Résumé

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Résumé Jules Barbey d’Aurevilly laisse une œuvre polymorphe. Les années 1851-1865 sont, à cet égard, exemplaires. Chaque semaine, il écrit un article pour Le Pays et envoie une lettre à son ami Trebutien. Jamais autant de récits aurevilliens n’auront paru qu’à cette période : la première des Diaboliques, Le Dessous de cartes d’une partie de whist, et les romans Une vieille maîtresse, L’Ensorcelée, Le Chevalier des Touches et Un prêtre marié. Menant de front ces écritures, Barbey semble cependant les dissocier. L’écriture critique, soumise aux conditions éditoriales des journaux, relève de l’urgence, de la censure et de “ la Nécessité ”. En revanche, les lettres donnent la liberté de “ rugir ” ; elles ouvrent une parenthèse au milieu du “ tintamarre ” pressant des journaux et de la “ fournaise ” du travail romanesque. Celui-ci – par le pouvoir de l’Imagination – apparaît néanmoins comme le lieu privilégié d’une expression personnelle authentique. Pouvons-nous imputer de manière aussi catégorique une fonction à la lettre, à l’article et au roman ? Certes, la correspondance est un espace de spontanéité où Barbey pénètre souvent en “ triple hâte ” ; elle ouvre aussi une véritable réflexion sur l’écriture, sert de matrice au roman et à la critique. De même, l’écriture critique nourrit la création romanesque, affine les choix esthétiques. Ce polymorphisme, loin de cantonner les genres dans une fonction et une esthétique particulières, dessine une cohérence générale où chaque écriture influence l’autre pour tenter d’atteindre “ l’éloquence du cœur ”. C’est bien cet idéal d’écriture que Barbey d’Aurevilly poursuit de 1851 à 1865 et qui fonde l’esthétique de sa prose. Le dialogue de Barbey avec l’Espagne ressemble à celui de deux amants. Fait de mille détails inexprimés, de sous-entendus, c’est un soupir, un spasme, un râle d’agonie. Tentons de crocheter le maléfice qui emprisonne Barbey à l’Espagne. Subir l’envoûtement de l’Espagne, c’est subir la charge du taureau. Qu’en est-il de la confrontation de Barbey avec la fougueuse Vellini ? Le sortilège s’organise autour de la corrida, et la trilogie Ouest peut être appréhendée comme un spectacle tauromachique. Il convient de cerner les modalités de l’hispanisme aurevillien. Ce que Barbey a obtenu, c’est une vibration, un halo de l’événement. L’usage du castillan n’est-il pas constitutif, et à quel degré, d’une Espagne barbeyenne ? Mais l’essentiel est la « restance », ce qui n’entre dans aucune classe connue. Le paradoxe du sortilège espagnol réside dans la coexistence de signes fascinants et un dispositif voué à les maîtriser. L’Espagne de Barbey n’est nulle part parce qu’on la respire partout. L'objet de l'etude est la description chez barbey d'aurevilly telle qu'elle apparait a travers les romans et les nouvelles. La premiere partie etudie les differents types de description et constate son role essentiel dans l'atmosphere et le decor de l'oeuvre litteraire. Remarquables par leurs marquages, ces descriptions s'appuient chez l'auteur sur une repetitivite importante tant dans les structures que dans les themes. Completement integree a la narration, la description profite des modalites mises en place dans un recit parfaitement elabore et joue avec les differentes techniques employees par l'auteur: de la superposition des vois narratives qui prennent en charge tel ou tel materiel descriptif, aux lacunes de l'enonce, qui par defaut deviennent significatives. Le fantastique qui apparait dans l'oeuvre nait lui-meme de cette longue et minutieuse elaboration, si bien que le texte aurevillien, en fin de compte ne renvoie a rien d'autre qu'a lui-meme. Par un systeme d'echo, de renvoi, d'exces ou de manques, la description participe pleinement au recit, elle est parfois meme le recit et on constate ainsi que chez barbey d'aurevilly le programme anecdotique correspond au programme structural.

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RsumJules Barbey dAurevilly laisse une uvre polymorphe. Les annes 1851-1865 sont, cet gard, exemplaires. Chaque semaine, il crit un article pour Le Pays et envoie une lettre son ami Trebutien. Jamais autant de rcits aurevilliens nauront paru qu cette priode : la premire des Diaboliques, Le Dessous de cartes dune partie de whist, et les romans Une vieille matresse, LEnsorcele, Le Chevalier des Touches et Un prtre mari. Menant de front ces critures, Barbey semble cependant les dissocier. Lcriture critique, soumise aux conditions ditoriales des journaux, relve de lurgence, de la censure et de la Ncessit . En revanche, les lettres donnent la libert de rugir ; elles ouvrent une parenthse au milieu du tintamarre pressant des journaux et de la fournaise du travail romanesque. Celui-ci par le pouvoir de lImagination apparat nanmoins comme le lieu privilgi dune expression personnelle authentique. Pouvons-nous imputer de manire aussi catgorique une fonction la lettre, larticle et au roman ? Certes, la correspondance est un espace de spontanit o Barbey pntre souvent en triple hte ; elle ouvre aussi une vritable rflexion sur lcriture, sert de matrice au roman et la critique. De mme, lcriture critique nourrit la cration romanesque, affine les choix esthtiques. Ce polymorphisme, loin de cantonner les genres dans une fonction et une esthtique particulires, dessine une cohrence gnrale o chaque criture influence lautre pour tenter datteindre lloquence du cur . Cest bien cet idal dcriture que Barbey dAurevilly poursuit de 1851 1865 et qui fonde lesthtique de sa prose.

Le dialogue de Barbey avec lEspagne ressemble celui de deux amants. Fait de mille dtails inexprims, de sous-entendus, cest un soupir, un spasme, un rle dagonie. Tentons de crocheter le malfice qui emprisonne Barbey lEspagne. Subir lenvotement de lEspagne, cest subir la charge du taureau. Quen est-il de la confrontation de Barbey avec la fougueuse Vellini ? Le sortilge sorganise autour de la corrida, et la trilogie Ouest peut tre apprhende comme un spectacle tauromachique. Il convient de cerner les modalits de lhispanisme aurevillien. Ce que Barbey a obtenu, cest une vibration, un halo de lvnement. Lusage du castillan nest-il pas constitutif, et quel degr, dune Espagne barbeyenne ? Mais lessentiel est la restance , ce qui nentre dans aucune classe connue. Le paradoxe du sortilge espagnol rside dans la coexistence de signes fascinants et un dispositif vou les matriser. LEspagne de Barbey nest nulle part parce quon la respire partout.

L'objet de l'etude est la description chez barbey d'aurevilly telle qu'elle apparait a travers les romans et les nouvelles. La premiere partie etudie les differents types de description et constate son role essentiel dans l'atmosphere et le decor de l'oeuvre litteraire. Remarquables par leurs marquages, ces descriptions s'appuient chez l'auteur sur une repetitivite importante tant dans les structures que dans les themes. Completement integree a la narration, la description profite des modalites mises en place dans un recit parfaitement elabore et joue avec les differentes techniques employees par l'auteur: de la superposition des vois narratives qui prennent en charge tel ou tel materiel descriptif, aux lacunes de l'enonce, qui par defaut deviennent significatives. Le fantastique qui apparait dans l'oeuvre nait lui-meme de cette longue et minutieuse elaboration, si bien que le texte aurevillien, en fin de compte ne renvoie a rien d'autre qu'a lui-meme. Par un systeme d'echo, de renvoi, d'exces ou de manques, la description participe pleinement au recit, elle est parfois meme le recit et on constate ainsi que chez barbey d'aurevilly le programme anecdotique correspond au programme structural.Cette these se propose d'etudier la valeur fondamentale du mystere dans les romans de barbey d'aurevilly. Le mystere chez barbey tient a l'experience primordiale de la religion qui n'a rien a avoir avec la logique humaine. L'epiphanie du mystere consiste dans l'etablissement de la relation symbolique entre le visible et l'invisible. Cette verite religieuse est au-dessus de la raison humaine. Puisque toute tentative d'interpretation est impossible, les jugements moraux et esthetiques ne sont aussi qu'une interpretation insuffisante. La distinction du bien et du mal devient floue. Le mystere fondamental de la vie humaine se manifeste a travers le mal essentiel qui met a jour le factice de l'ordre du monde humain. A travers ce renversement de valeur, barbey represente les personnages qui transgressent tous les criteres de la vie humaine a travers la figure du sublime et du surhumain. Ces figures revelent un acces vers l'invisible immanent a la nature humaine. Le mystere peut aussi engendrer dans ce monde reel une zone tout a fait floue demunie de distinction et d'evidence. Barbey oppose cette zone mysterieuse a la faculte de raison, l'idee dominante du xixe siecle. Mais plus essentiellement, la notion de mystere fonde la creation romanesque de barbey. La transmission orale des experiences qui est aussi acte de partage est une des reponses au mystere qui depasse notre faculte de comprehension. Ainsi barbey concoit l'activite essentielle de son narrateur autour de la transmission orale de la memoire collective. L'ecrivain devient lui aussi un initie mystique qui ressuscite l'experience primordiale de l'homme.

Le travail que nous proposons prend, comme element de lisibilite privilegie du texte aurevillien, le lieu romanesque. Il s'agit en fait non seulement de l'espace comme milieu ou l'action et les personnages peuvent evoluer, mais aussi de tout ce qui "remplit" l'espace, c'est-a-dire les meubles, les objets, et meme les corps des personnages. Ces elements de l'espace sont traites suivant quatre axes principaux : l'espace dans sa fonction de catalyseur du recit (les lieux-incipit); les autres fonctions de l'espace dans l'economie generale du recit; le corps en rapport avec le milieu ou il se toruve et les sous-espaces constitutifs du corps; enfin la technique des enchassements et les reflets spatiaux particulierement nette dans les diaboliques.Le dossier de thse sur ensemble de travaux comporte : 1) Une biographie de Barbey d'Aurevilly de 225 p. , parue en 1989 chez Sguier, Paris, qui se propose de dpoussirer l'image trop traditionnelle du "Conntable des Lettres". La mthode suivie dans cet essai est celle d'un passage constant de l'homme l'uvre et de l'uvre son auteur. Les sources utilises sont "Les memoranda", la correspondance et les uvres de Barbey. 2) Une communication "La culpabilit" dans "Un Prtre mari" de Barbey d'Aurevilly au colloque international de Rouen en 1989 dont les actes ont t publies Rouen en 1990 sous le titre "Barbey d'Aurevilly, ombre et lumire". La faute principale de Sombreval, le prtre mari, est la passion exclusive qu'il voue sa fille Calixte qui pour lui a remplac Dieu. 3) Une communication le traitement du portrait fminin dans une nouvelle ("Le bonheur dans le crime") et un roman ("Une vieille maitresse") prsente au colloque de Poitiers en avril 1991, montre le caractre emblmatique du portrait dans la nouvelle qui compense les possibilits de nuanciation et de modulation progressives du portrait dans le roman. 4) Une tude : les portraits de femmes dans "Les diaboliques" de Barbey d'Aurevilly. Pour dpeindre ces femmes embrases par la passion, Barbey use d'un art original du portrait, cr une rhtorique spcifique avec un angle d'approche variant avec la figure presenterLa parole est au cur de luvre romanesque de Barbey dAurevilly : omniprsente, elle en faonne puissamment la fois lesthtique, la potique et limaginaire. Dans sa fiction, lessentiel passe en effet par le truchement du dire. Le travail du style en tmoigne, comme les narrations qui trouvent dans la communication orale aussi bien leur principe dclencheur que le soubassement inconscient qui leur confre toute leur porte. Mais il y a plus : une ontologie singulire se dessine, dans laquelle lidentit des personnages se structure partir de leur relation la parole, de leur voix et de leur langue. La densit des rcits saccrot encore quand, des confidences aux causeries, la russite des changes verbaux tient moins ce quil est convenu den attendre quaux enjeux relationnels et inconscients quils mettent au jour. Il en est de mme lorsque le dialogue avorte : la surdit, la folie, le silence, la mort ne constituent des checs quen apparence, car ils savrent tre le relais efficace de toute une conomie libidinale sous-jacente. Les paroles fabulatrices sont galement soumises des renversements de perspective qui lucident leurs ressorts, les mensonges se rvlant dsirables, les rumeurs inoffensives. Quant la violence, au fantastique et la fatalit qui informent lunivers de Barbey, lanalyse de leurs manifestations montre quelles sont, elles aussi, insparables de la force du verbe. La parole aurevillienne se dfinit en fait par une caractristique qui subsume toutes les autres : personne ne peut sy soustraire pas mme le lecteur , chacun en subissant lemprise. Cest que parler ou se taire, tout aussi bien qucouter, a indfectiblement partie lie, chez lauteur des Diaboliques, avec ce dont il est le peintre toujours pntrant et souvent scandaleux : le dsir.Les agents de la narration ont pour role de valoriser le recit aurevillien en l'opposant a l'ordinaire et d'accaparer l'attention de l'auditeur-lecteur en en faisant un recit insolite et extraordinaire, c'est-adire legendaire. La combinaison du paysage et de l'ecriture participe a l'elaboration du discours legendaire car la normandie nous plonge en plein desordre civil et historique. L'espace geographique devient alors un espace historique. Les blessures sont encore saignantes, d'ou l'utilite de l'ecriture : elle doit immortaliser la fin de toute une classe sociale. Le createur de legendes doit figer ce temps et le rendre eternel. La legende a la charge de placer l'ame humaine (ou ce que barbey appelle la nature humaine) dans son univers de chute et de la laisser se mouvoir en la peignant avec la force d'un moi conscient de sa superiorite. Dans ce monde qui ignore le juste milieu, les personnages legendaires nous entrainent avec eux dans leur action militaire et irreversible. Leur acharnement contre la fatalite nous seduit par sa beaute esthetique et nous precipite avec eux dans un monde jusque-la enfoui - et oublie - dans la memoire humaine. L'ecriture legendaire, ecriture de tous les defis, est une revolte contre l'oubli, le temps et l'iniquite de l'histoire. Elle defie les hommes et leurs lois pour egaler dieu et finalement le defier a son tour. Ainsi, la litterature ne peut acceder au titre de legende que grace a la distinction que lui donnent la force de son style et l'originalite de ses sujets. Barbey confie qu'il ecrit dans la souffrance nee de railleries parentales sur sa laideur entendues depuis toujours, diverses circonstances lui faisant croire aussi que ses parents n'auraient pas ete faches qu'il meure sitot ne. . . Influence par son education (mysticisme de la beaute, theologie d'un dieu dispensateur des dons etc. ) mais revolte, il se rebatit une esthetique : il se libere peu a peu de la "fausse" beaute, cruelle, qui rend objet (physiognomonie, dandysme-carcan ; masque-prison ; coquetterie superficielle; l'androgynie-revolte), grace a des arguments varies (signe ou cause de malheur, de betise, perfection froide, passagere, trompeuse, maligne etc); il edifie le laid comme de sel de la beaute, verite des etres, critere d'intelligence et bonte etc, et, s'echappant de l'impasse de l'extreme,revient a son amour profond et naturel de la beaute pour la saluer divine, la religion etant le moyen supreme de la relativiser. . . Tout ceci avec les contradictions des desirs. Par un mecanisme de sublimation reussie, la revolte contre les railleries explique le desir de seduire par l'oral, puis l'ecrit, le mot d'esprit, la critique, la critique d'art ; les reves inassouvis ont suscite, eux, le roman, ses themes transversaux (niobe), les structures et le style. Donner aux autres du plaisir par son oeuvre et etre un critique d'art renforcent aussi l'image de soi, a l'encontre du jugement parental. . .Le personnage du prtre aurevillien,par-del ses diffrentes manifestations actoriales,constitue-t-il un paradigme recelant "une figure mre" ? Pour rpondre cette question,le schma actantiel,labor par Greimas la suite des travaux de Propp,est un outil d'analyse pertinent,dans la mesure o il se fonde sur l'hypothse qu'il existe par-del la diversit des acteurs un nombre fini d'actants. La "phrase-type" dont parle Proust dans 'La Prisonnire' propos de Barbey,aurait d'autant plus de chances d'apparatre que le "prtre" constitue en soi une unit lexicale dote d'emble d'un programme narratif particulier : figurer le Christ. La Rvolution franaise est l'une des situations narratives que Barbey a privilgie. A la suite de Joseph de Maistre,Barbey dramatise travers elle la relation polmique entre le monde sensible et le monde invisible,l'histoire humaine et le plan de Dieu. Acteur de la Rvolution,dont il est la victime et le complice,le sujet et l'anti-sujet,le prtre aurevillien,Blanc ou Bleu,se rvle,dans tous les cas,tre un "prtre citoyen" et contribue la marginalisation et la dfiguration de son statut dans la socit post-rvolutionnaire. Rencontre,selon Mauriac,de l'infirmit de la crature et de la# prsence du Crateur,la figure du prtre n'est que la copie du Modle,une imitation et par l une forme trompeuse,voire ironique ; il infirme,il l'informe,malgr tout.Le paysage occupe une place dlection dans luvre romanesque aurevillienne partir dUne vieille Matresse (1851) : La Normandie y est peinte avec un pinceau tremp dans la sanguine concentre du souvenir. , avoue lauteur. Pour autant, si le paysage normand est clbr avec la justesse et lattachement filial de lenfant du pays, il serait rducteur denvisager Barbey dAurevilly comme un simple crivain rgionaliste. La notion mme de paysage tire sa puissance de son origine aux confluents de la peinture et de la littrature, et implique de ce fait des enjeux imaginaires et esthtiques autrement plus vastes. Parcourir le paysage, autant que lvoquer, cest plonger au fond de soi, de sa mmoire, pour lire dans lextriorit les traces de sa propre me. Cest encore imprgner lespace des mandres de son me. La gographie devient ds lors tout intrieure, la qute du paysage est qute de la sphre intime. Dans cet entrelacs de correspondances se niche toute la richesse esthtique dune criture qui cherche donner voir , qui tente de mettre en mots ce qui ne saurait relever que de la vision soudaine et fugitive, de linstantanit. Imaginaire, ontologique, le paysage est projection des trfonds de ltre, fragment de ce qui se drobe sans cesse. Ecrire le paysage, pour Barbey dAurevilly, cest tenter de traduire la qute dune parole littraire qui cre une image, dune sorcellerie vocatoire , qui mle paysage et me au sein dune essence ineffable.

Cette thse se propose dtudier les Memoranda de Jules Barbey dAurevilly (1808-1889) en regard de la dfinition la fois une et plurielle des journaux intimes, et autour de la notion complexe de lintime. Les situer dans le contexte socio-historico-idologique de lpoque et dans la vie personnelle de lauteur est la premire tape envisage pour entrer progressivement dans lintimit du texte barbeyen (Partie I). Aussi la pratique barbeyenne du journal intime est-elle dfinie dans sa spcificit par une analyse place sous le signe de la temporalit et au travers dun processus dcriture particulier visant lextime ; ainsi se pose la question de la part relle de lintime dans lcriture quotidienne (Partie II). Mais lapproche de lintime se renouvelle de manire paradoxale travers linteraction intrieur/extrieur et travers la destination du texte intime lautre et la publication, induisant la fois une remise en question et une redfinition du journal intime (Partie III). Les nombreuses interrogations et les ambiguts que suscite la pratique diariste chez Barbey laissent place dans une dernire partie lexpression de la sensibilit de lauteur qui rvle toute la dimension intime et potique des Memoranda (Partie IV). Cette tude soriente vers les enjeux de la pratique diariste qui dterminent lintime des journaux barbeyens. Larticulation des diffrentes approches, dont entre autres, lapproche structurelle, thmatique ou potique, ont permis dlargir lapprhension de lintime dans les Memoranda.

La mort est indicible, et pourtant elle se parle. Chez Barbey, elle est mme un sujet mondain| le rcit ne pouvant reprsenter, essentiellement, que le mourir et l'aprs-mort, la narration aurevillienne dit alors la mort par le biais d'une autre reprsentation, celle du mythe personnel ou intratextuel. Ce sont les rptitions, oppositions, bifurcations, etc. Qui, selon une logique des diffrents possibles narratifs, constituent le mythe aurevillien, lequel exprime la mort. Certaines structures, mtaphores obsdantes et crations personnelles traversent l'uvre : le rcit travaille l'histoire et le temps qui deviennent mythiques et thanatiques (mythe de la dcollation, narration effectue comme une dcapitation). Bien qu'il y ait des procds structuraux niant le temps (ngation du rcit encadr par le rcit encadrant), apparait un mythe "fin de races"; le texte devient mmorial et mme conte par des morts. . . La reprsentation de la mort ressort d'une esthtique macabre (maladie, notations physiologiques) fonde sur la dcomposition dans la vie mme; or, le macabre n'est pas raliste. La mort rend beau, on veut en jouir et toute la sexualit est fonde sur la mort. Cette mythologie des sexes repose sur les transgressions qui tuent toujours dans des relations triangulaires vantant l'anantissement et un mythe du "rve exterminateur". La rversibilit est un mythe structural fcond dans le rcit de mort, Barbey retourne des structures, schmas narratifs et cre ses propres structures mythiques et langages thanatiques, notamment en ce qui concerne le sacre. Lcriture de la mort prend place partir de matrices se dveloppant grce une criture du mythe intratextuel, lui-mme thanatique. Chainage d'images, rseaux, configurations de formes issues les unes des autres se rptent d'un texte l'autre ; il suffit de prolonger les systmes poses, de les retourner pour s'apercevoir que Barbey dit la mort grce la composition, la recomposition de ses mythes personnels.

le seuil peut tre dfini comme ce qui spare et relie des entits diffrentes, convoquant des contraires inconciliables pour qu'ils cohabitent. Or, l'oeuvre aurevillienne manifeste une volont d'unit contrebalance par son chec raliser cette unit. Comment la prsence du seuil s'articule-t-elle avec la potique du dsaccord privilgie par l'auteur ? La phnomnologie permet de comprendre que les diffrents types de seuil organisent la description de l'espace romanesque et qu'ils permettent de dfinir le personel du roman. La structure romanesque des crits rgie par le seuil se caractrise par une digse spcifique et par la mise en place d'une thtralit reposant sur une esthtique du mystre et du tragique. Le symbolisme explique les raisons de ces particularits : il rvle une conception de l'Histoire fonde sur une rupture rvolutionnaire irrmdiable que l'auteur cherche enrayer et sur une conception de la mort comme passage initiatique amorc mais jamais achevLe corps, l'un des themes essentiels de l'oeuvre romanesque de barbey d'aurevilly, s'y trouve exploite sur plusieurs plans : lieu de manifestation de la force vitale, il temoigne d'une grande expressivite; domaine de l'imaginaire, il est habite par les quatre elements (la terre, l'eau, l'air et le feu) qui exercent sur lui une puissante influence imaginative; il est l'objet de differents drames, qui, en en bouleversant les fondements, finissent par le conduire a la mort, laquelle est la remise en question de la vie meme, il doit s'entendre aussi en extension, c'est-a-dire sous forme de vetement, de main, de regard, etc. , toutes ces proprietes qui contribuent a former un espace corporel; enfin, s'il entretient souvent une relation ambivalente ou conflictuelle avec le moi, celui-ci vient a s'identifier avec lui et meme a tacher de le transcender. Ainsi le corps constitue-t-il un des points nodaux de la problematique de l'etre humain, en meme temps qu'il se situe au centre de la dynamique du texte aurevillien.Au-del du paradoxe quil pourrait y avoir interroger les catgories esthtiques de la prose et de la posie chez un auteur dont luvre est en majeure partie romanesque et critique et dont les pomes, rares et confidentiels, demeurent assez gnralement mconnus, cette tude entend rflchir au sens de lchec potique par lequel Barbey entre en littrature. Son uvre sdifie en effet sur une dmission originelle. Ni mage ni prophte, comme ses contemporains de la premire gnration romantique, le romancier semble porter le deuil du pote messianique quil nest pas, malgr son catholicisme farouche. Ses romans peuvent se lire comme une rcriture prosaque et profane, pastiche douloureux ou parodie impie, du grand rve dpope mtaphysique qui anima les potes de la premire moiti du sicle, un tombeau du pote et de la posie. Comme tels, ils ont partie lie avec le genre du pome en prose dont lauteur des Rhythmes oublis fut lun des prcurseurs dsenchants.Jules Barbey dAurevilly laisse une uvre polymorphe. Les annes 1851-1865 sont, cet gard, exemplaires. Chaque semaine, il crit un article pour Le Pays et envoie une lettre son ami Trebutien. Jamais autant de rcits aurevilliens nauront paru qu cette priode : la premire des Diaboliques, Le Dessous de cartes dune partie de whist, et les romans Une vieille matresse, LEnsorcele, Le Chevalier des Touches et Un prtre mari. Menant de front ces critures, Barbey semble cependant les dissocier. Lcriture critique, soumise aux conditions ditoriales des journaux, relve de lurgence, de la censure et de la Ncessit . En revanche, les lettres donnent la libert de rugir ; elles ouvrent une parenthse au milieu du tintamarre pressant des journaux et de la fournaise du travail romanesque. Celui-ci par le pouvoir de lImagination apparat nanmoins comme le lieu privilgi dune expression personnelle authentique. Pouvons-nous imputer de manire aussi catgorique une fonction la lettre, larticle et au roman ? Certes, la correspondance est un espace de spontanit o Barbey pntre souvent en triple hte ; elle ouvre aussi une vritable rflexion sur lcriture, sert de matrice au roman et la critique. De mme, lcriture critique nourrit la cration romanesque, affine les choix esthtiques. Ce polymorphisme, loin de cantonner les genres dans une fonction et une esthtique particulires, dessine une cohrence gnrale o chaque criture influence lautre pour tenter datteindre lloquence du cur . Cest bien cet idal dcriture que Barbey dAurevilly poursuit de 1851 1865 et qui fonde lesthtique de sa prose.