proposant de les accueillir(nous organisons des week-endspères-enfants), ou en les invitantavec leur famille (en séjour devacances par exemple), un autreregard peut-être porté sur eux de lapart de l’entourage mais surtout deleurs enfants et de leur femme. Ilss’y révèlent autrement vivants etactifs dans leur paternité si souventmise à mal. Avec les très jeunesparents également, nous faisons lepari que quelque chose peut chan-ger dans la répétition familiale.Nous pensons qu’un accompagne-ment fait de confiance et d’atten-tion, dans ce moment debouleversement intime qu’est lanaissance d’un enfant, est propiceà des relations nouvelles.

Bien sûr tout ce que nous tentonsd’entreprendre ne va pas sans dutemps, de la patience. Rien ne peutse faire véritablement dans l’ur-gence. C’est à travers des petiteschoses mises en place, sans rien despectaculaire, mais dans un cadrebien pensé, qu’émergent des paro-les, des attitudes, des mouvements,qui peuvent être reçus, entendusparfois, et peut-être faire écho etpoursuivre leur chemin… ■

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L’adolescent, l’identité etla violence scolaire1

Jean-Jacques JORDI Historien, Coordonnateurde Réseau d’EducationprioritaireMarseille

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Il n’est pas un jour sans quel’on entende ici ou là parler de

violence scolaire.

De la même manière, en règlegénérale, la communauté éduca-tive qui regroupe enseignants, per-s o n n e l d e d i r e c t i o n e td’administration, surveillants,aides-éducateurs, évoque régulière-ment l’incivisme, l’irrespect de ces“jeunes”, autant dans l’enceintescolaire qu’à l’extérieur. On a sou-vent évoqué la violence en milieuscolaire - nous nous situons icidans le cadre d’une populationscolaire de collège - au travers deplusieurs éléments constitutifs decette violence. Tout d’abord, l’idéeque l’école en elle-même génèreune violence qui est celle issue dela volonté affirmée de l’Etat d’inté-grer-assimiler tous ceux qui pas-sent par l’école comme l’onpasserait dans un moule, moulerépublicain, laïc et gratuit.Cependant, contrairement à uneidée reçue, la France n’a pas refoulédans son école les “petites patries”(la Bretagne, la Corse, la Provence,l’Alsace, l’Auvergne...), mais aconsidéré l’ethnicité comme poly-ethnique et historicisée. L’école dela République a crée un fort senti-ment d’appartenance à la Francesans véritablement se couper despatries ou terroirs d’origine. Defait, l’école a été et reste puissam-ment intégratrice. Un enfant peutne pas être français, mais l’élève,parce qu’il est élève de l’école fran-çaise, au sein de la société française,est un élève français nous rappelleAbdelmalek Sayad2. Ensuite, on aavancé l’idée que la violence estliée à l’échec scolaire, lui-mêmefait social lié à des mécanismessociaux d’exclusion qui existentdans la société. Une des premièresvictimes de ces exclusions sont his-toriquement les immigrés et parconséquent leurs enfants. L’écoleétant le reflet de la société, aucunchangement n’était possible sansbouleversement de la société.C’était juste oublier qu’aucunesociété n’est immuable, que l’écolea parfois un peu d’autonomie, et

que, surtout, il n’y a pas de causesspécifiques à l’échec scolaire desjeunes issus de l’émigration.Comme le faisait remarquer uninspecteur de l’Education Natio-nale, la “pauvreté n’est pas gage del’indignité”. Enfin, mais il ne peuts’agir là d’une revue de détail, on aavancé que la constitution de clas-ses au collège, parce qu’elle est eth-niquement inégalitaire - pourparler clair, des classes de “blancs”,des classes de “noirs”, des classes“d’arabes” - produirait des blessu-res et des douleurs, lesquelles, demanière inéluctable, débouche-raient sur une violence quasi dra-matique3. Combien de fois ai-jeentendu : “Ils (les enseignants)nous font pas travailler parce qu’onest arabe”. Et quand je leur disais :“et quand vous avez du travail,vous le faites ?” La réponse étaitinvariable : “non, puisque ça sert àrien !”Forts de ces connaissances, avecleurs possibilités, et sans que celapuisse être considéré comme uneexpérience, les communautés édu-catives de deux collèges deMarseille, avec lesquels je travaille,ont décidé que ceux qui étaient lesmieux placés pour constituer lesclasses de 6ème étaient les institu-teurs et professeurs des écoles. Leprincipal critère restait la constitu-tion de classes hétérogènes. Defait, les sentiments réels d’injusticeou de victimisation qui pouvaientexister avec une affectation dansune classe segréguée s’en trou-vaient sinon disparus, au moinsaffaiblis4. Ensuite, la violence cons-tatée les années précédentes aimposé à la communauté éduca-tive de mettre l’accent sur la néces-sité d’affirmer l’existence de règles,l’existence d’un règlement de l’éta-blissement, et l’existence d’uneréférence commune aux élèvescomme à l’ensemble de la commu-nauté éducative permettant l’émer-gence d’un sentiment d’appar-tenance à une même “polis”. Sansdoute ici, les caractéristiques deMarseille et de sa culture localefavorisent l’adhésion à une forteidentité collective, et particulière-

ment en milieu populaire et immi-gré*. En ce sens, pour les collé-giens, l’identité locale prendnettement le pas tant sur l’identitéd’origine que sur l’identité natio-nale. Enfin, l’inscription dechaque élève dans son histoire,dans un projet de vie soutenu pardes actions spécifiques (culturelleset artistiques, scientifiques, sporti-ves, actions de prévention desconduites à risque...) permet àl’élève de se situer et de compren-dre pourquoi il se trouve ici et pasailleurs...Pour autant, des problèmes subsis-tent. Si l’on constate une améliora-tion du comportement dans lesclasses de 4ème et de 3ème, lesclasses de 6ème semblent avoirquelques difficultés qui génèrentde la violence, et que le rappel à laloi ne peut contenir. Sans doute,ne fait-on pas évoluer des a priorisur tel ou tel collège en une oudeux années, et que si tel collègepasse pour être le collège des “ara-bes et des Comoriens”, donc un“mauvais” collège au regard desautres, il est à craindre que cetteréputation lui survive encore,quand bien même ses résultatsseraient en progression. Sans douteaussi, la mise en concurrence illégi-time, faite les années précédentes,entre la “compétence” mythiquede l’institution-école et la “compé-tence-incompétence” des parents at-elle engendré une violencesourde contre ceux - les ensei-gnants - qui n’arrivaient pas à fairetravailler les élèves suffisammentpour obtenir des résultats conve-nables. Il conviendrait en effet devoir comment l’institution sco-laire, après avoir délégitimé le rôleet le pouvoir des parents, peutredonner du sens à l’autoritéparentale... et non aux grandessoeurs ou aux grands frères. Il nousfaut donc, en plus que ce que nousavons dit, chercher ailleurs dansun double enjeu : faire de l’établis-sement scolaire un espace d’ap-prentissages, de socialisation et decivilité au rapport de la loi, et l’en-jeu de ne plus ségréguer les diffé-rences mais de vivre ensemble. ■

1 Il s’agit dans ce texte deréflexions et d’opinionspersonnelles au regard d’unepratique de terrain nourrie derecherches sur l’histoire desmigrations.

2 Directeur de recherche auCNRS (aujourd’hui disparu)Contribution inédite aurapport Jacques Berque.

3 Il reste toutefois le délicatproblème de l’orientationaprès la classe de 3ème.

4 On pourrait avoir uneréflexion semblable sur lespratiques “répressives”(punitions) différenciée auxélèves de certaines classes parrapport à d’autres. S’iln’existe plus de classereléguée, le système depunition ne peut plus êtredifférencié.

BIBLIOGRAPHIE :

* On verra sur ce point l’étudeMigrants et sociétés urbaines enEurope, l’exemple de Marseilleet de Francfort-sur-le-Main,GAPRETS, Université deLuminy, 1995-1997, et ledocument de synthèse paru dansMigrations Etudes, ADRI, Paris,Octobre 1999.

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Réflexions sur l’incarcérationdes mineurs

Docteur CyrilleCANETTIPsychiatre au SMPRdu centre de jeunesdétenus de Fleury-MérogisDocteur IsabelleROUSTANGMédecin à l’UCSAdu centre de jeunesdétenus de Fleury-Mérogis

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Le quartier mineur du centrede jeunes détenus de Fleury-Mérogis accueille des adoles-

cents de 13 à 18 ans. Ceux de13 à 16 ans y sont pour des

procédures criminelles, lesautres pour des procéduresqui peuvent être correction-

nelles ou criminelles.

La très grande majorité y est pla-cée en détention provisoire, c’est àdire avant jugement et pour despériodes qui sont le plus souventd’un à deux mois. En dehors deceux qui y sont pour un acteunique et grave la quasi totalitéd’entre eux ont un parcours faitd’antécédents judiciaires, de pri-ses en charge multiples (juge desenfants, éducateurs de l’aidesociale à l’enfance, de la protec-tion judiciaire de la jeunesse...).Ils sont pratiquement toujourspassés par différentes institutionstelles que les centres de placementimmédiat, les unités éducatives àencadrement renforcé ou autresfoyers d’accueil. Lorsqu’ils sontplacés en détention, c’est le plussouvent par un juge à court desolution qui voit dans cet ultimerecours la possibilité de marquerd’abord une limite et ensuite deménager un temps afin de trouverune solution plus adaptée à longterme à la situation de ces jeunes.Pour la plupart de ces mineurs, iln’y a pas de réincarcération aprèsle jugement qui a souvent lieuaprès la sortie de prison. Ils sevoient le plus souvent condamnésà des peines de sursis assorties depériode de mise à l’épreuve souscontrôle judiciaire. La mise endétention n’est donc pas générale-ment pratiquée dans le butunique de sanctionner (et quelsens a la sanction avantjugement ?) mais dans celui decontraindre le jeune à un tempsde réflexion et à la justice la possi-bilité de trouver une issue à unparcours qui fait craindre uneévolution très défavorable.La détention des mineurs souffre,sans doute encore, souvent à justetitre, d’une triste réputation, celle

d’empêcher toute évolution posi-tive du jeune incarcéré.L’incarcération peut constituer,certes moyennant un nombre nonnégligeable d’améliorations, uneétape dans la vie du jeune, uneprise de conscience et offrir auxdifférents intervenants (justice,santé, éducation nationale) la pos-sibilité d’une action concertée etcohérente abordant le jeune à lafois dans son individualité et saglobalité au sein de la famille et dela société.Ce temps de l’incarcération doitêtre mis à profit afin d’être vécupar les jeunes comme une périodetransitoire leur permettant dechanger de direction dans un par-cours mal engagé.Les améliorations à apporter auxconditions d’incarcération sontmultiples et portent sur de nom-breux points mis en exergue parles rapports d’enquête duParlement et du Sénat. Pour lesmineurs, elles doivent porter entout premier lieu sur le dévelop-pement d’un réel partenariatentre les différents professionnelsintervenant dans la prise encharge de ces jeunes.

Tout récemment encore se réunis-sait au centre de jeunes détenus deFleury-Mérogis un groupe de tra-vail constitué des membres del’Administration Pénitentiaire, del’Application des Peines, duParquet ainsi que des représen-tants de la Protection Judiciaire dela Jeunesse, de l’Education Natio-nale, de la Croix Rouge et deséquipes de l’UCSA (unité deconsultation et de soins ambula-toires, responsable des soinssomatiques) et du SMPR (servicemédico-psychologique régionalchargé des soins psychiatriques).Ce groupe de travail s’est fixécomme objectif de créer des liensentre les différents acteurs de laprise en charge des mineurs, aussibien entre les différentes structu-res qu’entre l’avant, le pendant etl’après détention. Dans le cadre de ce partenariat,l’équipe du SMPR de Fleury-

Mérogis rencontre chacun desjeunes incarcérés. Ils sont initiale-ment reçus par un psychiatre etun infirmier et adressés ensuite lecas échéant à un psychologue ouparticipent à des ateliers théra-peutiques.Les missions des SMPR com-portent également l’organisa-tion d’un suivi post pénal qui semet en place progressivement.Le temps de l’incarcération estaussi celui de la rencontre avec lesparents du mineur, momentessentiel de la prise en charge quipermet parfois de mettre à platdes situations jugées inextricables.Il est rare que ces jeunes présen-tent des pathologies psychia-triques avérées. Il s’agit le plussouvent d’une symptomatologieréactionnelle à l’incarcération et àses conséquences sur la cellulefamiliale et plus souvent encorede troubles de la personnalitéengendrés par des carences affecti-ves, sociales et éducatives. La priseen charge n’a pas la prétention depallier ces carences mais de mettreen place un suivi qui peut per-mettre une prise de conscience ettente de redonner à ces jeunes quisouffrent la possibilité de repren-dre une part active dans le choixde leur vie.

D’ores et déjà, un partenariatentre les équipes de soins soma-tiques et psychiatriques permetaux jeunes de prendre cons-cience de leur souffrance tantphysique que psychique.

Loin de représenter la solution, laprésence de jeunes en prison est lesigne d’un échec de notre société.Il nous faut poursuivre nos effortsafin que le placement en déten-tion des plus jeunes puisse aussirecouvrir un rôle éducatif et nepas représenter le dernier maillonde la course vers l’échec.Parallèlement la société doit fairepreuve d’imagination pour inven-ter d’autres réponses à la délin-quance des adolescents, ce quipermettra de limiter l’incarcéra-tion des mineurs. ■

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L’adolescent au nom de la loi :oui, mais laquelle ?

Sylvie QUESEMAND-ZUCCA Psychanalyste PsychiatreRéseau « Souffranceset Précarité » (Dr. Xavier Emmanuelli)Hôpital Esquirol94413 St Maurice

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Un certain nombre d’adoles-cents se retrouve aujourd’huidans les villes, errants parfoisde longs mois. Qu’a-t-il pu se

passer dans ce derniermoment d’effraction du cadreinstitutionnel (familial, éduca-tif, social) avant le passage àla rue, et comment interroger

cet acte de rupture par rap-port à la question de la Loi ?

L’adolescence est le temps de l’ex-périence : expérience des limites deson corps, de la sexuation, de lapossibilité de s’affronter au dis-cours de l’autorité ; expérience,enfin de s’affranchir d’une positiond’enfant dépendant.Le trajet de l’enfance, chez denombreux jeunes en rupture deliens, a souvent été émaillé de vio-lences, de rejets silencieux ou agis,de traumatismes de deuils, de cas-sures aux conséquences subjectiveset sociales souvent catastro-phiques.L’adolescence surgit alors dans uncontexte où ont manqué réassu-rance, possibilité d’élaboration desconflits internes, de sublimation etde projection de soi autre que surun registre purement imaginaire.Les pulsions débordent alors lejeune qui se retrouve submergé,envahi, sans limites face à cetteviolence soudaine en lui et face àce corps inconnu.Cette violence pulsionnelle le faitagir, réagir, être agi – par défautd’avoir pu être contenu dans sasubjectivité par le langage. L’ins-tance symbolique qui – par desinterdits structurants – permet auxtensions de s’apaiser, au corps de secalmer, à la révolte de se canaliser,n’a pu être opérante. Au lieu decela, l’engrenage commence pourl’adolescent et son entourage.

• Engrenage pour le jeune qui« cherche des limites » : limites del’appropriation de son corps (per-cings, tatouages, mutilations, etc.),limites de sa confrontation avecl’idée de la mort (conduites àrisques, tentatives de suicide…),limites entre des positions mégalo-maniaques et dépressives, limites

entre lui et le Monde (provoca-tions diverses, actes délictuels…).

•Engrenage dans les réponses : cesadolescents difficiles se retrouventalors adressés en institutions spé-cialisées (qu’ils ont souventconnues depuis l’enfance). Il peuts’agir d’institutions familiales (pla-cements), scolaires, sociales,médico-sociales et psychiatriques.Des contrats1 sont mis en place,des thérapies aussi. Pour un certainnombre d’entre eux, la confronta-tion est positive : le lieu même, larencontre avec un enseignant, unéducateur, un psy, font cadre.L’adolescent s’y retrouve – au senslittéral du terme2.

Mais pour d’autres – ceux quinous intéressent ici, en rupturesincessantes jusqu’à ce qu’ils seretrouvent à errer, seuls ou en ban-des, dans les rues – force est denous interroger. Ce qui a fait cadrepour les uns n’a constitué pourceux-là qu’un règlement intérieurde plus, arbitraire et donc devantêtre transgressé.

Nous avons tous connu, en tantque soignants divers, des adoles-cents dont l’institution nous ditqu’ils sont intenables, et qui, dansle secret du face à face de nosentretiens, sont charmants, calmes,intelligents. Et pourtant un jour,nous apprenons qu’ils ont fugué,qu’ils ont été exclus, qu’ils ont faitune « bêtise » au-delà des limiteseffectivement supportables pourl’institution.Que s’est il passé ? Commentexpliquer que la digue ait lâché –malgré le fil fragile, certes, du lienqui commençait à se tisser par lelangage ? Une réflexion « en trop »,l’absence d’un éducateur trèsinvesti, un désaccord sur la notionde respect, par exemple. Monhypothèse est qu’alors le cadre n’apu être (encore ?) investi par euxcomme rempart suffisant, face augouffre du vide qui risque de lesanéantir à chaque moment. Maisl’explosion du passage à l’acte, dela fugue, est à décrypter, à chaquefois différemment : ce qui n’est pas

facile… puisque l’adolescent n’estplus là, dans l’institution.Des quelques commentaires quej’ai pu recueillir, par des anima-teurs de « Points Jeunes » parexemple, recevant des jeunes enerrance, ou même directementparfois, par certains jeunes errants,me reviennent en écho, à distance,des mots sur ces ruptures : àchaque fois différents selon l’his-toire, ils reflètent souvent un cricontre ce qu’ils vivent comme l’a-nonymat de certains modes deréponses institutionnels, désincar-nés et qui ne sont plus référés poureux à ce qu’ils se sont fait commeidée de « la justice ».

C’est à ce niveau que porte moninterrogation. N’avons-nous pasfini, dans les moments d’impassethérapeutique et institutionnelleauxquels nous confrontent grave-ment ces adolescents difficiles, àfaire trop appel à la « Loi »oubliant nous-mêmes qu’il ne fautpas confondre la Loi avec la ques-tion des contrats, des règlements,de la discipline ? Ces jeunes, sou-vent soumis depuis des années àdes régimes d’horaires, de disci-pline, de règlements uniformes (etencore une fois parfois depuis latoute petite enfance quand ils ontété placés), ne nous crieraient-ilspas plutôt que la présence de la Lois’inscrit dans un cadre, des bords,des limites reconnues authentique-ment par un vrai désir de la Sociétéde les contenir psychiquement ?Ces adolescents en effet, ont, plusque tout autre, besoin d’un rap-port fortement personnalisé,répondant (plus que porteur deréponses) d’une présence qui leurpermettent de s’inscrire dans lelangage, l’échange… Contrats etrèglements s’inscrivent dans ce« répondant », mais à eux seuls nesuffisent donc pas définir la Loi.

Il me semble que c’est peut-être, etencore à travers l’errance, cettequête de ce que seraient les fonde-ments authentiques de la Loi, queclament ces adolescents : à chaquefois à réinventer par eux, avecnous, malgré l’épuisement… ■

BIBLIOGRAPHIE :

1 Sur la notion de contratthérapeutique, je conseille l’articleréalisé autour de la notion decontrat passé avec les anorexiques« Un contrôle moral - dans « la jeune fille et la Mort -soigner les anorexies graves »Arcan - fin 2000

2 Sur ce sujet, je recommandela lecture de Winnicott« Déprivation et délinquance »Payot, 1994

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Le suicide de l’adolescent :la mort dans les yeux

Docteur Robert BRÈSPsychiatre des HôpitauxUnité de Soins pourGrands Adolescents,Polyclinique de PsychiatrieHôpital de La ColombièreCHU de Montpellier

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Le suicide est par excellenceun acte intime au sens où il ne

concerne que le sujet et luiseul et exclut de fait toute

référence à l’autre. C’est unacte pur dont on ne peut riendire, comme une histoire sans

parole, un « innommable ».Cet acte n’est pas une

démonstration mais unemonstration ; on en a plein les

yeux et la bouche close.

Le suicide apparaît d’autant plusmonstrueux quand il s’agit d’ado-lescents ; il est hors de propos,semblant prendre à contre-piedl’éclosion souhaitée parfois crain-tivement d’un sujet à venir. Ilmarque l’absence incongrue etcruelle d’un sujet en plein ad-venir.Cet innommable monstrueuxouvre à des réponses diverses dontla finalité n’est que de le déplacer,de le conjurer, à l’instar de Perséequi pour affronter le regard demort de Gorgone utilisait un arti-fice en ne cherchant à le voirqu’au travers d’un miroir afind’éviter l’occurrence mortifère dele regarder en face.

Le corps social oscille ainsi entredes réponses de type hystérique oude type obsessionnel :

• Il s’agit parfois de démonstrationd’affects forts , de témoignages dedouleurs intenses comme pourdétacher l’attention, la compas-sion et l’intérêt du mort vers ceuxqui souffrent ; ou de proposer unereconstruction quasi-romanesquede l’acte pour l’inscrire dans unehistoire autre ; on cherche desexplications pour se soulager detrop fortes implications.

• Il s’agit aussi de dresser destableaux statistiques, des descrip-tions minutieuses, des analysesfroides. L’acte est posé nu, sansaffects.Ces deux stratégies ont bien encommun de détourner le regardde l’innommable de l’acte suici-daire.

L’acte suicidaire est bien aucœur du paysage adolescent ; ilconcerne plus de 1.000 adoles-cents par an et 30.000 si onprend en compte l’ensemble destentatives de suicide.Il est rarement associé à unepathologie mentale. Le suicidedes adolescents n’est pas le faitd’une maladie ou d’une problé-matique spécifiée, mais bien unacte adolescent, liée donc aux pro-blématiques propres à l’adoles-cence.

En ce qui concerne les grandsadolescents, les 15 ans et plus,cette problématique est dominéepar la convocation culturelle às’inscrire dans ce qui va être leurhistoire à l’écart de l’histoireparentale. L’adolescent est convo-qué à faire des choix (il ne peutpas tout avoir), accepter ses pro-pres limites (il ne peut être tout)et ce de manière quasi-irréversible(et donc à s’inscrire dans une tem-poralité). Ce mouvement d’éclo-sion est particulièrement boule-versant, l’adolescent se sent perdu,seul dans un monde trop grand ;et déprime dans la mesure où il serend compte qu’il ne prime plus.

Le rapport au temps doit se refor-muler brusquement ; l’adolescentn’est plus dans le temps des autres(celui de ses parents, de la mode,de ses copains, celui des rythmesscolaires etc.) il entre dans sa pro-pre temporalité, dans ce quimaintenant fait histoire pour lui.Se poser la question de son propretemps amène de fait à se poser laquestion de sa propre mort dansla mesure où c’est bien la mort quidonne sa mesure au temps.Penser à sa mort, c’est échapper àla nécessité de penser au tempsqui passe ; présentifier sa propremort c’est abolir le temps, çaretire ce qui lui donnait la mesure,c’est donc se penser immortel.

Si l’adolescent n’a pas peur demourir, c’est qu’en fait il a trèspeur de vieillir : « à mourir pourmourir, il choisit l’âge tendre ».

Le passage à l’acte suicidaire cor-respond souvent à une tentativemagique de se débarrasser de lanécessité de faire des choix, d’ac-cepter des limites et de s’inscriredans sa propre temporalité.Mourir c’est se débarrasser de cequi embarrasse, grandir c’estaccepter de s’en embarrasser.Souvent au décours d’une tenta-tive de suicide l’adolescent estserein, heureux de vivre, commes’il avait vérifié qu’il était vivant etque les autres avaient répondu auterrible rendez-vous qu’il leuravait donné. Quand il y a passageà l’acte, l’adolescent ne sait pluspourquoi il s’est exposé à mourir.C’est pour cela qu’il est difficilede l’aider à penser cet acte, à endire quoi que ce soit. C’est pourcela qu’il est souvent préconiséd’intervenir très précocement audécours d’un acte suicidaire.

Cet acte suicidaire ne correspondpas toujours à l’incapacité qu’al’adolescent à savoir se penser à lafois dans le passé, dans le présentet dans l’avenir, se penser doncdans une histoire ; l’acte répondparfois non pas à un défaut desavoir mais à un défaut de vérité,un peu comme si l’adolescentvoulait anticiper sur une vérité àvenir. Il se laisse entraîner dansl’acte en ayant sincèrement l’im-pression qu’il découvre par cetacte qu’il avait envie de mourir ;tout se passe comme si certainsadolescents se trouvaient aux por-tes de la mort sans avoir jamaisvéritablement décidé de mourir.Au décours de l’acte ils sont alorsperplexes, comme incapables depenser ce qui leur est arrivé, nesachant que faire de cette véritérévélée à leurs yeux.La prévention de tout acte suici-daire consisterait alors à permettreà l’adolescent de prendre le tempsde grandir, d’entamer et poursui-vre cette longue Odyssée d’unUlysse parfois déboussolé maisanimé du désir d’avancer vers sonIthaque. ■

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A propos des adolescents en errance :la mélancolisation d’exclusion ou d’unesouffrance psychique dans l’actuel

Olivier DOUVILLEPsychanalyste, Paris.Maître de conférencesen Psychologie clinique,(Université Paris 10-Nanterre) Psychologue clinicienau E.P.S. de Ville-Evrard(93). Directeur de publicationde Psychologie Clinique

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La problématique de l’exclu-sion a pris le relais de celle de

la pauvreté, voire de la misère,et cette dramatisation des ter-

mes s’explique peut-être dufait de la grande proportion

d’adolescents en exclusion, enerrance, en déliaison sociale*.Les espaces urbains contem-

porains sont aussi des réalitésinter et intra psychiques.

Il sont les lieux même de l’ex-pression du malaise actuel

dans la culture et dans la sub-jectivation […]

Partons d’une expérience cli-nique. Je travaille comme psycho-logue clinicien dans un CentrePsychiatrique de la Banlieue pari-sienne où je me suis investi dansun travail sur la cité, j’ai égale-ment été consultant pour le SamuSocial International dans un pro-jet concernant les adolescents ensituation de grande exclusiondans la rue, à Bamako. De la ban-lieue parisienne à Bamako et sesquartiers périphériques les diffé-rences peuvent, en un premiertemps sauter aux yeux. Le clini-cien, à l’inverse, doit se montrersensible, en dépit des différencesmanifestes, en dépit de tout ce quipeut, à juste titre, différer entreun adolescent bambara et un ado-lescent de banlieue parisienne, àune certaine concordance de traitscliniques qui définissent unemélancolisation d’exclusion.

Que veut dire un tel terme«mélancolisation d’exclusion » ?Il s’y désigne une dégradationprogressive des rapports du sujet àl’espace, au corps et au langage.Les sujets en danger psychique (etnon seulement en souffrance psy-chique) dans l’exclusion sont dessujets qui ont perdu le sens de leurcorps, de l’intégrité de leur corps,de la cohésion de leur corps. Lanotion de régression qui s’imposealors n’est pas une mauvaisenotion. Elle implique toutefois

une idée assez fixe du développe-ment qui ne convient toujourspas. A quoi assistons-nous ? à dessujets qui ont perdu le sens de leurimage corporelle, qui se viventdans des formes particulières derapports à la douleur, une façond’anesthésie, qui ont des rapportscontrariés aux rythmes élémentai-res de l’existence - ceux donnéspar le jour et par la nuit, qui met-tent en avant un corps déchu,déchet, objet de scandale surtout,avant qu’il ne soit objet de soin.

Ce que nous rencontrons dès quenous allons à la rencontre d’ado-lescents en grande précarité, c’estle plus souvent non un individuou un autre, mais une forme delien entre deux ou, plus rarement,trois sujets, liés par une forme desolidarité sans réciprocité où s’in-diquent pour les moins cassésd’entre eux une préoccupationqui les relie à celui qui dans l’en-vironnement le plus proche (caged’escalier, coin de rue, petites« caches » sous les tables du mar-ché en plein air à Bamako) leurapparaît, à très juste titre, commeplus régressé, plus « mélancolisé »,plus en danger aussi qu’ils ne lesont eux-mêmes.

Ce matin, un adolescent, seplante à la porte du dispensaire. Iltoque, frappe sonne, mais sansjamais franchir le seuil. La portes’ouvre, sur lui, sur nous, sur un« entre-deux » vide où nous noustenons lui et moi, moi et lui. Un«entre-deux » provisoirement sansdirection et sans enjeu. Mais pasun face à face, non plus. Sonregard ne me fixe pas. Je crains dele regarder en face, crainte detomber dans un vide. Je ne lui dispas, ou plus, qu’il peut rentrerafin que nous nous parlions. Je nelui ai heureusement jamais ditqu’il doit rentrer dans monbureau, ou même s’installer dansun fauteuil pour que nous puis-sions parler. Le cadre n’est pas l’a-

meublement. Je lui propose d’al-ler faire un tour, dehors, d’aller« faire les cents pas ». De biais,côte à côte, nous cheminons entreles tours et les barres de cette citéde banlieue. Et puis, là, devantune cage d’escalier, il se fige, mepousse en avant et me désigne unautre jeune, effondré, sans douteabruti par la colle, l’alcool ou lesdeux substances ajoutées, mêlées,surdéterminées dans une consom-mation anarchique, plus régulièreque gourmande. Une substancecomposite qui crée une secondepeau, un second sommeil, uneforme d’abri désespéré qui ruinele psychisme. Sans doute plus desouffrance psychique, mais unpsychisme en souffrance, à lacasse, en rade. Voilà, il va falloirs’occuper d’abord de ce secondjeune adolescent, essayer certes deretrouver sur qui il peut encorecompter, de retrouver trace de safamille. Mais aussi et surtout,entendre ce montage entre deuxadolescents et pour intervenircomme il le convient, dans unsouci impérieux de veiller à ce quidans la survie est encore et avanttout fidélité à la vie. Reconnaîtrela compétence du premier de cesdeux jeunes, ce messager inquietet inquiétant, ce marqueur deseuil, celui qui n’avait pas en sonnom, du moins manifestement,tiré la sonnette.

Si la clinique de l’exclusion estaussi et souvent d’abord une cli-nique du mésusage des corps,c’est alors la dimension du soinqui est à reprendre et à repenser.Les grands exclus vivent des phé-nomènes de bords, ils collent avecun angle de l’espace, avec un restede territoire et un territoire desrestes, où ils font corps avec lebord (recoin d’une cage d’escalier,angle de trottoir…). Cette façonlimite de ne faire qu’un avec unaccent de l’espace est un recours,le plus souvent, contre une mise àplat du monde. Tout se passe

BIBLIOGRAPHIE :

* cf mon article «Adolescence enerrance de lien» L’InformationPsychiatrique, vol. 76-751, 2000,1: 29-34, cf également la thèsed’anthropologie de M. Cadoret«Adolescents des mondescontemporains» (EHESS, 2000)

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A propos des adolescents en errance... (suite)

comme si l’exclu vivait non seule-ment sa mise à part des circula-tions et des liens, mais saprogressive chute dans uninforme du corporel, du temps etde l’espace. C’est dans ce momentde mélancolisation que l’on voitse produire ces transferts par les-quels un adolescent, en vive diffi-culté narcissique, va se « coller » àun autre bien plus atteint que luipar les processus de destructionde l’identité, et prendre soin de cequi reste de vivant, de survivant,en cet autre qu’il va situer à côtéde lui. Tout comme ce grand ado-lescent m’avait mené au seuil d’unautre jeune, bien plus encore à lacasse et à la dérive. Devenant alorsle gardien du lieu et du temps, cetadolescent, devenant « aide-soi-gnant », porte la demande de l’au-tre, façon sans doute progressive,masquée, mais ô combien légi-time de faire passer en contre-bande sa propre demande. C’estainsi d’altruisme dont je parle ici,

ce souci de l’autre […] est bel etbien tissé de projections, d’identi-fications voire de dénis. Il n’en estpas moins le ressort d’un montagequi interroge frontalement ladimension du soin. C’est à direque nous sommes de la sorteconviés à respecter des lieux et destemps, tout en, et c’est un para-doxe, rendant notre présencerégulière et dense. Nous consti-tuons un point fixe, appelé à êtrelà et qui par sa fixité soignantetroue effectivement la platitudecatastrophique et informe oùs’isolaient des jeunes grandementexclus, laissés au rythme languidedes auto-intoxications et des apa-thies mortifères. Il est péniblemais non rare de constater à quelpoint qui se vit coupé, indigne, detoute réciprocité, glisse avec unerapidité effarante vers un état« dé-langagier » de son corps. Aupoint que la certitude même d’a-voir un corps (et comme pro-priété et comme responsabilité)vacille. Se produisent alors destroubles organiques autour des

fonctions orificielles, de la capa-cité à ressentir la douleur et d’a-dresser cette douleur à quiconque.

Or une structure simple du com-plexe d’autrui –je reprends cetteexpression à Freud- par laquellel’exclu « profond » est un peu prisen charge par d’autres est aussiaisément rencontrable dans unebanlieue parisienne que dans unemégapole africaine. A Bamakoaussi, des bandes de jeunes errantsdéambulent dans la cité, dans lesinterstices de ces villes, près de ceslieux où tous passent et où nul neprend la temps ou la peine de s’ar-rêter. Les gares routières, lecontrebas d’un pont enjambant leNiger, etc…Tous les adolescentsne vivent pas en bande. Des appa-riements se forment. Là aussi, làencore, des adolescents en errancede lien vont se fixer à un autre enerrance de corps. Et c’est là encorela même logique, amener les soi-gnants à occuper ce point fixe oùle corps du plus aliéné s’est recro-quevillé, amené de la sorte, durythme, de la succession de pré-sence, du contenant pour laparole à venir.

Que la mélancolisation d’exclu-sion aille de pair avec la mise enplace d’une forme de complexed’autrui adressée aux soignants estpeut-être un des enseignementsmajeurs que le clinicien reçoit deces adolescents en errance de lienet en risque de chute dans l’in-forme du corporel. ■

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Jean FurtosDirecteur scientifiquede l’ORSPEREBron (69)

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Il existe aujourd’hui unprocessus de désaffiliation à

l’œuvre dans le champ social.Ce terme renvoie, sur le regis-tre négatif, à l’affiliation à un

groupe, à une institution, àdes devoirs d’appartenance ;il renvoie aussi à la filiation,

cette suite discontinue desgénérations qui fabrique du

même et de l’autre.

Avec la « désaffiliation », noussommes en tout cas dans l’ère desmots en « dé » : démariage, désin-stitutionnalisation, désymbolisa-tion, défusion, déconstruction...Ils signifient une perte, unmouvement de déliaison quigarde, dans son principe, unepotentialité de reliaison. Au seinde ce processus, certains y trou-vent leur compte, tels Tristan etIseult* qui sortent des obligationsritualisées du social pour s’aimer,ce qui se paie du prix fort. Moinsradicalement, celui ou celle quipeut assumer un minimum detransgression des normes d’appar-tenance va plutôt bien sur le plande la créativité. Et ceux-là passentrarement par les services d’ur-gence générale et psychiatrique,quoique parfois... Mais qu’en est-il de la désaffiliation pour lesadolescents en grande difficulté,lorsque se superpose un processusd’exclusion sociale ? Ce questionnement permet d’in-troduire une idée forte expriméepar des praticiens de l’urgencemédicale et sociale travaillantdans le cadre d’un projet PRAPS1

toujours en cours à l’ORSPERE2 :ces praticiens constatent desprocessus d’exclusion de jeunesadolescents ; ils se perçoivent eux-mêmes en train d’assister, enqualité de témoins impuissants etsouffrants, à un processus calami-teux de « désadoption », autremot en « dé ».« Désadoption » : ce néologisme ad’abord été utilisé dans le groupePRAPS au sens propre ; il y aurait

des familles, en nombre semble-t-il croissant, qui souhaitentrompre le lien avec l’enfantadopté souvent après un longcheminement et une recherche auloin, parce que les liens de filia-tion se passent mal ; il y a unépuisement de l’investissementpsychique qui se traduit par unetentation de rupture en termed’abandon de responsabilité.Analogiquement, nombre d’ado-lescents, ceux-là beaucoup plusnombreux, seraient de faitdésadoptés par leurs famillesnaturelles qui se perçoivent ellesaussi comme ne pouvant plus rienpour leurs enfants, du fait decomportements trop difficiles. Parépuisement, elles le désinvestis-sent pour survivre, dans le désar-roi et la culpabilité; et celaconcerne aussi bien l’investisse-ment du juge des enfants, desinstitutions éducatives, des famil-les d’accueil, des services médi-caux. Le rejet est second. En toutcas, l’errance de certains adoles-cents constitue déjà un stadesérieux de SDF : « Un quart desadultes sans domicile fixe n’habi-taient déjà plus chez eux à16 ans »**.

En désespoir de cause et de délin-quance, ils peuvent être incarcé-rés, et se retrouver SDF à leursortie de prison, situation aiguëde mise en grande précarité.

Des exemples cliniquesD’abord une vignette courte etsimple : voici une mère en état depsychose décompensée. Elle esthospitalisée en urgence à l’hôpitalpsychiatrique sous la forme del’HDT3, et ses enfants, placés àl’IDEF4, quittent leur école etleurs copains pour l’école la plusproche du lieu d’accueil ; à larupture avec la mère s’ajoute celleavec les pairs. Si la séparationdure, les enfants vont être placésen famille d’accueil : nouvellediscontinuité, nouveau change-

ment d’école et de copains. Lacollègue psychiatre qui cite cettesituation redoute d’assister, sanspouvoir intervenir, au débutd’une errance institutionnelle oùest déjà engagé un processus àlong terme. Est-il pensable etpossible d’agir, se demande t-elle ?Par exemple, peut-on imaginer unbudget pour continuer d’amenerl’enfant à son école, ce qui coûte-rait moins cher en dégâtshumains, moins cher aussi que laprise en charge institutionnellelourde et longue qui s’avérerasouvent nécessaire.

Voici une autre vignette : depuissix ans, une jeune fille a fréquentéépisodiquement l’Unité Médicaled’Accueil (UMA) de l’Hôpital duVinatier. Elle y est venue pour deshospitalisations rares et courtes,de 10 ans 1/2 à 16 ans 1/2, âgequ’elle a actuellement. A l’âge de 3 ans 1/2, Amélie a étéconfiée à une famille d’accueil, samère ayant été condamnée à 3 ansde prison. Elle est restée très atta-chée à sa mère (qui ne s’occupeplus d’elle) et idéalise son père.Les deux parents sont séparés. Il yaurait eu une longue période delatence symptomatique.A dix ans, Amélie était une petitfille sur le point d’entrer en CM2,et dont l’avenir n’inspirait alorsaucune inquiétude exagérée,même si elle avait besoin d’êtreaidée. Ces dernières années, ellefugue de tous les foyers, n’est plusscolarisée, semble se livrer à laprostitution et fréquente desgroupes sataniques.Les soignants des services d’ur-gence ont le sentiment pénible del’avoir vu « dégringoler » sur unepente dévastatrice sans pouvoirintervenir efficacement, et d’avoirété « les témoins passifs d’unparcours calamiteux5 ».Son parcours s’est étiré de famillesd’accueil en foyers, avec uncomportement constitué de crisesd’agitation et de violence clas-

BIBLIOGRAPHIE :

* Cf. Castel (R.) : « Le Roman dela Désaffiliation », in La RevueLe Débat, sept./Oct. 1990.

** Darrot (J.) : « Adolescence etSociété : une crise peut en cacherune autre », in Rhizome n°4,mars 2001.

1 Programme Régionald’Accès à la Prévention et auxSoins.

2 Le travail de ce groupedonnera lieu à un rapport fin2001.

3 Hospitalisation à laDemande d’un Tiers.

4 Institut Départemental del’Enfance et de la Famille

5 Dixit Nathalie Giloux,psychiatre qui a présentécette situation.

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tique épuisant les capacités conte-nantes des éducateurs ; elle jubile-rait, est-il rapporté, del’impuissance de ses éducateurs,comme si elle retournait sa propreimpuissance et son propredésespoir en jouissant de sesaffects projetés « dans » ceux etcelles qu’elle côtoie. Lorsqu’elle est hospitalisé àl’UMA, elle est capable d’écriredes choses intéressantes sur sa vie,son histoire, ou alors des fulgu-rances telles que :

«Vive le désespoir » ou «Le passé, c’est le cimetière,

L’avenir c’est le désert ». Ce dernier aphorisme est l’exactedéfinition d’une position mélan-colique.

Interrogeons nous sur le vécudes soignants : « être les témoinspassifs d’un parcours d’exclu-sion calamiteux... » Qu’est-cequ’un témoin ? C’est quelqu’unqui refuse de banaliser ce dont ilest témoin. En l’occurrence, ilrefuse de le réduire à des signesobservables, à une classificationnosographique. Quelque chosed’injustifiable est authentifiée, quin’empêche pourtant pas d’agir enqualité d’acteurs de sa pratique,mais avec un reste qui n’est pastransformable. Le témoin a vu etentendu, mais il veut témoigner àd’autres pour une sorte de procès.Ici il ne s’agit pas d’un cadre juri-

dique, il n’y a pas de preuves pourou contre, mais une souffranceéthique dans la mesure où elleinterroge l’action. Commentfaudrait-il faire ? C’est aussi une souffrance qui,sans se dissoudre à bon compte,engage à une interprétation quine vise à rien d’absolu sauf àcomprendre un tout petit peu cequi se passe. Ainsi, que se passe-t-il, justement, lorsque Amélievient à l’UMA ? Elle écrit, ellecoagule une histoire terriblementbroyée, ses cris, certains momentspsychiques. Elle permet auxpersonnes qui l’accueillent (famil-les d’accueil ou foyers) de se repo-ser de l’intolérable et desprojections qu’elle dépose en eux,à partir desquels ils répondent parune demande d’éviction... à l’ur-gence. Un tel apaisement estsusceptible de favoriser la pour-suite des liens, d’empêcher unsurcroît de désaffiliation, encoreune éviction « définitive ». Bienplus, quelques jours en serviced’urgence permettent de prendrecontact avec ceux et celles quisont en relation avec ces adoles-cents en difficulté et qui partici-pent aux multiples institutions duchamp social et soignant. Ons’aperçoit que toutes ces person-nes, ces professionnels, consti-tuent sans le savoir une forme degestion groupale à distance,pourvu qu’aucune d’entre elles ne

se prennent pour l’unique inter-venant tout puissant, juste avantle rejet. Dans cette gestion grou-pale se constitue, pour reprendreles termes de René Kaès, uneforme d’appareil psychique grou-pal autour de l’adolescent ; c’est laprise de contact, lettre ou télé-phone, qui authentifie tous cesintervenants : tel éducateur danstelle institution, plusieurs interve-nants qui ne se connaissent passouvent, un juge, un pédiatre, unpsychologue... Dire à l’adolescent,« J’ai téléphoné à Mme X. », ou« Mr X. m’a téléphoné à votresujet », fait émerger un groupesubjectivement très concret ;certains ont un rôle majeur mêmes’il apparaît effacé ; ainsi, pourAmélie, Monsieur D. un psycho-logue qui l’avait rencontrée régu-lièrement autrefois, continue dejouer un rôle important dans cegroupe à distance, rôle qu’on nepeut qualifier de virtuel.« Vive le désespoir », écrivaitAmélie. Peut-être en tout cas ledésespoir des soignants témoi-gne t-il d’un souci actif pourl’avenir de l’adolescent enextrême difficulté de liens.Paradoxalement, cela revient à nepas valider le sentiment d’impuis-sance des institutions qui, s’il suitsa pente naturelle, peut paralysertoute anticipation positive pourl’avenir du jeune.Le témoignage dont nous parlionsplus haut consiste probablement,c’est en tout cas notre hypothèse,à porter la mélancolie de l’adoles-cent, à soutenir l’insoutenablecruauté du sentiment d’indignité.« Témoins passifs », disions-nous,c’est à dire acceptant d’être choisiscomme « porteurs » ; une tellepassivité, éthique, appelle à uneactivité psychique d’une hauteexigence. La souffrance silen-cieuse (mais non muette) desaidants peut éviter un excès dedestructivité, antidote du proces-sus de désadoption. Le désespoirsoignant, sans rejet, est parfois ledéfilé nécessaire pour tenir « ledevoir d’avenir ». ■

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Michèle ZANNMédecin responsable del’U.A.T.A.Jeanne GAILLARDEducatrice spécialisée àl’U.A.T.A.

*Secteur 92I01, Service duDocteur Yves BUIN(Communes de Asnières,Clichy, Gennevilliers,Levallois, Villeneuve laGarenne ).

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La création de l’U.A.T.A.(Unité d’Accueil

Thérapeutique pourAdolescents) en 1995 a été le

fruit d’une élaboration duService de Pédopsychiatrie

Infanto-Juvénile du Nord desHauts de Seine*, à propos dela difficulté d’accès aux soins

des adolescents.

« Davantage de demandesautour des adolescentsqu’émanant des adoles-cents eux-mêmes »Le constat unanimement partagépar les équipes soignantes en psy-chiatrie est que seul un petit nom-bre d’adolescents en difficultéaccepte de venir dans un centre deconsultation médico-psycholo-gique classique (CMP enfants,adultes) voire même de rencon-trer un médecin généraliste. Cesjeunes sont parfois hospitalisés enurgence lors d’une tentative desuicide ou lorsque la souffranceprend le masque du somatique. Ilest bien rare qu’une fois sortis, ilsutilisent les coordonnées qui leuront été fournies.En revanche, beaucoup de parte-naires s’inquiètent et sollicitent lesservices spécialisés pour des ado-lescents en situation de souf-france. La majoration des passagesà l’acte, et notamment des com-portements de violence, génèreun malaise impressionnant débor-dant les adultes directementconcernés.

Les situations de déserrance avecmenace de rupture des liens fami-liaux et sociaux, les conduitesd’absentéisme scolaire et dedéscolarisation sont égalementfréquentes et préoccupantes.C’est dans ce contexte que notreservice de psychiatrie infanto-juvénile a engagé une réflexionvisant à aménager l’accueil de lasouffrance des adolescents et deceux qui les entourent.

« De la rencontre avec lesPartenaires... à l’Adolescent »Une équipe composée d’un équi-valent de cinq temps pleins (psy-chiatre, psychologue, infirmier,éducatrice, assistante sociale,orthophoniste, secrétaire) s’estconstituée par redéploiement desautres unités du service en 1994.Le projet a privilégié l’accueil et larencontre des professionnelsauprès desquels les adolescentsexpriment leur malaise, car cesderniers sont le plus souvent« non demandeurs de soins », serévélant dans l’inadaptation auxstructures sociales existantes (éta-blissements scolaires ou éducatifs)ou en rupture de soins (hôpitauxde jour, centres spécialisés) ; leséquipes sont confrontées à l’exclu-sion du jeune, à la rupture pro-gressive du lien.Les adultes demandeurs font par-tie des équipes de terrain dans leslieux familiers des adolescents de« la cité » (Club de prévention,Protection Judiciaire de laJeunesse), dans les établissementsscolaires (équipe médico-sociale,communauté scolaire). Ces adul-tes, dans leur approche quoti-dienne des jeunes, sont déjàrepérés et dans un lien deconfiance avec nombre d’entreeux.Nous avons aussi affaire aux équi-pes de l’Aide Sociale à l’Enfance(ASE), aux équipes éducatives del’Aide Educative en Milieu Ou-vert (AEMO) et aux structuresspécialisées (IMP : Institut Médi-co-Pédagogique ; IMPRO : Insti-tut Médico-Professionnel ; CMPP :Centre Médico-Psychopédago-gique). Nous rencontrons desadultes en souffrance, dans l’im-possibilité de formaliser un projet.L’équipe de l’Unité d’AccueilThérapeutique pour Adolescents,avant toute adresse vers un soin,va susciter la rencontre des diver-ses personnes concernées par lasituation. En effet, l’implicationdes adultes préoccupés par un

jeune va permettre une reconnais-sance du type de difficultés ren-contrées, donner une assise et uncontenant à l’expression de lasouffrance.Ce dispositif de soins peut êtredécrit comme une surface d’ac-cueil large qui remet en place cha-cun des intervenants dans sonefficience et constitue ainsi autourdu jeune une « équipe élargie ». Letravail se situe le plus souventdans l’actuel. Il s’agit de nouer oude renouer les liens avec unensemble communautaire encoreexistant mais très vulnérable.Parfois, ce travail se suffit en lui-même. Parfois il conduit à l’ac-compagnement du jeune versnotre structure pour un suivi plusspécialisé. La réponse apportéepar l’adulte (infirmier, éducateurou autre), lorsqu’il s’agit d’uneorientation vers notre structure,peut être vécue comme dange-reuse pour l’adolescent ; elle peutengendrer des angoisses de rup-ture, de désolidarisation de sonmilieu. Il s’agit de mettre en placeun dispositif de soins qui préservece lien ténu.

« Quel travail avec quelsadolescents ? »Du fait de notre spécificité, nouspassons donc autant de tempsavec des tiers professionnels à éla-borer autour de jeunes en diffi-culté qu’avec les adolescents quiviennent nous voir avec une assi-duité certaine. Qui sont ces ado-lescents dont nous entendonsparler ou que nous rencontronsdans des lieux aussi divers que col-lèges, lycées, planning familial,club de prévention, hôpitaux ?Nous ne constatons pas de majo-ration des pathologies psychia-triques lourdes « classiques » tellesque psychoses ou dépressionssévères (peut-être ces troublesdonnent-ils lieu à d’autres orien-tations vers d’autres centres desoins pourtant bien insuffisantsen région parisienne ?).

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Deux hommes ont saccagé notrevision imaginaire de l’enfance :Sigmund Freud dès la fin duXIXème siècle et Henry Kemp aumilieu des années soixante dudéfunt XXème.Le premier a montré que la sexua-lité et l’agressivité n’attendent pasl’adolescence pour exister. Ellessont omniprésentes durant l’en-fance, simplement elles y ont desmodes d’expression qui lui sontpropres.Le second a montré les ravagesque font l’agressivité et la sexua-lité de certains adultes sur cemême enfant travaillé par ses pro-pres impulsions.Tous les deux ou trois ans, il y aun grand festival mondial del’horreur, qui s’appelle le Congrèsde l’International Society forPrevention of Child Abuse andNeglect (IPSCAN) fondée dansles années 60 par ce tristementcélèbre Henry Kemp.Celui tenu en 2000, à Durban enAfrique du sud, n’a pas déçu lesamateurs des grands déballages.On peut même dire que ce fut ungrand crû.En général ces dégénérés d’occi-dentaux viennent avec leurs statis-tiques effroyables sur lesdévastations psychologiques descrimes sexuels, violences et autres

maltraitances plus subtiles.Mais nous autres, gens du Sud(protégés de telles turpitudes à lafois par nos nobles et grandesvaleurs religieuses et familiales etsurtout par nos solides dictaturesqui nous empêchent de fouillerdans les coulisses politiques et lespoubelles sociales, sauf pour man-ger), nous n’avons à présenter quede plates études sur le servage decentaines de millions d’enfants ousur ces peccadilles que sontquelques dizaines de millionsd’enfants à la rue.Résumons : entre 10 et 20 % desenfants occidentaux et pas moinsde 50 % des enfants du tiersmonde ont eu tous la même mau-vaise idée : naître.On revient en général des congrèsde l’IPSCAN avec la décisionferme et définitive de démission-ner du genre humain et de niertout lien de parenté avec uneespèce de bipèdes carnivores pra-tiquant la torture, qui pullulent àla surface d’une planète appeléeTerre comme des asticots sur de laviande faisandée.Il faut beaucoup de temps pourramener l’aiguille de l’humeur àune position centrale en se conso-lant comme on peut. On com-mence par bougonner en se disantque 80% des enfants occidentaux

ne subissent quedes traumatismesmineurs et ne s’entirent pas tropmal, la preuve enest leur joie devivre et leurr e m a r q u a b l erésistance à l’hy-giène, l’amourparental et l’édu-cation.

Puis vient le temps de la relativi-sation.Le viol des corps et des conscien-ces ne constitue que l’extrémitédu spectre des comportementshumains. A l’autre extrémité, il ya le don de soi, la compassion,l’affection la plus désintéressée.Entre les deux bouts, se succèdenttoutes les nuances de la réussitecomme de l’échec de la communi-cation et de la collaboration entreles êtres.On peut donc affirmer que l’ado-lescent est dangereux, non par cequ’il est, mais par ce qu’il révèlesur son entourage et sur son passé.L’adolescent n’est pas qu’une his-toire personnelle plus ou moinstragique qui serpente entre lesnombreux écueils de l’existence.C’est un être social donc poli-tique.Et c’est là le deuxième niveau duproblème.Si l’enfance est un regard neufporté sur le monde, l’adolescenceest un regard neuf porté sur lasociété.Il jette sur elle le regard de l’éton-nement, de la perplexité, de l’in-dignation mais surtout celui de lasubversion.Il a vite fait de repérer toutes lesanomalies d’une société hypocritequi fonctionne en permanence àla lisière des lois et principes affi-chés. Il va vouloir changer lemonde et devenir ipso facto unemenace pour tous ceux qui onttrouvé des arrangements avec lui.Il ignore que le monde est pleinde vieux adolescents qui ontessayé de changer ce monde à leurimage, mais qu’au bout ducompte c’est lui qui les a changésà la sienne.Il se laisse aller à la dénonciationfacile, inconscient du fait que

Dangereuse adolescence : persiflage et grincements de dents

-Libres Propos, Propos Libres

Le Dr Moncef Marzouki , professeur de santé communautaire, est la figure de proue de la Défense des Droits Humainsen Tunisie. Il a été déchu de son poste à l’Université de Sousse, en juillet 2000, par décision du pouvoir tunisien. Dans le cadre du procès de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, le Dr Moncef Marzouki est assigné à résidencedepuis le 10 mars 2001, essentiellement en raison de ses positions pour la défense des droits de l’homme et de l’enfant.L’Université de Bobigny l’attend depuis mars 2001 comme professeur associé en santé publique, mais il ne peutoccuper cette chaire puisqu’on lui interdit de se rendre à l’étranger.

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cette révolte si précieuse qui lecaractérise, a toutes les chances dese perdre comme un torrentimpétueux dans les méandres dudésert. Il ne sait pas à quel pointelle est guettée par le risque si fré-quent de l’hédonisme de la jeu-nesse, de l’arrivisme de l’âgeadulte ou l’amertume et la désillu-sion de la vieillesse.Fort heureusement, un certaincontingent arrive à survivre à tou-tes les tentations d’accommode-ment avec la doucereuse horreurdu monde.Et ce sont les adolescents jeunes,les adolescents d’âge mûr et lesadolescents de 50 à 80 ans, quivont s’acharner à domestiquer sadémence et, ce faisant, le rendreun tant soit peu vivable.L’entêtement des adolescents éter-nels n’a d’égal que la résistance dumonde.Heureusement le processus estcontinuel, car les réserves sontinépuisables.

L’adolescent éternel menace doncun certain désordre des choses,mais pas seulement sur le longterme.D’une certaine façon, le désordreétabli a pris de gros risques enconcentrant tous ces dangereuxécervelés dans des espaces closappelés lycées, où ils peuventdévelopper une conscience degroupe pour ne pas dire de classe.L’agressivité de l’adolescent,comme celle du paria, n’est riend’autre que le passage à l’acted’une souffrance qui n’en peutplus.Le couple indissociable souf-france-agressivité est donc unedéfense contre un environnementmenaçant et dangereux.C’est une réaction normale à unesituation qui l’est beaucoupmoins.Il y a hélas un troisième niveau auproblème où la souffrance-agressi-vité n’a aucun traitement .C’est ici qu’il faut faire la distinc-

tion entre ce qu’on pourrait appe-ler la dimension existentielle del’adolescence et ses dimensionspathologique ou politique.Woody Allen a fait remarquer trèsjustement qu’on ne pouvait pasdécemment exiger de l’hommequ’il soit décontracté quand il estguetté par la mort.

Freud, ce grand oiseau de mauvaisaugure, a énoncé une autre terri-ble vérité sur l’existence

« Vivre, c’est vivre diminué ».Autant le faire, dès lors, non dansun environnement aseptisé etconfortable, mais dans une réalitéoù, contre le lourd tribut de lasouffrance-agressivité, nous pou-vons voler au monde tout son oret ses diamants, en extraire tout cequ’il peut receler comme joie,humour, panache, effronterie,musique, amour et beauté ; toutespratiques et valeurs qu’incarne l’a-dolescence plus que toute autrephase de la vie. ■-Sur le terrain des pratiques

-Libres Propos, Propos Libres

Dangereuse adolescence : persiflage et grincements de dents (suite)

Accueil thérapeutique et adolescence dans le Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile du Nord des Hauts de Seine (suite)

Nous rencontrons surtout desadolescents présentant davantagedes troubles à l’adolescence quede l’adolescence. La plupart ontvécu leur enfance et leur petiteenfance dans des contextes trèsdouloureux, souvent marqués parla perte des repères familiaux,sociaux, institutionnels, et ontsubi l’acculturation probléma-tique du migrant et de l’indigène.La plupart aussi ont été carencésde mots, de regards, d’environne-ments enrichissants. Beaucoupsont éprouvés par la situationsociale et certains sont traumatiséspar des événements vécus dans lesguerres actuelles.Avec ces adolescents, le travail del’U.A.T.A. se situe, nous l’avonsvu, avant tout dans l’actuel. Il ne

s’agit pas toujours d’un travail aulong cours, ce qui ne préjuge enrien des accompagnements recon-duits d’étape en étape ou del’orientation ultérieure de l’ado-lescent vers un travail de psycho-thérapie.La ressource essentielle à la placequi est la nôtre ici et maintenant,avec l’adolescent, nous sembleêtre dans le travail au long coursavec les adultes de la « cité ». Cesouci du lien et de l’environne-ment, du travail avec les profes-sionnels semblent actuellement sedévelopper dans de nombreusesstructures psychiatriques.Dans le cas de l’adolescent, notreexpérience nous semble très posi-tive et enrichissante sur deuxpoints essentiels : la prévention et

l’accès aux soins de l’adolescent. Ils’agit néanmoins d’un travail dif-ficile où il convient de rester trèsvigilant concernant notamment lerespect de la confidentialité et dusecret médical. La place de lafamille est également à prendre encompte et la restauration du lienfamilial est souvent l’un desaspects importants de notre tra-vail.Ces pratiques sont très consom-matrices de temps et exigent deséquipes aux compétences diversi-fiées et complémentaires. Il nousparaît donc très important, dansle contexte de la fragilisationactuelle de la psychiatrie publi-que, que ces expériences puissentse développer et se confronter. ■

Nous avons lu :■ Jeunesse, le devoir d’avenir

Commissariat général du Plan-La Documentation française, 2001Un rapport majeur qui apporte un changement de regard surla jeunesse, un changement de perspectives : il s’agit aujour-d’hui d’assurer la continuité éducative, de promouvoir denouvelles relations entre les jeunes et les institutions dans unesociété en transition, particulièrement de leur donner la capa-cité d’être acteur dans la vie de la cité. Ce rapport pose le principe d’un droit qui s’adresse à l’en-semble des générations et non exclusivement aux jeunes.Site: www.plan.gouv.fr

■ Des jeunes se prennent la tête ici, là-basFrancis Maqueda Ed. Hommes et perspectives, 2001Un ouvrage sur la douleur d’exister des jeunes adultesrencontrés dans les consultations qui est aussi l’expression dupeu de soin qu’ils prennent de leur vie psychique. La« violence des jeunes » est mise en rapport avec une impos-sible identité ; l’attaque de l’altérité devient l’attaque de soi-même.

■ La souffrance psychique des adolescents et des jeunesadultesHaut Comité de la santé publique Ed. ENSP, 2000.Ce document fait le point sur les principaux indicateurs desanté psychique des jeunes de 15 à 25 ans et s’attache àapporter un «éclairage» sur les petits signes d’alerte repérablespar chacun. A consulter.

■ Adolescents dans la violence. Médiations éducatives etsoins psychiquesPierre Kamerrer Ed. Gallimard, 2000Ce livre apporte aux professionnels un regard théorique,accessible aux psys comme aux non-psys, des réponsescliniques et des méthodes concrètes pour répondre au phéno-mène de la violence des jeunes. A lire impérativement.

■ Les Prisons de la misèreLoïc Wacquant Ed. Raisons d’agir, 1999Un ouvrage intéressant qui décrit la « tolérance zéro », larépression accrue de la délinquance des jeunes, le harcèle-ment des sans-abris… et condamne la diffusion en Europe dece nouveau sens commun pénal élaboré en Amérique

■ Au coeur des banlieues. Codes, rites et langagesDavid Lepoutre. Ed. Odile Jacob, 1997C’est une lecture tonique, neuve, parfois drôle des compor-tements et des pratiques des adolescents des grands ensem-bles. Fruit d’un travailde terrain de plusieursannées dans la cité desQuatre Mille, cettechronique, au fil desjours, témoigne de lavitalité et de l’intelli-gence créatrice d’unejeunesse souvent stig-matisée.

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-Actualités

RHIZOME est un bulletin nationaltrimestriel édité par l’ObservatoireRégional sur la Souffrance Psychique EnRapport avec l’Exclusion (ORSPERE) avec le soutien de la Direction Généralede l’Action SocialeDirecteur de publication : Jean FURTOSSecrétaire de rédaction : Claudine BASSINIComité de rédaction : - Guy ARDIET, psychiatre (St Cyr au Mont d’Or)- Pierre BELMANT, Fnars (Paris) - Marie Dominique BENEVENT, CRACIP (Lyon) - Jean-Paul CARASCO, infirmier (St Maurice)- Jean DALERY, prof. de psychiatrie (Univ. Lyon 1)- Philippe DAVEZIES, enseignant, chercheur en

médecine du travail (Univ. Lyon 1) - Bernard ELGHOZI, médecin généraliste Réseau

Créteil- Jean FURTOS, psychiatre, Orspere - Marie GILLOOTS, pédopsychiatre (Vénissieux) - Jean-François GOLSE, psychiatre (Picauville) - Jalil LAHLOU, psychiatre, Orspere- Pierre LARCHER, DGAS- Christian LAVAL, sociologue, Orspere - Antoine LAZARUS, prof. santé publique (Bobigny)- Marc LIVET, cadre infirmier (Paris) - Jean MAISONDIEU, psychiatre (Poissy

St Germain en Laye) - Jean-Pierre MARTIN, psychiatre (Paris)- Alain MERCUEL, psychiatre (St Anne Paris) - Michel MINARD, psychiatre (Dax) - Gladys MONDIERE, psychologue (Lille)- Pierre MORCELLET, psychiatre (Marseille)- Christian MULLER , psychiatre (Lille)- Jean PERRET, ancien directeur SMC

(Villeurbanne) - Eric PIEL, psychiatre (Paris) - Olivier QUEROUIL, conseiller technique fonds

CMU (Paris).

Contact rédaction : Claudine BASSINI - Tél. 04 37 91 54 60Valérie BATTACHE - Tél. 04 37 91 53 90

CH Le Vinatier, 95, Bd Pinel 69677 Bron Cedex Tél. 04 37 91 53 90 Fax 04 37 91 53 92 E-mail : [email protected] : www.ch-le-vinatier.fr/orspereImpression et conception : MEDCOM(Lyon) - Tél. 04 72 78 01 33Tirage : 8 000 ex.ISSN 1622 2032

Agenda■ Les rendez-vous de l’Action Sociale et du Développement Social

22 Novembre 2001 : RMI : faut-il supprimer l’insertion ?11 Décembre 2001 : Pouvoirs locaux et Santé : cinq questions au cœur de l’action.Renseignements et inscriptions :Sciences Po Formation , 215, Bd Saint Germain 75007 Paris Tél : 01 44 39 07 41 Fax : 01 44 39 07 61

■ « Droit d’être soigné, droits des soignants »Colloque organisé par la Conférence Nationale des Présidents de CME des CentresHospitaliers Spécialisés avec l’Association des Psychiatres Présidents et vice-présidentsdes CME des Centres Hospitaliers.22 - 23 novembre 2001, Palais des Congrès, Dijon.Contact : Tél : 06 20 56 69 07 Fax: 03 87 03 07 01

■ « Re-habilitation-Re-adaptation- Re-socialisation… : quelles pratiques de laréaffiliation ? ou quelles places dans la cité ?Journée d’étude et de formation organisée à bordeaux le 23 novembre 2001Renseignements et inscriptions : A.S.A.I.S 121, rue de la Béchade 33076 Bordeaux cedexTél/Fax : 05 56 56 17 04

■ Forum Santé GrenobleJeudi 29 Novembre 2001 à Alpes Congrès, Grenoble.Renseignements : UFR de Médecine-Domaine de la Merci-38706 La Tronche cedexTél :04 76 63 71 69 Fax : 04 76 63 74 10 E.mail : [email protected]

■ 7èmes Journées de Psychiatrie de Dax « Autour de la notion de Secteuren Psychiatrie »Jeudi 6 et vendredi 7 décembre 2001Renseignements et Inscriptions CSM 1 Rue Labadie BP 323 40107 DAXTél : 05 58 91 48 38 Fax : 05 58 91 46 84