Representations sociales et drogues

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Drogues et représentations sociales IREPS, Ajaccio Avril 2011 Dr Amine Benjelloun Pr Associé de pédopsychiatrie (Marseille) Un outil de diagnostic, de réflexion, de préconisation pour le déplacement des problématiques d’action dans le cadre de la prévention primaire et secondaire -Comment analyser les phénomènes ? -Sur quels déterminants faudrait-il agir ?

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Drogues et représentations socialesIREPS, Ajaccio

Avril 2011Dr Amine Benjelloun

Pr Associé de pédopsychiatrie (Marseille)

Un outil de diagnostic, de réflexion, de préconisation pour le déplacement des problématiques d’action dans le cadre de la prévention primaire et secondaire-Comment analyser les phénomènes ?-Sur quels déterminants faudrait-il agir ?

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Des objets « privés » et «publiques »…

• Différents systèmes de classification (’’stupéfiants’’, ’’drogues’’, ’’substances psychoactives’’…) inscrivent les

produits de façon controversée et polysémique dans l’espace public: Dangerosité sanitaire et sociale, drogues licites et illicites, définition

des enjeux socio-sanitaires.

• Des situations hétérogènes et des enjeux de prévention et de prise en charge spécifiques en fonction des produits, de leurs usages et de leurs publics (propriétés psychoactives et neurotoxiques de produits, modes d’usage ou de polyusage, typologie des consommateurs).

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Le regard psychosocial comme mode de lecture:

Objet :produit psychotrope avec des propriétés magiques, psychologiques, toxiques, sociales

Alter: pairs, famille, groupe, autorité…Ego: Sujet individuel

Appartenance culturelle et relations interpersonnelles et sociales

Modèles culturels, de vie, réglementation…Type de relation,

Usage ou abusSignification, fonction

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Représentations sociales des individus / groupes & produits.

• L’élaboration des savoirs et des significations concernant les produits (informations,

motivations, fonctions, repères normatifs).• Les rapports entre représentations (images,

significations, opinions) et usages déclarés.• La construction de ces objets en fonction des appartenances et des insertions sociales.

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Représentations de la « drogue » chez les élèves de 3eme

• N=300 ; Logiciel Alceste; Mot inducteur=« drogue »

• Les mots les plus fréquents : seringue (102), shit (86), cocaïne (79), joint (66), cannabis (56), mort (56), dépendance (53), …

• Des termes qui font référence à une vision négative et néfaste de la drogue

• A noter : seulement 9 / 300 citent l’alcool dont 8 filles ...

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Le lexique et les représentations varient selon le sexe

Les garçons :Herbe, Défoncer,« Buz », Marijuana,Bang, Délirer, Coke,Police, Prison, Rouler, ...

Les filles:Toxicomane, Overdose,Piqûre, Dépendance,Danger, Joint,Cigarette, Maladie,Alcool, ...

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Quelques phrases: de la souffrance

« Tellement qu'ils sont déprimés, ils savent même plus quoi faire, ils font même plus attention à eux, ils font plein de tort aux autres, les petits, ils passent, ils voient une personne qui fume, parce que surtout aussi avec des filles qui fument le shit, qui se droguent, ils savent pas qu'est-ce qu’ils font »

( G,18 ans)

« La drogue, c’est causé par le manque de travail, d’occupations, d’études, de formation » (F, 20 ans)

« C’est vrai que l’alcool est mauvais mais je sais pas, moi je trouve que c’est les gens qui souffrent qui consomment de la drogue» (F,16 ans)

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Vulnérabilité ressentie et peur du « devenir drogué »

« J’ai peur d’y replonger encore, il s’agit d’une fois, tu veux lutter, tu veux dire, je sais pas si j’ai la force de dire non, mais bon j’ai pas confiance, je pensais jamais que j’allais toucher à cette chose, dire que j’ai failli être comme eux, après, ça y est la prostitution, la drogue, les trafics de tous les côtés, voilà j’ai failli, j’ai mis un trait dessus, ça m’a rien apporté, même pour les anniversaires ou quoi, j’ai eu 18 ans, j’ai pris un verre de champagne, c’est tout, j’ai peur de l’alcool, je veux pas devenir comme eux qui sont drogués, j’ai un projet, je veux le suivre, c’est pas en buvant qu’on va devenir commissaire, je suis décidée, j’ai des parents qui me surveillent, quand je tourne mal, ça y est, j’ai mis une croix dessus » (F, 18 ans)

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Les situations « border line »«C'est un ecstasy qui m’a sauvé mon âme, mon âme intérieure, j’étais

tellement, c’était au bout de deux ans de rue, je pétais les plombs, j’étais enrave j’avais rien pris encore, j’étais mais vraiment glauque, j’avais les lames

de cutter, je m’étais mis dans un coin et ça allait partir quoi, y’a mon collègue, il est arrivé, il me dit ouvre la bouche, enfin non, il m’a ouvert

la bouche, il m’a foutu un ecstasy dans la bouche il savait pas que c’était un ecstasy, une demi heure après je me suis relevé et j’ai dansé et après

j’ai discuté normalement et ça m’a, ça m’a fait saper le côté vraiment j’étais mal quoi, je dis pas que, que c'est bien de prendre de l’ecstasy, je dis que moi dans mon expérience dans ce contexte-là, ça m’a sauvé, pas la vie, mon esprit quoi, parce que mon esprit était tellement, parce que, arrivé à un certain niveau tu te mets en mode d’autodestruction, tu vois,

t’as rien t’as pas de thune, parce que tu peux t’en apercevoir et te l’avouer a toi même (…) parce qu’après c'est un combat interne dans ta tête, mais pourquoi je vis, pourquoi ceci, y’a ça qui est bien mais, c'est

une vraie prise de tête, et l’ecstasy ça m’a libéré, toutes ces pensées ont disparu, enfin ont disparu, ont été mises de côté sur le moment. »

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Des formes de relations addictives ?

• Une construction des relations à effets pathogènes(souffrance, déchéance, disqualification, menace, autodestruction) sur les plans sanitaire, identitaire et social, qui dépasse nettement les seuls registres de l’usage abusif et/ou addictif.

• L’analyse des expériences privées et sociales des drogues fait apparaître la prédominance des troubles addictifs, au sens psychopathologique, en tant que liens de souffrance entre le sujet et le produit, objet de menace ou d’attrait, réel ou imaginaire.

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Comment analyser la souffrance ?A/La spécificité de la souffrance relèverait d’une altération du rapport

à soi et à autrui et d’une diminution de la puissance d’agir (Ricoeur, 1994).

B/Les marques de la souffrance sont distribuables sur deux axes:• Le rapport soi-autrui (affaiblissement conjoint du rapport à soi et du

rapport à autrui)• L’agir-pâtir (la réduction de la puissance d’agir dans les registres de

l’élocution, de l’action, de la narration et de l’estime de soi)

C/Il existe un troisième axe transversal, la souffrance « donne à penser » : elle « interroge » le sujet (quête de signification) et son expression « appelle » à l’aide en direction d’autrui.

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Cannabis et représentation sociale

• Le cannabis : Un exemple montrant comment la santé des adolescents et des jeunes représente un enjeu de santé publique sous la pression du débat social, scientifique, politique, ...

• Parmi les questions prioritaires en termes de demande sociale, l’usage de cannabis au sein de ces populations est posé comme étant un problème majeur pour la prévention et l’action socio-sanitaire.

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Pourquoi le cannabis?

• Un objet polémique;• Un objet de focalisation.• Un objet « idéo –logique »:– correspondance? entre l’ordre des idées & l’ordre des rapports sociaux.

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Cannabis et Contexte (1)

• Depuis la fin des années 90 en France, le cannabis constitue un « objet de focalisation » (débat social,

pratiques institutionnelles).• Deux attitudes polarisées :

– La banalisation– La diabolisation.

• Un exemple : le cannabis fait régulièrement la « UNE » de différents quotidiens nationaux de

façon signifiante.

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Focalisation et médias

24/02/01

02/02/05

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Focalisation et politique• Extrait de la Loi de Santé Publique (Modifiée en 2003). Le chapitre II du titre Ier du livre III du code de l'éducation est

complété par une section 10 ainsi rédigée :• “ Prévention et information sur les toxicomanies “ Art. L.

312-17. - Une information est délivrée sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, notamment concernant les effets neuro-psychiques et comportementaux du cannabis, dans les collèges et les lycées à raison d'au moins une séance annuelle, par groupes d'âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire ainsi que d'autres intervenants extérieurs conformément à l'article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. ”

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Cannabis & contexte (2)

• Une substance « controversée » dans la communication sociale qui devient un objet polémique.

• Un exemple : la diffusion des connaissances scientifiques concernant les effets et la dangerosité de la substance.

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Première expertise Inserm,1ere polémiqueLe Monde ,22/11/01

Le Figaro,23/11/01

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Le cannabis et le volant,2nde polémique

Figaro, 30/11/2005Libération, 3/10/2005

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Un sujet polémique ’’politique’’ « Gauche /droite »

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Cannabis & contexte (3)

• Un objet de tension normative (décalage entre la loi, « ce qui doit être », entre la norme des pairs, « ce qui est conforme à la majorité de cas »).

• Un opérateur « idéo-logique » (prise de position dans le cadre du débat politique, construction de la jeunesse en tant que catégorie sociale).

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Le cannabis : un objet de tension normative

• « L’adolescence et les quelques années qui la suivent constituent une étape très sensible, critique, de la vie de tout Homme. (…) c’est l’heure où se structure, s’affirme la personnalité, où s’effectuent des choix déterminants, où le besoin de transgression des interdits ou simplement de désobéissance est fort, où l’esprit grégaire se développe, où l’adhésion aux modes s’opère, où la sexualité se découvre et s’assouvit souvent, dans le contexte des MST. (…) Ces données jointes à d’autres non examinées ici, loin de relativiser la psychotoxicité du cannabis le parent de tous les attributs de la drogue (…) en prônant la libre circulation du cannabis (on prend le risque)de mettre davantage cette jeunesse en danger ».

Données neurobiologiques récentes sur le cannabis, COSTENTIN J. In :Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 186, N°2, 2002 ; document annexé au rapport du Sénat).

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Le cannabis : un objet de tension normative

• Un décalage entre le statut légal qui prohibe et pénalise l’usage de cette substance et l’étendue de sa consommation ainsi que le phénomène de sa banalisation (déclaration d’usage) chez les adolescents et les jeunes adultes depuis quelques années.

• « Ce qui doit être » (La loi qui pénalise la détention et laconsommation )

• « Ce qui est conforme à la majorité de cas » (Le caractère « quasi-majoritaire » du comportement d’expérimentation et de consommation : plus de 50% de jeunes )

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Perspective temporelle future et rapport au cannabis(Apostolidis, Fieulaine et Soulé, 2006)

• Population de lycéens (élèves en seconde dans un lycée à Marseille); N=279 (m Age = 15,67); 116 garçons (m Age = 15,72) et

163 filles (m Age = 15,62).• 41,3% ont déclaré avoir déjà consommé • Parmi eux :• - 26,1% ont déjà consommé mais pas au cours de l’année.• - 39,1% ont consommé moins de 10 fois au cours des 12 derniers

mois.• - 11,3% ont consommé moins de 10 au cours des 30 derniers jours.• - 12,2% ont consommé plus de 10 au cours des 30 derniers jours.• - 11,3% consomment au moins une fois par jour.

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Faut-il prendre en compte l’étendue de l’usage(déclarations) en tant qu’élément de

contexte ?

L’usage contemporain du cannabis :Un objet « normalisé » et « commun »

Une « norme statistique » ou aussi une « norme culturelle » ?

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Travailler sur les représentationspour analyser les pratiques professionnelles

et les situations de prise en charge

• Quelles sont les représentations des professionnels concernant les adolescents pris en charge et leurs conduites à risque ?

• Quelles sont les représentations des professionnels concernant leur rôle et leurs missions auprès de ces publics ?

• Quelles sont les représentations des adolescents concernant les professionnels et les situations de prise en charge ?

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Cannabis & Psychologisation

• • “Personnalité adolescente / jeune” et dangerosité du cannabis : une focalisation signifiante dans les communications et les pratiques sociales.

• Les liens entre “personnalité” et “addiction” : une perspective théorique dominante, et souvent normative et pathologisante, en psychologie de la santé

•Peut être , faut il questionner une perspective théorique alternative qui questionne le rôle des interactions et du contexte social ?:(“Outsiders” Becker, 1963).

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Dans le débat scientifique

• Le mal-être adolescent du côté de la dépression (posture dysphorique)

• Des excès de nature extravertie associés à une sociabilité intense (posture compulsive)

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Remarques pour la discussion …

• Un constat transversal : le caractère normatif de la construction des représentations du cannabis (i.e. un état représentationnel révélateur et symptomatique d’un état social).

• La construction sociale du cannabis et ses enjeux « idéo-logiques » :Cannabis et construction de la jeunesse en tant que groupe dangereux et/ou en danger; Cannabis, « cultures jeunes » et socialités entre pairs.

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Deux questions pour la prévention et la prise en charge :

• Qui définit le risque ?– Les Institutions ?– Les Professionnels ?– Les Populations ?

• Sur quels déterminants agir ?– « Sanitaires » ?– « Non-sanitaires » ?

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Conclusion:

• On raisonne aussi avec des représentations sociales bien ancrées, constamment refabriquées, renouvelées: ‘’politiques’’ certes, mais aussi ‘’sociales’’, et pires, ‘’scientifiques’’.

• Nous aident elles face a nos adolescents?