revue littéraire passerelle vol2, n2

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Revue de littérature maghrébine au Québec

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Vol.2, N.1

Dans ce deuxiéme numéro de la Revue Littéraire Passerelle, qui

coincide avec les fêtes de la fin de l’année, nous accueillons avec

plaisir le prix Goncourt de la poésie 2009 octroyé au poète ma-

rocain Abdellatif Laâbi, le fondateur de la revue (Souffles) dans

les années 60. Ce prix courrone le cheminement extraordinaire

de ce poéte, resplendi dans un éternel chant de liberté, et qui a

embrasé toute une génération. Nous aborderons dans cette édi-

tion quelques extraits de ses poèmes.

Cette année a été marquée aussi par la disparition du grand

auteur et sociologue marocain Abdelkébir khatibi. Considéré

comme étant le premier à avoir soutenu une thése majeure sur la

littérature maghrébine d’expression francaise, cet auteur a laissé

une oeuvre prolifique à la postérité. Nous aborderons l’hom-

mage de Abdelmajid Benjelloun à ce grand homme de lettres.

En plus d’un essai de Saint John-Kauss sur l’anthropométrie ra-

ciale, nous présentons, à l’honneur dans cette edition, l’auteur

Khireddine Mourad , le poéte au “chant à l’indien”, avec un ex-

trait d’une étude de Thérése Benjelloun sur sa littérature.

Je vous souhaite le meilleur en ces temps des réjouissances, et

que l’année 2010 vous soit propice dans vos voeux les plus chers

et dans vos inspirations.

KAMAL BENKIRANE

ÉDITEUR

Sommaire -Édition en ligne Page 3 -Laâbi, prix Goncourt poésie 2009 Page 5 -Artistes, et diversité Quelles, perspectives? Page 12 -Anthropométrie et psy-chologie raciale Page 14 -Décés Abdelkébir khatibi Page 18 -Khireddine Mourad Page 30

ISSN: 1911-4427 Www.e-passerelle.ca [email protected]

REVUE LITTÉRAIRE PASSERELLE, VOL.2, N.2

Décembre 2009

ÉDITORIAL

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L ’ édition en ligne, La revolution numérique continueL ’ édition en ligne, La revolution numérique continueL ’ édition en ligne, La revolution numérique continueL ’ édition en ligne, La revolution numérique continue...

Un accès individuel, pour les particuliers, les chercheurs, les universitaires, ou plus généralement ceux qui souhaitent utiliser le fonds de l'Harmattan suivra rapidement, sous forme d'abonnement ou d'accès unique. Fruit de deux ans de travail et d'une politique engagée liée au numérique, le site offri-ra l'entièreté du fond numérisé des éditions, soit plus de 20.000 titres en ebooks, plus de 7.000 articles, ainsi que le catalogue complet de sa ililale l'Harmattan TV représen-tant environ 500 V.O.D et 500 programmes audios. Ce fonds sera augmenté de toutes les nouveautés au fur et à mesure, et très rapidement de ceux d'autres éditeurs. Fidèle à sa politique, entièrement financé sur ses ressources propres et sans aucune subven-tion des fonds publics, le coût global du projet est estimé à plus de 300.000 euros. Dans la continuité de la volonté de diffusion d'une culture accessible à tous, et dans tous les continents, d'une culture économiquement viable, l'Harmatheque veut se po-sitionner en tête dans la révolution numérique qui, voulue ou non voulue, souhaitable ou non souhaitable, est là. Notre priorité absolue est le droit à être édité, à la circula-tion des écrits et à la reconnaissance du travail des auteurs par une diffusion maxima-le, au-delà des frontières de l'espace francophone, au-delà des contraintes actuelles du monde du livre. L'Harmathèque en est un vecteur incontournable. Nous partons de l'apriori que nos auteurs souhaitent voir leur ouvrage diffusé au maximum. Les som-mes investies dans ce projet permettront à vos ouvrages d'être, nous en sommes sûrs, encore plus vus, encore plus lus. La rentabilité économique du modèle n'est qu'une éventuelle perspective très lointaine, si elle est un jour atteinte, mais nous choisissons résolument d'avancer, sans attendre d'éventuelles, hypothètiques et conditionnelles positions des pouvoirs publics ou instance du livre. Denis PRYEN Xavier PRYEN

Www.harmatheque.com

Le concept du “numithéque” est apparu récemment comme un concept vital garantissant plus de visibilité aux livres, et rentabilissant plus les ventes. l’exemple de l’harmathéque en est un cas. la veille de son 35ème anniversaire, les éditions l'Harmattan ont lancé 'HARMATHEQUE, le site de prêt numérique le plus important du marché francophone à l'usage, dans un premier temps, des bibliothèques, universités,institutions, etc…

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Monsieur LIVRELMonsieur LIVRELMonsieur LIVRELMonsieur LIVREL

Dans le contexte québecois, Livrel est un systéme de gestion en li-gne dont le but est de permettre de vendre des romans québecois dans le monde entier, sans passer par l’imprimeur ou la douane. De-puis déjà un an, les éditeurs québecois ont numérisé 2 500 romans et essais, accessibles dans les sites des principaux libraires au Qué-bec. L’initiateur de ce projet est CLÉMENT LABERGE, des Edi-tions DeMarque. Cette maison d’édition a donc lancé le concept d’entrepôt numérique en partenariat avec 125 membres de l’Asso-ciation national des éditeurs de livres. et grace à la technologie de la société québecoise Prosémédia, le résultat est tel que trois géants francais de l’édition ont adopté cette technologie à savoir: Galli-mard, Lamartiniére et Flammarion.

Un Livrel coutera en moyenne 75% du prix du livre papier. L’avan-tage c’est qu’il élimine les frais d’impression et réduit fortement les frais de distribution, et ouvre pour des livres en francais des mar-chés en Europe et aux États-Unis.

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APA-RABAT (MAROC) LE POÈTE MAROCAIN D’EXPRESSION FRAN-ÇAISE,ABDELLATIF LAÂBI, A REMPORTÉ LE PRIX GONCOURT 2009 DE POÉSIE, POUR L’ENSEMBLE DE SES OEUVRES, RAP-PORTENT LES MÉDIAS OFFICIELS MARO-CAINS. A l’actif de Laâbi (67 ans) plusieurs recueils de poésie en plus de sa gran-de notoriété comme hom-me de théâtre et de lettres. Il est le fondateur de la revue « Souffles » au dé-but des années 70, vérita-ble support des courants marxistes léninistes au Maroc durant les années dites de « plomb ». Détenu politique entre 1972 et 1980, le lauréat est le deuxième marocain à s’adjuger le prix Gon-court, la plus prestigieuse gratification littéraire en France, après le romancier Tahar Benjellounpour son roman « la nuit sacrée ». Benjelloun figurait parmi les membres du jury aux côtés d’une palette d’hommes de lettres fran-çais.

Abdellatif Laâbi, Prix Goncourt de la poésie 2009

ARTISTES ISSUS DE LA DIVERSITE CULTURELLE AU QUEBEC. QUELLES PERSPECTIVES? PAR : KAMAL BENKIRANE

et "Sous le bâillon le poè-me" (1981). Il est aussi l'auteur de "Fragments d'une genèse oubliée" (Paroles d'aube, 1998), "Le Règne de bar-barie" (Seuil, 1980), "Histoire des sept crucifiés de l'espoir" (La Table rase, 1980), "Tous les déchirements", avec dessins originaux de Jean Bazaine (Messidor, 1990), "Ruses de vivant", accom-pagné de dessins de feu Mohamed Kacimi (Al Manar, 2004), et "Petit Musée portatif", dessins de Abdallah Sadouk, préfacé par Fran-çoise Ascal (Al Manar, 2002).En tant que roman-cier, il a publié notamment "Le Fond de la jarre" (Gallimard, 2002), et "L'îil et la Nuit", (Atlantes - Casablanca 1969) et (La Différence Minos, 2003), qui représente pour lui "une sorte d'acte de nais-sance littéraire".Au théâ-tre, le poète a compte "Rimbaud et Shéhéraza-de" (La Différence, 2000), un volume réunissant "Le Baptême chacalis-te" (1987) "Exercices de tolérance" (1993), et "Le Juge de l'om-bre" (1994). Plusieurs de ses oeuvres ont été adap-

C’est l'un des écrivains maro-cains les plus importants de sa génération qui compte une oeuvre à la fois prolifique et plurielle.Né à Fès en 1942, Abdellatif Laâbi a fait ses études de littérature française à l'université Mohammed V à Rabat, ville à partir de laquel-le il avait participé, en 1963, à la création du Théâtre uni-versitaire marocain. n écriture recèle une grande humanité toujours soucieuse du combat à mener pour plus de justice et plus de liberté.Il compte à son actif une vingtaine de recueils de poésie, la plupart aux éditions +La Différence+, en l'occurrence "Tribulations d'un rêveur attitré" (2008), "Mon cher double" (2007), "Œuvre poétique I" (2006), "Ecris la vie" (2005), "Les Fruits du corps" (2003), "L'automne promet" (2003), "Poèmes périssables" (2000), "Le Spleen de Casablan-ca" (1996), "L'Etreinte du monde" (1993) et "Le soleil se-meurt" (1992).Le second to-me de l'"Oeuvre Poétique (II)", ainsi qu'un récit "Le Livre imprévu" sor-tiront chez le même éditeur le 14 janvier 2010, a appris MAP-Paris auprès de la Mai-son "La Différence".Chez L'Harmattan, Laâbi a signé "L'Ecorché vif" (1986), "Discours sur la colline ara-be" (1985)

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Abdellatif Laâbi, Prix Goncourt 2009 en poésie ( suite)

tées au théâtre.Il est également l'auteur de l'anthologie: "La Poésie marocaine, de l'indépendance à nos jours" (La Différence 2005).Dans le domaine de la presse et des essais, Laâbi était le fondateur, en 1969, de la revue "Souffles" à laquelle collaboraient plusieurs intellectuels marocains notamment Tahar Benjelloun, Mohamed Khaïr-Eddine ou Mostafa Nissaboury.Dans ses rencontres comme dans son travail d'écrivain, Laâbi oeuvre sans cesse pour un véritable dialogue, un réel partage, afin qu'existe la paix entre les différentes cultures. Source: MAP

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CULTURELLECULTURELLECULTURELLECULTURELLE

Abdellatif Laâbi (Extraits)

TRIBULATIONS D'UN RÊVEUR ATTITRÉ Ce n’est pas une affaire d’épaules ni de biceps que le fardeau du monde Ceux qui viennent à le porter sont souvent les plus frêles Eux aussi sont sujets à la peur au doute au découragement et en arrivent parfois à maudire l’Idée ou le Rêve splendides qui les ont exposés au feu de la géhenne Mais s’ils plient ils ne rompent pas et quand par malheur fréquent on les coupe et mutile ces roseaux humains savent que leurs corps lardés par la traîtrise deviendront autant de flûtes que des bergers de l’éveil emboucheront pour capter et convoyer jusqu’aux étoiles la symphonie de la résistance

MON CHER DOUBLE Mon double une vieille connaissance que je fréquente avec modération C’est un sans-gêne qui joue de ma timidité et sait mettre à profit mes distractions Il est l’ombre qui me suit ou me précède en singeant ma démarche Il s’immisce jusque dans mes rêves et parle couramment la langue de mes démons Malgré notre grande intimité il me reste étranger Je ne le hais ni ne l’aime car après tout il est mon double la preuve par défaut de mon existence

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Abdellatif Laâbi (Extraits)

DISCOURS SUR LA COLLINE ARABE (1985) Le tortionnaire s’est réveillé Près de lui sa femme dort encore Il se glisse furtivement hors du lit revêt sa tenue de jungle et sort Sur le chemin du réduit où l’attendent ses instruments et ses victimes du jour il pense aux choses ordinaires de la vie les prix qui grimpent la maison qui sera trop exiguë quand viendra le cinquième enfant les pluies qui tardent de nouveau cette année le dénouement du dernier feuilleton qui passe à la télé Il pointe au bureau des entrées se dirige vers le réduit ouvre la porte Les corps sont recroquevillés dans la pénombre toussotements puanteur Lève-toi fils de pute ! crie-t-il en lançant une ruade au plexus du premier prévenu que son pied rencontre

L'ÉCORCHÉ VIF (1986) Le poète arabe se met devant sa table rase s’apprête à rédiger son testament mais il découvre qu’il a perdu l’usage de l’écriture Il a oublié ses propres poèmes et les poèmes de ses ancêtres Il veut crier de rage mais se rend compte qu’il a perdu l’usage de la parole De guerre lasse il s’apprête à se lever mais il sent qu’il a perdu l’usage de ses membres La mort l’a précédé là où il devait abdiquer devant la vie

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Abdellatif Laâbi (Extraits)

TOUS LES DÉCHIREMENTS (1990) Cette lumière n’est pas à décrire elle se boit ou se mange Le jaune attend le bleu qui s’attarde avec le vert le blanc sourit à cette scène ordinaire du dépit amoureux Habiter son corps n’est pas aisé c’est une maison hantée un champ de mines Il faudrait pouvoir le louer juste pour des vacances Habiter son corps n’est pas aisé c’est une maison hantée un champ de mines Il faudrait pouvoir le louer juste pour des vacances La rosée ce n’est que de l’eau mais c’est une eau amoureuse Je ne le nie pas l’écriture est un luxe mais c’est le seul luxe où l’homme n’exploite que lui-même Le prophète détruit les idoles le tyran édifie des statues J’ouvre la fenêtre de mon jardin secret Les prédateurs ont tout saccagé ils ont emporté jusqu’au secret de mon jardin Souvent je me sens diminué fautif quelque part quand on vient me féliciter Je n’attends rien de la vie je vais à sa rencontre (Éditions de la Différence, 2006)

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Abdellatif Laâbi (Extraits)

LE SPLEEN DE CASABLANCA

Je tire les rideaux pour pouvoir fumer à ma guise Je tire les rideaux pour boire un verre à la santé d'Abou Nouwas Je tire les rideaux pour lire le dernier livre de Rushdie Bientôt, qui sait il faudra que je descende à la cave et que je m'enferme à double tour pour pouvoir penser à ma guise Les gardiens sont partout Ils règnent sur les poubelles les garages les boîtes aux lettres Les gardiens sont partout dans les bouteilles vides sous la langue derrière les miroirs Les gardiens sont partout entre la chair et l'ongle les narines et la rose l'oeil et le regard Les gardiens sont partout dans la poussière qu'on avale et le morceau qu'on recrache Les gardiens croissent et se multiplient A ce rythme arrivera le jour où nous deviendrons tous un peuple de gardiens

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CULTURELLECULTURELLECULTURELLECULTURELLE

Abdellatif Laâbi (Extraits)

Mère ma superbe mon imprudente Toi qui t'apprêtes à me mettre au monde De grâce ne me donne pas de nom car les tueurs sont à l'affût Mère fais que ma peau soit d'une couleur neutre Les tueurs sont à l'affût Mère ne parle pas devant moi Je risque d'apprendre ta langue et les tueurs sont à l'affût Mère cache-toi quand tu pries laisse-moi à l'écart de ta foi Les tueurs sont à l'affût Mère libre à toi d'être pauvre mais ne me jette pas dans la rue Les tueurs sont à l'affût Ah mère si tu pouvais t'abstenir attendre des jours meilleurs pour me mettre au monde Qui sait Mon premier cri ferait ma joie et la tienne Je bondirais alors dans la lumière comme une offrande de la vie à la vie (À la mémoire de Brahim Bouarram, jeune Marocain qu i fut poussé et noyé dans la Seine, à Paris, le 1er mai 1995, par une bande de skinheads qui venait de se détacher d'une manifestation du Front natio-nal.) (Éditions de la Différence, 1996)

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ARTISTES ISSUS DE LA DIVERSITE CULTURELLE

AU QUEBEC. QUELLES PERSPECTIVES?

PAR : KAMAL BENKIRANE

La reconnaissance des talents issus de la diversité culturelle, artistique et littéraire au Québec n’est pas toujours évidente lorsque des considérations d’ordre éthique et identitaires interagissent avec des considérations liées à l’industrie culturelle au Québec. Les coupures fédérales au niveau de la culture, bien qu’ayant des retombées néfastes sur la production culturelle ces dernières années, n’empêchent pas les artistes, et les littérateurs d’affiner leurs verves créatrices et de continuer à produire. Un dernier cas de ces coupures est celui du conseil des arts et des lettres du Canada qui vient d’annuler désormais des subventions relatives aux enregistrements des albums de musique! De quoi couper l’herbe sous les pieds à tous ces groupes de musique émergents, et qui n’en finissent pas d’enrichir la scène culturelle au Québec, sans exclure ces artistes de la diversité culturelle qui continuent de fureter pour une première aide financière, dans le but de donner de la mesure à leurs talents. Ainsi, il est normal que l’effet de ces coupures encourent une complainte unanime sur la bureaucratie gouvernementale qui fomente au gré de considérations saugrenues certains alibis tels que l’équilibre des budgets entre les provinces ou encore privilégier certains genres culturels sur d’autres, etc. Ce qu’il faut changer de prime abord, c’est cette tendance du compte à rebours dans le volet matériel qui cantonne la culture à la marge comme étant le parent pauvre des autres secteurs, et qui ne considére les talents de la diversité que dont le moule ou elle devrait fondre, surtout lorsqu’il s’agit «de sensibilités culturelles», à laquelle il faut s’affilier de peu ou prou, comme si la sensibilité culturelle ne peut prétendre à une pluralité dans l’espace et le temps. Dans le cas des artistes de la diversité culturelle, il y a lieu de se demander dans quel sens fournir plus d’efforts pour y arriver malgré ces embûches. il est important de rappeler au Québec la déclaration ministérielle du 16 juin 1999 qui affirmait, entre autres, qu'il « est essentiel que soit reconnue, à l'échelle internationale, la capacité des États et des gouvernements de soutenir et de promouvoir la culture (…) » et que la culture « doit faire l'objet d'un statut particulier à l'égard des accords internationaux de commerce (…) » Ce statut devant « être balisé par des règles consignées dans une convention ou tout autre instrument international approprié ». Cette déclaration posait les termes autour desquels se joue l'avenir de la diversité culturelle à travers le monde aujourd'hui. Aussi, le Québec avait appuyé l'adoption de la convention internationale sur la diversité culturelle consacrant le droit des États et des gouvernements à maintenir, à développer et mettre en oeuvre des politiques de soutien à la culture et à la diversité culturelle; le Québec avait bel et bien adopté la Convention sur la protection

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et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 20 octobre 2005, que de son entrée en vigueur le 18 mars 2007. Bref, nous mainte-nons que la volonté d’aller de l’avant au niveau du traitement du dossier des artistes issus des communautés culturelles est une nécessité qui doit outrepasser les considérations matérielles qui sont souvent entonnés comme refrain-échappatoire. Devant cette problématique, souvent passé sous silence ces dernières an-nées, certains organismes tentent d’aller de l’avant sous la bannière de la charte de la diversité culturelle, tels que l’organisme DAM ( Diversité Artistique Montréal),dont le mandat c’est de faire reconnaître et inclure tout les artistes et pratiques artistes professionnelles, dans les réseaux professionnelles, les institutions culturelles, et les circuits de diffusion à Montréal. Nous ne pouvons que saluer la dernière initiative de cet orga-nisme, celle de lancer le guide public 2009 : un répertoire des ressour-ces culturelles des communautés culturelles latino-hispanophones et ce après beaucoup de concertations. D’autres initiatives se font par d’autres organismes qui ont le même mandat, mais des difficultés subsistent quant à la reconnaissance éthique de ces organismes, et la mise en oeu-vre de leurs objectifs. Lors des différentes expositions de livres des éditions Passerelle dans les différentes manifestations culturelles, et salons littéraires, plusieurs échanges ont eu lieu avec le public concernant la création littéraire, et nous ne pouvons que déplorer le sentiment de dépit profond chez les jeu-nes auteurs issus de communautés culturelles, laissés pour compte, de-vant le refus continuel de leurs manuscrits auprès des maisons d’édition québecoises. D’aucuns diront que la persévérance doit finir par payer. Il suffit en effet de se réjouir des titres honorifiques de la consécration de Danny laferriére (Prix Médicis 2009 pour l’énigme du retour), et la no-mination dans la première liste du prix Goncourt de (Edem Awumey avec Les pieds sales), cela est certainement gratifiant pour le sentiment col-lectif des québécois issus des communautés culturelles. Mais, encore faut il continuer à rallumer les étoiles, et travailler ensemble afin que les efforts de la nouvelle génération dans les instances gouvernementales concordent définitivement vers une vision commune d’un Québec inclu-sif à l’orée 21éme siècle. Là ou l’urgence se fait de plus en plus sentir, il y a lieu de penser sciem-ment à promouvoir des programmes qui interpelleraient cette relève multiethnique avec des critères sensés qui prendraient en compte le volet créatif et original, et qui se dissocieraient des sensibilités farfelues à connotation culturelle. La sagesse c’est d’oeuvrer à faire voir le bout du tunnel plutôt qu’à le voiler par fausse mégarde lorsque le but est sur le point d’être atteint.

ARTISTES ISSUS DE LA DIVERSITE CULTURELLE

AU QUEBEC, QUELLES PERSPECTIVES? (SUITE)

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La biologie, qui dispose des connaissances impressionnantes de la vie sous toutes ses formes, a été depuis toujours mise en disponibilité afin de contrôler plus étroitement le cours entier de la nature et, qui pis est, d'amélio-rer la race humaine. Cet objectif n'est pas nouveau. Car le propre de l'homme, n'est-il pas de transformer tout ce qui l'entoure, de manipuler le milieu dans lequel il vit et de parvenir même à modifier les espèces végétales ou animales qui lui seront utiles. Fondée sur une connaissance de plus en plus précise des mécanismes du monde inanimé et du monde vivant, cette action de l'homme est devenue aujourd'hui plus efficace. De ce pouvoir nouveau, certains en ont fait usage à bon escient. D'autres, par contre, ont assigné et assignent jusqu'à maintenant des chiffres de pourcentage sur ce qui relève de l'inégalité des ra-ces humaines. Les Grecs, les Égyptiens et les Hébreux avaient ce grand souci de préserver leur race d'une éventuelle dégénérescence, d'améliorer sinon l'en-semble, du moins une partie du groupe, d'aboutir à un homme nouveau aux facultés supérieures. Aujourd'hui, il faudrait bien se demander ce que pen-saient certains peuples, certaines races, du devenir biologique de l'humain, et essayer d'évaluer l'étendue du racisme qui prévalait à une époque lointaine. Pour cela, une analyse en profondeur des principaux concepts élaborés sur la notion de race, ainsi que la différence voulue, nourrie à cet égard, nous est franchement nécessaire. La fausse mesure de l'homme Les préjudices raciaux existent depuis aussi longtemps que l'histoire humaine nous est connue. Effectivement, presque tous les scientifiques, situés entre les années 1600 et 1900, ont suivi les conventions sociales; soit le rapprochement par différentes mesures de la race noire avec les primates. Une des premières définitions formelles sur les races humaines en des termes scientifiques fut celle de Linnée. Il essaya de les définir de façon anatomique et caractéristi-que. De l'Africain noir, il mentionne: "Cet homme fonctionne ou vit par ins-tinct"; de l'Européen, "il vit par habitude ou coutume". De la femme Africai-ne, il écrit: "femme sans cervelle avec mamelles proéminentes". À constater que ces déclarations de Linné ont eu lieu en1758; un certain degré de racisme y fut développé. Car Linné était un grand scientifique, très influent à l'époque où il vivait.

De l’anthropométrie à la psychologie ra-ciale

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De l’anthropométrie à la psychologie raciale

Les trois plus grands naturistes du XIXe siècle ne portaient pas non plus les noirs en estime. Curvier , connu en France comme l'Aristote des années 1800,géologue et paléontologiste, exprima que "le peuple Africain est la race humaine la plus dégradante, non évoluée". Charles Lyell y alla également d'une déclaration assez fracassante: "le cerveau des noirs pas capables de ren-verser les rôles jusqu'au jour où certains éminents chercheurs ou scientifiques arrivèrent en Amérique, soit pour compléter leurs recherches, soit qu'ils n'eus-sent pas le choix; étant expulsés de leur patrie. Agassiz fut un de ceux-là, qui tenta de prouver l'infériorité des noirs d'Amérique ou d'ailleurs. Agassiz fut sans aucun doute un des plus ardents défenseurs du polygénisme. Il ne croyait pas que la différence entre les races humaines pouvait être d'ordre géographi-que. Les polygénistes, eux aussi, croyaient à Adam et Ève comme début de la civilisation, mais à un Adam blanc, un autre noir, indien ou asiatique. Bref, et selon Agassiz, "il y a sur la terre différentes races d'hommes, habitant différen-tes parties du globe et ayant différentes caractéristiques physiques; de ce fait, (...) une certaine obligation nous a forcés à établir un certain ordre parmi ces races, en relation avec les caractéristiques de chacune du point de vue scientifi-que". Craniométrie ou Bouffonnerie Selon Broca, "en général, le cerveau humain est plus gros chez l'adulte que chez l'enfant, chez l'homme que chez la femme, chez les savants que chez les hommes médiocres, chez les races supérieures que chez les races inférieures; la relation qui existe entre le développement de l'intelligence et le volume du cer-veau est très étroit". Pour appuyer peut-être les polygénistes, Paul Broca, an-thropologue français, y est allé de différentes expériences dans sa vie pour ten-ter d'expliquer pourquoi en général l'homme blanc était supérieur au noir. Il faut dire qu'au départ la plupart de ses expériences furent biaisées parce qu'il n'avait pas une haute opinion des noirs et des indiens (des Indes) durant la se-conde moitié du XIXe siècle. Les recherches de Broca furent reprises plus tard et on y retrouva des quantités importantes d'erreurs surtout dues au fait qu'il avait un certain penchant à faire passer sous silence les défauts des blancs. Ses échantillons n'étaient pas comparables statistiquement; il pénalisait volontaire-ment les noirs et les indiens, en appliquant de savants calculs à des échantillons nuls statistiquement. Donc, il s'attarda à prendre des mesures sur le cerveau des êtres humains et tenta d'établir une relation avec le degré d'intelligence qu'ils pouvaient avoir. Prônant le fait que plus le cerveau est développé, plus intelli-gent est l'humain, il mesura à un certain moment donné le cerveau d'un très grand savant du temps et s'aperçut qu'il était plus petit (le cerveau) que celui d'un éminent gangster de la même époque.

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En fait, la grosseur du cerveau n'est en corrélation étroite qu'avec un seul autre paramètre: la grandeur. Ce qui signifie que plus un homme est grand et costaud, plus son cerveau est volumineux; d'après les lois biologiques de corrélation entre différents organes existant chez un même organisme. En plus de mesurer directement le cerveau humain, il fit aussi des mesures in-directes par le biais de la capacité crânienne (c.c.). Mais ses méthodes de mesure (billes de plomb) étaient trop approximatives; en plus du fait qu'il octroyait volontairement (arrondissait) des c.c. aux échantillons blancs et l'inverse aux échantillons noirs. Pour couronner le tout, ses échantillons ne tenaient point compte des différences entre capacité crânienne chez l'hom-me et chez la femme (différence moyenne de taille).On voit bien quel genre "d'objectivité" régnait à l'époque pour tirer au clair des spéculations qui ne sont encore aujourd'hui que des spéculations. De la génétique à la psychologie raciale Ayant voulu appliquer les récentes découvertes biologiques de Darwin à l'étude des êtres vivants, et montrer que la race humaine pouvait être amé-liorée par des techniques reproductives appropriées, car "nous vivons dans une sorte d'anarchie intellectuelle par manque d'esprits supérieurs"1, Fran-cis Galton, dans son Hereditary genius2, précisa qu'il existe "une différence de pas moins de deux degrés entre la race noire et la race blanche, et peut-être plus encore". Pour Galton, les Hindous, les Arabes, les Mongols, les Allemands ... ont chacun leurs caractères particuliers qui sont transmis d'une génération à une autre, aussi fidèlement que leur aspect physique. En bref, il affirmait que, quelles que soient les différences entre les peuples, elles ne peuvent être que génétiques. Si, dans son livre Hereditary genius, Galton a re-discuté des moyens "d'améliorer la race", l'espoir de l'avène-ment d'une civilisation où la fierté de la race serait encouragée ne fut point omis. Dans une telle société, on inciterait les plus aptes à fonder de grandes familles et les moins aptes, les plus faibles "pourraient trouver refuge et ac-cueil dans les monastères et les couvents". Et dans ses ouvrages ultérieurs, il y revint et détailla avec beaucoup plus de force ses idées. Le terme d'Eu-génisme fut forgé dans ses Inquiries in to human faculty and it's develop-ment" (1883) et, définissant le mot, Galton fit clairement comprendre 1Galton, F.: Hereditary Talent and Character, Macmillan's Magazine, no 12, 1865. 2Galton, F.: Hereditary Genius, Macmillan, Londres, 1892.

De l’anthropométrie à la psychologie raciale

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que l'eugénisme ne faisait pas référence à l'amélioration de la race hu-maine en général mais renvoyait à l'amélioration de certaines races par rapport à d'autres. Un tel élitisme entre en conflit avec le principe fon-damental de la démocratie selon lequel l'opinion, le droit et l'apport de chaque individu sont dignes de respect. Karl Pearson et l'eugénisme galtonien Comme Francis Galton, son maître, la plupart des propositions ou convictions de Karl Pearson sur l'importance de l'hérédité avaient été formulées avant que tout calcul ne soit fait. Pour lui, certains faits sont incontestables: "Pas plus qu'il n'y a égalité entre les hommes d'une mê-me nation, il n'y a égalité entre les races". Et toujours de son point de vue de scientifique. Pearson décrivit les périls biologiques de la repro-duction inter-raciale qui affecte "le processus même de la sélection naturelle dont dépend l'évolution d'un genre supérieur"3. En fait, il allait plus loin que Galton. Doutant qu'il soit sage de faire coexister différen-tes races, même dans un système de domination impériale, la race la plus forte, selon lui, devrait chasser la plus faible. Selon Pearson, "une nation doit être un tout homogène et non un mélange de races supérieu-res et inférieures". Le genre de biologisme pratiqué par Pearson allait devenir, en plein XXe siècle, une sorte de leitmotiv bien nourri. Et de telles notions sur la nécessité de maintenir au sein de la nation l'unité raciale, n'étant que des concepts abstraits de la philosophie, furent avant tout des concepts politiques aux implications précises dans les questions sociales telle que l'immigration des étrangers. L’auteur est un poète d’origine haïtienne vivant à Montréal, il est membre de L’UNEQ et fondateur d’un courant littéraire: LE SURPLURÉALISME 3Pearson, K.: National Life from the stand point of science, Cambridge Uni-versity .

De l’anthropométrie à la psychologie

raciale

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L'écrivain, sociologue et chercheur universitaire marocain Ab-delkébir Khatibi est décédé, lundi 16 mars 2009, dans un hô-pital à Rabat, à l'âge de 71 ans, des suites de complications cardiaques, après avoir légué a la postérité, une œuvre riche qui a contribué largement a la dynamique de la pensée uni-verselle dans le monde. Khatibi est né à El Jadida le 11 février 19381, il décède le 16 mars 2009 à Rabat à l'âge de 71 ans. Il a grandi dans un quartier d'El Jadida proche de la mer. Enfance qu'il célébrera plus tard en construisant son récit Amour Bilingue comme une métaphore océanique. Après le décès de son père, théo-logien et négociant, il devient élève interne au Collège Sidi Mohammed à Marrakech, entre 1950 et 1957. Il écrit ses premiers poèmes à douze ans, en arabe, ensuite en français qui demeurera sa langue d'écriture. Après une année propédeutique au Lycée Lyautey de Casablanca, il entreprend des études supérieures en sociologie à la Sorbonne et sou-tient sa thèse en 1965, la première thèse sur le roman maghrébin. De retour au Maroc, il mène une intense activité : chercheur, écrivain, enseignant, intellectuel engagé dans la politique, le Syndicat de l'enseignement supérieur dont il est un des fondateurs. Il fait paraître en 1971 son pre-mier roman, La Mémoire tatouée , récit autobiographique qui inaugure une série de livres et d'études dans trois domaines: la littérature proprement dite, la recherche en sciences sociales et la critique d'art. Il encourage largement l'émergence de plusieurs jeunes écrivains marocains. En 1979, il arrête d'enseigner pour se consacrer à la recherche et à l'écriture : "J'ai arrêté d'enseigner pour me laisser ensei-gner par la vie". Il occupe alors le poste de directeur de l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique de Rabat. Ses oeuvres sont traduites en plusieurs langues et font l’objet

Décés de Abdelkébir Khatibi

Ou “la mort de l’homme est une

Dislocation d’empire”

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de thèses universitaires, d'ouvrages et d'articles publiés dans des revues spécialisées et dans les actes de rencontres scientifiques nationales et internationales. couronné par de multiples récompenses dont le Grand Prix de l'Académie française (1994), le Grand Prix du Maroc (1998), le Prix de l'Afrique méditerranéenne/Maghreb (2003), et le Prix de la Société des Gens de Lettres (2008) attribué pour la première fois à un auteur arabe. Son dernier livre est "Le scribe et son ombre", paru en 2008 (éd. de La différence), où il écrit : " Le livre autobiographique qu'on lit dans le rêve de sa vie existe, dispersé dans l'esprit de chaque scribe et de sa mélancolie studieuse, et peut-être dans la curiosité du lecteur". Œuvres • La Mémoire tatouée, roman, Paris,Denoël, coll. Lettres Nouvelles, 1971 et Poche, Coll.18/18, 1979. • La Blessure du nom propre, essai, Paris, Denoël, coll. Lettres Nouvelles, 1974 et 1986. • Vomito blanco (Le sionisme et la conscience malheureuse), essai, Coll. 10/18, 1974. • Le Lutteur de classe à la manière taoïste, poésie, Paris, Sindbad,1976. • Le Livre du sang, roman, Paris, Gallimard, 1979 et 1986. • Le Prophète voilé, pièce de théâtre, Paris, L’Harmattan, 1979. • Le Roman maghrébin, essai, Paris, Maspéro, 1969, rééd. Rabat,SMER, 1979. • De la mille et troisième nuit, essai, Rabat, SMER, 1980, rééd. dans Ombres japonaises. • Amour bilingue, récit, Montpellier, Fata Morgana, 1983. • Maghreb pluriel, essai, Paris, Denoël, 1983. • Le même livre, Correspondance avec J. Hassoun,Paris, Éditions de l’Éclat, 1985. • Du bilinguisme , Collectif, essai, Paris, Denoël, 1985. • Dédicace à l’année qui vient poésie,Montpellier, Fata Morgana, 1986. • Figures de l’étranger (dans la littérature française), essai, Paris, Denoël, 1987. • Par-dessus l'épaule, essai, Paris, Aubier, 1988. • Paradoxes du sionisme, essai, Rabat, Al Kalam, 1989. • Un été à Stockholm, roman, Paris, Flammarion, 1990. • Penser le Maghreb, essai, Rabat, SMER, 1993. • Triptyque de Rabat, roman, Paris, Noël Blandin, 1994.

Décés de Abdelkébir Khatibi

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Œuvres (suite) • L'Art calligraphique de l'islam, avec M. Sijelmassi, essai, Paris,Gallimard, 1994. • Du signe à l'image, avec Ali Amahan, livre d'art sur le tapis marocain, Casablanca/Milan, Lak International, 1995. • Civilisation marocaine, sous dir. de M. sijelmassi, essai, Arles, Actes Sud, et Casablan,ca, Editions Oum, 1996. • L'Alternance et les partis politiques, essai, Casablanca, Eddif, 1999. • La Langue de l'autre, essai, New York, Les Mains secrètes, 1999. • Voeu de silence, essai, Paris, Al Manar, 2000. • L'Art contemporain arabe, essai, Paris, Al Manar, 2001. • Le Corps oriental, essai, Paris, Hazan, 2002. • Pèlerinage d'un artiste amoureux, roman, Paris, Éditions du Rocher, 2003, Po-che, Le Serpent à plumes, coll. Motifs, 2006. • Aimance, poésie, Paris, AL Manar, 2004. • Féerie et dissidence, collectif, Rabat, Institut Univ. de recherche scientifique, 2003. • Correspondance ouverte, avec G. EL Khayat, Rabat, Marsam, 2004. • Féerie d'un mutant, récit, La Serpent à plumes, 2005. • Quatuor poétique, essai, Paris, Al Manar, 2006. • Oeuvres de Abdelkébir Khatibi, Tome I : Romans et récits, Tome II: Poésie de l'Aimance, Tome III: Essais, Paris, Editions de La Différence, 2008. • Le scribe et son ombre, Paris, Éditions de La Différence, 2008. Source: Wikipedia.org

Décés de Abdelkebir Khatibi

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Petit mot prononcé à l’occasion du 3ème jour de décès de Si Abdelkébir Khatibi, Par Abdelmajid Benjelloun

le 18 mars 2009.

Cela fait drôle… d’être chez Si Abdelkébir Khatibi, sans lui.

N’est il pas inconsidéré de s’exprimer de la sorte, en de

pareilles circonstances, je ne dirais pas uniquement pénibles,

mais cruelles. Bien évidemment, oui.

Que dois-je dire alors, drôlement triste ou tristement drôle.

Vous avez de ces expressions toutes faites ou non, en tout cas

artificielles et vides de sens, qui vous laissent pantois !

Cet exercice de style absurde montre que l’on peut tomber

facilement dans le piège des mots.

Et donc, trêve de jeu de mots de mauvais aloi… !

Quoique, quoique… connaissant Si Abdelkébir comme j’ai eu le

grand privilège de le connaître, c’est à dire un tantinet

malicieux, et ayant un sens de l’humour très fin, je suis sûr

que là où il est, il désapprouverait- courtoisement- mon

maladroit exercice de style, à ceci près qu’il se mettrait

d’emblée à la recherche des mots les plus pertinents pour la

situation. Nos amis du BESM, notamment, ici présents, peuvent

témoigner que nous passions dans nos discussions beaucoup de

temps avant de trouver le mot juste, correspondant au thème

d’une prochaine livraison. Dans ces conditions, nous avions affai-

re à un Abdelkébir Khatibi intraitable en la matière. Ainsi beau-

coup de notions ont été mises à jour, comme par exemple la to-

lérance vécue. Et même lorsque nous étions en tête à tête, nous

nous trouvions souvent confrontés à la même préoccupation.

Décés de Abdelkébir khatibi

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La mort de l’homme est une dislocation d’empire. Déjà pour

Monsieur tout le monde ! Que dire alors de celle de notre

hôte dont j’aurais tant voulu qu’il soit ce soir avec nous non

pour l’évoquer mort, mais vivant. Que dire alors d’un grand

intellectuel, dont l’oeuvre, magistrale, touche à l’univer-

sel ?

Sa mort nous bouleverse tous, ses proches comme ses

amis. Au matin de sa disparition, j’ai échangé quelques e-

mails avec notre amie commune, le Dr. Ghita El Khayat.

Oppressé par la douleur, je lui ai écrit, et pardon de me ci-

ter, ridiculement, moi-même, que je déteste les mots, alors

que d’habitude, je les considère comme des miracles per-

manents. En d’autres circonstances, je les avais même ap-

pelées ‘les anges préférés de Dieu’.

Lorsque la mort d’un proche survient, les mots se font

vains, inadéquats, inutiles, voire absurdes.

Si Abdelkébir m’a associé aux belles aventures du ‘Bulletin

Economique et social du Maroc’, BESM, et de la section

marocaine du Pen. Et pour ce faire, il aurait pu choisir des

dizaines d’autres, plus compétents que moi. Mais, il m’a

choisi, parce que nous étions des amis, sur la base de la

célèbre définition que l’on trouve dans ‘Les Essais’ de

Montaigne. Il écrivait à propos de sa grande amitié pour La

Boétie : "ce que nous appelons ordinairement amis et ami-

tiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par

quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle

nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles

se mêlent et confondent l’une l’autre, d’un mélange si uni-

versel

qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a

jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sais

que cela ne se peut exprimer qu’en répondant parce que

c’était lui, parce que c’était moi". J'ai rencontré pour la

première fois Si Abdelkébir, vers 1973,

à la Galerie Bab Rouah, à Rabat, et depuis, chacun a suivi s

Décés de Abdelkébir khatibi

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Son chemin, mais notre amitié s'est approfondie surtout

dans les quinze dernières années. Et je dois spécifier à cet

égard, que j'ai toujours apprécié en lui une très grande mo-

destie doublée d'une non moins grande courtoisie, pous-

sées au point qu'on dirait qu'il n'est pas le Khatibi, le très

grand écrivain. Si Abdelkébir était la douceur et la bonho-

mie elles-mêmes. Il était très attachant et très simple.

Il parlait d’une voix monacale. Je ne l’ai jamais entendu

élever la voix, en toutes circonstances, et même lorsqu’il

le fallait. Pierre Assouline a parlé de Khatibi le 16 mars

2009, soit le jour même de son enterrement comme d’un

écrivain d’une grande discrétion, dans le blog qu’il tient on

line, la République des livres, dans le journal parisien, Le

Monde. On ne pouvait pas ne pas éprouver de la tendresse

pour lui. Comme lui il en éprouvait à l’endroit de tous ses

amis et collègues.

Ainsi Khatibi n’était pas uniquement mon ami, mon frère en

littérature, mais en humanité également.

Sur le plan de l’écriture, la première qualité qui me vient à

l'esprit lorsque je pense à Khatibi, c'est celle de

l'Intellectuel. Comme on disait, sous un certain régime

républicain français d'antan, le citoyen Combes, ou le ci-

toyen Jules Ferry, bien entendu, par emprunt aux Romains

anciens. Certes, Khatibi est romancier, poète, sociologue,

auteur

d'ouvrages d'art superbes, et j'en passe, mais il est à mon

sens avant tout, penseur, et je n'hésiterai pas à dire

philosophe, je dirais dans le sens aristotélicien du terme,

c'est-à-dire en tant qu'homme de réflexion qui fait de la ci-

té où il vit l'un de ses principaux centres d'intérêt. Et ses

essais aussi bien sur le sionisme que sur le Maghreb,

notamment, en font foi.

Décés de Abdelkébir khatibi

Page 24: revue littéraire passerelle vol2, n2

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Il se présente d'ailleurs dans son livre L'alternance et les

partis politiques, comme un intellectuel politique, dont le

rôle est d'être un observateur actif. (p.15).

L’on a souvent usé de la formule: notre Abdelkébir Khatibi

national. Pardon pour la formule mise à l'honneur dans le

langage sportif. Par les temps qui courent, le vedettariat

est précisément volé par le sport et la chanson, même mé-

diocre, au détriment des hommes de pensée et d'écriture.

J'éprouve déjà une très grande admiration pour les gens

qui font autre chose que ce dans quoi ils sont spécialisés.

Par exemple un médecin qui fait du théâtre, ou autre, cela

me plaît. Mais avec Khatibi, cette notion d'autre chose est

à prendre à divers échelons ou niveaux. Car de sociologue

et de philosophe, il est passé à l'essai et de l'essai il est

passé à la poésie et de la poésie il est passé au roman et

du roman il est passé au théâtre, et ainsi de suite, et je ne

suis pas exhaustif, mais le plus extraordinaire, c'est que, à

aucun moment, il n'a abandonné un genre au profit d'un au-

tre, et donc il est toujours resté tout ce que je viens de di-

re, c'est-à-dire sociologue, philosophe, essayiste, poète,

homme de théâtre, romancier. Je ne dirais pas etc… car à

mon sens, ce serait l'offenser. L'oeuvre de Khatibi n'est

pas à aborder avec ce type d'approximations.

Lors du vibrant hommage qu'on lui a rendu à El Jadida, j'ai

entendu certains orateurs exprimer leur opinion sur l'oeu-

vre de

Si Abdelkébir, allant jusqu'à y relever à son endroit des

difficultés d'approche, en raison, à leurs yeux, de sa

complexité. Certains l'ont même taxée de déroutante.

Si chacun a le droit de s'exprimer sur ses livres, en

revanche, mon sentiment est que je la trouve non seule-

ment intelligible, mais éblouissante. Je l'affirmais à El Jadi-

da, et pardon pour la répétition. On peut prendre je dirais

presque par hasard, un livre parmi tous ses écrits, et y

trouver ou retrouver, sans être réducteur, tout Khatibi

Décés de Abdelkébir khatibi

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comme il l'est dans quasiment tous ses livres. Et cet état

de fait n'est qu'un faux paradoxe dans la mesure où c'est la

marque des grands auteurs qui ont un style propre, lequel

se retrouve dans tous leurs livres.

Pour me résumer, je vais me risquer à employer un terme

qui ne traduit pas véritablement ce que j'entends exprimer

à cet égard, mais qui m'y aide toutefois un peu. Il s'agit de

la cristallisation' de ou dans l'écriture, terme emprunté à

Stendhal qui l'a utilisé dans un autre contexte, et quel

contexte, celui de l'amour. S'il existe un autre mot dont

nous pourrions discuter l'adéquation à l'oeuvre de Khatibi,

c'est celui de 'transgénérique'.

En tout état de cause, cette cristallisation du style, en

quelque sorte, s'applique aux musiciens: lorsque vous

écoutez, disons, au hasard, quelques mesures d'une com-

position de Mozart ou de Bach, vous en reconnaissez sur-le

-champ l'auteur. Il en va de même des peintres, lesquels

sont très généralement reconnus à la vue d'un seul de

leurs tableaux. A l'hommage qu'on lui a rendu à El Jadida,

personne ne s'est arrêté longuement sur son livre 'Par-

dessus l'épaule', où il sacrifie à l'aphorisme; pas même moi

qui use modestement de cette forme d'écriture. Ecoutons-

le, vous allez voir, c'est magnifique:

-« La vérité : un mot toujours aussi seul qu'un grain de

beauté ».

C’est la révolution du beau au bout des mots qui se

rencontrent et qui ne se connaissent pas.

-« Tenir le lien amoureux, sous une douce fermeté (p.26) ».

-« Le nocturne du désir : une clé des songes et des rêveries

à tresser en dentelle, aux frontières d'une prière.

-Cette procession de petits détails a surgi à la marge de

quelques notes de musique ».

Décés de Abdelkébir khatibi

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-« Si les femmes sont si sensibles aux rites de purification,

en « quoi retrouvent-elles l'intégrité du corps

à la surface d'un instant éternel ?(p.27) ».

Voilà un aspect qui n’a pas été perçu, à mon sens, par la

critique, dans l’oeuvre khatibienne, c’est- à dire son

classicisme!

Autrement, Khatibi, l'auteur de l'aimance par excellence,

écrit dans Amour bilingue : « Dormait-elle ? Il chuchota son

nom pour la réveiller à peine; dormait-elle encore ? Le nom

avait retenti au coeur de la nuit, nom qui allait et venait,

tantôt lui répondant, tantôt l'éloignant, et il sentait cette

réponse ni trop proche ni exclusive, opposée à toute

contrainte. Le silence de la dormeuse le fascinait. Il lui

semblait que, dans ce sommeil presque désinvolte et cette

nonchalance infinie, qui étaient là sans rien nier, mais qui

affirmaient une présence si oisive, il lui semblait qu'il y

avait une attente passionnée, portée par un enchantement,

dans l'errance de la nuit »(p.22) .

Sublime amour des mots que celui de Khatibi, et lorsque

ces mots concernent la femme et l'amour, c'est double-

ment sublime!

Par ailleurs, il note dans « l'art contemporàin arabe »:

«jusqu'à quelle limite la nature et l'art ont-ils, par

affinité, la même production de formes? (p .108).

Je pourrais continuer ma recension, pour vous signaler

d'autres joyaux de l'écriture khatibienne, mais je préfère,

au lieu de cela, lui donner la parole à lui, et à René de

Ceccatty, qui lui a consacré un article très intéressant

dans 'le Monde des livres' du vendredi 28 mars 2008, d'où

l'on peut relever des précisions précieuses sur le Khatibi,

intellectuel et romancier, versé, notamment dans l'altérité,

D'où ses citations pertinentes telles que reproduites, par

ce journaliste

Décés de Abdelkébir khatibi

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-Sur le plan de l'altérité: "Une relation de tolérance

réalisée, un savoir-vivre ensemble, entre genres,

sensibilités, pensées, religions, cultures diverses".

-En ce qui concerne le Khatibi intellectuel, penseur et

philosophe en prise directe sur les problèmes de son

temps, nationaux comme internationaux, on peut lire:

"l'énigme d'une dissidence commune et nécessaire contre

l'intolérable, l'indignité, la dévastation inconsidérée de l'hu-

main et du surhumain".

-Pour ce qui est du Khatibi romancier, le journaliste note:

« Le Livre du sang », que Gallimard publie en 1979, est

probablement la plus grande réussite littéraire de Khatibi,

qui trouve là le ton juste alliant sa prose poétique, son

inspiration classique, son inventivité stylistique, autour de

l'androgynie. "Libère en toi la nature de l'oiseau, et de tous

les êtres impossibles! Libère en nous la blessure de ton

être double : plus d'un animal barbare, plus d'un signe cruel

seront immolés en ta "grâce" ».

L'on y à même droit à un Extrait de "L'Intellectuel et le

Mondialisme" (Essais, p.323.) : "J'appartiens à un pays

magnifique qui est marginal. Il est de force vive. Je lui dois

ma naissance, mon nom, mon identité initiale. Je lui dois

mon histoire, sauf le récit de ma liberté d'esprit, celle

d'avoir à inventer un espace et une relation de dialogue

avec n'importe quel être venant vers moi. Je me modifie au

contact de l'étranger qui me veut du bien, grâce au discer-

nement et à la clarté d'esprit. Et, après tout, vivre avec soi-

même avec la liberté d'esprit, partager le principe de com-

munauté d'esprit avec le proche, le voisin, le lointain, l'an-

cêtre qui nous fait encore signe, est le destin de tout intel-

lectuel contemporain qui soit conséquent en parole et en

acte. Mondialiste et altermondialiste à la fois, je migre

dans cette constellation d'affinités actives avec les scien-

tifiques, les penseurs et les artistes. En tout cas, je fais

mon travail, c'est- à-dire la transfiguration de mon expé-

rience en chemin initiatique.

Décés de Abdelkébir khatibi

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c'est-à-dire la transfiguration de mon expérience en un che-

min initiatique ».

Je voudrais terminer avec ce très beau recueil de Khatibi:

Vœu de silence. Il indique : « Le désir ultime de l'écrivain,

qui est synonyme de celui de l'éternité, est l'invention du

lecteur ».Vous voyez l'éternité est là, comme en remplace-

ment premier et

dernier du frémissement du vivre sacrificiel.

Vous l'aurez constaté: j'essaie par là d'écrire comme Khati-

bi par imitation, en espérant être à la hauteur de son style.

Et d'ailleurs le mot sacrifice existe dans ce recueil.

L'éternité se trouve à de nombreux coins de ses phrases : «

Ce qu'ajoute le poète à la nature et à ses métamorphoses

variées, c'est sa participation active à l'éternité ».

Il ajoute : « La mort est un frisson de l'éternité au coeur de

la vie ». Il spécifie : « Je reviens à moi-même, parfois par

retentissement, d'autres fois par choc, jamais dans l'étrein-

te ou la fusion ». Et le dernier paragraphe du recueil est

saisissant de beauté:

« Adossé au silence, il est posé, là, dans ce livre, comme

une porte aveugle sur un mur invisible. Si nous ouvrions

tous les livres et toutes les portes du monde, où serions-

nous dans la contrée improbable de l'Inconnu? ».

Les derniers mots, je les lui laisse, il s'exprime sur la

peinture en tant que: « dialogue entre une voix penchée,

celle du lecteur, et un regard chantant ... ".

Il va de soi que cette observation s’applique à ses lecteurs,

qu’ils lisent sa poésie, ses romans, ses essais, ou ses

écrits sur l’art.

Avant de clore ce modeste exposé, je voudrais vous dire

qu’à chaque fois que j’avais l’honneur de participer à une

rencontre autour de Si Khatibi et de son oeuvre, y compris

les hommages, je lui ai toujours affirmé: Si Abdelkébir,

Décés de Abdelkébir khatibi

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Quelles que soient les manifestations que l’on

organise sur ton oeuvre, tu mérites toujours mille fois

mieux.

Si Abdelkébir, je m’adresse à toi, maintenant que Dieu t’a

rappelé à Lui : tu mérites mille fois mieux que ce que je

viens d’affirmer à ton sujet.

Repose en paix en Dieu, mon cher Si Abdelkébir !

Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons !

ABDELMAJID BENJELLOUN POÉTE, ROMANCIER, HISTORIEN, APHORISTE ET PEINTRE

Décés de Abdelkébir khatibi

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Khireddine Mourad, L’auteur au “chant à l’indien”Khireddine Mourad, L’auteur au “chant à l’indien”Khireddine Mourad, L’auteur au “chant à l’indien”Khireddine Mourad, L’auteur au “chant à l’indien”

Thérèse Benjelloun Pollen : la célébration de la vie

(Extrait)

Quelle que soit leur forme, les oeuvres de Khireddine Mourad naissent de la poésie, à la fois métaphore du monde et "conquête du vivre " (1). Elles portent un univers complexe et riche "d'inquiétudes fécondes " (2). Aussi est-ce un privilège de voir publier Pollen, qui s'inscrit dans la lignée du Chant d'Adapa en approfondissant les questions posées par l'auteur à la vie, aux mots, au monde, à l'homme, à l'amour que le poème Déserts pressentait " (...) parmi les autres sèves de la terre.Apatride et perdu ! (...) " (3) Pollen peut se parcourir par des voies diffluentes jusqu'à y égarer son lecteur, tout en préservant l'intégrité qui l'organise. Chaque piste sillonnée invite à vivre une aventure bouleversante : celle de " pens(er) la terre avec elle-même " (4), ébauchée dans le Chant d'Adapa et de la poursuivre dans l'errance des mots et des semences. Mais comment chercher à parler d'un texte, de l'intérieur, partager une approche, interroger ou suivre le regard de Khireddine Mourad, sans tomber dans les pièges banals du commentaire, ni écrire un texte dans le texte, qui le répéterait indéfiniment ? Ces traquenards communs deviennent, dans le Chant d'Adapa et Pollen, un empêchement majeur : il serait dérisoire de disséquer les mots du poète, d'ajouter à ce qu'il ressent comme séparation de et par la parole une autre partition - une autre trahison, celle-là décisive parce que réductrice. En disant le monde, le poète ne le trahit pas, du moins dans l'acception

Écrivain marocain en langue francaise, né en 1950 à casablanca, Khireddine Mourad a écrit differént recueils de poésie dont (chant à l’indien) aux éditions ( mémoire d’encrier) â Montréal. Nous présentons l’extrait d’une étude de Thérése Benjelloun sur la littérature de cet auteur prolifique.

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Khireddine Mourad, l’auteur au chant à

l’indien (suite)

non seulement il ne lui est pas infidèle - au contraire : il le pénètre et l'estime mieux qu'aucun autre - mais il lui donne sens, un sens humain non personnel, en posant l'ultime question de l'être dont le poème exprime le cheminement provisoire, en un lieu donné, en un moment déterminé, franchissant des étapes nouvelles d'une quête toujours recommencée. S'il est vrai qu'il existe, pour toute oeuvre, deux lectures possibles, celle du spécialiste et celle du non-spécialiste, aussi puissantes l'une que l'autre, celle-ci ne veut pas conduire un travail critique, elle n'y prétend pas. D'ailleurs, une oeuvre authentique, dans sa solitude constitutive, n'échappe-t-elle pas à la critique, comme à tout effort de classification ? Rainer-Maria Rilke constate, dans les Lettres à un jeune poète, que " seul l'amour peut (la) saisir, (la) tenir, et être équitable envers (elle) " (5), dans la mesure où il entrouvre à sa dimension par une manière d'affinité, d'attirance clairvoyante - de philia - sans équivoque ni arrogance intellectuelle. Il ne semble donc y avoir lieu de n'indiquer ici autre chose que des repères afin d'explorer le poème, à condition de ne pas s'y tenir exclusivement : il ne s'y réduit pas. Rien,absolument rien, ne dispense d'une interrogation personnelle, à chaque fois différente,

L'écart des mots et de l'être Pollen poursuit une quête de vie, celle de la nature et celle des hommes, menée par le hasard, l'attente, l'inquiétude. Le poème est fruit de rencontre, de l'imprévisible, parole du jaillissement et du voyage de la semence qu'il interpelle et qui éveille notre mémoire incertaine : il n'est d'espace et de moment inaugural ni pour le chant, ni pour le pollen. Mouvances et émois restent sans origines et invitent vers le lointain, à l'instant de hasard porté par la légèreté sans itinéraire du vent. " Loin ! Loin ! Toujours loin ! Même au plus près de nous ! " (6) Le vers qui introduit au poème désigne-t-il le pollen qui lui donne son titre, prétexte des étapes - du texte - à parcourir ? La fécondité aléatoire de la nature, des rencontres, des amours, des mots ? L'évasion des hommes, au-delà d'eux-mêmes, vers leur devenir indécis ? La parole interroge l'insaisissable. " Qui peut te dire sans te séparer de toi ? " (7) Le chant se rythme autour de cette question. Car le privilège de la vie et de l'être échappeà l'homme par inadvertance, manque de lucidité, mais aussi par la séparation du dire. Né de la clandestinité, il se dérobe dans la fuite et la perte, pour renaître en un lieu et un

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moment hors de toute prévision. Mais comment exprimer le silence des choses et de la création ? Les mots tentent l'impossible : dire la rencontre, dire l'indicible. Dans cette tentative, le poète les poursuit, travaille leur sens, leur sonorité et leur scansion dans un labeur vertigineux - sensible et invisible. Car la recherche poétique de Khireddine Mourad, déjà manifeste dans le Chant d'Adapa - il suffirait de rappeler ces vers qui évoquent l'exil constitutif de la parole : " Nous voici séparés par les mots Pour tenter le plus beau chant de l'humain... " (8) - se confirme et se continue dans Pollen. Mais, alors que le Chant d'Adapa décrivait le nomadisme intérieur, individuel et collectif des hommes, ses déserts féconds ou infernaux, son aventure répétitive, s'achevait dans la célébration de "l'envers de l'occulte " par des "paroles en lambeaux " (9), Pollen célèbre la clandestinité du mot, de la semence et de la vie, fugace rencontre qui fonde leur obscure destinée commune. Sans doute les mots trahissent-ils les choses qu'ils veulent exprimer dans la mesure où ils les manquent dans leur essence : ils les transforment en les offrant à leur sens. Or la transformation est vie, jouissance de l'être. Ils créent un monde où l'infidélité aux choses, qui n'est pas déloyauté, s'avère riche de promesses parce qu'elle répète le monde en y introduisant l'infime différence, l'écart de la parole qui le célèbre.

La métaphore du pollen Il est une tradition de la poésie comme métaphore du monde. Dans le poème, le signe devient palpable, pure sensation, et s'éloigne alors davantage de l'objet qu'il désigne. Il se métamorphose en figure, émergeant d'un chaos de sens, compose un monde, représente, donne vie et forme dans le langage à l'informe, à tous les sens possibles auxquels il ne renonce pas. Le poème serait ici une tierce expression d'un monde invisible et inaugural, condition de toute lecture et jamais déchiffré Pour sa part, l'approche psychanalytique considère le mot comme traduction d'une perte souterraineprimitive, vouée à l'incessante tentative de restaurer la " chose " inaccessible.

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Khireddine Mourad, l’auteur au chant à

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Dans le texte de Khireddine Mourad, le pollen constitue ce signe et cette figure autonomes. Si la ressemblance étaye la métaphore dans une répétition incantatoire, l'identification à la chose, contradictoire, multiforme, l'en sépare irrémédiablement : la métaphore est transhumance de sens, d'être. Son " être-comme ", sa répétition de la chose ne s'effectuent que sur fond d'une différence infinitésimale, écart où le sens se constitue et se développe : elle est simulacre, dissymétrie, copie d'une copie, inégalité foncière, entr'ouverture où se glisse le devenir de la création littéraire. Pollen semble pouvoir se lire aussi selon cette lecture complexe, en particulier ce passage où chaque dire pousse vers l'indicible et la répétition de ce qui a été, sera, sans cesse différent. " Je dis : " Vos beaux yeux murmurent l'inépuisable à la noyade heureuse. " Je dis : " Ainsi chante-t-elle, à court de mots, dans le tumulte de la ville à son premier éveil. " Je dis : " Ils ne nous diront pas ! Personne ne nous dira ! Nous ne sommes plus, à ce jour épuisé, dicibles ! " Voici qu'en tous instants nous animons de nos bavardages le grand silence, Ecoutant la pluie et la lueur, fredonnant les flocons comme l'on fredonne la douleur, Et nulle part, pollen que toute parole écarte de nous, nulle part fleurs n'ont éclos avec tant de violence.

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1. Titre de l'article de Khireddine Mourad sur Charles Juliet, in Jungle, les pas fauves du vivre, n13 2. Chant d'Adapa, Déserts, Hatier, 1989, p. 65 3. Chant d'Adapa, op. cit. p. 56 4. Chant d'Adapa, op. cit. p. 56 5. R-M. Rilke, Lettres à un jeune poète, Livre de Poche, 1989, p. 43 6. Pollen, Edition Al Manar, 2001, p. 8 7. Pollen, p. 10 8. Chant d'Adapa, op. cit. p. 77 9. Chant d'Adapa, op. cit. p. 79-80 10. Pollen, p. 17O OEuvres publiées de Khireddine Mourad Pollen, poésie, Ed. Al Manar, Paris, 2001 Le Chant d'Adapa, poésie, Hatier, Paris, 1989 Nadir ou la transhumance de l'être, nouvelles, Ed. Le Fennec, Casablanca, 1992 Marrakech et la Mamounia, ACR, 1995 Les Dunes vives, roman, Eddif, Casablanca, 1998 Arts et traditions du Maroc, La part du signe, ACR, 1998 Ouvrages, articles et communications de référence Khireddine Mourad, Le Chant d'Adapa, poésie, Hatier, Paris, 1989 La conquête du vivre, Jungle, Les pas fauves du vivre, N 13 Le Cheminement vers l'être Le blanc est aussi un nègre Le Mirage de la parole, colloque sur le Silence, Marrakech, Université Cadi Ayyad, 1997 Gilles DELEUZE, Différence et répétition, PUF Epiméthée, 1968, 1993 L'Abécédaire Julia KRISTEVA, Histoires d'amour, Denoël, 1983 Le langage, cet inconnu, Points Seuil, 1981 Soleil noir, dépression et mélancolie, Gallimard, 1987 Rainer-Maria RILKE, Lettres à un jeune poète, Livre de poche, 1989

Khireddine Mourad, l’auteur au chant à

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Khireddine Mourad, l’auteur au chant à l’indien

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À propos de « chant à l’indien » Le poème traite ici de la tragédie de l’indien à la fois être déterritorialisé et « dé-nommé », même quand l’erreur commise sera reconnue. Cet Indien qui ne vient d’aucune Inde. Cette tragédie est née des convoitises commerçantes, politi-ques pour l’Inde – l’Orient – qui prend tout d’abord la for-me d’un rêve, pour s’achever dans un leurre : la quête s’est convertie en conquête, les conquérants ont baptisé par er-reur « Inde » un continent qui ne l’était pas, « Indiens » des hommes dont ils ont détruit la vie, la civilisation, l’être, au lieu de chercher à les connaître. Ils sont venus sur leur ter-re, conduits par leurs attentes, leur avidité, leurs normes et leurs peurs qu’ils leur ont imposées avec leur histoire. Ils leur ont surtout dérobé ce qui leur permettrait de survivre, et d’avoir été. Cette dé-nomination et l’identité même de l’indien ne sont donc qu’ « un rêve né à Grenade pour une Inde de l’Est qu’on est allé chercher à l’Ouest. Et l’être ainsi nommé, par un nom qui le renvoie géographiquement ail-leurs qu’à son lieu d’origine, se trouvera prisonnier d’une étymologie qui ne lui envoie aucune racine ». Pour les conquérants en voie de sédentarisation, peut-être s’agissait-il, écrit l’auteur, de « supprimer sa mémoire afin qu’il n’y ait même pas de reproche à se faire pour l’avoir exterminé ».

Source bladi.net

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