Rencontres Parlementaires : Synthese Economie Numérique

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SYNTHÈSES DES TRAVAUX PRÉSIDÉES PAR Corinne Erhel Députée des Côtes-d’Armor, rapporteure “Communications électroniques” pour le projet de loi de Finances de 2013 Laure de La Raudière Député d’Eure-et-Loir, rapporteur de la mission d’information sur la neutralité du net MARDI 11 JUIN 2013 MAISON DE LA CHIMIE EN PRÉSENCE DE Fleur Pellerin Ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique L’AVENIR DU NUMÉRIQUE, QUELLE AMBITION FRANÇAISE ? 4 ES RENCONTRES PARLEMENTAIRES SUR l’Économie numérique

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SYNTHÈSES DES TRAVAUX

P R É S I D É E S P A R

Corinne ErhelDéputée des Côtes-d’Armor, rapporteure “Communications électroniques” pour le projet de loi de Finances de 2013

Laure de La Raudière Député d’Eure-et-Loir, rapporteur de la mission d’information sur la neutralité du net

MARDI 11 JUIN 2013MAISON DE LA CHIMIE

E N P R É S E N C E D E

Fleur PellerinMinistre déléguée aux PME,à l’Innovation et à l’Économie numérique

L’AVENIR DU NUMÉRIQUE, QUELLE AMBITION FRANÇAISE ?

4 ES RENCONTRES PARLEMENTAIRES SURl’Économie numérique

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Remerciements

Corinne Erhel et Laure de La Raudière, remercient Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l!Innovation et à l!Économie numérique pour son allocution lors du déjeuner, Pierre Hérisson, sénateur de la Haute-Savoie, Patrice Martin-Lalande, député de Loir-et-Cher, Virginie Duby-Muller, députée de la Haute-Savoie, Catherine Morin-Desailly, sénatrice de la Seine-Maritime, Philippe Marini, sénateur de l!Oise, Charles de Courson, député de la Marne, Yves Rome, sénateur de l!Oise, ainsi que l!ensemble des intervenants qui par leur expertise et leur contribution aux débats ont concouru au succès de cette manifestation.

Ces Rencontres ont également été rendues possibles grâce au soutien et à l!implication de ses partenaires :

Bouygues Telecom

CDC Numérique

Eutelsat

Orange

SFR

Solocal Group

TDF

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Sommaire

OUVERTURE DES RENCONTRES 1 Corinne Erhel

Députée des Côtes-d!Armor, rapporteure du programme « Communications électroniques pour le projet de loi de Finances de 2013 »

Laure de La Raudière 3 Député d!Eure-et-Loir, rapporteur de la mission d!information sur la neutralité du Net

SESSION I 5 NUMÉRIQUE ET TERRITOIRES

Introduction 6 Patrice Martin-Lalande*

Député de Loir-et-Cher, co-président du groupe d!études « Internet et Société numérique »

Standardisation et harmonisation technique : 7 des enjeux structurants pour relever le défi de la fibre Yves le Mouël*

Directeur général de la Fédération Française des Télécoms, membre de la plateforme « Objectif fibre »

Cinq ans de régulation du FTTH 9 Philippe Distler

Membre du collège de l!ARCEP

Soutenir les collectivités territoriales dans leur effort de déploiement 10 Yves Rome

Sénateur de l!Oise, président de l!Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel (Avicca)

Le développement du très haut débit dans les territoires 11 Didier Casas*

Secrétaire général de Bouygues Telecom

Le rôle de la TNT dans le déploiement du haut débit et du très haut débit 12 en opposition aux réseaux informatiques filaires Arnaud Lucaussy

Directeur de la réglementation et des affaires publiques de TDF

Quel déploiement sur le territoire ? 14 Pierre Hérisson

Sénateur de la Haute-Savoie, président du groupe d!études « Communications électroniques et poste »

DÉBATS 15

SESSION II 18 LA NEUTRALITÉ DU NET À L!ÉPREUVE DE LA RÉALITÉ ?

La question de la neutralité, un enjeu politique européen 19 Catherine Morin-Desailly*

Sénatrice de la Seine-Maritime, présidente du groupe d!études « Médias et nouvelles technologies »

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Les outils de l!ARCEP en faveur de la neutralité 21 Jacques Stern

Membre du collège de l!ARCEP

La politique de neutralité du Net est-elle un frein au développement des opérateurs nationaux ? 23 Olivier Henrard

Secrétaire général de SFR

Les initiatives en faveur de la neutralité 25 Virginie Duby-Muller*

Députée de la Haute-Savoie

Neutralité des réseaux, des services et des plateformes 27 Jean-Baptiste Soufron Secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum)

DÉBATS 28

INTERVIEW CROISÉE FISCALITÉ NUMÉRIQUE : LES ENJEUX DU DÉBAT

Gilles Babinet 29

Champion numérique de la France auprès de la Commission européenne

Nicolas Colin 30

Inspecteur des finances, rapporteur de la mission d!expertise sur la fiscalité de l!économie numérique

SESSION III 33 FISCALITÉ NUMÉRIQUE : VERS UN PASSAGE À L!ACTE EN 2013

Introduction 34 Philippe Marini*

Sénateur de l!Oise, président de la commission des Finances

Une fiscalité qui préserve la capacité du numérique à créer de la compétitivité et de l!emploi 36 Patrick Cocquet*

Délégué général de Cap Digital

L!asymétrie fiscale dans le secteur du numérique. 38 La reconquête par les États de leur souveraineté fiscale Pierre Louette

Directeur général adjoint, secrétaire général du Groupe France Télécom-Orange

Fiscalité accrue, dispositifs de soutien inadaptés au numérique, 40 acteurs français bousculés à l!international : quelles solutions ? Jean-Pierre Remy

Président-directeur général de Solocal Group

Les enjeux de la mission d!information de l!Assemblée nationale sur l!optimisation fiscale 42 Charles de Courson Député de la Marne

DÉBATS 44

DÉJEUNER-DÉBAT autour de Fleur Pellerin*, ministre déléguée aux PME, à l!Innovation 46 et à l!Économie numérique

*Synthèse des propos non validée par son auteur (intervention liminaire et échanges avec la salle)

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Ouverture des Rencontres

Corinne Erhel

Députée des Côtes-d!Armor Rapporteure du programme « Communications électroniques pour le projet de loi de Finances de 2013 »

Députée des Côtes-d!Armor, Corinne Erhel a occupé différents postes de chargée de mission et d!assistante auprès d!élus depuis 1990. Élue conseillère régionale en 2004, elle devient en 2007 députée de la 5e circonscription des Côtes-d!Armor. Elle est réélue en 2012. Membre de la commission des Affaires économiques de l!Assemblée nationale, elle suit particulièrement les sujets liés au numérique, enjeu sociétal, territorial, économique et industriel majeur. Lors de son premier mandat, elle a notamment co-rédigé deux rapports d!information, l!un sur la neutralité d!Internet et des réseaux, l!autre sur la mise en application de la loi relative à la lutte contre la

fracture numérique. Plus récemment, elle a été co-rapporteure d!une mission d!information sur l!impact de la régulation des télécoms, et mène une nouvelle mission avec Laure de La Raudière, député d!Eure-et-Loir, depuis le mois de mars sur le développement de l!économie numérique française.

Bonjour à toutes et à tous. J!ai le plaisir de coprésider ces 4es Rencontres parlementaires sur l!Économie numérique avec Laure de La Raudière. Je ne pourrai pas animer la première table ronde, car je dois assister à l!hommage rendu à Pierre Mauroy ; je reviendrai parmi vous écouter la suite des débats sur ce sujet extrêmement important, sur lequel nous travaillons depuis un certain temps avec Laure.

Le numérique modifie en profondeur notre société, notre économie et nos territoires. C!est pour nous un des premiers leviers de croissance dont disposent la France et l!Europe.

Nous constatons une évolution des modes d!information et de communication, en même temps qu!une modification des modes de consommation, des modes de déplacement et des secteurs d!activité. Le numérique entraîne en outre une transformation des organisations, dans les PME et les grands groupes comme dans les collectivités locales.

Depuis la précédente législature, nous avons, avec Laure de La Raudière, beaucoup travaillé sur ce sujet du numérique, qui pour nous est une question essentielle et transversale.

Nous avons rédigé quatre rapports parlementaires. Un premier portait sur la neutralité de l!Internet (une table ronde sera consacrée à ce sujet), un autre sur les infrastructures (très haut débit et fracture numérique). J!ai, pour ma part, rédigé un avis budgétaire sur la question. Plus récemment, nous avons produit un rapport sur l!impact de la régulation sur l!ensemble du secteur des télécommunications, avec un focus particulier concernant l!accélération de la transformation des modèles économiques des opérateurs et des acteurs de la filière télécoms. Dans ce rapport, nous préconisions que la commission des Affaires économiques de l!Assemblée nationale se penche sur les enjeux de l!économie numérique via une mission qui nous a été confiée, et dont l!objectif est de définir l!économie numérique, ses atouts et ses freins en France et dans le monde. Nous avons commencé ce travail il y a quelques semaines et avons procédé à des auditions, en particulier sur l!impact et l!évolution des modèles économiques de l!ensemble des acteurs du numérique, comme sur l!écosystème d!accompagnement de l!entrepre-neuriat, eu égard à la vitesse des cycles d!innovation. Il s!agit de définir les moyens qui rendraient possible le développement d!un écosystème vertueux de l!économie numérique, laquelle n!est pas une filière, mais un sujet transversal qui impactera l!ensemble de notre économie et de nos organisations.

Ce vaste écosystème est constitué à la fois d!acteurs économiques (PME, start-up et grands groupes) et institutionnels. Nous essayons de bien saisir comment fonctionne cet écosystème, et comment mieux

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accompagner la mutation profonde que nous permet l!économie numérique. Le législateur doit légiférer et contrôler l!application de la loi. Mais nous devons également comprendre le fonctionnement du système sur lequel nous souhaitons agir, en faisant œuvre également de pédagogie sur des thèmes aussi complexes, afin de donner de la lisibilité aux acteurs privés et publics touchant ce domaine particulier.

Dans le cadre de notre dernière mission, nous avons insisté sur la nécessité, pour les pouvoirs publics, de se doter d!une culture de l!étude d!impact économique. Les modèles se transforment à une vitesse importante. Les pouvoirs publics doivent anticiper ces transformations.

La première table ronde de ces Rencontres est relative au très haut débit. L!ambition du très haut débit pour tous a été récemment réaffirmée par le président de la République, notamment lors de sa dernière conférence de presse. Il s!agit d!un enjeu territorial, sociétal et économique. Il faut définir les services, les applications et les nouveaux usages que l!on sera en capacité de proposer en France à l!ensemble des citoyens, avec la volonté de faire naître de nouveaux champions de l!économie numérique.

Nous considérons également que le trafic mobile sera à peu près multiplié par 12 d!ici à 2018, ce qui explique pourquoi nous avons tenu à aborder les thèmes des équipements fixes et mobiles. La 4G constitue un sujet important, considéré comme un relais de croissance pour les opérateurs et suscitant une grande attente de la part des citoyens, dans les milieux urbains et ailleurs sur le territoire.

L!augmentation du débit n!est pas, à elle seule, un argument suffisant pour valoriser la 4G. Il est important de mettre en avant les services associés à ce nouvel outil. Le consommateur sera-t-il prêt à payer un prix supplémentaire pour obtenir un service différent, compte tenu du bouleversement qu!a connu le marché du téléphone mobile ces derniers mois ? Telle est la question que l!on devra se poser.

Derrière ces enjeux, à la fois macroéconomiques et microéconomiques, la question de l!égalité des citoyens est sous-jacente. Il est important de construire un cadre de déploiement permettant un équilibre entre l!importance de l!investissement, de l!emploi, de l!innovation et de l!aménagement du territoire. Nous devons garder l!équilibre entre ces différents objectifs.

L!économie numérique constitue un des vecteurs principaux de croissance pour notre pays. Il faut que l!ensemble des parlementaires se saisissent de cette question et soient bien conscients de la modifi-cation de société qu!elle implique. Nous devons instaurer un cadre favorable au développement de l!économie numérique.

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Ouverture des Rencontres

Laure de La Raudière

Député d!Eure-et-Loir Rapporteur de la mission d!information sur la neutralité du Net

Député d!Eure-et-Loir depuis juin 2007, secrétaire de la commission des Affaires économiques de l!Assemblée nationale, Laure de La Raudière est également vice-présidente de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications et membre du Conseil National du numérique. Elle a été rapporteur de la loi de lutte contre la fracture numérique (loi dite Pintat), ainsi que de la mission d!information sur la neutralité des réseaux et d!Internet et de celle sur l!impact de la régulation des télécommunications sur la filière Télécoms au sein de la commission des Affaires économiques. Par ailleurs, elle est maire de Saint-Denis-des-Puits depuis 2012 et conseillère

régionale du Centre depuis 2010. Diplômée de l!École normale supérieure, ingénieur en chef des Télécommuni-cations, elle a passé 12 ans chez France Télécom (jusqu!en 2001). Laure de La Raudière a aussi été associée dans une « start-up » (logiciel de « datamining ») et créatrice et chef d!entreprise de sociétés de conseil en réseaux et télécommunications auprès des grandes entreprises.

Mesdames, messieurs, bonjour. Je tiens à saluer mes collègues parlementaires présents ce matin, de même que vous tous qui êtes venus participer à ces 4es Rencontres parlementaires sur l!Économie numérique.

Je travaille régulièrement avec Corinne Erhel ; sur beaucoup de points, nos analyses, au-delà de nos positions politiques respectives, se rejoignent. Aussi, je ne reprendrai pas les points qu!elle a évoqués.

La responsabilité de l!État et du gouvernement dans le développement du numérique consiste à créer un contexte favorable. Les pouvoirs publics ont la responsabilité d!assurer un développement des infrastructures partout sur le territoire. Ce sera le sujet de notre première table ronde. C!est là un besoin essentiel et un facteur de compétitivité pour nos entreprises ; le développement des offres de cloud peut apporter une compétitivité dans l!informatique et le fonctionnement des entreprises ; cela nécessite un accès à un Internet de qualité. Il s!agit aussi d!un besoin pour tous les Français. Les usages sont les mêmes dans tous les foyers de France, qu!ils soient ruraux ou citadins.

La connectivité à Internet est un critère d!emménagement. Les personnes souhaitant emménager dans un nouveau lieu demandent quel est le débit d!accès à Internet. L!État a donc l!obligation de rendre le très haut débit accessible à l!ensemble des foyers français. C!est un enjeu extrêmement important. Le rôle de l!État est certainement d!accompagner financièrement les projets des collectivités sur les zones qui ne font pas l!objet d!un intérêt privé, et de mettre en place les conditions d!une rentabilité à moyen terme des investissements des collectivités.

La deuxième responsabilité des pouvoirs publics concerne l!éducation. L!État a la responsabilité de s!assurer que les formations nécessaires au développement de l!économie numérique sont disponibles. Les options des filières scientifiques de l!enseignement général mises en place en 2011 vont dans ce sens. Certaines annonces plus récentes, préconisant l!introduction de l!informatique dès l!école primaire dans l!Éducation nationale, répondent aussi au besoin de mieux former les citoyens. En revanche, l!enseignement supérieur est aujourd!hui en retard au sujet de sa capacité à former suffisamment d!ingénieurs en informatique. C!est un enjeu majeur pour la France.

La troisième responsabilité de l!État consiste à s!assurer de l!existence d!un contexte concurrentiel, loyal, non faussé, sans distorsion, afin que chaque acteur voulant se développer sur ce marché en croissance puisse le faire. L!innovation, moteur même de l!économie numérique, ne doit pas être handi-capée en France par rapport aux autres pays à cause de réglementations obsolètes dans le monde du

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numérique, ou de situations de distorsion de concurrence (notamment fiscale). Les deux tables rondes suivantes s!inscrivent clairement dans cette responsabilité de l!État. La neutralité d!Internet est un enjeu essentiel de liberté d!expression et de communication, de même qu!un enjeu économique très impor-tant. Les éditeurs de contenus en ligne se sont émus au moment où Free a bloqué les publicités sur le flux Google. Le chiffre d!affaires de ces éditeurs est composé principalement des revenus de la publicité, mais devons-nous laisser le marché de l!interconnexion entre fournisseurs OTT et four-nisseurs d!accès Internet totalement dérégulé, comme aujourd!hui ? Cette situation pousse certains acteurs incontournables à édicter leurs règles à des acteurs de moindre envergure. Nous en parlerons lors de la deuxième table ronde.

Enfin, l!État doit s!assurer que chaque société agissant dans notre pays contribue au fonctionnement de celui-ci de façon équitable, par le biais de la fiscalité. Il y a beaucoup à dire sur l!optimisation fiscale des géants de l!Internet. Je salue, à cette occasion, le sénateur Philippe Marini, précurseur ayant porté ce débat sur la place publique dès 2010. Nous avons maintenant pris conscience, en partie grâce à lui, de l!ampleur de l!« évasion fiscale » des géants de l!Internet. Le Parlement et le Gouvernement étudient des pistes dont l!objectif est de soumettre – de façon effective – à l!impôt ces sociétés. Je suis bien évidemment favorable à cette démarche, mais je souhaite que nous gardions en tête la vitesse de délocalisation de l!économie numérique. Il ne faudrait donc pas qu!une décision franco-française puisse favoriser une délocalisation des activités des start-up… Il est urgent d!agir, mais soyons prudents et mesurons les conséquences de nos choix ; portons ce débat avec nos partenaires européens devant la Commission européenne de Bruxelles. Ce sera l!objet du débat de la troisième table ronde de la matinée.

Je vous remercie et invite les participants de la première table ronde à venir s!exprimer.

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Session I Numérique et territoires

Présidente

Corinne Erhel

Députée des Côtes-d!Armor, rapporteure du programme « Communications électroniques pour le projet de loi de Finances de 2013 »

Intervenants

Didier Casas

Secrétaire général de Bouygues Telecom

Philippe Distler

Membre du collège de l!ARCEP

Pierre Hérisson

Sénateur de la Haute-Savoie, président du groupe d!études « Communications électroniques et poste »

Yves le Mouël

Directeur général de la Fédération Française des Télécoms, membre de la plateforme « Objectif fibre »

Arnaud Lucaussy

Directeur de la réglementation et des affaires publiques de TDF

Patrice Martin-Lalande

Député de Loir-et-Cher, co-président du groupe d!études « Internet et Société numérique »

Yves Rome

Sénateur de l!Oise, président de l!Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel (Avicca)

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Introduction

Patrice Martin-Lalande

Député de Loir-et-Cher Co-président du groupe d!études « Internet et Société numérique »

Député de Loir-et-Cher depuis 1993, Patrice Martin-Lalande est co-président du groupe d!études « Internet et Société numérique » dont il a été le créateur, en 1997. Premier vice-président du conseil général de Loir-et-Cher en charge, notamment, des technologies de l!information et de la communication, Patrice Martin-Lalande a été, de 2007 à 2012, président exécutif du groupe français de l!Union interparlementaire (UIP). En 2007, il publie un rapport d!information sur la société de l!information dans le budget de l!État. Au plan international, il a présenté un rapport sur « L!internet et les parlements » devant l!assemblée générale de l!Union interparlementaire. Il a

proposé et mis en œuvre pour le compte de l!UIP les 2 sessions parlementaires organisées lors du Sommet mondial sur la société de l!Information à Genève en 2003 et à Tunis en 2005. Il a été le président de la commission NTIC de l!Association nationale des maires de France de 1995 à 2001. Patrice Martin-Lalande est l!un des deux parlementaires au conseil consultatif de l!Internet, et membre titulaire du conseil consultatif de l!Internet.

Bonjour à tous et bienvenue à l!ensemble des participants. Cette première table ronde est consacrée à ce défi que nous nous sommes imposé : celui d!aménager le territoire de façon à traduire la volonté d!égalité de traitement dans le numérique. Nous devrons pour cela résoudre un certain nombre de problèmes ; ce secteur est en innovation permanente, alors que nous devons prendre des décisions pour les décennies à venir. Les décideurs publics et privés doivent réduire les incertitudes existantes afin d!optimiser le déploiement du très haut débit sur tout notre territoire. Autre paradoxe : dans les endroits où la fibre est déjà installée, le taux d!abonnés n!est que de 20 % ; la satisfaction de la demande n!est effective que pour une minorité de nos concitoyens. Je suis persuadé que nos concitoyens nous reprocheraient de ne pas anticiper, si dans quelque temps, se manifestait le besoin de disposer du très haut débit.

Je donne la parole à Yves le Mouël, directeur général de la Fédération Française des Télécoms et membre de la plateforme « Objectif fibre ».

*Synthèse des propos non validée par Patrice Martin-Lalande

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Standardisation et harmonisation technique : des enjeux structurants pour relever le défi de la fibre

Yves le Mouël

Directeur général de la Fédération Française des Télécoms Membre de la plateforme « Objectif fibre »

Yves le Mouël est le directeur général de la Fédération Française des Télécoms, dont il a organisé la création depuis octobre 2007. Ancien élève de l!ENS-PTT, Yves Le Mouël a exercé l!ensemble de sa carrière au sein de la Direction générale des Télécommunications, puis du Groupe France Télécom, à l!exception de 3 années, entre 1986 et 1989, passées chez NYNEX un opérateur local américain basé sur la côte Est. Il a ainsi pu participer activement depuis 35 ans à la profonde mutation du secteur des télécoms. Spécialiste du marketing et des ventes, il a exercé de nombreuses responsabilités dans ces domaines, alternativement sur le marché grand public et sur

le marché entreprises. Il a en particulier à son actif la segmentation du marché (résidentiels, professionnels, entreprises), le développement du service Consommateurs ou la création du réseau des agences entreprises. Après avoir participé à l!aventure de la télématique et au lancement du Minitel au début des années quatre-vingt, il a contribué au succès de l!Internet depuis le début des années 2000, en qualité de secrétaire général de Wanadoo, aux avant-postes notamment pour les opérations de « rebranding » et pour le développement du « broadband » en France, en Europe et à l!international, avec la Livebox.

J!aimerais vous parler des enjeux du très haut débit fixe. La Fédération française des télécoms a engagé un certain nombre de moyens en son sein, comme avec des partenaires externes, avec lesquels nous avons imaginé qu!un jour le très haut débit serait une réalité industrielle, et qu!il fallait donc s!y préparer. Nous devions être en mesure de fibrer et de câbler plusieurs millions de prises par an si nous voulions atteindre notre objectif ambitieux.

Il ne s!agit pas d!une œuvre de stratège, mais d!une œuvre d!organisateur. Des processus sont à industrialiser. Nous nous sommes penchés sur cette phase, sans doute un peu ingrate pour certains, mais qui nous paraît indispensable : l!industrialisation. Notre préoccupation, dans la phase d!optimisa-tion d!ingénierie, concerne des réflexions sur l!information des personnes concernées par ce sujet, la standardisation des processus et les formations devant accompagner la montée en compétences des personnels. Nous avons travaillé dans le cadre de la plateforme « Objectif fibre » pour définir des éléments d!appréciation.

Nous avons transmis de l!information vers des cibles intermédiaires indispensables (syndics, archi-tectes, etc.) et avons mis en place un site et diffusé des brochures à cet effet. Il existe un grand besoin de standardisation ; notre situation est inédite : nous devons apporter le très haut débit avec de la fibre jusqu!à l!abonné pour des dizaines de millions de foyers, avec plusieurs interlocuteurs et acteurs différents (opérateurs privés, opérateurs publics, etc.).

Cet aménagement du territoire se fera donc avec un nombre extrêmement important d!acteurs. Il faut que cette construction du très haut débit se fasse malgré tout de manière très homogène. Nous avons donc travaillé sur le sujet de la standardisation de manière très pragmatique, avec tous ceux qui sont concernés par l!établissement de cet outil, au-delà des normes qui sont finalisées continûment (y compris au niveau international). Nous avons travaillé à l!élaboration de guides pratiques, à l!utilisation d!installateurs pour ceux qui sont concernés par la mise en place des nouveaux réseaux. Ce sont ces types de travaux qui sont indispensables pour les acteurs du développement, et que nous devrons terminer dans les mois prochains de façon à obtenir une homogénéisation nationale.

Le troisième domaine sur lequel nous intervenons est celui de la compétence nécessaire pour la réalisation des réseaux. Cette compétence n!est pas naturelle. Les électriciens et les installateurs

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télécoms ne se rencontraient pas auparavant ; nous visons à ce que ces deux populations déploient de la fibre ensemble ; des formations sont donc à prévoir, de même qu!un dispositif pour l!organisation des réseaux, la maintenance et l!adaptation aux nouveaux matériels et équipements. En collaboration avec le ministère de l!Éducation nationale, nous avons conçu un programme pour définir la formation initiale. Dès 2014 sortiront de toutes les branches professionnelles techniques, électroniques et électroméca-niques (BTS, etc.) des jeunes diplômés certifiés intégrant cette capacité à déployer des réseaux de fibres. Concernant la formation permanente, en guise d!appui technique prospectif, nous avons lancé une étude avec la DGEFP, qui nous permettra d!évaluer précisément les besoins quantitatifs et qualitatifs de la population concernée. Plusieurs milliers de personnes seraient à former au déploiement de la fibre, dans les années qui viennent. Nous devrons définir ces formations, les outils nécessaires et la localisation des populations. Nous fournirons ces éléments très prochainement. Nous aurons l!occa-sion de présenter les résultats de cette étude lors d!un colloque qui aura lieu le 10 septembre. Les programmes et des organismes de formation seront labellisés.

*Synthèse des propos non validée par Yves le Mouël

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Cinq ans de régulation du FTTH

Philippe Distler

Membre du collège de l!ARCEP

Membre du collège de l!Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) depuis le 29 janvier 2013, Philippe Distler est ancien élève de l!École polytechnique et de Télécom Paris et ingénieur général des Mines. De 1980 à 1996, il a exercé diverses fonctions au sein du Centre national d!études des télécommunications (CNET) dans le domaine du réseau et a notamment participé à l!introduction du système de signalisation n° 7 en France. Il a rejoint l!Autorité de régulation des télécommunications (ART) en 1997 comme chef du Service technique, puis responsable du service Interconnexion et Nouvelles technologies en 2000. Il devient directeur

général en octobre 2003. Il a également exercé diverses responsabilités internationales dans les organismes de normalisation et a présidé la commission d!études 2 au sein du secteur normalisation et l!Union internationale des télécommunications (UIT).

L!ensemble des opérateurs nationaux ont annoncé dès la fin 2006, leur intention de déployer une nouvelle boucle locale en fibre jusqu!à l!abonné (FTTH) en remplacement, à terme, de la boucle locale cuivre. L!Autorité a donc engagé des travaux pour définir les conditions d!un déploiement réussi et lancé mi-2007 une consultation publique qui identifiait deux questions clés : la réutilisation des infrastructures existantes, notamment le génie civil de France Télécom et la mutualisation entre les opérateurs de la partie terminale de la boucle locale fibre. Ces travaux se sont concrétisés en juillet 2008 par deux actes fondateurs : 1/ par le Parlement qui, dans la loi LME, pose le cadre de déploiement du FTTH dans les immeubles (unicité de l!opérateur d!immeuble; obligations d!accès) ; 2/ par l!ARCEP qui, par une décision d!analyse de marché, pose une obligation d!accès au génie civil de France Télécom pour le déploiement de la fibre.

Depuis 2008, nous déclinons, avec l!ensemble des acteurs, ces principes en en définissant une mise en œuvre pragmatique, qui cherche à s!adapter aux réalités du terrain et du marché.

Deux décisions fondatrices ont été prises à la fin de l!année 2009 et à la fin de l!année 2010, qui fixent les conditions de mise en œuvre des dispositions de mutualisation de la partie terminale du réseau dans les zones dites « très denses » (148 communes représentant près de 5,5 millions de foyers), où la mutualisation se fait en pied d!immeuble et sur le reste du territoire, où la boucle locale mutualisée dessert entre 300 et 1 000 clients.

Où en sommes-nous concrètement aujourd!hui, après 5 ans de régulation ? À la fin du mois de mai, nous avons publié dans notre Observatoire du haut et très haut débit les chiffres du 1er trimestre 2013 : 675 000 abonnés au très haut débit, supérieur à 100 mégabits (câble et FTTH), dont 365 000 clients FTTH ; 2 405 000 logements éligibles au FTTH. Nous sommes sur un rythme annuel d!un million de prises, qui certes devra s!accélérer, mais montre que le processus industriel de déploiement fonctionne. La moitié de ces prises éligibles est accessible par deux opérateurs au moins, physiquement présents sur les sites et ayant la capacité de proposer leurs services aux clients finaux. 10 000 kilomètres de linéaire génie civil sont loués par des opérateurs alternatifs pour déployer leurs câbles de fibre.

Le processus de déploiement est donc enclenché. Il est essentiel, pour maintenir et amplifier cette dynamique, de conforter la confiance des acteurs, en garantissant la stabilité de l!environnement et une coopération efficace entre acteurs, tant publics que privés.

Patrice Martin-Lalande

Merci Philippe Distler. Je donne la parole à Yves Rome, sénateur de l!Oise et président de l!Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel (Avicca). Vous allez évoquer les infrastructures et les partenariats entre le secteur public et les opérateurs.

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Soutenir les collectivités territoriales dans leur effort de déploiement

Yves Rome

Sénateur de l!Oise Président de l!Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel (Avicca)

Sénateur de l!Oise, Yves Rome est président du Conseil général de l!Oise depuis 2004. Particu-lièrement investi sur les sujets numériques, il préside l!Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel) depuis 2008. Premier adjoint au maire de Bailleul-sur-Thérain, dont il a été le maire de 1989 à 2004, Yves Rome a été député de l!Oise de 1997 à 2002. En 1997, il crée la communauté de communes rurales du Beauvaisis. Il préside par ailleurs le SDIS de l!Oise ainsi que la Conférence nationale des services d!incendie et de secours.

Le processus industriel a, en effet, été lancé. Mais cela a nécessité plus de cinq ans, car les choix initiaux n!avaient pas été fondés entre les opérateurs privés et les collectivités territoriales. Il a fallu démontrer la nécessité et la place des collectivités dans le déploiement des réseaux très haut débit. L!Europe prend du retard par rapport à la compétition internationale dans le déploiement des réseaux de fibre optique à très haut débit. En Europe, la France est en retard. Il est nécessaire de changer de paradigme. La volonté politique du président de la République et du Gouvernement en la matière a confirmé le rôle essentiel que jouent les collectivités territoriales.

Pour accélérer ce déploiement, il faut aussi que la place et le rôle des collectivités soient reconnus. La plupart d!entre elles ont décidé de faire de la fibre optique une priorité. Ces collectivités territoriales doivent être sécurisées dans leurs investissements. Le taux de subventionnement de l!État a été considérablement réévalué pour mettre en œuvre une péréquation territoriale et aider les territoires dans le besoin.

Pour que l!objectif soit atteint, les collectivités territoriales doivent être sécurisées dans les inves-tissements qu!elles consentent. Or, même si le Gouvernement a confirmé que la fibre optique constituait une priorité, nous voyons apparaître quelques difficultés, avec la possibilité d!utiliser le VDSL2. Cette technologie permettra, dans certaines zones, de rendre éligibles des territoires qui auraient trop longtemps attendu avant le déploiement de la fibre, mais elle présente un risque : il faudra éviter qu!elle soit déployée dans les collectivités qui ont décidé d!investir dans la fibre optique.

Nous ne sommes pas favorables à la concurrence par les infrastructures. Nous fondons beaucoup d!espoir sur la mission Champsaur, qui travaillera sur la nécessité de fixer une chronologie pour l!extinction du fil de cuivre.

Les collectivités ont joué un rôle éminent dans la couverture de leur territoire, pour atteindre une égalité fondamentale, alors que les choix initiaux n!allaient pas dans ce sens. Le standard d!éligibilité d!un territoire conditionne le fait de son développement économique et les choix d!aménagement.

J!en appelle à un new deal du mix technologique dans le domaine financier, avec les opérateurs et les collectivités territoriales. Cela contribuerait au retour de la croissance et de l!emploi. Les enjeux industriels sont aussi importants. La formation est nécessaire pour que le numérique pénètre l!ensemble de la société française. Le ministre de l!Éducation nationale, Vincent Peillon, a mis en place 20 collèges expérimentaux en matière de déploiement du numérique.

Les opérateurs privés doivent s!appuyer sur les réseaux que les collectivités territoriales construiront. Ces réseaux seront standardisés et pourront donc être facilement exploitables.

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Le développement du très haut débit dans les territoires

Didier Casas

Secrétaire général de Bouygues Telecom

Secrétaire général de Bouygues Telecom et membre de son comité de direction depuis 2011, Didier Casas est juriste, ancien élève de l!ENA (promotion Valmy 1996-1998) et maître des requêtes au Conseil d!État. Didier Casas a été commissaire du Gouvernement auprès de l!assem-blée du contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d!État de 2004 à 2007, spécialisé notamment dans le contentieux de droit public économique, après avoir été rapporteur près la cour de discipline budgétaire et financière de 2000 à 2004. Maître de conférences à Sciences-Po de 1998 à 2000 puis de 2009 à 2011 et à l!École nationale d!administration de 2001 à

2004, il a été professeur associé à la faculté de droit de Poitiers de 2005 à 2008. Didier Casas a également été secrétaire général et membre du comité de direction de Dexia Crédit Local, entre 2008 et 2011.

Le très haut débit est une chance pour les territoires. Les opérateurs mobiles qui déploient des réseaux savent que des travaux sont engagés sur les territoires ; lorsqu!ils installent des sites mobiles, des équipements électroniques sont construits et des travaux d!installation sont réalisés, pris en charge par un réseau d!entreprises sous-traitantes.

Le très haut débit, fixe comme mobile, est un élément d!attractivité des territoires au plan économique. Pour les entreprises, c!est un élément clé de localisation de leurs investissements et de leurs activités. Il est indispensable d!entamer des travaux déterminés pour ouvrir le marché des télécoms aux entreprises. En France, le marché des entreprises est, à ce jour, trop concentré autour de quelques acteurs détenant un quasi-monopole, alors que le marché du grand public, lui, est devenu concurrentiel. Certaines fréquences mobiles, destinées au très haut débit, présentent des atouts particuliers pour l!aménagement du territoire. J!évoquerai à ce sujet deux types de fréquences.

Concernant les fréquences de 800 MHz, des travaux avaient été engagés pour que leur déploiement soit mis au service de l!aménagement du territoire (objectif de couverture : 99,6 % du territoire en 15 ans). La France est l!un des seuls pays dans lesquels le déploiement du très haut débit mobile en fréquence basse a été le plus encadré par des objectifs d!aménagement du territoire.

Les fréquences de 1 800 MHz réutilisent les fréquences 2G pour faire de la 4G et représentent l!avantage majeur (pour Bouygues Telecom) de déployer rapidement le très haut débit mobile sur cette bande de fréquence. La décision de l!ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) d!accélérer le déploiement du très haut débit mobile en France a été courageuse. Les autres opérateurs se sont engagés dans une course au déploiement sur les autres bandes de fréquence.

Nous pensons que le très haut débit mobile ne doit jamais être un substitut du très haut débit fixe. Les offres mobiles sont vendues avec des obligations de fair use et ne sont donc pas adaptées à des usages continus. Nous ne devons pas laisser croire qu!il sera possible d!utiliser la LTE et la 4G pour les mêmes usages que la fibre optique.

*Synthèse des propos non validée par Didier Casas

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Le rôle de la TNT dans le déploiement du haut débit et du très haut débit en opposition aux réseaux informatiques filaires

Arnaud Lucaussy

Directeur de la réglementation et des affaires publiques de TDF

Arnaud Lucaussy est directeur de la réglementation et des affaires publiques de TDF depuis 2010. De 2006 à 2010, il occupe le poste de directeur de la réglementation et des études économiques chez SFR après avoir été pendant quatre ans conseiller technique au sein des cabinets du ministre de l!Économie, des Finances et de l!Industrie, et du ministre délégué à l!Industrie, où il est chargé des technologies de l!information et de la communication, de la Poste, de l!innovation et de la recherche. Il commence sa carrière à la Poste en 1989 où il occupe pendant onze ans plusieurs postes dans les domaines technologiques et réglementaires. Il prend ensuite la présidence, en

2001, d!eCPP, filiale multimédia du groupe de communication CPP. Arnaud Lucaussy est diplômé de l!École polytechnique et de l!École nationale supérieure des télécommunications.

Ces Rencontres viennent à un moment très important pour le très haut débit fixe et mobile. La TNT est un réseau numérique disposant d!atouts importants et qui repose sur le modèle économique de la publicité et de la gratuité pour le téléspectateur. Ce modèle a fait le succès de la TNT qui est la première plateforme de réception de la télévision numérique.

La TNT est une infrastructure à très haut débit, composée de huit multiplexes, chacun disposant de 24 mégabits ; la structure de diffusion est de 192 mégabits/seconde pour tous les spectateurs. Le seuil constaté pour l!accès au très haut débit étant de 50 mégabits/seconde, nous pensons donc que la TNT a toute sa place dans le programme des pouvoirs publics pour promouvoir le très haut débit.

La couverture de la TNT est très forte, parce que les élus y veillent et parce que la loi dispose que les chaînes présentes sur la TNT ont une obligation de couvrir 100 % du territoire.

L!État est en mesure de fixer des obligations importantes aux chaînes, notamment en matière culturelle, avec des obligations de production audiovisuelle et cinématographique – pilier de l!exception culturelle. Cette capacité est due au fait que les fréquences sont attribuées gratuitement aux chaînes.

Autrement dit, l!État dispose d!un levier pour orienter une économie parce qu!il attribue les fréquences ; il perdrait ce levier en cas de bascule sur des réseaux fixes, car l!État n!a pas de capacité de régulation sur l!Internet.

Un débat a lieu sur la bande fréquence des 700 MHz, qui est d!actualité en ce moment. Corinne Erhel a expliqué que les modes de gouvernance modernes imposaient de réaliser des études d!impact préalablement à toute décision ; aucune étude n!a été faite préalablement à l!annonce du transfert de cette bande fréquence.

Il faut réfléchir aux évolutions à venir pour la TNT et le « deuxième dividende numérique ». TDF n!en conteste pas le principe, mais les modalités doivent être bien établies, et le calendrier doit être réaliste. Si la bande fréquence de 700 MHz devait aller aux communications mobiles, la TNT perdrait 30 % de ses fréquences disponibles. Il ne faut pas remettre en cause l!avenir de cette plateforme, car elle détient des atouts très importants.

Pour que la TNT puisse continuer à évoluer vers plus de chaînes en haute définition et accueillir l!ultra haute définition, et ce avec moins de spectre, il lui faut utiliser progressivement de nouvelles normes de diffusion (le DVB T2) et de compression (HEVC). Ces changements de norme imposeront de modifier ou d!adapter les récepteurs des téléspectateurs d!où la progressivité.

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D!ailleurs, l!arrivée de la norme HEVC aura un impact direct non seulement sur la TNT mais aussi sur les réseaux fixes. L!ADSL utilisera aussi le HEVC pour diffuser la télévision, et bénéficiera des gains en compression très importants de cette technologie, ce qui lui donnera un nouveau souffle.

Trois ans seront nécessaires pour renégocier les accords aux frontières concernant la France. Il faudra établir un plan de fréquence nationale et passer sur tous les sites TDF pour changer les installations. L!opération de libération de la bande pourrait donc être réalisée d!ici 2020.

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Quel déploiement sur le territoire ?

Pierre Hérisson

Sénateur de la Haute-Savoie Président du groupe d!études « Communications électroniques et poste »

Sénateur de la Haute-Savoie depuis 1995, réélu en 2004, Pierre Hérisson est également vice-président de la commission des Affaires économiques et président du groupe d!études « Communi-cations électroniques et poste ». Il est vice-président de la Commission supérieure du service public de la poste et des communications électroniques (CSSPPCE), membre de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et du groupe d!études « Médias et nouvelles technologies » du Sénat. Ancien maire de Sevrier, il a été vice-président du conseil régional Rhône-Alpes et président du Syndicat mixte du lac d!Annecy. Il est aujourd!hui conseiller municipal

d!Annecy. Pierre Hérisson a débuté son activité professionnelle au sein d!une PME spécialisée dans les industries de carrières et de matériaux.

Portalis disait : « Il faut toujours écrire la loi d!une main tremblante. ». Je dirais qu!il faut parler du sujet qui nous intéresse ce matin d!une voix tremblante, surtout quand nous avançons nos certitudes. Le pire serait que nous soyons tous du même avis.

Peu de personnes ont pris connaissance du rapport de la Cour des comptes adressé récemment au Premier ministre et de la réponse de ce dernier. Un certain nombre de progrès ont été réalisés au cours du mandat précédent. Avec Yves Rome, nous travaillons en tandem sur ce sujet au Sénat.

Je pense que les collectivités doivent accompagner les opérateurs télécoms et pas l!inverse. C!est fondamental. Depuis 1996, date de l!ouverture à la concurrence, nous avons vu arriver de nouveaux opérateurs aux stratégies différentes. Nous venons de traverser une période où, hors de la fibre optique, il n!y aurait point de salut. Je vous rappelle que tous les pays n!ont pas choisi la fibre optique et qu!un certain nombre de technologies complémentaires permettent d!accéder au haut débit. Nous devons sortir de l!ambiguïté entre très haut débit et fibre optique pour laisser la place à une couverture raisonnable du territoire pour l!ensemble de la population sans nous focaliser exclusivement sur le déploiement de la fibre.

Une complémentarité doit être envisagée en matière de recherche et d!innovation. Arnaud Lucaussy vient de dire que l!ADSL 2 pouvait retrouver une nouvelle jeunesse pour la couverture de la télévision. D!après les cahiers de l!ARCEP, le très haut débit mobile va permettre de donner rapidement satisfaction aux utilisateurs dans leurs usages quotidiens. Parmi les points d!inquiétude, le plus important reste le déploiement de la fibre pour un million de personnes raccordables alors qu!il existe moins de 200 000 intéressés. C!est un problème politique qui doit être traité par la voie législative.

Dans notre rapport, avec Yves Rome, nous avons insisté sur la nécessité d!une sécurisation de la relation avec les opérateurs afin d!obtenir la garantie que ces réseaux seront bien exploités dans des conditions financières qui ne créent pas un décalage trop important avec les collectivités. Mais les revues de presse ont retenu une idée extrême que je ne partage pas : la gabegie de la part des collectivités locales pour le déploiement de la fibre optique en France.

Il faut se méfier de nos certitudes et il ne faut pas craindre de faire évoluer la loi si nécessaire, pour sécuriser les collectivités car les textes ne donnent pas satisfaction sur ce point. C!est essentiel eu égard aux milliards investis en argent public.

Alors que Bruxelles vient de fixer le haut débit à partir de 30 mégabits, je m!interroge. Les Allemands n!ont pas choisi la fibre et leur réseau coaxial couvre la totalité du territoire allemand, raison pour laquelle, ils ont fait pression pour que Bruxelles fixe ce seuil.

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Débats

Raymond Gonthier, 12e vice-président, Communauté d!agglomération du Grand Chalon

Je suis en charge du développement numérique du Grand Chalon avec Christophe Sirugue. Les chiffres fournis aujourd!hui sur le pourcentage de raccordements à la fibre optique me font réagir. Les collectivités n!ont pas la possibilité de définir des priorités parmi les zones. Nous tentons de faire en sorte que les premiers déploiements s!effectuent là où il n!existe pas de débit, mais nous constatons que le déploiement se réalise justement là où il existe déjà un débit de 30 ou 40 mégabits. Dans ces conditions, je ne suis pas surpris que le taux de raccordements à la fibre optique ne soit que de 20 %. J!ai eu l!occasion d!intervenir à l!Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l!audiovisuel) et au Graco (Groupe d!échange entre l!ARCEP, les collectivités territo-riales et les opérateurs) pour éviter qu!une nouvelle fracture numérique se fasse jour.

Patrice Martin-Lalande

Beaucoup d!élus chargés des SDAN (Schéma directeur d!aménagement numérique) doivent partager votre vision des choses. Parler du très haut débit quand un certain nombre de nos concitoyens n!ont pas de haut débit, c!est vécu comme de la provocation.

Yves Rome

Je partage largement ce constat et les chiffres de l!ARCEP le confirment. Le rôle des collectivités territoriales est majeur. Elles doivent faire le choix des zones, et c!est possible. Dans l!Oise, je vais investir 263 millions d!euros pour la FTTH et je commence à déployer là où le débit est inférieur à 2 mégabits, c!est-à-dire là où le triple play (Internet-téléphone-télévision) n!est pas disponible.

Richard Toper, président-directeur général, Setics

Aux États-Unis, le président Obama a lancé un plan visant, dans les cinq ans qui viennent, à raccorder toutes les écoles à un gigabit afin que les enseignants disposent de services vidéo de qualité. J!aimerais connaître votre réaction.

Yves Rome

La volonté politique est déterminante dans ces choix technologiques d!aménagement du territoire et de compétition internationale. Aujourd!hui, nous parlons des infrastructures et des usages, mais, en amont, il faut la production des outils nécessaires et, en aval, une fiscalité incitative. Si nous prenons du retard sur les infrastructures en oubliant l!amont et l!aval, ce sera la mort du système national que nous avons bâti depuis la Libération. Si la valeur s!en va et que nous ne savons pas la retenir, la fin de l!histoire est écrite d!avance.

Pierre Hérisson

Il faut se garder des déclarations sectorisées. Ce que vous ne dites pas, dans le cas du président Obama, c!est « qui paie ? ». Les grandes déclarations politiques sont faciles sur le sujet. Lorsque nous parlons, hors de l!Hexagone, du financement public du développement du très haut débit, nous sommes regardés comme des zombies. Le rapport de la Cour des comptes et la réponse de Jean-Marc Ayrault sont éclairants. J!ai l!impression que le gouvernement actuel n!adopte pas une position radicalement différente par rapport à ses prédécesseurs. Il faut être réaliste : il faudra vingt ans pour fibrer la France de bout en bout. Il ne faudrait pas se retrouver avec des technologies capables d!apporter une couver-

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ture raisonnable en milieu rural d!ici dix ans et que tout le monde boude la fibre optique comme les urbains sont en train de le faire aujourd!hui.

Arnaud Lucaussy

À Singapour, où il existe un réseau de fibre optique dense, ils viennent de lancer un réseau de télévision hertzienne dernier cri avec la norme DVB T2. Ce n!est pas antinomique.

Patrice Martin-Lalande

Je voudrais revenir sur ce qu!a dit Didier Casas à propos de la 4G. Quand nous élaborons un schéma d!aménagement numérique d!un département comportant des zones rurales, nous savons que nous n!aurons jamais la possibilité de l!équiper de fibre, sauf à prévoir des dépenses hors d!époque. L!idée que la 4G ne va pas remplacer mais compléter la fibre est vraie dans certains domaines, mais en attendant, il reste des zones pour lesquelles nous souhaitons demander d!apporter transitoirement un très haut débit. Que peut-on attendre de la 4G sachant que les opérateurs se sont engagés à équiper à 40 % les zones de développement prioritaire sur l!ensemble de la France ? C!est au niveau d!un département que nous avons besoin de connaître les zones qui seront équipées en 4G de manière prioritaire et à quelle échéance.

Didier Casas

Quand vous vous trouvez en Finlande ou en Suède, les mobiles affichent quatre barrettes, mais les fréquences ne coûtent pas un milliard d!euros. Il faut compter avec les investissements exigés des opérateurs en termes de fréquences ou d!infrastructures, avec la fiscalité sectorielle, les aspects de concurrence entre les prix des forfaits, et le fait qu!il ne faut pas installer des antennes partout pour des raisons de radiofréquences nuisibles à la santé. À un moment donné, l!industrie ne peut pas rassembler les quatre côtés du quadrilatère sans qu!il se déchire. Notre industrie doit rester rentable. Les opérateurs sont-ils en mesure de dire quelles zones seront couvertes en 4G et à quel horizon ? Je ne peux pas répondre publiquement à cette question sans fournir des informations à la concurrence. C!est une information liée au secret des affaires.

Patrice Martin-Lalande

Cela rend bien difficile le travail des élus, faute de visibilité.

Michael Trabbia, France Telecom-Orange

Effectivement, les attentes sont fortes de la part des élus et des consommateurs tant pour le fixe que pour le mobile. Mais pour les satisfaire, nous faisons face à un vrai problème de création et de répartition de la valeur. On nous demande d!investir sur le RIP (réseaux d!initiative publique) et aujourd!hui, sur le marché français et européen, nous avons perdu 15 % des revenus de services mobiles en l!espace de deux ans. Au-delà, un débat important et inquiétant se tient au niveau européen. Il est question d!ouvrir ces réseaux à des acteurs offrant des services paneuropéens. Je voudrais appeler à la cohérence. Nous attendons aussi des pouvoirs publics un appui sur ces questions pour pouvoir investir à hauteur de vos attentes.

Vincent Talvas, directeur des Affaires publiques, SFR

Nous entendons les attentes nombreuses des élus locaux sur le haut débit et la 4G. Nous avons besoin d!un cadre réglementaire constant car on nous demande d!investir des sommes considérables, soit 1,5 milliard d!euros par an pour SFR tout en subissant une perte de valeur ; et le cadre évolue sans cesse. Nous apprenons que la fréquence des 700 MHz va être libérée rapidement. Comment concilier ces investissements à des ressources contraintes ?

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Laure de La Raudière

Trois points n!ont, à mon avis, pas été évoqués. Aujourd!hui, nous en sommes toujours aux deux milliards d!euros votés par l!ancienne mandature dans le cadre des investissements d!avenir. Nous manquons d!un financement de l!État pour assurer la péréquation financière en faveur des territoires ruraux où les coûts de déploiement par habitant du THD sont beaucoup plus élevés. Nous comptons sur la loi de finances pour 2014. Ensuite, il nous faut un cadre technique de déploiement des réseaux. Aujourd!hui, il existe des collectivités qui investissent dans des réseaux, mais les grands opérateurs ne souhaitent pas les exploiter. Nous attendons toujours le cahier des charges techniques validé par les opérateurs. Enfin, nous attendons les résultats de la mission confiée à monsieur Paul Champsaur sur l!extinction de la boucle locale cuivre. Pour que les investissements des collectivités soient rentables, il faut une absence de concurrence entre le cuivre et la fibre. Ce sont les trois inconnues qui empêchent des collectivités d!investir. Nous devons agir sur ces trois leviers afin d!obtenir une visibilité sur la rentabilité des investissements à long terme.

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Session II La neutralité du Net à l!épreuve de la réalité ?

Présidente

Laure de La Raudière

Député d!Eure-et-Loir, rapporteur de la mission d!information sur la neutralité du Net

Intervenants

Virginie Duby-Muller

Députée de la Haute-Savoie

Olivier Henrard

Secrétaire général de SFR

Catherine Morin-Desailly

Sénatrice de la Seine-Maritime, présidente du groupe d!études « Médias et nouvelles technologies »

Jean-Baptiste Soufron

Secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum)

Jacques Stern

Membre du collège de l!ARCEP

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La question de la neutralité, un enjeu politique européen

Catherine Morin-Desailly

Sénatrice de la Seine-Maritime Présidente du groupe d!études « Médias et nouvelles technologies »

Sénatrice de la Seine-Maritime depuis le 26 septembre 2004, Catherine Morin-Desailly est aujour-d!hui vice-présidente de la commission de la Culture, de l!Éducation et de la Communication. Elle a été rapporteur du budget média, auteur de plusieurs rapports sur l!audiovisuel public et sur le numérique tels que la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l!heure du numérique. Depuis septembre 2011, elle est en charge des questions numériques au sein de la commission des Affaires européennes dont elle est également vice-présidente. Elle a récemment

publié un rapport sur la gouvernance européenne du numérique, intitulé : « L!Union européenne, colonie du monde numérique ». Ce dernier a fait l!objet d!un avis politique du Sénat auprès de la Commission européenne à Bruxelles. Depuis 2008, elle préside par ailleurs le groupe d!études sénatorial « Médias et Nouvelles technologies » qui a organisé plusieurs tables rondes ayant fait l!objet de rapports dont « L!avenir de la radio » (5 mai 2010), « La neutralité du Net » (26 octobre 2011), « La fiscalité du numérique » (26 janvier 2012), « Les effets sociétaux de la révolution numérique » (12 juillet 2012).

Laure de La Raudière

Cette deuxième table ronde porte sur la neutralité du web à l!épreuve de la réalité. C!est un sujet qui m!est cher mais je passe la parole à Catherine Morin-Desailly afin qu!elle nous dresse un tableau global de la question.

Catherine Morin-Desailly

Le principe de neutralité du Net est celui de l!ouverture, de la liberté de choix et d!accès aux contenus, aux services et aux applications. L!explosion des usages numériques crée un besoin croissant de la bande passante. Le trafic a été multiplié par deux en deux ans et s!effectue de manière croissante par le biais du réseau sans fil avec un risque de saturation. Pour revenir sur ce qu!a dit Yves Rome sur l!introduction du numérique à l!école, des expérimentations sont menées dans les collèges éligibles. La neutralité ne sera effective qu!après une égalité complète d!accès de l!ensemble des établissements.

Le sujet dépasse largement la France. Il concerne les moteurs de recherche, les terminaux et les télévisions connectées. Nous avons profité, avec mon collègue Bruno Retailleau, de la transposition du paquet télécoms pour modifier en 2011 l!article L. 32-1 du Code des postes et télécommunications afin d!y introduire le respect de la neutralité et la protection des données personnelles. Une mission de préservation de cette neutralité a été confiée à l!ARCEP afin d!assumer « l!absence de discriminations dans des circonstances analogues dans les relations entre opérateurs et fournisseurs de services de communications publiques en ligne, pour l!acheminement du trafic et l!accès à ces services ».

Un engagement plus clair et complet mériterait d!être inscrit dans notre législation, comme le propose l!ARCEP dans son rapport (septembre 2012) ou mes collègues Laure de La Raudière et Corinne Erhel (rapport de 2011). Il appartient aux États d!établir les règles de protection de l!Internet et de décider de la répartition des pouvoirs.

La question de la neutralité du Net dépasse le cadre français, elle est européenne. Un projet de règlement portant sur les données personnelles est en cours de discussion. Il est curieux que le Gouvernement ait annoncé un projet de loi puisque le règlement européen s!appliquera de fait.

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Internet est un espace transfrontalier qui bouleverse les règles de droit, renverse les modèles d!affaires et déstabilise l!organisation de l!économie traditionnelle en déplaçant la valeur ajoutée. Il se joue de l!impôt et exploite la concurrence entre les États si bien que, progressivement, une poignée d!acteurs non européens dominent ce nouveau monde et rivalisent avec les États.

Le sujet de la neutralité des terminaux mérite la plus grande vigilance car la croissance des géants de l!Internet tous azimuts passe le plus souvent par la maîtrise de systèmes propriétaires. Des préoccu-pations s!expriment quant au rôle des systèmes d!exploitation, des terminaux mobiles, des tablettes ou des téléviseurs connectés (ARCEP, rapport de septembre 2012). Le contrôle de ces environnements placés en bout de chaîne entre le réseau et l!utilisateur offre aux fournisseurs de terminaux ou d!applications la possibilité de bloquer certains contenus et applications ou de mettre en avant des contenus partenaires. Il en est ainsi dans l!Apple Store ou sur des plateformes de vidéos, à la demande de fabricants de télévisions connectées. De même, les principaux fournisseurs de contenus et d!appli-cations trouvent un intérêt à déployer leurs propres infrastructures de réseau, centres d!hébergement, etc. Cela risque de créer des jardins clos où l!acteur exerçant à la fois le métier d!opérateur et de FCA (fournisseur de contenus et d!applications) sera tenté de privilégier ses propres produits, mettant en péril la richesse de l!offre et, à terme, l!innovation.

Nous constatons des comportements de fermeture du marché ayant un impact sur la liberté éco-nomique, le pluralisme et la protection des données.

Certes, le numérique est un outil de croissance et d!emplois. L!Union européenne a d!ailleurs constitué son agenda numérique 2020 avec l!objectif de réaliser un marché unique numérique qui comprendrait plus de 500 millions de consommateurs. Mais la vraie question réside bien dans le respect de la neutralité d!Internet et dans la manière dont ce marché est en train de se structurer.

J!ai voulu soulever cette question dans un rapport à la commission des Affaires européennes. Le seul objectif de nos politiques ne devrait pas se cantonner au principe de libre concurrence. Le principe de neutralité découle de l!article 3 du traité de l!Union et doit aussi être inscrit au rang stratégique pour le développement du numérique. Les réseaux doivent transporter tous les flux de manière neutre. Il s!agit d!une garantie de la liberté d!expression et d!information. C!est un droit fondamental.

L!Europe devrait aussi défendre la sécurité des réseaux numériques européens, toujours dans un souci de neutralité et pour préserver la diversité culturelle sur Internet. L!accord de libre-échange entre l!Union européenne et les États-Unis va exclure les services audiovisuels.

Enfin, le soutien de l!industrie européenne du numérique est impératif. Le numérique est une oppor-tunité mais en serons-nous les consommateurs ou les producteurs ? C!est une question de liberté, de civilisation et de souveraineté. Il ne s!agit pas d!une question française mais européenne, la France étant le fer de lance de cette réflexion, afin que nous puissions peser dans le cyberespace, porter notre modèle et garantir nos libertés.

Laure de La Raudière

Merci Catherine. Je passe la parole à Jacques Stern pour qu!il fasse le point sur la neutralité d!Internet et les outils mis en place par l!ARCEP.

*Synthèse des propos non validée par Catherine Morin-Desailly

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Les outils de l!ARCEP en faveur de la neutralité

Jacques Stern

Membre du collège de l!ARCEP

Nommé membre de l!Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en 2012, Jacques Stern est professeur d!informatique à l!École normale supérieure, spécialiste de cryptologie et de sécurité des transactions et des communications électroniques. Auteur de plus de 100 publications dans des revues scientifiques et d!un livre intitulé « La science du secret », il est titulaire d!une douzaine de brevets. Ses principaux travaux ont porté sur la cryptanalyse et les preuves de sécurité des algorithmes à clé publique, ainsi que sur la conception d!algorithmes de chiffrement adaptés à l!environnement des cartes à microprocesseur. De 2007 à

2010, Jacques Stern a été président de l!Agence nationale de la recherche (ANR) et également président non exécutif de la société Ingenico, fournisseur mondial de solutions de transactions et de paiement sécurisés. Au début de l!année 2010, Jacques Stern a rejoint le Cabinet du ministre de l!Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, en tant que conseiller auprès du ministre, un poste qu!il a conservé auprès du ministre Laurent Wauquiez. Jacques Stern a, par ailleurs, été président de la conférence CCS (Computer and Communications Security) de l!ACM en 1996 et de la conférence Eurocrypt en 1999. Il a également été récipiendaire du prix Lazare Carnot de l!Académie des sciences en 2003 et de la médaille d!or du CNRS, plus haute distinction scientifique française, en 2006 et du prix RSA Data Security en 2007.

L!ARCEP travaille depuis au moins cinq ans sur ces questions de neutralité. Nous avons donc eu le temps d!élaborer une doctrine et de mettre en place une méthode.

Notre définition de la neutralité est plus limitée que celle de la sénatrice Catherine Morin-Desailly. Pour nous, il s!agit de l!obligation, pour un réseau, de traiter équitablement l!acheminement de toutes les données indépendamment de l!origine, du contenu et de la destination.

Nous avons développé une doctrine en 2009 et émis dix propositions en 2010. À notre avis, la neutralité doit être la règle, mais elle peut admettre des exceptions. La règle de la neutralité recouvre la liberté d!usage, une qualité suffisante d!Internet et un traitement non discriminatoire des flux. L!exception possible à cette règle réside dans les mécanismes de gestion de trafic, dont nous avons souhaité qu!ils soient encadrés par des critères de pertinence, de proportionnalité, d!efficacité et de non-discrimination des acteurs et, naturellement, par la transparence vis-à-vis du consommateur.

Nous avons bien distingué entre ce qui relevait de l!Internet proprement dit et des services gérés. Le principe de neutralité s!applique à l!Internet « best effort » (l!acheminement au mieux) des fondateurs, auquel nous sommes attachés. Nous devons préserver la richesse de l!offre et la capacité d!innovation qui a été mise en place. Par conséquent, c!est un principe de liberté. Nous distinguons cet Internet des services gérés (programmes de télévision ou de vidéo à la demande, par exemple) qui mettent éventuellement en jeu les mêmes technologies mais qui offrent une garantie de service. Ces services gérés, nous n!avons pas de raison de les restreindre.

Nous avons proposé des mécanismes de régulation dont certains ont été mis en place lors de la transposition du paquet télécoms puisque l!ARCEP a vu ses compétences s!élargir au règlement des litiges entre les fournisseurs d!accès Internet et les fournisseurs de contenus d!applications. Notre méthode se situe à trois niveaux, avec tout d!abord une action préventive par le biais d!enquêtes. Ensuite, l!ARCEP mène une action corrective qui peut passer par le règlement de différends. Enfin, nous pourrions avoir une action prescriptive allant jusqu!à la définition de débits minimaux pour l!Internet « best effort ».

Parmi les chantiers 2013 figure la mise en place d!un dispositif de mesure et de suivi de la qualité de service sur Internet réalisé en partenariat avec les opérateurs. Il nous conduira à publier des indicateurs

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de débit montant et descendant, de performance, de latence, de perte de paquets, d!usage du web, d!usage du streaming et des protocoles peer-to-peer.

La possibilité de légiférer a été évoquée tout à l!heure. Il n!appartient pas à l!ARCEP de se saisir de la question. Dans notre rapport, nous avons précisé qu!une législation était possible mais qu!elle devait être technologiquement neutre et ne pas entrer dans trop de détails compte tenu de l!évolution rapide des usages.

Laure de La Raudière

Vous avez raison, il vaut mieux que la loi n!entre pas dans les détails technologiques. Je vais passer la parole à Olivier Henrard, secrétaire général de SFR. Que pensez-vous de la neutralité d!Internet et d!une éventuelle législation dans ce domaine ?

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La politique de neutralité du Net est-elle un frein au développement des opérateurs nationaux ?

Olivier Henrard

Secrétaire général de SFR

Directeur exécutif, secrétaire général et membre du Comité exécutif du groupe SFR, Olivier Henrard, est membre du Conseil d!État et spécialisé dans le domaine de la culture, de la communication et de la propriété intellectuelle. Diplômé de la Faculté de droit et de l!Institut d!études politiques d!Aix-en-Provence, il a été responsable de différents services publics à la Ville de Paris, dans le domaine de la culture de 1993 à 1999. Il a ensuite intégré l!École nationale d!administration pour être nommé à sa sortie, en 2003, au Conseil d!État. À ce titre, il a exercé jusqu!en 2007 des fonctions juridictionnelles et de conseil juridique auprès du Gouvernement. Il a écrit parallèlement,

pour le compte du Gouvernement, plusieurs rapports relatifs à la propriété intellectuelle dans la société de l!information. Il a ensuite exercé, entre 2007 et 2012, les fonctions de conseiller pour les industries culturelles, la propriété intellectuelle et le mécénat auprès de Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication de 2007 à 2009, puis de directeur adjoint de cabinet auprès de son successeur Frédéric Mitterrand, enfin de conseiller pour la Culture et la Communication du Président de la République (2010-2012). Il a ainsi piloté la négociation et l!élaboration de plusieurs projets de loi relatifs à la propriété intellectuelle et plus généralement aux politiques publiques dans le domaine de la Culture et de la Communication.

Le sénateur Hérisson a cité Portalis et la main tremblante du législateur. Concernant la neutralité du Net, la main du législateur devrait être presque tremblotante compte tenu de la sensibilité du sujet.

En droit national ou communautaire, il existe quelques traces de la neutralité comme, par exemple, dans l!absence de discrimination dans la relation entre fournisseurs d!accès et fournisseurs d!applications et de contenus. Il n!existe toutefois aucune définition juridique de la neutralité. Le débat s!est centré autour de l!idée que chaque utilisateur doit disposer d!un accès à l!ensemble de contenus de manière non discriminatoire. Quatre pays ont choisi de légiférer sur ce sujet : le Chili, la Slovénie, les Pays-Bas et le Pérou. Il convient d!admettre la réserve du législateur en la matière. Les textes de loi ont d!ailleurs évité le débat autour de la neutralité pour se concentrer sur quelques garanties concrètes. La proposition de loi déposée par Laure de La Raudière se rattache à cette approche qui cerne un réseau de garanties concrètes sans entrer dans l!essence de la neutralité.

Du point de vue de l!opérateur, j!émets le souhait que le débat public sur la neutralité du Net englobe le sujet dans toute sa richesse.

Le débat sur la neutralité a émergé pour trois raisons en France :

• l!explosion du trafic de 30 % l!an et de 50 % pour l!Internet mobile du fait des nouveaux usages, notamment des vidéos ;

• la préoccupation d!ordre public de voir respectées sur le réseau la propriété intellectuelle et la lutte contre les contenus odieux. Elles nous ont valu des dispositifs de blocage d!internautes qui se livrent à des usages répréhensibles ;

• le financement des réseaux a été fondé sur le recours aux utilisateurs finaux, contrairement au modèle économique de la téléphonie mobile, où les éditeurs de services sont mis à contribution.

Le débat s!est focalisé aux États-Unis et en France. Aux États-Unis, un Policy Statement de 2005 dans l!affaire Madison River a posé les premiers principes. Un fournisseur d!accès Internet qui était égale-ment opérateur de téléphonie mobile avait bloqué l!utilisation de services pour éviter la concurrence.

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Aux États-Unis, il existe un nombre limité de fournisseurs d!accès haut débit. En France, ce n!est pas le cas, puisque nous avons autant de fournisseurs d!accès pour une population six fois moins importante. En France, le débat s!est enclenché sous l!angle des libertés publiques, avec la loi Hadopi en 2009, la loi créant la régulation des jeux en ligne en 2010, et la Loppsi (loi d!orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) en 2011, avec un dispositif de notification d!adresse au fournisseur d!accès Internet par l!autorité administrative pour procéder à des mesures de blocage.

Ce débat traite exclusivement des libertés publiques et pas assez de la dimension économique. Nous disposons, grâce au Conseil constitutionnel, d!une jurisprudence sur l!accès en réseau sans équivalent, basée sur la liberté d!expression. Dans ce domaine, a-t-on véritablement besoin de développer des concepts spécifiques à l!usage d!Internet alors que nous pourrions nous fonder sur les catégories classiques des libertés publiques, du droit de la consommation, de la concurrence, etc. ? Avec la question de la neutralité du Net, n!est-on pas en train d!inventer un texte nébuleux et inachevé alors que le recours aux catégories juridiques traditionnelles apporterait une garantie égale sinon supérieure aux bénéficiaires ?

En conclusion, je reviens sur la nécessité d!ouvrir ce débat à la dimension économique. Dans l!Internet d!aujourd!hui, les opérateurs ne peuvent pas récupérer les coûts de financement du réseau. Ce modèle est dupliqué aux fournisseurs d!applications et aux éditeurs, qui sont les grands acteurs d!Internet. Dans ce modèle, il n!existe pas de signal économique qui puisse être envoyé à ces acteurs afin qu!ils optimisent leur utilisation des réseaux. De ce fait, leurs arbitrages sont subis par les opérateurs et les utilisateurs.

Cette situation n!est plus tenable dans un contexte d!explosion du trafic. L!essentiel de l!intelligence se focalise dans le réseau qui interconnecte des objets ayant de multiples usages. De plus, la puissance et l!utilisation d!Internet se localisent chez les acteurs et non pas chez les opérateurs.

Il est donc impératif de faire participer les utilisateurs de services. La neutralité ne doit pas être le « faux nez » de la gratuité des réseaux.

Plusieurs voies ont été explorées, comme :

• la faculté de proposer des services gérés aux éditeurs de telle manière que leurs exigences en termes de volume ou de qualité puissent être satisfaites et monétisées lorsqu!ils utilisent nos réseaux ;

• une facturation de la terminaison d!appel.

Aucune de ces solutions ne constitue une violation de la neutralité d!Internet. Toute la question, l!ARCEP l!a rappelé, réside dans les critères et les garanties qu!il convient de mettre en œuvre dans la gestion des flux : la pertinence, la proportionnalité, l!efficacité, la transparence et la non-discrimination. C!est également l!avis de l!Autorité de la concurrence dans une affaire qui a opposé Orange et Cogent sur la facturation du peering (échange de trafic).

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Les initiatives en faveur de la neutralité

Virginie Duby-Muller

Députée de la Haute-Savoie

Député de la Haute-Savoie et vice-présidente du groupe d!études sur la politique de l!eau à l!Assemblée nationale, Virginie Duby-Muller est membre de la commission des Affaires culturelles et de l!Éducation. Conseiller régional Rhône-Alpes, elle a été la collaboratrice parlementaire à Paris de Marc Francina, député-maire d!Évian-les-Bains et de Jean-Pierre Le Ridant, député de Loire-Atlantique entre 2002 et 2007. Elle est responsable de la permanence d!Annemasse de Claude Birraux, député sortant et conseiller général de 2007 à juin 2012. Virginie Duby-Muller est diplômée de Sciences-Po Grenoble en 2000 et est titulaire d!un DESS économiste d!entreprise en 2001.

La question de la neutralité d!Internet est d!actualité puisque le Gouvernement envisage de légiférer dès 2014. Ce principe de neutralité garantit l!égalité de traitement par les opérateurs de tous les flux de données sur Internet, excluant toute discrimination à l!égard de la source, de la destination ou du contenu.

Cette question est apparue dans les années 2000 aux États-Unis, et récemment en France, avec le paquet télécoms et du fait de l!accroissement du trafic. La question a été analysée :

• par le CGIET (Conseil général de l!économie, de l!industrie, de l!énergie et des technologies), qui a fourni un rapport technique ;

• par l!ARCEP, qui a fourni des recommandations non contraignantes ;

• par le rapport parlementaire de Laure de La Raudière et Corinne Erhel ;

• par le Conseil national du numérique (CNN), qui a rendu un avis en mars 2013. Il préconise l!adoption de dispositions législatives imposant la neutralité aux fournisseurs de services et de réseaux.

Plusieurs exemples ont remis en cause la neutralité d!Internet :

• en décembre 2012, la lenteur de visionnage des vidéos YouTube pour les abonnés Free Mobile a conduit l!ARCEP à intervenir ;

• en janvier 2013, un blocage par défaut de la publicité par les Freebox s!est produit ;

• en mars 2013, SFR a été accusé de modifier les informations de pages Web, lors de leur consul-tation en 3G sur les terminaux mobiles.

Cela pose la question de la confiance dans les réseaux, comme c!est le cas avec le cloud.

La neutralité préserve l!innovation future et protège les citoyens.

Le cadre juridique actuel étant insuffisant, le CNN propose d!ajouter le principe de neutralité à la loi de 1986, dite loi Léotard sur la liberté de communication. Ce principe de neutralité prendrait alors une valeur constitutionnelle. Le CNN propose que le futur texte soit élaboré en lien avec les ministères de la Justice et de l!Intérieur, et qu!il s!étende, au-delà des réseaux, aux moteurs de recherche, aux réseaux sociaux ou aux applications mobiles.

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Comment garantir ce caractère ouvert d!Internet et la qualité d!accès ? Quelques acteurs puissants devraient contribuer davantage au coût des réseaux. De même, on pourrait envisager une meilleure répartition des responsabilités entre les FAI (fournisseurs d!accès à Internet) et les fournisseurs de contenus et d!applications. Aux États-Unis, le rôle de la FCC (Federal Communications Commission) est limité. Les Pays-Bas ont légiféré et prévoient des sanctions dissuasives à l!égard des opérateurs qui restreignent les communications en ligne. La commissaire européenne Neelie Kroes, favorable à des forfaits à options, a indiqué plus récemment vouloir imposer la neutralité du Web. Il s!agit, pour Bruxelles, de s!assurer d!une réelle transparence de la part des FAI sur la vitesse de connexion, les débits réels proposés et les restrictions éventuelles, les changements de prestataire, etc.

L!Union envisage de présenter ses propositions cet été, pour garantir un accès complet et ouvert à Internet, sans blocage ou étranglement de services concurrents pour tous les Européens, sur tous les appareils et tous les réseaux.

Je regrette que les internautes citoyens ne se saisissent pas davantage de ce débat trop technique. Toutes les parties prenantes doivent mener un effort de vulgarisation. Ensuite, la définition législative de la neutralité d!Internet sera subtile. Nous devrons aussi tenir compte des propositions de la Commission européenne.

Laure de La Raudière

Merci, Virginie. Je passe la parole à Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique.

*Synthèse des propos non validée par Virginie Duby-Muller

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Neutralité des réseaux, des services et des plateformes

Jean-Baptiste Soufron

Secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum)

Secrétaire général du Conseil national du numérique depuis 2012, Jean-Baptiste Soufron était auparavant conseiller numérique auprès du cabinet de Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l!Innovation et à l!Économie numérique. Avocat de formation, il a dirigé pendant quatre ans le « think tank » de Cap Digital et a été « chief legal officer » de la Fondation Wikimedia. Ex-journaliste, il a coprésenté l!émission Minuit dix sur France Culture et cofondé le magazine « Amusement ».

Notre première saisine concernait la question de la neutralité du Net, dans la perspective de la liberté d!expression. C!est un sujet passionnant, car nous assistons à la création d!un nouveau concept. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de l!ARCEP, des professionnels, des parlementaires et de la société civile.

Notre décision reconnaît le caractère essentiel de la neutralité et invite les pouvoirs publics à l!inscrire dans la hiérarchie des normes, de manière simple et puissante. Le principe doit être étendu de la neutralité des tuyaux à celle des plateformes. Si nous avions défini la neutralité il y a cinq ans, serait-elle encore applicable aux modèles qui émergent aujourd!hui, comme le cloud ?

Notre deuxième saisine a posé la question de la fiscalité dans la suite du rapport Colin-Collin. Cela pose la question des modèles économiques « prédateurs », comme les a baptisés Nicolas Colin. Comment réguler la prédation des réseaux et surtout comment l!empêcher ?

En combinant ces deux saisines, la dimension économique devient évidente. Nous venons d!être saisis à nouveau de la question de la neutralité des plateformes, à l!occasion d!un contentieux entre les comparateurs de prix et Google. Comme le prévoit le droit des télécommunications, le droit de la concurrence ne gagnerait-il pas à s!intéresser à de nouveaux concepts, comme celui de la neutralité ? C!est un sujet européen et international. La meilleure analyse qui ait été faite de notre décision se trouvait dans le New York Times. Paul Krugman, prix Nobel d!économie, a réagi à la fermeture brutale de Google Reader, dans la mesure où des personnes et des entreprises utilisaient ce service en ligne.

Nous sommes intervenus au Conseil de l!Europe pour évoquer ce sujet et la dualité entre la neutralité des réseaux et celle des plateformes. Nous avons pu constater que des universitaires et des chercheurs y réfléchissaient, comme Ian Brown d!Oxford, qui se demande comment décliner le concept de neutralité dans le champ de l!économie.

La neutralité des réseaux, des plateformes et des points d!accès, quels qu!ils soient, est nécessaire à la liberté d!expression et à la liberté d!innover et d!entreprendre. Plus qu!un débat juridique, c!est un principe déjà appliqué dans plusieurs branches du droit, et dont les bases sont davantage morales, économiques ou sociales. Il s!agit d!un sujet de souveraineté individuelle, d!abord, et de souveraineté économique pour les entreprises. Pour résumer, il s!agit surtout du principe d!égalité appliqué au numérique.

Laure de La Raudière

Merci. Cela suscite-t-il des réactions dans la salle ? Le sujet est multiforme, et les enjeux très impor-tants.

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Débats

Léonidas Kalogeropoulos, président du cabinet Médiation & Arguments

Je voudrais saluer la très grande qualité de cette table ronde et la richesse des concepts ordonnés. Je voudrais poser le problème de la TNT, qui est également un réseau à très haut débit. Avec la disparition de la bande des 700 MHz, nous risquons de ne plus pouvoir assurer le passage en HD de toutes les chaînes. Est-ce une question qui relève de la neutralité du Net, puisque certains auront du haut débit avec une grande qualité d!image, tandis que d!autres verront des écrans pixélisés ? La possibilité de faire passer tout le monde en HD supposerait de passer de la bande des 700 MHz vers les télécoms en six ans plutôt qu!en trois ans.

Laure de La Raudière

Pour l!attribution de la bande des 800 MHz, les parlementaires membres de la Commission du dividende numérique ont demandé que les mêmes types de travaux soient effectués pour l!attribution de la bande des 700 MHz. Nous avions vérifié que les demandes des acteurs pouvaient être satisfaites et que la décision était équitable. Ce processus doit être mené pour la bande des 700 MHz, afin de disposer d!une réelle étude d!impact sur ce sujet. L!ARCEP a peut-être la réponse à la question de la neutralité.

Jacques Stern

La réponse de l!ARCEP risque d!être décevante, car, pour nous, la neutralité est simplement l!ache-minement des données, indépendamment des contenus, sur les réseaux de télécommunications. Or, la TNT est un mode de télédiffusion et pas d!accès à l!Internet. Le principe de neutralité ne peut pas servir de base pour répondre à votre question, même si elle est légitime en termes de libertés publiques. Il faudra sans doute surveiller l!évolution des différents modes d!accès à la télévision (filaire, télédiffusion, satellitaire).

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Interview croisée Fiscalité numérique : les enjeux du débat

Gilles Babinet

Champion numérique de la France auprès de la Commission européenne

« Digital Champion » nommé par Neelie Kroes sur recommandation de la ministre Fleur Pellerin depuis juin 2012, Gilles Babinet représente la France auprès de la Commission européenne pour les enjeux liés au numérique. D!avril 2011 à avril 2012, Gilles a également été le premier président du Conseil national du numérique et est avant tout un entrepreneur dans le domaine du numérique. Il a créé de nombreuses sociétés dans des domaines aussi divers que le conseil (Absolut), le bâtiment (Escalade Industrie), la musique mobile (Musiwave), la cocréation (Eyeka)... Gilles Babinet est par ailleurs président exécutif de la société Captain-Dash qui fournit une offre de « marketing

dashboard » de nouvelle génération.

Je suis enchanté d'être parmi vous. L!origine de cette interview remonte à quelques années lors de ma première rencontre avec Nicolas Colin lorsqu!il était rapporteur de la mission Zelnik. Nous avons eu à maintes reprises l!occasion de travailler ensemble sur de nombreux sujets. Son parcours se révèle singulier : Nicolas Colin est énarque, inspecteur des finances, et a travaillé sur le rapport de la mission Zelnik. Il a écrit avec Henri Verdier un ouvrage intitulé L!âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique, édité chez Armand Colin, qui me semble être la synthèse la plus aboutie des débats que nous menons régulièrement sur ces sujets.

À l!occasion d!une de nos entrevues, il m!a demandé conseil alors qu!il était en train de bâtir une start-up et j!avoue lui avoir fait part de mes doutes quant à l!aide que je pourrais lui apporter. Par la suite, Nicolas est retourné dans le domaine de la finance et a été rapporteur de la mission d!expertise sur la fiscalité de l!économie numérique. Par ailleurs, il a le projet de créer une autre société.

Je voudrais établir un court historique sur les enjeux de la fiscalité à l!égard du numérique. Il y a deux ans, le sénateur Philippe Marini a proposé de mettre en place une taxe sur la publicité, dite taxe Google. Un certain nombre d!acteurs se sont mobilisés car ils considéraient que cette perception était jugée « de niche » et qu!elle n!allait pas parvenir à toucher les grands acteurs du numérique. Le Conseil national du numérique a par conséquent fait une proposition reposant sur la notion d!établissements virtuels stables. L!activité économique en tant que telle dans une région donnée, comme Google qui génère des revenus importants en France, devenait ainsi la base taxable et non plus la localisation de l!activité. En effet, la caractéristique propre au numérique s!avère la capacité de virtualiser votre activité sans avoir véritablement de gens présents dans un territoire, et par conséquent pouvoir ne pas payer de taxe. Cette notion a été débattue et Nicolas Colin, avec Pierre Collin, conseiller d!État, se sont emparés de la question. Ils ont ainsi établi un rapport remarqué et nous avons souhaité le revisiter car à bien des titres, il a été mal interprété.

Nicolas Colin, pourriez-vous nous brosser en quelques mots les caractéristiques clés de ce rapport et nous rappeler la spécificité de l!économie numérique ? Dans quelle mesure devons-nous envisager une fiscalité particulière à cet égard ?

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Interview croisée Fiscalité numérique : les enjeux du débat

Nicolas Colin

Inspecteur des finances Rapporteur de la mission d!expertise sur la fiscalité de l!économie numérique

Inspecteur des finances, rapporteur de la mission d!expertise sur la fiscalité de l!économie numé-rique, Nicolas Colin est co-auteur, avec Henri Verdier, de « L!âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique » (Armand Colin, 2012). Il est, par ailleurs, fondateur de deux sociétés : 1x1connect, société d!édition logicielle spécialisée dans le social marketing, dont il a été président de 2010 à 2012, et Stand Alone Media, société de production et d!édition vidéo à vocation encyclopédique. Il enseigne également à Télécom Bretagne et à l!Institut d!études politiques de Paris. Il a établi des rapports pour l!Institut Montaigne et le Conseil des prélèvements

obligatoires. Nicolas Colin est membre de Futurbulences, de Renaissance numérique, du Club du 6 mai et de la commission « Services » du pôle de compétitivité Cap Digital.

Je me rappelle qu!il y a un an, j!étais présent ici sans pouvoir dévoiler les conclusions de ce rapport, mais en précisant à quel point l!économie numérique était en train de déborder sur plusieurs secteurs tels que la publicité ou la vente en ligne pour se disséminer progressivement dans l!ensemble de l!économie. Cependant, le numérique est spécifique, quand bien même il se confondrait avec le système économique tout entier. Premièrement, ses activités ont une nature immatérielle qui les rend plus difficiles à cerner dans un droit fiscal international dont le socle d!attribution pour pouvoir imposer les bénéfices est la notion d!établissements stables. Un État a le droit d!imposer les bénéfices d!une société dont le siège n!est pas sur le territoire si celle-ci possède sur le territoire des immeubles, des machines ou des salariés. Or, dans le numérique, il existe de moins en moins d!équipements réels et de plus en plus d!actifs incorporels. Un moins grand nombre de salariés travaillent dans ce secteur car le numérique s!appuie sur le travail que fournissent les intéressés et les internautes que nous sommes tous. Deuxièmement, les entreprises du numérique sont récentes et se développent à des échelles globales sous contraintes d!optimisations fiscales. Elles sont conçues dès l!origine pour payer le moins d!impôt possible. Troisièmement, le numérique est dominé par des entreprises américaines, ce qui engendre deux problèmes. D!une part, il est plus facile d!optimiser la fiscalité lorsque l!on est une entreprise américaine car il existe des dispositifs liés au régime mondial de déclaration des bénéfices qui se nomment « check the box » qui permettent aux sociétés américaines, si elles ne rapatrient pas leurs bénéfices aux États-Unis, de ne pas payer d!impôts dessus. D!autre part, le fait que les multi-nationales du numérique optimisent leur fiscalité devient un problème lorsque cela ne profite qu!à un seul pays. En effet, nous nous acclimatons très bien à l!optimisation fiscale dans le secteur des télécommunications ou des banques parce nous possédons des champions nationaux qui paient peu d!impôts mais les paient en France. Dans le domaine du numérique, le peu d!impôts payés est envoyé aux États-Unis. Par conséquent, les recettes fiscales semblent se déplacer progressivement de l!ensemble des pays développés vers ce territoire, ce qui provoque un problème politique majeur.

Gilles Babinet

Pourriez-vous expliquer la base taxable que vous envisagez dans ce rapport ?

Nicolas Colin

Dans le rapport, nous avons raisonné sur deux plans. En matière de fiscalité des entreprises, l!agrégat

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le plus représentatif de la capacité contributive d!une société est le bénéfice. C!est ce qui exprime le mieux sa capacité à créer de la valeur. Cependant, le bénéfice est hors d!atteinte pour les États car leur système d!imposition est rigoureusement encadré par le tissu très dense de conventions fiscales que nous avons nouées depuis un siècle avec l!ensemble de nos partenaires commerciaux. Sans renégociations de ces conventions, il ne nous est pas possible de taxer les bénéfices d!une société si elle ne possède pas d!établissement stable en France. Ce processus prendra énormément de temps et demandera un travail diplomatique particulièrement délicat.

Dans l!intervalle et à la demande du Gouvernement, qui souhaitait agir sans attendre l!aboutissement éventuel de négociations internationales, nous avons dû chercher un moyen de créer une taxe franco-française qui règle une partie ou l!ensemble du problème de l!inéquité fiscale entre les sociétés françaises et américaines dans l!économie numérique. Pour cela, nous avons développé un raisonnement mettant en évidence que le point commun des entreprises du numérique se trouve dans le fait qu!elles collectent énormément de données auprès de nombreux utilisateurs et qu!elles font levier de ces données pour créer plus de valeur. C!est pourquoi il semblait intéressant de les considérer comme une base fiscale primaire et de construire une fiscalité sur ce principe. Cependant, on ne peut pas taxer ni la collecte de données ni même les données en termes de volume car elles ne sont pas assez représentatives de la richesse d!une entreprise. De plus, une fiscalité nationale sur le domaine numérique va peser prioritairement sur les entreprises françaises, selon un processus que l!on nomme incidence, et non sur les sociétés étrangères. C!est pourquoi nous avons fait de cette taxe une possibilité de réorienter industriellement les pratiques des entreprises, à l!instar de la taxe carbone. Nous avons fait le choix d!une fiscalité qui va inciter les sociétés qui collectent massivement des données à améliorer leur conduite en termes de transparence vis-à-vis des utilisateurs et à restituer les informations à ces derniers afin qu!elles circulent dans l!économie et qu!elles aillent irriguer les efforts d!innovation d!autres entreprises. Quand des entreprises récupèrent beaucoup de renseignements, l!économie n!a pas d!intérêt à ce que ces informations restent enfermées dans des serveurs, mais juge plus judicieux que les utilisateurs puissent réutiliser leurs données sur d!autres applications afin d!accéder à de nouveaux services.

Gilles Babinet

Si je comprends bien, il ne s!agit pas d!une taxe sur les volumes de données qui passent par les réseaux ni une taxe sur les réseaux, mais d!une taxe sur les entreprises qui disposeraient d!informations privées et qui ne les mettraient pas à la disposition des consommateurs ou d!autres entreprises ?

Nicolas Colin

C!est exactement cela, mais il faut bien distinguer le droit et le fait. En droit, nous disposons tous d!une possibilité d!accès, de rectification et de suppression des données personnelles qui nous concernent et qui sont stockées sur les serveurs d!organisations publiques ou privées. Cependant, cet accès peut être mis en œuvre de plusieurs manières. Prenons l!exemple de Facebook : après avoir écrit à plusieurs reprises pour accéder à vos données, l!entreprise vous envoie un énorme listing papier avec toutes les informations vous concernant. Or, vous ne pouvez rien en faire. Pourtant, si ces renseignements vous étaient donnés sous forme dématérialisée, téléchargeable dans une autre application, vous pourriez avoir accès à d!autres services. Je prends le cas de la téléphonie mobile : avec les informations de plusieurs années sur votre consommation téléphonique mobile, vous pourriez déterminer grâce à un service de comparateur, quel forfait et quel opérateur pourraient le mieux vous convenir.

Nous retrouvons ici le paradigme de neutralité : lorsqu!une entreprise a collecté plus de données qu!elle n!est capable d!utiliser pour créer ses propres innovations, elle se transforme en plateforme et peut remettre à ses utilisateurs des informations qu!ils pourront utiliser dans d!autres applications. Si cela génère des revenus aux développeurs de nouveaux services, alors ils sont partagés avec la plateforme. Sur notre iPhone par exemple, nous stockons des centaines d!informations qui sont revendues par Apple à des développeurs qui créent des applications dans l!App Store. Apple récupère ainsi 30 % des ventes de ces applications car il s!agit du prix des données personnelles achetées par les déve-loppeurs. Ceci est d!une grande valeur dans la mesure où cela nous donne accès à plus de 800 applications qui nous facilitent la vie. Mais cela n!est possible qu!à travers la mise en place de « l!importabilité » des données.

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Gilles Babinet

Nous pourrions appeler ceci une fiscalité de l!API, interface de programmation d!applications, ces petits connecteurs qui permettent aux différents systèmes de se parler. Au-delà de la commande qui a été passée par l!État, n!auriez-vous pas voulu créer un outil de compétitivité ?

Nicolas Colin

Effectivement, le fait d!orienter la taxe de cette manière permet aux entreprises françaises de rattraper le retard industriel que nous avons pris. Les seules entreprises ayant mis en œuvre des stratégies de plateforme assises sur de la collecte massive de données sont américaines. Beaucoup de sociétés françaises acquièrent beaucoup d!informations, mais n!ont pas les réflexes de s!en servir. Soit la fiscalité du numérique entraînait une augmentation d!impôts pour nos entreprises, soit elle leur permettait de rattraper nos pertes. Nous avons donc fait le choix de créer un système fiscal qui soumet toutes les entreprises à des obligations déclaratives et d!inciter nos entreprises françaises à s!armer pour affronter la concurrence américaine sur leurs propres marchés, que ce soit l!automobile, l!assurance, la banque, les télécommunications.

Gilles Babinet

À ce titre, je signale que nous venons de cosigner dans Les Échos une tribune sur la nécessité pour le CAC 40 et les grandes entreprises françaises de faire un effort plus important pour passer dans l!ère du numérique. Qu!est-ce qui doit être élaboré au niveau national et à l!échelle des instances internationales pour que ce rapport puisse être mis en œuvre ?

Nicolas Colin

Si nous voulons pouvoir imposer les bénéfices des entreprises étrangères, il faut mener des négo-ciations à l!OCDE. Heureusement, la France bénéficie d!un mouvement allant dans ce sens car nous ne sommes pas le seul pays à nous préoccuper de la fiscalité des multinationales du numérique ; le Royaume-Uni et l!Allemagne s!attachent eux aussi à cette question. En effet, le Royaume-Uni s!apprête à baisser massivement le taux d!imposition des sociétés, donc manifeste sa sévérité à l!égard des pratiques d!optimisation fiscale. Suite à cet alignement, un chantier intitulé Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) à l!OCDE consiste à remettre à plat toutes les pratiques d!optimisation fiscale et à examiner dans quelle mesure elles méconnaissent les règles du droit fiscal international. Cela permettra d!ici deux à quatre ans de procéder à une refonte des instruments du droit fiscal international ou à un ajustement du modèle de convention fiscale international. L!issue est cependant incertaine.

Au niveau national, un chantier générique de lutte contre les optimisations fiscales internationales vient d!être ouvert et, tout récemment, le ministère de l!Économie et des Finances a rendu public un rapport sur l!optimisation fiscale via les prix de transfert dont je suis l!un des co-auteurs. Pierre Moscovici a annoncé que des consultations allaient être conduites pour légiférer sur un projet de loi de finances sur ce sujet. Par ailleurs, le Conseil national du numérique s!est saisi de notre rapport et des autres propositions qui ont suivi et va bientôt rendre un avis.

Gilles Babinet

Je vous remercie Nicolas Colin et je vous souhaite bonne chance pour la suite de ce rapport.

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Session III Fiscalité numérique : vers un passage à l!acte en 2013

Président

Philippe Marini

Sénateur de l!Oise, président de la commission des Finances

Intervenants

Patrick Cocquet

Délégué général de Cap Digital

Pierre Louette

Directeur général adjoint, secrétaire général du Groupe France Télécom-Orange

Jean-Pierre Remy

Président-directeur général de Solocal Group

Charles de Courson

Député de la Marne

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Introduction

Philippe Marini

Sénateur de l!Oise Président de la commission des Finances

Sénateur de l!Oise depuis septembre 1992, Philippe Marini est président de la commission des Finances du Sénat depuis octobre 2011 et maire de Compiègne depuis 1987. Il a été rapporteur général de la commission des Finances de 1998 à 2011. Il fut notamment membre du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, du Conseil national du crédit, du Conseil national des assurances et du comité de gestion du fonds d!investissement des transports terrestres et des voies navigables. Sur le plan professionnel, Philippe Marini a été directeur adjoint puis directeur des services financiers du Commissariat à l!énergie atomique de 1978 à 1989, et a été

membre du directoire de la Banque Arjil de 1989 à 1994. Il est inspecteur des finances en retraite, avocat à la Cour de Paris depuis 1998 et praticien de l!arbitrage.

Nous allons poursuivre cette table ronde en conservant les mêmes thématiques, avec, à mes côtés, Patrick Cocquet, délégué général de Cap Digital, Pierre Louette, secrétaire général du Groupe France Télécom-Orange, Jean-Pierre Remy, président-directeur général de Solocal Group, anciennement Pages Jaunes, et enfin Charles de Courson, président de la mission d!information de l!Assemblée nationale sur l!évasion et l!optimisation fiscale.

Notre nouvelle session s!intitule : « Vers un passage à l!acte en 2013 ». Il s!agit d!un thème mobilisateur qui révèle des sujets au cœur de débats depuis déjà plusieurs années et qui a une expression fiscale. L!émergence et le développement de l!économie numérique questionnent effectivement la fiscalité de manière fondamentale. Si la fiscalité de nos États, qui connaissent tous un problème de convergence de leurs finances publiques, ne s!adapte pas aux bases d!imposition les plus modernes, elle risque d!être mal perçue par ceux qui continueront à la payer. Elle risque de créer des dommages économiques, car elle ne se sera pas conformée au principe de neutralité, qui s!avère la base de tout système fiscal efficient. Nous devons être conscients que, s!il existe un aspect fiscal à cette réflexion, son fondement est économique. Ce mouvement de pensée nous conduits à prendre en charge et à faire progresser toute la problématique européenne du droit de la concurrence. Comment l!Union euro-péenne, fondée sur le libre marché et sur le droit de la concurrence qui est sa compétence propre, peut-elle accueillir en son territoire les multinationales américaines les plus dominantes ?

Le sujet dont nous traitons possède également un aspect culturel, étudié notamment par la mission co-présidée par Pierre Lescure. Enfin, il concerne les libertés publiques. Le Sénat, depuis 2009, s!efforce de porter ses réflexions et ses idées : un accord sui generis a été obtenu pour les éditeurs de presse, les considérations sur les assiettes fiscales sont au cœur du débat et sont engagées dans le processus de l!OCDE, qui provient d!une nécessité économique ressentie par tous les États, que ce soit des pays européens ou des grands pays émergents. La question de l!érosion des bases fiscales de l!impôt sur les sociétés est devenue universelle, ce qui peut conduire, sous la pression de l!opinion publique, à un renouveau des pratiques contractuelles multilatérales au sein des États de l!OCDE. Sur le plan national, le traitement complet du sujet de la fiscalité du numérique dans la loi de finances de 2014 a été annoncé.

J!ai mis en circulation une proposition de loi qui est revenue en commission, et j!attends beaucoup de la réflexion du Gouvernement, alimentée par les analyses de Pierre Collin et de Nicolas Colin. J!espère que cela aboutira à une matière fiscale qui soit réelle, que l!on puisse définir juridiquement et fiscalement, et que l!on pourra mettre à contribution de manière équitable et suffisante. La commission des Finances auditionnera à nouveau Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d!admi-nistration fiscales, et le Sénat va continuer à faire évoluer ses sujets. Je terminerai avec un point sur

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lequel je suis en total accord avec Nicolas Colin, à savoir l!obligation déclarative. Pour que la concurrence et l!équité fiscale progressent, il faut connaître les flux et l!organisation du secteur. L!obligation déclarative du chiffre d!affaires vise à la charge des régimes de publicité, où qu!ils se trouvent. Ceci me semble toujours plaidable en droit communautaire.

Quoi qu!il en soit, si la solution choisie relève du prélèvement fiscal, je ne crois pas que nous aboutirons à des méthodes qui satisfassent tous les acteurs. Néanmoins, de l!autre côté du prélèvement se trouve l!intérêt général de la concurrence et de la lutte contre les positions dominantes, l!intérêt général qui s!attache à réduire nos déficits et à financer des tâches qui se révèlent d!intérêt public. Je me réjouis de voir le Gouvernement viser la restauration de notre souveraineté fiscale en suivant un véritable calendrier d!actions. Je m!adresse donc aux membres de la table ronde en souhaitant que chacun puisse nous partager ce qu!il pense à ce sujet. Je me tourne, dans un premier temps, vers Patrick Cocquet pour qu!il nous livre sa contribution, puis Pierre Louette, Jean-Pierre Remy pour affiner la problématique en partant d!une vision microéconomique, et, enfin, Charles de Courson pourra nous tracer des perspectives et nous dévoiler des informations à propos du travail de la mission.

Corinne Erhel

Avant de démarrer cette dernière nouvelle table ronde, je voudrais vous permettre de réagir aux propos extrêmement intéressants de Pierre Collin et de Gilles Babinet, à propos de la puissance transforma-trice de la technologie. Il me semble important de comprendre que la valeur est située à l!extérieur des organisations. L!économie numérique représente en effet une puissance et un moteur économiques.

*Synthèse des propos non validée par Philippe Marini

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Une fiscalité qui préserve la capacité du numérique à créer de la compétitivité et de l!emploi

Patrick Cocquet

Délégué général de Cap Digital

Délégué général du pôle de compétitivité Cap Digital depuis sa création début 2006, Patrick Cocquet est diplômé de l!École centrale de Lille. Il a rejoint le groupe Dassault Électronique où il a conduit des actions de standardisations internationales, des projets européens et franco-américains, et conçu des gammes de produits dans le domaine des réseaux embarqués (avions de combat, bâtiments de la marine…), puis dans le domaine de l!Internet (IPv6). Il a, en 2000, choisi de devenir entrepreneur et de créer la société 6WIND, spécialisée dans les logiciels pour équipements de réseaux Internet. En 2006, avec ce même esprit d!entreprendre, il a mis en place et structuré

Cap Digital pour en faire l!un des premiers pôles de compétitivité français et l!un des premiers « clusters » européens. Cap Digital regroupe plus de 650 entreprises innovantes, des investisseurs, et plus de 50 organismes de recherche et de formation travaillant dans les domaines des contenus et des services numériques.

Je dirige le pôle compétitivité Cap Digital qui regroupe plus de 700 entreprises, dont une grande partie sont des PME. L!optimisation fiscale n!est pas vraiment au cœur de nos entreprises, même si les solutions apportées dans le rapport de Pierre Collin sont très astucieuses. Je voudrais rappeler le rôle d!un pôle de compétitivité : développer de la valeur et des entreprises compétitives, et plus particu-lièrement créer de l!emploi. Selon moi, la fiscalité et les aides à l!emploi constituent un facteur essentiel. Ainsi, nous pouvons concevoir la fiscalité uniquement en termes de budget et de recherche d!équilibre, néanmoins, elle doit aussi être conçue comme support à l!érection de secteurs qui travaillent et se transforment grâce à l!économie numérique.

D!un point de vue international, l!attractivité globale du territoire représente l!élément le plus important et porte, d!une part, sur les compétences des individus. La France – l!Île-de-France particulièrement – est très bien dotée à ce niveau. D!autre part, l!attractivité repose sur la facilité d!accueil et la fiscalité qui permettent aux entreprises de se développer. Il s!agit donc de raisonner de façon plus large lorsque l!on évoque la question de la fiscalité.

Le panel des actions d!un pôle de compétitivité se décline en plusieurs axes : la R&D et les aides à l!innovation ; l!aide à la croissance des PME, pour laquelle nous attendons l!intervention de la Banque publique d!investissements (BPI) pour permettre aux entreprises de se développer ; l!intérêt des business angels qui seront moteurs pour l!ensemble des sociétés présentes.

Selon moi, le numérique favorise l!emploi dans la mesure où il peut devenir un moteur de réindus-trialisation en France. En effet, il s!intègre aujourd!hui dans les produits, permet de nouvelles formes de relations client, devient source de données et aide les particuliers dans leur vie quotidienne. Sur l!ensemble de ces sujets, la fiscalité peut constituer un levier. J!aimerais que nous nous demandions comment recréer des emplois dans des secteurs industriels grâce à la sophistication apportée par le numérique. Au-delà des inconvénients de ce domaine, il faut considérer ses aspects bénéfiques et envisager la fiscalité de façon globale en termes d!impacts économiques. Les entreprises peuvent parfaitement aller s!installer au Canada ou aux États-Unis sous prétexte de dumping et d!aides à la fiscalité. C!est pourquoi il faut être conscient de la compétition qui se joue et développer des entreprises sur le territoire national, les intégrer dans des plateformes existantes et réfléchir à la création de nouvelles plateformes afin de se placer en état de domination sur le marché.

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Philippe Marini

Pour résumer vos propos, il est nécessaire de dépenser plus et la fiscalité n!est pas un thème très urgent.

Patrick Cocquet

L!emploi demeure la priorité.

*Synthèse des propos non validée par Patrick Cocquet

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L!asymétrie fiscale dans le secteur du numérique. La reconquête par les États de leur souveraineté fiscale

Pierre Louette

Directeur général adjoint Secrétaire général du Groupe France Télécom-Orange

Pierre Louette est directeur général adjoint du Groupe France Télécom-Orange. Il est en charge du secrétariat général, de la division Orange Wholesale France, des achats du Groupe et du programme d!efficience opérationnelle Chrysalid. Il représente le groupe France Télécom aux conseils d!admi-nistration de TPSA, de Dailymotion et de Buyin. En mars 2012, il a été élu président de la Fédération Française des Télécoms. Conseiller technique pour la communication, la jeunesse et les sports au cabinet du Premier ministre de 1993 à 1995, il contribue durant cette période au développement des nouveaux réseaux de communication, avec le programme des autoroutes de l!information. Il devient

ensuite secrétaire général et directeur de la communication de France Télévisions, puis, à partir de 1996, il participe au développement de l!Internet en France à la tête de la Web Agency Connectworld au sein du groupe Havas. Il poursuit sa carrière en tant que dirigeant d!Europatweb, fonds d!investissement dans l!Internet créé par Bernard Arnault. Directeur général de l!Agence France Presse de 2003 à 2005, il est élu P-DG en 2005 et le demeure jusqu!en 2010. Licencié en droit, diplômé de l!IEP de Paris et de l!École nationale d!administration, Pierre Louette est conseiller référendaire à la Cour des comptes et chevalier de la Légion d!honneur.

Le Groupe Orange et la Fédération française des télécoms attendent énormément de ce passage à l!acte évoqué dans le titre de cette table ronde. Je développerai deux points : pourquoi s!intéresse-t-on à ce sujet lorsque l!on est opérateur de télécommunications et quels sont les éléments qui nous font espérer car ce sujet nous semble de plus en plus porté, partagé et assumé.

De façon première, nous considérons que nous sommes totalement surtaxés, contrairement à ce que disait Nicolas Colin. Cet état de fait s!avère extrêmement documenté : lorsque l!on est opérateur télécoms en France, on paie 25 % de plus d!impôts et de taxes que n!importe quelle autre entreprise au motif que nous sommes opérateur télécoms. Ainsi, nous allons payer un impôt de compte de soutien aux industries de programme. Pour le financement de la culture, le groupe Orange est passé de 23 millions à 83 millions d!euros en l!espace de trois ans. Par ailleurs, nous finançons la suppression partielle des recettes de la publicité du service public, dite taxe Copé, ainsi que l!impôt sur le réseau. Ainsi, plus nous déploierons de réseaux, plus nous paierons d!impôts.

Nous nous sentons par ailleurs placés dans des asymétries multiples. En effet, nous avons énor-mément investi dans notre pays, mais nous faisons face à des entreprises récentes qui sont nées dans l!optimisation fiscale dès leur conception. De plus, elles sont faiblement créatrices d!emplois. Alors que Bouygues ou SFR comptent 10 000 salariés, Orange est composé de 104 000 personnes et en recrute 10 000 en trois ans. Les opérateurs étrangers ne représentent que quelques centaines d!employés.

Cette asymétrie s!illustre également en termes physiques. Étant plus présents matériellement, notre base taxable se révèle singulièrement plus importante. En effet, Orange compte en France 22 millions de poteaux, 20 000 véhicules, 23 000 adresses, 104 000 salariés. Ces chiffres illustrent notre contri-bution à l!économie réelle, face à des sociétés peu créatrices d!emplois et peu contributrices aux nouvelles formes d!emploi.

Enfin, ces entreprises naissent et se développent très vite dans un système oligopolistique. Il est assez difficile de déterminer actuellement qui est le numéro deux de groupes tels que Amazon, Facebook ou Viadeo. C!est pourquoi nous assistons à une fragmentation très grande du marché. Le succès de l!Europe est assuré par la concurrence au bénéfice du consommateur. Néanmoins, elle n!a pas su favo-

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riser l!investissement et par conséquent, les utilisateurs, malgré la concurrence, disposent de moins de choix qu!aux États-Unis.

Cependant, malgré ces asymétries, certains signaux positifs nous fournissent des raisons d!espérer. Étrangement, le premier de ces signes nous vient des États-Unis : dernièrement, je lisais un article dans le magazine Fortune, qui évoquait la fiscalisation d!Amazon sur le territoire américain. L!auteur relatait que les Américains, d!une part, prenaient conscience des griefs européens vis-à-vis des richesses créées sur notre territoire, et d!autre part étaient eux-mêmes soucieux des difficultés qui existent dans la taxation du commerce électronique dans leur propre pays. Amazon expliquait ainsi qu!il ne paierait jamais d!impôts sur les ventes. Or, le cumul des sales tax représenterait environ 10 milliards de dollars qui auraient permis de financer des politiques publiques. Pourtant, après onze années de bataille, le législateur américain vient d!adopter un dispositif qui modifie le système fiscal. Cet exemple illustre une prise de conscience, mais également la nécessité de modifier des conventions.

Par ailleurs, l!Irlande se rend progressivement compte que loin de bénéficier des taux d!imposition réduits qu!elle pratique, elle s!est créée un énorme manque à gagner. Les quelques emplois gagnés ou les quelques taxes reçues ne viennent pas compenser un taux normal de fiscalité.

Je fais donc un appel au monde politique : nous faisons valoir les intérêts des entreprises que nous sommes, créatrices d!emplois et contributrices du développement de notre pays et nous souhaitons que ces sujets soient continuellement portés afin que les dispositifs évoluent et que des solutions soient trouvées.

Philippe Marini

Je remercie Pierre Louette pour son intervention. Il est important de souligner ce qui se passe actuelle-ment aux États-Unis. La sales tax devient progressivement un prélèvement sur le commerce électro-nique. J!ai créé des réactions multiples dans les milieux commerciaux en insérant dans ma proposition de loi un article concernant la taxation du commerce électronique. En réalité, il s!agit du même procédé et il fera partie de notre ordre fiscal. La question consiste à déterminer comment la décliner au niveau européen, mais cela entre dans des considérations mondiales.

Par ailleurs, vous avez soulevé le débat sur le rapatriement des bénéfices aux États-Unis. Les Américains ont été choqués qu!Apple soit obligé d!aller sur le marché pour émettre 17 milliards de dollars afin de payer son dividende. Ce contexte, dans lequel nous nous inscrivons, fait évoluer l!opinion publique.

Je passe la parole à Jean-Pierre Remy, de Solocal Group, qui va nous évoquer les inconvénients d!une taxation sur le commerce électronique.

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Fiscalité accrue, dispositifs de soutien inadaptés au numérique, acteurs français bousculés à l!international : quelles solutions ?

Jean-Pierre Remy

Président-directeur général de Solocal Group

Président-directeur général de Solocal Group depuis décembre 2012, et directeur général, depuis 2009, Jean-Pierre Remy pilote la transformation du Groupe vers le numérique, qui devrait représenter près des 2/3 de l!activité en 2013. Solocal Group (ex-PagesJaunes Groupe) qui regroupe près de 5 000 collaborateurs est un des principaux acteurs mondiaux de l!Internet local. Auparavant, Jean-Pierre Remy avait créé Egencia en 2000, société devenue en l!espace de quelques années, le leader mondial dans le domaine du voyage d!affaires sur Internet. Après avoir vendu Egencia à IAC/InterActive Corporation et l!avoir fusionné avec Expedia Corporate Travel en

avril 2004, il est devenu responsable européen de 2004 à 2006, puis mondial, de 2006 à 2008, des activités voyages d!affaires d!Expedia. Il était membre du comité exécutif d!Expedia Inc. Avant de créer Egencia, Jean-Pierre Remy était associé chez Bain & Company où il conseillait de grandes sociétés internationales dans leurs stratégies de croissance, leurs fusions et acquisitions et leurs réorganisations. À la fin des années quatre-vingt-dix, il s!est spécialisé sur Internet et a conseillé de nombreux grands groupes mondiaux sur leurs stratégies numériques. Entre 1986 et 1993, Jean-Pierre Remy était directeur général de la société de conseil en technologie, CM International, fondée en 1986. Jean-Pierre Remy est diplômé de l!École centrale de Paris et du programme doctoral en stratégie et en business management d!HEC.

Je voudrais partager avec vous quelques éléments sur la compétitivité fiscale du pays et je terminerai en donnant mon avis sur quelques mesures à l!étude actuellement.

Aujourd!hui, Solocal paie entre 110 à 120 millions d!euros d!impôt sur les sociétés. Nous sommes donc champion d!Europe de la fiscalité du numérique. Nous payons trois fois plus par an que la somme des cinq grands acteurs du numérique en France (Google, Facebook, Amazon, Apple et Microsoft) et nous payons depuis dix ans autant d!impôts sur les sociétés que les quatre opérateurs réunis en France. C!est donc un sujet qui nous concerne depuis longtemps.

Par ailleurs, la France a perdu au cours des trois dernières années beaucoup de sa dynamique dans l!économie numérique. Elle se place à la 23e place sur 27 dans l!investissement numérique, ce qui s!explique par la corrélation entre augmentation des impôts et baisse des investissements. Par ailleurs, nous avons décroché dans la croissance du commerce électronique : nous faisions état de 24 % de croissance en 2010 alors que nous ne sommes qu!à 15 % cette année. Dans le domaine de la communication numérique, le bilan est plus grave ; nous sommes passés de + 24 % à + 4 %, là où le Royaume-Uni, l!Allemagne ou les États-Unis réalisent entre 14 et 18 % de croissance. Il s!agit donc d!un véritable défi de compétitivité numérique pour la France.

De plus, l!impact des mesures fiscales sur l!économie numérique s!est trouvé très peu favorable. La réforme de la taxe professionnelle s!est traduite par une augmentation de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, ce qui a énormément touché notre secteur. De plus, le crédit impôt recherche (CIR) s!avère quatre à cinq fois moins efficace dans le domaine du numérique que dans l!industrie en général. La société Mappy, qui fait partie de notre groupe, investit à 80 % dans les technologies. Cependant, ses investissements ne relèvent pas du CIR. Enfin, le crédit d!impôt compétitivité emploi (CICE) est jugé également peu efficace dans cette forme d!économie car il s!agit d!un investissement énorme du pays sur la compétitivité des entreprises, soit 20 milliards d!euros rapportés aux 50 milliards d!euros des impôts sur les sociétés. Au sein de notre groupe, cela représente 1,5 % de l!impôt sur les sociétés car la plupart de nos emplois sont hautement qualifiés. Par conséquent, ils ne bénéficient pas du CICE.

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Nous sommes donc face à un handicap de compétitivité, mais je reste optimiste car certaines pistes nous laissent présager un avenir plus propice. Je ne reviendrai pas sur le thème de l!équité fiscale, évoqué en introduction de ce colloque. En revanche, je veux souligner l!engagement numéro trois de notre président de la République qui avait énoncé que les entreprises ne paieraient pas plus de 35 % d!impôts sur les sociétés pour les grandes entreprises, 30 % pour les PME. Solocal Group étant une ETI (entreprise de taille intermédiaire), nous attendons la mise en place de cet engagement.

Par ailleurs, deux pistes sont intéressantes à relever. Nicolas Colin a évoqué dans son rapport une notion de pollueur/payeur concernant les données collectées. Cette réflexion singulière va au-delà de la fiscalité et m!apparaît très encourageante. De plus, il ne l!a pas mentionné, mais son texte contient des éléments très importants sur l!évolution du CIR dans le numérique et sur la manière dont on pouvait repenser les assiettes et les critères de cet impôt. Nous n!allons pas développer des entreprises numériques de très grande taille, mais nous devons leur donner de l!air et reconnaître qu!un certain nombre d!investissements réalisés dans la technologie sont aussi valables dans d!autres domaines.

Philippe Marini

Je vous remercie infiniment. Je me tourne vers Charles de Courson : les entreprises veulent payer moins d!impôts ; l!État ne possède pas assez de ressources et peine à maîtriser son déficit. Face à cette situation, quelle serait votre réponse ?

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Les enjeux de la mission d!information de l!Assemblée nationale sur l!optimisation fiscale

Charles de Courson

Député de la Marne

Député de la Marne depuis 1993, Charles de Courson est secrétaire de la commission des Finances. Maire de Vanault-les-Dames depuis 1986, il est par ailleurs vice-président du conseil général de la Marne depuis 1988 et président de la Communauté de communes des Côtes-de-Champagne. Conseiller référendaire à la Cour des comptes, Charles de Courson est également président de la Caisse mutuelle marnaise d!assurance et président du SDIS de la Marne. À l!issue de ses études de commerce à l!ESSEC, Charles de Courson intègre l!ENA d!où il sort en magistrat à la Cour des comptes, fonction qu!il exercera pendant 9 ans. En 1984, il entre à la direction du

Budget au ministère de l!Économie en tant que chef de bureau, et en 1986, au cabinet du ministère de l!Industrie en tant conseiller technique puis directeur adjoint. Il a été juge suppléant de la Cour de justice de la République de 1997 à 2002 ainsi que président de la Société marnaise du crédit immobilier.

Je crois que nous sommes désemparés sur la question de la fiscalité numérique et les essais successifs de Philippe Marini illustrent ces difficultés. L!économie numérique française est surtaxée par rapport à ses concurrentes. Beaucoup d!autres entreprises étrangères ont fait le choix d!installer leurs activités dans le pays ayant le taux de TVA le plus faible et ont localisé leurs bénéfices dans le pays qui possède le taux d!impôt sur les sociétés le plus bas (l!Irlande et le Luxembourg notamment). Ce jeu des avantages comparatifs entraîne le déclin de la compétitivité française et il serait dangereux de croire que nous allons régler ce problème dans le cadre national. Tous les travaux montrent qu!il faut agir dans le périmètre communautaire, et plus encore au niveau de l!OCDE.

De plus, la lecture du rapport présenté en introduction se révèle déstabilisante sur plusieurs points, mais je ne crois pas aux idées émises, en termes de technique fiscale.

Il me semble qu!il existe deux grandes voies dont la première consiste à calculer les bénéfices et chiffres d!affaires au niveau mondial, de prendre un taux de TVA standardisé et harmonisé et enfin de déterminer des critères de répartition entre les États. En effet, si l!on considère les cinq grandes entreprises du numérique évoquées au préalable qui déclarent un milliard d!euros de chiffre d!affaires alors qu!elles en réalisent 8 milliards d!euros et payent 37 millions d!euros d!impôt sur les sociétés, cela laisse perplexe. Par conséquent, calculer les chiffres d!affaires mondiaux consolidés et trouver des critères de répartition entre les États sur la base des taux de façon standardisée me semble être une première piste intéressante à explorer.

La seconde voie concerne la modification pour l!économie numérique de la notion d!établissement stable au sens de l!OCDE et tente d!instituer un concept d!établissement virtuel stable. Mais cela nous entraîne à considérer la situation d!un point de vue national sans revisiter les différentiels de taux. Ce même type de problématique se retrouve dans d!autres domaines de l!économie, comme celui des transports aériens que j!ai pu étudier au sein de ma commission. Or, dans ce cadre, la création d!un concept français d!établissement stable s!est heurtée à la réorganisation systématique du secteur. Nous pouvons par ailleurs nous inspirer de la jurisprudence Monte-Carlo et de la notion de cycle commercial complète. Enfin, nous pouvons nous appuyer sur le nouveau système de territorialité pour l!économie numérique qui sera applicable à l!horizon de 2019.

Cependant, ces voies peuvent-elles résoudre notre problème ? Le nouveau système de territorialité sera-t-il opérationnel et les groupes ne s!adapteront-ils pas pour profiter des différentiels de TVA ? Je suis toujours dubitatif face à ces nouvelles approches. La première voie que j!évoquais ne serait-elle pas une manière d!obtenir une véritable harmonisation et une solution au problème posé ? Pouvons-

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nous réellement conserver une organisation nationale fiscale face aux défis que nous pose l!économie numérique ? Je crois qu!il faut modifier en profondeur notre approche de la fiscalité. Nous devons casser un certain nombre de cadres dans le domaine de l!économie numérique et c!est pourquoi je vise une harmonisation globale, amorce d!un État mondial. Si nous nous accordions sur une assiette des bénéfices et un taux de TVA commun, nous éviterions les délocalisations qui se développent quel que soit le secteur d!activité économique. Je crains simplement, connaissant le conservatisme des classes politiques, que tous ces débats n!aboutissent à rien alors que le temps presse. Nous devons donc réveiller les consciences politiques afin qu!elles comprennent que la solution dépasse le cadre de nos frontières.

Corinne Erhel

N!oublions pas que le numérique recèle un formidable potentiel de croissance et d!emploi en France et en Europe ; cette donnée doit guider l!ensemble de notre action.

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Débats

Maxence Demerlé, déléguée générale adjointe, SFIB

Nous représentons les entreprises qui construisent des équipements informatiques, des photocopieurs, des serveurs, etc. Les propositions de Pierre Lescure n!ont pas été abordées ce matin et j!aimerais attirer votre attention sur la taxe sur les objets connectés. Je me réjouis qu!il ait été rappelé que tous ces réseaux virtuels et ces usages s!appuient aussi sur des objets ou des robots. Ces derniers ne sont pas forcément fabriqués en France, mais j!estime qu!il n!existe pas de fatalité en la matière. Attention à ne pas créer des dispositifs fiscaux qui auraient des incidences sur l!innovation et le développement de nouveaux usages, comme c!est le cas pour ce producteur de tablettes tactiles assujetti à la rému-nération pour copie privée alors que ses appareils ont un usage exclusivement éducatif.

Charles de Courson

Vous nous proposez une énième illustration de la surtaxation de cette branche par rapport au reste de l!économie. Nous devons prendre en considération ce problème par rapport au reste du monde : il est amusant de constater que les activités d!une entreprise française soumises à l!impôt sur les sociétés sont 22 fois plus taxées que les activités des grandes firmes américaines réalisées en France. Nous devons nous attaquer à la racine du mal.

Arnaud Dupuis, Genymobile

Derrière les données économiques et fiscales réside une autre réalité : la France ne produit pas assez d!ingénieurs, qui constituent la valeur ajoutée du pays et concentrent la demande de travail. Le peu que nous formons se rend aux États-Unis, entre autres, et une jeune start-up comme la mienne ne peut pas rivaliser avec les compétiteurs nord-américains. En effet, si je suis prêt à payer un jeune ingénieur 100 000 euros, celui-ci ne percevra que 55 000 euros et ne pourra dépenser que 40 000 euros, alors qu!il pourra en dépenser deux fois plus aux États-Unis. J!ai rencontré récemment une entreprise américaine qui m!a assuré que l!intégralité de son produit avait été développée par des ingénieurs français et qu!il avait levé 700 millions d!euros. Alors que l!État français a payé la formation de ces ingénieurs, ceux-ci créent de la valeur pour nos concurrents. Le problème de fiscalité concerne non seulement les produits numériques mais également ceux qui les conçoivent.

Jean-Pierre Remy

Nous sommes également confrontés à ce type de problème ; nos ingénieurs ne sont pas nombreux mais ils ont de grandes qualités et s!exportent très bien. La France rencontre un réel problème de coût du travail, notamment au niveau de ces profils très qualifiés d!ingénieurs. Cela renvoie à la question du CICE qui s!est orienté vers d!autres types d!emplois alors qu!il importe d!investir dans des emplois qualifiés dans le numérique.

Charles de Courson

Le ciblage du crédit fait débat, entre ceux qui souhaitent le concentrer sur les bas salaires en espérant favoriser l!emploi des personnes les moins qualifiées, ceux qui, comme Louis Gallois, appellent à concentrer le crédit d!impôt sur le « milieu de gamme » et ceux qui souhaiteraient que les profils « haut de gamme » soient privilégiés. Ce sujet est délicat et il s!inscrit dans une longue période de soutien de l!État aux bas salaires qui ne faisait pas discussion. Selon moi, il importe de décaler complètement le crédit d!impôt, un sujet qui sera discuté lors de l!élaboration de la loi de finances pour 2014 et sur lequel l!actuelle majorité commence à infléchir sa position.

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Le crédit d!impôt doit être décalé vers le haut – sans aller jusqu!à des revenus de 100 000 euros – car c!est là que réside la grande masse des salaires des industries soumises à la compétition interna-tionale.

Corinne Erhel

Nous sommes conscientes, Laure de La Raudière et moi-même, des atouts de la France en matière de compétences. Toutefois, certaines lacunes, par exemple au niveau des développeurs, doivent nous pousser à inclure le numérique assez tôt dans l!éducation des enfants et à développer certaines formations. J!aimerais souligner le travail réalisé lors des Assises de l!entrepreneuriat et les annonces qui en ont émané, notamment au sujet du niveau de compétence, de l!accompagnement des jeunes entreprises, du CIR jeunes entreprises, de la culture de l!entrepreneuriat. Il faut montrer que l!on peut rebondir après un échec et insuffler un état d!esprit plus positif. Nous devons également soutenir les écosystèmes autour des entreprises innovantes. Malgré certains freins qu!il faut identifier, la France dispose d!un potentiel considérable et je pense que le travail sur l!entrepreneuriat est très prometteur. Je soutiens également les politiques de soutien des pôles de compétitivité.

Arnaud Dupuis

Les entreprises de toutes tailles sont soumises à cette délocalisation volontaire du travail et à cette concurrence internationale. J!aimerais également rappeler que bénéficier du CIR déclenche immanqua-blement un contrôle fiscal : l!économie d!impôt se trouve alors anéantie par les dépenses liées aux cabinets d!accompagnement du CIR et au travail que nécessite le contrôle fiscal.

Corinne Erhel

Cette réflexion a été abordée par le président de la République au cours des Assises de l!entre-preneuriat.

Merci à tous pour votre participation et merci aux intervenants des tables rondes.

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Déjeuner-débat

Fleur Pellerin

Ministre déléguée aux PME, à l!Innovation et à l!Économie numérique

Fleur Pellerin est ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des PME, de l!Innovation et de l!Économie numérique du Gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Elle était déjà, au sein de l!équipe de campagne de François Hollande, responsable du pôle thématique « Économie numérique ». Fleur Pellerin est diplômée de l!École supérieure des sciences éco-nomiques et commerciales, diplômée lauréate de l!Institut d!études politiques de Paris et ancienne élève de l!École nationale d!administration. Elle a été nommée auditeur à la Cour des comptes en 2001, et promue conseillère référendaire en juin 2003. Elle intègre ensuite l!Organisation des

Nations unies, où elle sera auditrice externe de 2001 à 2007. Elle travaille un temps dans le privé, de 2008 à 2009, comme directrice associée du cabinet de conseil en communication et affaires publiques Tilder, avant de revenir à la Cour des comptes.

Pascal Tallon, directeur général, Boury, Tallon & Associés / M&M Conseil

J!aimerais remercier l!ensemble des participants à cette riche matinée, particulièrement Corinne Erhel et Laure de La Raudière, ainsi que Fleur Pellerin qui a la gentillesse, pour la deuxième année consécutive, de conclure cette matinée à travers ce déjeuner-débat.

Laure de La Raudière

Je tiens, moi aussi, à remercier l!ensemble des participants à ces 4es Rencontres parlementaires sur l!Économie numérique, un secteur en croissance et pourvoyeur d!emplois. Fleur Pellerin, merci d!être parmi nous.

Fleur Pellerin

Je suis ravie de me tenir parmi vous et d!avoir été invitée à participer à la clôture de ces tables rondes. Les sujets que vous avez abordés me tiennent à cœur et je crois pouvoir dire que le « rêve du très haut débit » est en train de prendre forme. En effet, le cadre technique et juridique a été fixé avec une forte implication de l!État auprès des collectivités territoriales et des opérateurs privés, et un cadre concrétisé par une généralisation des conventions tripartites.

Par ailleurs, la mission « Très haut débit », rattachée à mon ministère, est chargée du pilotage de ce chantier ; elle accueille toutes les demandes techniques et financières des collectivités. Cette mission est opérationnelle depuis six mois et instruit déjà une trentaine de dossiers recevables, représentant 37 départements. Elle est active et continue à s!étoffer ; nous progressons dans le respect des restrictions budgétaires que nous connaissons.

Les financements ont été mis en place, et l!État assurera, comme il a été annoncé, sa mission de péréquation, avec un total de 3 milliards d!euros de subventions versées sur les dix prochaines années. Cette somme sera financée par les redevances versées par les opérateurs et l!utilisation de la bande des 1 800 MHz pour la 4G, ainsi que par une vingtaine de milliards d!euros de crédits disponibles pour des prêts accordés aux collectivités territoriales et dédiés à leurs infrastructures, dont le très haut débit, mais pas exclusivement. Ces prêts d!une maturité de 20 à 40 ans sont assortis de taux très faibles, de l!ordre de 3,05 %, avec la possibilité de différer l!amortissement entre cinq et huit ans. Ainsi, les premiers remboursements ne débuteront que lorsque les premières redevances seront perçues et que le réseau commencera à être rentable.

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Pour maintenir cette dynamique très opérationnelle, je réunirai très prochainement le Comité stratégique des filières numériques pour m!assurer, auprès de l!ensemble des acteurs du système, que toutes les ressources humaines sont bien en place et permettront le déploiement physique du très haut débit. Nous devons examiner, en particulier, les besoins en personnel formé pour assurer tous les travaux, notamment dans le génie civil. Il convient également de mener une réflexion sur les équipementiers pour permettre à des PME françaises ou européennes de participer et de bénéficier des effets positifs du déploiement du très haut débit.

Au cours de ces débats, vous avez abordé le sujet de la Net neutralité, un thème très important sur lequel j!ai souhaité saisir le Conseil national du numérique (CNN), afin d!examiner la neutralité des plateformes. En effet, une procédure de la Commission européenne est en cours, notamment concentrée sur Google et la question des points d!accès virtuels au réseau, tant ces plateformes peuvent, de facto, s!apparenter à un quasi-monopole d!accès à Internet. Il me paraît donc utile que le CNN puisse réfléchir à cette question, en y incluant celle liée à la neutralité des plateformes, des équipements, des systèmes fermés propriétaires et de l!interopérabilité. Cette réflexion précédera une démarche législative qui pourrait intervenir en 2014.

Vous avez également débattu de la fiscalité numérique, un sujet d!actualité qui a pris énormément d!ampleur à l!échelle internationale, au cours de ces six derniers mois. Nos pays voisins s!en sont saisis, avec notamment une mobilisation du public au Royaume-Uni, qui a mis en cause un certain nombre de sociétés de droit américain qui ont recours à l!optimisation fiscale agressive. L!administration américaine a pris conscience de ce problème ; elle est d!ailleurs à l!origine du lancement des travaux sur l!érosion des bases et le déplacement des profits au sein de l!OCDE. Ce sujet a donc été porté au plus haut niveau par le président de la République, dans le cadre du Conseil européen, et par le ministre des Finances, dans le cadre des conseils Ecofin, avec l!idée que l!on puisse avancer de façon parallèle au sein de l!OCDE et au sein de l!Union européenne. Au sein de l!OCDE, la réflexion est axée sur une convention multilatérale qui, d!une part, éviterait de renégocier toutes les conventions fiscales bilatérales qui permettent ces pratiques d!optimisation fiscale et, d!autre part, définirait la « présence digitale » des entités qui exploitent des données personnelles dans un certain nombre de pays. Ainsi, nous pourrions remédier à l!absence de siège social ou de représentant légal de ces sociétés, dans les pays où elles réalisent des profits et du chiffre d!affaires.

À l!échelle européenne, il faut relancer le chantier de l!Accis (Assiette commune consolidée pour l!impôt sur les sociétés), qui peut permettre d!organiser la réflexion pour relier un bénéfice à un territoire sur lequel il est réalisé. La question de l!exploitation des données personnelles est également intégrée dans cette réflexion, car elle permet de localiser une activité sur un territoire.

Bien sûr, nous devons être vigilants, afin d!éviter que ces réflexions ne brident l!innovation des entre-prises d!Internet, notamment celles françaises et européennes ; un juste équilibre doit donc être trouvé entre la restauration de l!équité fiscale et la capacité des acteurs locaux à dégager des marges, à investir, à recruter et à créer de la valeur sur nos territoires.

Il ne s!agit pas de pointer du doigt l!économie numérique, car d!autres secteurs utilisent les possibilités offertes par les immobilisations incorporelles pour optimiser leurs taxations. Mais il est certain que la créativité et les possibilités d!invention de solutions originales sont démultipliées dans ce secteur.

Il convient également de ne pas donner l!impression que l!on part en guerre contre les Nord-Américains ; certes, les sociétés les plus décriées sont basées outre-Atlantique, mais l!Europe possède également de grandes multinationales, et nous devons réfléchir à la façon de construire ces champions mondiaux que nous envions aux Américains et aux Asiatiques.

Olivier Sichel, président, LeGuide.com

Vous nous aviez réunis à Bercy, le 17 mai 2013, pour les abus de position dominante liés à l!enquête de la Commission européenne sur Google, et la mobilisation des entreprises européennes a été très forte. Avant même la fin du test de marché, Joaquin Almunia a annoncé que son résultat était négatif et qu!il demanderait des concessions supplémentaires à Google. Pour votre part, vous aviez annoncé que le Conseil national du numérique serait saisi. Quel est le calendrier de ses travaux et quel est le champ de saisine ? Nous souhaitons qu!il soit le plus large possible et qu!il concerne l!ensemble de l!écosystème,

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non seulement la distribution numérique et la distribution physique, mais également le tourisme, qui subit des impacts assez forts.

Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée

Nous avons appris, par voie de presse, qu!il était possible que la bande des 700 MHz soit affectée assez rapidement aux communications électroniques, avec une promesse budgétaire de l!État qui garantirait que le produit de ces fréquences alimente le budget de la France. Or, nous savons que l!Internet mobile est très consommateur de bande passante, que les nouvelles normes de compression des diffusions entraîneront une rationalisation du spectre qui, par ailleurs, est une ressource à la fois rare et publique. Il me semble important que le Parlement soit associé au calendrier et aux discussions autour de ces fréquences, qui sont de véritables « Ferrari », et qui posent des questions d!ordre économique, social et culturel. L!attribution des licences montre que la plus grande vigilance est nécessaire, pour éviter que cette bande ne profite à la valorisation du spectre, au détriment de l!équipement du territoire. Heureusement, nous avons obtenu à la fois de la concurrence, une bonne valorisation du spectre et des conditions d!aménagement numérique du territoire uniques au monde.

Comment comptez-vous associer le Parlement à ces discussions, et selon quel calendrier ?

Fleur Pellerin

Le commissaire Joaquin Almunia a en effet estimé que les propositions de Google n!étaient pas suffisantes. La lettre de saisine du CNN a été cosignée par MM. Moscovici, Montebourg et moi-même, preuve de notre intérêt pour cette question. Le calendrier devrait être assez serré malgré le nombre de questions à traiter : fiscalité, neutralité, sécurité… Nous sommes particulièrement attentifs à la question de la neutralité des plateformes vis-à-vis de certains secteurs comme le voyage, l!hôtellerie et le shopping.

Concernant la bande des 700 MHz, une décision de principe a été prise dans le cadre d!une procédure européenne et internationale. En effet, l!UIT (Union internationale des télécommunications) doit se prononcer en 2015 sur l!attribution de cette bande de fréquence aux services télécoms ou audiovisuels, et la Commission européenne fera connaître sa position sur le sujet fin 2014. L!idée paraît admise que les télécommunications auront besoin de davantage de bande passante, comme le montrent les exemples du Japon ou de la Corée du Sud, où les usages en développement et le nombre d!objets connectés nécessitent une forte évolution en la matière. Certains pays ont déjà pris leur décision, comme la Finlande ; d!autres ont lancé des consultations, et il importe que la décision soit prise en amont, afin de ne pas subir les aménagements techniques entrepris par nos voisins.

Les ministères concernés, en partenariat avec le Parlement, doivent à présent définir les modalités d!attribution, le prix et le calendrier du transfert de la bande. Des consultations seront lancées au mois de juillet, et les parlementaires y seront, bien entendu, étroitement associés, tout comme les opérateurs.

Jean-Baptiste Soufron

Le CNN a décidé de procéder en deux temps, avec un point d!étape avant les mois de septembre-octobre pour la diffusion d!un document plus complet. Francis Jutand pilotera ces travaux, et nous devrions très prochainement entrer en contact avec les différentes parties prenantes et organiser une série de réunions, ouvertes notamment aux acteurs visés par cette procédure, afin qu!ils puissent donner leur avis sur cette question.

Yves Rome

Je me félicite que le président la République souhaite équiper l!intégralité de notre territoire de la fibre optique. Dans le cadre de l!attribution des licences 3G, l!aide attribuée aux collectivités a été con-venablement calibrée pour répondre aux besoins des territoires. Toutefois, il me paraîtrait opportun que des améliorations soient consolidées par une loi qui redéfinirait le cadre et le paysage dans lequel les

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collectivités territoriales doivent évoluer. En effet, alors que l!ARCEP a décidé d!autoriser le VDSL 2, il n!est pas concevable, d!un côté, de placer les collectivités au centre des réflexions sur les questions liées au numérique et, de l!autre, de les insécuriser en autorisant cette technologie sur les territoires dans lesquels elles ont vocation à déployer des réseaux. Des sécurités doivent être clairement apportées aux collectivités qui agissent et qui ont décidé de « fibrer » leur territoire. Bien sûr, le VDSL 2 est utilisé, mais son usage devrait être strictement limité au mix technologique que vous avez vous-même évoqué.

Laure de La Raudière

Nous nous réjouissons de la mission Darodes et du nouveau cadre de subventionnement, mais l!engagement pris par l!État concernant une enveloppe complémentaire aux investissements d!avenir sera-t-il concrétisé dans la loi de finances de 2014 ?

Fleur Pellerin

Étant donné le niveau de saturation du calendrier du Parlement, nous ne pourrons pas faire voter une loi Télécoms avant la fin de l!année, comme nous le souhaitions. Nous envisageons de concevoir une grande loi numérique, permettant d!aborder les questions liées à la neutralité du Net, aux infrastructures et au secteur des télécommunications en 2014.

En ce qui concerne le VDSL 2, une réunion sera organisée prochainement par la mission Darodes, afin d!expliquer le cadre dans lequel s!inscrit cette décision de l!ARCEP. Nous maintenons notre engagement de subventionner la montée en débit, à condition qu!elle ne mette pas en cause le déploiement futur de la fibre. Certes, des montées en débit transitoires sont nécessaires pour offrir à nos concitoyens des flux de 30 à 40 mégabits/seconde, mais, selon nous, le VDSL 2 ne constitue pas une solution pérenne. La France a fait le choix de la fibre, et seule la partie des investissements réversibles ou transformables en fibre sera subventionnée.

Il est prévu d!affecter les recettes tirées des redevances que paieront les opérateurs – en contrepartie d!une stabilisation de leur fiscalité – pour l!utilisation de la bande des 1 800 MHz pour la 4G, le Fonds d!aménagement numérique du territoire ou un véhicule proche opéré par la Caisse des dépôts ou le Commissariat général à l!investissement. Nous disposons des fonds pour tenir nos engagements jusqu!à mi-2014 et tenir la promesse du président de la République d!attribuer 3 milliards d!euros pour les dix prochaines années.

Corinne Erhel

La France manque d!ingénieurs et de formations de développeurs. De plus, elle ne dispose pas du cadre fiscal et économique pertinent pour accompagner le développement des PME et des start-up en France. Quelles idées intéressantes ont émergé des Assises de l!entrepreneuriat, au sujet des compétences et de l!émergence de champions français ?

Fleur Pellerin

En effet, ces Assises furent un moment important pour l!esprit d!entreprise et l!entrepreneuriat en général. Nous devons nous concentrer sur les entreprises de croissance qui créeront des emplois et construiront l!avenir de notre pays dans le domaine de l!économie de la connaissance. De retour de la Silicon Valley, je constate que des facteurs culturels expliquent pourquoi cet écosystème intégré réunit les talents, la créativité, les ingénieurs, le marketing et des fonds de capital-risque très puissants, propres à déclencher ce cercle vertueux.

Les Assises furent l!occasion de créer pour la première fois une démarche de concertation très large, qui réunit des parlementaires, des syndicats, des organisations patronales, des membres de l!admi-nistration et des représentants des ministères. Ensemble, ils ont pu discuter des verrous qui font obstacle au développement de nos entreprises et de sujets comme la projection précoce à l!inter-

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national, la mobilisation des talents, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, la mobilisation de tous les talents, la fiscalité et le financement. L!objectif de ces Assises consistait à améliorer l!environnement culturel, réglementaire et fiscal des entreprises.

À l!issue de cet événement, le président de la République a annoncé une dizaine de mesures, et nous poursuivons le travail sur les quarante autres mesures qui ont été émises, dans un processus qui durera le temps nécessaire. Parmi ces annonces, rappelons notamment :

• l!inscription d!une sensibilisation à l!entrepreneuriat à l!école, ou au moins de la 6e à la terminale ;

• la suppression de la cotation 040, qui participe d!une absence de la culture de l!échec, alors qu!aux États-Unis, aux yeux d!investisseurs potentiels, un entrepreneur qui a connu l!échec n!est pas mal vu, au contraire ;

• l!extension des bénéfices du statut de « jeune entreprise innovante » aux dépenses d!innovation (prototypage, design, marketing) ;

• l!encouragement fiscal aux corporate ventures ; les grandes entreprises seront incitées à investir dans des PME innovantes pour amortir fiscalement ces investissements sur cinq ans ;

• la réforme de la fiscalité des plus-values de cession, avec la création d!un régime incitatif et très simplifié, qui est compétitif par rapport aux pays voisins, tant la fiscalité participe de l!attractivité de l!économie française. Étant chargée par le Premier ministre d!une mission Attractivité de la France, j!observe que ce signal est bien perçu par les investisseurs étrangers ;

• la création d!incubateurs – les Maisons digitales " pour les créateurs souhaitant s!installer à titre expérimental, avant de concrétiser.

Cet ensemble de mesures crée une démarche de stimulation de l!environnement, propice à l!éclosion de davantage d!entreprises de croissance.

Au sujet de la formation, je rappellerai qu!une récente étude anglaise relevait que Tech City, ce pôle high-tech anglais, se montre incapable d!attirer des talents, notamment des ingénieurs. Cela nous rappelle que la compétition mondiale pour trouver des talents fait rage. Dans la Silicon Valley, on dénombre de 50 000 à 70 000 ingénieurs français, et tous les entrepreneurs étrangers que j!ai rencontrés reconnaissent la très grande loyauté et la maîtrise technique des ingénieurs français, leur grande compétence en matière de mathématiques et d!algorithmes, un fruit de la qualité des écoles françaises. Certes, la France ne compte pas assez d!ingénieurs et de codeurs, a fortiori dans les métiers de l!Internet.

Pour combler cette lacune, des initiatives privées se sont distinguées, notamment celle de Xavier Niel ou de l!école de Montreuil, qui vient d!ouvrir ses portes. Elles s!inscrivent dans un mouvement de développement de « Web académies », qui tente d!exploiter l!énorme gisement dont nous disposons. Je souhaiterais que l!action publique soit plus présente dans ce domaine, et la réflexion sur les cartes de formation à l!université devrait nous permettre de créer des cursus indispensables pour rester dans la compétition internationale, notamment dans les domaines du data mining, du big data, de la cybersécurité, où nous manquons de compétences. Nous y travaillons avec nos collègues ministériels.

Jean-Pierre Remy

Quels enseignements tirez-vous de votre visite remarquée à la Silicon Valley ? Dans quels thèmes pourrions-nous investir ? Dans quels domaines pourrions-nous attirer des investissements étrangers ?

Fleur Pellerin

La visite d!une entreprise comme Sales Force est impressionnante, et nous devons encourager ce type d!entreprise à se développer. La France dispose de très bons atouts en matière de big data, et nous travaillons à la structuration d!une filière dans ce domaine, afin de faire fructifier la qualité de nos écoles

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de mathématiques et d!algorithmes. Nous devons structurer cette filière avec une vraie vision indus-trielle. Nos choix de soutien à la recherche collaborative ou aux pôles de compétitivité doivent contribuer à stimuler cet écosystème et les PME. Les secteurs de la RFID et du machine to machine seront également déterminants ; les dizaines, voire les centaines de milliards d!objets qui seront connectés dans cinq ans (dans les domaines de l!automobile, de l!aéronautique, de l!urbanisme ou de la santé) nous incitent également à tenter de prendre les marchés qui vont se développer dans ce domaine où la France doit développer des compétences et aider les entreprises à s!y lancer.

Ne négligeons pas les secteurs comme le développement d!applications mobiles, dans lequel la France est en pointe (notre pays est le deuxième pourvoyeur de produits dans l!App Store), ou le jeu vidéo. Faisons en sorte de maintenir nos compétences dans l!animation, la 3D, etc.

Arnaud Dupuis

Les ingénieurs français sont excellents et très compétitifs, mais nous subissons une délocalisation de ces talents sous l!effet de la compétition du marché mondial du travail. Les entreprises françaises ne peuvent pas concurrencer une entreprise américaine, pour une raison simple : le salaire que je peux proposer à un ingénieur sera toujours inférieur à celui qu!il pourra percevoir aux États-Unis. Par ailleurs, je tiens à rappeler que le crédit d!impôt recherche est moins utilisé pour de la recherche fondamentale que pour financer l!innovation dans les entreprises, ce qui est positif.

Olivier de Baillenx, directeur des Relations institutionnelles, Iliad

Neelie Kroes est très mobilisée sur deux sujets. D!une part, la recommandation sur les coûts d!accès et la non-discrimination qui porte sur les coûts d!accès des réseaux cuivre et fibre. Les débats sur ce sujet font rage à la Commission européenne, et ils ne sont pas réglés. D!autre part, l!initiative qu!elle a lancée au sujet du marché unique des télécommunications, qui montre son souhait ardent de progresser rapidement vers un marché unique. Quelle est la position de la France sur ces sujets ?

Fleur Pellerin

En ce qui concerne l!écart entre salaires brut et net, je dirais que les ingénieurs de la Silicon Valley coûtent plus cher qu!en Europe. Dans le marché mondialisé des talents, le coût du travail n!est pas tout : faire venir un ingénieur suppose de pouvoir scolariser ses enfants, de le loger, de l!abonner au téléphone et à Internet, de lui proposer un accès aux services de santé. Les coûts induits sont élevés. Certes, le différentiel brut/net est un problème sur lequel nous travaillons, notamment à travers la réforme de la protection sociale ; comme le président de la République l!a rappelé, son financement pèse trop sur le coût du travail.

Pour remédier à la difficulté des PME à recruter des ingénieurs et inciter les jeunes diplômés à ne pas s!orienter uniquement vers des grandes entreprises, je pense que des initiatives très pratiques, comme l!organisation de forums étudiants avec les universités et les grandes écoles ou le développement des stages, seraient efficaces.

L!abrogation de la circulaire Guéant permettra d!attirer davantage de jeunes talents étrangers, tout comme la création du Visa entrepreneur, qui facilitera les formalités à accomplir pour une personne souhaitant créer une entreprise en France. Ce signal est également très bien perçu à l!étranger et participe à l!attractivité du pays.

Concernant le marché unique des télécoms, la position du Gouvernement consiste à rappeler que nous appliquons la directive Itinérance. La suppression du roaming européen ne serait pas favorable à la capacité d!investissement des entreprises du secteur des télécoms, compte tenu de leurs marges actuelles. La position du Gouvernement français consiste donc à dire : « appliquons la directive Itinérance et évitons de supprimer des possibilités pour les opérateurs de valoriser le roaming ».

Au sujet du marché unique des télécommunications, j!observerai que les États-Unis comptent quatre opérateurs, contre plus de 150 en Europe. Cette fragmentation soulève des questions, alors que, pour

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le téléphone fixe, le revenu par abonné atteint en moyenne 200 dollars outre-Atlantique, contre environ 30 euros en France pour le triple play. Dans ce contexte, la question de la consolidation mérite d!être posée, tant pour les opérateurs de télécoms que pour les équipementiers.

Concernant les coûts d!accès, nous partageons l!objectif de Neelie Kroes, mais nous souhaitons faire valoir notre point de vue quant à la mise en œuvre. Nos services travaillent avec ceux de la commissaire pour progresser sur ce sujet.

Christophe Le Blanc, directeur des Relations institutionnelles, Solocal Group

Un dispositif de fiscalité du numérique est-il à l!étude pour le projet de loi de finances 2014 ? L!expérimentation du crédit d!impôt innovation a vocation à prendre de l!ampleur, étant donné que notre secteur dépense plus dans l!innovation que dans la recherche proprement dite. Compte tenu du niveau élevé des salaires dans nos secteurs qui comptent des compétences à forte valeur ajoutée, le relèvement du plafond des salaires pris en compte dans le cadre du CICE est-il envisagé ?

Fleur Pellerin

Je travaille actuellement avec Bernard Cazeneuve sur le sujet de la fiscalité du numérique, mais je ne suis pas persuadée que notre réflexion sur l!impact qu!aurait la fiscalité des données personnelles ou une taxe au clic sur cet écosystème soit assez mûre. La prudence est de mise, afin de ne pas obérer les capacités de développement du secteur. Nous aurons cette discussion, cet été, avec le ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, mais nous devons avant tout proposer des solutions qui préservent l!écosystème.

Je vous rappelle que l!extension du crédit d!impôt recherche aux dépenses d!innovation pour les PME est mise en œuvre. Il n!est pas prévu de donner plus d!ampleur au soutien à l!innovation, au détriment de la R&D, dans le cadre du crédit d!impôt innovation. En revanche, nous mettons en œuvre bien d!autres mécanismes pour améliorer le financement de l!innovation, notamment à travers la mise en place de fonds au sein de la BPI ou le soutien aux corporate ventures. De plus, la création du PEA-PME, avec un compartiment du PEA plafonné à 75 000 euros, dédié au financement des PME, constitue une mesure qui permettra d!orienter davantage l!épargne de nos concitoyens vers le finan-cement de l!économie, ce qui devrait bénéficier aux PME de croissance. Dans cet ordre d!idées, nous réfléchissons à l!utilisation de la manne de l!assurance-vie, que nous souhaiterions orienter vers le financement des PME.

Dans le cadre du doublement du plafond du livret A et du LDD, j!ai obtenu du Premier ministre que 1,25 milliard d!euros soit réservé, dans les cinq prochaines années, au financement de PME innovantes à travers des fonds de fonds.

Enfin, concernant le CICE – un dispositif qui coûte 20 milliards d!euros –, le choix d!un instrument de portée générale, assorti d!un plafond plus bas, a été fait, au détriment d!un système qui aurait bénéficié à certains secteurs, mais avec des plafonds plus élevés.

Pascal Tallon

Je tiens à remercier les parlementaires qui ont présidé nos débats et, bien sûr, à remercier vivement Fleur Pellerin, Laure de La Raudière et Corinne Erhel.

*Synthèse des propos non validée par Fleur Pellerin

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