PIANOTRIP

REVUE DE PRESSE

60 stradda / n° 21 / juillet 2011

“Chi va piano…

C’est une action qui se passe volontiers de mots. Faire place nette à la puissance d’une note, à l’évanescence d’une attitude, au lâchage. Sur place, tenter de garder ses distances avec la Raison-mère. Se remplir d’un acte. S’y atteler tout entier. Alors je ne suis pas sûre qu’ils sachent cerner ces « riens » indicibles, mes mots. Mais nous sommes ancrés dans un monde où la raison gouverne. Loin de vouloir en émarger, je me plante dans le décor, bien volontiers. Pourquoi pas ? […]

De l’ouverture d’un portail familial à la disqueuse en pleine campagne bulgare, au coin d’une rue où un parfait inconnu sabre le champagne pour nous souhaiter la bienvenue à Bratislava, puis se retrouver dans un salon vénitien à jouer du piano sur un Steinway de concert de 4 mètres. Jusqu’à une femme slovène qui va aller dormir chez sa mère, pour nous « laisser nous reposer pleinement ».On se dit que le but de ce voyage n’est pas de reproduire l’émission de télé « J’irai dormir chez vous ce soir », mais il faut se rendre à l’évidence : de l’Italie jusqu’à la Grèce, de la Bulgarie à la Slovaquie, on n’a pas arrêté d’être reçus, un peu partout, de circuler dans la réalité fragmentée des gens. Pour quinze minutes (le temps d’un café ou d’une machine à laver), une nuit (le temps de se connaître au cours d’un bon repas), une semaine (à récupérer par exemple d’une maladie)... le record étant de trois semaines (en Bulgarie et à Budapest). Ce piano-vélo, il est en réalité tiré par beaucoup plus de gens que par nous. C’est d’ailleurs cette énergie commune qui le tracte. Et sans cela, il n’aurait pas vraiment de sens. Juste une petite bulle de folie à deux. Sa présence se justifie dans l’intérêt à le mettre en rapport avec le monde dans lequel on vit, à l’ouvrir dans toutes ses possibilités, plutôt qu’à en limiter la sphère à un badinage de binôme individuel sur le continent. Et sur la route, les gens ont décidé de saisir l’impulsion et d’améliorer l’histoire par leur empreinte.

D’une nuit à l’autre, les situations se sont chevauchées, tous les jours, en contradictions notoires. Par exemple, un soir, nous étions invités à dormir dans l’agréable maison d’un ambassadeur, et le lendemain, via la police, à fermer les yeux dans un centre pour SDF.Les familles et les inconnus croisés dans la rue, dans notre cas, sont justement les personnes qui nous ont permis de faire le lien en Europe, d’avancer surtout. Continuer la route. On vit en général un accueil de déglingo, embrigadés dans nos journées hors normes. [Ces rencontres] nous ouvrent le sas magique de pouvoir continuer, nous apaiser, car elles nous bordent bien souvent au gré des routes, et on repart chargés de leurs bruits, des instants collectors qu’on préfère vivre au présent bien à fond, plutôt que sortir la panoplie matos photo du voyageur ouvert. Au départ, souvent, on repart bardés de petits cadeaux qu’on garde soigneusement. On les découvre un peu plus tard. Par exemple, une ribambelle de produits frais entre la Bulgarie et la Roumanie (tellement d’ailleurs, qu’on les redistribuait sur la route), une collection de pots de confitures, récemment entre la Slovénie et l’Italie (huit au total !). De la soupe, des pâtisseries, des

Lou et Christophe. Une pianiste et un photographe. Depuis 2010, ils sillonnent l’Europe à vélo, tirant derrière eux le piano dans le triporteur « Janot ». Quand l’endroit s’y prête, souvent en complicité avec les habitants, ils déballent tout et le concert commence…

Lou Nils. Master littéraire, théâtre au cours Florent et au cours Simon. Pianiste, chanteuse, voyageuse (Amérique latine, Inde, études au Chili...).

Christophe Clavet. Dessinateur-illustrateur, photographe, voyageur (France-Gambie à vélo, Inde...).

Pianotrip est une action artistique lauréate de sept prix institutionnels en 2009-2010.

Le parcours. Départ d’Annecy, le 27 février 2010.Avril, Venise- Patras en bateau, puis remontée via la Bulgarie et la Roumanie jusqu’à Budapest. Octobre-novembre, Bratislava-Gênes, à vélo puis bateau jusqu’à Tanger, au Maroc. Janvier-juin 2011, périple au Portugal. Actuellement en Andalousie. Destination Bilbao, puis l’Angleterre en bateau. Arrivée prévue en octobre 2011 à Paris. www.pianotrip.com

carnet de route

pianotrip

“ Ce piano-vélo, il est en réalité tiré par beaucoup plus de gens que par nous. C’est cette énergie commune qui le tracte. Sans cela il n’aurait pas de sens, juste une bulle de folie.”

stradda / n° 21 / juillet 2011 61

“

© C

hri

sto

phe

Cla

vet

/ G

uil

lem

ette

Du

Fou

leu

r

“Je me plante dans le décor, bien volontiers.”Lou Nils à Podunajské Biskupice, près de Bratislava, Slovaquie, le 2 octobre 2010 à 15 heures.

t-shirts, talismans, petits mots cachés dans nos valises, un antivol, des outils pour réparer, un phare pour mettre à l’arrière du Janot, des eaux-de-vie maison…L’idée qu’on soit reçus partout comme des princes est fausse, n’allons pas nous imaginer que sous la vision Pianotrip, le continent s’est transformé en grande cours maternelle où on a le luxe de bambiner en couche-culotte, béats, un doudou à la main. On reste en 2010. Mais la réalité de l’accueil qu’on vit déclasse toutes les émissions d’insécurité sur les écrans de télévision. La force de l’échange ici n’est pas de montrer à quel point c’est facile, ou qu’on passe notre temps à quémander quelque chose.

C’est plutôt un appel spontané qui fait que quelqu’un t’invite. Et que c’est à portée de main des deux côtés. Si la personne en face t’invite à passer d’un coup toutes les barrières qui te séparent d’elle et si toi, tu décides aussi de le franchir, ce pas. Ça se fait à deux, de s’écarter de la peur, des idées reçues.« Oui, mais c’est dangereux tout ça! (...) Faudra pas se plaindre si vous vous rétamez. » Vivre au sens général, c’est dangereux, si on part de ce principe. Bref ces élans réciproques nous ont fait vivre des instants assez impossibles à recopier en file indienne sur la toile. C’est bon de les consumer jusqu’à plus soif, ces élans de relations qui continuent de se tisser dans cette Europe qu’on sent frileuse de tout rapport humain inattendu, dépressive dans les gros titres, mais instants pourtant vécus au jour le jour, qui font qu’on est debout tous les deux, et toujours autant talonnés de continuer à découvrir notre continent en musique, rencontres et paysages. […]

Urgence de la vie. Au vu du panel de « loses » qu’on a traversées, un des facteurs de l’intensité du quotidien était dû au sentiment que, tout pouvait s’arrêter, du jour au lendemain, constamment. Et le stop, ça aurait été comme signer quelque chose pas loin de la mort. Impensable.La grande absence d’intérêt/coopération institutionnelle des huit premiers mois est venue ajouter une bonne couche d’aléatoire et de déclics à intégrer au jour le jour. Du piment, en général. On s’est alors jetés à l’assaut des journées, ballotés avec passion dans l’instant présent et ses milles ramifications techniques et humaines. Finalement, c’est comme ça que ce « projet » se vit au plus proche de sa pureté : le piano passe pour de bon au milieu des gens. Et ce qui le fait sortir de son caisson, ce piano, c’est l’ouverture qu’on lui accorde. Un vrai saut à l’élastique, dans les entrailles du continent.L’histoire de cette traversée de piano, elle s’est écrite ensemble. Les empreintes sur l’instrument, on n’arrive même plus à les dénombrer. C’est une histoire contemporaine, avec ses hauts et ses bas ultramodernes. On vit réellement le chemin des possibles, avec un lot d’éventualités improbables, avec des combinaisons paradoxales, parfois aliénantes. Dans l’air il y a des extraits de Charlot, Woody Allen, Kusturica, deux trois séquences Bond… l lou Nils

25 Avril 2011, Journal de Notícias, Portugal

Mai 2011, Zazpika, Espagne

8 Mai 2011, Bien Public , France

17 Avril 2011, Bien Public, France