Retentissement psychomoteur de la douleur

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retentissement psychomoteur de la douleur aspects semiologiques et therapeutiques A.-E. ALBA La douleur prolong~e de I'enfant atteint de maladie chronique inter- pelle tout particulierement le psycho- motricien. En effet, elle a une implica- tion non n~gligeable sur rorganisation psychomotrice du jeune enfant. Dans un premier temps, nous allons tenter de rep~rer cette semiologie psy- chomotrice. Nous essaierons ensuite de savoir s'il y a une incidence sur I'etablissement du schdma corporel et le ddveloppement psychomoteur de I'enfant. Nous envisagerons ensuite quelle therapeutique le psychomotri- cien peut proposer parallelement au traitement antalgique tres souvent indispensable mais pas forcement suf- fisant. A.-E. ALBA, Psychomotricienne, service du professeur Labrune, h6pital d'Enfants, CHU de Bic~tre, 94270 Le Krem- lin-Bic6tre. aspects psychomoteurs de la sdmiologie de la douleur population N OUS travaillons dans plusieurs services de pSdiatrie hautement sp~cialisSs. Les enfants que nous suivons ont pour la plupart pass~ plus de temps ~ l*hSpital que dans leur famille. Leur courte vie a d$j~t 8t8 bien ~prouv~e par la souffrance physique et les d~chirements li~s ~ la s~paration du milieu familial. Leur moyenne d'~ge est inf~rieure ~t 3 ans. Ils sont atteints de maladies lourdes et souvent chroniques, pathologies hSpa- tiques graves n6cessitant une greffe de foie, d$fi- ciences respiratoires chroniques, leuc~mies, hSmo- philies, maladies du m~tabolisme, etc. Ces enfants ont ~t$ souvent confrontSs de fagon rdp$titive et prolongSe ~ la douleur somatique, douleur provo- qu~e ~ la fois par de nombreux examens et traite- ments et par la maladie elle-mSme. C'est pourquoi nous parlerons plus particuli~rement de douleur chronique en opposition ~ la douleur aiguS. Journal de PI~DIATRIE et de PUERICULTURE n~2-1993 81

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re tent issement p s y c h o m o t e u r de la douleur aspects semiologiques et therapeutiques

A.-E. ALBA

La douleur prolong~e de I'enfant atteint de maladie chronique inter- pelle tout particulierement le psycho- motricien. En effet, elle a une implica- tion non n~gligeable sur rorganisation psychomotrice du jeune enfant. Dans un premier temps, nous allons tenter de rep~rer cette semiologie psy- chomotrice. Nous essaierons ensuite de savoir s'il y a une incidence sur I'etablissement du schdma corporel et le ddveloppement psychomoteur de I'enfant. Nous envisagerons ensuite quelle therapeutique le psychomotri- cien peut proposer parallelement au traitement antalgique tres souvent indispensable mais pas forcement suf- fisant.

A.-E. ALBA, Psychomotricienne, service du professeur Labrune, h6pital d'Enfants, CHU de Bic~tre, 94270 Le Krem- lin-Bic6tre.

aspects psychomoteurs de la sdmiologie de la douleur

population

N OUS travaillons dans plusieurs services de pSdiatrie hautement sp~cialisSs.

Les enfants que nous suivons ont pour la plupart pass~ plus de temps ~ l*hSpital que dans leur famille. Leur courte vie a d$j~t 8t8 bien ~prouv~e par la souffrance physique et les d~chirements li~s ~ la s~paration du milieu familial. Leur moyenne d'~ge est inf~rieure ~t 3 ans. Ils sont atteints de maladies lourdes et souvent chroniques, pathologies hSpa- tiques graves n6cessitant une greffe de foie, d$fi- ciences respiratoires chroniques, leuc~mies, hSmo- philies, maladies du m~tabolisme, etc. Ces enfants ont ~t$ souvent confrontSs de fagon rdp$titive et prolongSe ~ la douleur somatique, douleur provo- qu~e ~ la fois par de nombreux examens et traite- ments et par la maladie elle-mSme. C'est pourquoi nous parlerons plus particuli~rement de douleur chronique en opposition ~ la douleur aiguS.

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semiologie de la douleur chez le nourrisson

Le b~b~ a trSs peu de moyens pour exprimer ce qu'i l ressent, no tamment quand il a real. Les voies motrices et kinesth~siques sont les principales voies d'e~pression, de d6fense et de d&harge qui lui sont accessibles. I1 nous faut donc savoir d&hiffrer l 'em- preinte de la douleur sur le corps de I'enfant.

L~att i tude an ta lg ique

Le nourrisson se maint ient dans une position pas forc$ment confortable ni habituelle pour soulager la zone corporelle douloureuse, ce qui cr$e un &at de tension musculaire et d ' indisponibili t8 du corps.

La modification des points d'appui

Le b4b8 ne s'dquilibre pas de fagon harmonieuse et sym&rique. Les positions asym&riques sont fr& quentes et les rdactions d'$quilibration mal adapt~es. Exemple : le b6b$ passe d 'un seul bloc de la position allong~e c6t~ droit ~ la position allong~e c6t~ gauche sans passer par les appuis interm~diaires.

Le dgsgquilibre du tonus axial

I1 est fr8quent de rencontrer un d&$quilibre du tonus axial avec hypertonie relative des muscles extenseurs du tronc et de la nuque (souvent associ4e

un faux torticolis) et hypotonie des muscles fl4- chisseurs du tronc sans origine neurolngique. Ceci peut s'observer par exemple chez les enfants d8fi- cienrs respiratoires et no tamment sous ventilation assist&. Cette at t i tude en hyperextension du dos et de la t&e peut persister lorsque l 'on prend l 'enfant dans les bras. Le b~bd ne se blot t i t pas, ne se love pas. II n 'y a pas d 'adaptation posturale. Quelque- fois, cette at t i tude peut &re mal interpr&Se par les parents qui la prennent pour de l'hostilit~ ou du ddsintSrSt de la part de l'enfant.

L 'at t i tude antalgique n'est pas toujours rep&able quand il s'agit de douleur chronique diffuse ou d 'un &at g~n&al douloureux.

La r d d u c t i o n des m o u v e m e n t s

On rep~re facilement une rSduction de l 'activit8 spontanSe et souvent une nette d iminut ion des alternances posturo-cinStiques, c'est-g-dire des prises de postures et de mouvements qui se renou- vellent. Exemple : le b4b~ normal allong8 sur le dos, les quatre membres en appui, s ' immobilise un court instant puis replie ses membres, mains jointes sur la bouche et reprend la posture initiale puis recom- mence la m~me s~quence de mouvements (2). On n~observe presque plus ces alternances de mouve- ments chez le bdb~ douloureux.

L ' a p p a u v r i s s e m e n t de la mot r i c i td

Les encha}nements moteurs sont moins diversi- fibs avec no tamment la disparition de la plupart des

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mouvements intermddiaires qui font la richesse de la motricit~.

Les mouvements d 'exploration du corps propre sont souvent rSduits. La mimique est pauvre, inex- pressive ou f ig& avec peu de mouvements de suc- cion.

Cependant, on peut repSrer des mouvements auto-&otiques comme le balancement du tronc ou des rotations cdphaliques.

Parallalement ~ ces signes psychomoteurs, [e compor tement du nourrisson se modifie. I1 devient indiffSrent ~ son environnement, ne regarde pas le jouet qu 'on lui tend, ne cherche pas ~ l'attraper. II ne sourit pas, ne gazouille pas, garde un visage s&ieux ou inexpressif. I1 peut aussi se r~fugier dans l 'hypersomnie. En fair, il se protege contre la dou- leur et ne nous laisse plus accSs ~ sa personne.

semiologie de la douleur chez le jeune enfant (1-3 ans)

On retrouve l'attitude antalgique lorsque l 'enfant est couch~ mais aussi lors de d6placements : c'est l 'exemple de l 'enfant qui marche en boi'tant ; en fair, il protSge sa jambe de la sensation douloureuse. On peut aussi remarquer un enfant qui protege une zone de son corps lorsqu'on le mobilise.

La passivitd de l 'enfant est frappante, il s'~cono- raise, r6duit son activitY. Son att i tude de retrait, la pauvret8 de son expression rappetlent un &at dSpres- sif. C'est Patonie psychomotrice, tableau d&r i t par A. Gauvain-Piquard (3). Dans ce tableau, elle note :

- <~ des mouvements rares, lents et monotones ; - des mouvements des extr4mit& (par exemple

des peti ts mouvements d '$miet tement des lbvres) ; - la raretd des affects ; - la baisse de Pint&& pour les choses et les per-

sonnes ; - la baisse du plaisir de fonctionner en inter-

action avec l 'observateur ; - l 'hostilit8 ; - la baisse de Pinitiative ; - l a baisse de la r6ponse en intensit~ et en

du r& ; - la baisse de l 'adaptation de la posture ~>.

L'enfant peut devenir tel lement immobi le qu 'on ne voit plus de positions antalgiques. Son repli peut rappeler celui de l 'enfant psychotique. La quantit6 de douleur subie par l 'enfant influence ce tableau d'atonie psychomotrice qui est rSversible si l 'enfant est mis sous trai tement antalgique.

semiologie de la douleur chez le grand enfant (6-12 ans)

La s~miologie est tout ~ fait comparable ~t celle du jeune enfant. On retrouve le tableau d~atonie psychomotrice et l 'a t t i tude antalgique.

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L,ensemble de ces signes n'est pas systdmatique : les enfants ne sont pas ~gaux face ~i la douleur. Ils peuvent r&gir de fagon tr~s diff~rente en fonction de teur histoire, de leur v&u ant~rieur et de leur lien affectif avec leurs parents.

Ces perturbations psychomotrices de l'enfant douloureux sont persistantes. Aussi il nous apparalt important de rep&er les rdpercussions ~ventuelles sur le d~veloppement futur de l'enfant. "

sequelles de la douleur prolongee

r&percussions de la douleur sur le d e v e l o p p e m e n t p s y c h o m o t e u r

Ces enfants l imit& dans leur motricitd et dans l'exploration de leur corps ont en r~gle g~n~rale des acquisitions psychomotrices ralenties.

Chez le nour r i s son

Le d6veloppement postural est particuli~rement perturb4. La douleur prolong~e entralne une modi- fication du tonus de fond, d'ofi une mauvaise r~gu- lation de la distribution du tonus et un mauvais ajustement postural. L'att i tude en opisthotonos, tr~s fr~quente d}s qu'il y a trouble du tonus, est tr~s invalidante pour le d~veloppement futur. Le dds& quilibre de la tonicit~ entre le plan ant&ieur et pos- t~rieur entra~ne des perturbations de tousles appuis antdrieurs : pas de rdflexe de parachute, refus fr& quent ou inconfort en d&ubitus ventral, retard dans l'appui des mains pour s'dquilibrer en position assise, pas de << ramp~ ,, ni de quatre pattes, grosses difficultds pour passer d'une position ~ une autre, mauvaise perception de l'espace ant&ieur, peur d'&re touch6 au visage, crainte de se d~placer pour aborder de nouveaux espaces.

Chez le jeune et le g r a n d en fan t

Les troubles du tonus se retrouvent aussi bien chez l'enfant plus grand.

L'activit~ mortice &ant r$duite, les retards dans l'acquisition de la marche sont frequents. L'enfant est souvent tr~s prudent dans ses dSplacements sur- tout lots de situations inhabituelles.

Prenons l'exemple de l 'enfant h~mophile. En effet, nous avons plus particuli~rement &udi~ les r~percussions de la maladie h4mophilique sur le d4veloppement psychomoteur de l'enfant.

L'h~mophilie est une anomalie cong~nitale de la coagulation, responsable d'accidents h~morragiques intra-articulaires (h6marthroses) ou musculaires particuli~rement douloureux et pouvant entra~ner des s~quelles de l'appareil locomoteur.

Lors d 'un pr&~dent travail (1), nous avons donc propos6 un examen psychomoteur ~i 26 enfants

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atteints d'hdmophilie s4vhre, ~g4s de 4 ~t 12 ans, ainsi qu'~ une population d'enfants t4moins de la m4me tranche d'~ge. Ces enfants h4mophiles sont entr& dans la maladie ostdo-articulaire et ont d~j~t eu de nombreuses h4marthroses.

Nous avons observ~ la grande fr~quence des d~sordres psychomoteurs chez ces enfants. En effet, ils pr4sentent des difficult4s de coordination : nom- breuses syncin4sies, incapacit4 de dissociation lors de mouvements faisant intervenir les membres sup&ieurs et les membres infdrieurs, une raideur importante.

Lors des 4preuves de symbolisation gestuelle oh l 'enfant doit mimer des actions choisies ou impo- s&s, on remarque la pauvretd de l'exdcution du geste et de l ' imagination, la l imitat ion de l'utilisa- tion du corps, ainsi que le manque d'initiative motrice. Lorsque l ' on demande ~t ces enfants de se dessiner, on obtient un dessin statique, raide et pauvre en d4tail.

Les enfants t4moins n'4prouvent pas de difficult4s dans l'ex6cution globale de cet examen psycho- moteur. Les anomalies 4ventuellement retrouv6es sont isol4es et portent sur un nombre limitd d'~preuves.

Nous avons constat4 qu'une seule h4marthrose peut modifier l 'utilisation du corps par l'enfant. Tel cet enfant de 2 ans qui, ~t la suite d 'une h4marthrose du genou gauche survenue ~t l'~ge de 9 mois, ne prenait toujours pas appui sur sa jambe gauche.

C'est lors de l 'acquisition de la marche que sur- viennent les premi6res h~marthroses restreignant le plaisir de l 'autonomisation motrice. Or, cette pdriode est particuli6rement importante pour l'ac- quisition du sch4ma corporel.

impact de la douleur sur le schema corporel

L'enfant r~agit vivement ?i la douleur m~me si cette douleur peut para~tre anodine.

Prenons l'exemple du jeune enfant qui vient d'avoir une prise de sang. I1 immobilise de lui-m~me le membre concernS, puis grace ?~ l ' intervention de sa m~re, il se rassure et finit par oublier. Mais un enfant qui sera piqu~ plusieurs lois de suite et sur plusieurs semaines mettra beaucoup plus de temps pour utiliser parfaitement son bras, m~me si sa m~re est l~i pour le consoler. I1 ne l'utilise plus spon- tan~ment, c'est comme si les informations venant du bras &aient insuffisantes pour que l 'enfant en ait une bonne conscience et une bonne mai'trise. Autre exemple, l 'enfant qui vient de subir une succession de ponctions lombaires nous dit ne plus sentir son dos, ne plus avoir de dos. Son dos ne serait plus int~gr~ dans son schema corporel.

Revenons ~i la d~f in i t ion d u s c h e ma corporeL Selon Lemay (6): << Le schema corporel est la connaissance intuitive que nous avons de notre

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propre corps ~ l'6tat statique et en mouvement , dans les relations entre les diff&entes parties et dans ses rapports avec l'espace, les personnes ainsi que les objets qui nous entourent. Ce schdma n'existe pas ~i la naissance et demande pour se d6velopper un ensemble de conditions neuro-motrices, sensori- motrices et affectives >,.

I1 n'est pas possible ici de d6terminer si toutes les conditions n&essaires ~ l '&ablissement du schema corporel sont pr6sentes ou non dans les conditions de vie de ces malades. Elles sont certainement modifi6es, voire appauvries.

I1 ne faut pas oublier que la douleur bdnigne par- ticipe efficacement ~t la construction du schema cor- porel. Reprenons la p6riode de l 'acquisition de la marche ; c~est gr~ce aux nombreuses chutes et petits bobos associ6s que notre jeune explorateur se rep}re et se structure. Mais l 'enfant qui a mal de fagon pro- long& construit son sch6ma corporel surtout par l ' intermddiaire de stimuli douloureux. Ils sont fr& quents et prioritaires par rapport aux autres infor- mations (sensorielles, kinesth~siques, c~nesth& siques). Des recherches r~centes en neurophysio- logie expliquent ce ph6nom~ne par l ' intervention des << C I D N , ; Uest&-dire les contr61es inhibiteurs diffus induits par stimulation nociceptive. Selon Le Bars (3) : << Les neurones convergents sont sensibles ~t une double stimulation, nociceptive et non nocicep- rive. Ils entret iennent ainsi une activit6 somesth& sique de base oft se fond la douleur, que les syst~mes inhibiteurs diffus vont l i t t&alement "extraire" en faisant "taire" ces neurones ~.

La douleur excessive bloque Fimage mentale et perturbe le contr61e moteur des membres et de ce fair P~laboration du sch6ma corporel. Les enfants out une vision parcellaire de leur corps.

Ces t encore plus pr6judiciable chez le bdbd aux limites corporelles incertaines. Le schdma corporel se construit de ~iigon &lat&. En effet, les soins sont en r~gle g6ndrale douloureux, intensifs et retentis- sent sur l 'int6grit~ corporelle du b6b6. Sa peau est plus souvent agress& que caress&. Son corps trans- perc6 de toute part par les sondes, perfusions, cathd- ter, trach6otomie, ne peut plus avoir sa fonction de corps contenant (7). Les stimulations n6gatives dominent les st imulations positives, ce qui pro- voque une rupture de la sensation de bien-&re. La surst imulation nociceptive peut entra~ner des dis- torsions de sch6ma corporel avec parfois cristallisa- tion sur certaines parties du corps. La partie du corps douloureuse est le plus souvent d&investie et quelquefois surinvestie et les autres parties du corps perdent de leur importance.

Prenons l 'exemple de certains enfants l)orteurs d'une atr~sie des voies biliaires intrahgpatiques (malformations des voles biliaires). Ils ont une conscience du corps tr~s particuli~re. En effet, la distension abdominale dont ils souffrent, cons&utive ~ l 'h6patom6galie et

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~i la spl~nom6galie, donne ~t l 'ensemble du tronc le caract~re d 'un bloc rigide qui entrave la mobilit~ sponran& et le compor tement exploratoire. L~int~- r& de l 'enfant pour son corps semble s'arr~ter ~i la l imite de l 'ombilic. Les membres inf&ieurs sont oubli~s et leur rSie de support du poids du corps refus6 ou inconnu. Lorsque l 'on essaie de mettre l 'enfant sur ses pieds, il relive les jambes ~ l'~querre en refusant l 'appui. I1 ne joue pas avec ses pieds et le retard de marche est frequent, l '&at de d6nutri- t ion n '&ant pas seul en cause. L'insuffisance d'intd- gration du schema corporel peut se retrouver chez l 'enfant plus ~gd. La figure 1 montre le dessin du bonhomme d 'un gargon de 14 ans at teint de cette pathologie h4patique s&~re. Le dessin est r~alis~ un mois apr~s une greffe de foie aux multiples compli- cations postop~ratoires. II est ~ cette ~poque prostr6 sur lui-m~me et quasi mut ique , ne parlant que pour poser des questions pr&ises et r~p~titives sur les soins et ses drains. I1 est inquiet par rapport ~i l 'int6- rieur de son corps mais aussi par rapport aux perfu- sions et aux drains qu'i l vit comme des trous darts son enveloppe corporelle. On remarque la sch4mati- sation excessive du dessin, l'absence de pieds, et le retard notoire entre l'~ge obtenu ~ l'~chelle de maturit~ (6 ans) et l'~ge r~el (14 ans).

Tallal est at teint d'h&ophilie s&~re. La figure 2 montre deux dessins qu'i l r6alise ~i un an d ' inter- valle. Entre ces deux dessins, Tallal a fair ses pre-

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mitres h4marthroses r&idivantes. Son deuxi~me dessin s'est ne t tement ddgrad8 donnant l ' impression d'un &latement de l 'unit8 corporelle.

Le dessin est un outil tr~s utile pour suivre l'dvo- lution de l '&at douloureux de l'enfant. En effet, douleurs, immobilisations forc&s, sent iment d'abandon face fi la s6paration d'avec le milieu fami- lial, repli sur sol sont rep&ables dans les dessins. Nous utilisons souvent le dessin pour aborder Pen- fant et ainsi amorcer un dialogue plus proche de son v&u corporel.

quelle therapeutique le psychomotricien peut-il proposer ?

Tout d'abord, il faut savoir que ces enfants, du fait de leur maladie, sont particuli~rement vuln& rabies. La sdparation du milieu familial les fragilise encore davantage. Ils sont affaiblis par les stimuli nociceptifs r~p&itifs. D'autre part, chaque enfant n'est pas arm8 de la mSme fagon pour affronter la douleur.

I1 faut recr6er autour de l 'enfant un environne- ment le plus apaisant possible et les parents sont bien stir nos principaux partenaires. Nous abordons tr~s progressivement cet enfant devenu si craintif qu'il ne diff6rencie plus les stimuli positifs des sti- muli nSgatifs. Quelquefois, il nous faut aborder le jeune enfant comme un nourrisson compte tenu de son &at de r6gression. Nous essayons de r&ablir le dialogue l~t ofa il est possible. Nous sommes aussi tr}s attentifs ~t son &at de vigilance.

Journat de PEDIATRIE et de PUE~RICULTURE n ~ 2-1993

Le mode d~approche ~ ce stade n~a rien de sp&i- fique. Tous les moyens possibles pour reprendre le contact sont essay&, et tout d 'abord une pr&ence chaleureuse et une grande disponibilit&

Nous lui racontons sa propre histoire avec le pro- jet de rdparer, unifier, restituer son intggralitd. Nous y associons d& que possible des massages de d&ente, des mobilisations douces, puis des s&nces de relaxa- tion dans un climat d 'empathie dans l'idSe de rSuni- tier ce corps bien souvent morcel8 !

D~s que l 'enfant le peut, nous lui proposons de se dessiner afin de suivre l '&olut ion de son v&u cor- porel. Voici l 'exemple de Patrick, 3 ans 1/2, souf- frant d 'une leucSmie aigu~. Lorsqu'il dessine le pre- mier dessin (Fig. 3), il est douloureux et repli~ sur lui-m~me. Son dessin montre son &at de r6gres- sion : forme tr~s primit ive du trac$, couleur sombre et apesanteur. Lors du deuxiSme dessin (Fig. 4), il n'est plus douloureux mais encore tr& introverti. Son dessin est &latd avec surcharge par endroits. Au moment du troisiSme dessin (Fig. 5), Patrick va beaucoup mieux e t a repris de l'assurance. Dans son dessin, on remarque une premiere tentative r~ussie de figuration humaine. Ces trois dessins montrent l '&olut ion progressive de Patrick vers un sent iment d'exister en tant que sujet entier.

Le nou r r i s son , lui, a peu de moyens pour expri- mer ce qu' i l ressent et c'est uniquement ~ travers son corps qu'i l peut mSdiatiser son malaise. Par son approche corporelle, le psychomotricien a une place privil6gi& pour aider S la restauration de cette rela- tion. En effet, notre propre disponibilitd corporelle nous permet de ressentir l '&at de tension et nous essayons de lui communiquer une certaine d&ente et r6assurance corporelle. En fait, nous nous met- tons en empathie tonique avec le b~b~. La presence de la m~re est tr~s importante mais le compor tement de Fenfant n~est pas toujours facile S interpr&er. I1 faut dire aussi qu 'en dehors de la sensation de dou- leur proprement dite, l 'enfant souffre aussi de la crainte de la m~re face ~ sa douleur. I1 se pourrait aussi selon A. Gauvain-Piquard (4) - que l ' interpr& ration maternelle puisse &re en dSfaut devant un v&u du bdb8 dSpassant les normes de l 'habituel, et auquel elle ne peut s 'identifier , . Certaines douleurs ne sont pas identifi&s par la m~re comme douleur mais comme malaise diffus. On peut repSrer deux types de situation ofJ la relation m~re-enfant devient difficile : quand l'enfant, restant silencieux, ne bouge presque plus, la maman peut se sentir d&empar&, quand le b$b4 cont inuant de pleurer dans ses bras, ne se blot t i t pas, elle peut l ' interpr& ter comme de I'hostilit6 de l 'enfant vis&-vis d~elle et se sentir pers&ut&. I1 s'agit donc pour le psycho- motricien de d&oder le langage du corps de l 'en- fant, de jouer le r61e de traducteur aupr~s de la m~re.

La maman redevient alors une partenaire inter- active ~ part enti~re. Dans cet &hange, elle se sent ~t

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nouveau comp4tente aupr~s de son enfant et se sent soutenue. En agissant directement sur son enfant, elle peut ainsi lui redonner un sentiment de s&u- rit~.

Ce type d'approche permet ~i l 'enfant de se << r6veiller >> et d'accepter d ' interagir ~t condition qu 'on lui propose un canal de communicat ion adaptS.

L'enfant modifie progressivement ses rapports avec son propre corps en passant du statut d 'objet ~i celui de sujet. I1 red~couvre un corps gratifiant et source de plaisir.

E n c o n c l u s i o n

Si la sSmiologie et les s~quelles de la douleur sont partictfli~rement amplifiSes darts notre population d'enfants tr~s malades, on peut supposer qu'elles existent a minima darts des situations moins drama- tiques telles qu 'un traumatisme, fracture du bras ou de la jambe par exemple.

Enfin, nous n'avons pas abord8 ici la notion de douleur psychique mais il est bien &iden t pour nous que douleur psychique et douleur somatique chronique sont ~troitement intriqu&s.

Nous venons de voir ~ quel point la douleur pro- long& peut &re nocive pour l 'Svolution de Penfant. I1 est donc tr~s impor tant de prSvenir ces s~quelles. Lrapproche psychomotrice nous para~t 8tre tout fait compl~mentaire du t rai tement antalgique. En effet, il ne suffit pas de faire dispara~tre la douleur mais il faut aussi aider l 'enfant fi se r&oncilier avec son corps et ainsi red~couvrir le plaisir de bouger et de jouer. �9

B i b l i o g r a p h i e

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