Revue philosophique Acropole Hors série 3

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ASTROPHYSIQUE L’Univers, hasard ou nécessité ? Sciences La vie serait-elle quantitique ? Philosophie Que savons-vous de la réalité ? Sciences et Philosophie Être philosophe aujourd’hui Hors série N°3 de la Revue de Nouvelle Acropole — 2013 – 6 SCIENCES ET PHILOSOPHIE HORS SÉRIE N° 3

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Revue philosophique Acropole Hors série 3

Transcript of Revue philosophique Acropole Hors série 3

  • ASTROPHYSIQUELUnivers,hasard ouncessit ?

    SciencesLa vie serait-ellequantitique ?

    PhilosophieQue savons-vousde la ralit ?

    Scienceset Philosophie

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    Hors srie N3 de la Revue

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  • EDITORIAL

    Par Fernand SCHWARZPrsident de la Fdration des Nouvelle Acropole France

    On peut vivre sans philosopher, mais on vit moins bien Vladimir Janklevitch

    3

    Science et philosophie,le nouvel esprit scientifiquePendant la dernire anne de nos activits, grce au concours dun bon nombre departicipants ce hors srie, nous nous sommes pos la question du rapport entre laphilosophie et la science. La qualit des interventions et la crativit des dialoguesnous ont profondment interpells.La philosophie est, comme son nom lindique, lamour de la sagesse et si elle se ca-ractrise par un rapport au savoir, comme lcrit Bertrand Vergely (1), elle nestpas une science au sens o son but nest pas de connatre objectivement la ralit afinde pouvoir oprer sur celle-ci, mais de questionner lusage que lon peut faire du savoircomme de laction sur le rel. (2)Sans tomber dans la sentimentalit, la philosophie est mue par un dsir de transcenderla simple raison pour dcouvrir une raison dtre et des rponses aux grandes interro-gations humaines. En effet, lamour de la philosophie est loign de toute formedexaltation ou de passion et incite toujours penser. La philosophie sefforcera tou-jours dtre une lvation pense de lexistence ou, pour rsumer, comme la critVladimir Janklevitch (3), philosopher est vivre avec la pense. En cela elle peutse relier la science sans tre limite par elle. Dailleurs les sciences humaines posentle problme de savoir si lon peut tout ramener la physique sans rduire le domainede la science.Dans la premire moiti du vingtime sicle, Gaston Bachelard (4) proposa lmer-gence dun nouvel esprit scientifique. Le problme nest pas tant que la science tiennelieu de philosophie, mais quune certaine philosophie tienne lieu de science. Lallurervolutionnaire de la science contemporaine ragit profondment sur la structure delesprit []. Lesprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, unlargissement des cadres de la connaissance []. Toute la vie intellectuelle de lascience joue dialectiquement sur ces diffrentiels de la connaissance, la frontire delinconnu. (5) Lessence mme de la rflexion, cest de comprendre que lon navait pas compris.Gaston Bachelard nous invite devenir tous des petits Socrate. renouveler notrepense, par lappropriation de notre imagination, pour raliser une rupture pistmo-logique qui se produit, chaque fois que nous entreprenons de nous dpayser, en nousapercevant que les choses ne sont pas ce que nous croyons, mais ce que nous aurionsd penser.

  • Aujourdhui, un savant ne pense plus avoir affaire un rel donn une fois pour toutes. Il sait quetout est interdpendant et que lobservateur peut modifier le phnomne observ. Cest cette nou-velle ralit complexe qui doit interpeler le philosophe daujourdhui. Ernst Cassirer (6), dans sa rflexion sur le nouvel humanisme, nous ouvre la voie : Les grandspenseurs qui ont dfini lhomme comme un animal rationnel, ntaient pas empiristes [pragma-tiques]. Ils nont jamais voulu rendre compte empiriquement de la nature humaine. Ils exprimaientplutt ainsi un impratif moral fondamental. Le terme de raison est fort peu adquat pour engloberles formes de la vie culturelle de lhomme dans leur richesse et leur diversit. Or, ce sont toutes desformes symboliques. Ds lors, plutt que dfinir lhomme comme animal rationnel, nous le dfini-rons comme animal symbolique. Ainsi pourrons-nous dsigner sa diffrence spcifique et compren-dre la nouvelle voie qui souvre lui, celle de la civilisation. (7) Aujourdhui, la vision moderne de la ralit consiste dire que tout fait signe pour celui qui sait

    regarder

    NOTES

    (1) Philosophe franais n en 1953, auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie

    (2) Dictionnaire de la philosophie, Bertrand VERGELY, ditions Milan, coll. Dicos Milan, 2004, 256 pages

    (3) Philosophe et musicologue franais (1903-1985)

    (4) Philosophe franais des sciences et crivain (1884-1962) auteur de nombreux ouvrages

    (5) Le Nouvel Esprit scientifique, Gaston BACHELARD, ditions Alcan 1934, rdit en 2003 aux ditionsPUF, coll. Quadriges Grands textes, 183 pages. Lire article dans revue Acropolis n241, mai 2013

    (6) Philosophe allemand, naturalis sudois (1874-1945), reprsentant du no-kantisme, dvelopp dans lcolede Marbourg et auteur de nombreux ouvrages

    (7) Essai sur lhomme, Ernst CASSIRER, trad. Norbert Massa, ditions Minuit, 1975, 344 pages

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  • INTRODUCTIONEditorial par Fernand SCHWARZScience et Philosophie, le nouvel esprit scientifique 3Lhomme et lUnivers, le point de vue de la science et de la philosophie par Marie-Agns LAMBERT 6

    SCIENCES 9ASTROPHYSIQUELUnivers, hasard ou ncessit ? par TRINH XUAN Thuan 10SCIENCESLa vie serait-elle quantique ? par Philippe BOBOLA 17

    PHILOSOPHIE 25Que savons-nous de la ralit ? par Fernand SCHWARZ 26Notre existence a-t-elle un sens ? par Jean STAUNE 35

    SCIENCE & PHILOSOPHIE 43PHILOSOPHIEQue sait la science et que savons-nous ? par Denis MARQUET 44SCIENCE ET PHILOSOPHIEVers une rconciliation ? par Michael DESCLOUX 54

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    NOUVELLE ACROPOLEEN FRANCE

    ANTONYANAA - 30, rue Vlpeau [email protected] 74 94 16 37

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    LA COUR PETRALD 941 28340 [email protected] 37 37 54 56

    Nouvelle Acropole - Revue Hors-srie n3 - ISSN 0396-7387 Dpt lgal aout 2013dit par la Fdration Franaise des Nouvelle Acropoleassociation franaise rgie par le dcret-loi du 1er juillet 1901Sige social dadministration : La Cour Ptral D 941, 28340 Boissy-ls-PercheRdaction : 6, rue Vronse 75013 Paris - Tel : 01 42 50 08 40Internet : http://www.revue-acropolis.frDirecteur de publication : Fernand SchwarzRdactrice en chef : Marie-Agns LambertMaquette : Sylvie CotsCrdits photos : Nouvelle Acropole ; amis de Platon/Yann Lebras : http://commeunpeintre.overblog.com Fotolia : suppakij1017 ; Beboy ; alphaspirit ; Christian Delbert ; designsoliman ; Sergej Khackimullin ; Thefi-nalMiracle ; Barbara Helgason ; nikol92 ; adimas ; Wrangler ; Elena Schweitzer ; Kobes ; Ping Chuin Ooi ; VeraKuttelvaserova ; Pjhotobank Kiev Stocknapper; marigold_88 ; merydolla ; 2nix ; Lakov Kalini ; Lilya ; ChristianDelbert Philippe Bobola ; Trinh Xuan Thuan ; Denis Marquet ; Fernand Schwarz ; jean Staune Image Hubble : NASA, ESA, N. Smith (Universit de Californie, Berkeley), et The Hubble HeritageTeam(STScI/AURA) Image CTIO: N. Smith (Universit de California, Berkeley) et NOAO/AURA/NSF Impression : Print24 - Prix de vente : 6 Reproduction interdite sans autorisation

    SOMMAIRE

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  • 7Pour expliquer les diffrentes thories pressenties par les scientifiques et les philo-sophes, la revue Acropolis a dcid de consacrer un numro hors-srie imprim (3e

    numro) sur le thme Science et philosophie, notre existence a-t-elle un sens ? Une premire approche tente de rpondre la question : comment expliquer la concep-tion de lUnivers et de lHomme ? La dimension matrialiste et scientifique ne suffitpas pour y rpondre. Si lon change un chiffre dcimal dune des constantes qui entredans la constitution de lunivers, il ny a plus dtoile, plus de plante, plus de galaxie,plus dunivers comme celui dans lequel lhomme vit et donc plus de vie ! Il y a doncncessairement dautres lments de rponse qui se trouvent ailleurs que dans lascience et les connaissances... Il existerait probablement un principe dincompltudequi viendrait repousser les limites de la science et de la logique et qui permettrait lintuition, la mystique, la philosophie et la spiritualit denvisager dautreschamps, dautres savoirs, dautres possibilits

    Le rgne de la vision newtoniennePendant des millnaires, lhomme a prtendu que les phnomnes inexpliqus taientlaction des dieux, forces invisibles qui, bien que ne faisant pas partie du monde,avaient cependant une action sur celui-ci. Puis Dieu a supplant laction des dieux etavec lui larme darchanges qui tournaient les manivelles pour faire bouger les pla-ntes ! La Terre tait le centre du monde autour duquel soleil et plantes tournaient etlHomme tait le centre de tous les savoirs.La rvolution copernicienne balaya toutes ces ides imposes par lglise, et le Soleilprit la place de la Terre. Il devint le centre du monde et la terre fut relgue une sim-ple plante, au mme titre que les autres. En consquence, lhomme devint tout petitdans le Temps et dans lEspace. Au XVIIIe sicle, les Lumires et Isaac Newton apportrent une conception mcani-ciste et dtermine de lUnivers selon laquelle les objets, les plantes, les toiles, lesvnements, les humains taient dtermins et tout devint alors prdictible. Lamarge de manuvre et de libert de lhomme fut ainsi considrablement rduite voirequasiment nulle. Darwin rajouta une couche supplmentaire en trouvant des origines lhomme dtermines par ladaptation des espces pour survivre. Aujourdhui, lesastrophysiciens dmontrent que le Soleil ne serait quune simple toile de banlieue,que notre univers et notre galaxie ne seraient quun parmi des centaines de milliardsdunivers et de galaxies qui existeraient en parallle ! Une vritable dsillusion et undsenchantement se sont donc empars de lhomme. Comment sortir de ce dsespoir ?

    Par Marie-Agns LAMBERTEnseignante en philosophieRdactrice en chef de la revue [email protected]://www.revue-acropolis.fr

    Lhomme, lunivers et le rel, le point de vue de la science et de la philosophie

    Depuis quand lUnivers existe-t-il ? Est-il infini dans le temps et dans lespace ? Est-il lefruit dun hasard ou dune ncessit ? Quelle est la place de lhomme dans lunivers ? Au-tant de questions auxquelles les scientifiques et les philosophes tentent de rpondre etqui suscitent de nombreux dbats.

    INTRODUCTION

  • Vers un changement de paradigme

    Depuis 1900, les sciences positives (physique, chimie, biologie entre autres) sont mises mal. Leparadigme de Newton ainsi que sa vision dun monde fragment, mcaniciste et dtermin sont d-monts par la physique quantique qui affirme lexistence dun monde indtermin faisant appel un champ de possibilits et de crativit infinies. Le hasard flirterait-il avec lincertitude et le flouquantique ? Le rel du monde subatomique (protons, lectrons, quarks) devient non localis etnon sparable. La matire la plus petite perd sa substance pour ntre plus quun vaste champ dner-gie. Les particules lmentaires ne sont plus palpables et ne sont plus des faits mais deviennent despotentialits qui apparaissent l o lon ne les attend pas et sans savoir comment, par saut quantique,cest--dire en changeant de niveau. La lumire est une onde et une particule mais son observationne peut senvisager que dans lun des deux aspects, laiss la discrtion de lobservateur. Lobser-vateur choisit donc les critres quil veut observer et influence le rsultat de ce quil observe. Avecla thorie du Chaos, le hasard, lindtermination et limprdictibilit se manifestent dans la vie quo-tidienne et dans le Cosmos.Ainsi, dans lunivers, rien nest strictement sparable comme la pense occidentale dualistesacharne nous le faire croire. Tout senchevtre parfois dans une sorte de simultanit et de syn-chronicit. Lunivers tout entier, dont toutes les parties sont relies entre elles et interdpendantes,contribue lapparition de chaque vnement, la corrlation qui existe entre chaque vnementdun point de lunivers lautre. Une information prsente un endroit lest quasi en mme temps un autre, en dpassant la vitesse de la lumire. Et ce nest pas parce que nous ne pouvons pastrouver de relation causale un vnement quil ny a pas de relation du tout. Nous ne pouvons quesupposer, deviner, pressentir Et le rel prend alors une toute autre dimension.

    Quest-ce que le rel ? Il nest plus possible de dfinir la ralit avec les critres habituels, cest--dire avec ceux que nousmontre le monde des sens. La ralit est ce qui se cache derrire les apparences, une ralit voile,quil faut dcouvrir en sortant de notre systme logique, rationnel et scientifique et en tenant comptednoncs indcidables dont nous ne pourrons jamais dire par la logique sils sont vrais ou faux.Pour accder la ralit ultime, il faut faire appel dautre modes de connaissance comme lintui-tion, la mystique, mais galement la physique de linfiniment petit (physique quantique) et revoirtoutes nos ides, a priori et prjugs la lumire de la science claire par la philosophie, dont lesAnciens avaient dj pressenti les mystres. Ainsi, science et philosophie coexisteraient, malgrleurs apparentes diffrences et la bifurcation de leurs chemins.

    Science et philosophie, deux approches complmentairesScience et Philosophie sont donc deux approches complmentaires pour apprhender le rel danstoutes ses dimensions et ses diffrents niveaux et redonner lhomme sa vritable place dans lunivers. Toute exprience est issue de questionnement, dides, de pense, dune approche philosophiquequi fait des ponts entre les diffrents savoirs et qui les met en pratique comme le fait la science parlexprimentation. Science et Philosophie seraient-elles lies et intriques dans leur faon denvisager la ralit, luni-vers et la place de lhomme dans ce systme ? Ne serait-il pas temps de restaurer le dialogue entreScience et Philosophie, de rconcilier ces deux disciplines qui lorigine nen faisaient quune pourredonner ses lettres de noblesse lHomme, la ralit voile, linconnaissable, au Mystrequil porte en lui et qui linvite repousser chaque fois ses limites ? Que ce hors-srie puisse nourrir votre rflexion et la part de mystre qui est en vous !

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  • ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences 9

    SCIENCESLunivers et la vieAstrophysique LUnivers, hasard ou ncessit ? Par TRiNH XUAN Thuan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

    Sciences La vie serait-elle quantique ? Par Philippe BOBOLA. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

    Image Hubble - Formation dune toile dans la rgion de la nbuleuse de Carina : Dtail 1

  • Par TRiNH XUAN ThuanAstrophysicien,TRINH XUAN Thuan estprofesseur l'universit de Virginie, Charlottesville, aprs avoir fait ses tudes Caltech et Princeton, aux Etats-Unis.Francophone, d'origine vietnamienne,Thuan est auteur de nombreux ouvragesde vulgarisation en franais sur l'Universet les questions philosophiques qu'il pose.Thuan est aussi chercheur l'Institutd'Astrophysique de Paris.Il est l'auteur, entre autres, de La Mlodiesecrte, Le Chaos et l'Harmonie, L'infinidans la paume de la main (avec MatthieuRicard), et d'Origines : la nostalgie descommencements. http://www.trinhxuanthuan.com

    Lunivers, hasard ou ncessit ?Lunivers est-il le fruit du hasard ou de la ncessit? Voici une question que se posent lesphilosophes et les scientifiques. Y-a-t-il eu un dessein intelligent ou un coup de ds fortuitdont la combinaison gagnante a permis lapparition de notre univers?

    Astrophysique

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    Pendant longtemps, lhomme pensait que tous les phnomnes clestes qui se drou-laient dans lunivers taient la consquence de laction des dieux, de leur haine, deleur amour, de leurs guerres, de leurs liaisonsVers 500 avant J.-C., en Grce, une poigne dhommes extraordinaires eurent lintui-tion que lhomme pouvait concevoir par le pouvoir de sa raison les lois de lunivers,quils ne devaient pas sabandonner aveuglment aux forces et actions des dieux.Ainsi, les Grecs se penchrent sur toutes sortes de phnomnes, de linfiniment petitavec Dmocrite (1) linfiniment grand, et en particulier sur le systme solaire.

    Du gocentrisme lhliocentrisme Lhomme, toujours rempli dgo, pensait que la Terre tait au centre du monde. As-tronomiquement cela pouvait se comprendre, ce fut la conception gocentrique delastronome Ptolme (2), qui domina jusqu la Renaissance. Au Moyen-ge, lglise affirma que Dieu avait envoy une arme danges, mcani-ciens clestes, qui poussaient les sphres cristallines sur lesquelles taient installesles plantes et que ctait ainsi que les plantes bougeaient. la Renaissance, en 1543, Nicolas Copernic (3) remit en cause la thorie gocentriqueen mettant le Soleil au centre du monde. Lhliocentrisme succda ainsi au gocen-trisme. La Terre devenait une simple plante, au mme titre que les autres, et toutestournaient autour du Soleil. En 1609, Galile observa le ciel avec le premier tlescope (invent par un opticiennerlandais) et dcouvrit des taches solaires la surface du Soleil : les faces de Vnus(que lon peut voir uniquement si lon pense que Vnus tourne autour du Soleil et pasautour de la Terre) et les quatre satellites de Jupiter. Il soutint la thorie de lhliocen-trisme mais fut oblig de se rtracter, tant menac par lInquisition dtre brl surle bcher (comme Giordano Bruno en 1600) (4). Cet pisode acheva le divorce entrela science et lglise. Lglise pouvait expliquer comment aller au ciel aprs la mortmais pas ce qui se passait dun point de vue physique et astronomique dans le ciel. Depuis Copernic, son fantme na cess de nous hanter, surtout avec les instrumentsmodernes, pour scruter lunivers.

    La lumire, communication entre lhomme et le cosmosLa nature nous a donn la lumire comme lien de communication entre lhomme etle cosmos. Elle porte en elle un code cosmique et cest lastrophysicien quincombele travail de le dcoder pour essayer de dcouvrir les secrets de lunivers. Bien quayant la vitesse la plus grande possible dans lunivers (300.000 km par se-conde), cette lumire se dplace au sein de celui-ci la vitesse dune tortue ! Aussi,nous voyons toujours lunivers avec un peu de retard : 384.000 km de la terre, la

  • 11ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences

    lune nous apparat plus dune seconde aprs, le so-leil huit minutes aprs, ltoile la plus proche quatreannes aprs, la galaxie Andromde la plus proche,2.300.000 annes aprs et ainsi de suite Pour tudier cette lumire cosmique qui nous ap-prend tant sur lunivers, les tlescopes modernessont devenus de gigantesques yeux tourns vers leciel (le plus gros en construction a un diamtre de30 mtres). Ce sont de vritables machines remon-ter le temps qui nous permettent de recueillir cettelumire qui provient des temps immmoriaux Ainsi, en voyant de faon plus faible, donc plus loin,et par consquent plus tt, lastrophysicien recons-

    titue lhistoire cosmique qui a commenc il y a 13,7 milliards dannes.Les tlescopes modernes recueillent deux types de lumire qui peuvent traverser latmosphre ter-restre : la lumire optique (mise par les plantes et les galaxies) et la lumire radio (celle que pour-rait mettre un tre extra-terrestre, sil voulait communiquer avec lhomme).Il y a dautres formes de rayonnement de lumire, des rayons extrmement nergtiques (rayonsgamma, rayons X, rayons ultraviolets) qui sont heureusement bloqus par latmosphre terrestre,sans quoi la vie sur Terre serait impossible. Pour tudier cette lumire, lhomme a envoy des t-lescopes au-dessus de latmosphre terrestre (Hubble par exemple) pour scruter lespace et recueillirdes informations sur lunivers.

    Lespace, une surface architecturale qui repousse sans cesse ses limitesAuparavant, nous pensions que la terre tait au centre de lunivers puis, aprs Copernic, ce fut ausoleil doccuper cette place. Aujourdhui, ce dernier ne serait quune simple toile de banlieue parmiles cent milliards dtoiles de la voie lacte. Le rayon de cette voie lacte est de 50.000 annes-lumire (5) et son diamtre est de 100.000 annes-lumire. Le Soleil est peu prs 30.000 an-nes-lumire, il fait le tour de la voie lacte tous les 250 millions dannes ; il a donc fait dix-huitfois le tour de la voie lacte depuis sa naissance (le soleil est n il y a environ 4,5 milliards dannes). Lespace est devenu de plus en plus grand et la communication en son sein est lente. Par exemple,un signal mis pour aller dun extrme lautre de la voie lacte, met 100.000 ans environ la fin du XIXe sicle, lhomme, toujours rempli dgo, a pens que la voie lacte reprsentaitlensemble de lunivers. Puis, au dbut du XXe sicle, les tlescopes modernes ont rvl la prsencede nbuleuses assez floues et diffuses. Les astrophysiciens se demandaient si tout tait contenu dansle diamtre des 100.000 annes-lumire ou si les nbuleuses taient bien au-del. En 1923, lastro-physicien Edwin Hubble (dont le tlescope Hubble porte le nom) mesura la distance de la galaxie.Il obtint une distance de plus de 2 millions dannes-lumire, beaucoup plus grande que les 100.000annes-lumire nonces ! Il dmontra ainsi lexistence de systmes extragalactiques qui existaientbien au-del de notre galaxie. Maintenant nous savons que notre galaxie nest quune des cent milliards de galaxies qui peuplentlUnivers. Parmi elles, il existe des galaxies-spirales. Dautres sont des galaxies-ellipses et dautresencore sont de forme irrgulire. O que lon pointe un tlescope dans le cosmos, il y a des galaxies.Elles forment une immense tapisserie et cest un extraordinaire spectacle contempler grce auxyeux de gants des tlescopes. Ils donnent accs ce monde lointain, mystrieux, mais aussi remplide beaut. Un sentiment de connexion cosmique peut nous envahir Quelle est larchitecture dans

    TEMPS 109 ans CONSTITUANTS DE LUNIVERS TEMPERATURE13,7 X 109 ans Homme, conscience 3 K9,0 X 109 ans Cellules vivantes9,2 X 109 ans Plantes Systme

    toiles solaire1 X 109 ans Galaxies 100

    Molcules380.000 ans Atomes Rayonnement fossile3 min Noyau datomes H, HE10-6 S Neutrons-Protons 106

    10-32 S Quarks-lectrons 1013

    Vide rempli dnergie 1027

    10-43 S Mur de Planck 1032 K???????????????

  • Bibliographie de Trinh Xuan Thuan :

    La Mlodie secrte, ditions Fayard, 1988

    Un astrophysicien, ditions Beauchesne-Fayard, 1992

    Le Destin de lUnivers, ditions Gallimard,collections Dcouvertes, 1992

    le Chaos et lHarmonie, ditions Fayard,1998

    LInfini dans la paume de la main, avecMatthieu Ricard, Nil ditions, 2000

    Origines : la nostalgie des commencements,ditions Fayard, 2003

    Les Voies de la lumire : physique etmtaphysique du clair-obscur, ditionsFayard, 2007

    Voyage au cur de la Lumire, Dcouvertes-Gallimard, 2008

    Dictionnaire amoureux du Ciel et destoiles, ditions Plon/Fayard, 2009

    Le Big bang et aprs ? avec AlexandreAdler, Marc Fumaroli et Blandine Kriegel,ditions Albin Michel, 2010

    Le Cosmos et le lotus, ditions AlbinMichel, 2011

    Le dsir dinfini, Des chiffres, des univers etdes hommes, ditions Fayard, 2013

    12

    lunivers ? Au dpart, lunivers tait trs homogne puis il a volu avecdes vides et des pleins. Il y a des grands murs de galaxies qui se sontforms et stendent sur des centaines de milliards dannes. Malgr toutes les galaxies que lon a dcouvertes, la matire lumineusene reprsente que 0,5 % dans tout lunivers. Il y a 3,5 % de matire noireordinaire, 22 % de matire noire exotique et 74 % dnergie noire. lafin du XXe sicle, on a rvl quavec cette matire noire, dont on neconnat pas encore la nature, lunivers tait en acclration. Malgrtoutes les dcouvertes, nous ne connaissons de lunivers que la pointemerge dun iceberg. Il y a beaucoup de mystres dans lunivers quelon narrivera jamais percer compltement.

    Lunivers, du chaud au froidToute la physique de lunivers se dcline selon deux thories : la thoriede linfiniment grand, avec la force de gravitation ; la thorie de linfi-niment petit, avec les atomes, les particules et les forces de llectroma-gntisme et du nuclaire. Ces deux thories, nes au dbut du XXe sicle, sont encore distinctes.Pour comprendre ce qui sest pass au dbut de lunivers, il faudrait uni-fier la force de gravit avec les autres forces, unifier la thorie de linfi-niment grand avec celle de linfiniment petit, pour constituer la thoriede la gravit quantique, mais pour linstant, la science ne sait pas encorele faire.On peut raconter lhistoire de lunivers en se basant sur la pyramide dela complexit (6). Lunivers a dmarr dun tat extrmement petit, trsdense, trs chaud et trs lumineux. Il est n dun grand vide, remplidnergie (de matire), qui nest pas le nant. Ds les premires minutes,il y eut une grande explosion dans le vide, le Big-Bang, une chaleurchaude et dense (1032k) et des tempratures inimaginables, quil est im-possible de dcrire, avant le Mur de Planck (7). Ensuite lunivers a com-menc se refroidir, se dilater et se diluer. La matire sest convertieen quarks et lectrons, qui constituent les briques de la matire. On re-

    trouve ces particules dans le corps humain et danstout ce qui nous entoure. Ensuite, elle sest dcli-ne en protons et neutrons puis en noyaux etatomes. Les molcules sont ensuite apparues et,avec elles, les premires galaxies, les toiles, lesplantes, les cellules vivantes, et enfin lhomme.Lunivers continue toujours se refroidir et se d-velopper en expansion. En effet, toutes les galaxiessloignent. Le refroidissement de lunivers a permis la com-plexit de se dvelopper.

    Le dveloppement de la complexit Au bout de trois minutes lunivers fut compos autrois quarts dhydrogne et un quart dhlium.

    Les molcules sont ensuiteapparues et, avec elles, lespremires galaxies, lestoiles, les plantes, lescellules vivantes, et enfinlhomme. Lunivers continuetoujours se refroidir et se dvelopper en expansion.En effet, toutes les galaxiessloignent.

  • DATE PRIODE VNEMENT

    1er janvier 13,7 milliards dannes Big Bang. Formation de semences de galaxies

    1er avril 13,5 milliards dannes Formation de la Voie lacte

    9 septembre 4,5 milliards dannes Formation du systme solaire

    25 septembre 3,5 milliards dannes 1re cellule de vie

    30 novembre 2 milliards dannes Apparition des plus vieux fossiles

    (bactries + algues bleues)

    Invention du sexe par micro-organismes

    16 dcembre 570 millions dannes Apparition des plus vieilles plantes

    18 dcembre 510 millions dannes Apparition des poissons et vertbrs

    21 dcembre 410 millions dannes Apparition des insectes

    23 dcembre 290 millions dannes Apparition des arbres

    25 dcembre 230 millions dannes Apparition des dinosaures

    26 dcembre 200 millions dannes Apparition des mammifres

    27 dcembre 150 millions dannes Apparition des oiseaux

    29 dcembre 70 millions dannes Apparition des primates

    30 dcembre 66 millions dannes Mort des dinosaures

    31 dcembre 22 h 30 /4,4 millions dannes Apparition des premiers hommes en Afrique

    31 dcembre 23 h 50 /17.000 ans Peintures dans grottes de Lascaux et Chauvet

    31 dcembre 23 h 59 et 50 sec Civilisation gyptienne. Astronomie

    31 dcembre 23 h 59 et 55 sec Naissance du Bouddha

    31 dcembre 23 h 59 et 56 sec Naissance du Christ

    31 dcembre 23 h 59 et 59 sec Renaissance. Naissance de la science

    1er janvier 00 h Conqute de lespace

    Recherche dintelligence extra-terrestre

    Pril cologique

    13ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences

    Tous les autres lments ne sont pas produits par le Big-Bang. Si lunivers stait content darrtersa progression cette priode, nous ne serions pas ici pour en parler car il ny aurait pas eu de pro-cessus chimique, ni de transformation, ni de possibilit de faire natre les toiles et la vie. Il nyaurait eu que des nuages dhydrogne et dhlium flottant dans lUnivers. En effet, pour que la vieapparaisse, il faut quil y ait des lments plus complexes (le carbone en loccurrence qui rsultede la combinaison de trois noyaux dhlium). Ce rle est la charge des toiles. Cest lalchimienuclaire des toiles qui forme tous les lments complexes plus lourds que lhlium. Ce sont ceslments complexes qui permettent lapparition de la vie et de la conscience. Cela sest pass avecles premires toiles et galaxies, un milliard dannes aprs le Big-Bang.Puis est n le systme solaire, il y a 4,5 milliards dannes ; ensuite la premire cellule sest forme,il y a 3,8 milliards dannes, et enfin lhomme est apparu pour tenter de comprendre lunivers.Aussi, si lon ramne lhistoire de lunivers un calendrier annuel (8), en considrant que le Big-Bang sest pass au 1er janvier, lhomme est apparu seulement le 31 dcembre, cest--dire la finde lanne !

    La place de lhomme face lunivers Ainsi la place de lhomme est devenue de plus en plus petite dans cet espace et temps immenses !Quelle attitude philosophique adopter devant un tel dsespoir et une attitude dsenchante, voirepessimiste ? Quel est le lien entre lhomme et lUnivers ?Au XVIIe sicle, Blaise Pascal (9) crivit : Le silence ternel des espaces infinis meffraie. la fin du XVIIIe sicle, William Blake (10) crivit : Voir un univers dans un grain de sable, unparadis dans une fleur sauvage, tenir linfini dans la paume de sa main et lternit dans une heure.

  • LA PLACE DE LHOMMEDANS LUNiVERSTRiNH XUAN Thuan

    dit par FDNADure : 1h 40 min 19 SPrix :15 .DVD du film de la confrence quele professeur Trinh Xuan Thuan adonn Biarritz en Juin 2012. Ilpeut se regarder en entier ou parchapitre. Quelle est la place de lhomme

    dans lUnivers ? LUnivers est-il le fruit duhasard ou de la ncessit ?

    DVD

    14

    Au XXe sicle, en 1971, Jacques Monod (11) crivit :Lhomme est perdu dans limmensit de lUniversdo il a merg par hasard. En 1977, Steven Wein-berg, prix Nobel de physique, crivit : Plus on com-prend lUnivers, plus il nous apparat dpourvu desens.La cosmologie a redcouvert lancienne alliance entrelhomme et lunivers. Lexistence de lhomme est ins-crite dans chaque atome de lunivers, cest le principeanthropique (du grec anthropos qui veut direHomme). Nous sommes tous des poussires dtoiles.Nous partageons tous la mme gologie cosmique. Ila fallu que des toiles se crent pour que lhommepuisse vivre sur Terre !

    Lunivers, hasard ou ncessit ?Toutes les proprits de lunivers sont dtermines par 15 constantes(force gravitationnelle, force lectromagntique force nuclaire forte,force nuclaire faible, vitesse de la lumire, charge et masse de llectronet du proton, constante de Planck qui dtermine la taille des atomes). Ilexiste galement des conditions initiales qui dterminent les propritsde lunivers : son expansion, la quantit dnergie ou de masse noireEn variant un tant soit peu une constante, au chiffre de la soixantimedcimale, on saperoit que les toiles ne se forment pas, quil ny a pasdlments lourds, pas de vie ni de conscience dans lunivers et quecelui-ci est strile et sans harmonie ! Et si la densit est trop grande, lesgalaxies, au lieu de sloigner les unes des autres, se rapprocheraient etle Big-Bang deviendrait le Big-Crunch : tout seffondrerait ! Cesconstantes qui donnent des chiffres prcis concernant la constitution delunivers sont aussi prcises que la prcision que doit utiliser un archerpour planter une flche dans une cible de 1 cm2, place aux confins delunivers, 14 millions dannes-lumire. Une prcision extraordinairepour que lhomme apparaisse !Que penser devant ce rglage si prcis ? Lunivers est-il le fruit dun ha-sard ou dune ncessit ? Les deux thories sont parfaitement possibles mais la science narrivepas choisir entre les deux.Si lon pense que lunivers est le fruit du hasard, il faut alors considrerquil existe une multitude dunivers avec des constantes toutes diff-rentes dun univers lautre. Pour expliquer la prcision extraordinairedu rglage de lunivers 1060, il faut la prsence de 1060 univers paral-lles, ce quon appelle le multivers, avec une multitude de combinai-sons de constantes dans les univers, et un seul univers, le ntre, qui auraitla combinaison gagnante. La notion dunivers parallles a surgi plusieursfois en physique. Selon le physicien et mathmaticien amricain Hughverett, lunivers se divise en deux chaque fois quil y a alternative,choix ou dcision.

    Quelques chiffres de mesure- 1 minute-lumire quivaut 18 millions de km- 1 heure-lumire quivaut 1 milliard de km- 1 anne-lumire quivaut 10.000 milliards de km- Distance du Soleil la Terre : 8 minutes-lumire- Distance du systme solaire jusqu Pluton :

    5,2 heures-lumire- Distance du Soleil au centre galactique :

    30.000 annes-lumire- Voie Lacte : disques de 90.000 annes-lumire - Distance de la Voie Lacte Andromde :

    2 millions dannes-lumire- Les tlescopes les plus puissants observent jusqu une distance

    de 12 milliards dannes-lumire- Lunivers observable (la partie de lunivers dont la lumire a eu le

    temps de nous parvenir) a un rayon de 15 milliards dannes-lumire

  • 15ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences

    Si lon pense que lunivers est le fruit de la ncessit, il ny a donc quun univers rgl par un prin-cipe crateur. Ce principe nest pas un dieu barbu personnifi mais la manifestation des lois phy-siques dans la nature qui apparaissent partout dans lunivers par la prsence de beaut et dharmonie, la faon panthiste de Baruch Spinoza (12) ou dAlbert Einstein (13). Le pari de Blaise Pascal fut la ncessit. Les autres univers ne sont pas observables. Au XIIe sicle,Guillaume dOccam (1285-1349), avec son fameux principe rasoir dOccam, nona le fait quilne faut pas multiplier les entits sans ncessit, et quil est inutile de concevoir une infinit duniverssil y en a un qui existe. Quant la beaut et lharmonie, il est difficile de penser que tout est hasard et quil ny a aucunsens cette organisation. Il y a beaut et harmonie dans les ptales dune rose, le fond dun nuage,la hauteur de lHimalaya, la couleur bleue des ocans, la taille dun arbre, les spirales des galaxiesLharmonie a t cre par quelques lois physiques, qui ne varient ni dans lespace ni dans le temps.La lumire qui nous arrive dune lointaine galaxie a les mmes proprits que la lumire de notreunivers. Elle est produite par les mmes atomes.La physique moderne a redcouvert lunit entre le Ciel et la Terre, cette unit qui existait au dbut

    de lorigine de lunivers, dans le mur de Planck(dans lequel les quatre forces existantes telles quellectromagntisme, linteraction faible, linterac-tion forte et la gravitation taient unifies, cest--dire sappliquaient en mme temps). Aristote (14) pensait que des lois physiques diff-rentes rgnaient dans le Ciel et sur la Terre : desformes parfaites pour le Ciel, des formes impar-faites pour la Terre. Au XVIIIe sicle, Isaac Newton(15) nona que ctait la mme force gravitation-nelle qui rglait le mouvement des plantes et detout ce qui existait sur Terre. Plus tard, James ClerkMaxwell (16) unifia llectricit et llectromagn-tisme. Einstein unifia le temps et lespace. Si onvoyage trs vite, la vitesse de la lumire, lespacese contracte et le temps se dilue.

    Il est difficile de penser que notre univers nest que le fruit du hasard. Peut-on parier sur la nces-sit ? Paul Claudel (17) crivit : Le silence ternel ne meffraie plus, je my promne avec uneconfiance familire. Nous nhabitons pas dans un dsert farouche et impraticable. Tout dans lemonde est fraternel et familier.La cosmologie a r-enchant le monde, dabord en prouvant que lhomme est fait de poussiresdtoiles et que cest grce aux toiles que lhomme est sur terre. Les toiles sont donc les anctresde lhomme et il est interconnect avec elles.Nous narriverons pas dchiffrer tous les mystres de lunivers malgr lenjeu et le dfi de lascience. Mme si depuis Copernic lhomme noccupe plus le centre du monde, il donne un sens lunivers en admirant sa beaut et son harmonie

    Il y a beaut et harmoniedans les ptales dune rose,le fond dun nuage, lahauteur de lHimalaya, lacouleur bleue des ocans, lataille dun arbre, les spiralesdes galaxies

  • NOTES

    (1) Dmocrite dAbdre (460 av. J.-C. - 370 av. J.-C.) philosophe grec considr comme unphilosophe matrialiste en raison de sa conviction en un univers constitu datomes et de vide

    (2) Claude Ptolme, appel Ptolme (vers 90 - vers168), astronome, astrologue grec vivant Alexandrie. Lun des prcurseurs de la gographie et lauteur de plusieurs traits scientifiques dontlun en astronomie, qui ont exerc par la suite une trs grande influence sur les sciencesoccidentales et orientales

    (3) Chanoine, mdecin et astronome polonais (1473-1543) qui a dvelopp et dfendu la thorie delhliocentrisme selon laquelle le soleil se trouve au centre de lUnivers. Les consquences de cettethorie dans le changement profond des points de vue scientifique, philosophique et religieuxquelle imposa sont baptises rvolution copernicienne

    (4) Giordano Bruno (1548-1600), philosophe italien qui a dvelopp la thorie de lhliocentrismeet montra, de manire philosophique, la pertinence dun univers infini, qui na pas de centre,peupl dune quantit innombrable de soleils et de mondes identiques au ntre. Il fut accusdhrsie par lInquisition et brl vif

    (5) Une anne-lumire est une unit gale la distance que parcourt la lumire dans le vide, en uneanne, soit environ 10.000 milliards de kilomtres

    (6) Voir encadr n1

    (7) Le mur de Planck ou lre de Planck dsigne la priode de lhistoire de lunivers au cours delaquelle les quatre interactions fondamentales (lectromagntisme, interaction faible, interactionforte et gravitation) taient unifies, cest--dire quelles sappliquaient en mme temps, ce quiempche de la dcrire laide de la relativit gnrale ou de la physique quantique, puisque cesthories sont incompltes et ne sont valables que quand la gravitation et les effets quantiquespeuvent tre tudis sparment. Thorie du physicien allemand Max Planck (1858-1947), un desfondateurs de la thorie des quanta et de la mcanique quantique

    (8) Voir encadr n2

    (9) Blaise Pascal (1623-1662), mathmaticien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste etthologien franais

    (10) Peintre et pote pr-romantique britannique (1757-1827)

    (11) Biochimiste franais (1910-1976), prix Nobel de mdecine, auteur du livre Le Hasard et lancessit, Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, ditions du Seuil, 1970

    (12) Philosophe nerlandais (1632-1677) dont la pense eut une influence considrable sur sescontemporains et nombre de penseurs postrieurs

    (13) Physicien thoricien helvtico-amricain (1879-1955), auteur de la thorie de la relativit quicontribua au dveloppement de la mcanique quantique et de la cosmologie

    (14) Philosophe grec (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) disciple de Platon lAcadmie, fondateur desa propre cole, le lyce, et prcepteur dAlexandre le Grand

    (15) Philosophe, mathmaticien, physicien, alchimiste, astronome, thologien anglais (1643-1727)auteur de la thorie de la gravitation universelle et des trois lois universelles du mouvement oumcanique newtonienne

    (16) Physicien et mathmaticien cossais (1831-1879), principalement connu pour avoir unifi enun seul ensemble dquations, llectricit, le magntisme et linduction. Il a effectu des travauxsur la lumire et dmontr lexistence de champs lectriques et magntiques

    (17) Dramaturge, pote, essayiste et diplomate franais (1895-1952)

    Rubriquttt

    16

    DSIR DINFINITrinh XUAN THUANditions Fayard, 400 pages, 21,50

    Ce livre nous transporte dans le sujetle plus vaste et le plus troublant quela conscience humaine puisseembrasser : linfini. De tout temps,il a fascin les hommes, quilssoient artistes, philosophes ouscientifiques. Mais linfini semanifeste-t-il vraiment dans laralit physique, ou est-il seule -ment un concept de notre

    imagination, comme le pensait Aristote ? Desartistes ont tent de le reprsenter, mais cestGeorg Cantor qui installe fermement linfinidans le paysage des mathmatiques et nousdvoile ses proprits tranges et magiques...Lastrophysicien Trinh Xuan Thuan, obser -vateur de limmensit du cosmos depuis plusde quarante ans, nous sert de guide avec sapense pdagogique et sa plume potique.

    AUX ORIGINES DU MONDEJean-Pierre VERNETditions du Seuil, 232 pages, 19

    Les rcits de la naissance du mondesont trs anciens et sinspirent demythes, eux-mmes trs archaquesqui racontent une vrit. Un pointsur les rcits de lorigine du mondemanant la fois de civilisationsanciennes, comme des scientifiques,dont les dcouvertes prcisent ouremet tent en cause lhistoire du

    monde. crit par un astronome chevronn.

    DESTIN COSMIQUEPOURQUOI LA NOUVELLE COSMO-LOGIE PLACE T-ELLE LHOMME AUCENTRE DE LUNIVERS ?Joel R. PRiMACK et Nancy Ellen ABRAMSTraduit de lamricain par Cline LAROCHEditions Grand Livre du Mois, 397 pages, 23 crit par un professeur de physique

    luniversit de Californie, un despionniers dans le domaine de lamatire noire que contiendraitlunivers et par une spcialiste dela philosophie des sciences et dela kabbale juive, ce livre expliqueque lHomme est au centre delUnivers. En rapprochant desconcepts cosmologiques ceux

    de la Kabbale, la science et la traditionreligieuse peuvent dialoguer. En tentant derinventer une mythologie capable dentranscender le sens pour redonner lhommesa vraie place dans lunivers.

    A LIRE

  • ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences 17

    Aprs avoir investi le monde de la physique et de la chimie, la physique quan-tique sest empare prsent de celui de la biologie, qui a longtemps eu unevision trop matrialiste du vivant et se trouve de nos jours dans la quasi-obli-gation de remettre en cause celle-ci.La biologie molculaire, ne en 1953 avec la dcouverte de la double hlice dADNpar James D. Watson (1) et Francis Crick (2), commence admettre lexistence deproprits quantiques. Certains envisagent la ralit dun cerveau quantique et attri-buent des comportements quantiques aux vsicules synaptiques : petites saccules quicontiennent et librent les neuromdiateurs (molcules scrtes dans les neurones etchanges entre eux, responsables de nos humeurs). Cette libration dpend des pro-prits quantiques des vsicules synaptiques et nous conduit envisager une psy-chologie quantique. Cest cette ide que le dcouvreur de ces neuromdiateurs, leprix Nobel de mdecine Sir John Eccles (3), a dveloppe jusqu sa mort. Dans sonouvrage de 1992 volution du cerveau et cration de la conscience, (4) il crit : Nousproposons dadmettre que la concentration mentale quaccompagne une intention ouune pense mthodique, peut produire des vnements neuronaux par lintermdiairedun processus qui est analogue au champ de la mcanique quantique.Introduisons maintenant les bases fondamentales de cette physique qui, par certainsaspects, peut paratre magique !

    La mcanique quantique est ne il y a plus dun sicleLa mcanique quantique a dj plus dun sicle. En avril 1900, Lord Kelvin (5), grandphysico-chimiste de lpoque, dclara : La connaissance en physique est comparable un immense ciel bleu lhorizon duquel subsistent seulement deux petits nuageset il ajouta : part ces deux petits nuages, nous avons tout compris des phnomnesthermodynamiques et lumineux. Malheureusement pour lui, quelques mois plus tard,un de ces petits nuages engendra un orage titanesque, le beau ciel bleu sobscurcit etle bel difice de la physique classique se fissura et accoucha dune nouvelle physique :la thorie des quanta (6), qui deviendra par la suite la physique quantique. Cinq ansplus tard, le deuxime nuage ouvrit la voie une nouvelle branche de la physique : larelativit restreinte dAlbert Einstein. Mais quest-ce qui diffrencie ces deux physiques, celle dite classique et celle ditequantique ?

    Par Philippe BOBOLADocteur en physique et biologiste, charg de cours en Ethnomdecine l'Universit du Kremlin Bictre (Paris).Un scientifique qui rconcilie science etspiritualit dans la profondeur et la joie.Il anime des formations pour mieuxcomprendre "la nature intime du Temps","le langage de lUnivers," et" lesconsquences sur lhomme dune absenceou dune rupture de reliance"indispensable son quilibre.http://www.philippebobola.fr/

    La vie serait-elle quantique ?La physique quantique a boulevers non seulement notre monde quotidien, en permettantlapparition dimportantes inventions telles que les transistors, les lasers, les ordinateurspour ne citer que les plus connus, mais elle a galement et incontestablement renouvelnos horizons et introduit de nouveaux modes de pense. ce titre, elle nintresse pas simplement les physiciens, elle est une invitation revisiternotre propre rapport au monde, en effectuant un changement de paradigme.

    Sciences

  • 18

    A Les points essentiels de la physique classique

    Lunivers de NewtonLa physique classique naquit avec Isaac Newton, figure emblmatique de la science. En 1666, ildcouvrit et mathmatisa la premire des forces de la physique : la force dattraction ou force degravitation : la matire attire la matire. Reprenant les travaux de Kepler (7) et de Galile (8), New-ton tendit cette force gravitationnelle aux mouvements des plantes. Cest la mme force gravita-tionnelle qui dicte la chute dune pomme dans un verger, la rotation de la lune autour de la terreElle est la colle de lunivers, responsable de la formation des plantes, des toiles partir dunnuage interstellaire, de la cohsion des galaxies, des amas de galaxies Par la suite, la physique classique senrichit de deux autres forces : la force lectrique et la forcemagntique qui peuvent tre rpulsives ou attractives.

    Les postulats de Newton Le monde de Newton repose sur les points suivants :1. Lunivers est conu comme une machine gante, une sorte dimmense horlogerie o la gravi-tation remplace les engrenages. Lembtant, nous dit Voltaire, quand on considre lunivers de cettefaon, cest quil faut concevoir lexistence de lhorloger !2. Lunivers newtonien existe dans un cadre despace et de temps absolus : en physique classique,on considre un temps et un espace absolus. En 1905, Albert Einstein dcouvrit la relativit res-treinte : quand un objet se dplace trs vite, le temps propre de cet objet scoule plus lentementque le temps propre dun observateur immobile et ses dimensions sont modifies. On abandonnaalors la notion de temps et despace absolus, pour aborder la notion de temps et despace relatifs,dans lesquels lespace et le temps ne sont plus sparables mais forment un continuum spatio-tem-

    porel. La physique de Newton doit donc tre adapte auxgrandes vitesses.3. Tout mouvement possde une cause : si un corps estdot de mouvement, on peut toujours comprendre ce quien est lorigine. On parle de la loi de cause et deffet.Cette loi implique un dcalage temporel entre cause eteffet, de telle sorte quon ne peut avoir leffet avant lacause.4. Lunivers newtonien est dterministe : en physiqueclassique, on peut absolument prvoir les trajectoires etpoints daboutissement de tout objet matriel (atomes, mo-lcules, plantes). On appelle cela le Dmon de Laplace(9) : Une intelligence qui, un instant donn, connatraittoutes les forces dont la nature est anime et la situationrespective des tres qui la composent, embrasserait dansla mme formule les mouvements des plus grands corpsde lunivers et ceux du plus lger atome ; rien ne serait in-certain pour elle, et lavenir, comme le pass, serait prsent ses yeux. Selon ce dterminisme, une crature quiconnatrait la position initiale et la trajectoire de tous lesatomes, pourrait chaque instant en dduire le devenir. LeRomantisme refusa ce monde dterministe, prfrant lemonde passionnel imprvisible !

    Lunivers est conu commeune machine gante, unesorte dimmense horlogerieo la gravitation remplaceles engrenages.

  • 19ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences

    5. Les proprits de la lumire : elles sontentirement dcrites par une thorie ondu-latoire, due au physicien et mathmaticiencossais James Clerk Maxwell (10) en1865. Dans son approche, la lumire est lasynthse du monde de llectricit et dumonde magntique, et devient une ondelectromagntique se propageant environ300.000 km/seconde (vitesse de la lumire).6. Lnergie ondulatoire ou particulaire :soit elle est issue du mouvement de parti-cules reprsentes par des sphres impn-trables telles des boules de billard ; soit elleest envisage comme une onde, une vaguequi dferle sur le rivage la surface delocan. Ces deux modles sexcluent mu-tuellement, lnergie est soit ondulatoire,soit particulaire !

    7. La mesure des proprits dun systme : dans lunivers de Newton, il est possible de mesurer nimporte quel degr dexactitude les proprits dun systme comme sa temprature ou sa vitesse.La limitation de lexactitude de nos mesures vient de celle de nos instruments ! Cet univers newto-nien bien born ne put cependant tre appliqu au monde atomique sans corrections drastiques.Cest ce que dcouvrit fortuitement en 1900 le physicien allemand Max Planck (11).

    B La mcanique quantique, prolongement de la physique classique1. La dcouverte dun monde discontinuEn 1900, avec lapparition de la physique quantique, les thories de la physique classique scrou-lrent ! La mcanique quantique nest pas la ngation de la physique classique newtonienne, elleen est le prolongement. Le thermodynamicien Max Planck tudia comment un corps chauff met de la chaleur. Une barrede fer chauffe devient rouge aux alentours de 600C, blanche vers 2000 C, et bleue au-del, etmet des quantits de chaleur propre chaque temprature. Max Planck tudia un four spcial, enforme de sphre creuse, perce dun trou minuscule. Tout rayonnement qui entre par ce trou taitabsorb par le noir du four et ntait pas rmis, do le nom de corps noir donn ce four.Chauff, le corps noir met par le trou un rayonnement, dont la couleur dpend de la tempratureintrieure. La chaleur est une onde qui se caractrise par une succession de creux et de sommets.Plus le corps noir devient chaud, plus la longueur donde (distance mesure entre deux sommets)du rayonnement mis devient courte. Dans la gamme des courtes longueurs dondes ultraviolettes(UV) mises par le corps noir, on observe une anomalie appele par le physicien Paul Ehrenfest(12) catastrophe ultraviolette. Cette anomalie sexplique selon Planck par une mission discon-tinue des atomes constitutifs du corps noir qui ne peuvent mettre quun nombre entier de petitspaquets dnergie E appele quantum, qui signifie combien et que lon retrouve dans le motquantit. Ainsi naquirent les fondements de ce qui deviendra plus tard la physique quantique.Les grandeurs quantifies (discrtes ou encore discontinues), servent dcrire les interactionsentre la matire et la lumire. Par exemple, la vitesse dun atome est discontinue et se fait parsauts. Si les sauts sont rguliers on parlera de grandeur quantifie. Il y a donc des vitesses interditesen dehors de cette progression.

    Les proprits de la lumiresont entirement dcritespar une thorie ondulatoire,due au physicien etmathmaticien cossaisJames Clerk Maxwell en1865.

  • 2. La matire, onde et corpusculeUn atome possde une double nature : il est la fois onde et corpuscule.On met en relation deux qualits compltement opposes : la matireest substantielle, limite, parfois au repos et londe est immatrielle, in-finie, toujours en mouvement. Ces deux qualits opposes, de finitudeet dinfinitude, de repos et de mouvement, de limit et dillimit, sontassocies. Cette double nature atomique envisage thoriquement parLouis de Broglie (13) en 1924 fut appele dualit onde-corpuscule.Latome, llectron, le proton, le neutron et mme certaines molcules(assemblages datomes), sont anims de cette double nature.3. La lumire : onde ou corpuscule ?La lumire est tour tour onde ou corpuscule : soit elle se montre sousses habits de lumire, soit sous ses habits de matire. Mais elle napparatjamais simultanment dans ses deux aspects. Cette dcouverte est unevritable rvolution. Le prix Nobel Niels Bohr (14) rsuma le comporte-ment de la lumire comme suit : la lumire est le complment de lamatire et la matire est le complment de la lumire.Ainsi, ce qui se dgage de la philosophie de la mcanique quantique estque les opposs ne sont pas contradictoires mais complmentaires. 4. Les ingalits de Heisenberg En 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg (15) dmontra queles grandeurs, positions et vitesses des atomes taient incompatibles.Dans le monde des particules, on ne peut pas mesurer simultanment etavec la mme prcision, leur position et leur vitesse. Cest lune oulautre ; si lon cherche mesurer prcisment la vitesse dune particule,sa position sera incertaine et si lon cherche faire de mme pour sa po-sition, sa vitesse sera incertaine galement ! Cette incompatibilit estrgie par une relation appele ingalit de Heisenberg.La notion de trajectoire, chre la physique classique, est remplace par lanotion dune prsence probable et non certaine. Si lon est oblig de trouverun compromis entre une prcision sur la position et une prcision sur lavitesse, cela veut dire que le repos nest pas possible, il y a toujours unmouvement minimaliste de fluctuation, de la vitesse ou de la position dela particule. Le repos ternel dans le monde des particules nexiste pas !5. Lintrication Deux photons qui ont t en contact continuent interagir lun avec lau-tre, quelle que soit la distance qui les spare. Ce phnomne est appelintrication et est plus connu sous le nom de paradoxe E.P.R du nomdes trois physiciens Einstein, Podolsky et Rosen (16). Lexprience duphysicien Alain Aspect confirme ce paradoxe avec deux photons issusdune mme source et placs une distance de 13 mtres lun de lautre.Si lon modifie ltat du photon A, il faudra 20 milliardimes de secondepour quil y ait une action sur le photon B, cest--dire un change din-formation entre eux, soit deux fois plus rapide que la vitesse limite de lalumire de 300.000 km/seconde ! Ceci contredit la relativit restreintedEinstein qui interdit une vitesse lumineuse suprieure ! une distancede 11 kms, la vitesse dchange dinformations entre les deux photons

    PHILOSOPHIEDE LA MCANIQUE QUANTIQUEJean BRiCMONT et Herv ZWiRNditions Vuibert, coll Philosophie des sciences,113 pages, 16

    Cet ouvrage, qui sadresse aux non-spcialistes, rassemble deuxconfrences de la Socit de philo -sophie des sciences (SPS), donnespar deux physiciens et philo sophes.Il expose les concepts et principesde la mcanique quantique ainsique les problmes qui endcoulent. Suit un expos pour

    construire un modle mobilisant partiel -lement le formalisme quantique pour dcrireune situation dincertitude initiale et lesdcisions quelle rend possibles. BernarddEspagnat (physicien) et Bernard Walliser(conomiste) posent des questions HervZwirn sur le contenu de son expos.

    PENSER LVOLUTIONHerv LE GUYADERActes Sud/ditions Imprimerie nationale, 542 pages, 30

    La notion dvolution a commenc prendre son sens avec larrive deDarwin au XIXe sicle, rvolution nantles conceptions crationnistes delglise. Mais il faudra encoreattendre un demi-sicle pour que labiologie volutive et la thoriesynthtique apparaissent et dfi -nis sent de faon plus prcise un

    cadre complexe mais cohrent de lvolution.Pourtant, ses concepts les plus lmentaires etles plus fondamentaux demeurent des objetsde controverses et de contresens brutaux.Lauteur, gnticien, dveloppe une passion -nante leon dhistoire et de philosophie dessciences et claircit les concepts cls de labiologie volutive comme molculaire. Devantdformations et idologies, le bon cheminreste dapprofondir la science, mthodi -quement, et modestement.

    A LIRE

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  • 21ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences

    est de dix millions de fois plus rapide que la vitesse de la lumire ! Et elle peut devenir infinie pourdes distances suprieures. Leffet sur le photon B apparat, sans quil y ait le temps de propagationde linformation provenant du photon A ! Cette proprit, sans doute la plus surprenante de la m-canique quantique, met en vidence une reliance inconteste dans le monde microscopique. On estcontraint de renoncer la sparabilit et lUnivers devient un Tout insparable qui rend impossibletoute dcomposition en sous-systmes. Pousser lextrme cette proprit dintrication permetdenvisager que tous les atomes de lunivers, ns du Big-Bang, et qui ont t en relation ds leurcration dans un espace et un temps, seraient donc toujours ventuellement en lien avec nos propresatomes !6. Observateur et objet observEn physique quantique, lacte de mesurer engendre une perturbation : si lon veut mesurer avecprcision la vitesse dune particule, on entrane inluctablement une expansion spatiale et donc uneperturbation du systme. Dautre part, dans une approche non relativiste, on ne peut plus sparerlobservateur, participant qui fait la mesure, de lobjet de sa mesure, lobservable. En physiquequantique, on dduit cette perturbation dune proprit de lquation de Schrdinger (17). Cetteproprit se nomme principe de superposition : en mathmatique lmentaire, une quation admetune ou plusieurs solutions. En physique quantique, lquation de Schrdinger admet aussi plusieurssolutions, mais la somme de ces solutions est encore solution. Les solutions de lquation deSchrdinger dcrivent les tats dun atome (nergie, vitesse, position, moment cintique). Enphysique classique, latome ne pourra occuper quune position la fois. En physique quantique, unatome peut se trouver simultanment plusieurs endroits. Il est donc multi-localis. Cette multi-lo-calisation sappelle tats potentiels. Ici on parle de positions potentielles ou dtats superpossou encore de superposition quantique.

    En mcanique quantique, avant la mesure,toutes les positions potentielles sont au-torises et aprs la mesure, une seule dentreelles est rcolte. Lacte de mesurer consistedonc passer de ces tats potentiels ou tatssuperposs un seul, appel mesure ou r-duction de la fonction dondes. Mesurer estdonc bien perturber. Certains physicienscomme Eugne Wigner envisagent mmeque ce puisse tre la conscience qui serait im-plique dans le passage des potentialits lamesure. La physique quantique est une physique par-ticipative et, en ce sens, elle nous respon -sabilise, puisque lon ne peut plus faireabstraction de la part de lexprimentateurdans le rsultat de son exprimentation. Laphysique classique au contraire, par ses qua-tions, exclut de fait cette participation.

    7. Latome, un monde de potentialitsLe portrait qui se dgage de latome est davantage un monde de potentialits quun monde de faitsou de choses. Finalement, quest-ce que la ralit si ce nest soumettre la nature nos mthodesdinvestigation, sachant que cette ralit ne sera quune des formes possibles rvles par notre in-teraction ?

    Le portrait qui se dgage delatome est davantage unmonde de potentialitsquun monde de faits ou dechoses.

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    La philosophie de la mesure qui se dgage de la mcanique quantique, nous donne entre autres unclairage sur le concept du Noun des gyptiens antiques. Ce Noun est une sorte de soupe primordialequi prcde la naissance du monde. Cest un monde de potentialits, une proto-matire avant lamatire, un informel avant la forme. Cet tat o tout nest quun possible inexistant ou potentiel,est dit Noun passif. Lorsquil devient actif, le potentiel devient ralit, la proto-matire devientmatire, et de linformel nat la forme. Cela ne ressemble-t-il pas trangement la rduction de lafonction dondes ?8. Ltrange vide de latome Ne en Grce il y a presque vingt-cinq sicles, lhypothse de latome est lorigine une propositionde quelques philosophes en qute des fondements ultimes de la matire. Parmi eux, Dmocrite (18)lve de Leucippe, admit lexistence dune particule de matire ne pouvant tre scinde en deux.Cet ultime constituant matriel fut alors appel atome ce qui signifie en grec ancien indivisible.La physique quantique a dcouvert que latome contenait des particules charges ngativement(lectrons) et en son centre, un noyau atomique (zone positive extrmement dense et petite) conte-nant des particules charges positivement (protons) et des neutrons (particules sans charge). Entournant autour du noyau, les lectrons mettent un rayonnement lectromagntique, perdent delnergie et immanquablement doivent finir par scraser sur lui ! Latome na alors aucune stabilit. En 1913 Niels Bohr proposa un premier modle atomique stable : llectron nmet aucune nergie(onde lectromagntique) lorsquil tourne sur une orbite stable (ou orbite stationnaire). la suitedun choc ou dune interaction avec un photon, il peut passer dun tat stationnaire initial dnergie un autre tat dnergie suprieure. Ce saut ncessite labsorption dune nergie suffisante qui cor-respond la diffrence entre les deux nergies. Un tel transfert dnergie sappelle absorption.

    Llectron excit, en retrouvant sa position initiale, metla mme quantit de rayonnement lectromagntique(mission) que celle qui lavait propuls au niveau sup-rieur. Le phnomne dmission atomique induit par leschocs est lorigine de lmission de lumire. Actuelle-ment les physiciens supposent que protons et neutrons sontconstitus de quarks, particules lmentaires encore pluspetites. Mais la grande surprise des physiciens est la dcouvertedu vide 99,9999999999 % de latome ! Si lon enlevaittout le vide des atomes qui nous constitue, lensemble delhumanit tiendrait dans un d coudre ! En physiqueclassique, le vide est labsence de matire, alors que dansla physique quantique, ce vide est un vide plein de par-ticules tranges appeles antimatire. chaque particulematrielle est associe une particule anti-matrielle. Dansle vide, il existe une centaine de ces couples matire an-timatire, qui se matrialisent spontanment, sannihilentaussitt, crs pour donner de la lumire, et cette mmelumire redonne les couples particules/antiparticules, qui

    sannihileront nouveau. Ces particules ayant une dure de vie ultra-courte (de lordre du millio-nime de milliardime de milliardime de seconde), on parle de particules virtuelles. Le vide est donc le sige dune transmutation lumire - matire ddouble, et matire - lumire d-double, vritable danse nergtique, mouvement perptuel depuis les premiers instants de la Cra-tion. Sans cette danse latome serait instable. Le vide peut tre peru comme un ocan de particules

    En physique classique, levide est labsence dematire, alors que dans laphysique quantique, ce videest un vide plein departicules trangesappeles antimatire.

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    virtuelles, il porte en lui les potentialits de toutes les naissances, il est un tat latent de la ralit.Il nexiste donc pas ! Le vide quantique est lillustration parfaite du Noun. La matire est en quelquesorte le dernier masque du vide.

    C La biologie quantiqueLarrive de llectronique molculaire et des nanotechno-logies a conduit la construction de circuits lectriques dela taille des molcules et des cellules vivantes. Le mondede llectronique, rgi par la mcanique quantique, a imposdune certaine faon lobligation des biologistes de sint-resser aux aspects quantiques de la vie, et une alliance com-mence soprer entre la biologie et la physique quantique lexemple de la photosynthse.

    La photosynthse et la structure de lADN revuespar la mcanique quantiqueCe processus propre aux plantes leur permet de transformerla lumire solaire en matire organique. Leau (H2O) du solest capte par les racines de la plante, et le gaz carbonique(CO2) par ses feuilles. La lumire solaire capte par une

    molcule contenue dans les feuilles, la chlorophylle, fournit lnergie ncessaire pour que H2O etCO2 ragissent entre eux et produisent de la matire organique comme la cellulose, sucre essentielchez la plante. La photosynthse a un rendement lev suprieur 95% alors que le rendement desmachines thermiques construites par lhomme ne peut pas dpasser thoriquement les 20% ! Cestle rendement de Carnot. On justifie un tel rendement par le concept de superposition quantique,que Graham Fming (19) et son quipe dcouvrirent Berkeley en 2007, dans la biologie vgtale.Ils isolrent une protine appele FMO (Fenna-Matthews-Olson), prsente chez certaines bactries(bactrie sulfureuse marine, chlorobium tepidum) et qui contient sept molcules de chlorophylle.Ils la soumirent, laide dun laser femtoseconde (10-15 seconde), des impulsions lumineuses quicrrent un courant lectrique. Ils constatrent avec tonnement que ce courant empruntait, pourtraverser la protine, non pas un seul chemin comme en physique classique, mais plusieurs cheminssimultanment, ce qui explique la grande rentabilit de la photosynthse. Une basse temprature (-196C), peu favorable la vie, a t ncessaire dans cette exprimentation. La mme expriencefut ralise en 2010 par Greg Scholes Toronto, en excitant deux protines appeles Antenna, pr-sentes chez deux algues unicellulaires (Chroomonas et Rhodomonas), comportant huit molculesphotosensibles. Il constata le mme phnomne quantique avec une dure plus longue que celle attendue : prs de 400 femtosecondes. lisabeth Reiper et ses collgues du Centre des technologies quantiques de Singapour, firent appel lintrication quantique pour justifier la forme en double hlice de lADN. Cette mme intricationserait lorigine du sens de lorientation des oiseaux migrateurs.

    De lenzymologie la conscience En biologie les enzymes (protines) acclrent considrablement de 106 (1 million) 1012 (1 millionde millions de millions) de fois la vitesse de transformation des ractifs en produits. Leur extraor-dinaire ractivit sexplique en partie laide dune proprit quantique : leffet tunnel. Cet effetpermet une transition entre deux tats spars par un obstacle appel barrire de potentiel. Enphysique classique, si la particule na pas une nergie suffisante, elle ne peut pas passer cette

    La lumire solaire captepar une molcule contenuedans les feuilles, lachlorophylle, fournitlnergie ncessaire pourque H2O et CO2 ragissententre eux et produisent de lamatire organique commela cellulose, sucre essentielchez la plante.

  • barrire. En physique quantique, mme sans nergie suffisante, elle a la possibilit de la passer. Ceteffet tunnel est facilit grce la dimension ondulatoire de toute particule. Ce mme effet tunnel,selon Lucas Turin, biophysicien du Collge universitaire de Londres, serait lorigine de lolfaction.Les proprits quantiques de superposition dtats, de dualit onde-corpuscule, deffet tunnel, din-galits de Heisenberg, et mme un tat particulier de la matire, appel Condensat de Bose Ein-stein, font leur apparition dans la comprhension des fonctions cognitives du cerveau. Ce condensatfut confirm exprimentalement en 1995 par E. Cornell et C.Wieman. Il correspond au fait quungrand nombre de particules, une temprature donne, occupe un unique tat quantique. Intervenantdans le cytosquelette des neurones (une sorte de squelette molculaire contenu lintrieur des cel-lules neuronales), il expliquerait la conscience. Ces travaux donnent lieu des polmiques la fois de la part des physiciens mais aussi de celle dessciences cognitives, mais toujours est-il que lapproche quantique du cerveau, de la mmoire, delolfaction, de la conscience, investit de plus en plus lespace de la neurophysiologie. Un change-ment de paradigme se profile lhorizon des sciences neuronales. Il serait en effet trange que levivant, avec ses 3,5 milliards dannes dvolution, ne tire pas profit des proprits quantiques dela matire !Il est esprer que le regard des biologistes soit tout aussi empreint dmerveillement que la tcelui des physiciens. Comme la dit Niels Bohr : Si un homme nest pas pris de vertige quand ilapprend la mcanique quantique, cest quil na rien compris !. Je fus et suis encore et toujours pris de vertige lorsque je me penche sur cette discipline qui satisfaitma rigueur et enchante ma posie

    NOTES

    (1) James Dewey Watson (n en 1928), gnticien, biochimiste amricain co-dcouvreur de la structure de lADN

    (2) Francis Harry Compton Crick (1916-2004), biologiste britannique co-dcouvreur de la structure de lADN

    (3) Sir John Carew Eccles (1930-1997), neurophysiologiste australien qui a effectu des travaux sur les synapses

    (4) Paru en 1993 aux ditions Flammarion

    (5) William Thomson, appel Lord Kelvin (1824-1907), physicien britannique dorigine irlandaise, reconnu pourses travaux en thermodynamique

    (6) Du latin quantum, quantit finie et dtermine

    (7) Johannes Kepler (1571-1630), astronome allemand clbre pour avoir tudi lhypothse de lhliocentrisme(la Terre tourne autour du Soleil) et dcouvert que les plantes tournaient en suivant des trajectoires elliptiques

    (8) Mathmaticien, gomtre, physicien et astronome italien (1564-1642)

    (9) Lexpression dmon de Laplace, aussi parfois appel gnie de Laplace : exprience de pense proposepar Laplace pour illustrer son interprtation du dterminisme

    (10) James Clerck Maxwell (1831-1879), physicien et mathmaticien cossais qui labora un modle unifi dellectromagntisme

    (11) Max Planck (1858-1947), physicien allemand, lun des fondateurs de la mcanique quantique et de la thoriedes quanta

    (12) Physicien thoricien autrichien (1880-1933)

    (13) Louis-Victor de Broglie (1892-1987), mathmaticien et physicien franais ayant dcouvert la nature ondulatoiredes lectrons

    (14) Niels Henrik David Bohr (1885-1962), physicien danois connu pour son apport ldification de la mcaniquequantique

    (15) Werner Karl Heisenberg (1901-1976), physicien allemand, un des crateurs de la mcanique quantique

    (16) Boris Podolsky (1896-1966), physicien amricain dorigine russe et Nathan Rosen (1909-1995) physicienamricain ; ils ont collabor avec Albert Einstein linterprtation de la mcanique quantique, auteurs du paradoxeE.P.R.

    (17) Erwin Rudolf Joseph Alexander Schrdinger (1887-1961), physicien et thoricien autrichien, auteur de lqua-tion de Schrdinger et de lexprience de pense du clbre chat de Schrdinger

    (18) Dmocrite (- 460 av. J.-C. - 370 av. J.-C.), philosophe grec prsocratique, disciple de Leucippe (- 433 av.J.-C.). Dmocrite tait convaincu que lunivers tait constitu datomes et de vide. Considr comme linventeurde latomisme

    (19) Graham R. Fleming (n en 1949), chimiste amricain spcialis dans les biosciences

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  • ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Sciences 25ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Philosophie

    PHILOSOPHIEDans quelle ralit se situe lhomme ?Que savons-nous de la ralit ? Par Fernand SCHWARZ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .26

    Notre existence a-t-elle un sens ? Par Jean STAUNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35

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    Depuis lAntiquit, les Anciens croyaient vivre dans un monde vivant, fluide, poss-dant une richess exceptionnelle de formes , en tat vibratoire, en changement et enrenaissance permanents. Rien selon eux ntait isol, cloisonn ou fragment. Chacunedes parties tait relie aux autres et en interdpendance avec le Tout. Il y avait unequte, visant trouver des rapports harmonieux avec soi, avec les autres, avec la Na-ture et lUnivers. La finalit des sciences, des cultures et des civilisations tait dac-qurir des connaissances afin de rendre comprhensible la vie humaine et delharmoniser avec les grandes forces de la Nature et leur pouvoir transcendant.Sciences, spiritualit et culture taient ainsi associes. On retrouve cette philosophienotamment dans le tao en Chine, dans la philosophie socratique, la pense celte etamrindienne et dautres traditions encore. Cest ce que lon appelle le paradigme (1)des civilisations anciennes ou traditionnelles.

    La rupture partir du XVIe sicle, une srie de ruptures sopra. Nicolas Copernic (2) proclamadabord que la Terre ntait plus le centre du monde, comme lavait prtendu Ptolme(3). Dsormais ctait le Soleil qui devenait le centre de lUnivers et la Terre ntaitplus quune simple plante. Cette nouvelle thse engendra une rupture entre lgliseet la Science. Ainsi, lglise cessa de dicter les valeurs et les enseignements la socitet la science prit le relais. Le mathmaticien, physicien et philosophe franais Ren Descartes (1596-1650) in-troduisit ensuite une nouvelle sparation en philosophie en affirmant que le mentaltait spar du corps (Je pense, donc je suis). Et lHumanit se spara de la Nature. Le philosophe anglais Francis Bacon (1596-1626), lun des pionniers de la pensescientifique moderne, mit lide quil fallait asservir la Nature pour la mettre au ser-vice de lhomme.

    La vision mcaniciste de lUniversEnfin au XVIIIe sicle, Isaac Newton (4) labora la thorie de la gravitation universelleet nona un nouveau paradigme selon lequel lunivers tait une machine, une mca-nique qui fonctionnait comme une horloge et cette thorie mcaniciste influena pro-fondment et dfinitivement la science moderne. La matire tait corpusculaire et toutce qui tait lintrieur de ce monde pouvait tre rduit des schmas mcaniques, ycompris ltre humain. Tout tait prdictible, commencer par la position des toilesdans le ciel, les objets, les vnements, les connaissances et le futur. Les lois de laNature taient donc compltement dtermines et dterminaient le monde. Lhommenavait donc qu se laisser vivre et sa marge de libert et de manuvre dans le mondetait pour ainsi dire faible ou nulle.

    Par Fernand SCHWARZPhilosophe, crivain, Fernand Schwarzconsacre sa vie l'approchephilosophique de la spiritualit, traversla recherche et l'enseignement del'anthropologie et des sciences del'homme.http://www.fernand.schwarz.free.fr/

    Que savons-nous de la ralit ?Les dcouvertes ralises au XXe sicle en physique, astrophysique et biologie remettenten question la vision dterministe et mcaniciste du monde qui sest impose de faonuniverselle pendant plusieurs sicles. Que savons-nous de la ralit?

    Philosophie

  • Au XIXe sicle, lpoque de lre industrielle, cette vision mcaniciste et rductrice du mondesappliqua avec lessor des machines. Le monde, en dehors de notre mental, ntait que de la matiresans vie qui agissait selon des lois prdictibles, mcaniques et dpourvues de toute dimension spi-rituelle. On spara donc la nature vivante qui nous soutenait, du reste. Thomas Kuhn (5), grand chercheur de la philosophie de la science, prcisa que la science tait unparadigme en ce qui concerne la comprhension de la nature, de lunivers mais galement de la so-cit. Le monde scientifique mit un modle de ralit qui devait tre partag par tous. Ce derniergnra des valeurs dans les socits dites modernes, dicta ce qui tait vrai ou faux, comme lavaitfait auparavant lglise. La science fit donc pression comme nimporte quel groupe ou lobby, agis-sant dans un sens ou dans un autre, en fonction du paradigme quelle dfendait. Mme les scienti-fiques furent obligs de se plier ses rgles. Aujourdhui encore, beaucoup de chercheurs ne peuventpas faire de recherches par manque de crdits mais surtout parce que leurs recherches doivent allerdans le sens de ce qui est demand ou correspondre une opinion gnrale. Le biologiste anglaisRupert Sheldrake (6) reconnat avoir subi des pressions parce que ses recherches affectent la concep-tion communment admise de la vision sociale du monde. Ses recherches ne sont enseignes luni-versit de Cambridge que depuis cinq ou six ans ! Il a expliqu que les physiciens et astrophysicienstaient tout fait libres dnoncer leurs thories lorsquelles ne touchaient ni ne modifiaient la viequotidienne, mais pour celles qui concernaient la vie quotidienne, il y avait une norme pression. Aujourdhui la vision mcaniciste est dpasse mais la socit et les individus continuent penseret agir selon lancien paradigme. La politique, la psychologie et beaucoup de domaines de connais-sances sont encore orients par la vision mcaniciste. Cest pour cette raison que lcart se creusede plus en plus entre la science et les citoyens. Cette dichotomie sapplique galement la faondont la ralit est apprhende.

    Le monde sensible et la ralit voile Quest-ce que la ralit ? La premire rponsequi a t trouve est ce qui est. Mais com-ment dfinir ce qui est ? Et, par extension,comment dfinir lhomme sil ne sait pas quiil est ? Pour trouver une rponse, il faut aller au-deldes apparences.Au sens le plus restreint, ce qui est est laralit sensible, cest--dire ce qui empirique-ment et matriellement est observable. Maisdans beaucoup de cas, ce qui est ne se r-duit pas ce que lon voit. En effet, un objetest rempli de matire solide et homogne. Enralit, il contient peu de matire et renfermeune grande quantit de vide. Pour la thorie

    mcaniciste, le vide ou le nant est labsence de qualit : le rien face au plein et au Tout. Pour lesphysiciens quantiques, plus on descend au stade de la micro-chelle et de linfiniment petit, moinson trouve de matire, et un moment donn, il ny a plus que de lnergie, un grand champ dnergieque notre perception nous fait voir comme du vide ! Cest difficile concevoir et drangeant pournotre raison mais cest pourtant vrai ! De mme, nous pensons que le contour de lobjet est parfai-tement dlimit, alors quen ralit, il y a de la matire qui en a franchi le seuil. Tout semble sparalors quen ralit il nen est rien.

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    Quest-ce que la ralit ? La premire rponse qui at trouve est ce qui est.Mais comment dfinir ce quiest ? Et, par extension,comment dfinir lhommesil ne sait pas qui il est ?

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    La meilleure dfinition de la ralit serait de dire que cest ce qui se trouve derrire les apparences,que ce soit une chelle microcospique (de linfiniment petit) ou macroscopique (de linfinimentgrand). Le physicien franais Bernard dEspagnat voque une ralit voile.

    Les diffrents plans de la ralitIl existe diffrents niveaux de ralit et tous ces niveaux de ralit sont bien rels. lchelle humaine, la thorie de Newton fonctionne trs bien pour faire des calculs simples. Ellene fonctionnera pas pour envoyer une fuse sur la Lune par exemple. Davantage de paramtres en-trent en ligne de compte et lespace est courbe et non droit (ce que lil nu ne peut voir). Par contre,la thorie de la relativit donne des rsultats intressants pour linfiniment grand et la macro-chelle.Au niveau de linfiniment petit, du microscopique, des microparticules, de la substance, la relativitne peut sappliquer. Il faut recourir la physique quantique. En fonction dun niveau et dune chelle, on peut utiliser des logiques diffrentes et des mthodesdistinctes, mais elles ne sont pas transposables dun plan un autre et pourtant elles sont toutesvraies. Il faut donc sadapter au niveau de ralit que lon veut observer et acqurir la logique et lapense correspondantes. Le problme est que nous avons t habitus pratiquer une logique li-naire et mcaniciste dans laquelle A ne peut pas tre B et vice-versa.En changeant dchelle, de perspective, les ralits changent et la conscience peut alors participerde plusieurs ralits la fois, en crant dans lesprit des catgories diffrentes, permettant de conce-voir des niveaux diffrents de lexistence.

    Le principe de superpositionEn physique quantique, il existe le principe de superposition. Les micro-particules peuvent sex-primer de plusieurs faons et leurs possibilits dexpression sont superposes. Par exemple, unatome peut tre une onde ou une particule. Ds que lon met en lumire lun des aspects, la super-position tombe, lobjet sexprime sur lun de ses aspects et nous croyons voir la totalit. Il en est demme pour ltre humain. La ralit est une unit indivisible mais nous la voyons fragmente. La philosophie, la spiritualit et la science convergent sur le fait quil faut dvelopper cette capacitde concevoir le Un et le multiple la fois, ce qui est une complte rvolution pour notre esprit etimplique de se montrer ouvert. La science peut tre un outil prcieux pour nous aider dpasser

    progressivement ces obstacles et percevoir lindivi-sible. Dans notre besoin de comprhension, il existe unordre implicite que nous rendons explicite. Mais lor-dre explicite que nous construisons avec notre espritnest jamais lensemble de lordre implicite. De l, lancessit de dvelopper notre sens de lobservationpour y inclure des facettes et options supplmentaireset largir notre comprhension et notre relation vis--vis de nous-mme et des autres. Nous devons modi-fier les capteurs qui nous permettent dapprhender laralit.

    Lillusion avec apparence de ralitDans la philosophie hindoue, le mot sanscrit maya explique la notion de ralit par lillusion avecapparence de ralit, cest--dire quelque chose qui nexiste probablement pas mais qui est seule-ment rel dans le plan des sens. Tout ce que nous apprhendons avec nos sens est rel mais chez les

    La ralit est une unitindivisible mais nous lavoyons fragmente. La philosophie, la spiritualitet la science convergent surle fait quil faut dveloppercette capacit de concevoirle Un et le multiple la fois

  • ACROPOLIS I Hors-srie n3 I Philosophie 29

    Hindous cest illusoire, cest Maya. Quand nous quittons lil-lusion, cest--dire lattachement un seul plan de ralit, cequi tait vrai ne lest plus. Ainsi, les philosophes orientauxconseillent de ne pas sattacher ce que nous croyons rel.Les illusions viennent de notre attachement aux choses et denotre dsir de voir le monde notre convenance, en fonctionde ce que nous sommes, de ce que nous choisissons dtre. Des physiciens et des biologistes utilisent encore lexemplede lallgorie du mythe de la caverne du philosophe grec Pla-ton (424/423 av. J.C - 348/347 av. J.C), pour illustrer la notionde ralit voile, qui nest pas la ralit des sens. Dans le livre VII de la Rpublique (7), Platon imagina unemise en scne, un peu comme au cinma. Il dcrivit une im-mense grotte avec une petite entre qui se dirigeait vers lesentrailles de la terre. Des hommes enchans y vivaient danslobscurit et regardaient le fond de la grotte, sorte dcrangant o se projetaient les ombres de ce qui se passait dehors.Ils pensaient que ce quils voyaient tait la ralit. Lun den-tre eux dcida de sortir de la caverne et de lillusion des pro-jections. Il se dtacha de ses chanes, sortit en rampant, seretrouva lextrieur, dut sadapter la lumire du jour (il vi-vait auparavant dans lobscurit) et se rendit compte que lasource de lumire tait le soleil (la ralit) et que les images

    ntaient que des projections (reflets). Lhistoire dit que cet homme, philanthrope, voulut revenirdans la caverne pour avertir les autres hommes quils ne voyaient que des projections, mais lesautres hommes enchans ne le crurent pas. Certains scientifiques eurent comme Platon des intuitions qui se transformrent ensuite en faits. Ilsarrivrent la conclusion suivante selon laquelle, pour saisir la ralit, il tait urgent de changer deparadigme, celui dun univers mcanique prdictible et dterministe. De ce fait, il devient de plusen plus difficile de pouvoir dire exactement et dfinitivement comment les choses sont. Pour le phi-losophe, ce problme nen est pas un car il accepte limpermanence, lincertitude et le mouvement.

    Le concept de csureJean Hamburger (1909-1992), grand scientifique et mdecin franais, proposa le concept de csure(8). En sciences, ce concept signifie que lon peut tudier un objet selon des mthodes scientifiquesdistinctes et prcises : par exemple, dun point de vue conomique, psychologique, physique oumathmatique. Chacune de ces approches est srieuse, chacune dentre elles a un protocole parti-culier et donne une reprsentation diffrente du mme sujet. Chacune des rponses sera vraie maisnon superposable cause des carts dans les rsultats obtenus. Ces carts sappellent csures :ce sont des hiatus qui ne reprsentent pas la ralit dans sa totalit. On en revient alors lidedune ralit une et multiple la fois.Tout les thories que la science nous explique aujourdhui sont des approximations, des probabilitsincertaines de saisir la ralit. Ceci nest pas rassurant pour lhomme qui aime ce qui est clair etprcis.La science se doit donc dlargir constamment ses moyens dobservation, de prendre plus de dis-tance, de rintgrer de nouvelles superpositions dimages et de csure pour se rendre compte fina-lement que les choses peuvent tre totalement diffrentes. Cest le mme principe en philosophie.

    Des physiciens et desbiologistes utilisent encorelexemple de lallgorie dumythe de la caverne duphilosophe grec Platon pourillustrer la notion de ralitvoile, qui nest pas laralit des sens.

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    Le champ de probabilits

    Les particules subatomiques ne sont pas solides. Elles ont une nature duelle. En fonction de lob-servation, elles sont ondes (vague dnergie) ou particules. Elles sont lune ou lautre et elles sontles deux la fois. On se retrouve donc face un champ de probabilits.Selon la thorie de Max Planck (9), les lectrons sont dans une sorte dorbite autour du noyau maispeuvent changer de plan. Ils sont l et soudain ils peuvent changer dorbite ou de champ dnergie.Dans la logique mcaniciste linaire, il est possible dimaginer llectron prendre un taxi, se diriger un endroit, prendre lascenseur et changer dtage. En physique quantique, llectron change deplan sans route dfinie, pour rapparatre immdiatement l o il faut, sans que lon sache commentil y est arriv et comment il est parti ! Cela dpasse notre logique ! Les lectrons changent de positionpar saut quantique. La difficult est que lon ne peut pas dterminer quand ils vont sauter ni oils vont apparatre, mais ils sautent et ils apparaissent ; cela a t tudi par Erwin Schrdinger(10) : ce qui se passe nest pas dtermin en quoi que ce soit par rapport lunivers physique. Il ya simplement un faisceau de probabilits.

    Lincertitude et lalatoireCe constat amne envisager les concepts de lalatoire et de lincertitude. Lalatoire dmontrequil y a des vnements non prdictibles qui se produisent. On ne peut pas savoir quand ou com-ment un lectron passe dune orbite une autre mais il le fait. Latome est-il une particule ou uneonde ? Il est les deux. Il est une particule quand on applique des critres de mesure et dobservationde particule mais il nest plus une onde, et il est onde quand on applique les critres de mesure etdobservation dune onde, mais il nest plus une particule. Il est impossible de considrer latomedans sa ralit globale (onde et particule). On ne peut lenvisager que dans lun de ses aspects. Dans la logique mcaniciste, si lon regarde une bouteille se dplacer, on peut parfaitement calculerla vitesse de dplacement et sa position. Avec une particule subatomique, ce nest pas possible. Silon connat sa vitesse, lon ignore o elle se trouve et si lon sait o elle se trouve, lon ne connatpas sa vitesse. Il y a donc une incertitude et une indtermination permanentes pour connatre leschoses (leur position et leur vitesse). Or, cela est inconcevable pour notre pense dterministe !Lintrt de lindtermin, cest lalatoire. John Bell, physicien irlandais du XXe sicle (1928-1990) a dmontr que lon pouvait transfrersimultanment une information dune particule A vers une particule B, peu importe la distance, et

    ces deux changes se faisaient immdiatement sans le moin-dre problme. Dans la logique mcaniciste cest invraisem-blable mais dans le monde de linfiniment petit, cela seproduit tout le temps. lchelle microscopique, il ny apas de trajectoire, pas de notion despace ni de temps, pasde distance. Tout est inter-reli dans une globalit unifica-trice, dans une sorte de soupe quantique.

    Le rle de lobservateurCe qui est important nest pas ce que lon observe mais celuiqui observe. Beaucoup de phnomnes se produisent parce que lobser-vateur a induit une attention et une intention particulires.Si lattention et lintention changent, le phnomne observsera diffrent et le rsultat sera galement diffrent. Cestun fait reconnu aujourdhui.