Richard Cobden. Un révolutionnaire pacifique

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UN RÉVOLUTIONNAIRE PACIFIQUE

RICHARD COBDEN

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CHARLES TAQUEY

C O B D E N UN RÉVOLUTIONNAIRE PACIFIQUE

GALLIMARD

Paris — 43, rue de Beaune

s. P.

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adap- tion réservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1939.

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PRÉFACE

Ce livre est important. Je voudrais qu'il fût retenu sur- tout parce qu'il est l'exposé d'une technique de l'agitation et le catalogue des arguments qui ont permis de transformer, il y a un siècle, en Grande-Bretagne, l'opinion publique tout entière.

De ce double point de vue l'ouvrage de M. Charles Taquey présente un grand intérêt d'actualité. Le problème que posait l'état de l'Angleterre lorsque Cobden a commencé son action n'était pas très différent, dans sa nature profonde sinon dans ses dimensions, de celui devant lequel le monde se trouve aujourd'hui placé. L'agriculture mourait alors d'un régime qui était destiné à la « protéger », régime qui imposait de grands sacrifices à la collectivité, mais ruinait plus particulièrement les ouvriers agricoles, les fermiers et les propriétaires fonciers, c 'est-à-dire ceux-là même pour la sauvegarde desquels il avait été établi et qui s'en trouvaient les plus ardents partisans, en même temps que les plus actifs défenseurs.

Aujourd' hui, dans tous les pays qui se qualifient de démo- cratiques, le régime en vigueur tend à diminuer le bien-être en affirmant qu'il veut l'accroître. Partout ce régime a été établi sous la pression des intérêts organisés, intérêts indi- viduels ou intérêts de groupe, que leurs défenseurs ont réussi à couvrir d'un voile d'intérêt général. Et le mensonge est par- tout admis, dans l'obscurité pudique de la pensée confuse,

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si bien que, tant à leurs propres yeux que devant le Gou- vernement et l'opinion, les bénéficiaires égoïstes des dispo- sitions malthusiennes peuvent se présenter comme les cham- pions de l'intérêt public, si bien aussi que partout dans le monde les mesures de famine sont réclamées par ceux qui en pâtissent le plus.

Assurément, le mal est infiniment plus grave et plus étendu dans le monde de 1939 que dans l'Angleterre de 1839. I l a développé ses conséquences politiques; il a profondément atteint et dégradé l'homme lui-même, qui a perdu, en même temps que le sens de la liberté, les qualités intellectuelles et morales qui seules permettent de la mériter et de la con- server. En outre la politique de réarmement a amplifié à l'extrême les conséquences du mal. Mais qui pourrait pré- tendre qu' elle en est l'origine. Est-ce le souci du réarme- ment qui a engendré en 1931 les accords de Standstill, point de départ et modèle de tous les contrôles de change? Est-ce le souci du réarmement qui a généralisé les régimes de farm-board ou de prix minimum du blé, le contingentement des importations, germe mortel dans l'organisme capitaliste, ou le système de l'arbitrage obligatoire, qui ne laisse le choix qu'entre le chômage permanent et la dépréciation de la mon- naie?

E n réalité, depuis vingt ans toutes les modifications pro- fondes de notre système — les réformes de structure — lui ont été imposées par les intérêts particuliers ou collectifs auxquels elles semblaient profiter, intérêts qui ont été le principal sinon l'unique moteur de notre politique écono- mique.

De cette situation, on ne saurait s'étonner. Elle est l'effet de la concentration industrielle et de l'immense développe- ment de l'association dans tous les secteurs de la vie écono-

mique. Les puissants intérêts qui ont pris ainsi naissance ont réussi à assurer la transposition sur le plan économique

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des systèmes représentatifs, qui n'avaient été voulus et consciemment établis que sur le plan politique.

Le régime de la représentation des intérêts s'est introduit progressivement dans tous les domaines de notre organisa- tion politique. Sur le plan économique, il n'est presque aucune décision des pouvoirs publics qui ne soit précédée de la consultation de quelque commission supérieure ou de telle ou telle association qui groupe les représentants élus, donc les « revendicateurs » désignés, des intérêts susceptibles d'être affectés par l'action gouvernementale. Certaines de ces asso- ciations ont d'ailleurs si bien compris leur rôle qu'elles ont nommé des délégués permanents, qui ne cessent d'assiéger de leurs exigences les autorités responsables.

Ce régime a trouvé son couronnement et sa consécration dans l'institution du Conseil national économique, véritable chambre des revendications, créée dans le vain espoir de con- cilier des intérêts contraires et qui conduit infailliblement à tous les satisfaire.

Que dorénavant les intérêts privés, d'individus ou de groupes, tiennent dans leur étroite dépendance tous les organes gouvernementaux, nul ne saurait s'en étonner. Mais ce qui surprend, ce qui exige une explication, c'est que cette évolution ait été appuyée par toutes les forces désintéressées — et notamment par celles qui voulaient sincèrement l'aug- mentation du bien-être des classes laborieuses — alors que le régime de la représentation des intérêts tendait néces- sairement, par l'organisation de la production chère et le développement des méthodes malthusiennes, à un résultat exactement opposé : la diminution du niveau de vie des hommes.

L'universelle complaisance de ceux qui n'avaient pas de raison d'être complices, mais qui ont accepté d'être dupes, soulève l'un des problèmes fondamentaux de notre époque. Elle ne peut s'expliquer que par un extraordinaire aveugle-

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ment intellectuel, qui a permis aux « intéressés » d'accom- plir leurs méfaits dans une obscurité propice.

C'est un fait qui doit être noté que les problèmes écono- miques sont très rarement examinés en eux-mêmes, mais seu- lement relativement à l'opinion qu' en a telle ou telle puis- sance revendicatrice. C'est un fait aussi que dans les fonc- tions publiques, administratives ou gouvernementales, très peu d'hommes admettent que les problèmes dont ils ont à connaître sont du ressort de la pensée consciente.

Et cependant lorsque l'on veut construire un pont, on demande à l'ingénieur les méthodes qui permettent d'y réus- sir. Mais lorsque l'on veut sauvegarder le niveau de vie des hommes et que telle ou telle association propose la générali- sation du contingentement, personne ne pense qu'il y ait lieu de réfléchir sérieusement aux conséquences des déci- sions que l'on envisage. Il est certain pourtant qu'un exa- men rapide du système du contingentement eût montré qu'il impliquait un abandon intolérable de l'impôt payé par le consommateur, du fait de la hausse des prix, au pri- vilégié qui obtient une licence d'importation et que son fonctionnement était exclusif de tout équilibre permanent des balances des comptes. Quelques minutes de réflexion eussent conduit à la certitude que la généralisation du sys- tème ne pouvait pas ne pas aboutir à une suspension géné- ralisée du paiement des dettes internationales et que par là il était incompatible avec le maintien du régime capita- liste.

Néanmoins le système a été adopté, joyeusement et incons- ciemment, par des gouvernements qui en le promulguant croyaient et voulaient sauver leur pays.

La vérité c'est que, comme l'a dit Pascal, « jamais on ne fait le mal si pleinement ni si gaiement que quand on le fait par un faux principe de conscience ». Pour qu'une res- tauration économique soit possible, il faut, avant tout, que

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les Gouvernements acceptent de considérer les questions dont ils ont la charge comme des questions sérieuses.

C'est le grand mérite du livre de M. Charles Taquey que de montrer ce qu'a été — et par là ce que doit être — un mouvement économique qui a réussi.

Il y faut, à la base, un effort de pensée consciente et des arguments capables de convaincre. C'est parce que Cobden avait une doctrine susceptible d'être défendue par un grand nombre d'arguments indiscutables et d'évidences auxquelles l'esprit le plus rudimentaire ne pouvait échapper, qu'il a pu rallier à son mouvement, par la seule vertu de la per- suasion, la quasi totalité de l'opinion publique en Angle- terre.

Si l' on veut demain, avant ou après une guerre, recons- truire notre univers, il faudra, comme Cobden et Bright, expliquer au peuple pourquoi le système qu'il souhaite tend surtout à l'affamer. Ce mouvement ne pourra donc émaner que de quelques hommes doués d'une conviction forte, qui sauront ce qu'ils pensent et pourquoi ils le pensent.

Mais l'ouvrage de Charles Taquey montre aussi que pour qu'une pensée devienne une politique, il faut qu'elle soit partagée par un grand nombre d'hommes. Pour cela, un véritable apostolat est indispensable. Cobden a mis au point une technique de l'agitation économique. Demain comme hier, si elle est appliquée par quelques hommes convaincus et décidés, elle sera efficace : elle refera un monde susceptible de durer et ce sera le mérite de Charles Taquey que d'avoir livré à ceux qui mèneront la lutte, une méthode et une technique, un exemple et un espoir.

J A C Q U E S R U E F F .

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INTRODUCTION

Richard Cobden, industriel anglais, fit abroger en 1846 le droit sur l'entrée des grains en Grande-Bretagne. A ce titre il mérite d'être compté parmi les grands révolutionnaires : nul autre ne fut plus près de fonder un monde nouveau, un monde où la paix et la justice entre les nations seraient assurées par le moyen le plus simple et le plus efficace : l'enchevêtre- ment des intérêts commerciaux...

Il ne s'agit pas ici de défendre la théorie de l'échange inter- national, car c'est un jeu assez académique, celui qui consiste à démontrer, in abstracto, les avantages du commerce entre les nations. Cette étude se situe dans les faits : ce que nous désirons faire c est l'histoire pratique d'un mouvement d'opi- nion; indiquer dans quelles circonstances et par quels moyens, un homme ou plutôt un groupe d'hommes : l' « Anti-Corn- Law-League » a réussi à faire adopter une politique que leur pays avait jusqu'alors honnie : la politique du libre échange. Nous voudrions en outre apporter quelque retouche à la théorie courante d'après laquelle les manufacturiers anglais ont voulu la liberté des échanges au moment où ils se sentaient en mesure d'écraser leurs concurrents étrangers : l'agitation anglaise en faveur du « free-trade » a été, comme nous le ver- rons, fille de la crise et non de la prospérité.

Ce livre a de nombreuses ambitions, que son auteur s'excuse de n'avoir pas su restreindre : il veut être un catalogue d'argu- ments pratiques et un manuel d'agitation politique. Il veut aussi retracer l'ordre dans lequel se sont enchaînées les cir-

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constances qui rendirent nécessaire la Révolution Commerciale du XIVe siècle. Il ose en outre, après tant d'autres, narrer la vie de Richard Cobden. Si ces ambitions méritent d'être par- données, c'est que l'auteur a une conviction sincère : il est temps de penser à nouveau au libre échange et des enseigne- ments qui ont porté leurs fruits il y a un siècle peuvent avoir encore quelque efficacité aujourd'hui.

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PREMIÈRE PARTIE

LE MILIEU ET L'HOMME

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CHAPITRE PREMIER

LA CRISE DE L'AGRICULTURE BRITANNIQUE

Au cours des dernières années du XVIII siècle et au début du XIX l'Angleterre subit l'évolution la plus pro- fonde de son histoire.

Dans le domaine politique elle triomphe de ses ennemis à l'extérieur et offre à l'intérieur l'image d'une monarchie paisible et, à quelques scandales près, respectée. Malgré les privations et les pertes que lui impose le blocus, sa pré- pondérance économique et commerciale ne cesse de s'affir- mer. Avant le rigorisme de l'époque victorienne ce sont les derniers fastes de la « Old merry England. »

Mais cette situation brillante n'est pas sans revers. La révolution industrielle s'est accompagnée de crises sociales particulièrement violentes et tandis que le pays prenait la première place parmi les nations manufacturières, il per- dait son rang privilégié parmi les peuples agricoles.

Cette évolution de l'agriculture, qui contraste si nette- ment avec celle des autres branches de l'économie natio- nale, présente des caractères originaux qui légitiment une étude détaillée. Ses grandes phrases précédant les trans- formations de l'industrie anglaise, il convient de penser qu'elle n'a pas été sans influence sur la destinée de cette dernière.

L'agriculture était la principale activité du peuple bri- tannique au début du XVIII siècle. Les grandes forces qui

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devaient diriger l'économie de la Grande-Bretagne au cours des époques ultérieures devaient se manifester d'abord dans la prospérité puis dans les excès et dans le déclin de cette activité essentielle.

Au cours du présent chapitre nous voudrions montrer que l'agriculture anglaise possédait en elle-même de quoi expliquer ses transformations successives et que du jour où les causes naturelles de sa prospérité ont disparu la pro- tection douanière a été impuissante à la maintenir.

I . — L ' A G R I C U L T U R E A N G L A I S E

A U X V I I I E T A U X I X S I È C L E

Du XVII siècle à l'abrogation des droits sur les blés l'agriculture anglaise passe par trois stades successifs : d'abord prospère elle est ensuite la victime d'excès spécula- tifs puis tombe en décadence avant même que la protec- tion douanière lui soit retirée.

Jusqu 'au milieu du XVIII siècle, l'Angleterre est la pre- mière puissance agricole du monde.

Le pays tire la majeure partie de ses ressources de la pro- duction et du commerce des céréales. Cette production et ce commerce sont la source d'une prospérité à peu près constante que révèle la hausse du prix du blé. Le prix moyen du « quarter » coté à Mark Lane 1 passe de 22 shil- lings entre 1740 et 1745 à 26 shillings 3 d. entre 1745 et 1750 et à 29 shillings entre 1750 et 1755.

Ces chiffres sont le signe d'une prospérité constante, non

1. Marché de Londres. Il s'agit du cours de janvier de la qualité supérieure.

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pas tan t parce qu'ils sont élevés que parce qu'ils sont en hausse continue.

Sur tous les marchés la tendance des prix importe plus que le cours lui-même car c'est la marge de hausse qui fait le profit. Sur le marché des produits agricoles la tendance à long terme est la plus importante; dans ce domaine en effet les investissements ne peuvent être immédiatement rénumérés.

Les chiffres précédents, bien qu'ils ne couvrent qu'une période de quinze années ne laissent donc aucun doute sur la prospérité de l'agriculture. Le manque de statistique ne permet pas une affirmation aussi précise pour les trente ou quarante années précédentes, toutefois les auteurs sont d'accord pour admettre que pendant toute la première moitié du XVIII siècle l'agriculture a joui d'une situation tout à fait favorable.

De cette prospérité il faut chercher les causes. Parmi celles-ci figure évidemment en première ligne la

marche ascendante de la Grande-Bretagne, conséquence du développement de sa population, de son prestige poli- tique accru, des premiers progrès de ses manufactures.

Ensuite et surtout il faut citer le progrès technique dans l'agriculture même. Les propriétaires terriens jaloux des bénéfices réalisés par les magnats du commerce et de la finance font un gros effort pour améliorer la culture. Ils demeurent une grande partie de l'année sur leur domaine, ils fondent des centres de recherche technique.

De cette époque datent les t ravaux de la « Royal Agri- cultural Society» (1837) dont les principaux membres sont le duc de Bedford, lord Somerville, sir John Sinclair et Arthur Young. Les Annales de Young retracent les prin- cipales étapes du « Sturm und Drang » de l'agriculture anglaise, auquel se rattachent encore les noms de Town- shend, de Bakewell et de Coke. Sir Humphrey Davy et

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Liebig procèdent aux premières applications de la chimie à l'agriculture; Josiah Parker découvre le principe du drai- nage.

Le niveau de vie élevé des fermiers attire à la terre une partie des classes moyennes et d'abondants capitaux, tandis que l 'augmentation du nombre des naissances, si redoutée par Malthus, maintient l'offre de main-d'œuvre toujours au-dessus des besoins. Ni les talents, ni les capi- taux, ni les bras ne manquent donc à l'agriculture pendant cette période qui se distingue surtout par un caractère de stabilité : amélioration continue des méthodes de produc- tion, augmentation constante du nombre des consomma- teurs, répartition équitable des bénéfices entre les trois classes intéressées : propriétaires, fermiers, ouvriers agri- coles.

Si elle n'est pas créée par l 'intervention des pouvoirs publics, la prospérité de l'agriculture est, au début du moins, aidée par leur action. Un « Board » ou ministère à forme collégiale semblable à celui des finances est fondé. Il encourage les initiatives des grands propriétaires par une série de dispositions législatives intitulées « Enclosure Acts », dont les conséquences sont assez importantes et diverses pour qu'il soit nécessaire d'y i n s i s t e r

Il y avait, au début du XVIII siècle, en Angleterre un assez grand nombre de terres dont le régime juridique était très imprécis. Tantôt il s'agissait de véritables biens communaux ou de propriétés indivises dont les non-pro- priétaires avaient la jouissance (common lands, common wastes, commun pastures), tantô t des terres appropriées mais comprenant un grand nombre de parcelles disper- sées et entremêlées sur lesquelles portaient des droits de nature différente (certaines appartenant à des francs

1. Cf. Mantoux, la Révolution industrielle.

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t e n a n c i e r s e t d ' a u t r e s à d e s t e n a n c i e r s p o u r v u s d ' u n t i t r e

p l u s p r é c a i r e o u « c o p y h o l d e r s »). C e r é g i m e c o m p l e x e n e

m a n q u a i t p a s d e f a i r e s u r g i r d e s d i f f i c u l t é s p r a t i q u e s q u i

s ' o p p o s a i e n t à u n e b o n n e e x p l o i t a t i o n d u s o l .

L e m o u v e m e n t d e s « E n c l o s u r e s » d é j à s e n s i b l e a u

X V I s i è c l e , r e s t r e i n t a u X V I I s i è c l e p r e n d , d è s l e d é b u t d u

X V I I I u n e i m p o r t a n c e t r è s g r a n d e . S o n o b j e t e s s e n t i e l e s t

l e « r e m e m b r e m e n t » d e l a p r o p r i é t é r u r a l e : i l s ' a g i t d e

c r é e r d e s d o m a i n e s d ' u n s e u l t e n a n t o ù i l s e r a p o s s i b l e

d ' a p p l i q u e r l e s m é t h o d e s p e r f e c t i o n n é e s d e c u l t u r e . B i e n t ô t

à c e p r e m i e r o b j e c t i f s ' e n j o i n t u n s e c o n d : l e s s e i g n e u r s

c h e r c h e n t à s ' e m p a r e r d e s t e r r e s c o m m u n e s . E n d é f i n i -

t i v e l e s « E n c l o s u r e - A c t s » o u « l o i p r e s c r i v a n t l a d i v i s i o n ,

l ' a l l o t i s s e m e n t e t l a c u l t u r e d e s c h a m p s , p r a i r i e s e t

p a c a g e s o u v e r t s e t c o m m u n s e t d e s t e r r e s v a i n e s e t v a g u e s

s i s e s d a n s l a p a r o i s s e d e . . . », c o n d u i s e n t à u n e r e d i s t r i b u -

t i o n g é n é r a l e d e s t e r r e s à l ' a v a n t a g e d e s « l a n d l o r d s ».

A u d é b u t d u X V I I I s i è c l e , c e s « A c t s » s o n t e n c o r e p e u

n o m b r e u x ( d e 1 7 1 4 à 1 7 2 0 à p e u p r è s u n p a r a n ) l e u r s e f f e t s

s o n t m o d é r é s e t p l u t ô t f a v o r a b l e s d u p o i n t d e v u e é c o n o -

m i q u e . L a c u l t u r e m a r a î c h è r e f a i t p l a c e a u x c é r é a l e s e t à

l ' é l e v a g e , l e c o û t d e p r o d u c t i o n e s t a b a i s s é e t l e s b é n é f i c e s

a u g m e n t e n t .

A p a r t i r d e 1 8 6 0 , l e n o m b r e d e c e s « A c t s » d e v i e n t c o n -

s i d é r a b l e ( 6 4 2 d e 1 7 7 0 à 1 7 8 0 ; 9 0 6 d e 1 8 0 0 à 1 8 1 0 ) e t l e u r e f f e t s e m a n i f e s t e s u r t o u t d a n s l e d o m a i n e s o c i a l . L e s

p e t i t s t e n a n c i e r s e t l e s p a u v r e s q u i p r o f i t a i e n t d e s t e r r e s

c o m m u n e s s o n t c h a s s é s d e s v i l l a g e s . N o u s v e r r o n s p l u s

t a r d l e s c o n s é q u e n c e s c o n s i d é r a b l e s d e l ' a f f l u x d e c e s p a y - s a n s v e r s l e s v i l l e s .

R e m a r q u o n s s e u l e m e n t i c i q u e l a p r o s p é r i t é d e l ' a g r i -

c u l t u r e a u d é b u t d u X V I I I s i è c l e p o r t e e n g e r m e l e s c a u s e s

d e s a d é c a d e n c e u l t é r i e u r e . L a h a u s s e d e s p r i x e n c o u r a g e

d e s e s p o i r s e x c e s s i f s e t r i s q u e d e t o u r n e r à l ' i n f l a t i o n . L e s

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bénéfices réalisés p a r les l andowners et la facilité t r o p g r a n d e qu ' i l s on t r encon t rée les condu i t à se dés intéresser de l ' exp lo i ta t ion . Les « enclosures » en dé rac inan t la classe des pe t i t s p ropr ié ta i res et en c réan t u n p ro lé ta r i a t agricole, i n t rodu i sen t dans les campagnes tous les r isques écono- miques auxque l s sont a u j o u r d ' h u i soumis les ci tadins.

Toutefois de 1766 à 1815, la crise agricole est différée par les circonstances politiques. Au lieu d'une baisse du prix du blé, c'est un « boom » qui a lieu.

Les guerres de la Révolution et de l 'Empire confèrent à l 'agriculture britannique une prospérité factice, créent une sorte d'inflation. La misère apparaissant dans les campagnes prouve que, dès cette époque, la situation n'est pas saine et que les bénéfices des hauts prix sont confisqués par quelques-uns.

Pendant ces années, les cours du blé sont les suivants :

1766-1775 51 sh. 1776-1785 43 sh. 1786-1795 47 sh. 1796-1805 . . . . . . . . . . . . . 75 sh. 1806-18 1 5 93 sh. 1816-1825 . . . . . . . . . . . . . 68 sh.

En temps de famine, ce prix peut excessivement s'ac- croître, atteindre par exemple 155 sh, comme en août 1812.

De 1766 à 1790, le fléchissement des cours dû à quel- ques bonnes récoltes n'est pas sans créer des difficultés dans les campagnes. Le paupérisme qui a toujours existé en Angleterre se manifeste alors avec plus de violence. Les

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denrées sont d'une cherté excessive en comparaison du salaire que peut payer le fermier.

Les « poor-laws » créent alors un curieux régime du tra- vail sous lequel une partie des salaires est payée par la charité publique. Les pauvres valides dont l 'entretien incombe aux paroisses sont placés par les soins de ces der- nières chez les fermiers des alentours qui leur versent un salaire dérisoire de 6 d. par jour 1 Ce salaire est majoré par les paroisses de 6 à 9 d., le minimum d'existence ou « sufficient maintenance » étant évalué à 1 sh. 2 en

moyenne par jour. Les fermiers contribuent aux alloca- tions paroissiales en payant des taxes (poor-rate) élevées mais ils rejettent sur les landowners et sur les petits exploi- tants qui n'emploient pas de main-d'œuvre une partie des charges qui normalement eussent dû leur incomber. Un tel régime était le signe d'un déséquilibre matériel, il pré- sentait aussi des inconvénients moraux car il établissait l'irresponsabilité des classes laborieuses.

Cependant le monopole de ravitaillement que confère à l'agriculture anglaise les guerres napoléoniennes et surtout le blocus continental encouragent les espoirs les plus fous. La superficie des terres emblavées est exagérément accrue. Arthur Young l'évaluait à 2.796.000 hectares en 1771, Colombes à 3.160.000 en 1808 soit une augmentation de 364.000 ou plus de 13 %. En même temps, les landowners calculant les loyers d'après les plus hauts prix du blé, se montrent de plus en plus exigeants à l'égard des fermiers dont la concurrence leur permet d'obtenir des engagements à long terme.

De 1781-1794 à 1800-1804, le prix des fermages aug- mente de 150 % en moyenne au témoignage d'un profes- seur d'Edimbourg nommé Law.

1. Hasbach, Histoire du Paysan anglais.

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De te ls e r r emen t s p r é p a r a i e n t les désas t res de la pér iode su ivante . Il suffisait du r e tou r de la pa ix p o u r a n é a n t i r la p rospér i t é des fermiers don t la s i tua t ion n ' é t a i t br i l lante q u ' e n apparence .

De 1815 à l'abrogation, la misère des ouvriers agricoles touche à l'extrême. La situation des fermiers devient tout

à fait précaire, celle des propriétaires est elle-même com- promise.

Tous les historiens et tous les économistes de l'époque se font l'écho des doléances présentées par les exploitants. Cobden et les membres de l'Anti-Corn-Law League n'échappent pas à cette règle, ils sauront même se faire de ces plaintes une de leurs armes les meilleures. Toutefois, leur témoignage serait sujet à caution et mieux vaut faire appel ici à un auteur plus objectif. D'après Leadam 1 la situation du fermier est la suivante : malgré la baisse du prix du blé, la concurrence des fermiers est telle que le cours des fermages reste sans changement notable. Les poor-rates augmentant sans cesse, tout le problème est de vendre le blé assez cher. Or, dès 1814, les prix commencent à baisser : ils atteignent 7 4 sh. 4 d. et les fermiers se déclarent ruinés alors qu'en 1790 la vie était facile, le quarter se vendant 43 sh. Une commission est nommée par la Chambre des Communes : landlords et fermiers s'accordent pour affirmer que le prix du blé ne peut des- cendre sans dommage pour eux au-dessous de 80 sh. De graves experts vont jusqu'à réclamer un minimum de 96 sh.

Alors apparaît dans la législature, malgré une éloquente protestation de Lord Grenville, le régime protecteur de

1. Whal protection does for the farmer and labourer.

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1815, que nous allons bientôt décrire. La hausse consécu- tive du prix de la vie est accueillie par des émeutes dans les villes industrielles cependant les populations agricoles se félicitent, d'une loi si favorable, un capital important est consacré à l'amélioration des méthodes de culture, le prix des fermages n'a jamais été si élevé... et dès l'année suivante, le prix du blé tombe à 78 sh. 6 d.; il est de 66 sh. 3 d. en 1824 et de 52 sh. 11 d. en 1833. Sauf en

1817 (96 sh. 11 d.) le prix du blé n 'at teint jamais les 80 sh. jugés nécessaires en 1815. Voici les prix enregistrés au cours des années suivantes :

53 sh. 10 d. en 1837 70 sh. 8 d. en 1839 50 sh. 1 d. en 1843 50 sh. 10 d. en 1845

Les agriculteurs étaient protégés contre la concurrence étrangère qui n'était cependant pas très redoutable, rien ne les défendait ni ne pouvait les défendre contre la con- currence qu'ils se faisaient à eux-mêmes.

Dans ces conditions, les fermiers doivent payer leur loyer sur leur capital si encore ils peuvent continuer à exploiter leur terre. Un niveau de vie assez élevé fait paraître d'autant plus pénibles les pertes qu'accusent leurs bilans déficitaires. Évalué à £ 1.593.000 en 1840, le déficit de l'agriculture passe à £ 3.947.000 en 1842 1.

La situation est admirablement résumée par Lord John Russel dans un discours parlementaire du 26 mai 1845 : « la présente loi céréale tend à retarder tout progrès dans la technique agricole, introduit dans les contrats ruraux un élément d'incertitude et promet aux habitants des campagnes des avantages qu'elle est impuissante à leur

1. Rapport des « Select Committee » de la Chambre des Communes, 1821 1822, 1833.

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assurer. » Le prix des loyers correspond à la protection du blé, mais le prix de vente de la céréale ne serait pas infé- rieure en période de libre-échange. Et comme le dit Lea- dam : « Corn-law rents at free-trade price are at the bot- tom of the farmer distress. »

Plus encore que les fermiers, les ouvriers agricoles souf- frirent de la crise déclanchée par le rétablissement de la paix.

Dès 1780, le développement des procédés de culture, la procédure des « enclosures » avaient entraîné un grand déplacement de la population agricole. Certains villages s'étaient vidés de leur population.

Goldsmith put écrire en 1770, la complainte du Déser- ted Village. En revanche des centres de population s'étaient créés sur les grands domaines.

Parallèlement à ce déplacement matériel, les « enclo- sures » avaient entraîné la vente de nombreuses parcelles et la dépossession de maints petits propriétaires avait été la cause de changements sociaux importants. La plupart des « yeomen » étaient devenus ouvriers agricoles : ils avaient cessé d'être attachés au sol par la tradition et les liens de la propriété, ils avaient cessé d'offrir aux crises économiques cette résistance dont font toujours preuve les petits propriétaires. Ainsi les « enclosures » avaient déter- miné une augmentation de l'offre de main-d'œuvre qui devait nécessairement faire baisser les salaires, elles avaient retiré à toute une partie de la population la sécu- rité dont celle-ci jouissait autrefois. De ce fait on a pu dire justement que l'influence heureuse qu'elles ont eue sur l'agriculture au début du XVIII siècle portait en germe la décadence ultérieure des classes paysannes.

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La disparition de la yeomanrie remonte assez loin, elle a précédé suffisamment le grand développement de l'in- dustrie pour qu'il soit possible d'affirmer qu'elle a été causée par des raisons propres à l'agriculture. Au con- traire de ce qu'ont pensé certains auteurs, il n 'y a pas eu un appel de bras de la part des manufactures, mais un excès de main-d'œuvre agricole qui devait nécessairement chercher à s'employer où il lui semblerait qu'elle pourrait vivre.

La misère des ouvriers agricoles avant l 'adoption du libre-échange est un fait sur lequel nous ne saurions trop insister, il permet comme nous le verrons d'expliquer les progrès de l'industrie, il souligne la cruauté qu'il y avait à imposer un droit sur les blés. Ce fait important est établi par une grande abondance de témoignages qui sont assez connus pour qu'il ne soit pas nécessaire de les citer tous. Les mieux fondés sont sans doute les enquêtes des Comités parlementaires, les plus attachants les « rural rides » de Cobbett, les moins convaincants ne sont certainement pas les documents d'atmosphère comme l' « Oliver Twist » de Dickens.

Après la période des guerres napoléoniennes et surtout celle du blocus continental qui fut témoin d'un « boom » tout à fait exceptionnel, la misère s'abat brutalement sur les campagnes anglaises. Les salaires ont baissé en raison des pertes subies par les fermiers et de l 'augmentation de l'offre de main-d'œuvre. Freiné par les allocations versées par les paroisses cette baisse de salaire n'a pas suffi à résorber le chômage. Les roundsmen, ouvriers sans emploi placés chez les fermiers par les paroisses ne reçoivent qu'un salaire de famine. Plus malheureux encore sont les pauvres logés à la « workhouse », établissements de charité qui ressemblent à des prisons.

Si fort que l'on se soit apitoyé sur le sort des ouvriers