Rennessence2010

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 1 LES MYSTERES DE RENNES. Episode I. RENNESSENCE Tcerid Rezal Licence Creative Commons utilisée : La formule de licence "creative commons" retenue pour le livre en ligne Rennessence implique que les utilisateurs indiquent la paternité du texte initial, s’interdisent toute utilisation commerciale (à moins d’y être expressément autorisés par l’auteur) et proposent les travaux issus de leurs interventions sur ce texte avec les libertés attachées à cette forme ouverte de propriété intellectuelle. Les utilisations, enrichissements, déformations, déviations, diffusions qui respectent ces principes sont autorisés. Pour en savoir plus : http://fr.creativecommons.org/

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LES MYSTERES DE RENNES.

Episode I.

RENNESSENCE

Tcerid Rezal

Licence Creative Commons utilisée :

La formule de licence "creative commons" retenue pour le livre en ligne Rennessence implique

que les utilisateurs indiquent la paternité du texte initial, s’interdisent toute utilisation

commerciale (à moins d’y être expressément autorisés par l’auteur) et proposent les travaux issus

de leurs interventions sur ce texte avec les libertés attachées à cette forme ouverte de propriété

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LES MYSTERES DE RENNES.

RENNESSENCE

Prologue :

Une pierre. Une pierre dans une forêt. C’est ainsi qu’on la retrouva. Je sais qu’elle n’était

qu’une des rares traces de ce culte voué aux démons des temps jadis, à cette force

monstrueuse dont on n’a guère idée de nos jours. Une trace, voilà ce qu’elle était.

Et si cette force ressurgissait des profondeurs comme du passé pour venir nous hanter, pour

mieux nous happer ?

Mon esprit demeure à jamais obscurci par ce que j’ai vu au Parlement. Et c’est avec

bonheur que je sais présent à mes côtés les miens : vampires, gynandres, rennais et autres

subcondatiens, mais aussi désormais fées, sylphides et korrigans. Si je les protège de ma

force acquise au cours de ces aventures, je sais bien que les mystères de Rennes et de la

contrée de l’Ouest sont la source de vie qui m’évite chaque jour de sombrer dans une

inénarrable folie.

C’est sans doute autant par eux que pour eux que j’écris. Mais c’est aussi pour mes

compagnons du mystère, ces esprits errants et écrivants qui savent repousser les limites

d’un rationnel bien de trop ennuyeux.

« Rennessence » est donc une histoire à plusieurs mains à travers plusieurs esprits, à moins

que ce ne soit plutôt l’inverse , c’est à dire une histoire écrite à une seule main par

l’entremise de plusieurs esprits.

Voilà, j’ouvre les portes des Mystères de Rennes en envoyant un baiser à ma douce fée sans

qui vous ne serez pas en mesure de lire ce qui suit.

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Chapitre 1. Perte de rennes

En théorie, je suis un vampire. En pratique, beaucoup moins. D’accord, je suis vieux, très

vieux. Cependant, je crois que j’ai évolué. Oui, le vampire évolue. Du moins, le vampire

rennais. La contrée est riche en spécimen de mon genre. Seulement, je suis un des rares, le

seul vampire, a pouvoir vivre désormais le jour. Pourquoi, je n’en sais rien. Enfin, si, il faut

que je l’avoue, je crois savoir l’origine de ce phénomène. C’est depuis que j’ai rencontré

par une nuit de pleine lune, la fée Sicka surgissant des cieux, survolant le parlement sur son

sympathique dragon écarlate Crêpovore. Après que Crêpovore ait atterri, nous nous

sommes rencontrés en contrebas du Thabor. Le dragon ouvrit la gueule comme pour bailler.

Une appétissante odeur de pâte à crêpe en sortit. La fée me sourit, et me proposa de manger

une de ces créations culinaires accompagnée d’un délicieux élixir. J’eus beau lui dire que je

n’absorbais plus rien depuis que j’étais devenu vampire, elle insista néanmoins. Elle était

magnifique, grande et fine, ses cheveux bruns clairs aux reflets dorés étaient brillants et

longs. Je dois avouer que j’étais séduit. Et étonné par son assurance, et la manière dont elle

se déplaçait sur le dos de son dragon. C’était un fabuleux animal de deux mètres, avec une

imposante tête et d’énormes ailes rétractables. Elle m’apprit que son dragon, Crêpovore, ne

se nourrissait que de crêpes et de galettes. De plus, il avait le privilège d’être un des rares

dragons capable de pouvoir parler. Effectivement, il me dit d’une voix caverneuse :

« Amicus sum »

Seulement, il ne s’exprimait qu’en latin, et parfois en Breton quand il avait bu à l’insu de

Sicka de l’alcool. Bref, j’étais subjugué par une telle rencontre. Si bien que je ne sais par

quel irrésistible charme, elle parvint à ses fins. Je me délectai alors de sa crêpe magique et

de son délicieux. Quelle sensation indescriptible ! Je n’avais rien absorbé si ce n’est du

sang depuis des années. Je n’avais jamais rien goûté d’aussi exquis en un demi-millénaire !

Une crêpe parfumée accompagnée d’une délicieuse confiture de framboise avec une boule

de glace vanille. Le tout était artisanal, magique mais artisanal, car ma fée était contrôlée

régulièrement par des instances supérieures qui lui avaient conféré le label « produit

magique biologiquement certifiée ». Je dois dire, que pour couronner le tout, elle m’avait

fait boire un cidre d’une qualité à rendre fou. Elle m’affirma que c’était du « Loïc Déraison

». J’avais la chance de boire de l’élixir réalisé par le druide de la région, le sage et magicien

le plus célèbre au monde. La plupart d’entre vous le connaisse sous le nom de Merlin

l’enchanteur. Je ne l’avais d’ailleurs plus vu cela faisait quelques années. Il avait décidé de

se reposer un peu, avant de passer à l’action de nouveau m’avait-il confié. J’avais pris cela

pour un délire de vieux paranoïaque. Seulement, voilà qu’il réapparaissait indirectement par

l’intermédiaire de son élixir.

Je ne sais trop comment la fée s’en était procuré. Mais l’ élixir avait été fabriqué il y a peu

de temps. Elle m’affirma que c’était la cuvée spéciale du nouveau millénaire. Je n’avais

rien bu d’aussi excellent. Loïc Déraison, Merlin si vous voulez l’avait baptisé «

Rennessence ». Et c’était bien trouvé ! La belle fée me laissa, prétextant que Crêpovore

avait faim et qu’il était fatigué. Il faut dire que le dragon ne cessait de bailler. Il est vrai

aussi que ce dernier s’était envoyé une bouteille de chouchen qu’il avait dissimulée dans sa

poche ventrale sans que la fée ne s’en aperçoive. Elle grimpa alors sur le dos de la bête qui

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parvenait tant bien que mal à maintenir les paupières ouvertes. Il déploya ses ailes et se

prépara pour l’envol. La fée me sourit et me donna rendez vous à une mystérieuse

prochaine fois.

Crêpovore me dit alors avec une haleine avinée :

« Ken avo » Et sur ces propos « dragonesques », ils décollèrent. Ils montèrent haut dans le

ciel, puis se dirigèrent vers Brocéliande. Visiblement, le vieux magicien n’était pas pour

rien dans cette entrevue.

En tout cas, tout cela m’avait transformé totalement. La boisson de l’enchanteur portait bien

son nom.

Car c’était bien de cela dont il s’agissait, d’une véritable renaissance. J’étais un Vampire

transformé ! Le Vampire nouveau est arrivé ! Je n’avais plus besoin de me terrer le jour !

Autre bonne nouvelle, je n’étais plus accro au sang. C’est vrai, que les années avançant,

j’en avais de moins en moins besoin. Mais cette fois-ci, cela ne m’était plus vital. Etais-je

vraiment encore un vampire ?

Quel bonheur de pouvoir vivre sous le soleil. Je vois déjà les mauvaises langues dirent que

vu l’ensoleillement par ici, les vampires ne risquaient pas grand chose dans la région. Mais,

j’étais heureux, j’en avais assez de vivre dans l’obscurité, parmi les ténèbres comme disent

certains vampires. Je redécouvrais la ville sous un autre jour au vrai sens du terme. Je

croisais les gens, qui me regardaient évidemment comme si j’étais un déterré. Il est vrai,

que mon accoutrement avait de quoi surprendre. Ma longue cape noire, mes cheveux longs

et légèrement ondulés qui encadraient mon visage pâle et mes yeux clairs surprenaient.

J’entendis à plusieurs reprises prononcé dans mon dos le mot « vampire », ce qui ne

manquait pas de me faire rire. Rennes, c’était bien la nuit, mais désormais le jour aussi !

J’avais envie de changer de style. J’avais envie de me faire un style de « jour ». Après

maintes déambulations transcondatiennes, je finis par trouver mon bonheur. J’étais plaisant

à voir, un peu d’égocentrisme, cela ne fait pas de mal. Je ressemblais désormais un peu à

Keanu Reeves dans Matrix, en mieux évidement. Bref, on aurait dit un jeune kid aux dents

longues. Deux hermines ornaient le dos de ma cape de cuir en se faisant face. Ce n’était pas

tout à fait des hermines, un zoologue affirmé aurait reconnu deux octodons. Elles se

faisaient face dans un cercle blanc, une rouge et une noire. Cela symbolisait la Ville, le jour

et la nuit. J’en étais par mon existence un trait d’union. Il est vrai que le symbole représenté

n’était pas éloigné de celui du club de football qui à l’inverse de la plupart des centenaires

voyaient l’avenir beaucoup mieux que le passé. Quoique le club était plutôt source

d’espoirs déçus que de bons résultats. Quant à moi plus d’un demi-millénaire me sépare de

ma naissance. Mais, aujourd’hui, c’est la renaissance…

Seulement, cette renaissance n’était pas sans poser quelques problèmes. Au bout de

quelques heures, je ressentis le besoin irrémédiable de me sustenter et de m’abreuver. Mais

pas avec n’importe quoi, il me fallait absolument la « supercrêpe » de la Fée Sicka, et

l’élixir de Loïc Déraison ! Hors, je n’avais rien de tel en ma possession !

Je me sentais faible … j’étais un vampire en manque de crêpes et de « rennessence » !

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Aucune des crêperies de la rue Saint Georges ne pourraient résoudre ce problème. Le

sympathique patron du « Carmès » me proposa bien un cocktail maison, mais rien n’y fit.

Les crêpes de « la crêperie Saint Georges » fut également inefficace. J’allais certes un peu

mieux, mais au bout de quelques minutes, mes forces diminuaient de nouveau. Enfin, la

bonne nouvelle c’était que mon régime sang pur sang hémoglobine était terminé.

Et j’avais vraiment très envie de revoir la délicieuse Sicka.

Mais elle ne venait pas…je continuai à marcher. J’arrivais alors au carrefour de la rue Le

Bastard, et je vis Henri, Riton , l’habitué du lieu et monument humain de la ville,

s’approcher de moi, et qui me dit :

« un p’tit peu de pognon, et tu iras mieux ! »

Je vis alors, qu’il tenait à la main, une bouteille de la cuvée « nouveau millénaire.

Rennessence » de Loïc Déraison ! Contre un gros billet qu’il affectionnait tant, il me la

remis. Il me souriait du reste de ses dents. Je ne sais qui le lui avait donnée. Sans doute

Sicka. Elle devait savoir l’effet que cela produirait sur moi. Elle me téléguidait à cause de

ma dépendance à la « rennessence ». C’était le monde à l’envers, moi qui parvenait à

dominer spirituellement et télépathiquement grand nombre d’humain et de vampires. Et,

bien c’était moi qui était sous la volonté d’une tierce personne. Etrange.

J’avais en l’espace de quelques heures, depuis ma rencontre avec cette douce fée, perdu les

rennes de la cité. J’en suis quand même le maître, le dirigeant occulte des forces de la ville.

Et voilà, que grand nombre de mes pouvoirs s’étaient amenuisés, et qu’en prime j’étais

accro aux crêpes, et notamment à la « supercrêpe » , ainsi qu’à la « rennessence » de Loïc

Déraison. A vrai dire, je ne savais, si je devais être heureux de tous ces changements…

J’étais assis sur les marches du Parlement en train de déguster ma nouvelle boisson favorite,

« rennessence » . Je reprenais mes esprits, laissant glisser dans ma bouche et sur mon

palais, le doux élixir. J’étais comme galvanisé. Mais, je le sentais, je n’étais plus un vrai

vampire. Une nouvelle vie s’annonçait. Je n’étais plus maître de mon destin. L’enchanteur

me dirigeait désormais au travers de ma dépendance à la potion magique. Mais ce

changement me plaisait. J’en avais assez d’être le chef des forces occultes de l’Ouest. Il ne

se passait plus rien d’intéressant. La ville avait besoin d’un second souffle. J’avais des

idées, et il est vrai que je ne pouvais les mettre en place que si je pouvais être actif le jour.

Merlin m’avait donné cette chance. Il y avait des risques sans doute. Je ne savais pas si ma

quasi immortalité était toujours active, mais j’avais déjà assez vécu, sans compter que

j’avais goûté à des produits gastronomiques d’une qualité telle que je pouvais mourir

désormais.

J’étais bien, j’avais retrouvé une jeunesse d’esprit, car mon corps ne vieillissait plus depuis

ma transformation en vampire à l’âge de 25 ans. Physiquement, je n’avais jamais connu la

vieillesse, spirituellement c’est plus difficile. Il avait fallu que je m’adapte avec le temps.

Enfin, j’avais emmagasiné bon nombre de connaissances que nécessitent plusieurs vie.

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Méfiez vous des gens cultivés et jeunes d’aspects, il se pourrait bien qu’ils s’agissent de

vampires…Enfin, ne dramatisez pas la situation, il y a des exceptions.

J’en étais à ce point dans mes réflexions quand une terrible faim se fit sentir. Il me fallait

manger la délicieuse crêpe confectionnée par Sicka. Je ne savais où la retrouver. J’espérais

seulement que la chance, ou plutôt qu’une force télépathique guiderait mes pas jusqu’à la

crêpe magique. Je descendis alors la rue Edith Cadwell, en bas du parlement. Je marchais

tranquillement afin de préserver mon énergie. Il était 16 heures. Il faisait vraiment chaud. Je

n’avais plus l’habitude de marcher sous une telle chaleur. Je m’arrêtais pour regarder la

librairie où étaient exposées les dernières sorties de bandes- dessinées quand soudain je vis

Sicka sortir du magasin. Si hier soir, elle était vêtue d’une splendide robe écrue, son style

était totalement différent cette après-midi. On aurait dit une héroïne de Manga. Mais, elle

demeurait toujours aussi séduisante. Elle était vêtue d’un t-shirt bleu foncé assez moulant,

avec une jupe noire qui descendait jusqu’aux genoux. Elle portait d’étranges chaussures

profilées qui malgré le mystère qu’elles suscitaient, n’étaient pas dépourvues d’esthétisme.

Elle me regardait, étant un peu surpris par non nouveau style. Elle semblait apprécier. Il

faut dire que quelque part, j’avais gardé un aspect similaire tout en ayant ajouté une pointe

de modernité.

Elle me prit par la main, et me dit :

« Suivez- moi »

Evidemment, je ne pus décliner une telle offre. Surtout, pour la première fois depuis des

siècles, je sentis mon cœur battre étrangement, et mon corps devenir chaud et brûlant. Le

soleil n’en était pas l’unique cause, l’élixir et ma charmante fée n’y était sans doute pas

pour rien.

Elle m’entraîna vers le bar-brasserie, « le Picadilly » en face de la mairie. Nous allâmes

dans un coin tranquille, à l’intérieur, à l’abri des éventuels indiscrets. Elle commença alors

à me raconter ce qui se passait, et quel allait être ma mission.

« Voilà, Merlin t’a chargé, toi, le prince des vampires de l’Ouest une mission importante.

Les « habits noirs », plus connus aujourd’hui sous le nom d’Hommes en noirs », veulent

éliminer de la ville toutes personnes ne correspondant pas à la norme humaine. Les

vampires, les fées, les dragons, et toutes créatures extraordinaires sont menacées. Il nous

faut donc réagir. Merlin a donc confectionné une potion, la « rennessence » qui te permet

de vivre le jour, et de ne plus être soumis aux autres désagréments des vampires. »

Elle interrompit alors son discours pour me donner deux crêpes qu’elle avait enveloppées

dans de l’aluminium. Je me mis à les dévorer. Je sentis à nouveau mon palais frémir de

bonheur, et l’énergie me revigorer. Le serveur vint, nous prîmes une limonade chacun.

Désormais, je pouvais boire et manger n’importe quoi, mais seule la crêpe de Sicka, et

l’élixir de Loïc Déraison pouvait me permettre de survivre. Une fois, le serveur parti, la fée

poursuivit :

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« Il nous faut réagir. Vu ton statut, tu peux rassembler les forces du monde du dessous que

tu présides. Tu dois les prévenir dès ce soir, et mettre en place la réplique face aux habits

noirs. C’est urgent, nous avons certes des pouvoirs, mais nous sommes pas nombreux. Il

faut nous organiser, si nous voulons que le rêve, l’imaginaire et l’utopie demeurent. On dit,

que les habits noirs ont dépêché leurs meilleurs tueurs. Ils ont déjà agi ailleurs. Mais, ils

n’auront pas la contrée de l’Ouest. Il nous faut résister.

Merlin a prévenu tous les magiciens, les fées et les sorcières. Mais, c’est à toi de mettre en

place la défense du monde du dessous. Il te faut réagir, car avec le métro, et les parkings

souterrains, il vous faut être prudents. Je sais que vous souhaitez tout comme nous, rester

discrets. Seulement, cette fois-ci, il est question de notre survie. Alors, il va falloir prendre

des risques. Les « habits noirs » arrivent bientôt. Ils ont déjà des émissaires ici. Mais,

l’attaque ne commencera que demain. C’est mercredi aujourd’hui. Tu présides la réunion

de « Souterrennes » depuis des années. On te respecte, à toi d’organiser la défense de la cité

enterrée. J’irai avec toi , car il faut forger une alliance forte pour parvenir à repousser

l’ennemi. »

Ses paroles me donnèrent une énergie nouvelle. Etrangement, je dois avouer que je n’étais

pas malheureux de cette menace, car elle faisait ressortir mon envie de vivre. Et la

demoiselle qui était en face de moi y était sans doute pour quelque chose.

Nous quittâmes alors « le Picadilly ». Il nous restait encore pas mal de temps avant la

réunion de ce soir. Le temps pour moi d’acheter une pair de roller et d’essayer de devenir

un as de cette discipline. Après un achat dans un magasin dont je ne citerai pas le nom,

nous nous dirigeâmes vers la cité judiciaire pour tenter de s’exercer sur l’esplanade. Mes

vieilles articulations eurent les pires difficultés à ne pas prendre la direction du cimetière. Je

ne pus compter mes chutes, mais au bout d’une heure, j’étais capable de me mouvoir sans

trop grand risque de chute. Mon professeur excellait dans ce domaine. Elle était

impressionnante, et se mouvait avec une aisance incomparable non dénuée de raffinement.

Elle sembla néanmoins satisfaite de mes prestations puisqu’elle me dit :

« Bon, apparemment tu ne te débrouilles pas trop mal ! On va donc pouvoir passer aux

choses sérieuses. !

— Nous allons pouvoir aller voir Daedalius.

— Daedalius, ce vieux fou ? En quoi peut-il nous aider ?

— Tu vas bientôt le savoir. »

Daedalius faisait partie d’une longue lignée d’inventeurs tout aussi fous que géniaux. Il

descendait d’après les rumeurs et vu son nom de Dédale, le créateur du labyrinthe. Seul le

destin savait comment cette famille avait pu arriver à Rennes. Avant de partir retrouver

Daedalius. Je pus boire avec plaisir un peu de « Rennessence »

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Il habitait à quelques vols de dragons de là. Son logement se situait dans un hôtel

particulier. Sur l’interphone, il n’y avait aucun nom de marqué, seulement un labyrinthe.

Sicka appuya. Au bout de quelques instants, un jeune homme en sortit. Il nous ouvrit la

grille d’entrée. Puis nous fit pénétrer dans une étrange demeure. Sicka fit la bise au jeune

homme ce qui me rendit quelque peu jaloux , je dois l’avouer. C’était Didier, le fils de

Daedalius, dont le deuxième prénom était Icarion. Il était apparemment très doué pour

l’informatique. Son père arriva alors, et me salua chaleureusement.

« L’heure est grave. Vous seul pouvez sauver Souterrennes. Vous connaissez les arcanes de

la ville depuis si longtemps. Mon fils et moi sommes prêts à vous aider. »

— Je crois, Daedalius, que vous connaissez aussi bien la ville que moi. La ville souterraine

est un labyrinthe. Et je crois qu’en ce domaine, vous vous y connaissez. »

Il me sourit d’un air entendu. Il était difficile de lui donner un âge, il devait avoir environ

55 ans. Son fils lui en paraissait autant que moi. Il ne cessait d’ailleurs de faire de l’œil à la

fée qui semblait fort bien s’en accommoder.

Daedalius nous conduisit dans une salle, où se trouvaient de nombreuses inventions

auxquelles je n’aurais été capable de donner un nom et encore moins de savoir à quelle

utilité elles étaient vouées. Des plans étaient accrochés aux murs. Dans un petit coin de la

pièce, trônait un ordinateur qui devait être l’instrument de travail de Didier Icarion.

Daedalius me dit alors :

« Mon fils et moi avons mis au point plusieurs inventions qui peuvent nous conférer

quelques avantages. En premier lieu ces chaussures-rollers, que mon fils appelle des «

Grollers ».

Il me les fit enfiler. Elles étaient superbes quoique un peu plus lourdes que des baskets.

Elles étaient en cuir noir, armaturées d’une structure métallique de couleur moirée.

« Quand vous êtes en danger, vous appuyer sur l’émetteur que voici, me dit-il en tendant un

minuscule appareil de 3 cm de long. »

J’appuyai alors sur le bouton rouge en son centre. Quatre roues sortirent des chaussures

aussitôt. Géniale invention !

« Si vous êtes en très grand danger vous appuyez sur le bouton vert au dessus du rouge, un

moteur se met alors en marche, vous allez encore plus vite. Enfin, j’espère que vous n’en

aurez pas besoin, car c’est pas tout à fait au point…et pas facile à contrôler. »

Sicka se fut confiée une paire similaire avec en prime quelques reflets violacés. Je pensais

en moi même qu’Icarion devait être l’auteur de cette subtilité.

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Daedalius rajouta alors.

« Ce n’est pas tout, nous allons vous équiper d’une caméra qui nous permettra de suivre

tous vos faits et gestes. Ce qui nous permettra d’intervenir en cas de danger. Nous avons

plus d’un tour dans notre sac, vous allez voir ! »

Apparemment, cette menace des habits noirs suscitaient l’enthousiasme de Daedalius et de

son fils qui y voyaient sans doute une occasion de se rendre utile.

Ils nous installèrent une caméra quasi invisible de la taille d’un bouton de manchette.

J’avoue que je n’ étais pas totalement rassuré par ces inventions. Enfin, c’était un soutien

qu’on ne pouvait négliger. Daedalius nous invita à nous restaurer quelque peu dans sa salle.

Elle était superbe. Un statue olmèque m’impressionnait. Elle faisait face à un gigantesque

d’un merveilleux jade. La table était ronde et faite d’un bois imputrescible m’assura-t-il.

Pendant que j’observais les merveilles de cette salle, Icarion essayait de séduire Sicka. Il

n’y arrivait évidemment pas. Cela faisait beaucoup rire la fée, qui je crois commençait à en

être lasse, car elle vint à mes côtés, me prit le bras, et le fit remarquer l’étrange bracelet fait

dans un métal qui serait d’après nos hôtes de …l’orichalque ! Rien que cela ! Le métal de

l’Atlantide ! Enfin, tout était possible après tout. D’ailleurs, tout ce qui évoquait l’Atlantide

pour moi était toujours source d’étranges réminiscences. Je n’étais pas qu’un simple

vampire comme beaucoup de personnes le croyaient.

Nous nous installâmes à table. Elle était dans un style néogothique, faite dans un bois solide

et travaillée de belle manière. Nous attendions tous les trois. C’est alors que vint

Andromeda. C’était une humanoïde. Elle était très belle. Elle était la plus belle création de

Daedalius et d’Icarion. Agrippine Andromèda était la femme de Daedalius et donc la mère

d’Icarion. Elle était malheureusement morte dans d’étranges circonstances il y a quelques

années. Daedalius m’affirma qu’il était persuadé qu’il s’agissait d’un assassinat commis par

« les habits noirs », après qu’il eut refuser de collaborer avec eux. Ils avaient choisis de

donner le deuxième prénom à leur création pour ne pas oublier que ce n’était qu’une

humanoïde et non la femme qu’ils avaient connue.

Andromèda savait parler et surtout préparer à manger. Nul doute que la femme de

Daedalius savait en faire plus. Mais, ils me confièrent qu’Agrippine étaient une cuisinière

de grand talent, et qu’ils avaient ainsi grâce à leur création l’impression de manger un plat

préparé leur respectivement épouse et mère. Je crois surtout que tous les deux avaient

trouvé le meilleur moyen de ne pas faire la cuisine.

Mais je dois dire que le repas qui nous fûmes servis fut exquis. Pour un vampire, je

reprenais goût aux bonnes choses ! Je dévorai les délicieuses cailles au raisin accompagnées

d’un gouleyant vin d’Alsace. Ce fut un régal. Pour un vampire, je reprenais goût aux

bonnes choses. En dessert, je me délectais de délicieuses crêpes au rhum. Je félicitai

chaudement l’humanoïde. Cependant, je vis que Sicka était jalouse. Dès lors, je lui glissai

au creux de l’oreille :

« Vous savez bien que je ne puis vivre sans vos crêpes ! »

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Elle sourit. Visiblement, je lui avais remonté le moral. Il commençait à se faire tard. Nous

approchions des 22 heures. La réunion n’allait pas tarder à commencer. J’étais guilleret,

sans doute avais-je trop bu. Nous prîmes congés de nos hôtes, qui allaient pouvoir regarder

la réunion grâce aux caméras incorporées dans nos vêtements.

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CHAPITRE 2. Dans la bibliothèque.

L’abeille qui se baladait dans les magasins de la bibliothèque municipale de Rennes, on ne

sait pourquoi à ce moment là, eut l’étrange privilège d’entendre cette conversation d’outre-

tombe.

« Vous ici, aussi ! , s’exclama un petit homme joufflu et rondouillard arborant une

magnifique moustache qui faisait de lui un personnage sympathique et malicieux.

L’autre homme paraissait plus austère avec son crâne dégarni, ses yeux intelligents mais

qui laissaient entrevoir une crainte, une inquiétude, peut-être même des remords. Vu leur

accoutrement, ils sortaient tous les deux de la fin du dix-neuvième siècle. Et c’était

d’ailleurs le cas. Le moustachu n’était autre que Gaston Leroux, célèbre feuilletoniste et

créateur, entre autres, du personnage de Rouletabille. Le second est bien connu des rennais,

car il s’agit de Paul Féval, auteur du Bossu, et qui naquit en cette ville. Les deux hommes se

rapprochèrent. L’interpellé répondit :

« Vous savez, je suis né ici. C’est plutôt à moi de m’étonner de vous voir en ces lieux. »

Le moustachu rit et puis dit :

« Ah ! Sacré Paulo ! Tu sais bien que théoriquement, nous n’avons rien à faire ici parce

qu’on est au troisième millénaire !

— Moi, j’ai de bonnes raisons d’être ici. C’est une repentance. Je reviens pour éviter que «

les habits noirs » ne régentent tout et ne finissent par faire disparaître l’imagination, l’utopie

ainsi que les personnes hors normes. Mais, que faîtes-vous donc là mon cher Gaston ?

— Mais Paul, je traque la dame en noir ! Je la cherche par delà les lieux et les temps.

— Mais, pourquoi à Rennes à cette époque ?

— Un pressentiment, une intuition qui me guide et qui me dit qu’il faut être là à ce moment

là.

— La « dame en noir », c’est peut-être cette ville, quoique la mode soit au gris en ce

moment si j’en juge par l’étalage de plaque de granit qui recouvre les sols.

— C’est incroyable, qu’on se retrouve là, après tant d’années, dans cette bibliothèque, dans

ces magasins. Ce ne peut être un hasard.

— Moi, j’avoue que c’est comme dans un rêve, un vieil homme aux cheveux blancs m’ a

attiré là. On aurait dit Merlin, du moins la représentation que j’en fais.

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— Moi, mon cher Paul, c’est une femme, une belle femme, aux cheveux noirs qui m’a

poussé vers ces lieux.

— Gaston, croyez-vous, que les autres puissent nous voir ?

— Je ne sais pas, je ne crois pas, car on a laissé nos corps respectivement aux dix-neuvième

et vingtième siècles.

— C’est étrange et surtout inquiétant que ces voyages extraordinaires. Enfin, je n’ai guère

le choix, il me faut agir.

— Vous êtes sérieux, Paulo ? Imaginez qu’Eugène et Maurice nous rejoignent ! On va

pouvoir écrire « Les mystères de Rennes ».

— Bonne idée. Mais vous savez, je crois qu’on n’est pas au bout de nos surprises. La ville

va se doter d’un nouvel équipement culturel. Je crains qu’au vu de l’architecture biscornu,

surmontée par ce planétarium, ils ne l’appellent le Bossu.

— Vous ne croyez pas si bien dire. Figurez vous qu’au quatrième étage de cette bâtisse, ils

ont refait une pièce et qu’il l’appelle, « la chambre jaune »

— C’est à croire, Gaston, que l’on revient à la mode.

— On va encore bien se marrer ! lâcha Gaston goguenard.

— Oui, enfin. Je dois avant tout me faire pardonner mes erreurs. Et mettre à mal les projet

des « habits noirs ».

— Vous n’auriez jamais du les créer. Voyez ce qu’ils sont devenus. La plus grande

organisation semi-étatique au monde qui contrôle tout ce qui est paranormal, tout ce qui

pourrait nuire au bon fonctionnement de notre vieille planète.

— Ce n’était qu’une création littéraire. Puis, c’est devenu une réalité. J’ ai fait partie de

cette réalité. Mais, je en savais pas que ma « création » impliquait ma mort, et celle de

l’imagination. Cette organisation cherche à tuer ce qui l’a crée : le rêve et l’utopie.

Désormais, je dois tout faire pour réparer mon erreur et éviter que les mystères de la ville

ne disparaissent à tout jamais.

— Je crains, mon cher Paul qu’on ne pèse pas bien lourd contre les « hommes en noir », car

c’est bien ainsi qu’on les appelle désormais ? Ils sont suréquipés, ils détruisent et

manipulent en toute discrétion. Ah, cette pègre a évolué vite.

— Bon, Gaston, tu as sans doute raison, mais je veux tenter quelque chose. En premier, il

serait intéressant de savoir ce qu’on fait dans cette bibliothèque, et notamment ce qu’on y

cherche. »

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 13

Gaston Leroux se lissa la moustache et répondit :

« Pardieu, je croyais justement que vous le saviez beaucoup mieux que moi ce que l’on

cherche !

— Avec un peu de chance, une force supérieure va peut-être nous guider. Pensez qu’il

existe un guide des égarés en bibliothèque ?

— Hélas, toujours pas.

— Réfléchissons. Si on est dans une bibliothèque, c’est qu’on cherche un livre.

— Bravo, Paulo. Mais quel livre ? Il y en a des milliers ici.

— Justement, un livre qui ne se trouve qu’ici !

— Ah, je vois ! J’imagine déjà le titre : « L’art culinaire et occulte de la pâte à crêpe » !

s’exclama Gaston en riant.

— Cessons donc de plaisanter. Vous êtes bien d’une autre génération.

— Gaston Leroux contemplait les ouvrages sur les rayonnages. Nul ne sait pourquoi, il

s’arrêta sur un en particulier.

— Tiens, un Arsène Lupin. Dommage que Maurice ne soit pas là.

Gaston Leroux ouvrit le livre, et une feuille intercalée entre la couverture et la première

page apparut.

— Tiens, qu’est-ce que c’est que cela ? »

Un message qui ressemblait fort à une énigme était inscrit sur la feuille.

« Si l’ouvrage était une aiguille, il lui piquerait les fesses. Creuse ta tête, et non l’aiguille et

tu trouveras.

— M. Celui qui n’est pas le noir. »

— Paulo ! Incroyable, c’est une message de Maurice Leblanc. Le coquin nous donne du fil

à retordre avec cette énigme non dénuée d’humour, je dois dire. Sauf que je n’y comprends

rien.

— Moi, non plus, soupira Paul Féval.

— Je crois qu’il nous faut sortir des magasins avisa Leroux. Soyons discrets, surtout qu’on

ne sait pas vraiment si on peut nous voir.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 14

— Je ne pense pas qu’on soit visible, si ce n’est à certaines personnes qui ont un don.

— J’espère, Paul, que les alcooliques n’ont pas ce don, sinon, il y aura beaucoup de

personnes ici qui pourront nous voir.

— Enfin, Gaston, il n’y a pas que des alcooliques en Bretagne ! »

Les deux compères quittèrent les magasins pour remonter vers les salles au rez-de-

chaussée.

« Sacré Maurice. Encore une devinette dont il a le secret.

— Je m’en serai bien passé, dit le rennais. La situation est sans doute grave.

— Mais, mon cher Paul. Ne raisonnez pas comme les hommes en noir. Usons de notre

imagination et de notre réflexion. Je suis persuadé que nous allons trouver.

— Les deux hommes déambulèrent dans les différentes salles. Ils ne trouvèrent rien qui ne

leur mette la puce à l’oreille.

Paul Féval, dit alors après quelques instants de réflexion.

— Je pense, Gaston, que l’ouvrage recherché ne peut être trop proche des lecteurs. Il doit

être quand même dissimulé. C’est probablement une personne de la bibliothèque qui garde

précieusement ce livre.

— Bon raisonnement, Paulo ! Allons donc voir plus haut. Ne désespérons pas car « La

vérité n’est invisible qu’à ceux qui la croient cachée ».

— Belle citation. Elle est de vous ?

— Euh, et bien, non je ne crois pas. C’est d’un auteur du vingt-et-unième siècle, Tcerid

Rezal, je crois.

— Vous lisez les auteurs du troisième millénaire !

— Evidemment, ne me dîtes pas que vous n’avez pas lu mes livres, bien que ce soit

impossible théoriquement, puisque j’ai publié après votre mort.

— C’est vrai, je le confesse, je lis de tout à toutes époques. Mais c’est « pluriunivers » sont

inquiétants, et passionnants. Tant de vies différentes, tant de possibilités.

— Bon, cessons de philosopher. Il faut trouver la vérité. Et pour cela, on va jeter un œil aux

étages. »

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 15

Les deux évadés du temps se rendirent en plein tumulte, parmi les bibliothécaires et autres

travailleurs du livre.

Ils entendirent des cris de désespoir, des jurons.

« Ah, non. Le système informatique a encore planté ! »

Le système venait encore de connaître une nouvelle panne. Un signe, un prodrome d’une

mort imminente.

« Si ça déconne comme ça, on ne sera jamais prêt ! »

Paul Féval précisa à Gaston Leroux, qu’ils s’inquiétaient pour la mise en place du nouvel

équipement culturel.

Une personne visiblement exténuée par ces incessants coups du sort, se laissa retomber sur

sa chaise où elle avait déposé quelques livres. Elle fut surprise, car elle avait apparemment

oublié qu’elle les y avait mis.

Cependant cet événement n’échappa pas à Gaston Leroux qui jubila aussitôt :

« Ca y est, j’ai compris ! L’énigme est clair. Quelqu’un est assis sur l’ouvrage que nous

recherchons. Car si c’était une aiguille, elle lui piquerait les fesses ! Ah, sacré Maurice !

— Félicitations. Reste à savoir désormais qui est assis sur cet ouvrage dont nous ignorons

tout. Il faut continuer à chercher. »

Après plusieurs inspections, les deux romanciers finirent par se rendre dans le bureau de la

conservatrice de la bibliothèque. Elle était occupée à répondre au téléphone. Mais nos deux

compères avaient le sourire, car la conservatrice était certes assise dans un fauteuil, mais

sur ce fauteuil…il y avait une pile de documents !

La conservatrice raccrocha brusquement le téléphone. Le problème pour nos deux

romanciers était qu’ils étaient contraints d’attendre qu’elle quitte sa chaise. Ils attendirent

patiemment. Après quelques minutes, elle se leva et quitta enfin la pièce. Paul et Gaston se

précipitèrent alors sur le fauteuil. Ils y trouvèrent de la paperasse qui ne les intéressait

guère, mais tout en dessous il s trouvèrent ce qu’ils cherchaient. C’était le livre. Il était fin,

relié d’un cuir rouge d’un côté, noir de l’autre. C’était original. Sur la couverture était

inscrit en lettres dorées : « SOUTERRENNES »

« On a trouvé Paulo !

— Oui, je crois. Mais je n’ai jamais entendu parler de ce livre.

Bon, on s’en empare pour le lire tranquillement.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 16

— Certainement pas, on le lit et on le remet à sa place.

— Parce que vous croyez que c’est une place de choix l’endroit où il se trouve

habituellement ?

Paul balbutia, et évita le sujet :

— Regardons vite ce qui est inscrit dans ce livre. »

Il n’y avait pas d’auteur.

Par contre il y avait un avertissement :

« Si vous tenez ce livre entre vos mains, sachez que vous bénéficiez d’une exceptionnelle

chance car il n’existe qu’un seul et unique exemplaire de cet ouvrage.

Je vous demande donc de le remettre à la place à laquelle vous l’avez trouvée après

lecture.

Ce que vous allez lire contient des informations qu’il ne vous faudra révéler à personne.

Je ne puis vous empêcher d’en faire mauvais usage, mais je dois vous prévenir que cela se

retournera contre vous. »

L’ouvrage était court, il se composait de trois chapitres :

Histoire de Souterrennes.

Géographie de Souterrennes.

Habitants.

Ils feuilletèrent l’ouvrage. Des illustrations présentant des créatures étranges

accompagnaient les descriptions. On y voyait des vampires, des gynandres, des êtres

inconnus.

C’était passionnant. Gaston et Paul cherchaient surtout à savoir comment s’y rendre dans

cette ville souterraine. Ils lurent alors le passage qui les intéressaient.

« La cité subcondatienne se trouve sous vos pieds. Il existt plusieurs entrées, mais par

sécurité elle évoluent. Toutefois, l’entrée principale se situe sous le Thabor, à l’endroit que

le prince de Souterrennes aura décidé. Alors, sachez ouvrir les portes. »

« Avec ça, on est bien avancé ! s’exclama, Gaston.

— Qui sait si la conservatrice n’en sait pas plus, il faudrait l’interroger, dit Féval.

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— Mais elle ne peut pas nous voir !

— C’est décidément compliqué les discussions extratemporelles.

— Vivement le progrès !

— Il faudrait pouvoir en lire plus sur cette cité souterraine.

— Oui, ça a l’air passionnant. Cette cité existerait encore, vous croyez Paul ?

— Oui, j’en ai entendu parler à mon époque. De vampires notamment.

— Apparemment, ce sont les vampires qui contrôlent la cité du dessous, et peut-être qu’ils

sont maîtres de la cité du dessus aussi. »

Ils voulurent se replonger dans la lecture quand des bruits se firent entendre. Une porte

s’ouvrit, deux personnes entièrement de noir vêtues avec d’étranges lunettes leur faisaient

face. L’une d’elle dit à l’autre :

« Ils sont là. Tuons les. »

Paul et Gaston comprirent qu’ils étaient menacés, et leur esprit s’enfuit immédiatement de

ces lieux pour se retrouver dans le lieu de leur rencontre initiale.

« Ils nous voient, eux , dit Gaston .

— Sans doute, grâce à leurs lunettes.

— Enfin, j’ai réussi à piquer le bouquin.

— Sacré Gaston.

— J’ai horreur qu’on me dérange dans mes lectures, dit Leroux quelque peu énervé.

— Constatez notre adéquation spirituelle, nous sommes tous les deux retournés au même

endroit, encore dans les réserves de la bibliothèque. C’est incroyable.

— Bon, je reprends ma lecture.

De nouveaux bruits se firent entendre. Des pas se rapprochaient.

— Gaston, je crains qu’il ne faille remettre la lecture à plus tard. Ils nous cherchent. Je ne

sais comment ils peuvent nous tuer.

— A mon avis, ils distinguent le cordon qui nous relie à notre corps, ils peuvent le couper

et nos envoyer ad patres.

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— J’ai peur que désormais, ils ne nous lâchent plus. Il nous faut nous réfugier quelque part.

— Et, puis il est hors de question de retourner pour moi au dix-neuvième siècle. Je n’ai rien

à perdre. L’affrontement doit avoir lieu.

— Je pense, Paul, qu’il nous faut trouver Souterrennes, et s’allier avec la ville du dessous.

— Vous avez sans doute raison, Gaston, allons-y avec le livre. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il ne restait plus qu’à trouver la porte d’entrée… ce qui ne

s’annonçait pas facile.

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CHAPITRE 3. Souterrennes

La nuit étendait son voile obscurcissant sur la cité bretonne. Nous nous dirigions alors,

Sicka et moi vers l’entrée secrète de la ville subcondatienne. Il allait me falloir rassembler

toute mon énergie pour le conseil hebdomadaire que je présidais. Tandis que la fée me

donnait à boire une bouteille de « rennessence », je vis le dragon Crêpovore descendre du

ciel pour se joindre à nous. Sicka lui donna un baiser sur la tête ce qui lui fit plaisir, car il

émit un grognement qui laissa voir son bonheur. J’avoue qu’il m’était sympathique, et que

j’étais content de le retrouver. Il était tard, il nous fallait passer par dessus le grilles du parc

du Thabor pour accéder à l’entrée. Le dragon nous fit monter sur son dos, pour que l’on

puisse passer de l’autre côté. Quant à lui, il fit un bond étonnant pour sa corpulence au

dessus des grilles. Et nous voilà, tous trois dans le parc du Thabor en pleine obscurité.

Ce n’était pas dépourvu de charme. Après avoir quelque peu marché, nous arrivâmes dans

la grotte artificielle. Je me concentrai quelque peu, et la porte de Souterrennes s’ouvrit.

C’était l’entrée principale de la cité. Il m’arrivait d’y accéder autrement, mais le jour du

conseil, je passais toujours par là, car tous mes concitoyens m’attendaient généralement,

soit pour me voir tout simplement, soit pour me parler de leurs problèmes personnels. Cela

pouvait durer parfois une heure comme ça. J’aimais ce moment là, car il était toujours

chaleureux.

De vivants flambeaux encadraient la porte d’entrée de la cité. Les porteurs de flamme

étaient deux androgynes, symbolisant la dualité de la cité. Ils étaient vêtus de drapés rouge

et noir. Ils me sourirent, et je les saluais chaleureusement. Tous les visages de l’assistance

me regardaient, avec étonnement voire inquiétude car cela était la première fois depuis

longtemps que j’arrivais avec d’autres personnes le jour du conseil. Certains comprirent que

la situation était grave et que les invités n’étaient pas annonciateurs de festivités. Les deux

pangolins si joyeux d’habitude, marquèrent un temps d’hésitation à la vue de la fée et du

dragon écarlate.

« Je vous présente, la fée Sicka et le dragon Crêpovore. Je ne vous cache que la situation est

grave, et qu’ils ne sont pas ici pour rien. Ce soir, je vous demande à tous d’assister à la

réunion dans la grande salle. J’ai des choses importantes à annoncer. »

Le silence se fit entendre. J’aime bien ce genre de phrase paradoxale comme la précédente.

Les deux pangolins s’avancèrent à nouveau. Ils étaient les plus vieux habitants de la cité.

L’un était rouge, l’autre était noir. Le premier s’appelait Rod, l’autre Blok. Ils vinrent

saluer mes hôtes. Crêpovore fut apparemment satisfait et répondit d’un ton philosophique :

« Amicus sum. »

Les pangolins nous escortèrent sur notre passage. Je fis visiter les lieux à Sicka, et en

profitais pour lui présenter les principaux personnages de la cité. Souterrennes, était à

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l’image de ses habitants multiple, diverse, historique, géniale, gothique, et surtout

splendide. Les murs de pierre étaient ornés de Gargouilles si bien sculptées qu’elles

auraient mérité d’être vivantes. D’aucuns affirmaient par ailleurs qu’elles l’avaient été

jadis, mais que ces créatures avaient été pétrifiées par un puissant magicien. Je n’en savais

rien, les pangolins connaissaient la vérité, mais ils restaient discrets sur le passé. Moi, je

n’étais là que depuis cinq-cents ans. La cité s’étendait ainsi sur des kilomètres avec ses

innombrables salles, ses murs granitiques et ses gargouilles, chimères et autres monstres

sculptés qui semblent toujours vous fixer quel que soit l’endroit où vous vous situez. Sicka

était impressionnée, elle avait entendu parler de Souterrennes, mais jamais elle ne l’avait

vue. Je lui présentais d’autres vampires qui eux n’avaient pas le privilège de pouvoir vivre

le jour. Beaucoup remarquèrent que j’avais changé. Mon ami, Papus, vampire depuis 150

ans me glissa à l’oreille :

« J’ai l’impression que cette fée t’a transformé.

Je lui répondis :

— Si tu savais. »

La cité comptait près de cinq-cents vampires, autant d’androgynes, deux pangolins, des

créatures hybrides, quelques dragons. Le tout se montait à une population d’environ deux-

mille habitants. Il y vivait de véritables humains qui nous aidaient. Il arrivait que d’autres

humains du dessus ait des contacts avec nous. C’était obligatoire pour assurer notre survie.

Toutefois, le secret ne devait être partagé que par de rares personnes. Il n’y avait pas plus

de cent rennais qui connaissaient Souterrennes. Certains avaient souhaité nous rejoindre,

d’autres étaient devenus vampires, ou avaient souhaité se transformer. Et la cité perduraient

ainsi depuis des siècles. Enfin, arriva Annabella, la « reine des vampires » de Souterrennes.

Elle possédait un charme inaltérable, et des capacités d’envoûtement incroyables.

Toutefois, elle n’avait aucune emprise sur moi. Tout simplement, parce que c’était moi qui

était à l’origine de sa transformation. C’était de loin mon meilleur recrutement. Elle avait

une intelligence bien supérieure à la moyenne, et je savais que j’allais pouvoir compter sur

elle. Elle regarda Sicka avec méfiance, en faisant claquer sa cape mauve. Ses longs cheveux

bruns continuaient de briller de mille feux bien qu’elle soit âgée de plus de deux cents

années. Elle me regarda alors et me dit de sa voix superbe :

« Alors, mon prince, tu as des problèmes. Je sens que tu vas avoir besoin de moi.

— Exactement. L’heure est grave. »

Je sentais que l’ambiance si joyeuse d’habitude avait tendance à se tendre. Je continuai de

me diriger vers la salle du conseil où j’allais prendre place dans le grand fauteuil du «

président » car j’avais été élu par mes concitoyens. Je dirigeai Souterrennes depuis trop

longtemps, j’eus envie à plusieurs reprises de laisser la place, mais j’étais à chaque fois

plébiscité. Le conseil se déroulait habituellement ainsi : autour de la grande table ovale, se

tenaient les élus. La salle ressemblait à un authentique opéra qui pouvait contenir comme

spectateurs tous les habitants de Souterrennes. La population subcondatienne se trouvait

donc limitée en fait au nombre de places de cette salle. Chacun avait le droit d’être un

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citoyen actif ce qui était généralement le cas car chaque débat était un spectacle, et chaque

discussion possédait de l’importance pour chacun de mes concitoyens. Notre vie politique

m’apparaissait bien plus efficace que celle d’en haut. Il est vrai que nous étions peu

nombreux en comparaison. Malgré tout, notre nombre nous obligeait à élire une équipe

dirigeante. Nous étions 22 chargés de domaines différents, un véritable gouvernement.

J’étais en quelque sorte le capitaine d’équipe. Dans la salle, se tenaient à une distance de

quelques mètres les habitants de la cité désireux de suivre les débats. Ce soir, la scène était

pleine. Les visages étaient blêmes pourtant je n’avais encore rien annoncé.

Il était 22 heures, le conseil n’attendait plus que moi, le vingt-deuxième membre de

l’assemblée. Mon siège légèrement plus relevé que les autres état placé au centre, un A

ornait le fauteuil car tous les 22 fauteuils portaient une lettre. Le A revenait au président de

l’assemblée, celui par qui commençait les débats. J’avais installé Sicka et son dragon, dans

le coin des invités, également sur l’estrade. La composition du conseil était la suivante :

A. Le président, en l’occurrence moi.

B. Janisia. Androgyne. Premier ministre en quelque sorte.

C. Annabella. Vampire. Chargée de la défense et de la sécurité de la cité.

D. Horace Greenbow. Humain. Sécurité extérieure, informations et contacts avec

l’extérieur.

Et ainsi de suite jusqu’à 22. 22 personnes représentant la cité et ses différentes

composantes. Les deux pangolins et les dragons de la cité étaient membres de droit du

conseil bien que ne faisant pas partie des 22. Ils étaient anciens et leur ancienneté leur

conférait des mesures d’exception. Le conseil était élu démocratiquement cependant.

En face de moi se tenait 21 visages crispés, et des milliers d’autres me regardaient dans la

salle.

Je me décidai enfin à parler :

« Chers concitoyens et amis, la rumeur a déjà circulé, l’heure est grave. Je suis contraint de

proclamer l’état d’urgence, et par la même l’occasion l’état de guerre. Car c’est bien de cela

dont il s’agit. Dès demain, nous allons être attaqués par les hommes en noirs, qui souhaitent

détruire tout ce qui ne correspond pas à la normale. Souterrennes, est donc une cible idéale

pour eux.

Il nous faut donc nous préparer au combat. Sont présents, ici ce soir, la fée Sicka et le

dragon Crêpovore. Ce sont eux qui m’ont prévenu du danger.

Sachez donc, que les fées, les enchanteurs, les sorciers et les dragons sont nos alliés.

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Merlin l’enchanteur nous soutient également, et il m’ a chargé de mener la défense de la

contrée de l’Ouest.

Nos moyens sont grands, mais nous sommes peu.

Les moyens de nos adversaires tout aussi grands et ils sont plus nombreux.

Seul l’histoire et le talent nous donneront l’avantage. »

Je fis une pause pour que chacun reprenne ses esprits. La consternation et l’effroi se lisaient

sur leurs visages. Puis, je repris :

« Je laisse la parole à Sicka qui vous donnera des informations complémentaires »

La fée, un peu tendue prit la parole :

« Chers habitants de Souterrennes, la contrée de l’Ouest est en danger. Seule l’union, peut

nous permettre de survivre.

Les hommes en noir arrivent bientôt, ils ont de redoutables combattants. Leur chef est

inconnu, on dit qu’il aurait des pouvoirs supranormaux. Sachez, vampires de cette cité,

qu’ils ont dépêché une tueuse redoutable.

Souterrennes doit survivre. C’est à vous d’en décider. »

La fée se rassit. Le silence était total. Voilà qu’après la construction du métro, la cité était

cette fois-ci sous la menace d’une destruction immédiate.

Annabella, la troisième lettre du conseil prit alors la parole :

« Pour ma part, je suis prête à mourir pour la cité. Il nous faut nous organiser. Il est à

craindre qu’ils attaquent de jour. Cependant, nos progrès nous permettent de vivre le jour

dans une forte obscurité. Les androgynes, et les autres membres de la cité seront quand

même chargés de défendre la cité le jour. Les vampires la défendront la nuit. Mais, il est

évident qu’il sera difficile de dormir. Surtout, ne fuyons pas, car ils nous tueront facilement

si l’ on se disperse. »

Sicka lui répondit :

« Je crains qu’il nous faille également attaquer. La meilleure défense c’est l’attaque.

— Mais, il serait imprudent de quitter Souterrennes, non ?, rétorqua Danil, l’androgyne aux

cheveux bruns et aux yeux mauves.

— Certes, mais quelques uns, dont moi, iront au devant du danger, affirmai-je alors.

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— Mais les vampires ne peuvent sortir le jour, protesta Anatalis, le numéro 6 du conseil, la

lettre F, chargé des finances.

— Tous les vampires resteront ici le jour. D’autres attaqueront la nuit. Mais, moi,

j’attaquerai jour et nuit., précisai-je.

— Mais c’est impossible, dirent plusieurs voix.

— Impossible, pas pour moi grâce à Merlin. Je suis capable de vivre le jour désormais. »

— Mais qui sont ces hommes en noirs ?, demanda Senestrix, le plus vieux vampire après

moi et qui avait atteint l’état de vampire alors qu’il était déjà très vieux.

Sicka répondit :

« C’est une organisation, autrefois appelée « les habits noirs », qui s’est organisée, étatisée

dirais-je pour devenir une mafia contre les personnes hors normes comme nous. »

Les deux pangolins, membres immuables du conseil, n’avaient pas dit mot, et pourtant ils

étaient visiblement inquiets. Rod prit alors la parole :

« Qui connaît leur chef ? Il aurait des pouvoirs, il voudrait être le seul a en avoir, tout cela

est étrange, non ? Prince, le connais-tu ?

— Non, je ne connais pas son nom. Je ne sais rien de lui.

— Moi, je connais son nom, s’exprima contre toute attente le dragon Crêpovore de sa voix

de stentor.

— Tu parles français, maintenant ?, lui demandais-je.

— Seulement, quand l’heure est grave, répondit-il.

— Alors, comment s’appelle-t-il ?

— Je ne te le dirai pas, pas maintenant. Tu le connais, cela pourrait te perturber. »

La salle s’agita, supplia le dragon. Mais, la créature écarlate, n’en dit pas plus.

Mais, pour moi, il en avait déjà trop dit. Car, il n’y avait qu’un nom que je craignais, un

seul, celui de Lautréamont, mon double, mon autre versent que j’avais si peu connu.

« Bon, passons. Qu’importe son nom, il nous faut nous organiser. Notre survie est en jeu,

mais je vous demanderai d’être discret dans la mesure du possible. Annabella, je te charge

de la défense de la cité, notamment pour la nuit. Janisia, tu es chargée de sa défense le jour.

Quant à moi, je rassemble mon équipe pour l’attaque extérieure. »

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Il n’y eut pas de protestations, tout le monde était conscient du danger. Souterrennes allait

devoir se battre pour assurer sa survie.

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CHAPITRE 4. L’attaque.

Le parc du Thabor n’avait pas encore ouvert ses portes que déjà s’affairaient d’étranges

personnages en son sein. Que cherchaient-ils ? Une porte, tout simplement.

Ils étaient vêtus de noir. Leur chef, était vêtu d’une cape de cuir noir, et possédait un

charisme impressionnant. Son équipe lui obéissait sans broncher. En plus du chef, elle était

composée d’une dizaine de personnes, trois femmes, sept hommes. Parmi eux, se trouvait

donc la fameuse chasseuse de vampires… Ils étaient proches d’une statue ressemblant au

lycaon. Le chef sembla se concentrer, puis se tourna brusquement vers le kiosque où se

déroulait parfois des concerts. Il avança puis souleva une trappe qui n’était pas là

auparavant, puis entreprit de descendre les escaliers qui menait au sein d’une autre contrée.

Il fit signe à ses sbires de le suivre. Ce qui fut aussitôt fait. Et bientôt, ils disparurent sous

terre sans laisser la moindre trace.

Paul et Gaston hésitèrent quelques minutes avant se lancer à leur poursuite.

« Je crois qu’ils ne remonteront pas de suite. Il faut y aller à notre tour, ils ont trouvé

l’entrée de Souterrennes !, s’exclama Gaston. Allons- y Paulo !

— Restons prudents tout de même. »

Les deux hommes quittèrent leur cachette pour s’avancer vers le kiosque. Mais, ils ne

distinguaient aucune entrée. Aucune porte ou trappe, même dissimulée, n’était visible.

« Par où sont-ils donc passés ?, rugit Gaston.

— Il doit bien y avoir une solution, lui répondit Paul Féval qui avait l’air soucieux.

— Réfléchissons, ils sont parvenus à pénétrer dans la cité, on les a vus.

— Oui, mais c’est leur chef qui a trouvé l’issue.

— Effectivement, il devait déjà la connaître.

— Je ne comprends vraiment rien. Quel talent pourrait-il posséder pour trouver la solution

avec une telle aisance ?

— Je crois comprendre mon cher Paul, c’est élémentaire ! Il possède tout simplement un

talent que nous utilisons aussi dans notre métier : l’imagination !

— Vous voulez dire que cette porte n’existe pas vraiment, mais seulement dans nos esprits,

il nous faut donc la créer.

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— Exactement. Allons donc créer cette porte. ! »

Les deux hommes se concentrèrent. Ils joignirent leurs mains, fermèrent les yeux, et alors

apparut près du kiosque, une trappe avec un anneau de bronze, que Gaston souleva. Les

deux écrivains s’engouffrèrent vers un lieu inconnu et disparurent de la surface comme

aspirés par la terre.

La cité souterraine s’offrit alors à leurs yeux. Elle était éclairée par des porteurs de lumière,

des créatures androgynes vêtues de toiles rouges et noires portaient en effet des torches à

l’entrée. Il en ressortait comme une atmosphère où les flammes aux pourpres reflets

émergeaient d’une obscurité quasi glaciale pour mieux éclairer ces instants d’éternité. Les

deux écrivains marchaient discrètement et s’avançaient dans la cité. Ils pouvaient alors

distinguer une impressionnante statue représentant un serpent se déployant et qui fixait les

deux romanciers. Ce serpent était ailé et ses yeux de jade clair conférait à son regard une

inquiétude qui vous avertissait que ce lieu était terrible. Des gardiennes se tenaient dans des

renfoncements au sein de la pierre. Elles ne paraissaient pas voir nos deux écrivains, mais il

était évident qu’elles ressentaient une présence. Une d’elles poussa un hurlement et aussitôt

elles disparurent comme ensevelies dans la pierre dont la rigidité apparente savait s’effacer

pour faire place à une souplesse que seuls les initiés pouvaient user. La cité devint alors

extrêmement sombre.

« Je me demande où sont passés les habits noirs ?, demanda Paul.

— Ils doivent être dans l’obscurité tout comme nous. Les gardiennes sont apparemment là

pour avertir du danger. C’est un système de défense étonnant, chuchota Gaston.

— J’espère qu’on est toujours invisible, lui répondit Paul. »

—Ils s’avancèrent. Et bientôt ils virent la cité imprégnée de lumière. C’étaient les faisceaux

des hommes en noir qui perçaient l’obscurité, dévoilant partiellement la beauté

architecturale de Souterrennes. On parvenait à distinguer des gargouilles, chimères et autres

créatures de pierre qui représentaient le plus souvent des êtres ophidiens dont l’existence

semblait avoir été figée dans la roche. Le commando des habits noirs n’osaient plus

s’avancer car tout était figé. Des sons de cloche résonnèrent alors comme pour signifier que

la cité agressée était désormais en état de guerre. Ce bruit assourdissant ne faisait

qu’amplifier le sentiment d’inquiétude qui y régnait. Malgré le jour qui dominait à

l’extérieur, la cité souterraine demeurait dans une noirceur qui n’était contrecarrée que par

les lampes des habits noirs. Il ne se passait rien, et pourtant on sentait que ce silence

insoutenable ne demandait qu’à être brisé. Devant l’ambiance insoutenable, le chef des

habits noirs fit claquer sa cape. Le noir était complet désormais. Le sifflement émise par

une arme blanche se fit entendre, puis un cri de douleur lui succéda. Le chef ordonna de

rallumer les lampes… sur le sol se trouvait le cadavre d’une androgyne poignardée en plein

cœur. Le mystérieux chef des habits noirs était donc nyctalope, comme le démontrait son

aisance à user d’une arme avec précision dans la plus grande opacité. Il était parvenu à tuer

un androgyne qui se croyait invulnérable dans le noir.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 27

La réaction ne se fit pas attendre. Les créatures androgynes partirent à l’assaut des hommes

en noir. Ils avaient attendu une réelle manifestation belliqueuse pour intervenir. Le bataillon

d’androgyne surgit en masse sur les habits noirs en brandissant leurs sabres. Cependant, la

surprise fut de courte durée car le commando disposaient d’armes bien plus sophistiquées.

Les épées et les sabres ne faisaient guère le poids face à des pistolets d’où sortaient des

rayons létaux dignes de ceux que l’on voit habituellement dans les films de science-fiction.

Les androgynes comprirent alors que leur salut ne tenait que dans le repli. Les adversaires

étaient sérieusement équipés. Et leur intention était de détruire les habitants de Souterrennes

comme en témoignaient les cadavres des androgynes qui jonchaient le sol. Le commando

continua de s’avancer au cœur de la cité.

« Suivons-les, souffla Gaston à Paul.

— Demeurons prudents, répliqua ce dernier. »

La cité demeurait ténébreuse tandis que les cloches continuaient de sonner. Le commando

éclairait le couloir, mais on y distinguait que statues et chimères. Ils avançaient bien de trop

facilement dans la cité souterraine. L’attaque s’effectuait de jour pendant que les vampires

dormaient. Toutefois, la noirceur qui régnait au sein de la cité leur permettait de circuler

sans danger. Le commando des habits noirs disposait d’une tueuse de vampires renommée,

Clara Gisèle Grolard, surnommée Bouffie à cause de son embonpoint. Pourtant, elle avait

fait disparaître un grand nombre de vampires depuis qu’elle était au service de la société

des habits noirs. Heureusement, Souterrennes disposait également de redoutables guerriers.

Si la tueuse de vampires possédait l’arbalète la plus perfectionnée, sir Wallace Greenbow

était le meilleur arbalétrier de tous les temps. Greenbow, l’archer vert de Souterrennes

attendait avec impatience cette confrontation. Il avait l’âme d’un justicier, et sa fougue

devait être canalisée par ses amis. L’attaque des habits noirs allaient lui permettre de

dévoiler l’étendue de ses talents. Je comptais beaucoup sur lui, car sa précision était

incroyable même dans le noir.

Le commando continuait pourtant à s’avancer inéluctablement. Rien ne les arrêtait. Leur

chef les dirigeait avec aisance dans les arcanes de la cité subcondatienne. Ils arrivèrent alors

au cœur de Souterrennes, là où tous les chemins se croisent. Le chef braqua soudain sa

lampe tout en haut sur ce qui ressemblait à un dôme de cathédrale. De superbes statues

semblaient accrochées aux murs. Elles paraissaient presque vivantes malgré leur aspect de

pierre. Trop vivantes d’ailleurs pour être vraiment de pierre. C’est alors, que les statues

tombèrent sur les assaillants qui furent surpris par cette attaque. Les vampires de

Souterrennes tombèrent sur les soldats du commando. Beaucoup en firent les frais surtout

que Greenbow commençait à lancer ses traits sur les habits noirs. Ces habits noirs eurent

alors le privilège de mourir dans le berceau d’une autre humanité. Deux puissants vampires

avaient fauché les têtes de trois membres du commando à l’aide d’une faux tranchante et

énorme telle celle dont usait l’Ankou. Le commando fut déstabilisé mais cela ne devait pas

durer. La réaction ne se fit d’ailleurs pas attendre. Le reste du commando usa aussitôt de

son arsenal d’armes sophistiquées. Les deux vampires se firent poignardés en plein cœur

par des flèches d’une célérité incroyable, tandis que le chef des habits noirs leurs

tranchaient la tête. La tueuse de vampires usait de son arbalète et fit mouche à de

nombreuses reprises. La situation tournait mal, je demandais alors à mes concitoyens de ne

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 28

pas prendre de risques inutiles. Mais Annabelle choisit de ne pas m’écouter. Elle se

précipita sur le chef du commando pour lui trancher la tête. Elle venait de signer son arrêt

de mort. Sa faux sembla passer au travers de l’individu sans lui porter atteinte le moins du

monde. Cela déclencha l’hilarité de ce dernier, tandis qu’Annabella demeura pétrifiée. Ce

fut ce laps de temps qui permit à la satanée tueuse de vampires d’ajouter Annabella à son

palmarès. La belle vampire bicentenaire s’effondra. Je criai :

« Non » de toutes mes forces, mais le pire était advenu. Greenbow était perché sur mes

épaules. Je sautais sur l’ignoble tueuse avec l’archer qui en profita pour ajuster un trait

meurtrier. La célèbre tueuse ne ferait plus de victimes. Une flèche en plein cœur et une

autre en pleine tête. Elle ne sévirait plus. Greenbow n’aimait vraiment pas les prédateurs

surtout lorsqu’ils n’avaient ni cœur ni tête.

Je ne pus contenir mes concitoyens qui se ruèrent de nouveau sur le commando qui était

assailli de toutes parts. Mais aucune arme ne parvenait à toucher leur chef. Je volais avec

Greenbow sur le dos, il ajustait les membres du commando avec une précision diabolique.

Tout le commando à l’exception de leur chef ne tarda pas à disparaître. L’attaque des habits

noirs avaient été repoussée parce qu’il étaient peu nombreux. Leurs corps gisaient étendus

sur le sol se mêlant à ceux de nos concitoyens, hommes, androgynes et vampires qui

avaient défendu la cité en payant de leur vie.

Je fis alors face au seul survivant des habits noirs. Il n’avait l’air nullement affecté par

l’élimination de son équipe. Je le reconnus du plus profond de mon âme ; cet individu, je le

connaissais. Sa ressemblance physique avec moi m’avait toujours agacé. Il s’agissait du

comte de Lautréamont, le comte des ténèbres, le prince de l’horreur enfouie. Le duel

fratricide allait avoir lieu. Mais le représentant de l’autre soleil, partit d’un rire et me dit en

soutenant mon regard :

« L’heure du duel final n’est pas encore venu, mon cher ! »

Sur ce, il disparut comme par enchantement en émettant un bruit clinquant comme si on

venait de briser un miroir.

Souterrennes paraissait avoir gagné la première manche. Mais le combat n’était pas prêt de

cesser, il restait encore bien trop de combattants.

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CHAPITRE 5. Sereine Souterrennes

Souterrennes avait subi les premiers assauts et était sorti vainqueur. La résistance avait

fonctionné. Mais les Hommes en noirs reviendraient plus nombreux avec d’autres moyens.

C’était évident. Lautréamont était parvenu à s’enfuir… Seul survivant du commando.

Souterrennes reprenait ses esprits. Des cadavres jonchaient le sol de la salle centrale. Les

corps du commando des hommes en noirs se mêlaient à ceux de quelques vampires et

androgynes. On dénombrait vingt morts du côté de la population subcondatienne. Malgré la

victoire, l’ambiance était désolée car la cité venait de perdre beaucoup de concitoyens en

une fois.

La population pleurait ses martyrs mais elle croyait avoir écarté le danger.

Toutefois la cité avait perdu sa lettre C, le numéro 3 du gouvernement de la cité, celle qu’on

hésitait parfois à appeler « la reine des vampires », voire la reine de Souterrennes.

Seulement, elle gisait étendue inanimée… Une flèche l’avait atteinte en plein cœur… Je

craignais qu’il n’y ait plus rien à faire. Malgré tout, la médecine subcondatienne pouvait

faire des miracles.

La flèche, qui devait sans doute être empoisonnée, avait transpercé la belle vampire.

L’espoir était faible. Malgré tout, j’ emportais Annabella au bloc opératoire. Le médecin

allait tenter de la sauver.

Il y avait peu d’espoir et les analyses confirmèrent la crainte. La belle vampire allait mourir.

Elle avait défendu courageusement Souterrennes. La médecine subcondatienne pouvait

cependant faire des miracles. Depuis pas mal d’années, elle savait fabriquer du sang

humain. Les vampires pouvaient donc s’abstenir de toute attaque nocturne contre les

humains. Cette géniale trouvaille avait permis à Souterrennes de se maintenir à l’abri.

Cependant, d’aucuns déploraient le manque de renouvellement d’effectifs au sein des

vampires.

Annabella était allongée, prête à être transfusée. La flèche demeurait dans son cœur. Ce

cœur qui battait en secret d’amour pour moi. Annabella était encore à peine consciente et

souhaitait me parler. Je demandais aux médecins, quelles étaient les chances de survie.

Il y en a qu’une. Une nouvelle mutation pour parvenir à l’état d’humanoïde. Mais pour cela,

il nous faut l’aide de Daedalius.

Annabella qui avait entendu, me fit signe d’approcher. Elle me chuchota à l’oreille :

« J’ai eu le privilège de t’aimer, je veux avoir le privilège de mourir maintenant. »

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Les dernières volontés d’Annabelle furent exaucées. C’est ainsi qu’Annabella mourut, car

telle était sa volonté. Sans doute n’avait-elle aucune envie de subir une nouvelle

transformation qui l’aurait plus encore éloignée de moi. Je crois qu’elle avait déjà compris

que depuis ces derniers évènements, je n’étais plus tout à fait le même. Sa disparition

constitua un choc pour la cité et pour moi aussi. Les habitants de Souterrennes avaient pris

l’habitude de voir cette superbe créature déambuler dans les arcanes de la cité qu’elle

connaissait presque aussi bien que moi. Une page venait donc d’être tournée. J’avais besoin

désormais d’un peu de calme. J’allais donc me retirer dans la bibliothèque de la cité secrète.

Il y avait ici des milliers d’ouvrages dont la plupart étaient introuvables désormais à la

surface. La bibliothèque était magnifique. Le style gothique et baroque de Souterrennes se

retrouvait pleinement dans ce lieu de la connaissance. Les boiseries de chêne foncé étaient

finement sculptées avec des motifs floraux et des animaux fabuleux. Il en ressortait une

esthétique bienveillante qui donnait l’impression au lecteur que le bois était doté d’une vie,

que la bibliothèque était en fait une forêt. Les livres étaient admirablement conservés dans

des vitrines entourées de pilastres en marbres et doriques. Les murs de livres s’élevaient

jusqu’à la cimaise, comme si la connaissance permettait de rejoindre quelque monde

supérieur représenté sur la coupole par un célèbre artiste. Merlin est représenté sur la

fresque en compagnie de quelques éons. Seuls les pangolins connaissent la réelle

signification de la fresque. Pour ma part, si je n’ose en comprendre le sens, je me délecte de

son esthétique. J’ai parfois l’impression que l’univers tout entier est rassemblé ici, et que si

tout devait disparaître, la bibliothèque demeurerait à jamais pour devenir le point de départ

d’un nouvel univers. Tous les livres étaient admirablement reliés et portaient sur la

couverture ainsi que sur la tranche gravé à l’or fin l’emblème de Souterrennes. Un emblème

représentant deux animaux fabuleux adossés. Les livres étaient reliés dans des différents

couleurs selon la classe de connaissance à laquelle ils appartenaient. Une classification

simple mais aux ramifications parfois complexes que les pangolins avaient mis quelques

années à élaborer. On y retrouvait aussi sur toutes les principales figures de la cité

représentées dans des statues de bois se tenant à l’entrée de chaque salle comme si elles en

étaient les gardiennes. Les salles étaient vastes et laissaient une large place à la

déambulation. Je m’isolais fréquemment au milieu de ces ouvrages, de ces connaissances,

afin de retrouver un peu de sérénité quand j’avais quelques états d’âme. Je crois que les

auteurs présents ici de par leurs ouvrages auraient été fiers d’être dans ce sublime endroit.

La bibliothèque était formée de salles octogonales continues, si bien que j’avais

l’impression d’être une abeille au cours de mes déambulations dans cette ruche livresque.

Une abeille, voilà ce que j’étais sans doute car je faisais mon miel de toutes ces pensées,

idées et savoirs disséminés ici et là. J’étais bien loin de connaître tous les ouvrages présents

à Souterrennes. Les pangolins eux-même s’y perdaient souvent bien qu’il ne prétendent le

contraire. Qui sait d’ailleurs si parmi ces rayons, il n’y avait pas quelque livre maudit, ou

bien ouvrage quelque peu magique qui contiendrait tous les autres livres ?

J’en étais là dans mes réflexions quand soudain je fus prévenu d’une intrusion anormale

dans Souterrennes. Rapidement, je fus mis au fait que les deux intrus ne manifestaient

aucune intention belliqueuse bien au contraire. Je retrouvais Janisia, Sicka et Crêpovore qui

m’attendaient. C’est ainsi que je fis la connaissance de Paul Féval et de Gaston Leroux que

je ne connaissais que par l’entremise de leurs œuvres.

Les deux auteurs étaient encadrés par les gardes de la ville.

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« Que faîtes-vous là ? demandais-je quelque peu énervé.

— Nous sommes ici pour vous apporter notre aide, me répondit Paul.

— J’en suis ravi, mais comment êtes vous parvenus jusqu’ici ?

— Nous avons suivi les hommes en noir.

— Connaissiez-vous notre cité auparavant ?, leur demandais-je intrigué.

— Et bien, nous avons trouvé il y a peu un livre mentionnant l’existence d’une cité sous la

ville nommée « Souterrennes »

— Effectivement, cet ouvrage sur notre contrée nous a été volée au début du XXe siècle.

Nous avons été piégés par un gentlemen cambrioleur.

— Maurice ! Ah !, le coquin, s’écria Gaston.

— Mais nous avons trouvé cet ouvrage à la bibliothèque, ajouta Paul. Nullement chez

Maurice Leblanc !

— Je dois dire que toutefois, il était en sécurité sous la charge de l’autorité principale de la

bibliothèque, précisa avec malice Gaston.

— Il était caché dans la bibliothèque de Rennes !, s’écrièrent conjointement les pangolins.

Nous croyions qu’il était perdu, voire passé à l’ennemi…

— Comment être sûr que cet ouvrage n’a pas été vu par les habits noirs ? demandais-je,

moi qui n’avait jamais vu le livre auparavant. »

Le livre qui décrivait cette contrée, était autrefois gardé par les deux pangolins. Je

soupçonnais que les deux créatures en étaient les auteurs. Pourtant, ils ne cessaient de

prétendre le contraire. J’entendais souvent les pangolins discuter en citant des phrases du

Livre, non sans d’ailleurs se disputer sur les propos exacts. Chaque dispute se terminaient

par un : « va vérifier dans le livre ! » auquel succédait un : « mais tu sais bien que… ». Les

deux pangolins faisaient mine de pleurer dès lors.

« Vous l’avez lu ? demandai-je aux deux autres.

— Oui, mais pas en totalité, nous avons été dérangés. Et puis, qu’importe, nous sommes

déjà dans l’autre monde, affirma Paul Féval.

— Certes, mais nous aussi, sommes dans un autre monde. Restez discrets.

— Nous le serons, nous sommes là pour vous aider.

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— Et comment allez-vous pouvoir nous aider ? demanda Sicka.

— Pour ma part, je connais quelque peu ces habits noirs. Ils se trouvent que je les ai en

quelque sorte créés, répondit Paul.

— Comment cela participer à sa création ? demandais-je intrigué et soupçonneux.

— Je les ai imaginés, disons. Un réseau parallèle extrêmement efficace. Un gouvernement

occulte qui contrôle toutes les instances.

— Mais dans quel but ?, renchérit Sicka.

— Le problème c’est que les volontés sont souvent différentes dans ce genre d’entreprise.

Les escrocs y trouvent souvent leurs comptes. Bien plus que les idéalistes. Ce n’est pas un

réseau de pirates au grand cœur qui se met en place, mais une véritable mafia.

— Pensez-vous que ce réseau soit si puissant et si bien organisé ?, poursuivais-je.

— Je pense qu’il est surtout découpé en plusieurs strates. On ne contrôle jamais totalement

tout. Les sphères de la manipulation sont souvent obscures. Je crois que le réseau possède

quand même une élite à la fois politique et militaire.

— Mais pourquoi veulent-il nous faire disparaître ? demanda Janisia.

— Tout simplement parce qu’ils ne désirent prendre aucun risque. Il veulent tout contrôler.

Et tout pouvoir souterrain est forcément un ennemi dangereux.

Gaston Leroux était ébahi par l’aplomb de Paul Féval. Visiblement, il connaissait bien son

sujet. Je demandai alors à Paul :

« Connaissez-vous leur chef à ces hommes en noirs ?

— Hélas, non. Mais j’ai déjà entendu dire que certains l’appelaient le poète… »

J’étais de plus en plus inquiet.

Sicka et les autres regardaient l’écrivain rennais avec intérêt. Mais tous se posaient la même

question : « Qu’est-ce qui allait se passer dorénavant ? »

Ce fut Gaston qui brisa le silence :

« Et maintenant que faisons-nous ? »

Sicka prit la parole. : « Souterrennes a été sauvée momentanément. Ils vont certainement

revenir ici. Mais je crois surtout qu’ils vont attaquer bientôt Brocéliande…

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—Soit, dis-je, nous n’avons pas le choix. Il nous faut passer à l’offensive. Nous sommes

parvenu à nous défendre, mais ils reviendront plus fort. Nous devons attaquer à notre tour.

Nous allons à Brocéliande défendre l’enchanteur et ses fées.

— Nous y allons avec vous, dirent Paul et Gaston en chœur.

— Je vais constituer une équipe de sécurité à Souterrennes. C’est plus prudent. »

Les deux pangolins dirent alors : « Souterrennes peut se défendre toute seule, ne craignez

rien, tout est prévu.

— Certes, je veux bien vous croire. Mais je préfère être prudent.

— Soit le temps passe, les deux écrivains vous venez avec nous. Greenbow , tu es

désormais chargé de la défense de Souterrennes. Nous partons à Brocéliande qui doit être

en danger. Cinquante personnes m’accompagneront. Je suis le seul vampire qui pourra

venir. »

Sur ces faits, moi et mon équipe partirent armés d’arbalètes chevauchant les dragons

cuirassés. Il n’y avait aucun doute. C’est toute la contrée de l’ouest qui était en guerre.

Crêpovore proféra la seule phrase de circonstance : « Si vis pacem, para bellum »

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CHAPITRE 6. Vers Brocéliande.

La fée Sicka et le dragon Crêpovore conduisirent toute notre équipe vers Brocéliande. Un

nuage qui nous rendaient invisibles tel Enée et son équipage nous protégea durant le

voyage. C’était un des pouvoirs de la fée. Je fus impressionné par ce tour. Le voyage fut

rapide et sans danger. Nous atterrîmes en Brocéliande non loin du Val sans retour.

Nous attendîmes quelques minutes puis s’ouvrit devant nos yeux une porte dans une sorte

de quatrième dimension. L’enchanteur nous fit signe d’entrer. Les deux pangolins, moi,

Sicka, les androgynes, les dragons et le reste de l’équipe pénétrèrent à leur tour dans le

royaume de Merlin.

L’enchanteur paraissait sans âge, il portait une tenue blanche aux reflets argentés . A ses

côtés se tenait la fée Viviane, ravissante. Leur amour était la source d’immortalité. La

légende veut que ce soit Viviane qui après avoir appris les tours de Merlin, en tomba

amoureuse et l’enferma dans une prison de verre. C’était oublier que Merlin était avant tout

un prisonnier volontaire…

Merlin nous remercia d’être venus. Il servit à boire à tous les subcondatiens , une boisson

énergisante dont il avait le secret. J’eus le droit à sa cure de « Rennessence » sans quoi, je

ne pourrais pas vivre le jour.

Merlin engagea alors la conversation :

« Vous pourriez croire que je sois totalement à l’abri à Brocéliande. C’est faux, certes notre

royaume est quasi introuvable mais les habits noirs possèdent un chef qui est capable de

franchir toutes les portes. D’autre part, Viviane et moi ne sommes pas seuls à Brocéliande.

Des fées, des korrigans, des êtres de toutes sortes y vivent. Ils sont également menacés.

Mais ce que je crains le plus, c’est que la Brocéliande que les humains sont capables de

voir, soient incendiée… Si Brocéliande venait à disparaître, nos univers ne pourraient

survivre. La contrée de l’ouest est menacée. L’imagination, le rêve, l’utopie sont inquiétés.

Et sans doute l’intelligence, et l’humanité elle-même.

Il nous faut nous unir. Nos pouvoirs sont puissants, mais les leur également. Et leur chef est

très puissant, et très dangereux. Il pourrait refaire surgir un monde que nous avons tous

oublié. Il ne demeure plus rien de ce monde. Il pourrait cependant ressurgir des

profondeurs. La contrée de l’ouest a pourtant gardé une pierre qui représente ce danger. Le

kraken nous menace tous.

Si on peut certes se défendre longtemps. Notre sécurité sera menacée tant que cet être sera

si puissant. Et si je t’ai chargé, Rezal de prendre en charge la défense de la contré de

l’ouest, c’est que tu es le seul à pouvoir défier ce personnage. Moi-même, je ne le peux pas.

Je ne puis que t’aider. »

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Après ce long discours, je pris la parole :

« Je te remercie de la confiance que tu places en moi. J’essaierai de ne pas te décevoir. Si je

suis le seul à pouvoir battre le chef des habits noirs, la victoire ne peut être que collective.

Gaston Leroux nullement impressionné, prit la peine de parler.

— Si je puis me permettre, monsieur l’Enchanteur, mon collègue Paul Féval connaît

particulièrement bien les habits noirs.

Paul était surtout indigné que Gaston se permette d’interrompre Merlin !

— Voyons, voyons, monsieur Féval, c’est bien vous n’est-ce pas ? Connaissez-vous bien

cette organisation ? questionna alors Merlin.

— Je le connais un peu comme un père connaît son fils. Mais nos enfants grandissent sans

nous, et vont parfois dans des directions qui nous déplaisent.

— Je souhaite que vous puissiez nous aider, monsieur Féval. N’hésitez pas à nous faire part

de vos remarques et de vos conseils. Connaissez-vous leur chef, monsieur Féval ?

— J’en ai entendu parler. Mais je le connais bien mal en fait.

— Et parfois, il est une puissance plus forte que la volonté. Brocéliande doit néanmoins

tenir. Conserver le secret à l’abri du temps sans quoi le chef des habits noirs nous entraînera

dans un nouveau monde., affirma l’enchanteur.

Gaston Leroux, incapable de se tenir plus longtemps s’adressa de nouveau à Merlin.

— Ce secret, dont vous parlez, serait-ce le Graal ?…

— Soit, vous êtes bien perspicace, monsieur Leroux. Puissent vos connaissances et vos

intuitions nous aider dans cette entreprise.

— Mais, ce Graal, ne pourrait-il pas nous aider pour nous défendre, demanda alors Paul.

— Si, et il le fera. Seulement, le Graal est une puissance ouverte. C’est une demi-plaie, qui

risque d’être réouverte par de mauvais desseins. Aujourd’hui, en vous accueillant, je prends

des risques, car sont rares ceux qui pénètrent habituellement mon royaume.

Gaston, décidément intenable réagit à ces dernières paroles:

— Dois-je comprendre que vous ne gardez pas seulement le Graal, mais que vous l’êtes

vous-même ?…

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— Il suffit de gloser, coupa Merlin qui voulait éviter de s’éterniser sur le sujet. Vous en

savez déjà trop. Organisons-nous plutôt pour parer à l’attaque de ce soir.

— Vous êtes sûr, qu’ils attaqueront ce soir ?, demandais-je.

— Je pense que leur échec en Souterrennes appelle une revanche immédiate. Seulement, ils

nous attaqueront d’abord Brocéliande. Leur armée sera nombreuse, je suppose, et attaquera

sur plusieurs fronts. C’est une armée d’innombrables individus qui montera à l’assaut.

— Mais comment une telle organisation peut-elle opérer quasi incognito ? demanda Sicka,

qui était restée jusque là calme.

Crêpovore qui paraissait dormir, brisa le silence.

« Homini non sunt »

— C’est ce que je crains en effet, répondit Merlin. Je ne sait qu’elles sont ces créatures.

Sans doute, des robots ou des humanoïdes, des sortes de cyborgs obéissants aux volontés de

Lautréamont.

— J’aurais jugé que le commando qui a pénétré dans Souterrennes était constitué

d’Hommes, dis-je. Il faudrait que je puisse communiquer avec mon équipe de médecins. Ils

doivent avoir examinés leur cadavres à l’heure qu’il est. »

Je parvins à joindre le quartier général de Souterrennes par télépathie.

« Avez-vous examiné les cadavres du commando ? »

— Oui, nous venons de procéder à l’examen des corps.

— Alors ?…

— Ce sont des hommes bioniques . Ils sont issus de manipulations génétiques. Différents

implants composent chaque corps. Nous n’avons pas encore eu le temps d’e comprendre de

quoi il s’agissait. Mais, ce dont je suis sûr, c’est que l’attaque à été filmée. Je crains qu’ils

aient sacrifié quelques hommes pour mieux connaître notre cité. Je ne serais guère étonné

qu’il continue à nous espionner. Nous sommes plusieurs à ressentir cette impression.

— Souterrennes est donc gravement menacée. La première attaque n’était qu’un test.

— Je le crains. J’espère que l’on pourra se défendre.

— Contactez-moi dès qu’il y a un problème.

— Bien sûr Président.

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— Au revoir, et à bientôt, j’espère. »

Je dissimulais mal mon inquiétude. Je ne semblais pas maîtriser la situation, bien que je

fusse à la tête de l’armée des royaumes du rêve.

Merlin prit la parole, pour briser le silence pesant :

« L’espoir demeure. Usons de toutes nos forces pour surpasser la menace qui nous guette.

L’autre soleil, l’autre rive veut ressurgir… »

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CHAPITRE 7. Les effets des fées.

Merlin remit à chacun une gourde remplie d’une potion revigorante. Mais, je fus le seul à

recevoir de la « Rennessence ».

Sicka nous guidait en Brocéliande vers le château des fées. Mon cœur battait. Que de

rencontres décidément. Dommage qu’elles se déroulent dans cette situation. Nous

avancions dans le Brocéliande aux couleurs vertes enchanteresses . Nous remplissions nos

poumons d’un air revigorant afin d’ oublier nos soucis. Et pourtant, le pire était à craindre.

Je me sentais léger. Le paysage se fit encore plus beau. J’apercevais au loin de petits êtres

chantants. Ils ne dépassaient guère 40 centimètres. Les petits êtres de la forêt, ce petit

peuple que l’on croit disparu venait se joindre à nous. Outre leur petite stature, ce que l’on

remarquait de suite, c’était leurs tenues quelque peu vieillottes mais néanmoins colorées. Ils

effectuèrent une ronde autour de nous et se mirent à danser. Ils chantèrent alors ce

sympathique refrain :

Non, non, que demeure notre forêt

Magie, magie, protège notre demeure

Oui, oui, elle existe à tous jamais

Dans tous nos corps, dans tous nos cœurs.

Nous reprîmes tous ensemble le refrain. Des sylphides virevoltaient et participaient à cette

ambiance qui semblaient se dérouler hors du temps. Brocéliande existait. Elle ne pouvait

pas mourir. Sauf si on parvenait à pénétrer ses secrets. Et ça, hélas le chef des habits noirs

le pouvait.

Nous continuâmes à avancer sous l’escorte des sylphides et des korrigans jusqu’au château

des fées.

Le chef des korrigans, Locamor, m’adressa la parole :

« Nous sommes prêts à défendre Brocéliande. Nous suivrons tes ordres, toi que Merlin a

nommé Général de la contrée de l’Ouest. »

—Je t’en remercie. Je ferai tout ce qui est possible pour sauver Brocéliande.

— Brocéliande demeurera ! prononça alors, Gaston Leroux toujours aussi optimiste.

Sicka prit ensuite la parole.

— Ne perdons pas de temps. Il faut se réunir au château. »

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Nous poursuivions notre avancée. Et bientôt devant nous, se tenait un magnifique château

se reflétant dans l’eau. Il était fait dans une pierre qu’on disait vivante. Le château d’ailleurs

pouvait bouger d’après certaines rumeurs.

Il me faisait face. Il semblait serein et prêt à subir un affront. Sicka s’arrêta soudain et puis

une passerelle sortit du château et s’avança jusqu’à nous. Les pierres étaient bel et bien

vives. Sicka s’avança sur les pierres et nous la suivîmes. Nous n’eurent pas besoin

d’avancer. Les pierres se mouvaient d’elles-mêmes. Nous ne firent aucun pas. J’étais

agréablement surpris. Gaston Leroux semblait s’en amuser beaucoup. Les korrigans s’en

réjouissaient aussi même si ça n’était pourtant pas la première fois qu’ils pénétraient dans le

château. Sicka et Paul Féval étaient les seuls à paraître inquiets. Pour ma part, j’essayais de

paraître décontracté et serein . Surtout, je ne savais absolument pas à quoi m’attendre. Nous

passâmes au dessus de l’eau qui entourait le château. Un dragon d’eau aux écailles

argentées, surgit soudain de l'onde. Ce qui fit peur aux korrigans qui reculèrent et

poussèrent des cris. Mais le dragon vint voir Crêpovore, le génial dragon écarlate de notre

expédition et lui dit :

« T’as encore grossi. Tu manges trop de crêpes de cette bonne fée.

— C’est toujours mieux que de baigner dans du chouchen.

— Jaloux, va, lui répondit le dragon argenté qui replongea.

Gaston demanda alors à Sicka :

— L’eau qui entoure le château, c’est du chouchen ?

— Allez, donc, goûtez, vous verrez !

Mais Gaston, n’eut pas le temps d’y essayer. Car nous étions désormais à l’intérieur du

château. L’adjectif qui qualifierait le mieux cet endroit est éblouissant. Tout resplendissait

dans le paradis des fées. Elles étaient là, les plus belles des fées. L’architecture paraissait

vivante. Je songeai en moi que les bâtisseurs de Souterrennes étaient peut-être les mêmes.

Cette architecture vivait respirait dans un esthétisme incomparable. Les murs éclairaient

l’intérieur. Nulle lumière électrique telle qu’il y en a chez les humains n’étaient présentes.

On y voyait comme en plein jour. La reine des fées s’avança alors vers moi. Elle était belle

mais plus austère que Sicka. Elle était vêtue d’une longue robe bleue quasi diaphane qui

laissait entrevoir la finesse de son corps. Ses longs cheveux flottaient comme s’ils

pouvaient se muer d’eux même. Un fin cheveux vint d’ailleurs caresser mon visage. Ce fut

le premier contact que j’eus avec la reine des fées . Elle prit alors la parole d’une voix suave

et enchanteresse.

« Je vous remercie d’être venus. Il nous faut être solidaires dans ces moments difficiles. Je

suis Morgane, la reine des fées.

Je pris la parole :

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 40

— Il faut rester unis. Nous sommes là pour vous aider. L’attaque ne devrait pas tarder.

Quels sont les moyens que vous comptez utiliser ?

— La magie. Nous allons les entraîner vers des pièges dont ils ne seront pas prêts de sortir.

— Si j’ai bien compris, vous comptez séduire les hommes en noirs et les entraîner vers…

une mort que vous avez prévue comment ?

— Vous avez tout compris. Nous userons de nos charmes, puis nous les entraînerons vers

un lieu où ils entreront pour ne plus sortir vivants, comme l’estomac d’un sympathique

dragon par exemple.

— J’espère que vos sorts fonctionneront. Mais ne sous-estimez pas ces individus. Leur chef

est puissant et dangereux.

— Certes, mais nos pouvoirs sont sans limite. Nous ne craignons personne, Merlin est avec

nous, ne l’oubliez pas.

Gaston Leroux, agacé par la fée l’interrompit :

— Merlin n’a pas la même confiance que vous. Ne mésestimez pas l’adversaire, il est

redoutable.

— Sachez, monsieur que votre imagination est incapable de deviner quelle est l’étendue de

mes secrets et de nos pouvoirs. Je pourrais vous transformer en esclave si je le voulais.

— Ce serait avec plaisir, répondit Gaston avec malice.

— Pas pour moi. Je préférerai de beaucoup avoir le prince de Souterrennes comme esclave

de mes divines…

Cette dernière phrase me surprit puis me fit sourire. Je remarquai quand même que Sicka

était quelque peu jalouse… Ce qui n’était pas pour me déplaire.

La reine des fées reprit la parole.

— Je vous propose de partager notre repas pour prendre des forces puisque ce combat

semble vous faire si peur.

Nous arrivâmes dans une grande salle aux murs tapissés. Il y régnait comme un parfum

onirique. Une étrange créature se tenait près de la chaise où la reine des fées s’installa. Les

noms de tous les convives figuraient pour chaque couvert. J’étais en face de Morgane et à

coté de Sicka. Les deux écrivains se tenaient non loin de moi. Paul observait en silence

quasi religieusement tandis que Gaston ne pouvait contenir son admiration et laisser

échapper des « sublime ! » ou bien encore des« incroyable ». Quant à l’étrange créature,

son regard me troublait. Il était quasi humain, quoique d’une humanité qui semblait

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remonter à une époque que je n’avais pas connue. Cette étrange époque dont Merlin

annonçait la volonté de refaire surface. Encore une impression, mais rien de plus. Qu’y

avait-il avant ? Qu’y avait-il d’enfui sous terre et dans nos esprits ?

Je ne le savais guère. Les pangolins de Souterrennes et les étranges dragons de la contrée

semblaient en savoir beaucoup plus. Tout comme cette créature hybride. C’était un lion de

mer. La tête léonide contrastait avec son arrière train sirénien et ses pattes palmées. Il

demeurait impassible tel le sphinx d’Egypte… Etrange construction que ce sphinx

mystérieux d’ailleurs…

Je fus interrompus dans mes réflexions par Morgane.

Vous semblez rêver mon cher. Serait-ce mon lion de mer qui vous intrigue ?

Je dois avouer que oui. Je n’en avais jamais vu.

Viviane a son Merlin, moi, j’ai mon lion de mer. C’est mon Graal à moi, dit-elle en riant.

La reine des fées était étrange. Je m’en méfiais. Je craignais qu’elle cherche à me séduire

dans un obscur dessein.

Le repas fut servi sur une table où se dressaient des chandeliers de cristal magnifiquement

travaillés. Une liqueur de baies de Brocéliande nous fut servie. Elle tournait un peu la tête,

mais ça rendait surtout la conversation de fin de repas bien plus agréable. L’entrée

composée de saumon fumé relevée avec une sauce délicieuse, où se mêlait de l’écorce de

hêtre et de chêne. S’ensuivit un plat de résistance avec un sanglier aux mirabelles et prunes.

Un véritable régal. Et le summum fut atteint avec le mégacrêpos, un gigantesque gâteau de

crêpes enrobé de chantilly, baignant dans une crème anglaise dans lequel s’intercalait

framboise et coulis de framboises. J’étais aux anges. Les vins étaient tous excellents et

goûteux. Ils ne faisaient voyager. Mon palais garde toujours en mémoire cet alcool des

mille plaisirs qui accompagna le désert.

Comment décrire ce repas ? J’étais bien, heureux. J’avais oublié jusqu’à l’existence des

hommes en noirs. Et, je crois que pour mes amis de Souterrennes et même pour Paul et

Gaston, il en était de même. Les fées pouvaient donc faire rêver les morts.

Morgane m’apparaissait divinement belle et très désirable. Les fées nous comptaient leurs

histoires, que leur royaume était un paradis et je ne pouvais qu’acquiescer. Je ne sais ce que

je racontais, mais je parlais, même Paul. On parlait, on discutait, on voulait plaire autant

qu’on était séduit.

La fatigue nous gagna, nous regagnâmes nos chambres, prêts à nous endormir dans ce beau

pays avec de si belles fées à nos côtés.

Morgane m’entraînait vers elle. Je ne résistais pas, j’étais à ses pieds.

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Le moindre de ses mots était comme une caresse. Cette symbiose sensorielle suscitait en

moi un désir incompressible. Je la suivais jusqu’à son lit.

« Mon prince, si puissant, tu es à moi désormais. Tu veux être l’esclave de mes désirs ?

— Oui, répondis-je, totalement abandonné à ses volontés.

— Tu vois, tu n’as rien à craindre. Si toi qui es si puissant et qui bénéficie de la protection

de Merlin, peut être manipulé par une femme comme moi, alors de ces hommes en noir et

de leur chef, je peux en faire ce que je veux.

A cet instant, je ne savais même plus qui étaient les hommes en noirs, je ne pensais qu’à

une seule chose,… à elle, à lui appartenir…

— Déshabille-toi, mon beau.

Ce que je fis, immédiatement.

— Hum, je vois que tu es beau et que je te plais., dit-elle enthousiasmée. »

Je ne sais plus très bien ce que je fis. Ou plutôt, je ne préfère pas en parler ici. C’était

agréable. C’est un métier intéressant d’être l’esclave des désirs d’une fée. Sacré Merlin

comme je le comprenais tout d’un coup.

Tandis que j’étais bien avancé dans les discussions avec Morgane, Sicka surgit tout à coup.

Je crus d’abord qu’elle voulait participer à notre intime conversation. Mais absolument pas

! Sicka visiblement irrité de me voir ainsi me dit :

« Beau prince, désolé de vous interrompre en charmante compagnie mais les habits noirs

arrivent. Ils viennent de pénétrer dans Brocéliande.

Elle conclut son intervention en me lançant une bouteille de Rennessence :

—Tenez, vous en aurez besoin pour reprendre vos esprits. A tout de suite.

Sur ce, elle repartit. Morgane était furieuse :

— Ils vont me payer ça ces habits noirs. J’ai horreur d’être dérangée ! »

Quant à moi, je me rhabillais, en me demandant si j’avais échappé au pire ou bien si au

contraire le pire allait arriver…

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CHAPITRE 8. Brocéliande en noir

La nuit commençait à tomber sur ces lieux magiques où la vie semblait avoir toujours été

présente. Et pourtant, il fallait bien se demander ce soir s’il ferait jour demain. L’obscurité

d’un autre monde allait-il recouvrir de ténèbres ce qui était le royaume de la lumière ?

Je sortis sur le balcon du château des fées. Sicka et Morgane se tenaient à mes côtés.

Pendant ce temps, je bus avec grand plaisir l’élixir du magicien. Rennessence fit des

merveilles, je recouvrai mes forces et toute ma lucidité qui m’avait quelque peu échappée

ces derniers temps.

Que Brocéliande était belle vue de cette terrasse ! La forêt rayonnait d’un vert émeraude

indescriptible tandis que le soleil allait se coucher. J’espérais qu’il pourrait à nouveau se

lever.

Un petit elfe vint se poser sur le rebords de pierre. La majesté de son allure contrastait avec

la gravité de ses propos :

« Les habits noirs arrivent. Ils sont nombreux. Ils ont incendié des arbres centenaires. Ils

veulent détruire Brocéliande. Des korrigans ont tenté de résister. Ils les ont tous exterminés.

»

Le petit elfe se mit à pleurer. Je pris alors la parole :

« C’est désormais à nous de jouer. Que comptez-vous faire, Morgane ?

— Nous allons les attirer dans des lieux stratégiques où nous allons les piéger.

— Soit, je fais confiance en votre tactique, chère Morgane. Je vais envoyer quelques

membres de mon équipe éteindre les éventuels début d’incendie.

— Vous aurez besoin pour cela de quelques uns de nos dragons pour projeter de l’eau.

Je repris la parole :

— Merlin est-il en sécurité ?

— Nul ne peut entrer dans son royaume sans son autorisation, répondit Morgane.

C’est pourtant pour cela que le chef des habits noirs vient ici. Il veut détruire Brocéliande et

s’emparer de Merlin.

— Dans ce cas, il devra d’abord se débarrasser de Viviane ! Je lui souhaite bien du courage.

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— En tout cas il faut absolument dire aux korrigans et à tous les êtres de Brocéliande qu’il

est inutile de se lancer au combat. Ils n’ont aucune chance. Les habits noirs sont plus

nombreux et bien mieux armés.

— Soit, nous allons les attirer dans un endroit dont il ne sortiront pas. Ils ne pourront pas

s’emparer du château. Et je leur réserve une bonne surprise.

Sicka qui était restée silencieuse jusque là s’exprima alors :

— Et bien, je vais aider le prince Rezal à éteindre les débuts d’incendie. Nous partons de

suite voir l’étendue des dégâts et constater la progression des habits noirs.

La reine des fées prit acte de la décision de Sicka et demeurait résolument confiante:

— Pendant ce temps, nous préparons nos charmes pour les attirer dans nos rets. »

C’est ainsi que nous dûmes quittés le château féerique. Je réunis l’équipe de Souterrennes

pour le confier leur mission. C’est ainsi que nous décollèrent pour survoler Brocéliande

assiégée. Crêpovore était quelque peu endormi, mais il se réveilla bien vite heureusement

car il devait transporter sur son dos Sicka et moi.

« Va falloir travailler, mon bon dragon, lui dit la fée.

— Ahhh ! Je vais encore sauver le monde, quel bonheur d’être un dragon-héros !, répondit

le dragon qui effectivement ne s’exprimait en français que lorsque l’heure était grave. »

Nous flottâmes au dessus de Brocéliande. Le pays semblait envahi d’une sombre

inquiétude. Une noirceur grandissante s’étalait sur la contrée. Mais ce n’était pas qu’une

impression. Sicka et moi constations que c’était des hordes d’hommes en noirs qui

attaquaient. Les pauvres korrigans tentaient en vain de les arrêter. Mais ils ne faisaient hélas

pas le poids..

Un incendie avait été allumé à l’orée de la forêt. Notre génial dragon plongea sans hésiter

vers la mare la plus proche et en aspira tout le liquide. Il remonta aussitôt malgré le poids

supplémentaire qu’il transportait. Il expulsa dès lors toute l’eau qu’il put sur le feu qui

ravageait la forêt. L’incendie cessa aussitôt. J’étais tout aussi étonné que la fée Sicka par

cette initiative incroyable du dragon.

« Crêpovore, tu es vraiment un héros, dit la fée.

— Je n’ai aucun mérite. Merlin m’a appris un tour pour que cette eau éteigne le feu. L’eau

de Brocéliande est magique.

— Bravo, Crêpovore , dis-je. Mais il va falloir aider les korrigans. Sinon ils vont tous se

faire massacrer.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 45

— D’accord, prince des vampires. Mais il va falloir faire décoller d’autres dragons avec des

soldats de Souterrennes, pendant que l’on prépare le piège, me conseilla la jolie fée.

— Je communique par télépathie avec Léonard, le chef de mon commando d’androgynes.

Ils vont agir de même que Crêpovore avec nos dragons.

— Parfait. J’espère que nous pourrons limiter les dégâts. Je crains le pire, Rezal, ils sont

tellement nombreux et suréquipés.

— Crêpovore, rapproche toi des korrigans. Il faut les encourager à se replier, dis-je pour

diriger le dragon.

— A se replier où ?, mon beau prince, me répondit la délicate fée.

— Ca, vous le savez mieux que moi ! »

Crêpovore piqua vers les korrigans. Des centaines de cadavres jonchait le sol. Les petits

êtres étaient désintégrés par les armes sophistiquées des habits noirs.

Je saisis au vol un pauvre korrigan qui tentait avec sa hache de combattre.

Le nain fut surpris mais heureux d’être ainsi sauvé.

« Merci, répondit le petit homme. » Il était vêtu à l’ancienne. Son front était bombé. Ses

jambes étaient courtes. Des grands yeux contrastaient avec une barbe qui dissimulait

presque tout son visage. Il aurait paru presque pauvre si une chaîne en or ne pendait autour

de son cou.

« Il faut que les korrigans se replient immédiatement, lui dis-je. Vous allez tous vous faire

massacrer.

— Vous avez raison. Mais les fées tardent à nous aider. Mais ce qui m’inquiète, c’est que

nos tours de magie ne fonctionnent plus. Nous ne parvenons plus à disparaître comme bon

nous semble. Je crains qu’un grand mal soit en face de nous. Une force incommensurable. »

Cette dernière déclaration m’inquiéta, car je commençais à me demander quelle serait dans

ces conditions l’efficacité des pouvoirs des fées…

Je vis que Sicka était aussi inquiète, mais elle tentait de le dissimuler :

« Il faut sauver les korrigans et entraîner les habits noirs vers le Val sans Retour.

— Replions nous vers le Val sans Retour, dit alors le petit korrigan. »

Les nains commencèrent à courir tant qu’ils purent. Mais les habits noirs les poursuivaient.

Et ils étaient trop lents pour éviter la mort.

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Heureusement, le commando d’androgynes de Souterrennes arriva sur les dragons de

Brocéliande. L’effet de surprise permit aux korrigans de se replier. Nous tirâmes des traits

d’arbalètes sur les habits noirs, ce qui eu pour effet de ralentir leur marche. Mais ils étaient

trop nombreux. Je vis Sicka tenté de jeter des sorts… Mais en vain.

Elle me regarda alors, voyant que j’avais compris. Brocéliande était perdue si aucun des

pouvoirs des fées ne faisaient effet.

Les commandos aux dragons ailés de Souterrennes se battaient vaillamment pour retarder

l’avancée des habits noirs, ce qui put sauver bon nombres de korrigans.

Toutefois, nous les attirions vers le Val sans Retour, où j’espérais que Morgane pourrait les

piéger. Mais j’en doutais, car il y avait sur ces hommes en noir comme une force qui les

protégeait.

Soudain, l’idée me vient que cette force ne pouvait venir que du chef de cette organisation.

Mais où était-il ? Je ne parvenais pas à le distinguer dans cette foule obscure qui avançait

imperturbablement. Mais, j’avais l’étrange impression que le comte des ténèbres ne se

trouvaient pas parmi eux, et cela m’inquiétait fortement.

Crêpovore évita de peu un tir alors que l’on voulait se rapprocher trop près de ces ignobles

individus, qui n’étaient pour la plupart que des humanoïdes.

Soudain, l’image de Merlin me vint à l’esprit…

« Sicka, dis-je, nous nous sommes faits piéger. Le chef des habits noirs a fait diversion.

Tandis que son armée attaque Brocéliande, lui va tenter de s’emparer du Graal…

Il faut aller aider Merlin de suite, cria Sicka. »

Je fis signe alors à mon commando de se replier également car il fallait limiter autant que

possible les pertes. Poursuivre le combat ne servait plus à rien. Il fallait neutraliser le chef

de ces armées pour pouvoir les piéger dans le Val sans Retour.

Sicka me donna une bouteille de rennessence que je m’empressais de absorber et nous

partîmes vers l’antre de Merlin.

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CHAPITRE 9 : Le Graal

Nous arrivâmes en vue de l’antre de Merlin. Mais nous ne pouvions y entrer seulement si

Merlin nous y conviait. Et pour l’instant, il ne nous y conviait pas. Pourtant, je sentais que

le chef des habits noirs y était déjà. J’étais inquiet car Merlin était peut-être en danger.

Enfin, nous ne pouvions qu’attendre que Merlin nous laisse entrer.

Pendant ce temps, effectivement Lautréamont était entré. Merlin et Viviane l’avaient laissé

pénétrer le royaume du Graal. Ils savaient qu’il était inutile d’empêcher Lautréamont de

rentrer, car ce dernier possédait le pouvoir des anciens ce qui lui permettait d’aller là où il

voulait.

Lautréamont de Maldoror pénétra le royaume de Merlin et de Viviane. Il était grand et

élancé, tout en noir, un noir qui brillait. Sa large cape le faisait ressembler à un oiseau de

mauvaise augure. Son nez aquilin soutenait un regard qui semblait vous désigner comme sa

future proie. Merlin l’accueillit avec méfiance, mais le fit entrer néanmoins car cette

entrevue devait avoir lieu.

« Vous voici donc conte des ténèbres !

— Lui-même, enchanteur d’un monde qui va disparaître.

— Ne soyez pas si présomptueux. Vous êtes encore loin d’avoir triomphé, mon cher.

— Je suis optimiste et puis, les circonstances me donnent raison. Brocéliande est en train

d’être anéantie, Souterrennes le sera dans quelques heures. Vous êtes trop peu nombreux

pour résister. Surtout que vos pouvoirs ne vous sont d’aucune utilité. La puissance des

forces chtoniennes m’assurent la victoire contre vos ridicules pouvoirs.

— Sans doute pas si ridicules que cela, monsieur, sinon vous ne daignerez pas vous rendre

ici.

— Evidemment, il me manque quelque chose pour avoir la puissance absolue.

— Et ce quelque chose, j’en serais le détenteur ?

— Bien sûr, vous êtes vous-même le Graal, Merlin, et je vais donc vous phagocyter dans

tous les sens du terme, et je deviendrai invincible.

— Croyez-vous que je vous aurai laissé bêtement rentré ici, dans mon royaume à l’abri du

temps ?

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— Certes, non, mais vous savez bien que je peux franchir toutes les portes. Alors, vu que

vous n’aimez pas la violence, vous avez préféré éviter une effraction qui aurait pu choquer

votre belle Viviane. »

La fée se montra alors. Tout comme Merlin, elle paraissait sans âge, infiniment jeune. Ses

longs cheveux bruns tombaient jusqu’à ses reins telles des lianes captivantes. Elle était

vêtue d’une longue robe bleue ciel. Elle sourit à Lautréamont, comme si elle voyait un

jeune impétueux sans grand esprit. Le conte des ténèbres s’en aperçut, ce qui l’irrita.

« Ainsi donc, voici la fameuse Viviane, belle, magnifique. Mais je crains ma jolie que vous

n’allez plus tellement avoir l’occasion de profiter de votre enchanteur. Vous étiez parvenue

à le garder rien que pour vous. Je vous en félicite. Mais sachez que je vais mettre fin à cet

égoïsme. Désormais, je vais pouvoir user de ce pouvoir pour que tout le monde puisse en

mesurer l’étendue et l’intensité.

— Il faudra d’abord me tuer avant de s’emparer de Merlin, répondit la fée. Oserez-vous

donc me tuer, moi, la fée légendaire qui peut vous être utile. Réfléchissez donc,

Lautréamont, votre mal est peut-être curable. Nous pourrions vous guérir de tous ces affres

qui vous gouvernent et qui vous hantent, et qui font de vous l’instrument d’une puissance

qui vous dépasse de beaucoup. »

Lautréamont parut douter. Il avait écarté la fée comme si c’était sa propre mère. Et il avait

été troublé.

Le royaume de Merlin et de Viviane était édénique. Le conte se trouvait comme envoûté. Il

se sentait bien. Toutes ces plantes, ces fleurs, ces petits oiseaux qui semblaient vivre un

bonheur éternel, tout résonnait comme un arc-en-ciel paradisiaque. Le comte des ténèbres

avait une irrésistible envie de s’allonger sur l’herbe et de reposer sa tête sur les racines du

grand chêne puis s’endormir tranquillement. Il avait l’impression de revenir en enfance. Il

était bien…il commençait à se lasser…

Mais, soudain, un sursaut venu du tréfonds de son âme le fit réagir. Ce soubresaut fit sortir

de sa bouche une salive foncée, une bile noire comme l’encre défensive des polypodes. On

voulait s’emparer de lui. La fée et l’enchanteur était en train de le capturer. Ses pouvoirs

étaient comme annihilés dans le sanctuaire du Graal. Il s’en était fallu de peu.

Heureusement pour lui, la puissance chtonienne qui le gouvernait avait su réagir à temps,

sans quoi il aurait été enfermé à tout jamais. Combien de temps avait pu durer cet état

d’assouplissement, qui était malgré tout pour lui un moment de bien être. Où était donc le

bonheur ? Quelle était sa mission ? Le doute était entré dans son esprit. Lautréamont avait

perdu de sa sérénité. Sa réaction se fit violente.

« Vos sorts de pacotille ont assez duré. Je m’en vais vous exterminez une fois pour toute. Je

ne saurai plus être patient. L’envie me prend de tout posséder. Je vais vous dévorer tous

deux, boire votre sang, et le Graal sera en moi pour toujours. Dès lors, les puissances d’en

dessous auront le passeport pour leur retour. Le retour à la domination. Ah, ce sera un tel

plaisir de vous tuer…

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— Peut-être, mon cher conte, mais décidément, les ténèbres obscurcissent votre esprit. Non

seulement, depuis que vous êtes ici, vos pouvoirs sont amoindris, mais le pire pour vous,

c’est que vous n’êtes plus présent dans le monde actuel. Votre armée ne dispose donc plus

de votre protection… »

Lautréamont de plus en plus en colère, poussa un hurlement terrifiant comme venu du

centre de la terre. Il dégaina une énorme épée et se trouvait prêt à en frapper Merlin.

Excalibur ! Cette épée de légende était donc en possession du conte ! L’épée qui venait de

royaume des cieux se trouvait dans les mains des forces du dessous…S’il parvenait à tuer

Merlin avec, plus rien ne s’opposerait au retour du chaos. Mais l’espoir n’était pas encore

vaincu

L’enchanteur recula d’un pas et dit :

« Calmez-vous mon cher, car si vous me tuez, le Graal ne sera jamais à vous. Car le Graal,

c’est un peu de moi, certes mais ce n’est pas moi. C’est un peu de Viviane, mais ce n’est

pas Viviane. Le Graal est le fruit de l’amour, le Graal, c’est l’amour de Merlin et de

Viviane. Le Graal, c’est notre royaume, et ce n’est pas totalement notre royaume. Le Graal,

c’est le fruit de notre amour. Et cet amour, c’est un fils…

Lautréamont était déboussolé. Comment ça un fils ?

— Et oui mon cher. Un fils. C’est désormais notre fils le Graal .

— Qui est ce fils ?, dit d’un air maudit le conte des ténèbres.

— Vous ne l’avez pas encore deviné ? lui répliqua Viviane.

Lautréamont parut réfléchir un instant…Décidément, rien ne se passait comme il le

souhaitait en ces lieux.

— Non, ce n’est quand même pas le prince Rezal, ce vampire rennais ?

— Bravo mon cher. Vous commencez à voir plus clair. Enfin, je crois que vous êtes

quelque peu perdu… Vous m’apparaissez trop peu puissant pour battre Rezal.

Lautréamont ne pouvant plus se contenir, se précipita sur Viviane et lui mit son épée sur la

gorge prêt à la tuer.

— Tais-toi, enchanteur de malheur. Je tue ta douce Viviane, si tu continues. Tu mens, tu

veux m’embrouiller !

— Calme-toi, jeune comte. Sache que cet endroit est hors du temps. Si tu me tues, nous

n’aurions jamais existé, et par conséquent Rezal non plus. Donc, le Graal non plus. Et hop,

plus de Graal, plus de puissance. De plus, tu serais nécessairement englouti avec nous.

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— Tu mens, cesse tes simagrées. Je vais vous dépecer, et le souffle des puissances

souterraines vous dévoreront.

— Comme tu veux, tue-nous. Mais tu ne pourras plus jamais sortir de ce royaume. Et tu

disparaîtras à tout jamais. Le Graal sera détruit avec nous. Ta mission aura été

complètement ratée. »

Lautréamont ne savait plus quoi faire. Fallait-il croire les dires de l’enchanteur. C’était trop

risqué. Il sentait qu’il perdait ses forces dans ce royaume à part. Il fallait partir. C’est ce que

le poussait à faire, la puissance occulte. Fuir, quitter cet endroit avant qu’il ne soit trop tard.

Lautréamont abandonna alors Merlin et Viviane quelque peu désemparé. Mais une fois

sorti, il retrouva son énergie. Il n’avait plus qu’un but, retrouver le porteur du Graal…

Rezal, le vampire qui pouvait désormais vivre le jour.

C’est ainsi que nous vîmes Lautréamont s’en aller vers le Val sans Retour. Aussitôt, nous

pûmes rentrer à notre tour chez Merlin et Viviane…

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CHAPITRE 10 : le comte à rebours.

Les troupes des habits noirs s’avançaient inéluctablement sur le Val sans Retour. Le

pouvoir des fées allait-il parvenir à éviter le pire : la fin de Brocéliande et de

l’émerveillement ?

Ces paysages, ces êtres fantastiques allaient-ils disparaître pour laisser place aux affres des

profondeurs, où d’étranges démons reposaient et ne demandaient qu’à resurgir. La défaite

de Brocéliande, la prise du Graal résonnerait comme un appel aux forces chtoniennes. Le

conte de Lautréamont aurait alors réussi son atroce mission. Mais Merlin et Viviane

allaient-ils se laisser défaire ainsi ? Ce n’était pas possible. C’est en tout cas, ce

qu’espéraient nos deux écrivains égarés dans cet endroit insolite. Paul était inquiet, et même

Gaston semblait avoir perdu sa bonhomie habituelle :

« J’ai peur Paul !

— Moi, aussi, je crains le pire. Ces hommes en noirs semblent en aucun cas humains. De

terribles humanoïdes. Quelle peut-être l’efficacité des pouvoirs magiques sur de tels

individus ?

— Je n’en sais rien. Surtout, qu’aucun artifice ne semble pouvoir les arrêter. Gaston, je

songe que Souterrennes doit connaître une attaque similaire à présent. La contrée de l’Ouest

est en train d’être balayée et je ne sais que faire., et je me sens terriblement responsable de

ce qui est en train d’advenir.

— Moi non plus. Et pas la peine d’espérer le retour d’un super-héros. De plus, le prince des

vampires s’est éclipsé, volatilisé. Où est-il passé ? On aurait peut-être besoin de lui

maintenant. »

Paul ne répondit pas. Il regardait la forêt qui commençait de nouveau à s’embraser. Et les

korrigans, les elfes, les fées, et les sylphides qui cherchaient à se réfugier parfois en vain.

« Paul, faut faire quelque chose. Ce sont des chefs d’œuvres qui disparaissent. Un horrible

autodafé. C’est comme si les bibliothèques se consumaient. Paul, c’est comme si on brûlait

nos livres devant nous !

— Je sais Gaston. Nous voilà condamnés à redevenir poussière. »

Morgane tentait de lancer ses formules magiques sur l’armée en marche. Rien n’y faisait.

Toute la puissance des fées, de tous les êtres de Brocéliande n’y pouvait rien. La forêt se

mourrait dans un hurlement, dans un crépitement horrible.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 52

Les dragons de Souterrennes et de Brocéliande tentèrent d’attaquer ces habits noirs. En

vain, il n’en résultait pour les dragons que des blessures létales. Morgane leur donna l’ordre

de se replier, et de tenter plutôt d’éteindre les incendies.

Mais ce qui devenait inquiétant, c’est que l’eau venait à manquer. Bientôt, rien ne pourrait

empêcher le feu de s’étendre…

La situation semblait désespérée. Pourtant… Soudain, l’image de Merlin apparut dans le

ciel embrasé. Il pointait son doigt sur l’armée funeste. Morgane aussitôt compris que

l’enchanteur venait de briser le sort qui annihilait tous les pouvoirs de la féerie. Elle se

concentra, et l’armée en marche cessa brusquement de s’avancer. Les individus se figèrent,

puis se pétrifièrent... Ce qui était avant une terrible armée indestructible venait de se

transformer en pierres. Brocéliande les avait avalés pour transformer en simples décors

naturel…

Brocéliande était sauvée pour le moment. L’armée qui terrorisait il y a quelques minutes la

forêt n’était plus que pierre. Le miracle avait eu lieu. Cependant, le feu continuait de brûler,

et des arbres centenaires et millénaires risquaient toujours de disparaître.

Les fées, les korrigans, les dragons, tout le monde jusqu’à la plus petite sylphide s’attelait à

la tâche pour éteindre l’incendie. Cruches d’eau dragonesques, et formules magiques se

succédaient. Malgré tout, le feu continuait. Mais les flammes n’allaient plus pouvoir

longtemps continuer de menacer la belle forêt.

Brocéliande faisait mieux que résister. Après avoir repoussé le premier assaut des habits

noirs à Souterrennes, et volé que la contrée de l’Ouest repoussait dans la douleur la terrible

armée des habits noirs. Tout cela était presque trop beau pour être vrai.

En effet, voilà que surgit soudain au milieu de son armée pétrifiée, le comte des ténèbres,

Lautréamont de Maldoror. Il semblait dans une colère indescriptible. Ses yeux étincelaient

d’une démence dont la profondeur vous menait jusqu’au abysses d’une intelligence putride

mais désireuse de ressurgir. Lautréamont poussa un cri dont l’écho fit trembler la forêt, et

probablement la plupart des êtres présents. Ses cheveux se hérissaient sur sa tête. On ne

savait si le vent était la cause de leur mouvement ou bien s’ils bougeaient d’eux mêmes tel

un poulpe désireux de saisir sa proie avec ses tentacules.

Les fées s’aperçurent rapidement que leurs pouvoirs magiques étaient à nouveau

inopérants. Le comte des ténèbres ne pouvait être mué en pierre. Qui sait d’ailleurs si son

cœur et son âme ne l’était pas déjà ?

Le comte était loin d’être vaincu. Il riait d’un rire sardonique, désagréable à entendre.

Morgane lui parla :

« Qui que tu sois, quitte Brocéliande. Ton armée est vaincue. Tu es ici comme le ver dans le

fruit.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 53

Lui alors de répondre :

— Je reviendrai quand je le voudrais. Et mon armée est innombrable. En ce moment même,

elle attaque Souterrennes. La contrée de l’Ouest ne connaît qu’un répit. Et je ne partirai que

quand tous ses secrets m’appartiendront et quand je l’aurais réduite à néant.

Sicka et moi venions juste de rejoindre les autres fées. Je répondis au comte d’une voix

calme et sereine.

— Pourquoi tant de haine, cher comte ? Vous oubliez que le Graal est une création de

l’amour, et que la haine le rend inopérant. Il convient de redevenir lucide. Vous vous battez

pour une cause qui ne fait que se servir de vous.

— Que savez vous de mon existence, vampire de pacotille. Mes parents je ne les connais

pas. Seuls les démons des profondeurs ont su me comprendre. J’exècre autant l’humanité

que les fées et autres nabots. L’intelligence a bien d’autres formes. Seulement, vous ne

préférez pas les voir. La monstruosité qui vous fait peur, moi je la vénère car elle fut jadis

dominante, et qu’elle le redeviendra bientôt.

Ton combat est tout de même futile. Il n’est fondé que par la haine. Tu ne pourra posséder

le Graal. L’obscurité guide tes pas.

De l’obscurité émerge ma lumière, cette atroce luminescence que vous ne sachez voir me

dirige vers des lieux où nul humain n’a pu pénétrer. Et je trouve que tu es un bien piètre

porteur du Graal. »

Des « oh » de stupeurs et de surprise firent écho à cette dernière phrase. Désormais,

Brocéliande saurait que le Graal n’était plus gardé par Merlin et Viviane, mais qu’il avait

pris forme en un être qui fut un humain, qui devint vampire et qui était bien plus que cela

désormais. Cet être, c’était moi, le porteur du Graal, depuis que mes lèvres avaient goûté la

« Rennessence », la divine boisson concocté par l’enchanteur Merlin, mon père. Les

regards braqués sur moi devenaient étranges, mêlés d’admiration et de peur.

Lautréamont était hilare :

« Et oui, le Graal, c’est lui. Cela fait rire. Le Graal serait cet individu incapable de vous

défendre, incapable de sauver sa propre cité. Souterrennes est en ce moment même investi

par mon armée. Non vraiment, les héros ne sont plus ce qu’ils étaient.

Et le comte se mit à rire.

Et le pire c’est qu’il avait raison . Souterrennes était attaquée. Je le savais par mes

informateurs qui m’avaient prévenu de l’intrusion des habits noirs. Il me tardait d’aller

rejoindre mes concitoyens menacés de mort.

Lautréamont cria alors :

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— Que tout ici devienne flammes et goûtes de sang, que tout redevienne poussière ! »

Aussitôt, surgit du ciel, d’étranges engins quasi silencieux qui commencèrent à nous

bombarder. Décidément, ce comte avait d’inépuisable ressources.

Que pouvais-je faire, moi le porteur du Graal, si ce n’est de prendre mes responsabilités.

Lautréamont me narguait voyant les flammes ravager Brocéliande, et les fées et les

korrigans de nouveau contraints de fuir.

« Le porteur du Graal n’est qu’un incapable de vampire. Je suis plus fort que le Graal. Voilà

la vérité. Vos sorts et pouvoirs sont nuls. La puissance des profondeurs vous dépasse de

beaucoup. »

Je décidai de mettre fin à cette hybris démoniaque qui s’emparait du conte. Je fis alors un

bond qui m’étonna moi-même pour me jeter sur lui. Il fut surpris et tomba à la renverse.

Les vaisseaux de son armée plongèrent, et des milliers de projectiles se dirigèrent sur moi…

Mais rien n’y fit, ma condition de porteur de Graal fit choir toutes les balles sans qu’elles

ne puissent m’atteindre. Ainsi donc, c’était vrai. Il n’y avait plus de doute, j’étais en

possession d’une puissance illimitée. Ces quelques secondes de réflexion permirent hélas à

Lautréamont de se relever, et de fuir sur un vaisseau. Cette armada céleste ne daigna point

me viser et préféra s’acharner à détruire Brocéliande. Malgré ma puissance, je restais

incapable de faire quoi que ce soit. Que pouvais-je faire face à une telle haine ? J’étais

encore trop ignorant des pouvoirs dont le Graal me conférait.

Bêtement je me concentrais, souhaitant repousser la force de destruction par ma simple

pensée. J’imaginai une soucoupe de protection autour de la forêt.

Et le miracle se produit . La violence des habits noirs se retournait contre eux. La haine

contre la haine. Voilà ce qu’il en était. Mais cette simple m’avait épuisé. Je tombai sur le

sol de Brocéliande, maintenant le bouclier mental sur la forêt. Cependant cette dernière se

consumait, partait en fumée. Les fées et les dragons épuisés tentaient tant bien que mal

d’éteindre ces flammes qui se propageaient de plus en plus vite.

Heureusement les habits noirs partaient. C’était désormais Souterrennes qui allait subir le

pire. Il fallait s’y rendre au plus vite… Sicka vint auprès de moi pour m’administre la

boisson vitale « Rennessence ». Dès les premières gouttes, je me sentais comme revivre,

investi d’un pouvoir grandissant. Malgré tous mes efforts, la force venue de l’enfer

continuait son œuvre. Gaston et Paul en pleuraient presque :

« Non, ce n’est pas possible, ce feu est quasi impossible à arrêter. Ce ne peut être que

l’œuvre d’un démon, s’exclamait Paul.

— Mais Rezal ne peut-il rien contre ce feu ?, demanda Gaston.

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— Il est épuisé. Il est parvenu à éloigner les habits noirs. Il n’est pas encore maître de son

pouvoir, lui rétorqua Paul.

— Bon dieu, de bon dieu, ça me fait jurer. Il faudrait une intervention divine contre ce

diable de feu allumé par ce conte.

« Oh ! » ce fut l’exclamation poussée en même temps par les korrigans qui eux n’hésitaient

pas à regarder le ciel. C’est ainsi qu’ apparut ce qui ressemblait fortement à un bateau

volant, en somme. Les « qu’est-ce que c’est ? » suivirent bientôt les « oh ».

Le bateau se rapprocha de la forêt. Et de sa coque sortit des canons qui déversèrent un

produit aqueux qui avait le mérite d’éteindre ce feu du diable.

Un homme avec une belle barbe blanche conduisait ce vaisseau sublime à la voilure rouge

et noir, tout comme la cape du capitaine. Le bateau finit d’éteindre l’incendie et se

rapprocha des korrigans et des fées qui ne parvenaient plus à cacher leur joie. Sur la coque

du navire on pouvait lire la devise suivante : « Nemo contra deus, sine deux ipse ». Gaston

sauta de joie également, après avoir observé un long moment ce capitaine qui était bien loin

d’avoir 15 ans…

Et Leroux de chanter :

« Le voilà…il revient ! Le capitaine Jules Vernes ! »

Le miracle venait d’avoir lieu et je n’étais pour rien dans ce phénomène.

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CHAPITRE 11 : Souterrennes s’illumine.

C’était donc bien l’écrivain qui avait sauvé in extremis Brocéliande des flammes.

Jules Vernes, le capitaine Nemo en quelque sorte était la bonne surprise qui allait peut être

permettre de sauver désormais Souterrennes. Car, la cité subcondatienne était menacée cette

fois-ci vraiment de disparition.

Jules Vernes, majestueux à la barre de son bateau volant, prit la parole :

« Rentrez vite, Souterrennes réclame votre aide ! »

Et aussitôt, les deux écrivains, le reste de mon équipe venue défendre Brocéliande, puis

Sicka et quelques autres elfes, fées et sylphides prirent place à bord du bateau du «

capitaine Nemo ». U vaisseau à l’indéniable confort, un lieu de vie à part entière.

Jules Vernes vira de bord aussitôt. Sa cape se souleva et nous partîmes vers Souterrennes.

Brocéliande sauvée nous salua par ses habitants. Morgane m’envoya un baiser et me dit : «

Revenez vite, beau prince, nous avons tant de chose à nous dire »

Sicka était jalouse. Elle avait du mal à le cacher. Gaston Leroux ne contenait plus sa joie. Il

était si heureux de voir Jules Vernes, l’écrivain natif de Nantes . Jules s’adressa alors aux

deux écrivains :

« Alors mes chers, voulez-vous vous joindre à l’équipage « mystère » qui veille au bon

fonctionnement de cette machine ?

— Volontiers, répondit Gaston.

— Avec plaisir, fit de même Paul visiblement ému.

— Soyez les bienvenus parmi notre organisation mystérieuse ! Vous allez retrouver

quelques noms fameux ! »

Aussitôt, suivirent sur le pont, des hommes et des femmes qui firent les joies de millions de

lecteurs… Paul observait en silence. Mais Gaston toujours aussi exubérant ne pouvait

s’empêcher de crier :

— Maurice, sacré coquin. Te voilà aussi dans cette aventure. Au fait, on a trouvé ton

message à la bibliothèque, vieux farceur. Et on a déchiffré l’énigme !

— Bravo ! Comme je suis heureux de vous trouver. Leblanc et Leroux, ça fait deux beaux

noms de corsaires, vous ne trouvez pas ?, demanda un individu bien mis, charmeur et

porteur d’une moustache bien taillée.

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— Si, mais toi, tu as plus l’air d’un gentleman cambrioleur, que moi qui disons porte sur

son ventre les plaisirs de l’existence. Oh, mais pardonne-moi ! J’aperçois une dame !

Et Gaston de s’avancer pour aller baiser la main de Georges Sand :

— Vous ici, chère baronne. Toujours en quête de nouvelles sensations alors ?

— Parfaitement, Gaston, la vie est bien trop courte pour ne pas continuer à vivre après la

mort.

— Jolie phrase, ma chère . »

J’observais avec plaisir cet équipage insolite. Surtout que soudain se mit à résonner une

musique fort agréable. Le mystère fut bientôt résolu, quand je vis au clavier, Frédéric

Chopin. La musique était extraordinairement moderne, avant-gardiste, le clavier n’était pas

un ordinaire piano, mais un synthétiseur dernier cri.

« Nemo contre Deus, nisi deus ipse ». Effectivement, il n’y avait personne contre Dieu, si

ce n’est Dieu lui-même, et toutes ces personnes étaient investis d’un pouvoir qui ne pouvait

qu’être divin. Que pouvait-on rêver de mieux que de faire partie d’un tel équipage ? Un

bateau volant encadré par un escadron de dragon, avec Crêpovore en tête.

Malgré tout, il fallait faire vite. Mais, je sentais que je devenais de plus en plus maître de

ma puissance. J’allais bientôt affronter Lautréamont, je le pressentais. Je regardais l’horizon

en silence tout comme Sicka et Jules Vernes, pendant que tous ces écrivains se retrouvaient

avec plaisir. Certains se rencontraient pour la première fois.

Jules Vernes me regarda et me dit :

« Alors, c’est vous qui êtes chargé de cette difficile mission ?

— Effectivement, et je vais tâcher d’être à sa hauteur.

— Je l’espère. Sinon, nous allons tous disparaître des mémoires, des cœurs et des âmes. En

cas de malheur, nous avons ici un prêtre qui nous conduira au paradis, dit-il en riant…

Et je vis en effet, un homme en soutane. Les cheveux bruns très foncé, assez corpulent…

Ce visage me disait quelque chose…

Jules Vernes reprit la parole :

— Il vient de Rennes… Encore un autre Rennes…

Soudain, je compris. C’était Bérenger Saulnière, l’abbé de Rennes-le-château… Lui aussi

faisait partie de cet équipage.

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— Et oui, reprit Jules, notre équipage du « mystère » a une devise : La chose mystérieuse

n’est cachée qu’à celui qui la croit invisible. C’est une philosophie. La règle de la

connaissance et du bonheur. »

L’incroyable était là. Ce ne pouvait être un rêve, ce que je vivais dépassait l’onirisme. Je vis

un monsieur que les lecteurs connaissent bien actuellement. La plupart des artistes qui

étaient présents au sein de l’équipage étaient morts mais lui non. Et je m’en étonnais. Aussi

lui demandais-je sa présence. Le petit homme brun, barbu aux yeux pétillants me répondit

avec son accent italien :

« Je n’attends pas d’être mort pour rêver et être heureux ! »

Et il avait raison. Nous arrivions enfin en vue de Rennes. Nous survolions désormais la cité.

Il allait falloir sauver ma ville, avant que le conte des ténèbres et son équipage ne la

détruise. Hors, je savais que des milliers d’hommes noirs étaient déjà à l’intérieur. Ils

devaient connaître désormais les arcanes de la cité. J’espérais que Greenbow pourrait

organiser la résistance le plus longtemps possible avant notre arrivée. J’étais en contact

avec mes concitoyens télépathiquement. Je leur avais demandé de prendre le moins de

risque possible. Il y avait eu suffisamment de morts. Nous n’étions que trop peu pour nous

permettre des sacrifices inutiles.

Beaucoup de mes concitoyens s’étaient donc réfugiés dans les caches secrètes de la cité.

Mais, j ‘étais préoccupé, car je savais que Souterrennes était désormais aux mains des

habits noirs.

Nous atterrîmes sur l’herbe du parc de Bréquigny au sud de la ville. Il existait une vieille

entrée que peu de mes concitoyens connaissaient. Je rassemblais une partie de mon équipe.

Beaucoup d’androgynes avaient été blessés. Les plus valides m’accompagnèrent ainsi que

les volontaires dont Paul et Gaston toujours prêts à prendre des risques. Evidemment, Sicka

et Crêpovore suivirent.

Je me concentrai quelque peu et j’ouvris la porte sud de Souterrennes. Le bateau de

l’équipage mystère reprit son envol pour se positionner au dessus de la ville en cas de

difficultés.

L’entrée de Souterrennes sud était un long couloir d’égouts. Nous primes une barque, et

nous avancèrent tel Charon sur le Styx. Mais c’était trop lent, je pouvais certes voler et

avancer plus vite que tout le monde, mais je voulais que mon mini commando arrive

groupé. Je sifflais alors, et aussitôt surgit des eaux noirâtres, un blanc dragon aquatique, «

Dragard ». Il nous accueillit sur son dos, et nous filâmes à toute vitesse vers le centre de la

cité. Il ne nous fallu que quelques secondes pour y parvenir. Le dragon des eaux nous avait

rendu un fier service. Nous quittâmes l’eau, pour des couloirs dont l’aspect inquiétant

m’avait toujours plu.

La cité était silencieuse. Je savais mes concitoyens cachés désormais. Je les sentais inquiets.

Je les rassurais télépathiquement par ma présence. Mais les habits noirs investissaient

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dorénavant toute la place. Je les voyais. Ils cherchaient à éliminer toute trace de vie

subcondatienne qui tentaient de se manifester.

Les habits noirs tiraient quelques coups de feu au hasard. Soudain, un vampire sans doute

rassuré par ma présence se jeta sur quelques hommes en noirs. Il avait agit sans réfléchir,

aussitôt un éclair jaillit de l’arme d’un des humanoïdes. Le vampire se consuma rapidement

et devint cendre… Comment était-ce possible ?… Ce fut Paul qui comprit le plus vite :

« Mon Dieu, ils ont adapté le procédé homéopathique des cendres de vampire. Je décris

cette technique dans mon roman La Ville vampire. Les cendres de vampire sont les

meilleurs armes contre les vampires »

Les habits noirs sont immunisés contre les vampires. Je transmis l’information aussitôt à

mes concitoyens vampires en leur ordonnant de se tenir cachés. Ils ne pouvaient rien faire.

Nous ne pouvions plus compter sur un bon tiers des habitants de la cité pour la défendre. Il

fallait trouver une solution. Les habits noirs commençaient à détruire tout ce qui était la

richesse de Souterrennes. Et ils ne cessaient de vaporiser toujours le fameux vampiricide.

Sicka s’acharnaient à essayer de pétrifier avec ses sorts les humanoïdes en noir. En vain.

Lautréamont assurait leur protection. C’était lui qu’il fallait vaincre. Il fallait que je le

trouve au plus vite. Nous ne pouvions rien faire contre cette puissance létale. Cette armée

était trop bien organisée, et trop bien équipée.

J’essayais de me concentrer mentalement pour dresser un écran mental de protection sur

Souterrennes. Mais cela était trop épuisant. Et puis, cela ne réglait pas le problème

Lautréamont. Non, je préférai rendre invincible mon commando pour rejoindre au plus vite,

les deux pangolins, Red et Blak qui eux seuls pouvaient sauver Souterrennes. Il fallait

mettre en place le mécanisme de défense de la cité, le fameux secret de Souterrennes. Nous

parvînmes ainsi rapidement au QG secret de Souterrennes. Les deux pangolins étaient

serrés l’un contre l’autre, visiblement apeurés.

« Et bien, t’en a mis du temps. On commençait à avoir peur, nous ! dit Red

— Bon mes amis, comment pouvez-vous sauver la cité ?

— Ah, dit Bak. On va avoir besoin de vous ! Et bien, on a eu le temps de relire le livre

secret ! Il faut juste dégager l’ouverture tout en haut de notre immeuble pour que le soleil y

pénètre. L’énergie solaire va mettre en marche une machinerie terrible qui va réduire en

cendres tous nos ennemis. Facile !

— Vous êtes sûr de vous ?

— Parfaitement, il faut qu’il n’y ait plus de concitoyens dans les couloirs, car il n’y aura

pas de survivants.

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— Parfait, on fermera juste la sortie sud, non seulement pour que Dragard ne soit pas grillé,

mais aussi pour qu’on puisse fuir en cas de mauvaise manœuvre.

— Il n’y aura pas de mauvaise manœuvre, dirent en cœur les deux pangolins ! »

Le soleil allait donc sauver Souterrennes où vivaient pourtant de nombreux vampires.

C’était vraiment le monde à l’envers. Enfin, plus rien ne pouvait m’étonner désormais.

Je donnais l’ordre de se replier au plus vite à des endroits sûrs. Il ne fallait personne au

centre de la cité, ni dans les couloirs. Je patientais quelques minutes. Tout le monde

semblait en sécurité où presque. Red et Blak orientèrent alors le miroir de vérité vers le

plafond. Ils ouvrirent la passage circulaire où le soleil allait s’engouffrer. Seulement il y

avait un problème. Le jour venait de se lever, il y avait de cela quelques heures, mais la

pluie masquait tout. Sans soleil, le mécanisme ne pouvait fonctionner. Et pourtant, il fallait

faire vite, car les habits noirs n’allaient pas tarder à pénétrer dans toutes les salles de la cité

y compris celle-ci.

Nous priâmes tous pour que le soleil fasse son apparition. C’était horrible. La pluie ne

cessait pas. Les pangolins trépignaient d’impatience. Puis l’averse s’acheva… Mais le ciel

demeurait encore gris.

Gaston n’en pouvant plus, dit :

« Les inventeurs de ce mécanisme génial ont sans doute oublié que le soleil est avare de ses

rayons ici !

Paul lui répondit :

— Mais il ne pleut pas toujours en Bretagne, Gaston, ce n’est pas vrai. »

Tout à coup, l’œil de l’écrivain moustachu fut éclairé… par un rayon … Le soleil venait

d’arriver !

Des cris de joies marquèrent son apparition. Les pangolins orientèrent le miroir et le soleil

s’y refléta. La puissance solaire était désormais là. Mais il ne se passait rien, toujours rien.

J’étais exaspéré.

« Vous êtes sûr que vous avez bien lu ce qu’il fallait faire, les deux diplodocus ? »

Les deux pangolins étaient penauds. Red et Blak semblaient réfléchir sans se presser.

— Dépêchez-vous ! cria Sicka. En effet, les habits noirs s’approchaient dangereusement du

QG…Crêpovore demeurait calme. Il s’approcha du miroir. De sa voix grave, il dit en

français :

— J’essaierai bien d’appuyer sur ce bouton, juste en dessous, là ! »

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Et aussitôt, il joignit les actes à la parole. Les deux pangolins étaient gênés et dirent en cœur

: « On avait oublié le bouton ! »

La phrase à peine finie, le mécanisme se déclencha aussitôt… Un grand bruit se fit

entendre… Les couloirs et le centre de Souterrennes s’illuminèrent d’une lumière d’un bleu

éblouissant et d’une puissance dévastatrice. Les armées d’humanoïdes des habits noirs

furent immédiatement réduites en cendres… Souterrennes était sauvée. La plupart des

humanoïdes furent détruits en quelques instants. Seulement il en restait encore dans les

salles de Souterrennes. Les survivants étaient paniqués. J’ordonnais aux androgynes encore

présents d’en profiter pour les attaquer… Des flèches s’abattirent alors sur les humanoïdes.

Les androgynes et vampires cachés dans la pierre apparurent soudain et visèrent les

ennemis. Une fois les flèches lancées, ils retournèrent se cacher dans les pierres…

Souterrennes passait à l’offensive. La victoire ne faisait plus aucun doute désormais. Je me

demandais cependant si Lautréamont avait péri. Mais au fond de moi, je n’y croyais

absolument pas. Il était encore vivant.

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CHAPITRE 12. Le comte atroce.

Les derniers habits noirs avaient préféré prendre la fuite. La contrée de l’Ouest se montrait

plus difficile à prendre que prévue pour les habits noirs. Mais les offensives n’avaient pas

été sans laisser de traces.

L’ambiance était mitigée. Souterrennes et Brocéliande avaient certes survécues, mais les

pertes étaient nombreuses, et surtout l’ennemi certes défait, mais nullement éliminé. Si

Brocéliande comptait plus d’une centaine de korrigans d’assassinés, Souterrennes en

comptait autant parmi les vampires et les androgynes. Hors, ce nombre de victimes devenait

extrêmement faibles. Il ne faudrait pas que de tels assauts se reproduisent de sitôt.

La seule solution était évidente. Il fallait annihiler les velléités de Lautréamont. Le Graal

m’aiderait. Je devenais peu à peu maître de mes forces et de mon nouveau pouvoir. Je

buvais beaucoup de Rennessence. Il fallait que je quitte cet état transitoire qui faisait que

j’avais surtout perdu mes pouvoirs de vampire. Désormais, la transformation finissait de

s’opérer. J’étais en train d’être investi d’un pouvoir incommensurable. Seulement, cela

suffirait-il à empêcher Lautréamont de continuer de poursuivre ses obscurs desseins.

Je n’en savais rien, car je pressentais qu’il y avait derrière ces habits noirs et son chef, une

force infiniment plus puissante.

Nous tentions de soigner nos victimes des dernières heures sanglantes. Notre équipe

médicale était débordée. J’eus soudain l’idée que mon pouvoir me permettrait peut-être de

faire des miracles. Et me voilà transformé en curateur quasi divin, en roi thaumaturge. Je

commençais d’abord par un androgyne aux blessures superficielles. Je me concentrais,

passais les mains juste au dessus de son corps, et bientôt il n’y eut nulle trace de

meurtrissures sur son corps, qui peu de temps auparavant paraissait si abîmé. C’est ainsi

que furent guéris la totalité de l’infirmerie de Souterrennes. Les blessés, les êtres proche de

la mort étaient redevenus sain et sauf par la puissance du graal.

Cette nouvelle réussite ne faisait qu’accroître mon impression de puissance, mais

m’épuisait également. Je n’oubliais pas le risque d’hybris qui pouvait en découler. Il en est

de l’homme comme de l’arbre, plus il désire croître plus ses racines s’enfoncent dans le

mal. C’était à peu près la citation de Nietzsche. Je savais qu’elle était sans doute vraie. Mais

j’avais l’impression que Lautréamont avait quant à lui plongé d’abord ses racines dans le

mal pour pouvoir croître.

Sicka qui se tenait à mes cotés me tendit une nouvelle bouteille de Rennessence. Je la bus

avec avidité. J’en avais grandement besoin. Mon corps réclamait cette potion pour pouvoir

tenir. Je ne savais pas quel était le rôle réel de cette ambroisie. N’était-elle qu’un

déclencheur de Graal, ou bien me préservait-elle d’éventuels effets néfastes qui pourraient

résulter du Graal ? Et puis une inquiétude grandissait : celle qu’avait reflété le miroir de

vérité. Ce n’était pas moi que j’y avais vu la dernière fois que je m’y étais miré, mais bien

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Lautréamont. Le comte dont l’étrange ressemblance ne cessait de me troubler. Il était

comme un double qui avait choisi un chemin opposé.

Je visitais l’étendue des dégâts dans les couloirs de la cité. Il y en avait huit principaux :

celui du Dragon, du Serpent, du Taureau, de la Chauve-souris, du Faucon, de l’Araignée,

du Vautour et de la Sangsue. Chaque couloir était délimité au début et à la fin par une statue

représentant un de ces animaux.

Il y faisait encore très chaud. Les murs de pierre avaient résisté à la force du feu. La cité

était donc bel et bien capable de se défendre elle même, ou presque. Les humanoïdes habits

noirs n’étaient plus que poussière. Mais dans cette poussière, il n’y avait nulle trace de

Lautréamont. Où pouvait-il être ? Je ne le sentais pourtant pas trop éloigné. Il était là … Il

m’attendait. L’affrontement aura lieu. Il ne pouvait en être autrement.

Par acquis de conscience, j’ ouvris la porte sud, la porte du Dragon, le mur de pierre se

souleva lentement. Tout paraissait calme à la surface de l’eau. Je sifflai une mélodie.

Quelques secondes se firent entendre, puis émergea de l’eau la tête du dragon blanc-

argenté, Dragard le dragon aquatique de Souterrennes. Dans ses yeux brillaient une

intelligence que je ne saurais expliquer. Il était âgé de plusieurs siècles. Les pangolins

affirmaient l’avoir toujours connu. Je les avais déjà surpris en train de converser dans un

sabir que je ne pouvais comprendre. Visiblement, ils se remémoraient ensemble des temps

immémoriaux, depuis longtemps disparus de la mémoire humaine.

Dragard ne me parlait pas. Mais nos regards nous permettaient de nous comprendre. Il

regarda Sicka, me fit un clin d’œil, puis replongea… La fée était épuisée. Elle n’avait pas

dormi tout comme moi depuis de nombreuses heures. Je décidai qu’une bonne sieste était

bien méritée. D’ailleurs, Crêpovore, lui ne s’en privait pas. Il dormait d’un sommeil

profond, non sans émettre un ronflement charmant pour un dragon. Le dragon écarlate avait

trouvé de la compagnie, puisque dormait à ses côtés les autres dragons de Souterrennes.

L’ambiance était au repos. Souterrennes dormait, éreintée par les derniers événements.

Même les deux pangolins sommeillaient. Mais dorénavant, ils ne se séparaient plus du livre

qui décrivait la cité. Quant à moi je ne dormais que d’un œil, car je savais que l’agitation

allait bientôt reprendre d’ici peu…

Quelques heures s’étaient écoulées, et déjà je pressentais que les hostilités allaient

reprendre. Je me levais de mon lit que je trouvais vraiment trop grand. Il manquait

quelqu’un. J’y aurais bien mis une fée dedans. Après tout, une fée avait bien déjà tenté de

me mettre dans le sien !

Je m’aperçus que les deux écrivains s’étaient éclipsés. Où étaient donc passés ces deux

évadés du temps. Pourvu qu’ils ne commettent pas de bourdes. Enfin, je vis dans le ciel

rennais, le bateau de capitaine Jules Vernes. Il patrouillait en cas de danger. Ce fut

d’ailleurs ce dernier qui signala le péril. Souterrennes fut prévenue qu’une équipe d’habits

noirs erraient dans les rues de Rennes. Visiblement, Lautréamont avait un plan. Mais lequel

? Je décidais qu’il valait mieux aller voir ce qu’il se passait. Et plutôt que de rester terré, je

préférais cette fois-ci passer à l’attaque.

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 64

Et nous voilà repartis, Sicka, et moi. Le soleil était présent. Des habits noirs avaient été

aperçus dans plusieurs quartiers. Que se passait-il ? Nous nous baladions, observions tout

ce qui pouvait paraître suspect, sans penser qu’on pouvait l’être nous même du fait de nos

accoutrements. La fée avait repris sa tenue citadine, arborant un piercing au nombril.

Un étrange rassemblement d’hommes en noir avait été signalé au delà du pont de Nantes.

Nous primes l’initiative de remonter la rue pour voir ce dont il en était. Il était près de 21h,

le soleil de juillet brillait encore bien qu’il commençait à décliner. Tout en haut de la rue, se

trouvaient des individus vêtus de chemises noires et de casquettes de la même couleur.

Nous avancions vers eux… Soudain, surgit d’on ne sait où, d’autres habits noirs, avec des

rollers. Toutes leur tenue étaient noires comme la nuit qui n’allait pas tarder à tomber. Ils

foncèrent sur nous. Nous fumes surpris, d’autant plus que ces derniers nous tiraient dessus.

Instinctivement, sans réfléchir, nous fîmes demi-tour. Sicka me cria alors : « vite les

grollers ! »

La fée actionna le mécanisme, et ses chaussures se transformèrent en rollers, et elle fila à

toute allure. Je cherchais le petit émetteur qui déclenchait la transformation. Après quelques

secondes de recherches, je trouvais enfin le précieux bouton rouge que j’actionnais aussitôt.

Et me voilà parti pour une descente à toute vitesse. Sicka me distançait largement tandis

que les habits noirs me talonnait et se rapprochaient de plus en plus. Leurs tirs étaient fort

heureusement inutiles car le Graal me rendait invulnérable.

Une fois le pont de Nantes franchi, les habits noirs cessèrent de tirer voyant que cela ne

servait plus à rien. Je slalomais entre les voitures tant bien que mal et je ne sais trop

pourquoi, voyant tout ce monde qui me dépassait et Sicka qui s’éloignait, j’eus l’idée

d’appuyer encore sur le bouton rouge. Quelle vitesse je pris alors ! Un moteur venait de se

mettre en marche, et je fus bientôt en mesure de rattraper Sicka… Le problème c’était que

c’est difficile d’en contrôler la célérité et surtout de stopper le mécanisme. Les habits noirs

étaient distancés, et j’avais même dépassé Sicka, seulement, je ne parvenais plus à

m’arrêter !… Je pensais en moi que les deux « géo-trouvetout » devaient se régaler du

spectacle et ceci depuis le début ! J’avais complètement oublié le micro-caméra placée dans

un bouton de mes vêtements. Ah, ils en avaient vu du spectacle. De la vraie téléréalité ! Et

tout cela allait se terminer, je ne savais trop comment…. Enfin, si ! Je m’écrasais

lamentablement contre le mur de la mairie, juste à côté du commissariat de police. Ce fut la

pire chute de mon existence. Mes vêtements n’y résistèrent pas, ni les fameux grollers,

d’ailleurs. Ils volèrent dans les airs en faisant des étincelles. Mes mains étaient écorchées, et

mes membres souffraient. Sicka arriva derrière moi et me vit dans un piteux état. Je tentais

de me relever quand un rire moqueur se fit entendre. Un rire inhumain, sans compassion.

Lautréamont, le conte des ténèbres admirait le spectacle qui l’amusait beaucoup.

« Non vraiment, vous faites un piètre porteur du Graal. Vous êtes décidément grotesque. »

La fée semblait plus ulcérée que moi. Elle me lança aussitôt une bouteille de rennessence.

Je bus d’un trait l’élixir paternel de Merlin. Mes douleurs et mes blessures ne furent plus

que souvenir. Mes forces réapparurent. Les habits noirs se tenaient derrière nous. Ils

attendaient et observaient…

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Rennessence. TR. 2000-2010. Sous licence CC Page 65

La lutte allait avoir lieu bientôt. Ce n’était désormais qu’une question de temps.

Lautréamont était entouré par son commando d’habits noirs en rollers. Il remontait la place

de la mairie et m’invitait à le suivre :

« Ainsi donc, tu es sorti de Souterrennes. Tu as pris un risque. Tu es venu où je le désirais.

Tu fais vraiment tout ce que je veux ! Allez, mon cher, combattons à armes égales au

parlement. Ce sera un beau lieu pour un duel ! »

Je ne répondis rien. Désormais, il était impossible de reculer. Nous avancions vers le

parlement de Bretagne pour l’heure de vérité… Malgré la gravité du moment ?, un détail

me fit sourire. Toute l’installation de Dédale et de son fils était désormais hors d’usage, ils

allaient donc rater l’épisode final, à moins qu’ils ne décident de se déplacer….

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CHAPITRE 13. A Saint Germain

« Ca y est, on s’est paumé, Paul !

— Mais non, Gaston. Vous voyez bien qu’on est dans une église.

— Pas mal le vitrail. Enfin, elle est un peu bizarre cette église.

— C’est l’église Saint Germain, Gaston.

— Mais bien sûr ! Je connais bien la grande verrière sud ! Elle rassemble depuis 1860, en

24 panneaux les restes des vitraux garnissant au XVIème siècle les différentes verrières de

l’église. Issus des ateliers rennais, ils mélangent les récits historiques et légendaires.

— Bravo, Gaston, répondit Paul impressionné par tant de culture. »

Mais Paul détourna son regard auparavant fixé au vitrail et put constater que le sieur Leroux

se contentait de lire un descriptif. Leroux essaya tant bien que mal de cacher les papiers

derrière son dos. Mais Paul l’avait vu.

« Vous n’êtes qu’un incorrigible farceur ! Je n’en connais pas de pire que vous. » Une voix

venue d’on ne sait où leur répondit.

— Si, moi, j’en connais un. Moi même!

Paul et Gaston regardèrent qui leur faisait face. Il s’agissait d’un individu élégamment vêtu.

— Vous ne me reconnaissez point ? Je suis pourtant bien connu de vos aînés, mes chers. Je

suis chez moi ici, c’est l’église de….

– Saint Germain, répondit Paul. »

Gaston donna un coup de coude à Paul. Il lui chuchota à l’oreille.

« Je crois que c’est le conte de Saint Germain ». Cependant ce dernier avait l’ouie fine

malgré les siècles passés.

« Exact mon cher Gaston. Je suis bien le conte de Saint Germain. Celui qui traverse les

époques sans que celles-là ne le traversent.

Et il partit d’un rire sonore dont la résonance réveilla une petite grand-mère endormie sur

un banc.

— Sinon, vous deux ça va ? Vous avez l’air en pleine forme pour des morts !

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— Et alors, répondit Gaston. Ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on n’a pas le droit de

vivre !

Paul ne répondait rien. Il demeurait inquiet.

— Voyons, M. Féval. Décontractez-vous ! Vous n’avez rien à craindre ici. Il n’y a que des

morts ! Et s’il y a parfois des vivants, ils ressemblent plus à des morts que vous !

— Et vous, êtes-vous mort ?, monsieur le conte, demanda Paul soudain curieux.

— Figurez-vous que je ne sais pas. J’ignore la date de ma mort… Bon, allez, on s’ennuie

ici, on se fait un petit Tarot ? »

Et voilà nos trois individus attablés sur l’autel pour une partie de carte…. quelque peu

endiablée. Paul parut quelque peu gêné mais céda à la tentation. Au bout d’un quart

d’heure, une porte craqua. Des pas se firent entendre.

« Ca doit être une vieille bigote, on continue, on s’en fout ! dit Gaston.

Le conte se leva et répondit :

— Elle est bien jeune, votre bigote. Vite. Cachons-nous !

— Mais elle ne peut pas nous voir, protesta Paul.

— Vous peut-être. Mais, moi je ne suis pas totalement invisible. Et puis, la femme qui

arrive n’est pas vraiment issue du commun des mortels.

— Tu parles. C’est pénible. J’avais envie de faire une partie de ping-pong sur l’autel avec

Paulo, moi ! »

Ils observèrent la femme. Elle était grande et élancée, très bien faite. Elle aurait mérité de

figurer dans l’élite des top-models. Entièrement vêtue de noire.

« Ouah, le canon, ne put s’empêcher de dire Gaston. Regarde Paulo ! Ca te donne pas envie

d’avoir des année de moins ?

— En parlant de canon, il tire des boulets mortels celui-là. Voici, l’agent spécial du Vatican

chargé de récupérer tout ce qui pourrait nuire à la pérennité de l’Eglise, murmura Saint-

Germain.

— Quel veinard, le Jean-Paul ! Ca donne envie d’être pape. Moi, je lui donne ma

bénédiction de suite à cette nana ! Une dame en noir, voilà ce dont j’ai toujours rêvé !

ajouta Gaston intenable.

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— Calmez-vous, Gaston. Elle nous a repéré. Il va falloir nous soustraire à sa vue. Surtout

qu’elle n’est pas seule. Elle est accompagnée des habits noirs. Et pas n’importe lesquels.

L’élite de cette organisation l’accompagne. »

Paul dit alors :

« Je crois qu’il vaut mieux qu’on s’éclipse Gaston. Au revoir, monsieur le conte ;

— A bientôt, j’espère. L’aventure continue. »

Sur ces paroles, les deux écrivains disparurent.

Dieu seul sait (s’il existe ou s’il ne roupille pas, ce qu’il est advenu du comte). Quelques

instants plus tard, Paul et Gaston se retrouvèrent de nouveau dans les magasins de la

bibliothèque municipale. Paul et Gaston se regardèrent. Ils ne purent s’empêcher de sourire.

Sans même se concerter, une nouvelle fois ils étaient réapparus au même endroit.

« J’espère qu’ils ne vont pas retrouver notre trace trop vite, soupira Paul.

— Ils vont bien finir par nous laisser tranquille. C’est le Graal qu’ils veulent.

— Lautréamont veut le Graal. D’autres personnes qui ont des liens avec l’organisation

maléfique sont en quête d’information et qu’ils sont prêts à tout pour en obtenir. Nous

sommes donc des cibles idéales. Il faut avouer que nous en savons beaucoup.

— Ca c’est bien vrai, dit une nouvelle voix. Un homme fin avec une belle moustache

blanche venait de s’exprimer.

— Maurice, sacré farceur. Tu n’arrêtes pas de nous faire des surprises. Que fais-tu là ?

demanda Gaston, goguenard.

— Et bien, mon cher, mais je lis ! Je me tiens au courant de ce qui s’écrit actuellement.

Des bruits de pas se firent entendre…

— Ah, on a de la visite ! »

En effet, les habits noirs arrivèrent avec la splendide femme qui avait interrompu leur

discussion avec le conte de Saint Germain. Gaston, visiblement énervé, saisit un ouvrage au

hasard et le balança sur les habits noirs. Paul et Maurice trouvèrent l’idée bonne et se

mirent à en faire autant. Cette réaction surprit les habits noirs qui essayèrent tant bien que

mal d’éviter les projectiles livresques. Paul s’empara soudain d’un gros livre, gros par

l’aspect mais vide par le contenu. Il le jeta avec une telle violence sur la jolie femme qu’elle

en fut assommée. Elle tomba instantanément par terre et gisait désormais à côté du livre. Il

s’agissait d’un « ouvrage » de Danielle Steel. La pauvre ne risquait pas de s’en remettre.

Des milliers de lectrices en étaient déjà abruties à tout jamais.

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Nos trois écrivains en profitèrent pour disparaître tous trois à bord du bateau volant du

capitaine Jules Verne. Gaston et Maurice était hilare !

« Vraiment Paul tu sais y faire avec les dames. Tu as la méthode pour les faire tomber. »

Jules Verne esquissa un sourire, mais ses propos mirent fin à l’hilarité :

— Je crains que tout cela ne soit pas terminé. Les habits noirs demeurent et cherchent à se

venger. L’heure est grave, Lautréamont vient de défier en duel le prince des vampires.

L’affrontement se déroulera au Parlement. »

L’ambiance devint sérieuse. L’acte final se préparait, et le vaisseau de l’équipage mystère

se dirigeait vers le Parlement pour assister au combat fatidique.

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CHAPITRE 14. Je suis d’ailleurs.

J’arrive à la fin de cet ouvrage qui marque la fin de cette histoire. Seule une douce musique

onirique parvient encore à apaiser les craintes et l’effroi qui me reviennent chaque fois que

je dois revivre en souvenir cet événement. Ai-je rêvé ? Je ne saurais le dire, mais ce que j’ai

vu tiens bien plus du cauchemar que du rêve. Les civilisations sont certes mortelles, mais je

crois qu’il en existe de très anciennes et qui ne sont qu’en repos. Lautréamont n’est qu’un

représentant de ces froids abîmes, de cette alternative de cette autre rive, de ce soleil qui fait

de l’obscurité une source de luminescence inconcevable, indicible.

L’horreur que je vis n’est pas sans me rappeler cette pierre qui se trouve non loin du Golfe

du Morbihan, près de l’endroit où se dressent le plus haut des menhirs. Je crois que c’est le

Graal qui m’a permis d’éviter la folie, de même que c’est ce que j’ai vu qui me permet

d’éviter l’hybris dans laquelle pourrait m’entraîner le Graal. Je vis dans un équilibre qui me

dépasse, cet équilibre qui fait que les mystères de Rennes sont des mystères universels, que

la vie est mortelle et que la mort néanmoins est vivante. J’affrontais cet ennemi intime,

serais-je tenté de dire au sein du Parlement de Bretagne.

L’édifice était devenu un palais de justice. Et c’est bien sous cet aspect, qu’allait avoir lieu

notre combat. Les arme allaient parlementer, le coup fatal trancherait. Ce fut un combat

loyal. Un duel tel qu’aimait le pratiquer les nobles, un duel à l’épée.

La belle Sicka était anxieuse. Je l’étais bien moins. Une terrible sérénité s’était emparée de

moi. Les habits noirs qui entraînaient Lautréamont demeuraient également inquiets. L’élite

des habits noirs entouraient le conte des ténèbres, tandis que je n’avais que Sicka pour seul

témoin, mais je savais que dans le ciel et dans mon cœur il y e avait bien d’autres . Je

trouvais que Lautréamont perdait en confiance, son visage paraissait absorbé par une

méchanceté et une cruauté indescriptible. Je ne savais trop ce qu’il devenait de son esprit.

Mais je comprends maintenant que l’abomination d’en dessous le hantait complètement et

qu’il n’était plus du tout maître de lui.

Il jeta sa cape qui tomba infiniment sans qu’on n’entende la bruit de la chute. Malgré mes

vêtements déchirés, je trouvais que ma prestance était plus grande que la sienne, lui dont la

mise était parfaite. Nous étions pourtant si proches, comme un seul être dans un même

miroir. Mais, lui paraissait avoir accumulé toutes les maux et les vices d’un seul coup. Je le

trouvais bizarrement vieilli. Je le regardais presque avec pitié, il était comme une version

ratée de moi-même. Son visage s’enlaidissait par sa méchanceté qu’il ne contrôlait plus.

Le combat ne tarda pas à commencer. Le soleil déclinait, le bateau de Jules Vernes

demeurait dans le ciel comme une arche de Noé prête à sauver de ce qui pourrait bien rester

d’une civilisation si elle venait à disparaître.

Lautréamont ne tenait plus en place. Le duel s’engagea. Il se ruait sur moi, je me contentais

de parer ses assauts assassins sans sourciller. Il ne cessait de revenir à la charge, et à chaque

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fois, il en allait de même : son fer se heurtait au mien. Plus le combat avançait, plus son

visage n’était que haine, et plus je demeurais impassible, impavide même. Lautréamont

perdait de sa contenance et de son élégance. Il ne disait plus rien et seul le bruit de mes pas

et de nos épées résonnaient.

Les minutes s’écoulaient et ma puissance grandissait. Pas une fois, je n’avais tenté de

toucher mon adversaire. J’étais trop serein, trop puissant pour porter pareil coup à un

pauvre mortel. Le comte des Ténèbres était ridicule, sa défaite était annoncée…

Il dut s’en rendre compte car il s’arrêta bientôt de férir, tremblant, comme inquiet. Il

murmurait… Il était perdu. Je crois qu’il aurait bien voulu retourner dans le paradis de

Brocéliande, faire marche arrière… Pendant ce temps je ne faisais rien. J’attendais. La

patience est la vertu de ceux qui ont tout le temps.

Lautréamont baissa les yeux, chercha en vain une force émanant des enfers. Alors, il se

tourna vers les derniers rayons du soleil. Bientôt, nous en fîmes tous autant pour admirer la

beauté de cet astre qui nous donnait la vie. Lautréamont me regarda, sembla reprendre un

peu de vie, me sourit presque… Soudain, une convulsion nerveuse le saisit, de la bile noire

sortit de sa bouche… Puis un rayon éblouissant obligea les spectateurs du duel à se cacher

les yeux avec leurs mains. Quand ils purent de nouveau voir, celui qui fut le comte des

ténèbres avait disparu… Moi, pourtant mes yeux n’avaient pas faibli. Lautréamont avait été

happé par cet autre monde qu’il vénérait tant. J’avais vu l’horreur qui subjuguait tant

Lautréamont. Cette abomination dont il était le jouet et qui avait choisi de le reprendre. On

ne trouva jamais son cadavre. L’autre coté du miroir s’était brusquement refermé.

Le reste des habits noirs ne demeura pas longtemps surpris. Ils dégainèrent leurs armes pour

faire feu sur moi et Sicka. Si les balles n’avaient aucun effet sur moi, Sicka n’évita les

balles que grâce à l’intervention de Paul et Gaston, sortis d’on ne sait où, et qui plongèrent

sur la Fée pour lui éviter les balles meurtrières.

Les habits noirs durent prendre la fuite car ils étaient à leurs tour mitraillés du ciel par un

étrange véhicule volant. Un personnage bizarre volait au dessus de la cour intérieure du

parlement et tirait sur ce qui constituait l’élite des habits noirs. Cet individu n’était autre

que le fils de Dédale. Il pédalait sur sa machine volante qui actionnait deux ailes géantes. Je

me demandais encore comment un tel engin pouvait voler. Les habits noirs fuirent alors à

toute vitesse. Voyant cela, Didier, visiblement épuisé, cessa brusquement de pédaler et vint

s’échouer lamentablement avec sa machine volante… Malgré tout je ne pus m’empêcher de

rire. Un rire qui me fit du bien car je venais de retrouver ma lucidité qui malgré tout m’avait

quelque peu abandonnée.

Sicka vint se réfugier dans mes bras. Cela me fit bien plus de bien que n’importe quel

Graal, ou bouteille de rennessence et c’était bien là l’essentiel. Sicka était désormais la

seule à m’éviter d’être attiré par les abîmes qui avaient aspiré Lautréamont. L’amour était

mon remède, comme l’était celui de Merlin et de Viviane. Malgré tout, que devais-je penser

de cette victoire si ce n’était qu’elle n’était qu’une forme de défaite. Le bien l’emportait sur

le mal par la violence, instrument préféré du mal. Nous avions dû combattre pour survivre.

C’est dire qu’il y avait bien pire que la violence, c’était le laisser-faire, cette passivité face à

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l’oppression. Le mal n’était pas vaincu. Il était tenu prisonnier, tel le diable enchaîné, tel

Asmodée écrasé, tel ce dragon sous le pied de Saint Michel, le mal tenu immobile. Mais par

une ironie insoutenable, il était quand même triomphant car c’était la violence qui avait eu

raison du mal… N’était-ce pas plutôt dès lors une ruse de ce dernier ? J’étais pour ma part

satisfait de n’avoir à aucun moment chercher à frapper Lautréamont. J’avais su résister,

c’était le Graal qui m’avait donné cette force… Sans quoi qui sait si mon âme ne serait pas

déjà damnée par les puissances chtoniennes entraînant avec moi la terre entière…

J’avais su résister. Mais parfois, dans mes cauchemars me reviennent les vertiges de ce

passé qui est quelque part différent du notre mais qui m’interpelle sans cesse. Alors, je me

demande si je ne vais pas faire comme Merlin et Viviane, partir dans un autre univers avec

Sicka…Partir créer notre paradis où nous serions à l’abri des tentations pour l’éternité…

Quoiqu’il advienne, rien ne changera totalement les faits dorénavant pas même mes

transformations si ce n’est qu’ à chaque instant que je vis, je ne suis persuadé que d’une

seule chose : je suis d’ailleurs

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EPILOGUE

La paix était revenue sur la contrée de l’Ouest. Lautréamont avait chu et disparu. La

catastrophe avait été évitée de peu. Mais aucune victoire n’est jamais définitive. D’autres

chercheraient à nouveau à nous nuire ou tenteraient de percer nos secrets. Ils chercheraient

par la violence à voler chez les autres ce qu’ils n’ont pas su trouver chez eux. Ils ignorent

que l’autre n’est qu’une source de richesse dans l’échange et non dans le vol. Il n’y avait

plus de traces des habits noirs dans les parages. Pour combien de temps ? Ils reviendront,

c’est évident.

Paul et Gaston avaient rejoint l’équipage mystère et Jules Verne en nous promettant de

revenir en cas de problème. Pour cela, je leur faisais confiance. Dédale et son fils

bricolaient je ne sais quelle invention incroyable qui demeurait encore secrète.

Les korrigans composaient de nouvelles rondes, et les fées inventaient de nouveaux sorts.

A Souterrennes, les vampires buvaient les dernières cuvées sanguines de nos laboratoires et

les gynandres composaient les futur tubes techno.

Merlin et Viviane continuaient de s’aimer. Les dragons dormaient d’un sommeil bien

mérité, non sans s’être bien repu de crêpes et de galettes.

Et moi ? Moi, j’écrivais « Rennessence », non sans avoir trinqué avec ma fée Sicka à la

santé de tous. Ainsi qu’à la vôtre, cher lecteur. Mais vous ne saurez jamais quel est le goût

de la « rennessence »…..

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Table des matières.

Sommaire

Prologue : ......................................................................................................................................... 2 Chapitre 1. Perte de rennes ............................................................................................................... 3

CHAPITRE 2. Dans la bibliothèque. ............................................................................................. 11 CHAPITRE 3. Souterrennes .......................................................................................................... 19 CHAPITRE 4. L’attaque. ............................................................................................................... 25 CHAPITRE 5. Sereine Souterrennes.............................................................................................. 29

CHAPITRE 6. Vers Brocéliande. .................................................................................................. 34 CHAPITRE 7. Les effets des fées. ................................................................................................. 38

CHAPITRE 8. Brocéliande en noir ................................................................................................ 43 CHAPITRE 9 : Le Graal ................................................................................................................ 47 CHAPITRE 10 : le comte à rebours. .............................................................................................. 51

CHAPITRE 11 : Souterrennes s’illumine. ..................................................................................... 56 CHAPITRE 12. Le comte atroce. ................................................................................................... 62

CHAPITRE 13. A Saint Germain .................................................................................................. 66 CHAPITRE 14. Je suis d’ailleurs. .................................................................................................. 70

EPILOGUE .................................................................................................................................... 73 Table des matières. ......................................................................................................................... 74

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