Résumé de Généalogie de La Psychanalyse de Michel Henry

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 Résumé de G é néa logi e de la Psychanalyse (ouvrage issu de séminaires tenus au Japon fin 1983) Cet ouvrage, sous le double patronage de la généalogie nietzschéenne de la morale et de l’historialité heideggérienne, s’attache à retracer une « généalogie », c’est-à-dire à circonscri re une « erreur » (comme Nietzsche avec le nihilisme ou la morale des esclaves) et à la reconduire à sa source, c’est-à-dire à la vérité dont elle n’est que la déviation illégitime. Cette déviation (c’est l’aspect heideggérien de l a recherche) est entendue comme le fait de l’être, elle fait époque dans l’histoire de l’être. Il ne s’agit donc pas d’une « archéologie » foucaldienne (pourtant d’origine nietzschéenne elle aussi), qui consisterait simplement, dans l’indifférence totale à  l’égard de toute question  portant sur l’être, à dresser le constat historiographique d’une succession discrète, hachée, d’épistémès incommensurables et donc incomparables, sans commune origine et sans relation avec une quelconque vérité de l’être, en un r elativisme généralisé où la primauté est donnée au document et à l’ombre jetée de ses interprétations. D’ailleurs, Michel Henry ne cache pas son aversion pour les structuralistes, Lacan et un peu Foucault ici, et Althusser complaisamment dans le  Marx. La généalogie de la psychanalyse à l’aide de la « phénoménologie matérielle  », doit r esituer cette déviation illégitime, la  psychanalyse , et en particulier son concept spécifique, l’inconscient, dans l’histoire des approches philosophiques du couple de la cons cience et de son contraire, ceci en élaborant de manière conséquente    contre le laxisme des fondateurs psys    ces deux concepts sur le fond de cet être qui, voilé par eux, était resté incompris. On notera avant de commencer que Henry ne mentionne dans cet ouvrage ni Hegel ni Marx ni Feuerbach (étudiés dans le Marx), ni en vrac les pré-cartésiens (Aristote, les scholastiques…), ni Spinoza, Fichte, Schelling, Kierkegaard, Bergson, Sartre, Merleau-Ponty, Deleuze, Derrida. Il évoque cependant la métaphysique d e l’idea de Platon en commentant Heidegger et Schopenhauer, et aussi Protagoras au sujet de Desc artes. DESCARTES. La découverte phénoménologique initiale, celle qui ouvre à la fois à la vérité de l’être comme la vie et à sa déviation historiale (la métaphy sique de la représentation et la future psychanalyse), c’est celle de l’ego cogito radical par Descartes, le « commencement perdu ». Le cogito cartésien est la prise en compte philosophique de la lumière première de l’apparaître, celle du videor , de la semblance originelle, incommensurable au videre intentionnel de la représentation ek-statique qui en dépend. « Videor  désigne la semblance primitive, la capacité originelle d’apparaître et de se donner en vertu de laquelle la vision se manifeste et se donne originellement à nous, quoi qu’il en soit de la crédibilité et de la véracité qu’il convient de lui  faire accorder en tant que vision, q uoi qu’il en soit de ce qu’elle voit ou croit voir et de son voir lui-même  » (Henry). Comme le résume Alquié avec une simplicité que doit lui envier Henry : « Descartes ne veut pas dire qu’il est certain non de voir mais de penser qu’il voit, ce qu’il affirme ce n’est pas la conscience réfléchie de voir mais bien l’impression immédiate de voir  ».Ce videor , la pensée, est tou  jours affecté d’un sentiment, et ces «   passions de l’âme » sont senties de telle manière qu’elles ne peuvent être que celles nous semblent être. Le sens, l’imagination et la volonté, qui dépendent de ces sentiments et trouvent en eux leur unité d’essence, sont donc elles aussi

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Résumé de Généalogie de La Psychanalyse de Michel Henry

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  • Rsum de Gnalogie de la Psychanalyse (ouvrage issu de sminaires tenus au Japon fin 1983)

    Cet ouvrage, sous le double patronage de la gnalogie nietzschenne de la

    morale et de lhistorialit heideggrienne, sattache retracer une gnalogie , cest--dire circonscrire une erreur (comme Nietzsche avec le nihilisme ou la morale des esclaves) et la reconduire sa source,

    cest--dire la vrit dont elle nest que la dviation illgitime. Cette dviation (cest laspect heideggrien de la recherche) est entendue comme le fait de ltre, elle fait poque dans lhistoire de ltre. Il ne sagit donc pas dune archologie foucaldienne (pourtant dorigine nietzschenne elle aussi), qui consisterait simplement, dans lindiffrence totale lgard de toute question portant sur ltre, dresser le constat historiographique dune succession discrte, hache, dpistms incommensurables et donc incomparables, sans commune origine et sans relation avec une quelconque vrit de ltre, en un relativisme gnralis o la primaut est donne au document et lombre jete de ses interprtations. Dailleurs, Michel Henry ne cache pas son aversion pour les structuralistes, Lacan et un peu Foucault ici, et Althusser complaisamment

    dans le Marx. La gnalogie de la psychanalyse laide de la phnomnologie matrielle , doit resituer cette dviation illgitime, la

    psychanalyse, et en particulier son concept spcifique, linconscient, dans lhistoire des approches philosophiques du couple de la conscience et de son contraire, ceci en laborant de manire consquente contre le laxisme des fondateurs psys ces deux concepts sur le fond de cet tre qui, voil par eux, tait rest incompris. On notera avant de commencer que Henry ne mentionne

    dans cet ouvrage ni Hegel ni Marx ni Feuerbach (tudis dans le Marx), ni en vrac les pr-cartsiens (Aristote, les scholastiques), ni Spinoza, Fichte, Schelling, Kierkegaard, Bergson, Sartre, Merleau-Ponty, Deleuze, Derrida. Il

    voque cependant la mtaphysique de lidea de Platon en commentant Heidegger et Schopenhauer, et aussi Protagoras au sujet de Descartes.

    DESCARTES. La dcouverte phnomnologique initiale, celle qui ouvre la

    fois la vrit de ltre comme la vie et sa dviation historiale (la mtaphysique de la reprsentation et la future psychanalyse), cest celle de lego cogito radical par Descartes, le commencement perdu . Le cogito cartsien est la prise en compte philosophique de la lumire premire de

    lapparatre, celle du videor, de la semblance originelle, incommensurable au videre intentionnel de la reprsentation ek-statique qui en dpend. Videor dsigne la semblance primitive, la capacit originelle dapparatre et de se donner en vertu de laquelle la vision se manifeste et se donne originellement

    nous, quoi quil en soit de la crdibilit et de la vracit quil convient de lui faire accorder en tant que vision, quoi quil en soit de ce quelle voit ou croit voir et de son voir lui-mme (Henry). Comme le rsume Alqui avec une

    simplicit que doit lui envier Henry : Descartes ne veut pas dire quil est certain non de voir mais de penser quil voit, ce quil affirme ce nest pas la conscience rflchie de voir mais bien limpression immdiate de voir .Ce videor, la pense, est toujours affect dun sentiment, et ces passions de lme sont senties de telle manire quelles ne peuvent tre que celles nous semblent tre. Le sens, limagination et la volont, qui dpendent de ces sentiments et trouvent en eux leur unit dessence, sont donc elles aussi

  • redevables de ce videor (lme, la vie) qui est antrieur et sous-jacent au voir extatique de lentendement. Mais bien vite, Descartes perd le fil, et dclinent ses absolus phnomnologiques . Le concept de conscience, chez lui, se

    ddouble, dsignant tantt la vie, tantt la reprsentation. Et Descartes attribue

    le pouvoir de la manifestation lextase, la nouvelle lumire naturelle. En effet, dans la Troisime Mditation, Descartes glisse de la considration de lapparatre celle de lapparu, les cogitata, redevables de la conscience reprsentative, et lvidence par lintervention de laquelle le cogito devient une vrit factuelle qui servira de critres aux autres. Lintuition fondamentale de Descartes est rappele ainsi par Henry : La ralit du soleil en soi,

    Descartes () lappelle sa ralit formelle ; sa reprsentation dans lentendement, cest sa ralit objective. A la ralit objective se drobe par principe la ralit formelle, savoir la ralit tout court. La reprsentation

    constitue et dfinit la dimension ontologique de lirralit . Cette intuition originelle soppose la mprise drive, et ce sont les termes de clart et obscurit qui en reoivent une double inclination. Identique lobscurit, la clart dsigne limmdiation de lapparatre, une seule essence, claire en tant quelle accomplit luvre de la phnomnalit, obscure en tant que la matire phnomnologique de cet accomplissement est laffectivit (Henry). Oppose lobscurit et la confusion, la clart est celle de la lumire cerne dombres de lextase. Cette amphibologie, qui redouble celle de la conscience comme vie et reprsentation, est fatale au cartsianisme.

    HEIDEGGER. Cest par elles galement que Heidegger se mprend sur Descartes, qui navait pas livr dexploration consquente de lorigine de lipsit, et pose lipsit dans la reprsentation et non dans la vie. Pour Heidegger, Descartes devait situer lipsit comme le ce par-del quoi lobjectivation objective, et donc comme un sous-produit de la reprsentation. Brossant gros traits lhistoire de la mtaphysique, depuis Platon et Protagoras, Henry rvle malgr Heidegger que ce nest ni en tant qutant, ni dans sa relation avec ltant, que lhomme ne peut avoir un rle central dans une mtaphysique. Ce rle, il lobtient en tant que par la pense il est ouvert ltre ; et en tant que pense, il nest pas un tant. Henry commente la Geworfenheit, ltre-jet heideggrien (lhomme est appel par ltre, mieux : pouss par ltre lexistence, pour sen faire le gardien, le berger), de sorte que ltre et la pense se tiennent dans une garde mutuelle : lEreignis, la Copropriation. Alors que pour Henry et comme le pressentait Descartes, la jete

    au monde est une jete dans lipsit et la vie. Pour Heidegger, selon linterprtation de ltre quil se donne, toute lhistoire de ltre se rsume lextase sous la forme du Gegen, du Gegenstand au Gegenber (len face), de la Physis prsocratique jusqu lidea platonicienne et la subjectivit des Modernes. Contre cette interprtation monotone, qui englobe toutes les philosophies de ltre dans un motif unique et licencieux, Henry promeut lautre histoire de ltre, celle du Commencement qui ne cesse de commencer, la figure de la vie comme interprtation authentique de ltre et toujours manque par le Gegen de la reprsentation, de lIde ou de la Physis. Henry exalte la figure du videor initial cartsien.

    LEIBNIZ-MALEBRANCHE-KANT. La dcouverte de cette semblance

    originelle est nanmoins rapidement recouverte par Descartes, de telle sorte que

    Heidegger ne la souponne mme pas ; elle est ensuite enterre par Leibniz

    anticipant linconscient freudien par la thorie des petites perceptions , et

  • inventant ainsi le monstre philosophique de perceptions inconscientes. Au lieu

    de dire : il y a une aperceptio sans perceptio, il dclara au contraire : il y a une

    perceptio sans aperceptio . Malebranche, le plus cartsien des cartsiens,

    concevait paradoxalement le cogito non comme une vidence, mais bien

    comme un abme dobscurit. Que lme soit obscure et inconnaissable veut cependant dire pour Malebranche quelle est donne selon une manifestation diffrente de lordre extatique de la reprsentation ; ainsi contrairement Leibniz Malebranche se tient-il pour Henry au plus prs de la dcouverte cartsienne, avant de tout gcher en situant les ides dans lentendement divin et en ne posant plus que la question de la rceptivit par lme de ces ides, la Vision en Dieu. Kant manque le coche son tour en situant lego, lipsit, dans la reprsentation et la pense pure, alors quelle est ancre dans laffectivit, dans le noumne vivant. De mme, Kant manque le sens de lexistence, qui ne peut tre trouve que dans la sensation (il sagit l encore de laffect, le tout autre de la reprsentation, que Kant rduit toujours indment elle mais quil est toujours oblig dajouter elle).

    SCHOPENHAUER. La redcouverte conjointe de la subjectivit absolue et de

    la manifestation originelle dans la donation immanente de la vie affective et ant-reprsentative, se fait chez Maine de Biran puis chez Schopenhauer, par

    lattention porte au corps propre, support de laffectivit, radicalement distinct du corps objectif, celui de la reprsentation. Schopenhauer, reprenant Berkeley

    pour lopposer Fichte, part de la connexion essentielle du sujet et de lobjet pour les rvoquer dans le monde de la reprsentation, quordonne le principe de raison, nouage des formes a priori kantiennes de la sensibilit, temps et espace,

    et de la supercatgorie de matire ou causalit. Sous la reprsentation le voile de Maa et la dterminant, est la ralit, qui sappelle volont. Cette volont noumnale revt la forme de la ritration, car elle est un manque dtre insatiable qui court sans fin vers lagencement de nouvelles formes. Mais avant la msinterprtation pessimiste qui ne garde que le concept ontique du vouloir-vivre, Schopenhauer entend ontologiquement par vie le mode de donation

    originel du vouloir ou du corps, lapparatre primitif davant la distinction sujet/objet. Pourtant, Schopenhauer recule : on ne connat, dit-il finalement, la

    volont que de manire mdiate, par le filtre du sens interne, du temps, et en

    plus interviennent les intermdiaires, crs par la volont, du corps et de

    lintellect, qui diffractent et brouillent la relation au monde extrieur et soi-mme. A partir de l, la volont lenvers du monde reoit exclusivement des prdicats ngatifs dcalqus de lendroit visible, de la reprsentation : indivisibilit, unicit, absence de but, irrationalit, etc. L, lindividualit personnelle peut tre ramene un principe dindividuation qui nest autre que le principe de raison, cest--dire la reprsentation. Lindividualit est dvalorise par rapport lespce ternelle, lIde platonicienne, qui est soumise la forme primaire de la reprsentation (la distinction sujet/objet) mais

    chappe ses formes secondaires, et donc est cense chapper partiellement

    lenfer de la reprsentation (ainsi lesthte contemple-t-il des Ides). Mais lindividu que je suis ne doit pas, nous dit Henry, tre entendu comme le rsultat dun squenage par un quelconque principe dindividuation, car mon individualit est immdiatement et en son essence ipsit. Cette ambigut de

    Schopenhauer se redouble dune ambigut sur le thme de lobjectivation, qui est parfois simple apparatre, et parfois cration ex nihilo de ce qui apparat.

    Henry aborde alors le nud de lerrance de Schopenhauer, comment il

  • msestima la vie et se mprit sur sa relation avec la volont. Pour lui, la ralit

    est structure par un manque, qui est le manque de la vie (vouloir-vivre), cest--dire de la manifestation originelle. Ce que la volont veut, en somme, cest lapparatre qui la rendue possible. Effrayante doit alors tre la tension de ce qui fait effort vers ce qui va rendre possible sa propre existence , commente

    Henry : la volont se croyant prive de vie faisant effort vers la vie do elle mane ! Cest l que rside le proton pseudos de Schopenhauer, qui plaa la vie sous la dpendance de la volont, et non linverse. Ainsi peut-on croire quil faut vouloir ou ne pas vouloir la vie, ainsi a-t-on spar la vie delle-mme, et pense-t-on pouvoir en dcrter lauto-ngation. Mais Schopenhauer nest pas empch pour autant de renverser lidalisme, pour qui laction tait closion ou pro-duction (mettre en avant), en promouvant le concept dune action sans reprsentation, et ainsi infaillible, linstinct, la volont. Et mieux, derrire cette volont, il pressent et manque au final lantriorit de laffectivit ancre en la vie, la force qui livre la volont elle-mme. Mais leidtique de laffectivit quil aurait pu imaginer cde la place la primaut accorde au besoin cens la fonder. Malgr cela, voit-on encore chez Schopenhauer dominer linsatisfaction et la souffrance comme le fond obscur de la vie, et cest la douleur en fin de compte, cest la souffrance elle-mme pour autant que, ne pouvant se supporter elle-mme, elle aspire sans cesse se dpasser et se jette au-devant delle-mme, qui se fait dsir (Henry). La satisfaction ne sexplique pas par le dsir, elle nest pas ngation dune douleur, dlivrance, si on doit entendre par l ce cercle carr quest un tat affectif ngatif, mais cest plutt le dsir qui dpend de laffectivit. Ainsi, laffectivit fonde la volont. Henry tudie le questionnement de Schopenhauer sur cette relation en relisant lanalyse schopenhauerienne du refoulement et sa thorie de la mmoire et de loubli. Henry se demande alors pourquoi la volont refoule telle reprsentation : non

    pas cause de son contenu reprsentatif (ce qui pose le problme de la

    censure : pour le refouler, il faut que la conscience le connaisse, mais si elle le connat, il nest pas refoul, etc.) mais cause de son affectivit. Cette prpondrance de laffectivit se retrouve mme dans le quatrime livre, avec la ngation de la volont : si la volont se nie et disparat, il reste encore

    quelque chose, cest--dire la vie comme affectivit, la batitude infinie au sein de la mort , le bonheur. Pourtant, malgr toutes ces avances, ne cessant

    de balancer contradictoirement sur la question de lancrage de lindividualit et de lipsit dans le principe de raison, cest--dire dans la reprsentation, ou dans la volont, cest--dire dans le tout autre que la reprsentation, Schopenhauer finit lui aussi par recouvrir sa trouvaille. Faute dune laboration suffisante de la question du primat et de la relation entre la volont et

    laffectivit, il rejoue lerrance de Leibniz, en rappelant lui le fantme apocryphe dun inconscient tapi sous la conscience.

    NIETZSCHE. Ce sera ensuite Nietzsche de se saisir de la question, en

    sinspirant de la conception schopenhauerienne mais en reconnaissant explicitement la vie, concept sous lequel est pens ltre, son primat sur la volont. Nietzsche peut alors se laisser plus volontiers guider par les deux

    caractres essentiels de la Vie, limmanence et laffectivit, bien quils ne soient pas thmatiss comme tels. Pourtant cest bien la structure dimmanence et de subjectivit absolue de la vie que Nietzsche a en vue quand il analyse

    loubli (la vie est foncirement oublieuse, non-intentionnelle, non-extatique, seul un dressage douloureux peut la rendre mnsique, elle est instinct) et

  • propose son concept dEternel Retour du Mme (qui dsignerait, selon Henry, le caractre essentiel de la Vie par lequel elle cohre en soi avec soi et

    sprouve elle-mme dans son unit avec soi, sans jamais pouvoir dvier de soi). Laffectivit est quant elle aborde sous les auspices de la souffrance, thme tragique qui hante luvre de Nietzsche. Henry voque la querelle des forts et des faibles (qui exprime leffort de Nietzsche pour conjurer le nihilisme), en demandant ce qui fait la force ou la faiblesse des uns et des

    autres. La force des forts, cest la vie dans sa cohrence avec elle-mme qui se dploie en eux comme volont de puissance. Contre Schopenhauer, Nietzsche

    rige en effet un nouveau concept de la volont : non plus le vouloir-vivre (un

    rien paradoxal qui tendrait vers la vie), mais la volont de puissance (la

    puissance, ltre, la vie qui veut, qui pousse lexistence nombre de ses formes en dpensant sa surabondance de force). La faiblesse du faible nest pas un moins de force compar un plus fort que lui, car les faibles, comme les forts,

    sont une race, cest--dire une essence (Henry). La faiblesse du faible est en vrit son dsespoir, qui lui vient de la maladie de lextase, par laquelle la vie en lui souhaite son autodestruction ; plus exactement cette faiblesse rside

    dans lchec invitable de ce projet. La force des faibles, enfin, se comprend dans lanalyse du prtre asctique, en qui force et faiblesse se conjuguent au grand jour : en lui, les instincts les plus profonds continuent de combattre par

    linvention quasi dsespre de baumes pour soigner la souffrance. Car la faiblesse, le projet inabouti de lautodestruction de la vie, rsulte de la souffrance, qui peut se retourner contre lautre par une dernire pirouette de la Vie : cest le ressentiment. Avec la souffrance, on retrouve le deuxime caractre de la vie, laffectivit, qui est lhyperpuissance sise en toute puissance (Henry). Henry prend alors pour exemple privilgi la Gnalogie

    de la Morale, qui ne dresse pas une histoire chronologique, mais rvle le motif

    cach qui se rpte lidentique dans toute lhistoire universelle, celui du rapport dbiteur-crancier. Quand le dbiteur ne rembourse pas, le crancier a droit de le faire souffrir titre de compensation. Comment la souffrance peut-

    elle monnayer une dette ? Dabord, la cruaut est essentiellement cruaut lgard de soi, nous dit Henry, et contre Max Scheler le nietzschen la souffrance inflige ou reue produit le plaisir. Ah ? Il y a mme un cogito

    nietzschen de la souffrance ( Je suis qui je suis ) et une poch par le

    dsespoir ! La vie attribue la nature des valeurs selon la conformit sa

    propre essence, selon les prescriptions de lauto-affection, de telle sorte qu une telle morale est une glorification de soi (Nietzsche). Cest dans cette vie que prennent racine la connaissance et la vrit, et non plus dans lextase de la reprsentation. Nietzsche peut alors laborer la connexion intime de la vie et

    de la connaissance envisages comme Dionysos et Apollon, couple dont on ne

    peut oublier un membre sans oublier lautre du mme coup. Apollon est limage de Dionysos comme les penses sont les ombres de nos sentiments toujours obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci (Nietzsche). Henry

    montre enfin comment Heidegger falsifie Nietzsche comme Descartes avant

    lui, en le rendant lordre de la reprsentation ; mais plus grave que Heidegger, qui infode la lumire de lapparatre celle de la reprsentation, est la psychanalyse, qui condamne la lumire blafarde de la reprsentation pour

    sombrer dans la nuit intgrale de linconscient. FREUD. Hritier de Schopenhauer et de la tradition de dvoiement qui

    oublia la vie, Freud donne la psychanalyse son pseudo-concept spcifique,

  • celui dinconscient, quil prtend dnicher dans lanalyse clinique. Freud a besoin de ce concept pour clairer son intuition fondamentale selon laquelle le

    psychique ne se rsorbe pas dans le visible, dans la reprsentation. Psychique

    nest pas gal Conscient. Quelque chose, saisie plus tard comme les processus efficaces de linconscient, interfre dans la vie du moi. Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton me, ds que c'est suffisamment important, parce que ta conscience te l'apprendrait alors. Et quand tu restes sans nouvelles d'une chose

    qui est dans ton me, tu admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s'y

    trouve pas. Tu vas mme jusqu' tenir psychique pour identique

    conscient , c'est--dire connu de toi, et cela malgr les preuves les plus

    videntes qu'il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de

    choses qu'il ne peut s'en rvler ta conscience. Tu te comportes comme un

    monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts

    dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa

    voix. Rentre en toi-mme profondment et apprends d'abord te connatre,

    alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-tre viteras-tu

    de le devenir. Cest de cette manire que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clarts quelle nous apporte : savoir, que la vie pulsionnelle de la sexualit ne saurait tre compltement dompte en nous et que les

    processus psychiques sont en eux-mmes inconscients, et ne deviennent

    accessibles et subordonns au moi que par une perception incomplte et

    incertaine, quivalent affirmer que le moi nest pas matre dans sa propre maison (Freud, Essais de psychanalyse applique, 1919). Et aussi dans

    lAbrg de psychanalyse de 1938 : tout le monde saccorde penser que les processus conscients ne forment pas des sries fermes sur elles-mmes et sans

    lacune . Au dbut, linconscient dsigne pour Freud les reprsentations latentes que nous pouvons solliciter et qui ne sont pas actuellement prsentes

    dans la lumire de la conscience. Mais cette preuve de linconscient cde vite (Note sur linconscient de 1912) la place lide que linconscient se prouve par lactivit de processus psychiques qui se manifeste, par exemple, dans les symptmes nvrotiques. Mais la reprsentation reprend vite le dessus

    (article, Linconscient, 1915) avec la dissociation de la pulsion et de son reprsentant psychique : on aboutit la notion aberrante de reprsentation

    inconsciente . Au-del de laffirmation de la possibilit du refoulement dune reprsentation, ny a-t-il pas plus fondamentalement, possibilit du refoulement dun affect ? Freud rpond en dcrivant le procs de laffectivit elle-mme, qui se transforme en angoisse ( Langoisse constitue donc la monnaie courante contre laquelle sont changes ou peuvent tre changes toutes les excitations

    affectives, lorsque leur contenu a t limin de la reprsentation et a subi un

    refoulement , Freud). Langoisse en gnral, par essence, est angoisse devant la pulsion, notamment la libido, qui est en son fond auto-excitation de la vie, et non angoisse devant un objet ou une reprsentation. Langoisse est sentiment du soi et angoisse devant le fond sourd de la vie pulsionnelle, mais encore et

    surtout expression de limpossibilit de se sparer de soi, impossibilit de fuir la vie pulsionnelle qui fait le sige de notre got. De toute faon

    lInconscient nexiste pas (Henry), le vritable inconscient dsigne la vie, son pathos fondamental. Le freudisme est une pense de la vie qui a t

    incapable de sgaler son projet .