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Renforcer les capacités des leaders religieux pour promouvoir l’abandon des mutilations génitales féminines en Mauritanie Capitalisation des expériences Rapport pour le projet suprarégional « Abandon des mutilations génitales féminines », GIZ, Eschborn Realisé par:

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Renforcer les capacités des leaders religieux pour promouvoir l’abandon des mutilations génitales féminines en Mauritanie

Capitalisation des expériencesRapport pour le projet suprarégional « Abandon des mutilations génitales féminines », GIZ, Eschborn

Realisé par:

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Abréviations

FLM Fédération Luthérienne Mondiale

FNUAP Fond des Nations Unies pour la population

FPIDC Forum de la Pensée Islamique et du Dialogue des Cultures

GIZ Agence Internationale de la Coopération Allemande (Gesellschaft fuer Internationale

Zusammenarbeit (GIZ) GmbH

MAIEO Ministère des Affaires Islamiques et de l’Enseignement Originel

MASEF Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille

MGF Mutilations Génitales Féminines

PBG Programme Bonne Gouvernance

UNFPA United Nations Fund for Population / Fonds des Nations Unies pour la population

UNICEF United Nations Children's Fund

VIH/SIDA Virus de l’immunodéficience humaine / Syndrome immunodéficitaire acquis

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Contenu1. Introduction 3

2. Le contexte 4

L’Islam en Mauritanie 4

Les MGF en Mauritanie 5

3. Le processus 6

4. Les résultats 9

Les outils et leur utilisation 9

Les compétences acquises 10

La diffusion du message 11

L’impact et la contribution au changement de comportement 12

5. Les leçons apprises 13

Les éléments clés et les facteurs de réussite 13

Les défis et risques 14

Conclusion 15

6. Sources d’information et bibliographie 16

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Le projet suprarégional de la GIZ « Abandon des

mutilations génitales féminines (MGF) » mène depuis 1999

des actions de promotion d’abandon des MGF dans

plusieurs pays de l’Afrique. Le projet se termine en 2014.

L’objectif de sa phase actuelle est le renforcement des

capacités des acteurs de l’Etat et de la société civile à

promouvoir l’abandon des MGF. Un axe essentiel de la

dernière phase est de développer, capitaliser et diffuser les

approches couronnées de succès auprès des acteurs

impliqués, au sein de la coopération allemande et dans les

réseaux régionaux et internationaux.

Depuis 2005 le Programme Bonne Gouvernance (PBG) de

la GIZ soutient le gouvernement mauritanien ainsi que la

société civile pour promouvoir l’approche genre et les

droits de la femme. Le projet suprarégional a choisi d’agir

au sein de la composante genre du PBG et d’utiliser ses

structures pour promouvoir l’abandon des MGF en

Mauritanie. Le projet suprarégional a donc appuyé le PBG

et ses partenaires au niveau national et dans les deux

régions du Hodh El-Gharbi et du Guidimakha, où

l’excision est encore très fréquemment pratiquée. L’Islam

et ses représentants jouent un rôle primordial dans la

société mauritanienne et par là même dans toute optique

de développement. Ainsi, une des approches principales a

été la coopération avec les leaders religieux et le renforce-

ment de leurs capacités à promouvoir l’abandon des MGF.

Ce document présente les résultats de la capitalisation des

expériences faites par les acteurs impliqués dans cette

approche. Pour la GIZ il s’agit donc, au-delà de la promo-

tion de l’abandon des MGF, de documenter comment un

partenariat fructueux a pu se développer avec les leaders

religieux, qui sont une composante essentielle de la société

civile mauritanienne. Quels sont les facteurs clés à prendre

en considération dans le dialogue et la coopération ? Quels

sont les défis à prendre en considération ? Comment

a-t-on renforcé les capacités de ces acteurs, pour

qu’eux-mêmes puissent initier et appuyer une dynamique

positive de changement dans leur société.

Pour les leaders religieux il s’agit de documenter le

processus qui les a amené à promouvoir l’abandon de

pratiques préjudiciables à la femme et à l’enfant et par

là-même à contribuer au développement de leur société.

Quel rôle ont-ils joué ? Comment ont-ils pu s’impliquer ?

Quelles réticences ont-ils surmonté? Quels outils les ont

aidés ? Quelles compétences ont-ils acquises ?

Cette capitalisation est principalement basée sur une

mission conduite par une consultante internationale et un

consultant national en Janvier 2013. Les objectifs de cette

mission étaient de faciliter une analyse commune des

expériences des acteurs et de

• Reconstituerleprocessusetlesétapesmajeuresde

l’approche

• Analyserlessuccèsetlesdéfisrencontrés

• Réfléchirsurlescompétencesacquisesetles

changements intervenus par l’approche

• Faireressortirlesleçonsapprises

• Permettreuneplusgrandediffusiondel’approche.

Un atelier de capitalisation eut lieu avec 19 participants,

pour la plupart des leaders religieux venus de Nouakchott

et des régions du Hodh El-Gharbi, Guidimakha, de

l’Assaba, du Gorgol et de Trarza. Cet atelier fut complété

par des discussions en groupe par région ainsi que par des

interviews individuelles. Des entretiens ont aussi étés

conduits avec les représentants de la GIZ, du Ministère des

Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF), du

Ministère des Affaires Islamiques et de l’Enseignement

Originel (MAIEO), d’organisations de la société civile et

d’autres partenaires techniques et financiers (UNICEF,

UNFPA, FLM). Un atelier de restitution eut lieu à la fin de

la mission. La mission a été complétée par une analyse des

produits de l’approche ainsi que d’autres documents sur la

promotion de l’abandon des MGF en Mauritanie.

1. Introduction

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LaMauritanieestuneRépubliqueIslamique.Selonsa

constitution, l’Islam est religion d’Etat. Toute réforme

sociale et juridique se doit d’être légitimée par l’Islam, c’est

à dire de recevoir l’appui des leaders religieux et

institutions islamiques. L’Islam joue un rôle très important

dans la vie quotidienne des femmes et hommes maurita-

niens. Les leaders religieux sont reconnus dans leur

communauté comme référence religieuse et sociale. La

majorité des Mauritaniens sont musulmans sunnites de

rite malékite. Toutefois, l’Islam, tel qu’il est vécu en

Mauritanie,estaussiinfluencéparleshiérarchiessociales,

l’appartenance ethnique ainsi que les coutumes et

traditions locales.

Le terme leader religieux recouvre les acteurs suivants:

• Lesoulémas,éruditsenthéologieetendroitislamique,

quideparlaformationqu’ilsontreçuepeuvent

interpréter le Coran et les hadiths (paroles du Prophète).

• Lescheikhsquidirigentuneécoled’enseignement

religieux traditionnel (mahadra). Il existe plusieurs

milliers de mahadra en Mauritanie, allant de petites

écoles coraniques dans les villages aux grandes écoles de

théologie et droit islamique.

• Lescheikhsdesconfrériessoufiesquiguidentleurs

disciples dans leur cheminement spirituel. En Mauritanie

il existe plusieurs confréries soufies, dont les plus

importantes sont celle des Qadiriya et celle des Tijaniya.

• Lesimams,quiprononcentlaprièreduvendredi.

Beaucoup d’imams de quartier et de village jouent un rôle

socialimportant,mêmes’ilsn’ontpasforcémentreçu

une formation théologique. Dans certaines régions de

Mauritanie, l’on deveint imam non par formation mais

par descendance.

En Mauritanie il n’existe donc pas une autorité religieuse

reconnue par tous les musulmans, mais plusieurs

références. Les thèmes clefs de développement tels que les

droits de la femme et de l’enfant, la protection de

l’environnement ou la lutte contre la pauvreté sont donc

toujours sujets à des débats entre les acteurs religieux.

En simplifiant, l’on constate au sein de l’Islam mauritanien

les tendances suivantes vis-à-vis du débat sur le

développement et le progrès social :

• Uncourantréformateur,pourquil’Islamestporteurde

modernité. Ce courant prône une interprétation des

sources religieuses et du droit islamique adaptée aux

réalités contemporaines.

• Uncourantconservateur,quisedéclaregardiendes

traditions et n’est pas, de prime abord, ouvert à remettre

en question certaines pratiques ou convictions ancrées

depuis des générations dans la société mauritanienne.

• Uncourantintégriste,quiaprisdel’ampleurpendantles

deux dernières décennies. Ce courant s’inspire du rite

wahhabite pratiqué en Arabie Saoudite, qui finance

d’ailleurs un nombre important de mosquées et de

mahadras en Mauritanie. Bien que ce courant ne soit de

loin pas hostile à tous les aspects relevant de la moder-

nité, il associe souvent dans ses discours les projets de

réformesocialeàuneinfluencenéfasteetcolonisatricede

l’Occident. Les courants extrémistes tels que « Al-Qaïda

2. Le contexteL’Islam en Mauritanie

« Chez nous, ce que dit l’imam est très écouté par la

communauté. Mais la hiérarchie sociale est aussi très

importante. Pour être imam il faut souvent appartenir

à une certaine famille. »

Discussion en Groupe / Guidhimaka

« L’imam est une référence sociale. Il rencontre tous

les membres de la société, soit au foyer, à la mosquée,

au marché ou à toute autre occasion. Les populations

toutes catégories confondues s’adressent aux imams. »

Discussion en groupe /

Régions du Centre de la Mauritanie

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au Maghreb Islamique », prônant la violence, n’ont pas

encore pu prendre racine dans la société civile. Une des

stratégies de l’Etat est de miser sur les oulémas et imams

comme porteurs d’idées pour la tolérance et contre le

terrorisme.

La coopération allemande (GIZ) en Mauritanie a une

longue tradition de dialogue et de partenariat avec les

leaders religieux de tendance réformatrice. Dans divers

secteurs tels que la protection de l’environnement ou la

santé ces leaders religieux ont participé à l’élaboration de

nouvelles lois (le code pastoral adopté en 2000) ou à des

activités de sensibilisation sur le VIH et le Sida. Bien que

plusieurs projets de développement aient coopéré au

niveau régional et local avec des leaders religieux, un défi

s’est toujours posé. Comment convaincre la majorité des

imams et oulémas de tendance conservatrice de s’engager

pour promouvoir des réformes dans leur communauté et

société?

Les MGF en Mauritanie

Les MGF, soit l’ablation totale ou partielle des organes

génitaux externes féminins, sont encore couramment

pratiquées en Mauritanie. Trois quarts des femmes âgées

de 15 à 49 ans ont été excisées. C’est dans le Sud et le Sud

Est du pays que les MGF sont le plus fréquemment

pratiquées, sur des petites filles âgées de 0 à 5 ans. Les

exciseuses sont souvent des femmes âgées qui se servent

de ciseaux, de lames de rasoir ou d’éclats de verre. Les MGF

font partie des pratiques traditionnelles néfastes qui

constituent une violation des droits de l’enfant et de la

femme. Elles ont de graves conséquences sur leur santé

physique et psychique.

L’excision est une coutume très ancienne, d’origine

préislamique. Le Coran ne contient aucun texte faisant

référence à cette pratique. Il existe quelques hadiths

mentionnant que l’excision est un acte recommandable,

cependant leur authenticité est contestée. Aucun texte

religieux ne certifie le caractère obligatoire de la pratique.

Pourtant, la religion et la conformité aux normes sociales

sont les arguments les plus fréquemment avancés par les

femmes et les hommes mauritaniens pour justifier la

pratique. Beaucoup de mauritaniens, y compris les leaders

religieux, sont persuadés que l’excision est une obligation

religieuse.

Comme la religion se lie ainsi au conformisme social pour

maintenir une pratique ancrée depuis des générations, il

est donc primordial de convaincre les leaders religieux,

pour qu’à leur tour ils puissent sensibiliser leur

communauté sur les MGF, sur le fait qu’elles ne sont pas

prescrites par l’Islam et l’appeler à abandonner cette

pratique traditionnelle néfaste.

Les femmes mauritaniennes profitent de l’engagement des leaders religieux contre les MGF

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3. Le processusLe gouvernement mauritanien a promulgué en 2001 un

code du statut personnel, qui améliore le statut des

femmes dans le mariage, le divorce, la garde des enfants et

l’héritage. En 2005, un code de protection pénale des

enfants fut adopté. Celui-ci interdit « le fait de porter

atteinte ou de tenter de porter atteinte à l’organe génital

d’un enfant de sexe féminin par infibulation, insensibili­

sation ou par tout autre moyen (…) lorsqu’il en a résulté un

préjudice pour celui­ci. (Article 12) » Cette même année un

system de quotas fut introduit qui permit aux femmes

mauritaniennes lors des élections législatives d’occuper

30 % des sièges au sein des collectivités territoriales locales

et 18 % à l’Assemblée Nationale. Ces réformes ont été

accompagnées par plusieurs campagnes de sensibilisation,

que la GIZ, ainsi que d’autres partenaires techniques et

financiers, ont soutenues.

Dès 2005 le PBG a inclus les leaders religieux dans le cadre

de campagnes de sensibilisation sur la participation

politique et les droits civils de la femme. La coopération

entre ces leaders religieux et la GIZ était déjà marquée par

un respect mutuel. Le dialogue sur les MGF s’est donc

greffé aux autres activités promues par la composante

genre du PBG. A cette époque quelques oulémas s’étaient

déjà prononcés en public contre l’excision. Néanmoins,

même dans le courant réformiste, beaucoup étaient

encore réticents à aborder ce sujet en public.

Le Forum de la Pensée Islamique et du Dialogue des

Cultures (FPIDC) a été créé en 2005 par un petit groupe

d’Oulémas de tendance réformiste. Son président est le

cheikh Hamden Ould Tah, qui depuis plus d’une vingtaine

d’années a coopéré dans plusieurs domaines avec la GIZ.

L’objectif du FPIDC est d’ouvrir un débat sur les questions

contemporaines au sein de l’Islam mauritanien ainsi

qu’un dialogue entre l’Islam et les autres religions et

civilisations.Aprèsréflexionetunecommunication

continue avec la GIZ, le Cheikh Ould Zein, secrétaire

général du FPIDC, accepta de s’engager à promouvoir

l’abandon des MGF.

En 2007, le FPIDC, appuyé par la GIZ, organisa un premier

colloque national sur les pratiques préjudiciables à la

femme, le rôle de la tradition et la position de l’Islam,

auquel plusieurs oulémas et imams de la capitale et des

régions de Mauritanie ont participé. Ce colloque visait à

encouragerlesparticipantsàréfléchirsurl’excision,ses

fondements religieux et sociaux ainsi qu’à ses

conséquences néfastes pour la santé. Il fut l’ouverture d’un

débat entre les leaders religieux eux-mêmes sur le

bien-fondé et la légitimation religieuse de la pratique.

« J’avais coopéré avec la GIZ lors de la campagne de sensibilisation sur les droits civils de la femme.

Mais, lorsque la conseillère nationale de la GIZ m’a demandé d’aborder le sujet des MGF, j’ai refusé.

Je ne voulais pas en entendre parler. Je pensais que les MGF étaient un problème pour les occiden-

taux, mais par pour nous. Elle m’a demandé de réfléchir à la question. Je suis rentré à la maison,

j’ai demandé à ma femme ce qu’elle en pensait. Elle m’a répondu qu’une de mes filles a failli mourir

après avoir été excisée. Sur ce, j’ai étudié la question et me suis penché sur les textes religieux. L’Islam

n’est pas hostile au changement. J’ai écouté et analysé les arguments d’autres experts. J’ai révisé mes

convictions. J’ai accepté d’organiser un colloque sur les pratiques préjudiciables à la femme. Parler

en public de l’excision en tant qu’homme est difficile. C’est un tabou que j’ai pu franchir peu à peu. »

Cheikh Ould Zein, Secrétaire Général du FPIDC

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Par la suite, le FPIDC joua un rôle de catalyseur dans ce

dialogue. Les autres acteurs clés au niveau national et dans

les régions du Hodh El-Gharbi et du Guidimakha étaient

des oulémas, cheikhs de mahadra et/ou imams. Beaucoup

ne faisaient pas partie du FPIDC, étaient de tendance

conservatrice, et ne s’étaient pas encore penchés sur la

question de l’excision. Il fallut donc les convaincre d’abord,

avant qu’ils puissent eux-mêmes sensibiliser leur audience.

En 2008 et 2009 la GIZ appuya au Hodh El-Gharbi et au

Guidimakha plusieurs formations sur les MGF pour les

imams et oulémas. Ces formations furent menées par le

FPIDC en coopération avec des leaders religieux

régionaux. Parallèlement, dans ces deux régions la GIZ

intégra les imams et oulémas aux activités de

sensibilisation sur les droits de la femme et les pratiques

préjudiciables à la femme.

En 2010 le FPIDC, avec l’appui de la GIZ, rassembla des

leaders religieux venus des diverses régions du pays dans

un colloque national pour élaborer et adopter une fatwa

sur les MGF. La fatwa signée par 33 oulémas déclare que

l’excision telle qu’elle est pratiquée actuellement est

interdite en vue des graves préjudices qu’elle provoque.

Pour vulgariser et diffuser cette fatwa la GIZ organisa en

coopération avec des leaders religieux régionaux, plusieurs

ateliers de sensibilisation au Guidimakha et au Hodh

El-Gharbi. Dans 5 autres régions avec une forte prévalence

des MGF l’UNICEF et l’UNFPA ont soutenu les activités de

vulgarisation de la fatwa.

En 2011, sur l’initiative du FPIDC, une conférence

internationale pour valider la fatwa avec la participation

d’oulémas venant de différents pays d’Afrique de l’Ouest,

de l’Egypte et du Soudan eut lieu en Mauritanie. Celle-ci

fut soutenue par l’UNICEF, le FNUAP et la GIZ. Par la suite

le FPIDC organisa plusieurs colloques interrégionaux en

Mauritanie pour vulgariser et augmenter l’adhésion à la

fatwa.

La fatwa était le premier outil dont les leaders religieux

pouvaient se servir pour sensibiliser leurs confrères ainsi

que la population. Cependant, elle ne suffisait pas pour

donner aux imams tous les arguments nécessaires afin de

convaincre leur audience. C’est pourquoi la GIZ a soutenu

d’une part les leaders religieux régionaux, d’autres part le

FPIDC dans l’élaboration d’autres outils. En 2011 un

prêche modèle fut élaboré par des leaders religieux

régionaux au Guidimakha et au Hodh El-Gharbi. Ce

prêche fut prononcé par les imams lors des prières du

vendredi dans les chefs-lieux de 44 des 45 communes de

ces deux régions.

Au niveau national le FPIDC élabora un argumentaire sur

l’excision. Cet argumentaire rassemble les textes de

référence du droit islamique ainsi que les plus importantes

fatwas contemporaines émanant d’oulémas de Mauritanie

et d’autres pays musulmans.

Sur la base de cet argumentaire, un guide de prêche et un

prêche modèle ont été élaborés par des oulémas venus de

Mauritanie et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest lors d’un

atelier organisé par la GIZ à Dakar en 2012.

En 2012, la GIZ appuya la production en Mauritanie d’une

émission radio sur l’Islam et les MGF en trois langues

nationales (Arabe, Polar et Soninké). Les thèmes abordés

par cette émission sont les conséquences sanitaires et

psycho-sociales et la position de l'Islam par rapport à la

pratique des MGF. Les invités étaient un spécialiste de la

santé, un sociologue et un leader religieux. La diffusion a

été faite trois fois par la radio nationale.

Les imams sont sensibilisés sur les MGF et la position de l'Islam

qui ne les justifie pas

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Période Niveau national Niveau régional Niveau international

2005 – 2007 En 2007 1er Colloque National sur les

pratiques préjudiciables à la femme,

le rôle de la tradition et la position de

l’Islam, organisé par le FPIDC pour

88 participants (Imams et Oulémas,

Juristes, Médecins, Universitaires).

Campagnes de promotion des candidatures

féminines et de sensibili sation sur les droits

civils des femmes. Colloques dans les régions

du Hodh El-Gharbi, auxquels participent entre

autres personnes 72 leaders religieux.

2008 – 2009 6 ateliers de formation des Imams sur les

pratiques préjudiciable à la femme organisés

par le FPIDC dans les régions du Hodh El-Gharbi

et de Guidhimaka (un atelier pour chaque

département) avec en tout 229 participants.

Les imams participent avec d’autres multipli-

cateurs aux séances de sensibilisation sur

les droits de la femme et les pratiques pré-

judiciables dans les régions du HEG et de

Guidhimaka

2010 Colloque Islamique pour une Fatwa

Nationale sur les MGF organisé par le

FPIDC pour 38 participants, pour la

plupart éminents leaders religieux.

Elaboration et adoption d’une fatwa

par 33 oulémas et imams.

Vulgarisation de la fatwa nationale : Ateliers de

sensibilisation sur le contenu de la fatwa dans

les régions du Hodh El-Gharbi et du

Guidhimaka, avec en tout 328 participants.

Affichage du texte de la Fatwa dans les

établissements publics dans les régions du

Hodh El-Gharbi et de Guidhimaka.

2011 Ateliers d’élaboration d’un texte modèle de

prêche dans les régions du Hodh El-Gharbi et

du Guidhimaka avec en tout 90 participants

(un imam et un notable par commune).

Prêche prononcé lors des prières du vendredi

dans les chefs-lieux de 44/45 communes des

régions de HEG et de Guidhimaka

Conférence internationale

pour valider la Fatwa avec

34 oulémas de Mauritanie et

18 oulémas venus de l’Afrique

de l’Ouest, de l’Egypte et du

Soudan, organisée par le FPIDC

avec le soutien de l’UNICEF,

du FNUAP et de la GIZ.

2012 Elaboration d’un argumentaire par

le FPIDC (4 personnes) en Mauritanie

et validation par 20 oulémas

mauritaniens.

2 colloques interrégionaux pour vulgariser et

augmenter l’adhésion à la fatwa (1 pour les

régions du Sud-Est et 1 pour les régions du

Centre et du Sud organisés par le FPIDC pour

87 participants.

Atelier régional d’Afrique de

l’Ouest sur l’élaboration d’un

guide de prêche avec un

sermon modèle basé sur

l’argumentaire élaboré en

Mauritanie, avec 18 partici-

pants, dont 14 leaders religieux.

Production d’une émission sur

l’Islam et les MGF en trois langues

nationales (Arabe, Polar et Soninké).

Diffusion par la radio nationale.

Tableau : Etapes majeures du processus appuyé par la GIZ

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4. Les résultats Les outils et leur utilisation

Les principaux outils produits au cours du processus sont

la fatwa nationale, l’argumentaire et le guide de prêche.

Processus et produits utiles

La fatwa élaborée en 2010 par 33 leaders religieux

mauritaniens a été précédée par d’autres fatwas et

déclarations d’oulémas en Egypte et Afrique de l’Ouest. En

1994, Le cheikh égyptien Youssouf al-Qardawi, l’une des

figures de proue des frères musulmans, déclara que

l’excision constituait une pratique interdite par la Shari’a.

En 1996, le cheikh de l’université al-Azhar en Egypte émit

une fatwa, selon laquelle l’excision n’était pas une pratique

obligatoire dans l’Islam.

Une fatwa est toujours un avis juridique émis par un ou

plusieurs oulémas sur une question spécifique. D’où

l’importance d’une fatwa exprimant le consensus de

plusieurs grands oulémas mauritaniens sur l’excision telle

qu’elle est pratiquée en Mauritanie.

La fatwa elle-même n’est donc pas une loi, même si elle

augmente la légitimité religieuse des lois et règlements en

vigueur. En 2007, un projet de loi a été élaboré avec le

soutien de la GIZ. Ce projet de loi visait à interdire

explicitement toute forme de MGF, étant donné que le

code de protection pénale des enfants ne sanctionne

l’excision que dans les cas où elle porte préjudice à l’enfant.

Ce projet de loi a été révisé par la suite pour élargir sa

portée et inclure d’autres violences à l’égard des femmes.

Jusqu’à présent cette loi n’a pas encore été promulguée.

La perception des leaders religieux envers une nouvelle loi

pénalesanctionnantd’unefaçonplusgénéralelapratique

de l’excision est mitigée.

Pour la grande majorité des acteurs, la sensibilisation est

plus importante et a plus d’effets sur le changement de

comportement de la population que les sanctions pénales.

Danscetteoptique,ilsperçoiventlafatwacommeunoutil

de sensibilisation. D’ailleurs pour beaucoup d’entre eux, la

fatwa a constitué un tournant décisif dans leur

cheminement et engagement personnel.

Pour certains, la fatwa ne suffisait pas, étant donné qu’elle

représentait l’opinion d’un cercle restreint d’oulémas. Ils

demandaient donc d’élargir la base de leurs références afin

de leur donner plus d’arguments.

FatwaNationale

Argumen-taire et guide

de prêche

Renforce-ment des capacités

Dialogue et interaction : plaidoyer, sensibilisation, formation

« Nous ne sommes pas contre ni pour la loi. Elle peut

être un outil mais aussi un handicap. Est-ce que la loi et

les sanctions seront appliquées ? La loi peut renforcer

l’idée que ce débat est une idée de l’Occident. »

Cheikh Ould Zein, Secrétaire Général du FPIDC

Extraits de la fatwa mauritanienne de 2010

Les oulémas ont pris connaissance de l’avis des

médecins et des sociologues en République Islamique

de Mauritanie. Au terme d’un large débat les

participants ont constaté (…) que la façon dont elle est

pratiquée dans notre pays porte de graves préjudices

dans l’immédiat ou à terme. (…) Compte tenu de ce

qui précède, la pratique dans sa forme habituelle est

interdite.

« Avant je pensais que c’était une recommandation

du prophète. Je voyais que tout le monde pratiquait

l’excision. Après j’ai compris. J’ai vu la fatwa signée par

des imams crédibles, des familles respectables. Ça m’a

inspiré confiance. »

Imam du Hodh El-Gharbi

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L’argumentaire rassemble donc les hadiths du prophète

mentionnant l’excision, les interprétations de

jurisprudence islamique ainsi que les principales fatwas

contemporaines.

La majorité des imams prêchant dans les mosquées des

villages et communautés mauritaniennes avaient besoin

d’un outil plus simple qui puisse les guider dans la

conception de leur sermon. Le guide de prêche élaboré en

2012 propose un canevas pour l’élaboration d’un prêche

ainsi qu’un sermon modèle pour inspirer les imams. Son

objectif est d’inviter les imams à l’action, c’est à dire au

plaidoyer pour l’abandon de la pratique. Le canevas d’éla-

borationetlesermonmodèlesontconçusdetellemanière

qu’ils peuvent être utilisés non seulement en Mauritanie

mais dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest et du Nord.

Les compétences acquises

Le dialogue avec et entre les leaders religieux sur les MGF

leur a tout d’abord permis d’ouvrir un débat sur une

pratique ancestrale afin de la remettre en question.

L’excision en Mauritanie est pratiquée par les femmes. Les

leaders religieux, qui sont des hommes, devaient donc

d’abord surmonter leurs propres réticences à aborder une

question, qui ne semblaient pas de prime abord les

concerner. Le débat les a confrontés à cette pratique d’une

manière explicite et leur a permis de parler ouvertement

de l’excision en public.

L’engagement des imams et des oulémas est toujours passé

d’abord par leur conviction personnelle avant qu’ils

puissents’engagerd’unefaçonplusactive.

« On nous disait. Vous avez émis la fatwa. Mais que

disent les autres oulémas. On a voulu rassembler tout

ce qui est dit dans l’Islam sur ce sujet. »

Cheikh Ould Zein, un des auteurs de l’argumentaire

Extraits de ce sermon modèle

Nous vous avons fait entendre les arguments de la

jurisprudence islamique, le point de vue des Fuqahà

d’hier et d’aujourd’hui.

Les médecins ont tous été d’accord, musulmans comme

non musulmans, sur la gravité de l’excision concernant

la vie des filles dans le présent comme dans le futur,

à cause des dommages graves qu’elle engendre sur le

corps et l’esprit.

Il ne nous reste qu’à savoir que c’est une tradition dont

les conséquences sont néfastes et dont les conséquences

nuisibles sont claires. Il faut l’abandonner, s’en

détourner pour toujours.

« Une pratique qui se répète s’installe. On ne la discutait

pas sur le plan religieux. On ne parlait même pas de la

pratique. Depuis qu’on a commencé à en discuter, on la

remet en question du point de vue religieux. »

Discussion en groupe /

Régions du centre de la Mauritanie

« On était devant un mur de valeurs infranchissable.

L’homme ne s’intéressait pas à ce que les femmes

faisaient à la maison. Quand l’homme se mariait il

pensait souvent que sa femme était née comme ça. Les

femmes cachaient aux hommes ce qu’elles faisaient

aux filles. Mais elles savaient que parfois les filles en

mouraient. Maintenant, il y a eu un sursaut d’éveil. Un

tic dans la tête. »

Discusssions en Groupe / Guidhimaka

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Mieux outillés qu’auparavant, les leaders religieux ont

acquis la capacité de sensibiliser leur audience sur l’excision.

Au niveau national le FPIDC a joué un rôle de catalyseur,

en répondant aux besoins et attentes des acteurs

impliqués dans les régions et communautés locales. Pour

réussir dans cette tâche le FPIDC et la GIZ se sont assuré le

soutien de personnalités religieuses reconnues dans leur

région. Un groupe de leaders religieux a pu être formé qui

agissent aujourd’hui comme multiplicateurs et acteurs de

changement.

La diffusion du message

Plusieurs centaines de leaders religieux ont participé aux

activités appuyées par la GIZ. Ce nombre demeure certes

restreint si on le compare aux milliers d’imams qui

exercent leur fonction en Mauritanie. Leur nombre exact

n’est pas connu, étant donné qu’ils ne sont pas tous

reconnus ou enregistrés par le MAIEO.

« Abandonner les MGF était inconcevable pour nous. Car nous pensions que c’était une obligation religieuse. C’est suite

à plusieurs ateliers et colloques et les analyses des oulémas et des médecins de la pratique que nous avons commencé

à changer de perception envers la pratique et à l’accepter comme sujette au débat. Nous étions prudents. Nous voulions

vraiment savoir si l’excision était une obligation religieuse. Il s’est alors confirmé qu’elle était préjudiciable aux femmes,

quelle avait des conséquences très néfastes sur la santé et qu’elle n’est nullement une obligation de l’Islam. Enfin il

y’a eu une fatwa d’éminents érudits en lesquels nous avons pleine confiance. Là-dessus nous nous sommes engagés à

la diffuser auprès des populations. »

Entretien avec groupe des régions du centre de la Mauritanie

« Une grande partie de la population lie la pratique à la

religion. La fatwa a été très importante pour sensibiliser

les imams. Ils ont beaucoup d’influence chez nous. Les

femmes prennent part à la prière du vendredi, derrière

un rideau. Je connais un imam dans un village de notre

région qui a parlé de l’excision dans ses prêches. Il a dit

que les problèmes d’accouchement sont liés à l’excision. »

Notable de la région de Guidimakha

« C’est beaucoup plus facile aujourd’hui de convaincre

les autres oulémas. Je viens toujours aux colloques avec

un groupe d’oulémas qui ont les mêmes idées que moi.

Nous parlons en tant que groupe. »

Cheikh Ould Zein, Secrétaire Général du FPIDC

Atelier sous­régional des leaders religieux d’élaboration des outils approprié

de changement d’attitude : Cheikh Ould Zein du FPIDC (au milieu)

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Comment les oulémas et imams formés peuvent-ils

assumer leur rôle de multiplicateurs ? Ce sont d’une part

par les canaux formels, tels que l’Union des Imams ou

l’Association des Oulémas Mauritaniens, que le message

sur les MGF peut atteindre plus d’acteurs. Au Guidhimaka

par exemple 621 imams sont reconnus par l’Etat et

environ 80 imams prêchant le vendredi passent

régulièrement au MAIEO pour s’informer et recevoir des

textes modèles de prêche.

D’autre part, le message circule par les réseaux informels,

fondés soit sur une éducation commune dans une

mahadra, le lieu d’origine ou l’appartenance sociale.

Au niveau des communes et des villages, la mosquée et le

prêche du vendredi sont un des canaux de sensibilisation.

Certains imams ont aussi commencé à faire passer le

message lors de cérémonies de mariage ou de séances

éducatives.

Au niveau national, l’approche développée par le FPIDC

avec le soutien de la GIZ est aujourd’hui sollicitée par

d’autres partenaires tels que l’UNICEF pour l’appliquer à

d’autres thématiques et pratiques préjudiciables telles que

le mariage précoce.

Au niveau international le dialogue et la coopération entre

les leaders religieux de Mauritanie, d’Afrique de l’Ouest et

du Nord a permis de diffuser la fatwa mauritanienne, de

partager les expériences faites en Mauritanie et d’élaborer

en commun des outils plus génériques tels que le guide de

prêche et le sermon modèle.

Lors de la 57ème session de la Commission sur la Condition

de la Femme en mars 2013 à New York, l’expérience faite

en Mauritanie a été présentée par le FPIDC et la GIZ dans

le cadre d’un événement parallèle en coopération avec

l’organisation WiLDAF (Womenin Law and Development

in Africa).

L’impact et la contribution au changement de comportement

La prévalence des MGF reste élevée en Mauritanie et

particulièrement dans les régions du Hodh El-Gharbi et du

Guidhimaka. Selon une étude récente, plus de la moitié

des femmes au Guidhimaka et plus de trois quarts des

femmes au Hodh El-Gharbi sont d’avis que les MGF sont

une pratique à poursuivre. Dans les deux régions, en 2011,

deux tiers des filles âgées de 0 à 14 ans avaient subi une

mutilation. Comme, il n’existe pas de données d’années

précédentes concernant la même classe d’âge, il n’est pas

possible de savoir si les MGF pratiquées sur les petites filles

ont reculé pendant ces dernières années.

Certains indices qualitatifs que des changements de

comportement ont eus lieu dans les communautés où les

imams se sont impliqués ont été relevés par les acteurs

eux-mêmes.

Pourcapterd’unefaçonplussystématiqueces

changements il faudrait évaluer la capacité des leaders

religieuxquiagissentauniveaulocalàinfluencerleur

communauté ainsi que la perception des hommes et des

femmes des messages transmis par les leaders religieux.

L’engagement d’un nombre croissant d’oulémas et

d’imams n’est pas un coup de baguette magique qui

mènera la population à abandonner la pratique du jour au

lendemain. Cependant, en synergie avec d’autres

approches (dialogue entre les générations; sensibilisation

dans le secteur de la santé et de l’éducation) elle peut

contribuer à un changement de comportement au sein de

la société mauritanienne.

« 11 imams sortis de ma mahdara travaillent à

Nouakchott. Ils ne sont pas payés par l’Etat. Quand ils

ont un problème ou une question, ils viennent me voir. »

Cheikh d’une grande mahadra

« Chez nous, si les hommes décident que l’excision

ne se pratique plus, les femmes ne vont plus le faire.

Un indicateur de changement social est que les pères

commencent à s’intéresser plus à leurs enfants filles, et

à poser des questions à leurs femmes. »

Notable de la région du Guidhimaka

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5. Les leçons apprisesLes éléments clés et les facteurs de réussite

Choisir la bonne porte d’entrée : Le projet suprarégional

de la GIZ a choisi la composante genre au sein du PBG

comme porte d’entrée pour promouvoir l’abandon des

MGF. Les activités pour renforcer les capacités des leaders

religieux se sont greffées aux campagnes de sensibilisation

sur les droits de la femme, auxquelles les leaders religieux

ont participé avant de s’engager dans la promotion de

l’abandon des MGF. La GIZ en Mauritanie avait déjà une

longue tradition de coopération avec les oulémas de

tendance réformiste fondée sur des relations de confiance.

LeFPIDCperçoitcepartenariatcommeundialogued’égal

à égal, la GIZ n’imposant pas de prime abord son opinion.

Ceci a certainement facilité le dialogue sur les MGF, ce qui

démontre, dans un pays où l’Islam joue un rôle primordial,

l’importance d’une continuité dans le dialogue avec les

leaders religieux. Au sein de la GIZ la présence continue

d’une conseillère nationale, musulmane pratiquante, mais

également engagée dans le mouvement pour l’abandon

des MGF, a beaucoup facilité cette coopération. L’appui du

projet suprarégional au PBG a permis à plusieurs reprises

de rectifier et de préciser la stratégie, afin de permettre une

plus grande diffusion de l’approche en Mauritanie et dans

les pays de l’Afrique de l’Ouest.

Développer pas à pas des outils appropriés : L’expérience

faite en Mauritanie démontre qu’une dynamique positive

de changement au sein de l’Islam a pu être progressive-

ment enclenchée. Le FPIDC et la GIZ ont laissé aux leaders

religieux le temps nécessaire pour mener un débat ouvert

sur les MGF. On n’a amené les acteurs pas à pas à remettre

leurs propre convictions en question. Les produits tels que

la fatwa, l’argumentaire et le guide de prêche ont répondu

aux besoins des acteurs. Ils sont des outils importants pour

convaincre les leaders religieux que l’excision n’est pas une

pratique obligatoire en Islam et développer leur capacité à

sensibiliser leur audience sur les MGF.

Faire le pont entre l’Islam et les droits humains : Les MGF

sont une violation des droits de la femme et de l’enfant,

tels qu’ils sont reconnus dans les conventions internatio-

nales ratifiées par la grande majorité des Etats membres

des Nations Unies, y compris la Mauritanie. Néanmoins, il

existe toujours des tensions entre l’universalité des droits

humains et certaines valeurs soit religieuses, soit cultu-

relles. L’expérience faite en Mauritanie démontre que les

leaders religieux peuvent remettre en question certaines

pratiques néfastes telles que les MGF, sans pour autant

renier les normes et valeurs de l’Islam. Au contraire, c’est

en s’appuyant sur les principes islamiques tels que

l’obligation d’éviter le préjudice et de préserver la dignité

de la personne humaine qu’ils ont pu faire un plaidoyer

pour l’abandon des MGF.

Coopérer avec les professionnels de la santé : Pour

persuader les leaders religieux que l’excision est une

pratique préjudiciable, l’argumentation religieuse a été liée

au discours médical, démontrant les conséquences

néfastes de l’excision sur la santé des filles et des femmes.

« On a toujours invité un médecin gynécologue dans les

séances de sensibilisation. Il nous a convaincu que les

problèmes d’accouchement sont aussi liés à l’excision.

L’Islam et le prophète disent qu’il faut croire ceux qui

ont des compétences scientifiques et médicales. »

Discussion en groupe / Guidhimaka

Atelier sous­régional des leaders religieux d'élaboration des outils approprié de changement d'attitude : travail de groupe

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La crédibilité des acteurs : En Mauritanie, la crédibilité des

leaders religieux compte tout autant, si ce n’est plus, que le

contenu du message et des idées transmises. Au Hodh

El-Gharbi et au Guidimakha la GIZ et le FPIDC ont donc

coopéré avec des leaders religieux crédibles et reconnus

par la population locale.

Un contexte national favorable : L’approche appuyée par

la GIZ pour renforcer les capacités des leaders religieux

s’est moulée dans un cadre politique national favorable à

l’abandon des MGF. Depuis 2008, il existe en Mauritanie

une stratégie nationale de lutte pour l’abandon des MGF,

qui intègre l’apport de l’Etat ainsi que de la société civile.

Le MASEF, qui a le mandat de coordonner les activités des

partenaires impliqués, a soutenu les colloques et activités

menées par le FPIDC et la GIZ. Au niveau régional, les

représentants du MAIEO ont participé aux ateliers de

formation et utilisé leurs canaux pour gagner le support

des oulémas et imams. L’approche promue par l’UNICEF

dans le secteur santé, qui a abouti en 2008 à une déclara-

tion des professionnels de santé condamnant la pratique

des MGF et s’engageant à promouvoir activement son

abandon a aussi facilité le plaidoyer des leaders religieux.

Les défis et risques

Un champ d’action encore restreint : La sensibilisation

des imams et la vulgarisation de la fatwa n’ont pas encore

assez atteint le milieu rural et les villages éloignés, où une

majorité d’Imams reste convaincue que l’excision est une

pratique religieuse.

La médicalisation des MGF : Malgré la déclaration des

médecins appelant à l’abandon des MGF et l’interdiction

au personnel de santé de les pratiquer, certains leaders

religieux sembleraient prêts à accepter la pratique si elle se

faisait dans des conditions sanitaires hygiéniques. La fatwa

mauritanienne prend position sur l’excision dans sa forme

traditionnelle, telle qu’elle est couramment pratiquée en

Mauritanieetévitedelacondamnerdefaçongénérale,

laissant donc une certaine marge d’interprétation. D’où

l’importance de coopérer avec les professionnels de santé,

afin de sensibiliser les imams sur le fait que, même

pratiquée dans des conditions sanitaires satisfaisantes, les

MGF constituent une grave atteinte à l’intégrité et à la

santé de la femme et de l’enfant.

« Il existe encore beaucoup de villages et d’imams qui

n’ont pas encore été touchés par la sensibilisation. Ils

restent encore figés sur leurs anciennes traditions. »

Discussion en groupe / Hodh El-Gharbi

« Actuellement, plusieurs leaders religieux sont

convaincus de la nécessité d’abandonner la pratique

de l’excision mais ils restent une minorité. C’est pour

cela que la pratique est encore exercée de la même

manière et dans les mêmes conditions que par le passé

et surtout à grande échelle. Dans les villages, beaucoup

d’imams n’ont pas la capacité intellectuelle d’analyser

la pratique. Et personne de leur en parle. »

Discussion en Groupe /

Régions du centre de la Mauritanie

« Il faut aller pas à pas. C’est pourquoi on parle de

l’excision dans sa pratique courante, qui se fait à la

maison. Mais nous savons qu’il est interdit qu’un

médecin pratique l’excision dans un centre de santé. »

Discussion en Groupe / Guidhimaka

« Quand les gens sont convaincus que vous êtes

crédibles et compétents ils vous écoutent. Chaque

communauté a sa propre référence. Il faut convaincre

ceux qui sont la référence. Si des oulémas viennent et

qu’on ne les connait pas, personne ne va les croire. »

Cheikh de mahdara dans la région du

Hodh El-Gharbi

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Elargir le consensus : Le FPIDC et les oulémas de

tendance réformatrice sont parvenus à initier une

dynamique dans le champ religieux et à convaincre

beaucoup de leaders religieux de tendance conservatrice

d’adhérer à la fatwa émise en 2010. Il reste néanmoins

certainsoulémastrèsinfluentsdetendanceconservatrice

ou intégriste qui n’ont pas adopté la fatwa et ne se sont

pas engagés à promouvoir l’abandon des MGF. Ceci dit,

une fatwa représente le consensus et l’avis des oulémas qui

l’ont élaborée. Toute fatwa peut donc aussi provoquer des

fatwas contradictoires de la part de leaders religieux qui

défendent une position contraire. Aucun grand leader

religieux ne s’est jusqu’à aujourd’hui ouvertement

prononcé contre la fatwa mauritanienne sur l’excision.

La politisation du débat : Comme d’autres pays, la

Mauritanie se trouve aujourd’hui confrontée à une

tendanceintégristequid’unepartperçoitl’Occident

comme colonisateur et d’autre part remet en cause

l’autorité de l’Etat et la crédibilité des leaders religieux

traditionnels.

Dans ce contexte, il existe toujours un risque de politiser

un débat religieux sur les pratiques préjudiciables et les

MGF. Pour éviter ce risque, le FPIDC, même s’il soutient la

stratégie nationale pour l’abandon des MGF, s’efforce en

tant qu’organisation de la société civile de garder son

indépendance vis-à-vis des institutions étatiques telles que

le MASEF ou le MAIEO et d’affirmer sa neutralité

politique.

Conclusion

Dans une société où l’Islam légitime les pratiques sociales,

il est important de renforcer les capacités des leaders

religieux pour qu’ils s’engagent dans la promotion de

l’abandon des MGF. A côté d’autres acteurs de la société

civile ils peuvent jouer un rôle important de sensibili-

sation et de plaidoyer. Pour ce faire, ils ont besoin d’être

appuyés afin qu’ils développent les outils adaptés à leur

contexte. Il est primordial de leur laisser le temps néces-

saire pour mener un débat ouvert sur la pratique et

remettre leurs propres convictions en question.

L’expérience faite en Mauritanie démontre qu’une

dynamique de changement social au sein de l’Islam peut

être enclenchée. Ceci dit, cette approche n’est pas une

recette toute faite automatiquement applicable à d’autres

pays. Pour reproduire l’approche les facteurs clés de

réussite sont l’importance de l’Islam dans la société, le

respect mutuel entre les partenaires, une approche par

étapes et répondant aux besoins des acteurs, et surtout un

engagement actif de leaders religieux crédibles.

« Ils disent que l’excision est un faux problème, importé

de l’Occident. C’est pour cela que la présence d’oulémas

et d’imams dans le mouvement pour l’abandon des

MGF est un facteur important. Avant, c’était plus facile

de dire que le problème venait de l’Occident. »

Entretien avec le groupe du Guidhimaka

Atelier sous­régional des leaders religieux d'élaboration des outils approprié de changement d'attitude : plénum

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6. Sources d’information et bibliographieEntretiens avec leaders religieux et autres acteurs pendant

la mission de capitalisation, 16.01.2013 – 23.01.2013.

RapportsetdocumentsinternesdelaGIZ(projet

suprarégionaletPBG)entre2006et2013:Rapports

d’activités et d’ateliers, évaluations, études et enquêtes.

Extrait de l’étude MICS conduite en 2010 en Mauritanie

sur la prévalence des MGF.

Fatwa mauritanienne sur l’excision, rédigée lors du

Colloque Islamique tenu à Nouakchott les 11 et 12 Janvier

2010. Nouakchott, 27 Mouharram 1427 H/ 12. 01.2010.

GTZ (2004) : Entwicklungspartnerschaften mit dem Islam.

Neue Wege der deutsch-afrikanischen Zusammenarbeit

zur Nutzung bisher kaum erkannter Potenziale.

Dokumentation der Konferenz am 29. September 2004 im

GTZ-Haus Berlin.

GTZ (2005) : Entwicklungszusammenarbeit in islamisch

geprägten Ländern. Beispiele aus der Arbeit der GTZ.

Eschborn.

MASEF,UNICEF,UNFPA(2010):Rapportfinaldel’étude

antropo-sociologique des déterminants des mutilations

génitales féminines (MGF) en Mauritanie, Nouakchott, le

10 septembre 2010.

RépubliqueIslamiquedeMauritanie:Abandondes

Mutilations Génitales Féminines. Guide de Prêche et

SermonModèle.Réaliséavecl’appuidelaGIZparle

Forum de la pensée Islamique et du Dialogue des cultures

(Mauritanie) ; le Secrétariat Général des affaires

Religieuses,laLigueIslamiquedelacommunedeMatam,

laLiguecommunaledeMamou(Guinée);leRéseauIslam

PopulationetDéveloppement(Mali);leRéseauIslam

Population et Développement (Sénégal) ; le Comité

AfricaindeRecherchesocialesetduDialogueintraet

interreligieux(Niger);leRéseauBurkinabédes

Organisations Islamiques en Population et

Développement(BurkinaFaso).Versionfrançaiseetarabe.

RépubliqueIslamiquedeMauritanie,Forumdelapensée

Islamique et du Dialogue des cultures (2012) : l’excision

entre la tradition et la Shari’a. Version arabe.

WormIlse(2013):Rapportsurl’atelierdecapitalisation

des expériences, Nouakchott, 20.01.2013.

Worm, Ilse (2011) : Le dialogue avec l’Islam au Mali et en

Mauritanie sur les mutilations génitales féminines. Etude

comparative pour le projet suprarégional « Abandon des

MGF », GIZ, Eschborn.

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6. Sources d’information et bibliographie

Editeur

Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH

Sièges de la société : Bonn et Eschborn, Allemagne

Programme Bonne Gouvernance OE 1100 Afrique de l’Ouest I Nouakchott, Mauritanie

Projet suprarégional « Abandon des Mutilations Génitales Féminines » OE 1200 Afrique suprarégionale Eschborn, Allemagne

[email protected] www.giz.de/fgm

ResponsableDr. Gabriele [email protected]

Auteur Ilse Worm

Mise en pageEYES-OPEN, Berlin

La GIZ est responsable de cette publication.

Mandaté parMinistère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ)

Divisions 300 Politique régionale de développement Afrique 301 Afrique du Nord ; politique méditerranéenne 302 Afrique de l’Ouest I

Adresses des bureaux du BMZ

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[email protected] www.bmz.de

Photos Mohamed El Mokhtar Ould Mohamed Ahmed, GIZ GmbH, Petra Weigand

Publié Septembre 2013

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