Reportage sur le New Burlesque à Londres

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LE NEW BURLESQUE APRÈS DIX ANS D’EXISTENCE, LE NEW BURLESQUE, CET ART NOSTALGIQUE DES PIN-UP ET DU GLAMOUR DES FIFTIES, CONTINUE D’ÉMOUSTILLER LA CAPITALE BRITANNIQUE. ÉTAT DE SANTÉ IN SITU ET TENTATIVE DE PROJECTION DANS L’AVENIR… Le temps passe, les plumes restent... Par Lucie Duban / Photos Grégoire Bernardi ENQUÊTE HAUTE DEF EN ATTENTE

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Reportage sur la scène Néo Burlesque à Londres. Rencontre avec ses artistes, la scène, les directeurs de festival et le rédacteur en chef du magazine Bizarre.

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LE NEW BURLESQUE

APRÈS DIX ANS D’EXISTENCE, LE NEW BURLESQUE,

CET ART NOSTALGIQUE DES PIN-UP ET DU GLAMOUR

DES FIFTIES, CONTINUE D’ÉMOUSTILLER LA CAPITALE

BRITANNIQUE. ÉTAT DE SANTÉ IN SITU ET TENTATIVE

DE PROJECTION DANS L’AVENIR…

Le temps passe, les plumes restent...

Par Lucie Duban / Photos Grégoire Bernardi

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HAUTE DEF EN ATTENTE

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Le new burlesque : des codes, une atmosphère, tout un art… Du sur mesure pour Londres. Ce mouve-

ment artistique, fait de numéros de strip-tease ou peu vêtus, dansés et accessoirisés, plutôt rococo et vintage, doit sa renaissance à des stars comme Dita Von Teese ou encore Dirty Martini. La tendance venue des États-Unis a pris forme à la fin des années 1990 en revisitant les codes des célèbres cabarets parisiens comme le Chat Noir. Ces perfor-mances scéniques sont de vraies saynètes racontant un épisode de la vie d’un person-nage. Les tableaux prennent ensuite diverses “couleurs” : sexy, comique voire vaudeville, ou encore “horreur”. C’est un univers proté-iforme, riche et définitivement référencé comme en témoignent le numéro de Chrys Columbine, starlette londonienne qui joue la naissance de Vénus, ou l’univers de Vicky Butterfly à l’esthétisme klimtien.Londres est une scène très dynamique. Ce que nous confirme David McComb, rédac-teur en chef de Bizarre, le premier magazine culturel alternatif du Royaume-Uni qui met en avant les sous-cultures décalées telles que le fétichisme ou le gothisme, mais aussi le new burlesque. Selon lui, cet art va devenir encore plus présent dans la culture popu-laire car, explique-t-il, « la scène va mûrir de

plus en plus. Le burlesque est de retour et pour un

moment ! » Le burlesque, à ne pas confondre avec le genre humoristique, est d’essence populaire. À distinguer donc du vaudeville destiné à un public bourgeois. La tradition veut qu’en Angleterre il « tourne au ridicule les

figures d’autorité et de gouvernement et moquent les

maux de la société », précise David. Une sorte d’exutoire satirique plus qu’un mouvement porté sur le sexe, à la différence des États-Unis. Car le burlesque est sexy certes, mais il ne s’agit en aucun cas de sexualité. C’est d’ailleurs ce qui fait sa richesse. Et nombreux sont les événements qui la mettent en valeur, comme le Chaz’s Festival où une pléiade de performers burlesques s’exhibe dans l’Ouest londonien.

LADIES AND GENTLEMEN, QUE LE SPECTACLE COMMENCE !

Sur les lieux, c’est le cabaret, le vrai. La foule, vintage, est dense. Les Anglais, réputés pour se “saper” à la moindre occasion, le sont plus que jamais en ce soir d’octobre. Côté hommes, de précieux costumes trois-pièces nous plongent avec délectation dans les fifties avec chapeaux et chaussures bicolores, tandis que côté féminin, c’est une avalanche de boas, plumes, manteaux de fourrure, petits chapeaux avec voilette et robes de soirée. N’oublions pas les permanentes cran-tées, agrémentées de bananes et les cheveux gominés. Tout y est, il ne manque plus que Betty Page. Bientôt, la moquette rouge dispa-raît. Tous se pressent et s’engouffrent à l’in-térieur : le spectacle va commencer.Comme au cirque, Monsieur Royal présente les numéros qui s’enchaînent à tour de bas dentelle. L’humour auquel ils font appel est soit de situation, très visuel – et fédérateur –, ou bien très noir et branché dérision. Côté musique, c’est nostalgie et rockabilly qui habil-lent chacun des tableaux dessinés sous nos yeux. Les rires fusent, les yeux pétillent, on applaudit, on acclame : c’est la jubilation. On oublie un moment le krach, la finance et la City qui perd la tête dans son cyclone boursier. Comme dans toutes les périodes économiques moroses, l’envie de s’évader est plus qu’omniprésente.Ce succès qui, depuis le continent, peut paraître un peu surfait, fait ici chaque fois plus recette. La foule de ce samedi est typiquement londonienne, mais aussi terri-blement nostalgique d’un glamour à la fifties. Elle a soif de plumes, de pin-up effrontées et d’insolence. La ville de Londres, connue pour son goût de l’excentrisme, n’y est pas étrangère non plus.Le public est autant composé d’hommes que de femmes. Pourtant oui, il y a du strip-tease et la plupart finissent en “pasties” (du nom des “pastilles” que les strip-teaseuses collent sur leurs tétons), mais on est loin du sordide. Le sexe n’y est qu’un accessoire, une mince

trame. « Le public s’attend à un strip-tease et à une

mise à nue des corps, tout l’intérêt du numéro est

donc de le surprendre », nous confie Marianne Cheesecake. Sur scène, cette Canadienne de vingt-sept ans vole Charlot à Chaplin et lui fait faire une lessive impromptue, terminant en strings et plumetis. Sous ses airs ingénus, la pin-up poursuit : « Vous pouvez rendre le

strip-tease encore plus séduisant et attractif s’il est

justifié ». Toutes ne se déshabillent pas, et si elles le font, elles ne donnent pas tout à voir. Certaines sont acrobates et virevoltent d’une balançoire à un cerceau, d’autres sont des infirmières vengeresses et ensanglantées… Il y a aussi cette femme, Honour Mission, une armoire à glace qui ridiculise un Ken en

l’étouffant entre ses seins et reprend ainsi ses droits sur la gente masculine. Ou bien cette femme zombie entamant une danse macabre avec Monsieur Royal sur Come On And Get

Happy : un vrai tableau burtonien. Une fois rhabillées, à la ville, elles terminent des études en thérapie dramaturgique ou en anthropologie féminine, mais le théâtre n’est jamais loin. Qu’elles soient danseuses clas-siques ou modèles pour le milieu fétichiste, ces oiseaux à plumes s’effeuillent sur scène, mais restent sages à la ville.

Marianne Cheesecake et son numéro inspiré – librement… – de Charlot.

Un concentré de new burlesque sur la scène du Chaz’s Festival.

LE BURLESQUE, À NE PAS CONFONDRE AVEC LE GENRE HUMORISTIQUE, EST D’ESSENCE POPULAIRE. À DISTINGUER DONC DU VAUDEVILLE DESTINÉ À UN PUBLIC BOURGEOIS.

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CE QU’EN PENSENT LES FEMMES

C’est l’esthétisme pluriel qui plaît, car côté public les femmes aiment sans retenue. Une d’entre elles se distingue parmi la foule par son allure ultra-chic et très glamour, on la croirait tout droit sortie d’Hollywood. Que fait-elle ici à assister à un festival burlesque ? En réalité, c’est une fan de la première heure, elle apprécie cet art pour le « côté réel des artistes », loin de la sur-fab-rication chère à notre société de dictature de l’image. « Voir des filles en chair », c’est

ce qui lui plaît, car la touche sexy qui se dégage de ces corps l’émeut, elle dit « aimer

cette sexualité qui se vit librement, sans peur

des préjugés, qui n’a pas de modèle ». Ici peu de maigrichonnes et tant mieux. C’est un leitmotiv chez les femmes, spectatrices comme performeuses, sur ce lien entre cet art et un certain affranchissement des corps. Quand le moindre bourlet est banni dans nos médias, sur ces planches ils y sont célébrés. Chacune apprend le meilleur de son corps et l’utilise, c’est là leur force. Vicky Butterfly, le papillon victorien qui cartonne en Europe, nous précise que c’est un pouvoir qu’exerce la femme artiste. En quelque sorte le pouvoir de parvenir à un érotisme en sollicitant les courbes et stéréotypes de la femme, pour mieux l’en affranchir. C’est aussi ce que pense Chrys Columbine… N’en déplaise aux fémin-istes, elle affirme qu’il est plus que jamais de rigueur de promouvoir la féminité et si ces dernières ne sont pas d’accord, qu’elles se taisent puisqu’elles n’ont, selon ses dires, le monopole ni de la beauté ni de la mode, loin de là ! L’intérêt et l’engouement des

femmes pour cette discipline sont indéni-ables, comme en témoignent les écoles et cours de new burlesque, qui foisonnent. Le but : savoir ôter un gant, certes, mais aussi retrouver une confiance et aimer

son corps. Une question reste lancinante cependant : à trop montrer l’imperfection et la chair en abondance, ne perd-on pas de vue l’onirisme ou un certain esthétisme du rêve ? Il semble-rait que non, puisque l’humour est le ressort de toutes, il sauve et pimente toutes les situations. Restent enfin la théâtralisation et la mise en scène, séduisantes. Chacun et chacune y trouvent leur compte, mais une impression

blasée persiste. Le renouveau tant porté aux nues ne renouvelle que du revisité, on ne peut pas faire plus frelaté. C’est dans cet esprit qu’une nouvelle vague semble émerger : le vaudeville.

LE VAUDEVILLE, DERNIÈRE MUE DE CET ART

Plus porté sur l’humour que sur le glamour, le vaudeville déclenche les fous rires. C’est le choix scénique du duo terrible Pustra et Vile’Een, un voleur arnaqueur et une alcoolique. On est dans la dérision ; à côté, strings à nœuds et paillettes font pâle figure, voire carrément “old school”. Car le danger est que le phénomène new burlesque ne finisse par s’essouffler, à force d’évoluer en vase clos. Attention, gare aux épidermiques du vintage et du rococo ! Si vous êtes de ceux-là, passez votre chemin ou vous risquez d’être déçus. Tous les froufrous du monde n’y changeront rien : on est résolu-ment dans le passé, on revisite, mais c’est une renaissance du moribond. Et pourtant le milieu sature, nous disent certaines profes-sionnelles. Et Cherri Shakewell de le noter avec dépit : « Chaque jour je reçois des mails de

jeunes filles qui veulent que je les conseille. Trop

d’amateurs pensent qu’il est facile de se lancer », et tuent dans l’œuf la poule aux plumes d’or pour celles qui en vivent. À raison d’une

centaine de livres par show en moyenne, et de cinq cents à mille dans le privé, les meil-leures craignent pour leur avenir face à des jeunettes aux dents longues et aux tarifs peu épais. La clé de la réussite, comme le rappelle David McComb, c’est « l’imagination

et l’intelligence », ce que toutes n’ont pas… La force du burlesque, sa variété et la réces-sion qui s’annonce peuvent l’empêcher de sombrer mais il lui reste plusieurs défis à relever dans les années à venir. Éviter que les clubs n’engagent davantage de performeurs amateurs dont les petits cachets n’ont d’égale que la piètre qualité des shows et qui feront fuir les spectateurs, novices ou connaisseurs. Et enfin, faire face à la menace d’ordre juridique qui plane sur ces mêmes clubs, particulièrement dans la capitale. Ils pourraient être sujets à des restrictions de représentation au motif du caractère sexuel de ces numéros. En clair, une licence pour strip-tease serait requise. Surprenante décision de la part des autorités qui, en toute bonne conscience, souhaitent participer à un succès artistique populaire et commercial qui, jusqu’ici, les avait laissées en coulisses. La bulle du burlesque n’ayant toujours pas éclaté, la renaissance suit son cours. Le rideau n’est toujours pas tombé, les plumes suspendent encore leur vol, mais pour combien de temps…

CHRYS COLUMBINE, N’EN DÉPLAISE AUX FÉMINISTES,

AFFIRME QU’IL EST PLUS QUE JAMAIS DE RIGUEUR

DE PROMOUVOIR LA FÉMINITÉ.

Leyla Rose. Cherri Shakewell.

Chrys Columbine. Marianne Cheesecake.

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PUSTRA ET VILE’EENDamian et Annabelle se produisent depuis un an et demi sur la scène burlesque. Ils se présentent comme « des comédiens de cirque ma-

niant le vaudeville ». Des bouffons. Pustra, le voleur arnaqueur, aime beaucoup l’argent et Vile’Een, la comparse décadente, aime beau-coup l’alcool. Décalés et ridicules.Selon eux, la scène burlesque va intégrer de plus en plus de vaudeville à cause de la crise actuelle : « Les gens ont besoin de rire et recherchent

un effet libérateur ». Le désespoir économique booste la créativité. Londres en a besoin : ils parlent d’un ras-le-bol. Ils essaient donc de pallier ce côté ankylosé. Avec quatre spec-tacles par mois, ils ont déjà emmené Pustra et Vile’Een à New York, Berlin et un peu partout en Angleterre. Leur univers de ré-férence ? « Tim Burton », évidemment.Cette différence de registre leur permet une critique réaliste. Pour Damian, « il y a

tellement d’artistes burlesques en ce moment qui

ne font que s’effeuiller, ce qui ne demande pas un

réel savoir-faire, que si la tendance se développe

encore, alors seules les filles qui ont un truc en

plus se produiront toujours, les autres non. » Le vaudeville en passe d’être la prochaine mue du new burlesque ? Affaire à suivre…

CHERRI SHAKEWELLPour son nom de scène, elle a choisi le nom d’une pâtisserie anglaise – bakewell – qu’elle a modifié, parce qu’elle « aime les gâteaux » et qu’elle est « pulpeuse ».Danseuse classique de formation, un poil exhibitionniste, Cherri a commencé il y a cinq ans une activité qui est devenue son gagne-pain. « Le hobby devenait de plus en plus

lucratif », elle a donc fait le choix d’en vivre et donne également des cours de strip-tease burlesque. Mais sous ses airs suaves et sucrés, cet oiseau à plumes clame que trop de burlesque tue le burlesque : « Les gens

disent qu’il y a une sorte de bulle burlesque, comme

pour nos marchés boursiers, et qu’elle va finir par

éclater. » Elle estime qu’à Londres l’activité est sacrément pourvue. Et ce dynamisme risque de se faire au détriment de la qualité, puisque les clubs préféreront engager des amateurs, peu chers, qui feront fuir les spectateurs et terniront l’image d’un monde déjà très connoté. Cherri pense vraiment que les clubs qui ont ce genre de pratiques tuent le milieu. Si la tendance persiste, le krach burlesque lui semble imminent.

LEYLA ROSECette Nord-Irlandaise de vingt-neuf ans est une effeuilleuse plutôt en chair. C’est son atypisme. Avec des icônes comme Sophia Loren ou Tura Satana – femmes fortes et plantureuses –, elle célèbre le trashy à la Russ Mayer. Sous ses airs de pin-up frangée, Leyla Rose est à la fois une danseuse adorable et une vamp sombre voluptueuse. « Il faut con-

naître ses atouts pour construire son personnage

scénique », conseille-t-elle. Elle adore la satire et la parodie que permet cet art, ainsi que la sensualité et l’exploration de l’artiste qui sommeillent en chacun. Elle déplore aussi une scène américaine trop aseptisée dans les formes des filles. À Londres, il y a plus d’aspérités : « Il ne s’agit pas de ce que vous avez,

mais de la façon dont vous vous en servez. » Elle aime la célébration des formes dans le bur-lesque et le fait qu’il plaise autant aux femmes qu’aux hommes. Elle reconnaît aux écoles la volonté d’affranchir les femmes des diktats de la beauté, mais désapprouve la suggestion selon laquelle il existerait une façon correcte de retirer un gant par exemple. Cette étudi-ante en anthropologie féminine est une re-belle : elle dit non au burlesquement correct ! Les dogmes, très peu pour elle.

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