RICOEUR, Paul - Kant Et Husserl

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    K A N T ET HUSSERLde Paul Ricoeur, Strasbourg

    Le but de cette etude est de situer avec quelque exactitude l'oppositionentre la phenomenologie de Husserl et la critique kantienne, apres lesgrands travaux de ces vingt dernieres annees consacres a Kant (et par-t iculierement a s metaphysique) et apres une lecture plus complete del'oeuvre publiee et inedite de HusserLJe voudrais montrer que cette Opposition ne se situe pas l o lepensaient les neo-kantiens qui firent la critique des Ideen 1)-, cette critiquerestait encore tributaire d'une Interpretation trop epistemologique deKant ; l'opposition doit etre situee non au niveau de l'exploration dumonde des phenomenes, mais au niveau o Kant determine le Statut onto-logique des phenomenes eux memes.1) Nous servant d'abord de Husserl comme guide, nous discernerons,derriere l'epistemologie kantienne, une phenomenologie implicite dontHusserl sera en quelque sorte le revelateur. En ce sens Husserl continuequelque chose qui dans le kantisme etait empeche et restait a l'etatembryonnaire, bien que cela ft necessaire a son economie generale.2) En retour, prenant Kant pour guide, et prenant au serieux le desseinontologique de Kant , nous nous demanderons si la phenomenologie deHusserl ne represente pas a la fois l'epanouissement d'une phenomeno-logie implicite chez Kant et la destruction d'une problematique de l'etrequi avait son expression dans le role de limite et de fondement de lachose en soi. Nous pouvons nous demander si la perte de la mesureontologique de ob et en tant que phenomene n'est pas commune aHusserl et a ses critiques neo-kantiens du debut du siecle; ce serait laraison pour laquelle ils devaient situer le debat sur un terrain accessoire.Nous serons donc amenes a reinterpreter l'idealisme husserlien, guidespar ce sens des limites qui est peut-etre Tarne de la Philosophie kan-tienne.3) Comme le processus de desontologisation de l'objet conduit Husserl une crise de s propre Philosophie, a un point critique, qu'il a npmmeluimeme le solipsisme transcendantal, nous nous demanderons s'il estpossible de vaincre cette difficulte et d'acceder Tintersubjectivite sansle secours d'une Philosophie pratique de style kantien. Partant donc cettefois des embarras de Husserl dans la constitution de Falter ego, nousreviendrons une derniere fois au kantisme, pour y chercher la determina-tion ethique et pratique de la personne.

    l) Natorp , Rickert, Kreis et Zodier.

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    l . La Critique comme phenomenologie implicitel Puisque Husserl doit nous servir d'abord de guide pour porter aul jour une phenomenologie implicite du kantisme, il fau t dire au moins] en quelques mots quels caracteres de la phenomenologie husserlienne] nous tenons pour essentiels dans ce travail de revelation.j 1) J'insiste d'abord avec beaucoup de force sur la necessite de dis-| tinguer chez Husserl lamethode, teile qu'il l'a effectivement pratiquee,l et l'interpretation philosophique de cette methode, teile qu'il l'a de-i veloppee surtout dans Ideen I et dans les Meditations Cartesiennes.| Cette distinction prendra tout son sens quand la Philosophie kantiennej des limites nous aura f son tour, ouvert les yeux sur la decision meta-| physique implicite a la phenomenologie husserlienne.En distinguant la methode pratiquee et Tinterpretation philosophiquede la methode, je n'entends nullement rejeter du cte de l'interpretation, i philosophique la fameuse reduction phenomenologique. Ce serait ra -merier la phenomenologie une rhapsodie d'experiences vecues et baptiserphenomenologie toute complaisance aux curiosites de la vie humaine,comme il arrive trop souvent. La reduction est la porte etroite de laphenomenologie. Mais c'est dans cet acte meme que se croisent une con-version methodologique et une decision metaphysique; c'est donc dans cet

    acte meme qu'il f au t les departager.Dans son intention strictement methodologique, la reduction est uneconversion qui fai t surgir le pour moi de toute position ontique; quel'etre soit une chose, un etat de chose (Sachverhalt), une valeur, unvivant, une personne, le reduit son apparaitre. II y fautune conversion, parce que le pour moi est d'abord dissimule par laPosition meme de l'etant; cette position dissimulante que Husserl appelleattitude naturelle (ou these generale du monde) est elle-meme dissimuleea la reflexion: c'est pourquoi il f au t une ascese speciale pour en romprele charme. Sans doute ne peut-on parier qu'en termes negatifs de cettethese naturelle, puisque son sens n'apparait que dans le mouvementde la reduire; on dira donc qu'elle n'est pas la croyance l'existence,encore moins l'intuition, puisque la reduction laisse intacte cette croyanceet revele le voir dans toute s gloire. C'est plutt une Operation quis'immisce dans Tintuition et dans la croyance et rend le sujet captif de cevoir et de ce croire, au point qu'il s'omet lui-meme dans la positioa on-tique de'ceci ou de cela.C'est pourquoi l'attitude naturelle est une restriction et une l imita-tion; en retour la reduction, malgre son apparence negative, est la re-conquete du rapport total de TEgo son monde. En style positif , lareduction devient la constitution du monde pour et dans le vecude conscience.Nous en avons dit assez pour esquisser le departage de la methodeet de la doctrine, lequel ne deviendra clair que quand l'ontologie kan-tienne nous aura ouvert les yeux sur une autre problematique que cellede la reduction.

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    L'acte de reduct ion decouvre la relativite de ce qui a p p a r a i t laconscience op^rante; cette relativi te definit tres exactement le pho-nomene. Desormais, pour la phenomenologie, r ien n'est que c o m m esens dans la conscience. La phenomenologie veut etre la science desphonomenes ascet iquement conquis sur la position de l 'otant.Toute problomat ique de l'etre est-elle, pour autant , annuloe par lareduction? Pour l 'affirmer, il f au t decider que la problematique del 'etre 6tait tout ent iere contenue dans l ' a t t i tude naturel le , c'est-a-dire dansla position de diaque etant absolument , sans relation a une conscience.II fau t avouer que Husserl n 'a jamais tire au clair cette question. Aussinotre devoir est-il de rcserver en t ie rement la question de savoir si lesurgissement du pour m oi de toutes choses, si la thematisation du mondecomme phenomene, epuise toute question qu 'on peut encore poser surl'etre de ce qui apparait M on sent iment est que la methode pra t iqueepar Husserl laisse intacte cette question. Je dirai plus: l 'atti tude natu-relle est la fois la dissimulation de l'apparaitre pour moi du m o n d eet la dissimulation de l'etre de l'apparaitre. Si l 'a t t i tude naturel le meperd au monde , m'englue dans le monde vu, senti , agi, son en soi est lefaux en soi d 'une existence sans m o i j cet en soi n'est que Tabsolutisat ionde l 'ontique, des ceci, des etant ; la nature est, voil la thesenaturelle; en met tan t fin a cette omission du sujet, en docouvran t lepour moi du monde , la reduc t ion m 'a ouver t et non point fe rme laproblematique veritable de l'etre; car cette problematique suppose laconquete d 'une subjectivi te; eile impl ique la reconquete du sujet , cetetre a qui Tetre s'ouvre.2 ) La reduction phenomonologique qui a ainsi fait surg i r le pheno-mene du monde, comme le sens meine de la conscience, est la cle quiouvre Tacces une experience originale: Texperience du vecu dansson flux de conscience. Les Ideen l 'appellent une percept ion imma-nen te ; les Maditations Cartesiennes une exper ience t ranscendanta lequi, "comme toute experience, tire s validite de son caractere intui t i f , dudegre de presence et de pleni tude de son objet, La resonance j ame-sienne de ces mots: vecu , flux de conscience, ne doit pas nousegarer, L'accent est fondamenta lement cartosien: alors que la percep-tion de la chose transcendante est toujours douteuse , parce qu'elle sefait dans un flux de silhouettes, de profils, qui peuvent toujours cesserde concorder dans une unito de sens, le vecu de conscience schattet sichnicht ab / il ne se profile pas; il n'est pas pergu par faces successives.La phenomenologie repose donc sur une perception absolue, c'est-a-direnon seulement indubitable mais apodic t ique (en ce sens qu'il est inconce-vable que son objet , le vocu, ne soit pas),Est-ce a dire que la phenomenologie soi t un nouvel empirisme? unnouveau phenomonisme? C'est ici qu'i l importe de rappeler que Husser ln 'a jamais separe la reduct ion t ranscendanta le de cette autre reductionqu'il appelle eidotique et qui consiste saisir le fa i t (Tatsache) dans sonessence (Eidos): l'Ego que rovele comme celui qui apparaissent46

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    toutes choses ne doit pas etre decrit dans s singularite fortuite maiscomme Eidos-Ego (Med.Cart.); ce changement de plan, obtenu princi-palement par la methode des variations imaginatives, fait de l'ex-perience transcendantale une^science.C'est ce double titre 1 de reduct ion de l 'etant au phencmene et2 d'experience descriptive du vecu sur le mode eidetique, que la phe-nomenologie de Husserl peut servir de guide dans l 'oeuvre de Kant.Kant lui-meme nous y autorise: dans la lettre Marcus Herz du21 Fevrier.1772 il annonce que le grand ouvrage qu'il projet te sur lesLimites de la Sensibilite et de la Raison comportera dans s partie theori-que deux sections: 1) la phenomenologie en general, 2) la m etaphysi-que consideree uniquement dans s nature et dans s methode.Et pour tan t la Critique de la Raison pure ne s'est pas appelee unephenomenologie et n'est pas proprement parier une phenomenologie.Pourquoi?1 ) Cette question va nous permet t re de situer la Critique par rappor ta la reduct ion.On peut donner cela deux raisons: la premiere, que nous retrou-verons dans la 11 Partie, tient cette Philosophie des l imites qui dans laCritique tient autant de place que l'investigation du domaine meme desphenoinenes.Evoquant dans Ja Preiace de la 2eme edit ion la Revolution* opereepar la Critique dans la methode de la metaphysique, Kant declare: Sie is tein Traktat von der Methode, nicht ein System der Wissenschaft selbst;aber sie verzeichnet gleichwohl den ganzen Umri derselben, sowohl inAnsehung ihrer Grenzen, als auch des ganzen inneren Gliederbaus der-selben (B 2 2 2 3 )2). Elle est un traite de la methode et non un Systemede la science elle-meme. Mais eile en decrit tout de m em e la circonscrip-tion totale, tant par rapport ses limites que par rappor t a s s t ructureinterne s).Les deux desseins de la Critique sont ic i nettement poses: l imiter lephenomene, elucider s structure interne. C'est cette seconde tche quipourrait etre phenomenologique.Cette raison ne suffit pas: car l'elucidation de la structure internede la phenomenalite n'est pas elle-meme conduite dans le style d'unephenomenologie. II faut mettre en question ici le souci proprementepistemologique de la Critique. La question fondamentale: commentdes jugements synthetiques a priori sont possibles, empeche une veri-table description du vecu: le probleme de droit, qui eclate au premierplan dans la Deduct ion Transcendantale , ecrase le dessein de composerune veritable Physiologie du Gemt. II importe moins de decrire commentTesprit connait que de justifier Tuniversalite du savoir par la fonctionde Synthese des categories et finalement par la fonction d'unite de l 'aper-ception transcendantale. Le s trois notions correlatives de nature, d'expe-

    * ) Nous citons tou jours Kant dans l 'Edi t ion de l 'Academie Royale de Prusse.a) Trad. Tremesaygues et Pacaud p. 25. Nous citerons dosormais cette t raduc-t ion avec le sigle Tr.47

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    rience et d'objectivite portent la marque de ce souci epistemologique ?la nature, definie (en quelque Sorte phenomenologiquement) commel'ensemble de tus les phenomenes, devient en.style epistemologiquela na tu r e en general , consideree comme conformite a des lois (Gesetz-migkeit)*. Et comme la nature est le correlat de experience, laGesetzmigkeit de la nature est identique aux conditions de possi-bilite de l'experience elle-meme; la Critique, dans s tche episte-mologique, cherchera quels concepts a priori rendent possible l 'uniteformelle de l 'experience> ou encore la forme d'une experience en gene-ial. Cest dans ce cadre que se pose le probleme de l'objectivite: eileest la valeur de savoir conferee a la connaissance empirique par sGesetzmigkeit.Mais precisement la Critique ne se referme pas sur, une determinationpurement epistemologique de l'objectivite, autrement dit sur un e justifi-cation du savoir constitue (mathematiques, physique, - metaphysique).L ''Analyt ique depasse la destinee de la physique newtonienne et l'Esthe-tique celle de la geometrie euclidienne et meme non-euclidienne. Cestdans cette marge par laquelle la Critique excede une simple episte-mologie qu'il y a chance de trouver l'amorce d'une veritable phenomeno-logie.La revolution copernicienne, degagee de l'hypotheque epistemologi-que, n fest pas autre chose que ^ phenomenologique; eile con-stitue une vaste reduct ion qui ne va plus seulement des sciences con-stituees, du savoir qui a reussi, a leurs conditions de legitimite; eile vade l'ensemble de Tappara i t r e a ses conditions de constitution. Ce desseindescriptif , enveloppe dans le .dessein justificatif de la Critique/ apparaittoutes les fois que Kant renonce a prendre appui sur un e science consti-tuee et definit directement ce qu'il appelle receptivite, spontaneite, syn-these, subsomption, production, reproduction etc. . . . Ces descriptionsembryonnaires, bien souvent masquees dans des definitions, sont ne-cessaires Tentreprise epistemologique elle-meme; car l'a priori qui con-stitue les determinat ions formelles de tout savoir s'enracine lui-memedans des actes, des operations, des fonctions dont la description debordelargement le domaine strict des sciences. Peut-on dire alors que laCritique enveloppe un e experience t ranscendanta le?2) Cette experience transcendantale qui s'ouvre au phenomenologueau-del du seuil de la roduct ion phenomenologique semble au premierabord totalement etrangere au genie du Kantisme. L'idee meme d'uneexperience du Cogito n'est-elle pas, pour un Kant ien , un e sorte demonstre? Regarder et decrire le Cogito, n'est-ce pas le traiter commeun phenomene, donc comme un objet dans la nature et non plus commela condition de possibilite des phenomenes? La combinaison de la re-duction transcendantale et de la reduction eidetique n'eloigne-t-elle pasde maniere plus decisive encore de Kant , par un melange suspect depsydiologisme (le vecu) et de platonisme (l'Eidos-Ego)? N'est-ce pasle lieu de rappeler que le Je pense de l'aperception originaire n'estaucunement le moi saisi dans son Eidos et se reduit la fonct ion d'unite

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    qui supporte l 'oeuvre de Synthese de la connaissance? Comment deslors l'experience transcendantale echapperait-elle a ce dilemme: oubien j'ai conscience du Je pense, mais ce n'est pas une connaissance,ou bien je connais le moi ,*mais c'est un phenomene de la nature?C'est effectivement sur ce terrain que se tenaient le s critiques neo-Kantiens de Husserl.II faut reconnaitre que la Critique se fraye un chemin difficile horsde ce dilemme qui est purement sur le plan epistemologique: le Jepense et le moi phenomene> sont definis en termes de savoir objectif.Mais Kant echappe en fait a ce dilemme toutes le s fois qu'il procede

    ^ a une inspection, directe du Gemt. Le t e rme meine de Gemt, si enig-matique, designe ce champ d'experience transcendantale que Husserlthomatise; il n'est pas du tout le Je pense, garant epistemologiquede l 'unite de l'experience , m ais ce que Husserl appelle Ego CogitoCogitata. Bref, il est le theme meme de la phenomenologie kantienne,le theme que la Revolution copernicienne fait surgir; lorsqu'elle ne sereduit pas a la questio Juris, a l 'axiomatisation de la physique new-tonienne, cette revolution n'est utre que la reduction des' etants a leurpparaitre dans le Gemt.Avec ce guide d'une experience transcendantale du Gemt, il estpossible de ressaisir les lineaments d'une phenomenologie kantienne.

    L'Esthetique transcendantale est sans doute la partie la moins pheno-menologique de la Critique. La description de la spatialite des pheno-m enes la seule que Kan t entreprenne parce qu'elle concerne lesmathematiques est ecrasee entre d'une part le souci epistemologiquede justifier, par le concept d'intuition pure, les jugements synthetiquesa priori de la geometrie 4) et la constructibilite caracteristique du rai-sonnement mathematique 5) et d'autre part le souci ontologique de situerexactement l'etre de l'espace6).Neanmoins une phenomenologie de la spatialite est impliquee deslors que l'espace est rapporte la subjektiven Beschaffenheit unseresGemts (A 23), ( la constitution subjective de notre esprit), Seulecette phenomenologie peut etablir que la notion purement epistemo-logique d'intuition a priori coi'ncide avec celle d'une forme ayant sonsiege dans le sujet. Kant est conduit decrire l 'espace comme la, m a-niere dont un sujet se dispose recevoir un quelque chose avant l 'appa-rition de quelque chose: ren dre possible une Intuition exterieure> estune determination phenomenologique bien plus vaste que rendre possi-ble des jugements synthetiques a priori de la geometrie*. La possibiliten'est plus de l'ordre de la legitimation, mais de la constitution, de la e-schaffenheit unseres Gemts.L'Esthetique transcendantale reste neanmoins fort decevante par soncaractere non seulement embryonnaire, mais statique. Espace et temps

    4) Cf. "L'exposition transcendantale41 A 25 Tr. 68.c) Theorie transcendantale de la methode A 712 sq r Tr. 567 sq.e) La question initiale est d'ordre ontologique: Was sind nun Raum und ZeittSind es wirkliche Wesen? usw. (A 23) Or que sont l'espace et le temps? Sontils des etres reels? (Tr. 656).49

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    ne sont pas considoros dans le mouvement de l 'exporience totale, maiscomme une couche prealable, achevee et inerte. Cela se comprend en-core par le poids de l 'epistomologie: pour le goometre, la spatialiten'est pas une otape dans la constitution de la chose; s determinationcomme Intuition pure doit se clore sur soi pour assurer la totale auto-nomie des mathomatiques.Mais dos que Kant met le pied sur le sol phenomenologique et rap-porte Tespace a la possibilite d'etre affecte par quelque chose, il estentraino dans le mouvement meme d 'une consti tut ion dynamique del'experience et de la chosoito. Soudain la juxtaposit ion provisoire del'espace et du temps est remise en question: l'espace doit etre par-couru dans des moments temporeis, retenu dans une image totale etreconnu comme un sens identique (A 95 sq.; Tr. 126 sq.). La schematisa-t ion accentue encore plus le caractere dynamique de la constitution spa-tiale elle-meme (A 137 sq.; Tr. 175 sq.). Cette reprise de l'espace par letemps (le temps est une representation necessaire qui sert de fonde-ment a toutes les intuitions) marque le t r iomphe de la phenomenologiesur l 'opistemologie.Bien plus, mesure que nous nous eloignons du souci d'axiomatiserla geometrie, tout ce qui paraissait clair dans l 'ordre epistemologriquedevient obscur dans l 'ordre phenomenologique: si l 'espace est de niveausensible, nous ne pensons encore rien en lui, nous nous disposons seule-ment a recevoir quelque chose; mais alors nous sommes au-dessous de

    toute Synthese et il faut dire que cette forme (epistemologique) estun divers (phenomenologique) (A 7677; Tr, 109). Kant entrevoit memeque l'espace concerne le Statut d'un etre dependant seinem Dasein so-wohl als seiner Anschauung nach (die sein Dasein in Beziehung auf ge-gebene Objekte bestimmt) (B 72) quant a son existence et son in -tuition (laquelle Intuition determine son existence par rappor t a desobjets donnos) (Tr. 89).II identifie du meme coup l'espace, ou propriete formelle d'treaffecto par des objets ou de recevoir une representation immediatedes choses avec l'intentionalite meme de la conscience; c'est le mou-vement meme de la conscience vers quelque chose, consideree commepossibilite d'otaler, de discriminer, de pluraliser une impression quel-conque.Cest donc la phenomenologie plus explicite de l'Analytique quidissipe la fausse clarte de l'Esthetique, si faiblement phenomenologique.La phenomenologie de YAnalytique ressort avec evidence si on s'as-treint a la lire par la f i n r en remontan t de la theorie transcendantaledu jugement (ou Analytique des Principes) a la theorie transcendantaledu concept et en s 'a t tardant aux /ogies de l'experience avant des 'enfoncer dans le difficile chapitre du Schematisme (ceci pour des rai-sons qu'on dira plus loin). II est na ture l que la ph enom enolog ie de Kan tsoit par priorite une phenomenologie du jugement: c 'est celle qui est leplus propre a fournir une propedeutique l 'epistemologie; il est naturelpar contre que la phenomenologie de Husserl soit de preference phenomenologie de la percept ion: c'est celle qui est le plus propre 50

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    illustrer un souci d'evidence, d'originarite et de presence; encore que lesLogische Untersuchungen commencent par le jugement et que la placedu jugement soit marquee dans les stratifications du vecu, au niveaudes syntheses fondees.(Nous verrons dans la 11 partie que d'autres raisons expliquent cettedifference d'accent et de preference dans la description entre Kant etHusserl). E U tous cas, ce n'est pas la difference du theme descriptif quidoit nous masquer la parente de la methode d'analyse.Si donc nous abordons l'Analytique par la fin, par les Analogies del'experience, nous voyons se developper une ample analyse du jugementcomme acte de subsumer des perceptions sous des regles d'intellectualite.Kant epistemologiste tient cette Operation pour une simple applicationdes regles de Tentendement prealablement constituees; mais le poids de

    la description entraine l'analyse dans un autre sens: la subsomption serevele etre une veritable constitution de l'experience en tant qu'expe-rience comprise, jugee et exprimee'au niveau predicatif.Les Principes qui du point de vue epistemologique sont le s axiomesd'une physique pure, les premiers jugements synthetiques a priori d'unescience de la nature, suscitent une admirable description de la constitu-tion de la Dinglichkeit: par del les principes de permanence, de produc-tion et de reciprocite, c'est l'intellectualite du percu qui est thematisee.E t ce qui est admirable c'est que, bien avant Husserl, Kant ait lie lesstructures de la Dinglichkeit a des structures de la temporalite; les ma-nieres differentes dont l'experience est liee> sont aussi les manieresdiverses dont le temps se structure intellectuellement. La deuxiemeanalogie en particulier recele une veritable phonomonologie de l'evone-ment qui repond la question: que signifie arriver? C'est su r Tobjetdans le monde que le phenomenologue elabore la notion d'une succes-sion reglee. En langage husserlien, on dira que les Analog/es de l'ex-perience developpent le cote noematique du vecu dans le jugementd'experience; elles considerent le jugement du cote du juge> se ter-minant l'objet. (Le chapitre precedent, sur le Schmatisme, releve aucontraire de l'analyse noetique de l'evenement et reflechit sur l'ope-ration elle-meme de la liaison, comme pouvoir synthetique de l ' imagma-tion> (B 233). Nous y reviendrons plus loin).Si considere que ce chapitre II de la doctrine du Jugement, dontle coeur est la theorie des Analogies de l'experience, montre la facenoematique du jugement d'experience, on comprend que cette analysenoematique s'acheve dans les Postulats de la Pensae empirique en geno-ral (A 218 sq.; Tr. 232 suiv.); ceux-ci, en effet, n'ajoutent aucune deter-mination nouvelle l'objet, mais thematisent son existence selon lesmodalites du reel, du possible et du necessaire. Or que signifient cepostulats? Ils posent simplement la correlation fondamentale de l'exi-stence des choses et de leur perceptibilite: wo also Wahrnehmung undderen Anhang nach empirischen Gesetzen hinreicht, dahin reicht auchunsere Erkenntnis vom Dasein der Dinge (A 226). Partout donc os'etendent la perception et ce qui en depend, en vertu des lois empiri-ques, l s'etend aussi notre connaissance de l'existence des choses

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    (Tr. 237). La spatialite nous avait fourni le style de l ' intentionali to,comme Ouvert re l 'apparai tre; le postulat de la pensee empi r ique do-termine Yeffectivito de l ' intentionalito, comme prosence pergue de lachose qui apparaitCe n'est donc pas par hasard si Kant a insere en coin a cette place,dans la 2me odition, la Rofutation de J'/cteal/sme (B 274 sq.) qui estune dofinition, avant la lettre, de l ' intentionalito: das blo e, aber em-pirisch bestimmte, Bewu tsein meines eigenen Daseins beweist das Da-sein der Gegenst nde im Raum au er mir (B 275): la consciencesimple, mais empiriquement doterminoe, de ma propre existence, prouvel'existence des objets dans l'espace et hors de moi (Tr. 238). La corre-lation du Je suis et du quelque chose est, c'est en effet l ' intentio-nalite meine.Mais si le diapitre II de la Doctrine transcendantale du Jugement do-veloppe la face noemat ique du jugement d'existence, le chap. I t consacroau schematisme, en est la face noetique; c'est pourquoi il est si obscur: ilanticipe sans cesse, par voie roflexive, sur les Analogies de l'exporiencequi montrent sur l'objet l'oeuvre du jugement; i l faudra i t toujours lirece chapitre apres le suivant et revenir a lui par un mouvement roflexifqui retrouve dans le Gem t ce qui a 6t6 montre sur l'objet. C'estle caractere anticipe de ce chapitre qui explique la brieveto de Kantdans l 'olaboration des schemes: mais ces quelque cent lignes (A 144147;Tr. 179182), sont comme la face subjective de l ' immense analyse noo-matique du chapitre suivent.Si on la consid re ainsi, la theorie du schomatisme s'approche bienpres de ce que Husserl appelle l'auto-constitution ou la constitution desoi dans la temporalito. On comprend que Kant se soit lui-memede cette verborgene Kunst in den Tiefen der menschlichen Seele, derenwahre Handgriffe wir der Natur schwerlich jemals abraten und sie un-verdeckt vor Augen legen werden (A 141), un art cacho dans les profon-deurs de 1' me humaine (Tr. 178). Jamais Kant n'a plus libre a Togardde ses preoccupations opistomologiques; jamais du meme coup il n'a 6teplus pres de decouvrir le temps originaire de la conscience par dela letemps constituo (ou le temps comme representat ion selon l 'Esthotiquetranscendantale). Le temps du schmatisme est a la suture de la rocep-tivite et de la spontanoito, du divers et de l 'unito; il est m pn pouvoird'ordonner et la menace de' m'echapper toujours et de me dofaire; il estindivisement la rationalite possible de l 'ordre et Tirrationalito tou joursrenaissante du vecu; il regarde vers Taffection, dont il est le flux pur ,et vers l ' intellectualite, puisque les schemes en f igurent la s t ructura t ionpossible quant a la serie, au contenu, a l'ordre (A 145).Si nous suivons jusqu'au bout cette phonomonologie du G e m t, il fau trapprocher de cette analyse nootique de lOporation meme du jugementce que Kant, a plusieurs reprises, est ameno dire de l 'existence de laconscience. Si l'analyse noomatique culmine dans les Postulats de lapense empirique qui coordonnent l 'existence des choses leur percep-tibilite, l 'analyse noetique culmine dans Tauto-dotermination du J'existe.52

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    Mais on ne trouve sur ce theme que des notes eparses de Kant dans laCritique: c'est ic i en effet que la phenomenologie implicite rencontre lesresistances les plus considerables a l'interieur meme du Kantisme; toutela conception epistemologique de l'objectivite tend a faire du Je pensevune fonction de cette objectivite et impose l'alternative que nous evo-quions au debut: ou bien j'ai concience du Je pense, mais je ne leconnais pas; ou bien je connais le moi, mais il est un phenomenedans la nature. C'est pourquoi la description phenomenologique tendvers la decouverte d'un sujet concret qui n'a pas de place tenable dansle Systeme; c'est pourtant de lu i que Kant s'approche toutes les fois qu'ils'approche aussi du temps originaire a l'oeuvre dans le jugement par lemoyen du schematisme; c'est de lui aussi qu'il s'approche quand il deter-mine l'existence des choses comme correlative de mon existence; c'esta cette occasion qu'il declare: /ch bin mir meines Daseins als in der Zeitbestimmt bewut (B275) . . . folglich ist die Bestimmung meines Daseinsin der Zeit nur durch die Existenz wirklicher Dinge, die ich auer mirwahrnehme, mglich (B 2756). J'ai conscience de mon existencecomme determinee dans le temps . . . par consequent la determination demon existence dans le temps n'est possible que par l'existence des chosesreelles que je pergois hors de moi (Tr. 238). De meme, la note de la Pre-face de la 2 * Edition (B X L )f (Tr. 3436). La difficulte immense etait de the-matiser une existence qui ne ft pas la categorie d'existence, c'est--direune structure de l'objectivite; eile est affrontee une premiere fois au 25 de la 2 Edition (une existence qui n'est pas un phenomene); la noteque Kant y joint (B 158; Tr. 158) propose la tche de 'saisir l'existencedans l'acte du Je pense qui determine cette existence, donc avant l'intui-tion temporelle de moi-meme qui eleve mon existence au niveau d'unphenomene psychologique (B 157); la difficulte est grande, surtout siconsidere que le Je pense ne passe a l'acte qu' l'occasion d'un diversqu'il determine logiquement. On connait surtout le texte fameux, dans lacritique de la Psychologie rationnelle, ou le Je pense est considerecomme une proposition empirique qui renferme la proposition j'existe;Kant tente de resoudre le probleme dans le cadre de son epistemologieen liant l'existence a une intuition empirique indeterminee, anterieurea toute experience organisee; ce qui lui permet de dire: die Existenz is thier noch keine Kategorie (B 423); l'existence n'est pas encore ici unecategorie> (Tr. 357).Cette existence hors categorie n'est-elle pas la subjectivite elle-memesans quoi le Je pense ne meriterait pas le titre de prem iere personne?N'est eile pas en liaison avec ce temps originaire que l'Analytique de-gage par-del le temps-representation de YEsthetique?Bref n'est-elle pas l'existence du Gemt, de ce Gemt qui n'est nile Je pense comme principe de la possibilite des categories, ni le moi-phenomene de la science psychologique, de ce Gemt offer t a l'ex-perience transcendantale par la reduction phenomenologique?

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    La Critique comme inspection des limitesNot re premier groupe d 'analyses reposai t sur une l imitat ion provi-soire: nous avons admis qu'on pouvait distinguer chez Husserl la me-thode effect ivement pra t iquee , de l ' interpretat ion philosophique que l'au-

    t cur y mele cons tamment , sur tout dans les oeuvres editees; c'est cettephenomenologie effect ive qui nous a servi de revelateur pour une phe-nomonologie implicite dans la Critique. La parente de Kant et de Husserln'est donc at teinte qu'au prix d 'une abstract ion legitime, mais precai re ,prat iquoe sur l ' intention totale de l 'une et de l'autre oeuvre.Or la critique est precisement autre chose qu'une phenomenologie,non seulement par s prooccupation epistemologique, mais par son inten-tion ontologique. Q'est ici que la Critique est plus qu'une simple in-vest igat ion de la structure interne* du savoir, mais encore une investiga-tion de ses limites. L'enracinement du savoir des phenomenes dans lapensee de l'etre, inconvert ible en savoir, donne a la Critique kant iennes dimension proprem ent ontologique. D etruire cet te tension entre leconnai tre et le penser , ' entre le phenomene et l 'etre, c'est detrui re lekant isme meme.On peut alors se demander si la phenomenologie de Husserl , qui aservi de guide et de revelateur pour une phenomenologie descript ive dukantisme, ne doit pas etre consideree a son tour du point de vue de -tologie kantienne; peut-etre que l ' interpretat ion phi losophique qui semele a t ranscendantale participe la destruction de l'ontolo-gie kant ienne et consacre la perte du Denken dans l'Erkennen et ainsiaplati t la Philosophie sur une phenomenologie sans ontologie.Reprenons d'abord conscience de la fonct ion qu'exerce chez Kant laPosition de l'en soi par rapport a Tinspection des phenomenes.II n'est pas de savoir de l'etre. Mais cette impossibilite, qui insti tueune sorte de.doception au coeur du kantisme, est elle-meme essentielle la signification finale du phenomene. C'est une impossibilite en quelquesorte active et meme positive: travers cette impossibili te du savoir del'etre, le Denken pose encore l 'etre comme ce qui limite les pretentionsdu phenomene consti tuer l 'ultime realite; ainsi le Denken confere laphenomenologie s mesure ou son evaluation ontologique.On peut 'Suivre travers la Critique cette connection entre une de-ception (au regard du savoir) et un acte positif de limitation.Des l'Esthatique transcendantale, ou Tintention ontologique est cons-tamment presente, Kant pose que l ' intuition a priori se determine parcontraste avec une Intuit ion creatrice que nous n'avons pas; la tres im -portante note de Kant sur l'intuitus originarius, la fin de l'Esthetique,est claire: le Gegen-stand se t ient devant moi en tant qu'il n'est pasVEnt-stand, celui qui surgirait de s propre Intui t ion 7 ). Or cette deception

    7) La lettre Markus Herz du 21. fev. 1772 posait dej le probleme de laVorstellung par reiorence ce t te possibil i te et rangere d 'une In tu i t ion gonera-trice de son objet .54

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    metaphysique est des le debut incorporee la determination du sensmeme de l'espace et du temps et introduit une touche negative chaquepage de l'Esthetique: toute notre Intuition n'est que la representationdu phenomene; les choses que nous intuitionnons ne sont pas en elles-memes telles que nous les intuitionnons; le manque d'etre du phenomenelui est en quelque sorte incorpore. Mais ce defaut est lui-meme l'enversd'un acte positif du Denken qui, dans l'Esthetique, prend la forme fan-tastique d'une supposition: la supposition de la destruction de notre in -tuition: Gehen wir von der subjektiven Bedingung ab, ... so bedeutetdie Vorstellung vom Rume gar nichts (A 26 )8). D e meme un peu plusloin pour le temps (A 37; Tr. 756). Ce neant possible fait partie de lanotion d'idealite transcendantale: l 'espace n'est rien hors de la conditionsubjective (A 28 ; Tr. 70). Cette imagination fantastique exprime le positifde ce negatif: notre manque d'intuition originaire. Ce positif c'est leDenken, irreductible notre etre-affecte, irreductible par consequent acette dependance de l'homme seinem Dasein sowohl als seiner An-schauung nach (B 72) (quant son existence et son Intuition Tr. 89)que la fin de l'Esthetique evoque. C'est le Denken qui pose la limite9) .Ce n'est pas la connaissance phenomenale qui limite l'usage des cate-gories a l'experience, c'est la position de l'etre par le Denken qui limitela pretention du connaitre l 'absolu: connaissance, finitude et mort sontainsi liees par un pacte indissoluble qui n'est reconnu que par l'actememe du Denken qui echappe cette condition et la considere en quelquesorte du dehors.On n'aurait pas de peine montrer que cette supposition du neantde notre connaissance sensible eclaire Taffirmation constante de Kantque la philosophie transcendantale se tient sur la ligne de partage quisepare deux faces du phenomene (A 38), en soi et pour nous. Denn,dos was uns notwendig ber die Grenze der Erfahrung und aller Erschei-nungen hinausgehen treibt, ist das Unbedingte, usw. (B X X ) ; Car cequi nous porte a soitir necessairement des limites de l 'experience et detous les ^phenomenes, c'est llnconditionne. C'est l'Inconditionne quinous autorise a parier des choses sofern wir sie nicht kennen (ibid.): entant que nous ne les connaissons pas (Tr. 24). .. Cette fonction limitante de l'en soi trouve une eclatante confirmationdans I'nalytique Transcendantale. Elle acheve le sens de la nature>;en marquant la place vide d'une impossible science de la creation, eilegarde le savoir des phenomenes de la nature de se refermer sur un natura-

    8) D e meme plus loin: Wenn aber ic h selbst, oder ein ander Wesen mich;ohne diese Bedingung der Sinnlichkeit, anschauen knnte, so wrden eben die-selben Bestimmungen, die wir uns jetzt als Vernderung vorstellen, eine Er-kenntnis geben, in welcher die Vorstellung der Zeit, mithin auch der Ver-nderung gar nicht vorkme ...u (A 37). Wenn man von ihr die besondereBedingung unserer Sinnlichkeit wegnimmt, so verschwindet auch der Begriffder Zeit" (A 37).* ) Aber diese Erkenntnisquellen a priori bestimmen sich eben dadurch (dasie blo Bedingungen der Sinnlichkeit sind) ihre Grenzen, nmlich, da sie bloauf Gegenstnde gehen, sofern sie als Erscheinungen betrachtet werden, nichtaber Dinge an sich selbst darstellen91 (A 39).

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    lisme dogmat ique . Cette fonct ion limitante de l'en soi trouve ;son ex-pression la plus complete dans le chapitre sur la Distinction de tous lesobjets en phenomnes et noumenes; le concept de l'en soi, bien queproblematique (du point de vue du savoir; mais problematique ne veutpas dire douteux, mais non-contradictoire), est necessaire um die sinn-liche Anschauung nicht bis ber die Dinge an sich selbst auszudehnen(A 254); pour qu'on n'etende pas l'intuition jusqu'aux choses en soi(Tr. 265). Plus clairement encore: Der Begriff eines Noumenon ist also bloein Grenzbegrilf , um die Anmaung der Sinnlichkeit einzuschrnken, undalso nur von negativem Gebrauche (A 255): Le concept d'un noumene estdonc simplement un concept limitatif qui a pour but de restreindre lespretentions de la sensibilite (Tr. 265). II y aurait donc une sorted'hybris de la sensibilite; non, a vrai dire, de la sensibilite comme teile,mais de l'usage empirique de l'entendement, de la praxis positive et posi-tiviste de l 'entendement.

    Cette notion de l'usage des categories est capitale; Kant la distingueexpressement du sens meme des categories (A 147, A 248; Tr. 181 et 259)cette distinction eclaire bien ce que Kant entend par la presomption de ;la sensibilite; Kant ne dit pas autre chose quand il montre , par le jeu jde Tillusion transcendantale et par la sanction de l'echec (paralogisme, ]et antinomies) la vanite de cette pretention; ce n'est pas la raison qui lechoue dans la Dialectique transcendantale, c'est encore la sensibilite jdans s pretention a s'appliquer des choses en soi1 0). lSi nous croyons pouvoir nous servir de cette doctrine kantiennecomme d'un guide pour Interpreter la Philosophie implicite de Husserl, ilfaut nous assurer que Kant a bien reussi accorder cette fonction delimitalion avec l'idealisme de s theorie de l'objectivite, teile qu'elleressort de la Deduction Transcendantale. L'objectivite ne se reduit eilepas la Synthese imposee au divers de la sensibilite par l'aperceptionau moyen des categories? Si cette conception de l'objectivite, commeoeuvre de la subjectivi te transcendantale, est bien le centre de la De-duction Transcendantale, comment peut-elle s'articuler sur une autre sig-nification de l'objet comme en soi? II semble parfois en effet que le motobjet ne puisse designer que l'ensemble de mes representat ions et quela structure intellectuelle de l'experience suffise detacher mes represen-tations de moi-meme et a me les opposer comme un vis-a-vis (on connaitl'exemple de la maison parcourue, apprehendee et reconnue) (A 1901;Tr. 2134); en ce sens l'objet n'est que la Erscheinung im Gegenverhltnismit den Vorstellungen der Apprehension (A 191), le phenomene, parOpposition avec les representations de l'apprehension (Tr. 214). La cau-salite, en particulier, en distinguant la succession dans l'objet de lasuccession des representations, sofern man sich ihrer bewut ist (A 189;en tant qu'on en a conscience Tr. 213) consolide l'objet de mes propres

    10) Der Verstand begrenzt demnach di e Sinnlichkeit, ohne darum seineigenes Feld za erweitern f und, indem er jene warnt, da sie nicht anmae,aul Dinge an sich selbst zu gehen, sondern lediglich aut Erscheinungen, so denkter sich selbst einen Gegenstand an sich selbst, aber nur als transzendentalesObjekt ..." (A 288).56

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    representations en contre-ple de la conscience; et l'on peut parier deverite, c'est--dire d'accord de la representation avec son objet, puisque,par ce processus d'objectivation des representations, il y a bien das;davon unterschiedene Objekt derselben (A 191; l'objet de l'apprehensiondistinct de ces representations Tr. 214). Cette constitution de l 'objetdans la conscience, comme vis-a-vis de la conscience, n'annonce-t-ellepas effectivement Husserl?Et pourtant Kant ne doute point que ce qui met l 'objet radicalementdehors, c'est la chose en soi. La visee du phenomene par dela lui-memec'est objet non-empirique, le X ^ranscen dantal. C'est pourq uo i Kantequilibre les textes o l'objectivite nait de l'ecart entre mes representa-tions et le phenomene par d'autres o les phenomenes demeurent nurVorstellungen, die wiederum ihren Gegenstand haben (A 109; des re-presentations qui, a leur tour ( ont leur objet Tr. 143). L'objet transcen-dantal ist das, was in allen unsern empirischen Begriffen berhaupt Be-ziehung auf einen Gegenstand, d. i. objektive Realitt verschaffen kann(A 109; ce qui peut procurer a tous nos concepts empiriques en generalun rapport un objet, c'est--dire une realite objective Tr. 143).Ainsi la fonction realiste de l 'intentionalite (l'objet X comme lecorrelatif de l'unite de l 'aperception) traverse de part en part la fonctioiLidealiste de l 'objectivation de mes representations.Comment cela est-il possible? La cle du probleme est la distinction,fondamentale chez Kant, mais totalement inconnue chez Husserl, entrel'intenfion et l'intuition: Kant dissocie radicalement le rapport quelquechose . . . et la vision de quelque chose. Le Etwas = X est une intentionsans Intuition. C'est cette distinction qui sous-tend celle du penser et duconnaitre; eile en maintient non seulement la tension mais l 'accord.Kant n'a pas juxtapose les deux interpretations de l'objectivite, il ena pose la reciprocite. C'est parce que le rapport l 'objet = X est uneintention sans intuition qu'il renvoie l 'objectivite comme unificatioad'un divers; des lors le rapport a l 'objet ne sera pas autre chose quel'unite necessaire de la conscience, par suite aussi de la synthese dudivers (A 109; Tr. 143) "). L'objectivite issue de l'objectivation et l'objec-tivite prealable cette objectivation renvoient donc Tune l'autre(A 2501; Tr. 2602 ): l'idealite transcendantale de l 'objet renvoie aurealisme de la chose en soi et celui-ci ramene celle-l. La Preface de la2eme edition ne dit pas autre chose lorsqu'elle pose l'implication mutuelledu Conditionne et de l 'Inconditionne (B XX; Tr. 24).Cette. structure du kantisme est sans repondant dans la phenomeno-logie husserlienne. Comme le s neo-kantiens, Husserl a perdu la mesureontologique du phenomene et du meme coup perdu la possibilite d'unemeditation sur les limites et le fondement de la phenomenalite. C'estpourquoi la phenomenologie n'est pas une Critique>, c'est--dire uneinspection des limites de son propre champ d'experience.

    ") Es ist aber klar, da, da wir es nur mit dem Mannigfaltigen unsererVorstellungen zu tun haben, und jenes X, w as ihnen korrespondiert (derGegenstand), weil er etwas von allen unseren Vorstellungen Unterschiedenessein soll, fr uns nichts anderes sein knne, als die formale Einheit des Bewut-seins in der Synthesis des Mannigfaltigen der Vorstellungen" (A 105).57

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    Nous avons ici le guide veritable pour discerner dans J a roduct ionphenomenologique la simple conversion methodologique, dont nous avonsvu le s imp lications dans la lere Partie, et la decision metaphysique quis'y mele. La seconde des Meditations Cartesiennes montre en clair ceglissement subreptice d'un acte d'abstention a un acte de negation. Enm'abstenant (mich enthalten) de poser le monde comme absolu, je leconquiers comme monde-pergu-dans-la vie reflexive, bref je le gagnecomme phenomene; et Husserl peut legit imement dire que le m o n d en'est pour moi que ce qui existe et vaut pour ma conscience dans unpareil Cogito. Mais voici que Husserl pose dogmatiquement que le mondetrouve en moi et tire de m oi son sens et s validite: Ihren ganzen, ihrenuniversalen und speziellen Sinn und ihre Seinsgeltung hat sie ausschlie-lich aus solchen cogitationes 12). Son sens total, la fois universelet special, et s validite ontologique, le monde les tire exclusivement deces Cogitationes.* Ingarden avait de ja fait des reserves sur de telles ex-pressions qui, dit-il, anticipent sur le resultat de la constitution, da darineine metaphysische Entscheidung enthalten ist f eine Entscheidung, dieeiner kategorischen These ber etwas, was selbst kein Element der tran-szendentalen Subjektivitt ist, gleicht UJ: Car ces expressions enveloppentune decision metaphysique, une decision qu'on peut assimiler unethese categorique portant sur qiielque chose qui n'est pas soi-meme unelement de la subjectivite transcendantale.La raison profonde en est que Husserl a confondu la problematique del'etre avec la position na'ive des etants dans l 'att i tude naturelle; or,cette position na'ive n'est que l'omission du rapport des etants .nous-memes et releve de cette Anmaung de la sensibilite dont parle Kant .Aussi ne trouve-t-on pas chez Husserl cet entrelacement de deux 'Signifi-cations de l'objectivite que nous trouvions chez Kant, une objectivitoconstituee en nous et une objectivite fondatrice du phenomene. Cestpourquoi ce monde qui est pour moi quant son Sens (et en moi ausens intentionnel du en) est aussi de moi quant s Seinsgeltung, svalidite ontologique. Des lors aussi est la mesure de l'etreet ne peut etre mesuree par rien; eile peut seulement se radicaliser eile-5meme; mais eile ne peut etre traversee par aucune position absoluequi, a la fagon du Bien chez Platon, donnerait au sujet de voir et donne-rait un- quelque chose absolu _ voir.Je voudrais maintenant montrer que cette m etaphy siqu e. implicite dela non-m

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    sant sur le sens* des categories hors de son usage empirique; on saitque cette reflexion est a la fois une critique de l'illusion t ranscendantaleet la justification des idees de la raison. Or Husserl emploie le motTaison, generalement associe aux mots realite et verite, en un tout autresens: est probleme de raison (Ideen I, section IV) toute appreciation despretentions du vecu a signifier quelque chose de reel; or cette apprecia-tion de validite consiste a mesurer chaque type de signification (le perguen tant que tel, l 'imaginaire, le juge, le voulu, le senti en tant que tels)a YGvidence originaire du type correspondan t. .Le probleme de la raison n'est pas du tout Oriente vers une investiga-t ion 'de 'quelque visee sans vision, de quelque intention sans Intuition quidonnerait au phenomene un au-dela de lui-meme u). Bien au contraire, laTaison a pour tche d'authentifier le phenomene lui-meme par s propreplenitude.Des lors la phen om eno logie de la raison va se joue r tout entiere surla notion d'evidence originaire (que cette evidence soit perceptive, cate-goriale ou autre). C'est don c bien un e critique que la phenom enologiedeveloppe ici a la place de celle de Kant ; eile fait plus en effet que de-crire sur un mode spectaculaire, eile mesure tout pretendre par le voir?s vertu n'est plus seulement descriptive mais corrective; toute significa-tion vide (par ex. la signification symbolique dont on a perdu la loi deformation) est renvoyee a la presence de la realite, teile qu'elle appa-raitrait si eile se montrait elle-meme, dans s Leiblichkeit, en chair et enos. La raison est ce mouvement de renvoi du modifie a l'originaire.Ainsi la phenomenologie est devenue critique, mais en sens inversede Kant: chez Kant l 'intuition renvoyait au Denken qui la limitait; chezHusserl le simplement penser> renvoie a l'evidence qui le remplit. Leprobleme de la plenitude (Flle) a remplace celui de la limite (Grenze) .En definissant la verite par l'evidence et la realite par Toriginaire, Husserlne.rencontre plus aucune problematique de l'en soi. Kant etait soucieuxde ne pas se laisser enfermer dans le phen omen e; Husserl est soucieux dene pas se laisser abuser par des pensees non effectuees. Son problemen'est plus de fondation ontologique, mais d'authenticite du vecu.2) Mais cette critique d'authenticite devait conduire Husserl de re-duction en reduction, et d'abord a une reduction de l'evidence elle-meme;toute philosophie du voir, de Timmediatete, menace de retourner au rea-lisme nai'f; celle de Husserl plus qu'aucune, dans la mesure o il insistesur la presence en chair et en os de la chose meine; c'est ce peril queHusserl n'a jamais fini de conjurer. Plus il insiste sur le renvoi du pense

    ^) Le paragraphe 128 de./deen l'semble au premier abord aller en ce sens;Husserl , r emarquant que c'est le meme objet qui sans cesse se donne autiement,appeile Tobjet le X de ses determinations ; bien plus il se propose d'elucidercomment le noeme vise en tant que tel peut avoir une relation uneobjectivite (Husserliana, III, p. 315): Jedes Noema hat einen Inhalt, nmlich seinenSinn, un d bezieht sich durch ihn auf seinen Gegenstand (316). Mais apres ce debutde style kant ien , l'analyse vire un theme specifiquement husserlien: la viseenouvelle du noeme vers son abjet, qui semblait renvoyer un au-del du sens, designe le degre de pleni tude, le mode de remplissement du senspar rintuition ( 135 et smv.).

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    a roriginairement evident, plus il doit compenser les perils latents decet intuitionnisme, en radicalisant toujours davantage Interpretationidealiste de la constitution.C'est quoi s'emploient la IHeme Meditation Cartesienne et les ineditsde la derniere periode; ces ecrits tendent reduire la discordance tou-jours renaissante entre l'exigence idealiste de la constitution qui faitde Tobjet une unite de sens purement ideale et l'exigence Intuition*niste de la raison. II faut donc pratiquer sur l'evidence meme la reduc-tion de l'appris et de l'acquis; depouillee de toute la part d'evidence an-cienne, sedimentee et abolie, l'evidence se reduit au, present vivant(die lebendige Gegenwart) de la conscience. On voit ici nouveau unnouvel effet de cette decision metaphysique que nous discernions touta Theure dans la reduction husserlienne; toute presence demeure uneenigme pour la description, par ce surcroit (Zusatz) qu'elle apporte parrapport mon attente et mes anticipations les plus precises. Husserl,brisant ce dernier prestige de l'en soi qui pourrait encore se glisser dansla presence, decide que la presence de la chose meme, c'est mon present;l'alterite radicale attachee la presence se reduit la nouveaute dupresent: la presence de l'autre, c'est le present de moi-meme.Desormais c'est du cote de la temporalite que Husserl cherchera lesecret de la constitution de tout en soi pretendu, les anciennes evidences,abolissant le mouvement de constitution o elles sont nees originaire-ment (U rStiftung), se donnent pour une transcendance mysterieuse; l'ensoi c'est le passe de l'evidence, avec la possibilite de le reactiver dans urinouveau present. Tout un groupe d'inedits le groupe C s'engagedans cette breche ouvert par la Hleme Meditation.Nous retrouvons ici, la place d'honneur, le grand problema de latemporalite; c'est parce que Husserl a discerne, par del le temps-re-presentation de l 'Esthetique Transcendantale, la temporalite originairequi est l'avance meme de la conscience, qu'il peut braver le plus antiqueprestige, celui de la realite absolue. La question est de savoir s'il a jamaisapergu le probleme de l'etre.

    3) Cette desontologisation de la realite conduit a une nouvellePeripetie: le passage de la constitution statique a la constitutiongenetique, marque par le role croissant de la temporalite dans tous lesproblemes d'origine et d'authenticite. Or la constitution genetique estpour une bonne part une genese passive. Erfahrung und Urteil est letemoin de cette orientation des recherches de Husserl. Chaque positioade sens et de presence tient en raccourci une histoire qui s'est sedimentee,puis abolie; nous l'avons dej vu.a propos de l'evidence; mais cettehistoire se constitue elle-meme dans les couches anonymes du vecu.A l'epoque des Ideen, Husserl n'ignorait pas ce cote de passivite de laconscience; mais il le considerait plutot comme l'envers de la conscience(comme hyJe par rapport a la forme intentionnelle); ce qui demeura i tau premier plan c'etait l'active anticipation d'un sens, d'une unite sig-nifiante (chose, animal, personne, valeur, Sachverhalt); surtout Husserlne manquait pas de souligner que la conscience est un divers que lephenomenologue ne peut aborder qu'avec le guide transcendantal de60

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    l 'objet. Autrement dit c'est l'analyse noematique qui avait le pas surla reflexion du vecu considere noetiquement. Ce souci d'identifier laconscience a la synthese, la presomption d'unite etait au fond tres kantien.Mais l'interet se deplace progressivement du probleme de l'unite de sens,au probleme de l 'Urstiftung, c'est-a-dire de l 'enracineinent de tout sensdans le vec evident actuel. Ce deplacement d' interet ramenait de laxaison. logique a la raison perceptive le s articulations du jugem en treprenant sur le mode actif des structurations elaborees passivement dansla sphere ante-predicative de la perception et de la raison perceptivea l ' impression sensorielle, avec s f e s retentions memorielles et ses proten-tions kinesthesiques.C'est donc a une nouvelle Esthetique Transcendantale, non devoreepar une Deduction transcendantale, que travaillent les plus importantsinodits des groupes C et D de la classification de Louvain.Selon cette nouvelle Esthetique Transcendantale, l 'objet pergu par tousrenvoie, plus bas que l ' intersubjectivite, au monde primordial te l qu'ilappara i t au solus ipse/ a l ' interieur de cette sphere primordiale, l 'objetexterne* renvoie, par le moyen des retentions et protentions de laconstitution temporelle, a l 'objet immanent l'U r Impression.Ainsi Husserl en appelait-il du genie de Kant celui de Hume. Kantfondait l 'impression dans l'a priori de la sensibilite et l 'ordre pergu tou tentier dans l 'objectivite intellectuelle. "Avec le dernier Husserl, fonderne signifie plus elever Tintellectualite, mais au contraire edifier sur lesol du primordial , du pre-donne. C'est precisement le genie de Hume dei^gresser ainsi des signes, symboles et images aux impressions.4) O n pourrait dire que par cette identification de la raison unecritique de l'evidence, par cette reduction de l 'evidence au presentvcu et par ce renvoi Impression, Husserl identifie to ta lement laphenomenologie une egologie sans ontologie.L'intention la plus manifeste des Meditations Cartesiennes es t de con-duire a cette identification; la Ileme Meditation pose initialement que sitoute realite est un correlat de la Cogitatio, toute cogitatio est un modedu Cogito. Le Cogito, son tour, est l 'explicitation de l 'Ego. La pheno-menologie est ainsi une analyse egologique ( 13). Husserl en apergoitdes ce moment les redoutables consequences: Sicherlich fngt sie alsoals reine Egologie an und als eine Wissenschaft, die uns, wie es scheint,zu einem, obschon transzendentalen Solipsismus verurteilt. Es ist ja nochgar nicht abzusehen, wie in der Einstellung der Redu ktion andere Ego nicht als blo weltl iche Phn omene, sondern als andere transzendentaleEgo als seiend sollen setzbar werden knnen, und damit zu mit-berechtigten Themen einer phnomenologischen Egologie15). Assurementeile debute dans le style d'une egologie pure, d'une science qui nouscondamne, semble-t-ilr au solipsisme, du moins un solipsisme transcen-dantaL A ce stade on ne peut absolument pas prevoir comm ent, dans l 'atti-tude de la reduction, il pourra etre possible que nous devions poser l'exis-tence d'autres Ego, non plus comme de simples phenomenes mondains,

    u) Hasserliana, I, p. 69.6l

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    mais comme d'autres Ego transcendantaux, et qu'ainsi nous fassions d'euxaussi le theme legitime d'une egologie transcendantale. Mais Husserlaccepte heroiquement la difficulte et laisse entrevoir que le solipsismetranscendantal doit rester eine philosophische Unterstufe im degrephilosophique prealable et doit etre assume provisoirement, um dieProblematik der transzendentalen Intersubjektivitt als eine fundierte,also hherstufige in rechter Weise ins Spiel setzen zu knnen...,16) pour pouvoir engager la problematique de rintersubjectivite transcen-dantale de maniere droite, a titre de problematique f ond e e , donc de degresuper ieur.

    Nous verrons dans la Hleme Partie de cette etude si Husserl a reussia franchir ce seuil de rintersubjectivite. Notons pour l'instant jusqu'aquel radicalisme Husserl a conduit cette egologie, jusqu'a quel paradoxeil a co n dui t le solipsisme transcendantal.Dans la IVeme Meditation Cartesienne l'Ego lui-meme, en tant qu'Egode l 'Ego cogito, est thematise: also sich in sich selbst als seiend konti-nuierlich Konstituierendes17): il ne cesse de se constituer en soi-memecomme existant. Husserl devait des lors depasser l'ancienne these desIdeen, selon laquelle l 'Ego est der identische Pol der Erlebnisse lepole identique des vecus . L'Ego est desormais dos in voller Kon-kretion genommene ego (das wir mit dem Leibniz sehen Worte Monadenennen wollen18): l'ego pris dans s totale concretion que nous desige-rons du terme leibnizien de monade . Que signifie ce passage du langagecartesien au langage leibnizien? II marque le triomphe total de l'interio-rite sur l'exteriorite, du transcendantal sur le transcendant: tout ce quiexiste p o ur moi f se constitue en moi et cette constitution est la vie con-crete du moi. Des lors on peut bien dire que tous les problemes deconstitution sont inclus dans celui der phnomenologischen Auslegungdieses monadischen ego (das Problem seiner Konstitution f r sichselbst) ... /n weiterer Folge ergibt sich die Deckung der Phnomenologiedieser Selbstkonstitution mit der Phnomenologie berhaupt ...19): del'elucidation phenomenologique de cet Ego monadique (c'est le problomede s constitution pour soi-meme)... En fin de compte, il apparait quela phenomenologie de cette constitution de soi pour soi co'incide avec laphenomenologie tout cour t . L a phenomenologie f e ra donc serment d e tra-verser le desert du solipsisme, titre d'ascese philosophique. La phenomeno-logie est la science du seul ego dont j'ai une evidence originaire, le mien.Jamais le kantisme ne pouvait rencontrer un tel probleme. Non seulementparce que dans s perspective epistemologique il ne pouvait rencontrerqu'une conscience en general, le suje t du savoir vrai. Mais aussi parceque le Gemt que la Critique presuppose comme sujet concret est tou-jours tendu vers Tobjet transcendantal =X qui echappe au phenomeneet qui peut etre l'existence absolue d'une autre personne. La desontologi-sation d e l 'objet, chez Husser l , implique virtuellement celle d es corps,

    16) Husserliana, I, p. 69.17) O. c. p.100.18) O. c. p.102.l) O. c. p. 1023.62

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    d'autrui et celle des autres personnes. Alnsi la description du sujet con-cret, placee sous le signe de l'idealisme, conduit cette solitude meta-physique dont Husserl a assume avec une probite exemplaire toutes lesconsequences.Cest pourquoi la constitutioh d'autrui, qui assure le passage l'inter-subjectivite, est la pierre de tquche de l'echec ou du succes, non pas dela phenomenologie, mais de la Philosophie implicite de la phenomenologie.

    IIIConstitution d'Autrui et Respect

    Tous les aspects de la phenomenologie convergent donc vers le pro-bleme de la constitution d'autrui. Sortons-nous pour autant d'une proble-matique kantienne? Penetrons-nous dans un pays neuf que n'aurait pointdefriche le genie kantien? Nullement. Cette ultime peripetie de laphenomenologie husserlienne, issue de ce qu'il y a de moins kantiendans l'experience transcendantale de Husserl, nous ramene de maniereinattendue au coeur du kantisme: non point certes la Critique de laRaison Pure, mais la Philosophie pratique.Kant n'a pas de phenomenologie de la connaissance d'autrui: la pheno-menologie du Gemt est trop implicite et trop ecrasee par les con-siderations epistemologiques pour contenir seulement les amorces d'unetheorie de l'intersubjectivite; on en trouverait tout au plus les premicesdans l'Anthropologie, dans le cadre dela thoorie des passions que Kantconduit en effet comme une theorie de l'intersubjectivite. Mais tout celaest peu de choses aupres des admirables essais phenomenologiques deHusserl sur l'Einfuhlung. La theorie de YEinfhlung appartient la pheno-menologie descriptive avant de supporter la Charge de resoudre le para-doxe du solipsisme transcendantal. Elle fait corps avec la phenomeno-logie de la perception, la perception d'autrui s'incorporant la signifi-cation du monde que je pergois? eile s'inscrit dans la constitution de lachose dont eile determine la derniere couche d'objectivite; eile est impliquee dans la constitution des objets culturels, du langage, des institu-tions.Ce n'est donc pas sur le terrain proprement descriptif que la pheno-menologie a quelque chose apprendre de Kant? Husserl ,est ici le guideet non point Kant.Par contre nous retrouvons Kant pour resoudre les difficulteS susciteespar l'interpretation philosophique de la reduction et qui culminent dansle paradoxe du solipsisme transcendantal. Husserl ne s'est pas seulementpropose de decrire comment autrui apparait, dans quels modes perceptifs,affectifs, pratiques se constitue le sens: autrui, alter ego1; il a tentede le constituer en moi et pourtant de le constituer en tant qu'autre.Cest la tche de la Veme Meditation Cartasienne; on peut dire que cedifficile essai est une gageure intenable: l'auteur tente de cpnstituer au-trui comme un sens qui se forme en moi f dans ce qui est le plus propre>l'ego, dans ce que Husserl appelle la sphere d'appartenance; mais enmeme temps qu'il constitue autrui en moi selon l'exigence idealiste, il

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    entend respecter le sens meme qui s'attache a la prosence d 'autru i , commeun autre que moi et comme un autre moi qui a son monde, qui mepercoit, s'adresse moi et noue avec moi des relations d'intersubject ivi ted'o sortent un unique monde de la science et de multiples mondes deculture. Husserl ne veut sacrifier ni l'exigence idealiste, ni la dociliteaux traits spocifiques de Einfhlung. L'exigence idealiste veut qu'autrui ,comme la chose, soit une unito de modes d'apparitions, un sens ideal -sumo; la docilite au reel veut qu'autrui transgresse ma sphere propred'exporience, fasse surgir, aux bornes de mon vecu, un surcroit de pre-sence incompatible avec rinclusion de tout sens en mon vecu.Le probleme d'autrui porte donc au jour le divorce latent entre lesdeux tendances de la phenomenologie, la tendance descriptive et la ten-dance dogmatique. Le genie de Husserl est d'avoir tenu la gageurejusqu'au bout. L e souci descriptif de respecter l 'alterite d'autrui et lesouci dogmatique de; fonder autrui dans la sphere primordiale d'apparte-nance de l 'Ego trouvent leur equilibre dans l'idee d 'une saisie ana-lo g isante d'autrui.Autru i est l lui-meme et pourtant je ne vis pas son vecu; autrui estseulement apprsentiert appresente, mais sur le fondement de soncorps qui seul est prsentiert presente avec une evidence originairedans la sphere de mon experience vecue, En moi un corps est presentoqui approsente un autre vecu que le mien. Ce vecu est un vecu comme lemien, en vertu de l 'appariement (Paarung) entre mon corps ici et l 'autrecorps l-bas; cette configuration en couple fonde l'analogie entre le vecueingefhlt et le vecu erlebt, entre le vocu de l'autre et le mien.Husserl a-t-il reussi constituer l'etranger comme etranger dans lasphere propre de experience? A-t-il tenu la gageure de vaincre le solip-sisme sans sacrifier l 'egologie? L'enigme c'est que l 'autre, appresentesur son corps et saisi analogiquement par Synthese passive*, ait une va-leur d'etre (Seinsgeltung) qui l'arrache ma sphere primordiale, Commentune analogie a supposer que je connaisse autrui par analogie peut-elle avoir cette visee t ranscendante, alors que toutes les autres analogiesvont d'une chose une chose a Tinterieur de mon exporience? Si le corpsd'autrui se constitue en moi, comment le vecu d'autrui qui y adhereest-il appresente hors de moi? Comment une simple concordance entreles modes d'apparition du comportement peut-il indizieren un etrangeret non point une chose plus subtile de mon monde? Husserl a-t-ilreussi a se soustraire au prestige enorme de la constitution de la Dj'ng-lichkeit de la chose comme chose dans un flux de profils, desilhouettes (Abschattungen)? Autrui est-il plus qu'une simple unito deprofils concordants?

    II est vrai que dans Ideen II (Illeme Partie) Husserl oppose radicale-ment la constitution des personnes celle de la nature (choses et corpsanimes). II lui arrive meme, dans un des appendices, d'opposer a l'Er-scheinungseinheit l'unite d'apparitions de la chose, l'Einheit abso-luter Bekundung l'unite de manifestation absolue de la personne:ia personne serait donc beaucoup plus qu'un doploiement de silhouettes;eile serait un surgissement absolu de prosence. Mais cette Opposition64

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    entre la personne qui s'annonce et la chose qui apparait, est uneOpposition que la description impose et que la Philosophie de la reductionminimise; c'est un bouleversement total du sens idealiste de la constitu-tion qu'elle implique: ce que la personne annonce, c'est precisement sonexistence absolue; constituer la personne, c'est alors reperer dans quelsmodes subjectifs s'opere cette reconnaissance d'alterite, d'etrangete, d'exis-tence autre. L'idealisme husserlien devait faire obstacle a ce renverse-ment du sens de la constitution.C'est ic i qu'un retour a Kant se propose; non point pour parfaireune description de l 'apparaitre d'autrui, mais pour comprendre le sensde l'existence qui s'annonce dans cet apparaitre. est remarquable quece soit le philosophe le plus desarme sur le terrain de la descriptionphenomenologique qui soit alle droit a ce sens de l'existence. LorsqueKant introduit, dans la Fondation de la Methaphysique des Moeurs, la se-conde formule de l ' imperatif categorique: Handle so, da du die Mensch-heit sowohl in deiner Person, als in der Person eines jeden ndern jeder-zeit als Zweck, niemals blo als Mittel brauchest (A 429; Agis de teilesorte que tu traites l'humanite aussi bien dans ta personne que dans la per-sonne de tout autre toujours en meine temps comme une fin, et jamaissimplement comme un moyen trad. Delbos Delagrave, p. 1501. Nousciterons desormais D, p. 1501). O n peut etre choque de cette introduc-tion brusque d'autrui dans le formalisme kantien et on peut se plaindreque nulle description de la connaissance d'autrui ne precede cette de-termination pratique d'autrui par le respect. Ne faut-il pas d'abord con-naitre l 'autre en tant qu'autre et ensuite le respecter? Le kantisme sug-gere une reponse toute differente. C'est dans le respect meine, commedisposition pratique, que reside la seule determination de l'existenced'autrui.Examinons de plus pres la demarche kantienne: l 'existence en soid'autrui est d'abord posee hypothet iquement comme ident ique a s va-leur: Gesetzt aber, es gbe etwas, dessen Dasein an sich selbst einenabsoluten Wert hat, was als Zweck an sich selbst ein Grund bestimmterGesetze sein knnte, so wrde in ihm und nur in ihm allein der Grundeines mglichen kategorischen Imperativs, d. i. praktischen Gesetzes,liegen (A 4278; Mais suppose qu'il y ait quelque chose dont l'exis-tence en soi-meme ait une valeur absolue, quelque chose quif comme finen soi, pourrait etre un principe de lois determinees, c'est alors en celaet en cela seulement que se trouverait le principe d'un imperatif cate-gorique possible, c'est-a-dire d'une loi pratique D, p. 149).Dans cette position hypothetique d'un fondement, il n 'apparai t aucunedifference entre la determination existentielle et la determination pratiquede la personne. L'opposition de la personne et de la chose est d'embleepractico-existentielle: la chose appartient , comme objet de mes desirs,a l'ordre des moyens; la person ne ap partient, co m m e vis-a-vis de respect, l'ordre des fins en soi: ... dagegen vernnftige Wesen Personen genanntwerden, weil ihre Natur sie schon als Zwecke an sich selbst ... aus-zeichnet (A 4289; au contraire, les etres raisonnables sont appelesdes personnes, parce que leur nature le s designe dej comme des fins ensoi D, p. 149). 65

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    On objectera que le respect, comme la Sympathie, est im sentimentsubjectif et n'a pas plus le pouvoir d'atteindre un en soi que la percep-tion sensible ou le dosir. C'est precisement se meprendre sur le respectque de l'aligner sur la perception, le desir, ou meine la Sympathie: lerespect est le moment pratique qui fonde la visee transcendante de laSympathie; la Sympathie, comme affect, n'a pas plus de privilege que lahaine ou l'amour; c'est pourquoi l'elargissement, d'ailleurs legitime, de laphenomenologie husserlienne dans le sens indique par Max Scheler oupar Mac Dougall ou par les existentialistes frangais, ne change rien anProbleme d'existence, meme s'il donne un inventaire plus riche des modesd'apparaitre d'autrui. Le respect, en tant que sentiment pratique, pose-une liniite pour ma faculte d'agir; ainsi, parlant de l'humanite, Kantetablit qu'elle n'est pas une fin subjective ,que viserait ma Sympathie,ce qui serait encore l'inclure dans mes inclinations als Gegenstand, denman sich von selbst wirklich zum Zwecke macht (A 431; comme un ob-jet dont on se fait en realite une fin de son propre gre D, 154); l'hu-manite est une fin objective, comme loi de serie qui constitue dieoberste einschrnkende Bedingung aller subjektiven Zwecke (ibid; lacondition supreme restrictive de toutes les fins subjectives); 'plus loinKant l fappelle plus for tement die oberste einschrnkende Bedingung imGebrauch aller Mittel (A 438; la condition limitative supreme dansl'usage de tous les moyens D, p. 166). De meme est la personne: c'est u n e fin qui existe par soi, que je ne peux penser que negat ivement^comme ce contre qui on ne doit jamais agir (dem niemals zuwider ge-handelt ...werden mu A 437; D, p. 165).Par le respect, la personne se trouve d'emblee situee dans un champde personnes dont l'alterite mutuelle est strictement fondee sur leur irre-ductibilite a des moyens. Qu'autrui perde cette dimension ethique queKant appelle s dignite (Wrde) ou son prix absolu, que la Sympathieperde son caractere d'estimef et la personne n'est plus qu'un bloesNaturwesen un etre purement naturel et la Sympathie un affectanimal. - ^

    Mais, dira-t-on, la proposition: die vernnitige Natur existiert alsZweck an sich selbst (A 429; la nature raisonnable existe comme finen soi D, p. 150) n'est qu'un postulat Kant l'accorde aisement (voirs note a A 429). Ce postulat c'est le concept d'un regne des fins, c'est--dire la liaison systematique des etres raisonnables par des lois com-munes. L'historien n'a pas de peine a y reconnaitre Tidee augustiniennede la cite de Dieu et l'idee leibnizienne du regne de la grce. Ce qui estproprement kantien, c'est d'acceder cette idee par un mouvementde regression vers le fondement de la bonne volonte, donc par radicali-sation d'une demarche de la liberte. La pluralite et la communication desconsciences ne peuvent faire l'objet d'une description, si d'abord ellesne sont posees par un acte de Grundlegung: de position de fonde*ment la communicationdes consciences est alors ce qui rend possiblela coordination des libertes et ce qui fait de chaque vouloir subjectif uneliberte.66

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    On peut sans doute regretter le tour etroitement juridique que prendcette mutualite des libertes sous l'idee d'une legislation a priori; ce n'estsans doute pas ce qui est le plus xemarquable chez Kant Ce qui resteadmirable, c'est de n'avoir pas cherche d'autre Situation pour la per-sonne que son appartenance (comme membre ou comme chef) a unetotalite pratique et ethique de personnes. Hors de l eile n'est plus unepersonne. S on existence ne peut etre qu'une existence-valeur. Les reve-lations affectives d'autrui ne depassent pas forcement le niveau del'outil ou de la marchandise.Ainsi existence absolue d'autrui appartient originairement a l'inten-tion de la volonte bonne; seul un mouvement reflexif de Grundlegungdecouvre que cette intention enveloppe l'acte de se situer commemembre legislateur dans une communaute ethique.

    D u meme coup la determination de la personne comme fin en soi quiexiste nous ramene au probleme de la chose en soi. Dans la Ileme Partienous avons souligne la fonction limitative de la chose en soi a l'ogard despretentions du phenomene; cette Philosophie des limites, totalement ab-sente de la phenomenologie, trouve sur le plan pratique son epanouisse-ment, puisque l'autre c'est celui contre qui je ne dois pas agir. Mais enmeme temps l'idee d'un regne des fins fait surgir le caractere positif defondement de l'en soi. Seulement la determination de l'en soi ne devientjamais theoretique ou speculative, mais reste pratique et ethique. Leseul monde intelligible dans lequel je puisse me placer c'est celui auquelj'accede par le respect; par l'autonomie de ma volonte et le respect del 'autonomie d'autrui, so versetzen wir uns als Glieder in die Verstandes-welt nous nous transportons dans le monde intelligible a titre demembres. Mais en entrant dans ce monde, je ne puis mich hineinschauen,hineinempfinden (A 459; En s'introduisant ainsi par la pensee dans unmonde intelligible, la raison pratique ne depasse en rien ses limites; eilene les depasserait que si eile voulait, en entrant dans ce monde, s'yapercevoir, s'y sentir D f p. 201).

    Kant n'a-t-il pas, par l, montre les limites non seulement des pre-tentions du phenomene, mais les limites de la phenomenologie elle-meme?Je puis voir, sentir l'apparaitre-des choses, des personnes, des valeurs;mais l'existence absolue d'autrui, modele de toute existence, ne peut etresentie; eile est annoncee comme etrangere a mon vecu par l 'apparitionmeme d'autrui dans son comportement, son expression, son langage, sonoeuvre; mais cette apparition d'autrui ne suffit pas a l'annoncer commeun etre -en soi. S on etre doit etre pose pratiquement comme ce quilimite la pretention de ma S ympathie elle-meme a reduire la personne s qualite desirable et comme ce qui ionde son apparition elle-meme.La gloire de la phenomenologie est d'avoir eleve la dignite descience, j>ar la refluction, l'investigation de l'apparaitre. Mais lagloire du kantisme est d'avoir su coordonner l'investigation de l'appa-raitre a la fonction limite de l'en soi et la determination pratique del'en soi comme liberte et comme tout des personnes.

    Husserl fait la phenomenologie. Mais Kant la limite et la Ionde.67