Revue philosophique Acropole Hors série 4

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PHILOSOPHIE L’Odyssée de la dialectique SCIENCES Vers un platonisme scientifique PHILOSOPHIE Platon au secours de l’école de la République L’actualité de Platon Être philosophe aujourd’hui Hors série N°4 de la Revue de Nouvelle Acropole — 2014 – 6L’ACTUALITÉ DE PLATON HORS SÉRIE N° 4

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Revue philosophique Acropole Hors série 4

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  • PHILOSOPHIELOdysse de la dialectique

    SCIENCESVers un platonisme scientifique

    PHILOSOPHIEPlaton au secoursde lcole de la Rpublique

    Lactualit de Platon

    t re ph i losophe au jourd hu i

    Hors srie N4 de la Revue

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    201

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    Ecole de ph i losoph ie pra t iqueCours de philosophies compares

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    ORGANISATION INTERNATIONALEPHILOSOPHIE CULTURE VOLONTARIAT

  • Editorial par Fernand SCHWARZ et Marie-Agns LAMBERT Platon, un message toujours actuel et vivant 5

    INTRODUCTION 6LOdysse de la dialectique,les dfis des nouveaux paradigmes par Fernand SCHWARZ 7

    PLATON, LINTRODUCTION DE LA PHILOSOPHIE 9Platon, la voie de la philosophie par Louisette BADIE 10Dialogue et dialectique par Fernand SCHWARZ 12Visions de lhomme et du monde chez Platonpar Brigitte BOUDON 15volution de la pense politique chez Platonpar Fernando FIGARES 19LUn et le multiple par Fernand SCHWARZ 23Les sources prsocratiques de Platon par Brigitte BOUDON 26

    LHRITAGE DE PLATON DE LANTIQUIT LA RENAISSANCE 30

    Plotin, le matre du noplatonisme par Maria-Dolors FIGARES 31Proclus, lclectisme explicite par Maria-Dolors FIGARES 34Le pseudo Denys lAropagite et la thologie de la Lumirepar Dominique DUQUET 37La Renaissance Florence, Nicolas de Cuespar Evgeny SPODAREV 40Le platonisme, du Moyen-ge la Renaissancepar Evgeny SPODAREV 43

    LACTUALIT DE PLATON 45Le dfi du platonisme par Tim ADDEY 46Platon au secours de lcole de la Rpubliquepar Philippe GUITTON 49Vers un platonisme scientifique par Jean STAUNE 54Beaut et vrit en science,le monde des Ides de Platon par TRINH XUAN Thuan 58

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    Nouvelle Acropole Revue Hors-srie n4 ISSN 0396-7387 Dpt lgal aout 2014dite par la Fdration Franaise des Nouvelle AcropoleAssociation franaise rgie par le dcret-loi du 1er juillet 1901Sige social dadministration : La Cour Ptral D 941, 28340 Boissy-ls-PercheRdaction : 6, rue Vronse 75013 Paris - Tel : 01 42 50 08 40Internet : http://www.revue-acropolis.frDirecteur de publication : Fernand SchwarzRdactrice en chef : Marie-Agns LambertAvec la collaboration de Dominique Duquet et de lInstitut international HermsMaquette : Sylvie CotsCrdits photos : Nouvelle Acropole - Fernand Schwarz Philippe Guitton Brigitte Boudon Fernando Figares Maria-Dolors Figares - Marie-Agns Lambert Dominique Duquet Louisette Badie Evgeny Spodarev Tim Addey - Jean Staune Trinh XuanTuan Fotolia : aarochas - agsandrew borisb17 Christian Schwier Drimi Gurgenb Gurrgenb2 - Gurgenbsmall - IL YA AKINSHIN Kalafoto lassedesignen marcobarone marugod83 MF Sbastien Closs Stikker TTStudio - Wckiw James Thew Impression : Print24 - Prix de vente : 6 Reproduction interdite sans autorisationLes articles proviennent des interventions des participants du Colloque international Platon 2013, LOdysse et les mutations de la dialec-tique nos jours, pour comprendre les enjeux daujourdhui, qui sest tenu Marseille du 29 novembre au 2 decembre 2013, organispar lInstitut international Hermes (www.sciencesdelhomme.com)Certains textes ont t rcrits avec laimable autorisation de leurs auteurs pour tre adapts au hors-srie.

    SOMMAIRE

  • 6

    6Dernires parutions

    50

    Pour plus dinformationssur nos dernires parutions, rendez-vous sur :http://www.revue-acropolis.fr/philosophie/dossiers-speciaux.html

    DITIONSNouvelle Acropole

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  • EDITORIAL

    par Fernand ScHWArZ prsident de la Fdration des Nouvelle Acropole

    Marie-Agns lAMBerTrdactrice en chef

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    Vingt-cinq sicles aprs la fondation de lAcadmie par Platon, que reste-t-il de son enseignement ? Peut-il nous aider comprendre le monde dau-jourdhui ? En 2013, une vingtaine de chercheurs europens de lInstitut internationalHermes et dautres chercheurs passionns de philosophie et de Platon, sesont runis Marseille autour dun colloque sur le thme LOdysse et lesmutations de la dialectique, de Platon nos jours, pour comprendre lesenjeux daujourdhui, commmorant par la mme occasion le 2400e anni-versaire de la fondation de lAcadmie. Les intervenants ont trac un itin-raire de la pense de Platon dans le temps et lespace jusqu aujourdhui.La pense de Platon irrigua la fois les civilisations orientales et occiden-tales et inspira de nombreux domaines du savoir et de laction humaine.Comme lavait tent Platon, les philosophes voulurent faire sortir lhuma-nit de la caverne de lignorance, des opinions et des prjugs, mettre enlumire des valeurs humanistes et plus justes et faire avancer les connais-sances sur le chemin de la Vrit, au-del de lapparence et des illusions. Aujourdhui le monde est toujours dans la caverne, mme si celle-ci achang daspect. Mue par des aspirations matrielles, la socit vit uneperte de repres importante qui sme la confusion, le dsordre, la fragmen-tation et la sparativit tous les niveaux : politique, conomique, socialet humain. Comment en sortir ? Il semble plus que ncessaire que lhuma-nit retrouve des valeurs sres, atemporelles et universelles, quelle se relieaux Lois de la Nature et recherche la conciliation entre les opposs :lhomme et le monde, lun et le multiple, lunit et la diffrence, le mondeinvisible et la matire, lesprit et la matire, le monde des Ides et des ob-jets, limagination et la raison...

    Il est temps de voir la ralit autrement, de changer de perspectives etdabandonner les vieux paradigmes. Face aux crises cycliques qui dstabi-lisent le monde, il est urgent de trouver des rponses cohrentes et de re-donner de lespoir tous ceux qui se sentent perdus. Platon donne denombreux enseignements et rflexions philosophiques pour mieux vivreles changements invitables de fin de civilisation et aborder le XXIe sicle.Ainsi Platon est-il bien vivant et son message, toujours actuel.Cest dans cet esprit que la revue Acropolis consacre son quatrime numrohors-srie annuel Lactualit de Platon. Pour redcouvrir Platon, nousvous proposons un saut dans le temps, depuis les prsocratiques jusquaujourdhui, embrassant tous les domaines, de la philosophie aux sciences. Que sa pense vous inspire pour devenirs meilleurs et crer un mondemeilleur : celui de demain

    Platon, un message toujours actuel et vivant

  • INTRODUCTION

  • ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 7

    par Fernand ScHWArZAnthropologue, crivain et philosophedorigine argentine. Prsident de lInstitut international Hermes.Confrencier international, consultant enressources humaines, auteur de livres surla tradition platonicienne et sur lesymbolisme des civilisations anciennes.Auteur de films pour tlvision franaise etlatino-amricaine.

    Lodysse de la dialectique,les dfis des nouveaux paradigmeslorsquil a fond lAcadmie, platon a mis en place dune faon pratique les fondementsde la philosophie. Sa pense traversa lespace et le temps, traant des routes par lesquellesla philosophie se propagea, provoquant des orientations novatrices et cratrices quiretentissent jusqu aujourdhui.

    Lanne 2013 a ft le 2400e anniversaire de lAcadmie (1) par Platon. Marseille,dclare capitale europenne de la culture en 2013 sest associe cet vnement enrecevant des chercheurs europens de lInstitut international Hermes et dautres cher-cheurs, autour dun colloque intitul LOdysse et les mutations de la dialectique dePlaton nos jours, pour comprendre les enjeux daujourdhui. Depuis sa fondation, en 387 av. J.- C., jusqu sa fermeture par lempereur Justinienen 529 (2), lAcadmie reprsente presque un millnaire dactivit intellectuelle sansinterruption autour de la pense et laction de Platon. Cest une pense vivante dontle potentiel sest dclin et dploy travers les sicles. lpoque tardive, dans le cursus de lAcadmie, Aristote a constitu la premire tapede lenseignement pour comprendre le monde physique, aprs avoir suivi ltude dePlaton, avant le grand saut philosophique dans ltude des mystres du noplatonisme.

    la pense platonicienne dans le temps et lespaceAprs la fermeture de lAcadmie, Damascius, lultime diadoque (3), sinstalla enSyrie, sa patrie, probablement Emse. Avec dautres penseurs noplatoniciens, il fitjaillir un mouvement philosophique majeur Carrhes (Harrn) qui devint le foyer dela pense sabenne, source noplatonicienne de la philosophie arabe, lorsque triomphalIslam, prolongeant ainsi le priple de la pense platonicienne.Avec un dernier dveloppement de neuf hypothses du Parmnide sur le Un et le Mul-tiple (4), il approfondit la rflexion philosophique platonicienne qui aboutit un ach-vement du noplatonisme tardif. Son apport permit lintgration du platonisme et dela philosophie hermtique avec la thorie du Un et du Tout (En kai pan).Linfluence de lAcadmie se prolongea aussi dans le Moyen-ge chrtien et dans leJudasme. Au XVe sicle, elle connut une renaissance lorsquelle fut refonde sous leparrainage des Mdicis, par Marsile Ficin qui, avec Gmiste Plthon et Nicolas deCues, conformrent la trilogie des personnages inspirateurs du renouveau de la pensede Platon.

    et aujourdhui? La redcouverte de la pense de Platon aujourdhui, renouvelle son activit intellec-tuelle et apporte de nouvelles inspirations pour la science moderne naissante. traversles nouveaux paradigmes de la science et la ncessit dune meilleure comprhensionde la mondialisation, sa pense nous offre de nouvelles perspectives. Dailleurs quelleest la nature de la ralit physique pour la science physique aujourdhui ?

    INTRODUCTION

  • La dcouverte que la ralit est diffrente de ce que nous pensions, est lune des grandes russitesde la physique du XXe sicle. Les rcentes recherches de la science moderne nous apprennent quele rel dans lequel nous vivons nest pas le rel vritable car il nest pas indpendant de nous. Il estdonc possible den dduire que la base du monde matriel est non matrielle. Pour des chercheurscomme Bernard dEspagnat ou Trinh Xuan Thuan, le platonisme est redevenu un support pourmieux comprendre lunivers. Comme le dit Bernard dEspagnat, Les ides de Platon ne sont pasdans lespace-temps mais elles existent indpendamment de lesprit humain et sont les causes desphnomnes. Cest pourquoi, on parle parfois propos du platonisme, de ralisme des essences.Le ralisme philosophique dun physicien peut difficilement ne pas tre un peu platonicien. AinsiDavid Bhm, jadis porte-drapeau des physiciens matrialistes en est-il venu dire maintenantque les objets perus sont seulement des projections de ce qui est. (5)Cette rvolution de la pense qui intgre la vision platonicienne, concerne aussi la biologie. Les formesdes structures complexes sont reproduites par les Lois de la Nature et non par la slection naturelle.Lide de lexistence de modles archtypaux pour le dveloppement des diffrents organes duneplante fut repris en 2001 dans la revue Nature par Gunther Theiben et Heinz Saedler : Le mmegne agit la fois dans le dveloppement du tube nerveux dorsal chez les vertbrs et dans celui deschaines nerveuses ventrales chez la drosophile, conformment la vieille assertion de Geoffroy,selon laquelle il tait possible dtablir une correspondance par inversion entre ces deux phyla (16).Les mathmaticiens tels que Roger Penrose et Alain Connes voquent la possibilit de lexistencede concepts mathmatiques avec lesquels lhomme serait en contact et qui seraient indpendantsde notre monde spatio-temporel. En clair, nous observons le retour dune vision du monde platoni-cienne, que Platon lui-mme a dveloppe dans le paradigme de la ligne, distinguant deux plansde ralit : le sensible et lintelligible.Contrairement ce que lon pourrait imaginer, la pense de Platon nest pas ferme, et si elle a per-mis autant de dveloppements et de rebondissements, cest justement parce quelle souvre versdes multiples hypothses propos des grands sujets qui interrogent notre XXIe sicle.La dialectique et la pense platonicienne prsentent aujourdhui un vritable support pour llabo-ration et la clarification des nouveaux paradigmes, tantt dans la vision du monde de lunivers,

    comme dans celle de la socit humaine

    NOTES(1) cole philosophique fonde Athnes par Platon vers 387 av. J.-C. Elle dura jusquen 86 av. J.-C. Elle tira son nom du domaine dans lequel elle tait situe, fait de jardins et de portiques et qui setrouvait prs du tombeau du hros Academos. Voir article sur Platon, La ?? de la philosophie page10 (2) Empereur byzantin (483-565 ap. J.-C.). Il rgna de 527 jusqu sa mort et laissa une uvreconsidrable : sur le plan lgislatif avec le Corpus iuris civilis, base du droit civil, dans lexpansiondes frontires de lEmpire, dans la politique religieuse, dans lart avec un programme de constructionarchitectural important dont la Basilique de Sainte-Sophie(3) Titre donn aux gnraux dAlexandre le Grand qui se disputrent son empire aprs sa mort(4) Dans le dialogue intitul Parmnide, Platon analyse le problme de lUn et son rapport aumultiple. Il btit neuf hypothses dans lesquelles il examine toutes les manires de considrer lesobjets dans leur rapport avec lunit de la connaissance. Voir article Le Un et le multiple, page 21(5) Voir article de Jean Staune Vers un platonisme scientifique, page 52(6) Stephen Jay GOULD, La structure de la thorie de lvolution, ditions Gallimard, 2006,2048 pages, pages 1562-1563 et 1567

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  • ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 9

    PLATON,LINTRODUCTION DE LA PHILOSOPHIE

  • Par chance, bon nombre de rcits sur la vie de Platon nous sont parvenus. Leursource figure dans la premire partie du livre III (paragraphe 1- 47) des Vies etdoctrines des philosophes illustres, attribu Diogne Larce, dont luvrese situe dans la premire moiti du second sicle de notre re.

    la jeunesse de platonPlaton est n sur lle dgine vers 428-427 avant J.-C. Il appartenait une famillearistocratique ayant fui Athnes, alors secoue par de violentes crises. Il reut ldu-cation rserve aux enfants de bonne famille : ducation physique, apprentissage dela lecture, de lcriture, tude de la posie et de la rhtorique. Il accomplit son duca-tion physique chez Ariston, lutteur dArgos, qui appela son lve Platon, qui signi-fiait large.En 408, lge de 20 ans, Platon rencontra Socrate. Il renona alors la politiquepour la philosophie. Son matre lui apporta non une doctrine, mais un type de re-cherche par questions-rponses, ainsi quun mouvement vers la sagesse. La mort deSocrate en 399 avant J.-C., marqua profondment Platon et fut un tournant dans savie. Platon avait alors 28 ans.

    la maturit de platonPlaton se rendit Mgare chez Euclide, puis Cyrne chez le mathmaticien Tho-dore. Ensuite, il partit en Italie rencontrer les pythagoriciens et en gypte chez desprtres de haut degr. Il revint en Sicile o il esprait raliser des rformes politiquesauprs du tyran Denys lAncien Syracuse. Il se lia damiti avec Dion, le beau-frrede Denys. Mais Denys napprcia pas linfluence du philosophe sur Dion et il venditPlaton comme esclave ! Platon fut rachet et libr puis revint Athnes. En 387,

    lge de 40 ans, il fonda lAcadmie qui comprenait un petit temple en lhon-neur des Muses, un gymnase et une bibliothque. Ctait un espace densei-gnement et de libre discussion perptuant la dmarche socratique de larecherche de la vrit travers le dialogue. LAcadmie tait ouverte du ctde lOrient et reut des lves venus de Babylone. La notorit de Platontait si grande que plusieurs cits grecques lui demandrent de rdiger descodes pour elles.Platon mourut Athnes vers 348, lge de 80 ans. Il laissa une uvre phi-losophique considrable. Il ne fit pas de la philosophie, comme lavait faitSocrate, un objet de conversation sociale. Il vcut au contraire retir dumonde, se limitant au cercle de ses disciples et enseignant toute sa vie.Comme lcrivit Bertrand Vergely dans son ouvrage Platon, Platon place laphilosophie la tte de la cit, afin de veiller ce que celle-ci ressemble

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    par louisette BADIeDiplme et formatrice en travail social.Enseignante en philosophie etconfrencire. Co-auteur du dossier :Simone Weil, philosophe de lAbsolu.

    Platon, la voie de la philosophieQue savons nous de platon ? Si le philosophe a peu crit sur lui-mme, sa vie a fait lobjetde nombreux rcits et sa pense a inspir de nombreux philosophes au fil du temps.

    PHILOSOPHIE

    BibliographieFernand SCHWARZ, Tradition et les voiesde la connaissance, EditionsNouvelle AcropoleLuc BRISSON, articles qui se fier pourconnatre Platon ? et Vie de Platon parusdans le Hors-srie numro 2 du journal Le Point ddi PlatonJacqueline RUSS, Les chemins de la pense,dition Bordas-Armand Colin, 2004, 596 pagesBertrand VERGELY, Le dico de laphilosophie, ditions Milan, 1998, 273 pagesBertrand VERGELY, Platon, ditionsLes essentiels Milan, 2007, 63 pages

  • quelque chose au lieu dtre limage de rien [] Lidalisme platonicien nest pas une fuite, maisune exigence de penser au-del des apparences. Les uvres de Platon sont essentiellement des dialogues. Ses ouvrages peuvent tre rpartis en qua-tre groupes. Le premier comprend une quinzaine de dialogues o Platon expose la thorie de lIde. Les plusimportants sont lApologie de Socrate, le Protagoras, le Gorgias, le Mnon et le Cratyle. Ledeuxime groupe est form par les ouvrages qui exposent la thorie de lIde sous sa premireforme : le Banquet, le Phdon, la Rpublique et le Phdre. Le troisime est celui des ouvrages que lon pourrait appeler critiques, o Platon revient sur sadoctrine en y apportant certaines modifications : ce sont le Thtte, le Parmnide, le Sophiste etle Politique. Enfin, le quatrime groupe comprend les ouvrages exposant la dernire forme de la doctrine : lePhilbe, le Time (avec le Critias inachev) et les Lois. On admet gnralement aujourdhui lau-thenticit de certaines, au moins des Lettres attribues Platon, notamment des LettresVII et VIII,

    qui sont les plus importantes

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    La mort de Socrate en 399 avant J.-C., marquaprofondment Platon et futun tournant dans sa vie.Platon avait alors 28 ans.

  • Platon prtendait et favorisait une culture obtenue par le dialogue, loralit,lamiti, tout ce qui se droulait lAcadmie. Mais il tait aussi pragmatiqueet savait sadapter son temps. Il joua deux cartes : il favorisa la culture deloralit quil transfra dune certaine manire lcriture car il se rendit compte queles nouveaux temps allaient de pair avec lcriture. Et donc, son criture se distinguade celles de son poque par un genre littraire particulier, le dialogue, la forme dcri-ture la plus proche de loralit. Le dialogue platonicien est un mlange de mtaphores et de dialectique. La mtaphoreest propdeutique ; elle prpare la dialectique et permet parfois de transmettre deslments que la dialectique ne peut pas toujours atteindre.

    Mesure et dialogueQuand les hommes sont en dsaccord sur les apparences sensibles, sur la grandeur oula figure des objets, sur leur nombre ou leur poids, ils disposent dun moyen facile etsr pour y mettre fin : le recours la mesure, les compter ou les peser ; mais quand ledsaccord porte sur des valeurs, sur le bien et le mal, le juste ou linjuste, un tel pro-cd nest plus applicable ; la solution ne peut tre cherche que dans le dialogue,dans une discussion sincre et bien conduite. Les deux procds, mesure et dialogue,tendent lun et lautre lobjectivit, et apportent deux mthodes pour la constitutionde la science : la mathmatique et la dialectique ; la premire labore une thorie etla seconde met en discussion les hypothses de ladite thorie et cherche leur justifi-cation dans un principe absolu. Pour Platon, les mathmatiques sont une propdeutique, une introduction la connais-sance du Bien qui nous est procure par la dialectique (1).

    la dialectique chez platonDans sa Thologie platonicienne (I, 4), Proclus (2) nous rvle que la dialectique quiapparat dans lordre des valeurs en-dessous de la thurgie ou de lintuition, concerne lamthode par excellence de Platon pour clairer les choses partir des principes ultimes.Il est important de rappeler que la vrit qui peut apparatre par le mode inspir, sappuietoujours sur le mode dialectique qui permet de suivre de plus prs lordre des genres oudes principes.Pour Platon, la dialectique est la technique de linvestigation ralise par la collabo-ration de deux personnes ou plus, moyennant le procd socratique des questions-r-ponses. La philosophie, en effet, nest pas pour Platon une tche individuelle et privemais luvre dhommes qui vivent ensemble et discutent avec bienveillance ;cest lactivit propre dune communaut de la libre ducation (3).

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    par Fernand ScHWArZAnthropologue, crivain et philosophedorigine argentine, prsident de lInstitutinternational Hermes. Confrencierinternational, consultant en ressourceshumaines, auteur de livres sur la traditionplatonicienne et sur le symbolisme descivilisations anciennes. Auteur de films pourla tlvision franaise et latino-amricaine. .

    Dialogue et dialectiqueplaton crivit de nombreux dialogues, conjuguant lart de lcrit et une mthode dediscussion orale. Deux personnes dialoguent, raisonnent, se questionnent et laborent toutun chemin de pense pour clairer les choses partir des principes ultimes. ce procdsera repris au fil du temps par les philosophes.

    PHILOSOPHIE

  • La dialectique est le moyen, travers le dialogue, de connatre ce qui est. En tant que connaissancevraie, qui se distingue de lignorance comme de lopinion, elle est synonyme de philosophie : lephilosophe est un dialecticien. La dialectique peut ainsi tre considre comme la seule science v-ritable : elle est la connaissance de la ralit (4). Platon est un pythagoricien qui croit que la vritableet bonne ralit est celle de lme libre du corps ; mais il est aussi pragmatique et constate que laphilosophie doit rendre compte de la ralit de lme incarne dans le corps, cest--dire de ce quiest soumis aux coordonnes spatio-temporelles et de toutes les ralisations humaines. Elle doit aussirendre compte de la ralit extra spatio-temporelle, celle de lme libre et de toutes les situationsquaujourdhui la science nous rvle comme non soumises la spatio-temporalit.

    Le terme dialectique drive du mot com-pos grec : dialegein, dia : rapport,change et legein : parler. Daprs lty-mologie, ce serait une forme de dialogueou de discussion qui dsigne le fait de par-venir saccorder avec lautre traversune discussion rduisant peu peu les op-positions de point de vue, aprs les avoirfait apparatre. La dialectique met en jeudes intermdiaires (dia), elle est en rapportau logos, qui est un principe essentiel dedtermination du rel et de la pense et pasun simple discours ou raisonnement. La dialectique est surtout une catgorie

    technique de la philosophie : on ne peut sattendre la rencontrer que dans le cadre de systmesphilosophiques dtermins, pourvue chaque fois dune dfinition particulire. En fonction des au-teurs, elle varie, comme on le voit chez Platon, Aristote (5), Kant (6), Hegel (7) ou Karl Marx (8).La dialectique de Marx est le contraire direct de la dialectique de Hegel. Elle nest plus en effetune dialectique de lide, du concept, finalement de la conscience, mais une dialectique du mat-rialisme qui veut faire rgner le primat du rel sensible sur sa connaissance ou le primat de lexis-tence sur la pense. En ce sens, la dialectique nest plus la reconstitution dun mouvement idal,elle est la connaissance dun mouvement rel au sens large. Mme en renversant la thorie dialec-tique de Hegel, en voulant la dpouiller de sa mystique pour ne garder que le rationnel, cette formede dialectique en exprime un nouvel avatar.

    continuit et diversit de la dialectiqueMalgr les variations de la notion, le fait mme que lon retrouve la catgorie de la dialectique dans dessystmes trs diffrents et mme incompatibles nous indique quelle doit avoir aussi une valeur gnralehors du cadre de tout systme particulier. Malgr la diversit des sens quelle revt en vingt-quatre sicles,on constate une certaine continuit qui nest pas ncessairement progressive. Nous pouvons dterminerun champ conceptuel qui se perptue dans son odysse malgr la diversit dapproches :- La question des rapports entre le rel et le pens qui est pose.- Lide de la progression, de mouvement. Elle dcrit toujours un passage dun terme (rel ou pens) un autre. Il ny a pas de dialectique immobile.- Lide dune rciprocit entre les termes quelle relie.- Lide dun processus complexe qui relie dun mme mouvement lidentit et laltrit de ses l-ments, le mme et lautre, et parce quelle les comprend, lun par lautre.

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 13

    Pour Platon, la dialectiqueest la technique delinvestigation ralise par lacollaboration de deuxpersonnes ou plus,moyennant le procdsocratique des questions-rponses.

  • - Le conflit que la dialectique engendre peut tre prsent sous deux modes antagonistes : contra-diction ou diffrence. - La catgorie de la totalit : en elle se joue le problme de la dialectique. Cest en effet ce niveauque sont dtermins le contenu et la forme du procs dialectique. On saccorde dire avec tienne Balibar et Pierre Macherey : dialectique de la contradiction oudialectique de ltre ; dialectique de la diffrence ou dialectique du non tre ; ceci prs que, malgrles apparences, lune nest pas le contraire, mme direct, de lautre (9).Comme le dit le philosophe Bertrand Vergely (10) : Depuis Hegel, la dialectique a t loriginede toutes les grandes ides qui ont anim la modernit. Si aujourdhui nous vivons dans un mondede communication, cest parce qua jailli lide que tout dialogue avec tout. Si par ailleurs la socita progress, cest parce quon a reconnu le caractre positif de certains changements comme de

    certaines ruptures.

    NOTES

    (1) Joseph MOREAU, article Platon, in Encyclopedia Universalis, Edition 1985(2) Voir article sur Proclus page 34(3) PLATON, La Rpublique, Lettre VII, 344b(4) Platon, in Le Vocabulaire des philosophes, 4 tomes, Luc BRISSON et Jean Franois PRADAU,Editions Ellipses, 2002(5) Philosophe grec (384 av. J.-C. 322 av. J.-C. ), disciple de Platon lAcadmie, il prit de ladistance vis--vis de lui pour fonder sa propre cole, le Lyce. Il fut galement prcepteur dAlexandrele Grand et auteur de nombreux ouvrages sur la physique et la mtaphysique (6) Emmanuel Kant (1724-1804), philosophe allemand qui a exerc une influence considrable surlidalisme allemand, la philosophie analytique, la phnomnologie et la philosophie postmoderne.Auteur de trois Critiques : Critique de la raison pure, Critique de la raison pratique, Critique de lafacult de juger(7) Georg Wilhem Friedrich Hegel (1770 -1831), philosophe allemand et auteur douvrages qui a euune influence importante sur la philosophie contemporaine(8) Karl Heinrich Marx (1818 -1883), historien, journaliste, philosophe, conomiste, sociologue,thoricien rvolutionnaire du socialisme et du communisme allemand. Il a eu une influenceconsidrable au XXe sicle o de nombreux mouvements rvolutionnaires se sont inspirs de sapense(9) BALIBAR et MACHERY, Dialectique in Dictionnaire de la philosophie, dirig par JeanGREISCHN, Encyclopdie Universelle, ditions Albin Michel, Paris, 2000, page 408(10) Bertrand VERGELY, Comprendre pour aimer la philosophie, ditions Milan, 2009, page 45

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    Bibliographie- Dirig par Jean GREISCH, Dictionnaire dela philosophie, Encyclopdia Universalis,ditions Albin Michel, Paris, 2000- Lambros COULOUBATISIS, Histoire dela philosophie ancienne et mdivale, Le collge de philosophie, ditions Grasset,Paris, 1998- Bertrand VERGELY. Dictionnaire de la philosophie, ditionsMilan, Toulouse, 2004, 256 pages. Comprendre pour aimer la philosophie,ditions Milan, 2009, 394 pages- Joseph MOREAU. Le sens du platonisme, ditions Belleslettres, 1967, . Ralisme et idalisme chez Platon, ditionsPUF, Paris, 1951- ALAIN, Ides, Introduction laphilosophie, 1939, ditions Les classiquesde la philosophie, rdit en 2010,Flammarion, collections Champs-essais, 314 pages - Jean Pierre ZARADER, Le Vocabulaire desphilosophes, ditions Ellipses, 2002- Luc BRISSON, Platon uvres Compltes,ditions Flammarion, 2008, 2204 pages

  • Chacun de ces dialogues majeurs de Platon contient une reprsentation dumonde et de lhomme sur laquelle se construira la philosophie occidentalejusqu nos jours. les diffrents niveaux de connaissance : le mythe de la caverne et limage de la ligneLe VIIe livre de La Rpublique dbute par un des textes les plus clbres de Platon : lal-lgorie de la Caverne. Les prisonniers de la Caverne sont notre image ; la prison est notremonde sensible ; les vritables ralits constituent le monde intelligible et aux limites dece monde intelligible, se trouve lide de Bien quon naperoit quavec peine mais qui

    est lorigine de toute lumire. Les Ides - le Beau,le Bon, le Juste - sont le modle, la structure, la for-mule du monde sensible. Elles seules reprsententla ralit vritable, absolue, ternelle, dont les ob-jets visibles ne sont que des reflets.La thorie des Ides est lun des aspects les pluspuissants du platonisme ; une dynamique ascen-sionnelle arrache lesprit la simple vision des re-flets, pour lamener jusquau domaine radieux duBien, au terme dune inluctable progression guidepar lAmour. Mais la question consiste maintenant savoir comment passer du monde sensible auquelnous sommes attachs, au monde intelligible, aumonde suprieur des Ides. Pour passer du mondesensible au monde intelligible, notre me doit op-rer un mouvement de conversion et de remontevers son principe. La chose est difficile car nos yeux

    se sont habitus la pnombre de notre prison et le passage de lobscurit la lumirenous aveugle ; cest pourquoi, si nous parvenions librer ces prisonniers, la plupart dentreeux chercheraient revenir au fond de leur prison et maudiraient leurs librateurs. Le fait que Platon utilise limage de la Caverne, qui vient des Orphiques (1) et quivoque aussi le pome dEmpdocle (2) et la grotte dIda en Crte (3), nous placedans une perspective initiatique : cest dans cette Caverne que se tenaient, dit-on, lesmystres de Zeus, o Pythagore lui-mme aurait reu linitiation.

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 15

    par Brigitte BouDoNEnseignante en philosophie, fondatrice desJeudis Philo Marseille, auteur desouvrages suivants : Symbolique de laProvence, Symbolisme de larbre,Symbolisme de la croix.

    Visions de lhomme et du mondechez Platon Dans les dialogues de jeunesse de platon, les dialogues dits socratiques, on ne faitquentrevoir, deviner le plan des essences, des Ides, qui ne constituent pas encore ununivers organis. le travail de structuration, la mditation constructive sur une visioncohrente et globale de lunivers et de lhomme est la tche des grands dialogues : le Banquet, phdon, phdre, la rpublique, le Time.

    PHILOSOPHIE

    Les prisonniers de laCaverne sont notre image ;la prison est notre mondesensible ; les vritablesralits constituent lemonde intelligible et auxlimites de ce mondeintelligible, se trouve lidede Bien quon naperoitquavec peine mais qui est lorigine de toute lumire.

  • Le message de cette allgorie de la Caverne se retrouve la fin du livre VI de LaRpublique sous lautreimage fondamentale utilise par Platon pour dcrire les diffrents niveaux de connaissance, limage dela Ligne (4). Il y a dabord les ombres et les mirages, objets de simple conjecture, puis les choses sensibleselles-mmes auxquelles se rapporte la perception. Puis, on peut slever aux objets idaux des math-matiques, saisis par voie discursive, et enfin, on peut accder aux Ides qui sont lobjet ultime de laconnaissance. Cela ne saccomplit en plnitude que dans le rayonnement dispens par lUn-Bien.

    la tripartition de lme et son immortalit: lattelage ail du phdre, le phdonDans ladmirable mythe du Phdre, lme humaine est compare un char ail tir par deux chevauxde nature foncirement diffrente. Lattelage se compose dun cheval noir, dun cheval blanc etdun cocher. Alors que le cheval blanc est beau, bon, noblement docile, le noir, en revanche, tirebrutalement dans le sens de ses apptits. Tout cela pour dire que lme humaine est tripartite. Dunepart, il y a les pulsions charnelles, la dictature des apptits lmentaires (epithumia) ; dautre part,il y a les lans gnreux du cur, de lhonneur, du courage (thumos). Il y a enfin la raison, logiqueet rgulatrice (nos). Le rle du cocher nest pas dabattre la bte noire, si brutale, ni danesthsierles emportements, parfois trop fougueux, du cheval blanc. Il lui revient, par son habilet et sa sa-gesse, dassumer son attelage, de dresser les deux chevaux. Cest lui que revient de leur assignerun but et de leur imposer la bonne allure.Cest ce quattestent les deux autres textes de Platon (Time, 69, c, et La Rpublique 436, a) quidistinguent trois parties dans lme humaine, les deux premires parties tant mortelles, la troisimeseule tant immortelle. La premire partie de lme est la concupiscence et son sige est dans lebas-ventre ; le cur en constitue la seconde partie ; lesprit est la seule partie de lme qui soit im-mortelle et a son sige dans la tte. Cette tripartition de lme a une porte sociologique dans LaRpublique o la cit de Platon est divise en trois classes de citoyens correspondant aux troisparties de lme. Il y a les citoyens occups aux tches conomiques, les producteurs. Il y a les gensdarmes, chargs de la dfense de la Cit. Enfin, il y a ceux en qui se ralise la plnitude de la raison,les philosophes gouvernants. Lharmonie de cet ensemble tripartite, savoir la Justice, ne peut seraliser que par la gestion claire des philosophes-gouvernants.

    la thorie de la rminiscence: le MnonAinsi, immortelle et maintes fois renaissante lme a tout vu, tant ici-bas que dans lHads, et ilnest rien quelle nait appris ; aussi ny a-t-il rien dtonnant ce que, sur la vertu et sur le reste,elle soit capable de se ressouvenir de ce quelle a su antrieurement Mnon, 81b. Cest dans leMnon quest expose de manire systmatique et argumente lide dune connaissance prnatalequi appartiendrait lme indpendamment de tout apprentissage. Le philosophe allemand Leibnizcrit : Dans ce que Platon appelle Rminiscence, il y a quelque chose de solide et mme plus, carnous navons pas seulement une conscience de toutes nos penses passes, mais encore un pres-sentiment de toutes nos penses futures.Dans cette vision de la Rminiscence de Platon, la certitude que nous avons de lexistence dunetelle connaissance antrieure fait de nous des tres pour qui lacte de chercher est une ncessit, lapremire tche de la pense. Puisque nous savons aussi quau terme du processus de la Rminis-cence ou de lanamnesis, le rappel la conscience des vrits possdes de faon latente par lmeest possible, nous disposons de toute lassurance requise pour chercher connatre davantage, pourtendre notre connaissance, pour la transmettre, pour lenseigner surtout. Puisque ces connaissancesnont pas t apprises dans la vie prsente, cest quelles appartenaient lme avant son incarnation.Cette certitude nous assure quil est ncessaire de les chercher et quil est possible de les dcouvrir.

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  • la sublimation de lAmour: le Banquet

    Lthique du dialogue est, chez Platon, lexercice spirituel par excellence et il est li une autre d-marche fondamentale, la sublimation de lamour. Selon le mythe de la prexistence des mes, lmea vu, lorsquelle ntait pas encore descendue dans le corps, les Formes, les Ides transcendantes.Tombe dans le monde sensible, elle les a oublies, elle ne peut mme plus les reconnatre intuiti-vement dans des images qui se trouveraient dans le monde sensible. Seule la Forme de la Beaut ale privilge dapparatre encore dans ces images delle-mme que sont les beaux corps. Lmotionamoureuse que lme ressent devant tel beau corps est provoque par le ressouvenir inconscient dela vision que lme a eue de la beaut transcendante dans son existence antrieure. Ltre humainpeut slever de la contemplation dun beau corps celle des beaux corps, puis celle des mespour atteindre enfin la pure essence du Beau en soi, qui clate dans lme comme la vision de lul-time mystre pour liniti au terme de cette prodigieuse ascension qui est proprement parler ladialectique de lamour.Comme le dit la prtresse Diotime de Mantine dans le Banquet, sous leffet de lattraction incons-ciente de la Forme de la Beaut, lexprience de lAmour slve de la beaut des corps celle quiest dans les mes, puis dans les actions et dans les sciences, jusqu la vision soudaine dune beautmerveilleuse et ternelle, vision analogue celle dont liniti jouit dans les mystres dEleusis, vi-sion qui dpasse toute nonciation, tout discours, mais engendre la vertu dans lme. Fils de Penia, la pauvret et de Poros, labondance, Eros, lAmour, est un mdiateur charg de tra-duire et de transmettre aux dieux ce qui vient des hommes et aux hommes ce qui vient des dieux.Il est un intermdiaire dans la mesure o il est ce par quoi lhomme tente de faire cesser la sparationoriginelle, il est ce qui tente de runir lhomme lui-mme. Il est le lien qui unit le Tout lui-mme,car ce que lamour aime ce nest pas tel ou tel bel tre mais la beaut en elle-mme. Le dsir deprocration est le symbole de notre dsir dimmortalit. Ds lors se dploient toutes les ides dePlaton sur lAmour : cest lAmour qui nous permet de parvenir aux Ides mais le concept dAmourchez Platon permet aussi dclairer le sens du Logos.

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    Fils de Penia, la pauvret etde Poros, labondance, Eros,lAmour, est un mdiateur,charg de traduire et detransmettre aux dieux ce quivient des hommes et auxhommes ce qui vient desdieux.

  • la cration de lunivers, le Mme et lAutre: le Time

    Le Time, dialogue majeur de Platon, esquisse une trs vaste cosmologie. Le monde a t fait daprsun modle par le dmiurge. Lacte crateur du divin artisan part de deux ralits, la matire agiteet chaotique et le monde harmonieusement ordonn des Ides, et il cherche modeler la premiresur le second. Si bien que notre monde est limage et la copie dun monde ternel. Le monde ternelest un tre vivant qui possde une me. Lme du monde a t faite par le dmiurge en mlangeantla substance indivisible et la substance divisible ; il a ainsi obtenu une troisime substance contenantdu Mme et de lAutre, puis il a mlang ces trois substances et les a combines toutes trois en unesubstance unique. Lme est donc forme de la nature du Mme et de la nature de lAutre et de la troisime substance.Et compose du mlange de ces trois ralits, elle se meut delle-mme en cercle en tournant surelle-mme. Et selon quelle entre en contact avec un objet qui possde une substance divisible ouavec un objet dont la substance est indivisible, elle proclame en se mouvant par tout son tre propre, quelle substance il est identique et de laquelle il diffre. (Le Time -3 7ab)Puis le dmiurge refit un mlange dans le cratre o il avait fondu lme du Tout et le partagea enun nombre dmes gal celui des astres et leur enseigna la nature du Tout. Ensuite ces mes furentjetes dans les instruments du temps et jointes un corps. Mais les mes sont troubles par les mou-vements de la terre, de leau, de lair et du feu si bien quau lieu davoir des connaissances, ellesnont que des sensations. Quand les rvolutions de lme lemportent sur lafflux des substancesqui composent le corps, les mes donnent lAutre et au Mme leurs noms exacts, et elles font ensorte que celui qui les possde acquiert le bon sens (Le Time - (44, b). Telle est donc la tche de la dialectique platonicienne : discerner le Mme et lAutre, limage

    du dmiurge

    NOTES(1) Lorphisme est un courant religieux de la Grce antique (560 av. J-C), connu par un ensemble detextes et dhymnes. Lme humaine est condamne un cycle de rincarnations dont seule linitiationpourra la faire sortir, pour la conduire vers la conscience de limmortalit (2) Philosophe, ingnieur et mdecin grec du Ve sicle av. J.-C., auteur de deux pomes De la natureet les Purifications(3) Caverne situe sur le versant nord du mont Ida en Crte, o serait n Zeus, que sa mre Rha avoulu soustraire son pre Cronos qui voulait le manger, pour chapper une maldiction selonlaquelle un des enfants de Cronos rgnerait sa place (4) Lire dans Hors srie n2 de la revue Acropolis, Socrate, lactualit du dialogue, de Thierry Addapage 12, Litinraire de la conscience avec le Paradigme de la ligne

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  • ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 19

    par Fernando FIGAreSLicenci en Sciences de la Nature(gophysique et hydrologie). Spcialiste enphilosophie compare orientale etoccidentale, membre de lInstitutInternational Herms. Enseignant etconfrencier international.

    volution de la pense politiquechez Platonla vie de platon, ses voyages et les trois uvres quil consacra dfinir lorganisation dela cit idale la rpublique, le politique et les lois tmoignent de limportancecapitale que le philosophe accorda la politique qui, selon lui, devait tre dirige par uneexigence thique.

    Parler dvolution de la pense politique de Platon prsuppose un changement,une transformation de ses ides, depuis la Rpublique, premire de ses uvrespolitique, jusquaux Lois, dernire uvre du philosophe.Il est politiquement correct dinterprter les changements du discours politique de Pla-ton par une sorte de soumission. En effet, le grand philosophe, ayant connu dinnom-brables constitutions politiques, ayant subi des checs rptition en Sicile, auraitabandonn beaucoup de thories exposes dans la Rpublique pour parvenir, avec lesLois, une sorte de compromis raliste, voire fataliste, exprim travers un langagetrop mystique pour notre raison. Nous ne sommes pas de cet avis, et sil y a bien eudes changements importants dans le discours politique de Platon, nous pensons quilsobissent dautres raisons. Platon ne nous semble pas avoir trahi sa filiation prso-cratique ni sa conviction sur un langage cleste, un logos que les hommes doivent in-terprter pour rtablir dans leur me et dans la cit, la Justice et le Bien.Platon fut du de ses aventures politiques autour de la Mditerrane, ainsi que par leshommes de pouvoir qui nont pas voulu appliquer ses ides. Cependant, les changementsde son discours semblent obir une occultation voulue par le philosophe lui-mme.Ladmiration quil professait pour les prsocratiques (1), ces philosophes, potes et scien-tifiques qui gouvernaient des villes et faisaient des miracles, saccentua avec lge. Platon ne sloigna pas, dans les Lois, des ides rvolutionnaires quil avait proposesdans la Rpublique. Il utilisa tout simplement plusieurs langages entretisss, dont cer-tains nous drangent, particulirement parce quils se rapprochent de plus en plus dulangage des Mystres anciens, dun langage que mme les Athniens du sicle de P-ricls (2) ne comprenaient plus.

    Au sujet du logosLa philosophie de Platon prtendait rsoudre une profonde crise du logos dont lusurede la dmocratie athnienne et les sophistes (3) taient responsables. Aprs le siclede Pricls, le meurtre de Socrate fut possible en toute lgalit. Platon fut outrag parle scandale de la condamnation mort de Socrate. Lorganisation platonicienne de lacit visait exorciser cet homme-mesure que prnait Protagoras (4) et qui mena audsordre et lanarchie thique et sociale.Pour Platon, le Logos prsocratique avait t trahi : Hraclite, Thals, Anaximandre,Pythagore et Parmnide, prtaient une attention particulire aux multiples change-ments de la nature qui donnaient un sens la bataille du jour contre la nuit, de lhar-monie contre la discorde.

    PHILOSOPHIE

  • Comprendre comment la Nature parvenait dpasser la lutte de la dualit cosmique pour reflterlUn et produire le Bien, ctait comprendre le langage de ce modle ou Logos partir duquel leshommes pouvaient rtablir lordre dans le monde. Les philosophes prsocratiques se sentaient d-positaires de ce Logos. Ils se prsentrent nous comme des prophtes, des potes, et pourtant, ilsjouaient dans leur temps un rle pratique et capital dans les affaires de leurs cits. En fait, leur enjeutait fondamentalement thique, philosophique et politique ; tel fut lenjeu qui dfinit la philosophiede Platon.Les sophistes dracinrent le Logos de sa source cosmique et transcendantale. Cest pourquoi larhtorique se rduisit une mthode pratique pour tout justifier, pour jongler avec toutes les ideset manipuler tous les esprits. La rhtorique devint lart du flatteur, la technique de la persuasion auservice des opportunistes.Socrate fut vaincu prcisment dans ce terrain o il tait matre, dans le terrain du langage, du dia-logos, parce que pour Socrate le dialogue sans thique, sans engagement moral, tait purement st-rile, voire injuste. Redonner au Logos sa dimension transcendante et originelle devint pour Platon la question exis-tentielle, base de toute sa pense philosophique et politique. Toute la thorie des ides, toute la tho-rie de la connaissance et la mthode pour acqurir cette connaissance avaient pour seul but dorienterla qute de lhomme vers la transcendance, vers larchtype du Bien.

    la cit idaleLa Cit doit incarner et protger la trans-cendance travers lducation philoso-phique et thique. Lexcs dattachementaux biens matriels, lapparence et lopinion dautrui corrompent lme deshommes et lme de la Cit. Sans finalittranscendante, lhomme se fragilise mo-ralement et perd ses convictions.La Cit idale est-elle une utopie oupourra-t-elle voir le jour sur terre ? Cestla question que Platon lui-mme se posadans la Rpublique : Tu parles de la citdont nous avons expos la fondation, dit

    Glaucon, celle qui est imagine dans nos discours, car je ne crois pas quelle nexiste nulle part surterre. Mais rpondis-je, elle est peut-tre situe l-haut dans le ciel, comme un modle pour quiveut la contempler et rgler sur elle son gouvernement particulier (5). Cet tat idal serait-ilcondamn rester dans le domaine des archtypes, des paradigmes ternels, des modles sur les-quels le dmiurge a faonn notre monde ? Un tat pareil na jamais vu le jour, mais la valeur dunmodle ou dun paradigme ne se mesure pas par son incarnation dans le temps sinon par sa prennitincorruptible. En outre, comment envisager lhistoire sans ses mythes et modles fondateurs ? Ilest vrai que le passage du logos la praxis reste un problme que Platon ne semble pas avoir rsoluou quil na pas voulu rsoudre par le discours philosophique. Nous pensons que Platon, ainsi que les prsocratiques, nont pas dit tout ce quils savaient, ou ilslont dit en utilisant un langage qui nous drange ou que nous ne comprenons plus. Nous lavonsdj dit : Platon considre que le Logos prsocratique a t trahi. Dans son dialogue le Thtte,Platon met en scne Socrate dcrivant la figure de Parmnide : Selon le mot dHomre, je trouveque Parmnide est la fois vnrable et redoutable. Jai eu loccasion de rencontrer le personnage,

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    La Cit doit incarner etprotger la transcendance travers lducationphilosophique et thique.Lexcs dattachement auxbiens matriels, lapparence et lopiniondautrui corrompent lmedes hommes et lme de laCit.

  • alors que jtais tout jeune et lui, tout fait vieux, et jai bien vu alors quil a dans sa pense uneprofondeur absolument extraordinaire. Cest pourquoi jai peur que nous ne comprenions pas bience quil dit et plus encore, que nous narrivions pas comprendre ce quil veut dire (6).Nous connaissons la filiation pythagoricienne de Platon et sa relation avec Archytas de Tarente (7).Dans le Sophiste, Platon met encore en scne Parmnide et semble vouloir montrer que ses propresenseignements descendent lgitimement de la tradition prsocratique (8). Platon ddia tout un dia-logue ce philosophe, le Parmnide, et cest prcisment ce dialogue platonicien qui reste le plusnigmatique de tous les dialogues du grand philosophe et qui a donn lieu au plus grand nombredinterprtations divergentes. Il traite du monde intelligible, du monde sensible, de la thorie duBien et de lUn ainsi que dune cosmologie et dune thologie antrieures celles du Time.Au-del des apparences, la relation de Platon avec Parmnide ntait pas seulement mystique ousotrique mais aussi politique. Parmnide et son disciple Znon sont bien venus Athnes, unefois pour autant que lon sache, et ils ne sont pas venus pour des entretiens thoriques sur le savoir,les ides ou lunivers ; ils lont fait pour une raison juridique et politique, comme ambassadeurs deleur cit Vlia (9), pour ngocier la paix.Platon proposa dans les Lois que les plus hautes autorits gardiennes de la justice et de la droite lgislation fussent choisies dans lenceinte sacre commune Apollon et Hlios, pour prsenter la divinit trois de ces hommes (10). Cette proposition traduit certaines ides et pratiques

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 21

    Synopsis de la Rpublique, du Politique et des Lois (12)La Rpublique ou Sur le justePlaton rendit la dmocratie athnienne responsable de la mort de Socrate. Il faut remettre en question ce systme(trs loign du ntre) qui a tu le plus sage et le plus juste des Athniens. Platon proposa une organisation po-litique nouvelle o les valeurs de lme devaient simposer sur celles du corps, aussi bien dans la cit que dansles hommes et cest pourquoi dans cette cit, le rle le plus important tait celui dduquer lme de ses ci-toyens.Cest ainsi que le dsir des uns se transformait en modration, que le courage des autres, accompagn de lamodration, lemportait sur lardeur, et que la sagesse, relie la modration et au courage, tait la qute de larflexion des philosophes.Ce dialogue prsente une ampleur et une magnificence incontestes, que ce soit par sa richesse littraire, poli-tique, philosophique, voire mathmatique et scientifique. Le tout orient et inspir par une qute du Bien et delAbsolu.La Rpublique accompagna la fondation de lAcadmie, une cole de philosophie qui survivra de nombreuxavatars jusquen 529 aprs J.C., cest--dire plus de neuf sicles, et qui devint pour lOccident le modle dcolede philosophie la manire classique, une philosophie vivre.

    Le Politique ou Sur la royautIl sagit maintenant de dfinir au mieux lhomme politique travers tous les outils chers Platon : les mythes,les paradigmes et la dialectique. Comme dans la Rpublique, tout doit tre fait pour prserver la cit de la d-cadence qui la fait passer de laristocratie philosophique la tyrannie. Nous pouvons comparer lart royal,nous dit Platon, celui du tissage puisquil y a une fonction royale dentrecroisement qui consiste dans un artde relier les contraires et de les tisser ensemble. Le roi philosophe (ou le philosophe roi) agit comme un tisserandqui cre son toffe partir des fils de diffrentes qualits et couleurs (13).

    Les Lois ou Sur la lgislationCe dialogue, le plus monumental de Platon, resta inachev par la mort du philosophe et souffrit dune critiquesvre. Comme dit Luc Brisson dans son introduction aux Lois (14), Un prjug tenace prside la lecture du dernierdialogue de Platon [...] qui la fin de ses jours aurait renonc aux exigences rvolutionnaires de la philosophiepour adopter une dmarche plus pragmatique. Et de poursuivre : Loin dtre luvre du renoncement ou dudsenchantement dun vieil homme, les Lois expriment une ambition politique et philosophique considrable,et rassemblent en une uvre unique un projet philosophique et politique indit.

  • pythagoriciennes que Platon dut apprendre lors de ses visites en Italie du Sud et en Sicile.Les pythagoriciens ont gouvern selon leurs principes des cits importantes dans ces contres loin-taines. Ils avaient russi rconcilier le monde intrieur et le monde extrieur, la politique et lamour la sagesse, la thorie et la pratique (logos et praxis (11). la fin des Lois, Platon donna des dtailssur le Conseil de veille (Nukternossullogos), ces prtres apolloniens et solaires, comment et quandils devaient se runir et procder, dans quelle disposition desprit ils devaient se trouverAlors, Platon est-il devenu snile avec lge ? Ou bien nous parle-t-il dans un langage voil, le seul

    langage quun initi aux mystres antiques pouvait utiliser ?

    NOTES(1) Voir article sur les prsocratiques page 26(2) minent et influent stratge, orateur, homme dtat athnien (495 av. J.-C. 429 av. J.-C.). Durantlge dor de la cit, entre les guerres mdiques et la guerre du Peloponnse, il favorisa la dmocratieathnienne, fit la promotion des arts qui firent dAthnes le centre ducatif et culturel du mondeantique (construction du Parthnon entre autres). Son poque fut appele sicle de Pricls (3) Orateurs, professeurs dloquence et de rhtorique de la Grce antique dont la culture et la matrisedu discours en firent des personnages prestigieux ds le Ve sicle et contre lequel la philosophie sedveloppa (4) Penseur prsocratique et professeur du Ve sicle av. J.-C. (490 av. J.-C. 420 av. J.-C.)(5) Platon, Rpublique, 592 b(6) Platon, Thtte, 183e-184 a(7) Philosophe pythagoricien, mathmaticien, astronome, homme politique, stratge et gnral grec(435 av. J.-C. 347 av. J.-C.). Durant sept annes conscutives, il gouverna la cit de Tarente quiconnut alors une poque de prosprit, incarnant ainsi assez bien le tyran clair tel quelenvisageaient les philosophes(8) Platon, Sophiste, 241d-242 a(9) Ville de la Grande Grce (VIe sicle Ve sicle) o sest panouie lcole dle des philosophestels que Parmnide et Znon (10) Platon, Lois 945e - 94b(11) Peter KINGSLE, Dans les antres de la Sagesse, ditions Les belles lettres, 2007(12) Platon, sous le direction de Luc BRISSON, ditions Flammarion, Paris 2008 ; Platon etlAcadmie, Jean BRUN Editions PUF, 1960-1974(13) Platon, 305 a-306 a(14) Platon, sous le direction de Luc BRISSON, Editions Flammarion, Paris 2008 ; Platon etlAcadmie, Jean BRUN Editions PUF, 1960-1974

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  • Platon constate que les confusions dans le savoir sont le plus souvent dues lamal-game entre lUn et le Multiple, cest--dire au fait de passer de lun lautre sans tran-sition (1). Il dit que parmi les apports de Promthe (2) aux hommes, il y a lart quiconcerne la recherche des principes, rglant lopposition entre lUn et le Multiple. Pour Platon, les Anciens affirmaient que les choses qui sont dites tre partir de lUnet du Multiple, possdent en elles naturellement unies la Limite et lIllimit (3). Pro-bablement inspir par la pense du pythagoricien Philolaos (4), Platon montre que lesprincipes du rel sont la Limite (ou le limitant) et lIllimit (ou lInfini), les deux tantnaturellement unis. Leur relation explique lensemble des plans du rel. LIllimit etla Limite forment deux premiers genres suivis par le mlange qui en est le troisime,grce auquel il y a gense et rapport lessence (ousia) (5).

    la mtaphysique du un et les neuf hypothsesCest dans la seconde partie du Parmnide, dialogue de la priode de sa maturit, quePlaton analyse le problme de lUn et de son rapport au Multiple. La critique des idespose le problme de la participation du sensible lintelligible et des ides entre elles,deux pratiques diffrentes de lUn et du Multiple. Do la ncessit de sinterroger surles diverses manifestations de lUn qui aboutit neuf possibilits thoriques ou hypo-thses. Aucune des hypothses nest choisir ni msestimer. Chacune propose desdirections prises en fonction des tempraments et des natures des philosophes, montrantainsi la pluralit dans lunit de la pense platonicienne. Par ces neuf hypothses, Platonoffre aux penseurs de lavenir dinnombrables options lorsquil examine toutes les ma-nires de considrer les objets dans leur rapport avec lunit de la connaissance : 1. LUn en lui-mme 2. LUn qui est ou ltre 3. LEntre-deux ou me 4. LUnen tant que Tout 5. LUn en tant que Moteur immobile 6. Le non-tre 7. Le non-Un absolu 8. La pluralit infinie 9. Le non tre en de de ltre.Cette discussion qui naboutit aucune conclusion permet, dans des dveloppementspostrieurs, llaboration dune thorie de la connaissance qui chappe aux objectionssouleves contre les ides.Dans le Parmnide, Platon instaure sans le nommer le principe de la mtaphysique quisoumet lontologie (6) lhnologie (la mtaphysique de lUn).Alfred North Whitehead (7) affirma que la philosophie occidentale nest autre choseque des notes au pied de page de luvre de Platon et il eut en grande partie raison. Samagie a t celle de faire entrevoir les lois universelles prsentes dans tout le contingent.

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 23

    LUn et le MultipleDans ses uvres, platon rappelle que pour tout ensemble de choses particulires (le multipleou la diversit), il y a une ide exemplaire unique, distincte des choses particulires qui lesregroupe et laquelle chacune participe. ces units, platon les a appeles les Ides. Ainsi,il a distingu deux plans : le Monde intelligible, monde des Ides, des essences, du vrai, duun, immuable ternel et stable. le Monde sensible, monde de la multitude, du fini, duprissable, du changeant. platon a pos neuf hypothses, analysant le problme de lun parrapport au multiple.

    PHILOSOPHIE

    par Fernand ScHWArZAnthropologue, crivain et philosophedorigine argentine. Prsident de lInstitut international Hermes.Confrencier international, consultant enressources humaines, auteur de livres surla tradition platonicienne et sur lesymbolisme des civilisations anciennes.Auteur de films pour tlvision franaise etlatino-amricaine.

  • la philosophie, expression dun processus de pense

    Platon sest rendu compte que lon ne pouvait pas plaquer un savoir venant de lextrieur sur lhu-manit sans tomber dans un dogmatisme annihilant la pense. Il sest efforc de faire natre celle-ci de lintrieur, travers un jeu de questions et de rponses, non seulement dans le rapportpdagogique, mais aussi au sein de la pense elle-mme. Car, dira-t-il, lme est en dialogue avecelle-mme.Platon est le philosophe du symbole dans le sens tymologique du terme. Symbole signifie la reconnaissance par lassemblage de deux moitis. Sa philosophie est structurellement symboliquemais aussi lexpression dun processus.Il a fait sienne une thorie grecque qui pensait que la philosophie est illumination. Le mythe de laCaverne (8) lexprime avec une grande richesse. La ralit se compose des deux moitis, la caverneet son extrieur. La ralit totale est linteraction des deux ralits prcites.

    lide et la matireSelon Platon, Parmnide et Hraclite se sont contredits, parce quils nont pas su voir que notreperception du monde ne dpend pas tant de ltre ni du devenir que des rapports que nous nouonsavec les choses. Lide, cest exactement ce rapport, dira Platon dans lHippias majeur (9).Tantquelles ne sont pas matrialises, les ides nont pas de vie. Donc, la matire nest pas la ngationdes ides mais le lieu de leur actualisation.Lide nest pas, comme on le pense souvent, une abstraction ne de limagination humaine quiconduit les hommes planer dans les nues, comme la prtendu Aristophane (10). Le philosopheAlain (11) rappelle au contraire que lide est quelque chose de trs rel et de trs concret (12).Pour avoir accs la ralit concrte, nous devons pouvoir nous reprsenter celle-ci et donc passerncessairement par une ide. Pour aller au concret, nous sommes obligs de faire un dtour parlabstrait et de construire notre reprsentation de la ralit.

    24

  • Penser est une relation que Platon entend comme un mouvement. Il parachve des anciennes concep-tions qui identifiaient me avec vie, mouvement et pense. Platon aurait t daccord avec Marx :il faut se mfier des ides qui enivrent et dtournent la ralit. Mais on ne peut sen passer car ellessont galement linstrument indispensable qui nous permet davoir accs aux ides. Do le ralisme

    des ides dvelopp par Platon (13)

    NOTES(1) Lambros COULOUBARITSIS, Histoire de la philosophie ancienne et mdivale, Le collge dephilosophie, ditions Grasset, Paris, 1998(2) Dans la mythologie grecque, Promthe est un titan connu pour avoir vol le feu de lOlympe(savoir divin) et lavoir transmis aux hommes. Zeus lenchana sur le mont Caucase et le condamna se faire dvorer tous les jours le foie par un aigle ou un vautour (le foie repoussant la nuit, lasouffrance tait infinie). Il fut dlivr par le hros Herakls dans lun de ses douze travaux(3) Lambros COULOUBARITSIS, Histoire de la philosophie ancienne et mdivale, 16 c, Philbe,Le collge de philosophie, ditions Grasset, Paris, 1998, page 310(4) Philosophe, astronome et mathmaticien grec du Ve sicle av. J.-C., lve de Pythagore(5) 26 d, Philbe, in opus cit, page 310(6) Platon, Parmnide, prsentation et traduction par Luc BRISSON, ditions Garnier-Flammarion,2011(7) tude de ltre et de ses proprits(8) Philosophe, logicien et mathmaticien britannique (1861-1947). Sa pense sinspira des sciences,notamment des mathmatiques et de la physique, de lthique, de la thologie et de la philosophieantique (Platon, Aristote et les stociens). Un des fondateurs de la thologie du Process (thologie dudynamisme crateur de Dieu) (9) Allgorie expose par Platon dans le Livre VII de la Rpublique. Elle met en scne des hommesenchans et immobiliss dans une demeure souterraine qui tournent le dos lentre et ne voientque leurs ombres et celles projetes dobjets au loin derrire eux. Elle expose en termes imags lesconditions daccession de lhomme la connaissance de la ralit ainsi que sa transmission difficileaux autres hommes (10) Pote comique grec du Ve sicle (- 445-385 - 375 av. J.-C.) dont luvre reprsente ce quireste de lAncienne comdie et concide avec lge dor de Pricls et la guerre du Ploponnse.Aristophane cloua au pilori par de grands clats de rire les hommes de son poque (11) mile-Auguste Chartier, qui se fit appeler Alain (1868-1951), philosophe, journaliste, essayisteet professeur de philosophie(12) ALAIN, Ides, ditions Les classiques de la philosophie, 1939(13) Ernst CASSIRER, La philosophie des formes symboliques, 3 tomes, Paris, ditions de Minuit,

    1972

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 25

    Bibliographie- Nicola ABBAGNANO, Diccionario de fi-losofa, ditions Fondo de Cultura Econ-mica, Mexico, 1963- Andres OORTIZ-OSES y Patxi LANCE-ROS (dirigido por), Diccionario de Herme-nutica, Editions Universidad de Deusto,Bilbao, 1997- Jean GREICH (dirig par), Dictionnaire dela philosophie, Encyclopedia Universalis,Editions Albin Michel, Paris, 2000- Lambros COULOUBARITSIS, Histoire dela philosophie ancienne et mdivale, Lecollge de philosophie, ditions Grasset,Paris, 1998- Bertrand VERGELY :

    . Dictionnaire de la philosophie,ditions Milan, Toulouse, 2004

    . Comprendre pour aimer la philo-sophie, ditions Milan, Toulouse, 2009- Joseph MOREAU :

    . Le sens du platonisme, ditionsBelles lettres, Paris, 1967

    . Ralisme et idalisme chez Pla-ton, ditions PUF, Paris, 1951 - ALAIN, Ides, Introduction la philoso-phie, 1939, ditions Les classiques de la phi-losophie - Jean Pierre ZARADER, Le Vocabulaire desphilosophes, ditions Ellipses, 2002- Luc BRISSON, Platon uvres compltes,ditions Flammarion, 2008- Giovanni REALE, Platon en busqueda dela sabiduria secreta, ditions Herder, Barce-lone, 2001

  • par Brigitte BouDoNEnseignante en philosophie, fondatrice desJeudis Philo Marseille, auteur desouvrages suivants : Symbolique de laProvence, Symbolisme de larbre,Symbolisme de la croix.

    Les sources prsocratiques de Platonplaton est souvent considr comme le pre de la philosophie occidentale. pourtant, sesdialogues mettent en scne ou font rfrence certains de ses prdcesseurs quon appelleles philosophes prsocratiques, au premier rang desquels se trouvent Hraclite etparmnide. Quant Socrate, son matre, il est aussi omniprsent dans sa pense et sonuvre.

    PHILOSOPHIE

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    On considre parfois Platon comme une source possible pour la connaissancedes penseurs qui lont prcd, savoir les fameux prsocratiques. Cest unparadoxe puisque Platon nest pas un historien de la philosophie, ni un com-mentateur duvres. Son propos nest jamais dexposer des doctrines, mais de les re-construire, pour en faire des thses discuter, critiquer, parfois reprendre. Si Platonna donc littralement pas de prdcesseurs, seulement des interlocuteurs quil inter-roge, comme sils taient l en personne, il nous permet toutefois de connatre ces pa-roles avec lesquelles il est constamment en dialogue. Hraclite (1) et Parmnide (2) sont tout au long de lhistoire de la philosophie, commedeux symboles qui nont de cesse dnoncer les questions essentielles. La pense oc-cidentale, travers tous ses changements, a continu se rfrer eux comme silslivraient un schma de pense incontournable. Ils ont pos le problme du changementet de la dure, de lphmre et du permanent. Et, du mme coup, le problme de lUnet du multiple (3). Sans cette opposition fondamentale entre lexigence didentit denotre entendement dun ct, et lvidence de notre exprience quotidienne o nousne voyons que changement, dun autre ct, la philosophie nexisterait pas. Platonsest inspir de ces deux grands penseurs.

    Hraclite, lunit des contrairesla connaissance errone ou doxa, et le logos comme raisonnement vrai Hraclite reprend la question pose par lcole de Milet (4) : Quest-ce qui persiste travers le changement ? Sa rponse est : le changement lui-mme. Il met laccent surles contraires et dclare que tout ce qui existe nexiste que grce aux contraires. Lescontraires sont la condition de toute chose. Il le dit en termes mtaphoriques : Lecombat est le pre de toutes choses. Cest la tension entre les contraires qui engendrela ralit. Cest une pense mtaphysique, o il sagit de retrouver lorigine et le fon-dement de la nature. La nature, la ralit physique, doit son existence un affrontementqui a lieu au-del delle, au-del de ses contraires. Le rel est un combat, un devenir.Tout coule, On ne se baigne jamais deux fois dans le mme fleuve. Par-del ce combat et cet coulement incessants, il y a cependant chez Hraclite unprincipe dordre et dquilibre. Combat, mouvement ne sont pas entirement aban-donns eux-mmes. Lun des lments domine : le Feu. Un Feu qui est en mmetemps le Logos. Le Logos fait rgner une sorte dquilibre. Il veille ce que, dans le

  • Hraclite reprend laquestion pose par lcolede Milet (4) : Quest-ce quipersiste travers lechangement ? Sa rponseest : le changement lui-mme. Il met laccent surles contraires et dclare quetout ce qui existe, nexisteque grce aux contraires.

    27ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon

    combat des contraires, aucun ne lemporte dfinitivement car dansce cas tout cesserait dexister. Le combat se trouve donc rgi par uneloi dquilibre qui a pour effet de faire revenir priodiquement toutechose dans le feu originel, dans le Logos. La thse du changement perptuel et celle de lunit harmonieuse dutout ne se contredisent donc pas pour qui parvient dcouvrir, der-rire le changement et la mobilit de toutes choses, lordre sempi-ternel de ces mmes choses. Hraclite a donn de lunit descontraires une formule originale, puisque les contraires ne sont passupprims dans lunit quils forment, mais lunit dune chose quel-conque consiste trs exactement dans le rapport et la tension descontraires qui la constituent. la diffrence dun Parmnide qui prononce limpossibilit deconnatre les phnomnes, toujours changeants, Hraclite dit que leshommes ne font pas un usage convenable de la raison. Il existe bienun bon usage de la pense, un bon raisonnement (Logos) propos

    de tout ce qui est, qui doit tre distingu des manires de connatre quadoptent les hommes et aux-quelles ils ont la faiblesse de se tenir. La distinction est ainsi introduite entre la connaissance et lapense ordinaire, celle du grand nombre, et la connaissance comme la parole savante, que lon dirabientt philosophique. Hraclite distingue deux types de connaissances : les connaissances fausses que partage la totalitdes hommes, fausses parce quelles rsultent dun mauvais usage de la rflexion, et la connaissance,seule en son genre, qui est vraie parce quelle est la connaissance de ce que sont toutes choses. cette connaissance vraie, Hraclite rserve le nom de Logos, raisonnement qui est toujours vrai.

    parmnide, lidentit, ltre, lAbsoluContemporain dHraclite, fondateur de lcole late, Parmnide affirme avec une puissance excep-tionnelle le principe didentit et linstalle dans ltre mme. Il dit : je peux dire ltre est, mais jene peux pas dire : le non-tre est. Ce serait une contradiction. Les impossibilits logiques sont dumme coup des impossibilits ontologiques, au niveau de ltre. Par consquent, je ne dois mme pasprononcer le mot non-tre. Limpossibilit du non-tre est une exigence inscrite dans ltre mme. Parmnide vit aussi dans les ralits du monde, et comme Hraclite, il voit bien quelles ne cessentde changer. Il distingue donc deux voies : la connaissance vraie de ltre dans son immuable iden-tit ; la connaissance courante que nous avons du monde extrieur o nous vivons. Il appelle cettedernire doxa, cest--dire opinion. Parmnide rattache lopinion toute connaissance concernant le monde du changement que nousrencontrons dans lexprience. Par contre, il est dune rigueur absolue lorsquil sagit de la connais-sance de ltre mme. Pour lui, ltre est incr, immuable, ternel, sans commencement ni fin. Ilest perfection en tant que totalit. Parmnide lui donne la forme dune sphre, image de ltre parfaitqui se suffit lui-mme. Il pense la perfection en elle-mme, en soi, comme dira Platon plus tard. Le mythe platonicien de la Caverne (5), limage de la Ligne avec ses diffrents niveaux de connais-sance (6), la thorie platonicienne des Ides ne sont-ils pas une mise en scne synthtique des pen-ses dHraclite et de Parmnide ?

    platon, critique dHraclite et de parmnidePlaton est le premier citateur et tmoin de la pense dHraclite, sinon de son uvre. Cest notamment dans le Banquet (187 a-b) que Platon indique que le propos dHraclite doit tre

  • interprt, comme si tout accs au sens vident de son propos tait interdit. Cest le mdecin Eryxi-maque qui corrige le propos dHraclite de deux manires : dune part il en corrige la maladresse,en suggrant quHraclite sest mal exprim ; et dautre part il en souligne lobscurit, en notanttoutefois quil est possible de deviner ce quHraclite a voulu dire. Cest donc essentiellement lestyle dHraclite qui est mis en cause, comme dans le Cratyle ou le Thtte, qui tous deux citentHraclite en accompagnant ces citations dune indispensable explication de texte. Ce style est misen cause pour deux raisons. Dabord, du fait de son expression : le vocabulaire et la syntaxe quilemploie ne conviennent pas ; ensuite, du fait de son absence de clart. La pertinence du proposdHraclite ne semble donc pas tre remise en cause sur lessentiel par Platon.

    Quant luvre de Parmnide, ltranger du Sophiste de Platon (7)introduit une distinction inconnue de Parmnide : la ngation (lenon-tre) peut exprimer soit une diffrence, soit une absence. PourPlaton, le non-tre nest donc pas une absence totale de ltre,comme lvoque Parmnide, mais une diffrence dtre. Au fil dudialogue, ltranger de Platon saffranchit du sens unitaire quauraitla ngation dans le Pome de Parmnide (8). Le non-tre nest plusce qui rgit les propos des mortels et les rend contradictoires, maison peut affirmer des non-tres qui sont, faisant ainsi allusion auxmultiples objets que nous voyons dans le monde qui nous entoure. Ceci permet Platon de rtablir le discours des mortels, sans pourautant mettre en cause la condamnation par la desse du non-tre deParmnide. Le discours des mortels possde chez Platon le statutdun savoir infrieur, collant ainsi aux vers de Parmnide la distinc-tion entre une connaissance adapte une ralit intelligible et uneopinion portant sur les objets du monde sensible, dont la perceptionest alatoire. Platon ralise une sorte deuphmisation de la distinc-tion faite par la desse du pome de Parmnide, sans la remettre encause. Cette interprtation faite par Platon le rend du mme coupproche de la vision dHraclite.

    linfluence de Socrate et de son ignoranceSocrate a eu une influence dcisive sur la dfinition de la philosophie et du philosophe. Il provoqueune rupture par rapport la vision antrieure. Ceci est clairement exprim par Platon dans le Ban-quet, avec limage de la situation paradoxale du philosophe au milieu des hommes. La rupturequapporte Socrate est que le philosophe ne sait rien, mais quil est conscient de son non-savoir. Lamission de Socrate, qui lui a t confie par le dieu Apollon, est de faire prendre conscience auxautres hommes de leur non-savoir, de leur non-sagesse. Socrate prend lui-mme lattitude dequelquun qui ne sait rien ; cest la fameuse ironie socratique. Il sagit dune rvolution dans la conception du savoir. Le savoir nest pas un objet fabriqu, un contenuachev, transmissible directement par lcriture ou par le discours. La mthode philosophique de So-crate consiste non pas transmettre un savoir, ce qui reviendrait rpondre aux questions des disciples,mais au contraire interroger les disciples ; parce que lui-mme na rien leur dire, rien leur ap-prendre, en fait de contenu thorique de savoir. Cette critique du savoir a une double signification : dune part, le savoir et la vrit ne peuvent tre reus tout faits, mais ils doivent tre engendrs parlindividu lui-mme. Cest pourquoi Socrate affirme, dans le Thtte, quil se contente dans la dis-cussion avec autrui, de jouer le rle daccoucheur. Ce sont ses questions, ses interrogations qui aidentles interlocuteurs accoucher de leur vrit. Une telle image laisse entendre que cest dans lme

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    Contemporain dHraclite,fondateur de lcole late,Parmnide affirme avec unepuissance exceptionnelle leprincipe didentit etlinstalle dans ltre mme.Il dit : je peux dire ltreest, mais je ne peux pasdire : le non-tre est. Ceserait une contradiction.

  • elle-mme que se trouve le savoir et cest lindividu lui-mme de le dcouvrir. Dans la perspectivede sa propre pense, Platon exprimera cette ide en disant que toute connaissance est rminiscencedune vision que lme a eue dans une existence antrieure. Il faut apprendre se souvenir. Dautre part, chez Socrate, le dialogue est fait pour aboutir une aporie, limpossibilit de formulerun savoir. Cest parce que linterlocuteur dcouvre la vanit de son savoir quil passe du savoir lui-mme et quil commence se mettre lui-mme en question. Autrement dit, dans le dialogue so-cratique, la vraie question qui est en jeu nest pas ce dont on parle, mais celui qui parle. Chez Socrate, le non-savoir et le savoir ne portent pas sur des concepts, mais sur des valeurs. Laquestion principale pose par Socrate est : comment faut-il vivre pour vivre selon le bien ? Il est lepremier stre interrog sur cette obligation qua ltre humain de diriger sa vie, dorienter sesactes vers le Bien, selon des voies quil lui faut trouver lui-mme. Platon reprend son compte les deux aspects de la mthode socratique dans sa dialectique, mais, aufil des sicles et des interprtations, la philosophie occidentale mettra davantage laccent sur laspect

    conceptuel des Ides, relguant souvent au second plan les valeurs morales quelles vhiculent

    NOTES(1) Hraclite dphse, philosophe grec prsocratique de la fin du VIe sicle av. J.-C. (2) Parmnide dle, philosophe grec prsocratique (fin du VIe sicle av. J.-C. - milieu du Ve sicle av. J.-C.). Platon lui consacra un dialogue qui porte son nom, le Parmnide(3) Voir article de Fernand Schwarz, LUn et le multiple page 23(4) cole fonde au VIe sicle av. J.-C. dans la ville ionienne de Milet, reprsente principalementpar trois philosophes : Thals, Anaximandre, Anaximne. Ils ont effectu des travaux sur la gomtrie,lastronomie et ont apport de nouvelles ides sur la cosmogonie, la physique et la biologie (5) Allgorie de la caverne, expose dans Le Livre VII de La Rpublique de Platon. Elle met en scnedes hommes enchans et immobiliss dans une demeure souterraine qui ne voient que leurs ombreset celles projetes dobjets au loin derrire eux. Elle expose en termes imags les conditionsdaccession de lhomme la connaissance de la ralit ainsi que la difficile transmission de cetteconnaissance. Voir dans Hors srie n2 de la revue Acropolis Socrate, lactualit du dialogue articlede Philippe Guitton, page 51, La caverne, lieu de renaissance(6) Voir dans Hors srie n2 de la revue Acropolis Socrate, lactualit du dialogue, article de ThierryAdda page 12, Litinraire la conscience avec le Paradigme de la ligne(7) Dialogue de Platon traitant de la nature du sophiste. lire dans Platon,uvres compltes, sousla direction de Luc BRISSON, ditions Garnier-Flammarion, 2008, 2204 pages(8) Sur la nature, pome de Parmnide, qui eut une influence essentielle sur la philosophie occidentale

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 29

  • 30

    LHRITAGE DE PLATON DE LANTIQUIT A LA RENAISSANCE

  • ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 31

    Plotin naquit sans doute en 205 aprs J.-C. Lycopolis en gypte (lactuelle As-siout) et mourut vers 270, lge de soixante-six ans. Son origine nous est ga-lement inconnue : nous ne pensons pas quil ft gyptien, mais peut-tre grec,langue dans laquelle il sexprimait dans ses crits, et il bnficia galement du statutde citoyen romain.Le peu dlments dont nous disposons sur lui se justifie, daprs son disciple et bio-graphe Porphyre, par le fait quil avait laspect de quelquun honteux de son corps,de sorte quil vitait de donner des dtails sur sa vie personnelle et sur son pass. Ilne ftait plus que les anniversaires de Socrate et de Platon et pour obtenir un portraitde lui, on dut recourir un subterfuge en demandant un peintre de mmoriser sestraits afin de les reproduire ensuite, sans que le Matre ne sen aperoive. vingt-huitans, il fut envahi dune grande aspiration pour la philosophie et se rendit Alexandrie.L, en plus dcouter un grand nombre de philosophes des plus prestigieux, il fit laconnaissance dAmmonios, surnomm Saccas, savant mystrieux qui donnait ses le-ons cet endroit, et avec qui il demeura une dizaine dannes. Ammonios se consa-crait la formation dun groupe important de disciples au sein dune colephilosophique de tendance clectique qui recherchait la vrit en conciliant les disci-plines et les courants de pense et croyances, ce qui les fit nommer filaleteos : ceuxqui aiment la vrit. Lidentit et les origines de ce Matre, qui exera une grande in-fluence sur des disciples de tendances diverses, demeurent galement une nigme. trente-huit ans, Plotin, qui avait appris les mcanismes de pense orientaux lcoledAmonnios, voyagea en Orient, participant au sacre imprial du jeune Gordien III,et sa campagne de 242 contre le roi sassanide Sapor I. Il prtendait exprimenterla philosophie qui se pratiquait chez les Perses et celle qui fleurissait chez les Hin-dous, daprs les dires de Porphyre. Par un concours de circonstances, il savra que,parmi la suite du roi perse Sapor, se trouvait Mani, rformateur de lancienne religionzoroastrienne et conseiller du roi.

    la fondation dune cole philosophiqueUne fois lexpdition acheve, Plotin arriva Rome lge de quarante ans, entamantainsi une tape importante dans sa vie. Dans la spacieuse demeure de la veuve Gmina,il commena donner ses leons. Au fur et mesure se forma autour de lui une colephilosophique, constitue de disciples que Porphyre dcrivit en dtail et parmi lesquelsse retrouvrent des personnages influents de la cit : des snateurs, jusqu lempereurGallien et son pouse Salonine, se sentirent attirs par ses enseignements. Cette amitipermit au philosophe de solliciter auprs de lempereur la concession et la restaurationdes ruines dune cit de philosophes que lon disait avoir exist en Campanie, afin de

    Plotin, le matre du noplatonismeGrand philosophe de pense hellnistique, plotin fut un des matres du noplatonisme. parsa doctrine de lun et sa conception du mouvement de lme, il contribua la renaissancedu platonisme. Il marqua de son empreinte la philosophie antique et celle de la renaissance,ainsi que le vaste secteur de la spiritualit chrtienne.

    PHILOSOPHIE

    par Maria-Dolors FIGAreSJournaliste espagnole, docteur enanthropologie et diplme de luniversit de Grenade, professeur de thorie delinformation. Elle collabore dans diversespublications apportant une approchephilosophique sur les problmes actuels de socit.

  • fonder une cit similaire, rgie par les lois platoniques, que lon nommerait Platonopolis. Maisles intrigues et rivalits politiques empchrent la ralisation de cette aspiration.Lcole de Plotin tait toujours anime par la prsence de nombreux jeunes auprs desquels il exer-ait le rle de tuteur ou de conseiller, et de toutes sortes de gens de la socit romaine qui venaientle consulter, non seulement sur des sujets philosophiques, mais galement sur des questions trsquotidiennes comme la bonne administration de leurs biens et de leurs hritages. Les leons taientouvertes tous les publics, mais un cercle interne de disciples recevait une instruction oriente verslveil de lhomme intrieur auquel se rfrait Platon et vers llvation de lme jusqu lacontemplation et lextase. Il avait pour habitude de se retirer en Campanie et ce fut l prcismentquil vcut ses derniers jours, afflig dune infirmit identifie comme elephantiasis graecorum,ressemblant la lpre. Ses dernires paroles furent pour son mdecin et fidle disciple Eustochios :Efforcez-vous de faire remonter le Dieu qui est en vous au divin qui est dans le Tout, vritablesynthse de sa vie et de sa doctrine. Nous tions en 270 et il avait soixante-six ans. la mort duMatre, Porphyre, qui se trouvait en Sicile o Plotin lui avait conseill de se rendre afin de surmonterune dpression, prit en charge lcole.

    le Matre du noplatonismePlotin fut avant tout un matre, qui se consacra enseigner ses disciples une connaissance orientevers lexprience et llvation spirituelle. Au dbut, suite lengagement des disciples du sagegrec de ne pas divulguer ses doctrines, Plotin ncrivait pas ses leons. Mais aprs une dizaine dan-nes dactivit de son cole Rome, ayant runi ses notes crites et les thmes de ses cours, il de-manda Porphyre de systmatiser ses crits en un corpus cohrent, les Ennades, uvre constituede six livres de neuf traits chacun. La philosophie de Plotin se fondait sur Platon, apportant une interprtation originale dans laquellenous percevons les empreintes des systmes de pense orientaux. Plotin partit du problme originalde la cration, dans laquelle il tablit trois niveaux : le Un, lIntelligence et lme. Le Un, commePremier Principe, cra par lmanation de sa surabondance comme une fontaine qui coule sans ja-mais se tarir. Il ne crait pas le monde directement, mais grce lintelligible - les Ides de Platon- comme une lumire, comme limage du Un : cest Nos, lEsprit Universel. LEsprit son tour, travers lme du monde qui unifiait la pluralit des mes, produisit le mondecorporel ou sensible, le gouverna et lordonna. Lme de lhomme provenait de la partie suprieurede lme universelle. Dans lme se trouvent ltre et le non tre, comme sil sagissait dun planintermdiaire. La matire avec sa pluralit, recevait les mes et les enrobait, les emprisonnait et fai-sait quelles oubliaient leur origine.

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    Aprs une dizaine dannesdactivit de son cole Rome, ayant runi ses notescrites et les thmes de sescours, il demanda Porphyre de systmatiserses crits en un corpuscohrent, les Ennades,uvre constitue de sixlivres de neuf traitschacun.

  • La mission de lme est de se librer de la matire, rveillant en elle le dsir de slever vers le Un,do elle provient en dernire instance. Il existe deux voies dlvation. La premire voie part du bas, et consiste se rapprocher de lin-telligible, en se librant du sensible travers la science. La seconde voie est destine ceux qui ontdj atteint lintelligible et elle consiste elle-mme en deux tapes : la musique, lamour et la phi-losophie, conduisent la premire tape et la seconde atteint son apoge au moment de lextase, laquelle lme arrive par lintriorisation, jusqu devenir semblable au Un. Ceci est le processusfinal de la philosophie selon Plotin : lunion de lme Dieu, la libration de lme de ses entraves :en se recentrant sur elle-mme, sans rien voir, elle verra la lumire, non comme une chose en uneautre chose, mais comme elle-mme, par elle-mme, pure, brillante, delle mme, dit Plotin dansla cinquime Ennade. Linfluence de la philosophie plotinienne fut vaste et longue, prfigurant le courant que nousconnaissons comme noplatonicien, avec de brillantes manifestations depuis saint Augustin, ScotErigne, Nicolas de Cues (1), jusqu Leibniz, Spinoza ou Schelling. la Renaissance, Marsile

    Ficin (2) fit de Plotin le matre inspirateur de lAcadmie florentine de la Villa Careggi

    NOTES(1) Voir article sur Nicolas de Cues page 40(2) Marsile Ficin (1433-1499), pote et philosophe italien humaniste, lun des plus influents de laPremire Renaissance italienne. Il dirigea lAcadmie platonicienne de Florence, fonde par Cosmede Mdicis en 1459 et il eut pour disciples et collgues de travail Jean Pic de la Mirandole, Ange Po-litien et Jrme Benivieni. Il traduisit et commenta luvre de Platon et de Plotin

    ACROPOLIS I Hors-srie n4 I Lactualit de Platon 33

    Le peu dlments dontnous disposons sur Plotin sejustifie, daprs son discipleet biographe Porphyre, parle fait quil avait laspect dequelquun honteux de soncorps, de sorte quil vitaitde donner des dtails sur savie personnelle et sur sonpass.

  • Alfred North Whitehead (1) dit que la philosophie occidentale nest rien dau-tre que des notes en bas de page des dialogues de Platon (2). Mais la gran-deur de certains commentateurs et la profondeur de leurs exgses ne faitaucun doute, de telle sorte que le courant ou cole que nous appelons noplatonisme,dans ses diffrentes priodes travers les sicles, se base sur les commentaires desdialogues comme le noyau central de leurs efforts dinterprtation dans la recherchephilosophique. Nous nous proposons dvoquer un des plus grands, la figure la plus brillante de ladernire tape du platonisme dans le monde antique, Proclus (415 - 485) qui, portantle titre traditionnel de Diadoque ou successeur de Platon, se tint au premier plan delAcadmie dAthnes, quavait revitalise Plutarque le Grand (3). Ce fut une brillantetape du crpuscule de lcole, qui lui a donn limpulsion ncessaire pour survivre travers les temps obscurs, puis renatre sous limpulsion de Marsile Ficin (4), dans laFlorence des Mdicis. LAcadmie renouvele, dernier chelon de la Chane dOr (5) de la transmission pla-tonicienne, semble synthtiser dune part les fondements originaux de la nouvelleAcadmie, telle quelle se dessina depuis les dbuts clectiques prcurseurs de lim-mense figure de Plotin (6), et dautre part le retour aux sources de lenseignement dufondateur, en commentant et expliquant les grands thmes du systme platonicien,sans oublier, comme tiers inclus, lsotrisme pratique dinfluence orientale traversla tradition thurgique reprsente par Jamblique (7). En fait, nous ne pourrions com-prendre la force transformatrice du noplatonisme renaissant, sans tenir compte deces trois lments, combins sagement au Ve sicle, un temps historique difficile etun moment hostile la philosophie.

    proclus et son temps Lopposition aux coles de philosophie qui culmina en 529 avec le dcret de Justinien,particulirement virulent pour lcole noplatonicienne dAthnes, tait dj en ges-tation depuis environ un sicle. Noublions pas quHypatie (8) fut assassine Ale-xandrie en 415. Un fait qui se droula lpoque o Proclus donnait ses cours dans son cole, au sudde lAcropole, marqua latmosphre de ces annes-l. Il sagit du retrait de la statuedAthna du Parthnon, fait qui dut lui causer une grande douleur puisque selon sonbiographe, Marinos de Neapolis (9), notre philosophe se considrait li la dessedep