Rencontres franco-allemandes du Château de … · 2.1 Conséquenes sur l’emploi et le droit du...
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2016
Luc Julien-Saint-Amand
Valoris AVocats
10/08/2016
Rencontres franco-allemandes du Château de Klingenthal Usine et Services du futur, où vont la France et l’Allemagne ?
p. 2
Usine et services du futur
Où vont la France et l’Allemagne ?
Rencontres franco-allemandes du Château de Klingenthal, le 24 juin 2016
Table des matières
Avant-Propos ...................................................................................................................................... 3
Introduction ........................................................................................................................................ 3
1. L’Usine et les Services du futur .................................................................................................. 4
1.1 Définition ................................................................................................................................... 4
1.2 Evolution ou révolution ............................................................................................................. 4
1.2.1. Evolution des techniques .................................................................................................. 5
1.2.2. Révolution des conséquences ........................................................................................... 5
2. Les conséquences juridiques et fiscales de l’économie 4.0 ....................................................... 5
2.1 Conséquences sur l’emploi et le droit du travail ....................................................................... 5
2.1.1 L’arrivée de l’intelligence artificielle .................................................................................. 5
2.1.2 L’emploi dans l’industrie .................................................................................................... 6
2.1.3 L’emploi dans les services .................................................................................................. 7
2.1.4 L’évolution des relations de travail .................................................................................... 8
2.2 Impact de l’économie du futur sur les domaines du droit ........................................................ 9
2.2.1 Un nouveau modèle ........................................................................................................... 9
2.2.2 Incidences sur les entreprises ............................................................................................ 9
2.3 Droit fiscal et économie du futur ............................................................................................ 10
2.3.1 Un modèle économique en mutation .............................................................................. 10
2.3.2 La situation de départ....................................................................................................... 11
2.3.3 Quelle fiscalité pour demain ? .......................................................................................... 11
3. La France et l’Allemagne face à la quatrième révolution industrielle, regards croisés ......... 13
3.1 Allemagne ................................................................................................................................ 13
3.2 France ...................................................................................................................................... 13
3.3 Différence d’approche ............................................................................................................. 14
3.4 Coopération ............................................................................................................................. 14
Conclusion ......................................................................................................................................... 15
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Avant-Propos
Les rencontres franco-allemandes de Klingenthal sont organisées depuis trois ans, à l’initiative de M.
André Burger, sur l’invitation de Mme Marie-Paule Stintzi, présidente de la Fondation Goethe, avec le
soutien de M. Jörn Bousselmi, Président de la chambre franco-allemande de commerce et d’industrie.
Elles sont préparées et animées par Me Luc Julien-Saint-Amand, Conseiller du Commerce Extérieur de
la France et avocat associé du cabinet Valoris avocats. A l’occasion de ces rencontres, des personnalités
des deux côtés du Rhin débattent de sujets d’actualité sur lesquels elles portent un regard croisé visant
à développer la coopération franco-allemande en général et au sein du Rhin Supérieur en particulier.
La première année a été consacrée à une comparaison de nos systèmes fiscaux et sociaux1, la seconde
à une réflexion sur la gestion des ressources humaines comme facteur explicatif de la compétitivité2.
Cette année, nous avons souhaité comparer l’approche de nos deux pays face à l’économie 4.0, ou
économie du futur, et réfléchir aux pistes envisageables et souhaitables dans un monde en pleine
évolution.
Introduction
Que faut-il entendre par « Usine et Services du Futur » liés à la quatrième révolution industrielle, en
les replaçant dans le contexte de l’évolution du numérique et des technologies (1) ?
Quelles en sont les conséquences juridiques, sociales et fiscales ? Selon la théorie économique de
Joseph Schumpeter, l’innovation entraîne la disparition de secteurs d’activités et renouvelle le tissu
productif en créant de nouvelles activités économiques. Cette théorie de « destruction créatrice »
s’applique-t-elle à la quatrième révolution industrielle ? Que devons-nous attendre de cette révolution
sur l’emploi, tant dans l’industrie que dans les services ? Comment vont évoluer les relations sociales
en relation à un déclin de l’emploi salarié ? Dans quelle mesure le droit va-t-il évoluer, sur le plan
contractuel, sur celui de la responsabilité, de la propriété, de la protection des données et de la vie
privée ? Enfin, la question de la fiscalité de demain est centrale, car dans un monde numérique et
connecté, les bases d’imposition doivent évoluer sous peine de voir divers Etats privés d’une partie
significative de leurs ressources (2).
L’enjeu de cette évolution est considérable. Comment est-elle appréhendée par nos gouvernements ?
Comment la France et l’Allemagne agissent-elles pour créer un environnement favorable à leurs
entreprises ? Quel est le rôle de l’Etat au regard de la recherche et du développement (3) ?
A toutes ces questions, nous avons tenté d’apporter des éléments de solutions.
1 France Allemagne 2014 : regard croisé fiscal et social, http://www.valoris-avocats.com/fr/actualite/ 2 France Allemagne 2015 : management et compétitivité, http://www.valoris-avocats.com/fr/actualite/
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1. L’Usine et les Services du futur
Avant d’aborder ce que l’on peut appeler la quatrième révolution industrielle, rappelons les trois précédentes révolutions :
- la première correspond à la mise en œuvre des premières machines, propulsées par la vapeur ; - la deuxième se réfère à la généralisation de l’électricité et du pétrole ; - la troisième concerne la généralisation de l’informatique, aussi bien dans l’industrie (PAO,
usines automatisées…), que dans les services (ex. systèmes de réservation centralisés dans le tourisme), que dans la banque et la finance (transactions électroniques…).
Si les trois premières révolutions reposaient sur une avancée technologique majeure (vapeur, électricité et NTIC3), la quatrième révolution est plus subtile dans la mesure où elle est amorcée par un agrégat de mini-révolutions dont le numérique est le catalyseur. En ce sens, il n’y a pas de rupture nette, mais une série d’avancées transversales aux différents secteurs de l’économie, qui mises bout à bout transforment l’outil de production et le quotidien des consommateurs4.
1.1 Définition
La définition ci-après a été proposée : l’industrie 4.0 selon la terminologie allemande ou l’usine du
futur selon l’approche française se distingue de l’usine 3.0 par le fait qu’elle est « connectée » ou plus
précisément elle est composée de systèmes cyber-physiques. Les systèmes cyber-physiques sont des
systèmes embarqués intelligents, composés d’électronique et de logiciels, reliés au monde réel au
travers de capteurs et d'acteurs, et connectés entre eux et à internet. Le monde physique fusionne
ainsi avec le monde virtuel pour créer un cyberespace, qui selon sa définition est un ensemble de
données numérisées, constituant un univers d’information et de communication, lié à l’internet5.
L’exemple type du système cyber-physique est le smartphone, relié au monde réel par des capteurs et
des senseurs et au monde virtuel par sa connexion internet, créant un cyberespace de communication.
La miniaturisation de l’électronique a permis d’intégrer de l’électronique dans la mécanique ;
l’utilisation de l’intelligence artificielle permet aux programmeurs de créer des algorithmes6 rendant
le système intelligent. L’intelligence s’entend ici de la capacité de ces programmes à apprendre et à
s’améliorer par eux-mêmes.
En résumé « Industrie 4.0 » signifie l’intégration technique de systèmes électroniques intelligents
(cyber physiques) dans la production et la logistique, ainsi que l’utilisation de l’internet des objets et
des services dans les processus industriels.
1.2 Evolution ou révolution
Sommes-nous confrontés à une évolution ou à une révolution de notre système économique ?
3 Nouvelles technologies de l’information et de la communication : ensemble des techniques utilisées pour le traitement et la transmission des informations (câble, téléphone, internet, etc.). 4 Frédéric CAVAZZA, « La transformation digitale accélère la quatrième révolution industrielle », Fredcavazza.net, 28 janvier 2016. 5 René OHLMANN, dirigeant de ADDI-DATA à Karlsruhe, société spécialisée dans le développement de solutions de haute technologie pour la mesure industrielle et l’automatisation. 6 « Un algorithme est une suite finie et non ambiguë d'opérations ou d'instructions permettant de résoudre un problème ou d'obtenir un résultat » (définition Wikipedia).
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1.2.1. Evolution des techniques
Au sens indiqué ci-dessus, à savoir l’intégration de systèmes électroniques intelligents dans la
production et la logistique, il s’agit d’une évolution, dans la mesure où l’objectif et la conséquence sont
une amélioration permanente des performances dans la logique de la troisième révolution industrielle.
Cette thèse est confortée par le fait que l’industrie de transformation de matières premières sera
toujours implantée près des ressources de matières premières, ce qui marque une limite
fondamentale7.
1.2.2. Révolution des conséquences
La révolution se situe au niveau des conséquences : sur la nature des richesses créées, sur les modèles
d’entreprises, sur les services situés en aval et sur l’organisation de travail.
Ainsi, la révolution concerne notamment les systèmes de commercialisation : comment approcher les
clients demain ? Quels services, quelle valeur ajoutée leur fournir ? L’organisation des ventes est
profondément modifiée : longtemps elle a été le fait de forces de vente externes avec un grand
nombre de commerciaux, puis l’évolution s’est faite vers l’ouverture de magasins, puis de centres
d’appel et maintenant d’ « e-shops ». La commercialisation sur internet est devenue une nécessité
amenant une transformation radicale du modèle de distribution8.
La chaîne de création de valeur est touchée dans sa totalité. Nous passons de l’automatisation à la
robotisation, voire à une forme d’auto-organisation systémique, laquelle suppose la mise en place de
systèmes cognitifs capables d’apprendre par eux-mêmes. La production, la distribution, voire le service
après-vente sont de plus en plus intégrés. La numérisation et internet sont présents à tous les niveaux :
l’internet des objets, de la logistique, des services, de l’énergie ; c’est ainsi notre modèle économique,
énergétique et sociétal qui est profondément transformé, suscitant une modification des relations de
travail et appelant des réformes de nos systèmes juridiques et fiscaux.
2. Les conséquences juridiques et fiscales de l’économie 4.0
2.1 Conséquences sur l’emploi et le droit du travail
2.1.1 L’arrivée de l’intelligence artificielle9
« La révolution à laquelle nous sommes confrontés est plus importante que la révolution industrielle (la
2nde) et l’arrivée de l’informatique (la 3ème). Ce qui change la donne, c’est que l’intelligence arrive dans
les machines ».
Il ne s’agit plus seulement d’automatisation mais de robotisation. La diminution de la main-d’œuvre
humaine dans le domaine industriel s’accélère, on a vu récemment Adidas rapatrier une usine d’Asie
pour en créer une en Allemagne hautement robotisée10. Ce ne sont plus seulement les emplois
répétitifs et à faible valeur ajoutée qui sont remplacés, mais progressivement les emplois plus qualifiés
7 Pierre KOPP, Directeur administratif et financier de KNAUF INDUSTRIE GESTION. 8 Pierre HUGEL, président du Directoire de la société WURTH. 9 Thème introduit par Michel NACHEZ, Cyberanthropologue, Enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg, auteur de « Fin de l’Emploi pour les humains ?.. . », Ed Néothèque 10 Gregory ROZIERES, Huffington Post, 25 mai 2016 : « Finie l'Asie, une partie des chaussures Adidas sera produite en Allemagne, mais par des robots… ».
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et les emplois dans les services. Ainsi 25% des français et selon certaines études, 60% des asiatiques
craindraient pour leur emploi11.
Dans l’immédiat, l’évolution de l’emploi dans l’industrie pourrait préfigurer ce qu’elle sera dans les
services.
2.1.2 L’emploi dans l’industrie
L’Allemagne est plus avancée en termes de robotisation avec 150 000 robots (soit 261 robots pour
10 000 salariés) présents dans l’industrie, contre 34 500 en France (soit 122 robots pour 10 000
salariés) et 62 000 en Italie (159 robots pour 10 000 salariés)12.
Pourtant, et cela semble au premier abord un paradoxe, l’Allemagne connait le plein emploi tandis que
la France souffre d’un chômage égal à 10% de la population active. L’Allemagne considère que pour la
phase « production » de l’industrie 4.0, une partie importante du chemin est déjà parcourue ; la
formation des ouvriers allemands a évolué également et aujourd’hui, dans la très grande majorité des
cas, il s’agit d’emplois qualifiés. La démographie allemande par ailleurs est telle, que comme au Japon,
la crainte serait plutôt de manquer de main d’œuvre à l’avenir ; par suite, le fait de robotiser
l’économie permet de maintenir une forte production en faisant un moindre appel à la main d’œuvre
humaine13. De surcroît, selon des études récentes, le nombre de salariés employés par l’industrie
allemande devrait légèrement augmenter dans les années à venir14.
Il faut néanmoins observer que depuis 2007, l’Allemagne est le seul Etat à avoir créé des emplois
industriels en Europe, qu’elle représente 40% de l’industrie européenne et 11% de l’industrie
mondiale. Le fait qu’elle produise en bonne partie pour l’exportation relativise cette réalité, car à
l’exception de l’Allemagne, tous les pays européens ont détruit des emplois industriels15. Ce système
de vases communiquant explique en partie pourquoi l’industrie 4.0 rime avec plein emploi en
Allemagne : si l’Allemagne ne nourrissait que son marché elle ne connaîtrait pas le plein emploi.
La situation est différente en France : notre industrie correspond à 12,3% de notre PIB (contre 23% en
Allemagne) et elle est moins modernisée. L’âge moyen du parc de machines en France est de 19 ans16 ,
soit selon certaines études le double de l’âge moyen du parc de machines en Allemagne17. Le chômage
dépasse les 10% et de nombreux ouvriers n’ont pas une formation adaptée aux exigences d’usines
modernes.
Rappelons que les études de comparaison économique Allemagne – France réalisées par la Cour des
Comptes en 2011 font apparaître que non seulement l’industrie française s’est considérablement
réduite, mais que de surcroît les entreprises subsistantes ont une rentabilité très inférieure à celle de
leurs homologues allemandes18. Il est mécaniquement évident que la capacité d’investissement et de
11 Le Figaro-Economie, 4 mai 2016 : « Selon une étude menée par la société de ressources humaines Randstad, 6% des salariés
français jugent que leur remplacement par un robot est inéluctable, et 21% qu'il est probable.
Mais en la matière, les Français ne sont pas les plus pessimistes. Ce sont les Asiatiques qui sont le plus inquiets : 69% des Indiens et 58% des Chinois estiment probable l'automatisation de leur travail ». 12 Source : Proxinov 2014 13 Emmanuel MULLER, enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg et au Fraunhofer Institut de Karlsruhe 14 Source : Federal Statistical Office of Germany, BCG analysis. 15 « L’Allemagne capte de plus en plus l’industrie de la zone euro, Les Echos, 10 novembre 2014. 16 Source : Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Direction Générale Entreprises 17 « Pour la compétitivité de la France, il faut des équipements en état de marche », L’usine nouvelle, 19 septembre 2012. 18 Rapport public thématique de la Cour des Comptes, 2011 « Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne »,
p.29 La rentabilité des PME allemandes du secteur industriel atteint presque le double de celle des PME française (ROE entre 17% et 21% selon la taille de l’entreprise, contre un maximum de 11% en France). Cette divergence de compétitivité est l’un des facteurs contribuant à expliquer que les deux pays connaissent des évolutions très différentes sur le marché international.
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recherche est bien inférieure en France. La conséquence est logique, la France a du mal à se
moderniser faute de marges de profit suffisantes. Le risque est donc de continuer à voir d’année en
année le nombre de nos entreprises industrielles se réduire. C’est pourquoi une stratégie fiscale et
sociale d’attractivité économique, sociale et culturelle est dorénavant un impératif de survie à court
terme pour la France19.
Si leurs marges se reconstituent, grâce notamment à une politique fiscale, sociale et juridique mieux
adaptée, nos entreprises rattraperont dans un premier temps une partie du retard accumulé, ce qui
devrait se traduire par la disparition d’un certain nombre d’emplois. Si au contraire les entreprises
continuent à disparaître, la destruction d’emplois sera dramatique.
2.1.3 L’emploi dans les services
Avec le développement de l’intelligence artificielle, de nombreuses professions sont touchées : les
journalistes, les traducteurs et interprètes, les guichetiers, les réceptionnistes, les serveurs, les
comptables, les avocats, les médecins, les métiers de la finance, les chauffeurs, les pilotes etc.20 Il est
hautement souhaitable que les politiques aient conscience de cette situation et réfléchissent aux
moyens d’accompagner cette mutation inévitable de notre société, ce qui pour le moment ne
correspond pas du tout au discours officiel21.
Nous observons également un développement croissant de la numérisation, la digitalisation, le big-
data, les GAFA22, les plateformes (Uber, Airbnb, Blablacar). Au cours des prochaines années, ces
nouvelles formes de prestation entraineront la disparition de nombreux prestataires de services. A cet
égard et à ce stade, l’Allemagne et la France pourraient être tout autant concernées.
Certains métiers devraient faire leur apparition, par ailleurs, les métiers du tourisme, de la culture, du
divertissement, de l’aide à la personne devraient être épargnés, du moins à moyen terme. En effet, sur
le long terme, les progrès de l’intelligence artificielle feront d’elle une concurrente dans presque tous
les domaines23.
En synthèse, le cas de l’Allemagne est atypique dans la mesure où l’industrie du futur se met en place
sans impact négatif sur l’emploi. Cela s’explique par une production très largement supérieure aux
besoins nationaux et par une excellente formation de la main d’œuvre. Les autres Etats européens,
dont la France, sont moins bien placés. En ce qui concerne les autres secteurs d’activité, il est difficile
d’anticiper les métiers en devenir, mais il nous semble que la destruction d’emplois sera beaucoup
plus forte que la création du fait du développement de l’intelligence artificielle.
19 Sociétal 2016, « Numérique et Emploi, Lost in Transition ? », Sous la Direction de Jean-Marc DANIEL et Frédéric MONTLOUIS FELICITE. «Les pays qui ne sauront pas favoriser l’essor des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives) cesseront d’être dans la course à la valeur ajoutée ». 20 Source : worldrobotics 2015. 21 Michel NACHEZ, Cyberanthropologue, Enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg. 22 Wikipedia : L'expression « géants du Web » est largement utilisée par la presse pour qualifier les grands acteurs d'Internet». On entend souvent par là des structures qui prennent la forme d'entreprises et qui ont su se construire les plus grosses bases utilisateurs du monde. On retrouve derrière cette expression des sociétés comme : Google, Facebook, Amazon, Microsoft, Yahoo, Twitter, LinkedIn et d'autres. Les actuels géants sont ainsi américains et surnommés GAFA, acronyme constitué des géants les plus connus (Google, Apple, Facebook, Amazon). 23 "Dr Watson", programme d’assistance artificielle conçu par IBM, a battu le champion du monde de Jeu de Go, il est par ailleurs capable de lire et d’analyser une quantité colossale d'informations en un temps record. Ce super assistant va pouvoir aider les médecins à choisir le meilleur traitement pour leurs patients. Il devrait arriver prochainement dans les hôpitaux français. Il entre également dans les cabinets d’avocats où il commence à remplacer de jeunes diplômés.
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2.1.4 L’évolution des relations de travail
Une formation inadaptée en France
La digitalisation, les progrès de la science et de la technologie font disparaître de nombreux emplois,
mais concomitamment, la France souffre d’un manque criant de salariés formés à l’économie du futur
tels que « Data Scientist », « Lean Manager », « Ingénieur en robotique », « ingénieur informatique »,
« Technicien de la communication ». Les formations ont un retard considérable, ce qui ne facilite pas
l’évolution vers l’économie du futur24.
Un cadre en pleine évolution
Pour tous ceux qui conservent un emploi salarié, le cadre juridique doit être adapté et il est nécessaire
de reconsidérer le temps comme le lieu de travail, de prévoir un droit à la déconnexion25, d’intégrer la
dimension neuroscientifique26, d’inscrire la relation de travail dans un cadre évolutif d’insertion dans
la ville du futur27.
Une donnée essentielle devrait se maintenir et permettre d’accompagner cette évolution : la relation
humaine. A titre illustratif, en début d’année 2016, le PDG du groupe « Accor » a mis en place un
Comité exécutif fictif composé de salariés de moins de 35 ans, paritairement hommes et femmes,
lequel Comité débat du même ordre du jour que le Comité officiel et fait part ensuite à ce dernier de
ses prises de position. Le PDG a précisé qu’aucune décision ne serait désormais prise sans demander
l’avis de ce Comité de l’ombre28.
Une nouvelle forme de travail
L’emploi salarié est en diminution et une tendance se généralise à travers la planète, à savoir les
entrepreneurs indépendants juridiquement et dépendants économiquement. Selon les études, leur
pourcentage serait de 33% aux USA et leur nombre devrait dépasser le nombre des salariés d’ici
quelques années ; en France et en Allemagne, il excède 10% et suit une courbe de croissance forte29.
Beaucoup parmi eux travaillent pour des « plateformes », du style Uber ou Airbnb. Ces personnes sont
indépendantes au sens juridique, ainsi, elles ne sont pas salariées et ne bénéficient pas de la protection
du droit du travail. Pourtant, elles aspirent à une protection, à une représentation. On observe aux
USA le développement d’associations de « Freelancers» et en France la question est posée par nos
textes législatifs30. Ainsi, la loi « Travail » prévoit un droit à formation professionnelle, un droit de
participer à un mouvement de refus concerté et celui de constituer une association syndicale.
La question est également posée devant nos tribunaux31. Le financement de notre protection sociale
est aujourd’hui essentiellement assis sur les salaires et la disparition des emplois salariés au profit de
ces plateformes collaboratives qui se multiplient devient un véritable enjeu. L’élément clé pourtant
d’un contrat de travail est le lien de subordination, lequel est contesté non seulement par les
24 « La situation de la formation professionnelle est une honte en France », Luc FERRY, ancien Ministre de l’Education Nationale dans « La révolution transhumaniste », Ed. Plon avril 2016. 25 A ce sujet, la Loi du 8 août 2016 visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et
les actifs, dite Loi Travail, prévoit que le droit à la déconnexion des salariés devra être intégré dans la négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail à compter du 1er janvier 2017. 26 L’approche neurocognitive et comportementale développée par l’Institut de Médecine Environnementale, est une démarche à la fois scientifique et pragmatique qui permet de mieux saisir le comportement humain en interaction avec l’environnement dans lequel il évolue, notamment professionnel. 27 Elodie CARON, Responsable des relations sociales à la Compagnie des Transports Strasbourgeois et Vice-Présidente de l’Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines « ANDRH » à Strasbourg. 28 Usine digitale, 2 février 2016. 29 « Les travailleurs freelance vont-ils transformer l’économie ? », Les Echos 29 août 2015. 30 Loi du 8 août 2016 visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dite Loi Travail. 31 Action engagée en mai 2016 par L’URSSAF contre Uber pour faire requalifier les chauffeurs UBER en salariés.
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plateformes mais encore par une forte majorité des entrepreneurs travaillant avec ces plateformes.
Dès lors, la voie suivie, qui vise à protéger le financement de notre système social en qualifiant de
contrat de travail cette nouvelle forme de collaboration, ne peut que constituer un frein de plus à notre
économie. Il n’en reste pas moins que la question du financement de notre système social est critique,
mais la réponse doit être recherchée dans une évolution de notre système fiscal (infra 2.3).
La prise de conscience relative à l’impact de la révolution numérique sur le droit et sur les relations de
travail apparaît progressivement. Pour ce qui concerne les autres domaines du droit, nous n’en
sommes qu’aux prémices, alors que là également nous devrions vivre des bouleversements.
2.2 Impact de l’économie du futur sur les domaines du droit32
2.2.1 Un nouveau modèle
Dans quelle mesure le droit va-t-il évoluer, sur le plan contractuel, sur le plan de la responsabilité, de
la propriété, de la protection des données et de la vie privée ? Pour appréhender cette réalité, il
convient de revenir sur le fonctionnement de la nouvelle technologie : les données sont collectées par
les systèmes cyber physiques (cf supra 1.1) et transmis par des réseaux, le wifi, les liaisons
téléphoniques, radio, satellites ou fixes. Puis ces informations provenant de tous les objets connectés
sont rassemblées et stockées dans des « nuages » (clouds). Ces données, de manière automatisée ou
manuelle vont être analysées, extraites et présentées dans un objectif précis. L’étape suivante consiste
à l’envoi d’alertes aux personnes physiques, aux entreprises ou à leurs objets connectés pour que des
actions soient prises.
Les services ainsi rendus sont notamment susceptibles de toucher les entreprises, l’industrie, les
bâtiments, le domaine de l’énergie, la ville et tout ce qui touche à la mobilité.
2.2.2 Incidences sur les entreprises
A ce stade, 85% des entreprises allemandes sont conscientes de l’influence forte de la digitalisation
sur leur modèle d’affaires et plus de 70% impliquent leur département juridique dans les décisions
stratégiques liées à la digitalisation. Plusieurs domaines du droit sont touchés, en particulier :
- la sécurité informatique,
- le droit des contrats (contrats passés entre machines),
- la responsabilité juridique (liée à l’intelligence artificielle et à la prise de certaines décisions
fondées sur des algorithmes),
- les droits d’auteur et la protection commerciale des données (propriété des données, « big
data », accès aux données dans les « clouds »),
- la sécurité des produits,
- le droit de la concurrence,
- également le droit du travail (2.1) et
- le droit fiscal (2.3).
De plus en plus fréquemment, les contrats sont passés directement entre les machines : commande
de pièces de rechange, tests de qualité, moyens de transport et de communication. Les questions
suivantes se posent : comment est concrétisée la passation du contrat, quelle est l’expression de la
volonté dans une communication M2M ? Qui est responsable : le fabriquant de la machine, son
propriétaire, le programmateur ?
32 Thème introduit par Laurent MEISTER, L.L.M. Rechtsanwalt, Fachanwalt für Informationstechnologierecht, Cabinet MENOLD & BEZLER Rechtsanwälte à Stuttgart.
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Qui sera responsable pour les machines, pour les véhicules autonomes ? En particulier qui le sera en
cas de mauvaise décision de la machine ? Qui aura la charge de la preuve ? Nous nous dirigeons
probablement d’une responsabilité de l’utilisateur vers une responsabilité du fabriquant, mais les
textes restent à rédiger et en cette attente il convient de s’interroger au cas par cas et de formaliser
les relations contractuelles.
Dans le cas des transmissions, qui est le prestataire de services ? Celui qui offre le service, ou celui qui
le transmet ? En principe, le responsable est celui qui dirige et contrôle la prestation de transport et à
cet égard la formulation et le contenu du contrat seront déterminants.
Quelle utilisation pourra être faite des méga-données (big data), qui peut collecter des données et
selon quelles règles, à qui appartiennent-elles, à celui qui les collecte, à celui qui les utilise ? Comment
assurer leur protection raisonnable, notamment des données liées à la personne ? A ce jour, la
propriété des données n’est pas réglée légalement. Il convient lorsque c’est possible de définir par
contrat les règles d’utilisation. La question de l’utilisation et de la protection des données dans les
clouds se pose également, et particulièrement dans l’hypothèse d’un transfert de ces données vers
l’étranger.
Les entreprises ont de fortes attentes à l’égard de leurs juristes pour régler ces questions, notamment
du fait de l’absence de législation adaptée à ce jour. Or le temps manque car à défaut d’avancer,
l’industrie allemande sera dépassée par l’industrie américaine et chinoise.
Le droit du travail, le droit civil et le droit des affaires sont directement touchés par l’économie du
futur. Il est un autre pan du droit qui est vital pour nos économies et dont l’organisation doit
impérativement s’adapter à court terme à cette nouvelle économie, il s’agit du droit fiscal.
2.3 Droit fiscal et économie du futur33
2.3.1 Un modèle économique en mutation
Le modèle économique évolue : au début du 20ème siècle, la majorité de la population vivait et
travaillait en milieu agricole, au milieu du siècle, l’industrie occupait plus de cinquante pour cent de la
population ; à l’aube du 21ème siècle, les services prédominent. Or, à l’exception de pays comme
l’Allemagne et le Japon, nous assistons aujourd’hui à une réduction forte du secteur industriel, dont la
part dans la production intérieure s’amenuise constamment. Concomitamment, la richesse créée
s’accroît et son coût de production se réduit avec le développement de la technologie et de la
robotisation. Certains économistes, comme Jeremy Rifkin, vont jusqu’à penser que nous nous
dirigeons vers une économie où la production des biens ne coûtera plus rien34, et cela grâce à la
robotisation, aux imprimantes 3D, à l’énergie verte quasi-gratuite. Relevons aussi que Keynes
considérait que le chômage technologique, certes pénible à court terme, est une véritable aubaine à
long terme, car son apparition signifie « que l’humanité est en train de résoudre le problème
économique ».
Sans débattre du bien-fondé de l’analyse de Jeremy Rifkin, force est d’observer que notre modèle
connaît aujourd’hui les prémices d‘un choc sans précédent. Les ressources financières fiscales et
sociales sont en danger dans les pays où le nombre de salariés se réduit, où les plates-formes
collaboratives insuffisamment encadrées mettent à mal divers secteurs économiques et où les GAFA
33 Thème introduit par Me Guillaume RUBECHI, avocat et Rechtsanwalt, associé chez VALORIS Avocats. 34 « La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs, et l’éclipse du capitalisme », Jeremy RIFKIN, éd. Les Liens qui libèrent, septembre 2014.
p. 11
inondent le marché mondial de biens et services de consommation en réglant leurs impôts dans un
nombre de pays réduits et à fiscalité favorable.
2.3.2 La situation de départ
Comment se positionnent l’Allemagne et la France dans cet environnement ?
Selon une étude menée par la Tax Foundation35 sur les 34 pays membres de l’OCDE, l’Estonie est le
pays le plus compétitif de l’OCDE avec un taux d’impôt sur les sociétés et sur les revenus des personnes
physiques de 20% (« flat tax »). L’Allemagne arrive en 17ème position et la France en 34ème et dernière
position avec le taux d’impôt sur les sociétés le plus élevé (34,4%), une forte imposition du capital dont
un impôt sur la fortune, un impôt sur les transactions financières et un impôt foncier. La France a aussi
un impôt élevé sur le revenu des personnes physiques, lequel touche aussi bien les dividendes que les
autres revenus du capital.
Le système français est de surcroît complexe et peu lisible, adapté à un modèle économique ancien,
post révolutionnaire (droits de mutation à titre onéreux ou gratuit, taxe professionnelle devenue
contribution économique territoriale, droits d’accise, droits de douane), ou fondée sur des concepts
du début du siècle (fiscalité directe, impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu). Enfin, la fiscalité
encore essentiellement nationale n’est plus adaptée à une économie mondialisée.
Une double évolution est souhaitable : la fiscalité internationale doit continuer à évoluer sous le signe
de la transparence internationale avec le projet BEPS36 et au niveau de la fiscalité nationale, elle doit
privilégier des impôts « modernes », tels que la TVA et les impôts proportionnels (CSG-CRDS).
2.3.3 Quelle fiscalité pour demain ?
Vers une nouvelle responsabilité de l’Etat
Si la situation de l’emploi continue à se dégrader, ce qui est une hypothèse très sérieuse, il conviendra
de mettre en place un revenu universel. Cette question du revenu universel se pose d’ores et déjà dans
plusieurs Etats. Ainsi la Finlande et les Pays-Bas ont déjà pris la décision de l’instaurer à titre
expérimental. Mais les Etats auront-ils la capacité financière de financer un tel revenu ? L’objectif d’une
fiscalité du futur est d’assurer à l’Etat la perception de ressources financières lui permettant d’assurer
ses fonctions régaliennes et sociales, et au-delà de ces fonctions de proposer un revenu universel
garantissant à tous les citoyens de vivre dignement, qu’ils aient ou non un emploi.
Pour une fiscalité de la consommation
Cet objectif ne pourra pas être atteint avec le cadre actuel : les impôts et les cotisations sociales
perçues sur le travail et sur les entreprises ont trouvé leurs limites en France. Cette pression
particulièrement élevée pèse sur le coût de production et sur la compétitivité des entreprises et des
produits français. La base d’imposition se réduit progressivement en conséquence d’un nombre plus
faible d’entreprises, d’une profitabilité en déclin et d’emplois salariés moins nombreux. Il est plus
qu’urgent d’enrayer ce mouvement pour permettre à l’Etat de sauvegarder ses rentrées fiscales et à
l’économie de rester compétitive. Si la France continue à perdre ses entreprises, il lui sera impossible
d’assurer les fonctions susvisées.
35 International Tax Competitiveness Index 2015 36 L'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) fait référence aux stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire « disparaître » des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle. Le cadre inclusif rassemble plus de 100 pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre les mesures BEPS et lutter contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices.
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La fiscalité doit toucher en priorité la consommation, qu’il s’agisse de biens ou de services. C’est la
seule manière de mettre les entreprises françaises à égalité avec leurs concurrentes étrangères, dans
la mesure bien entendu où elle est accompagnée d’une réduction de la pression fiscale et sociale sur
les entreprises. Une fiscalité à la consommation permettrait d’autre part de percevoir de manière
équitable des ressources fiscales liées aux activités des GAFA. A titre d’exemple, Airbnb le site de
location de logement entre particuliers a payé en France en 2015 un impôt de 69 168 €, alors que les
commissions récupérées sur des logements en France, second marché après les Etats-Unis,
s’élèveraient de 60 à 160 millions d’euros. La raison en est que les clients versent l’argent à deux
sociétés étrangères, l’une irlandaise, l’autre britannique. Non seulement l’argent quitte la France, mais
de surcroît l’activité échappe à une imposition légitime. Une imposition au taux de 20% sur le lieu
d’utilisation des services génèrerait un impôt de l’ordre de 12 à 32 millions d’euros37. La situation de
la société UBER est comparable : cette dernière prend 20% du tarif de chaque trajet et cet argent sort
de l’hexagone, tandis qu’un chiffre d’affaires ridiculement faible est déclaré par la filiale française. Une
imposition raisonnable en France n’empêchera pas l’appauvrissement de notre économie lié à cette
fuite de capitaux mais elle permettrait d’équilibrer le fardeau de l’impôt et soulagerait nos propres
entreprises.
Cette fiscalité de la consommation pourrait aussi toucher les flux financiers : à ce jour ces derniers,
contrairement à la majorité des autres produits et services, échappent à la taxe sur la valeur ajoutée.
Les y soumettre (le cas échéant à un taux réduit) permettrait d’obtenir des rentrées financières
importantes et indolores pour notre économie. A titre alternatif une taxe généralisée sur les
transactions financières semble envisageable. Bien entendu, cette évolution de la fiscalité doit être
réalisée au minimum au niveau européen.
L’économie dite collaborative38 doit également faire l’objet d’une imposition équitable : quelle que
soit l’origine de l’activité, les revenus doivent être imposés de manière comparable, sous risque de
mettre en péril des pans entiers de notre économie39. Une évolution vers un impôt sur la
consommation est ici également souhaitable.
Avec les imprimantes 3D et les progrès des nanotechnologies, les droits de douane devront aussi être
repensés, la notion d’entrée de bien sur un territoire n’ayant désormais plus de réalité objective et
concrète. C’est donc de nouveau une forme de taxe à la consommation qui devra être inventée, liée
au transfert de données, de programmes ou de biens quelle qu’en soit la forme.
37 « Airbnb : gros bénéfice, petit impôt », DNA 12 août 2016. 38 « L’économie collaborative est une activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d'organisation du travail. Elle s'appuie sur une organisation plus horizontale que verticale1, la mutualisation des biens, des espaces et des outils (l'usage plutôt que la possession), l'organisation des citoyens en "réseau" ou en communautés et généralement l'intermédiation par des plateformes internet », définition Wikipedia. 39 « La révolution transhumaniste », Luc Ferry, Plon avril.2016. Pour Luc Ferry, nous ne nous dirigeons pas vers une économie collaborative plus sociale et humaine. L’ubérisation n’est pas la digitalisation, elles fonctionnent sur le même support, grâce au développement d’internet et permettent une relation directe des consommateurs aux producteurs (de biens, de services) par la seule intermédiation d’une plate-forme. Ce faisant, un nouveau type de commerce se met en place, contournant toutes les règles traditionnellement applicables pour les autres : les horaires, les droits sociaux, les cotisations sociales et la licence pour les taxis (Uberpop et à moindre mesure Uber), les règles sur la conformité des logements (ex handicapés) chez Airbnb, la non déclaration des revenus pour les utilisateurs d’Airbnb, « Le bon coin », Blablacar etc.
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3. La France et l’Allemagne face à la quatrième révolution industrielle, regards
croisés40
Un peu partout en Europe et dans le monde, des initiatives visent à assurer la compétitivité et la
pérennité de l’industrie : « Made in China 2025 », « AM Partnership (USA) » ; « Fabbrica Intelligente
(It) » ; « Industrie connectada (Sp) », « Manufacturing catapult (UK) ».
A ce jour, la France accuse un retard considérable par rapport à l’Allemagne pour ce qui est de
l’importance de son industrie, de sa modernisation, des investissements réalisés, de son commerce
extérieur et de son attractivité fiscale et sociale41.
Confrontés au défi de l’économie du futur, les Etats doivent miser sur une formation professionnelle
de qualité. En effet, les robots sont à même de réaliser de plus en plus de tâches et les performances
de l’intelligence artificielle sont croissantes. En regardant plus loin, le risque est de voir se délocaliser
des robots si les performances des robots concurrents sont meilleures. Or ce risque s’il se matérialise
est plus lourd de conséquences, car la production de richesses elle-même est en cause et quitte en ce
cas le territoire. C’est pourquoi les entreprises doivent absolument être en mesure d’accéder à la
recherche et au développement.
3.1 Allemagne
En Allemagne, la confiance et l’optimisme sont de mise : la productivité est en forte croissance, les
coûts relatifs du travail se réduisent en moyenne de 35% avec l’industrie 4.0 et les coûts logistiques
de 55%42. Non seulement personne ne s’inquiète sérieusement du chômage ou de la qualité de la
formation, mais la crainte est plutôt de ne pas trouver les ressources suffisantes, compte tenu de la
réussite de l’industrie et des prévisions de développement et de création d’emplois. Il est cependant
clair que l’avenir ne proposera de postes qu’aux personnes qualifiées43.
Il convient également de relever en Allemagne le partenariat traditionnel existant entre les entreprises
et les universités et centres de recherche. Ce partenariat fonctionne bien même s’il existe des
dissensions sur le rôle des instituts de recherche. En particulier se pose la question de savoir s’ils
peuvent se concentrer sur la recherche fondamentale ce qui est leur thèse, ou s’ils doivent toujours
mener des recherches appliquées, c’est-à-dire liées directement à une problématique économique
identifiée, ce qui est souvent la thèse des entreprises.
3.2 France44
Le constat réalisé par la DIRECCTE45 est d’une part la nécessité de moderniser l’outil de production
français, l’âge moyen des machines étant de 19 ans, d’autre part la conviction que 65% des métiers
de 2050 n’existent pas encore.
40 Thème introduit par Emmanuel MULLER, Fraunhofer Institut Karlsruhe et enseignant chercheur université de Strasbourg. 41 Les baromètres d’attractivité EY analysant les investissements étrangers en France sont significatifs : la France, deuxième pays d’accueil des investissements étrangers en Europe pendant de longues années est rattrapée par l’Allemagne en 2010, puis doublée (le titre du baromètre 2013 était « France dernier rappel », puis distancée (le titre du baromètre 2016 est « La France distancée ») ! 42 Source : BCG Analysis. 43 Source : Bundesministerium für Wirtschaft und Energie 2014. 44 Sujet introduit par Mme Claire BERGER, responsable de l’Unité de soutien à l’Economie de demain, DIRECCTE Grand Est. 45 Direction Régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
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Un programme national « La nouvelle France industrielle » a été lancé par le Président de la
République le 14 avril 2015, lequel vise à relancer l’industrie en France autour de neuf thématiques :
- le transport de demain,
- les objets intelligents,
- les nouvelles ressources,
- la médecine du futur,
- la confiance numérique,
- la ville durable,
- l’économie des données,
- l’alimentation intelligente et
- la mobilité écologique.
Ce projet se décline en cinq piliers :
- développer l’offre technologique,
- accompagner les entreprises dans cette transformation,
- former les salariés,
- renforcer la coopération internationale sur les normes,
- promouvoir l’industrie du futur française. Une marque est portée par « Business France » pour
l’industrie du futur : « Creative France ».
L’objectif du projet est de sensibiliser les entreprises aux enjeux de modernisation et de
transformation et de les accompagner, notamment à l’aide d’appel à projets, de prêts, de
subventions, de suramortissement des investissements. Ces actions renforcent celles existant déjà,
telles que le soutien à la recherche et au développement via les pôles de compétitivité ou les aides de
BPI France.
3.3 Différence d’approche
On le voit, l’Allemagne et la France abordent l’industrie du futur sous deux angles radicalement
différents : de nouveau nous avons le centralisme français d’un côté, où l’Etat définit une politique
économique qu’il s’efforce de mettre en œuvre en favorisant les entreprises à coup d’incitations
financières et fiscales. De l’autre côté, nous avons une approche allemande beaucoup moins dirigiste
reposant sur la confiance faite par les politiques aux entrepreneurs, ceux-ci se regroupant facilement
et profitant d’un partenariat efficace avec les instituts de recherche et les universités.
Dans le cadre de nos débats, le directeur de l’agence de développement régionale de la région
Ortenau affirme sa conviction de l’efficacité du modèle allemand « La politique ne peut rien faire en
la matière, seulement les entrepreneurs ! »46.
Le fond du problème ne réside peut-être pas dans une intervention opportune ou inopportune du
politique dans l’économique, mais simplement dans le fait que l’économie française étouffe sous le
poids des prélèvements et des règlementations, ce qui ressort de toutes les études d’attractivité.
3.4 Coopération
L’interconnexion permet une plus forte coopération à différents niveaux : entre les entreprises d’une
part, lorsqu’individuellement elles n’ont pas les moyens de certains investissements elles ont la
46 Manfred HAMMES, Wirtschaftsregion Offenburg & Ortenau.
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possibilité de se mettre en réseau et donc de gagner en productivité47. C’est également le cas entre
pays dans le cadre d’une utilisation concertée des méga-données permettant une meilleure
compréhension des comportements, des besoins, des attentes des différents acteurs économiques.
Une plus forte coopération franco-allemande serait ainsi la bienvenue dans un domaine où l’union fait
particulièrement la force. Au niveau transfrontalier de réelles opportunités s’ouvrent, car la
digitalisation et le numérique sont l’occasion pour l’Alsace et le pays de Bade, d’améliorer
considérablement leurs connaissances, leurs attentes respectives et leurs moyens d’y répondre dans
le cadre de coopérations transfrontalières tant publiques que privées48.
Conclusion
La quatrième révolution industrielle est une réalité et la course est lancée depuis longtemps,
puisqu’en termes de production, il s’agit d’une évolution beaucoup plus que d’une révolution. Dans
cette course, la France part avec un handicap, puisque son industrie souffre depuis une quinzaine
d’années, comme le montre clairement le rapport de la cour des comptes susvisé (note n°18).
Il est vital de conserver la création de richesses en France pour sauvegarder notre indépendance
économique et même politique. Cela suppose de réellement aider nos entreprises à combler le retard
qui est le leur en réduisant les prélèvements ce qui leur permettra d’investir pour se moderniser et
combler leur retard, car comment espérer réussir tant que la France aura le système fiscal le moins
compétitif de l’OCDE ?
Notre fiscalité doit être repensée en s’orientant nettement plus vers la consommation et en
poursuivant les efforts contraignant les entreprises à plus de transparence au niveau international. Si
et seulement si cet étau est relâché, les programmes de sensibilisation et d’accompagnement à
l’industrie du futur trouveront leur efficacité, mais ils ne servent pas à grand-chose quand les
entreprises sont dans l’incapacité matérielle d’investir.
Si ce préalable vital est acquis, alors les entreprises françaises ne seront plus pénalisées et seront à
armes égales avec leurs concurrentes du monde entier. Ce décollage passera inévitablement par une
perte d’emplois qu’il faut anticiper sans se voiler la face tout en assumant le coût financier pour la
collectivité. Il suppose également de repenser profondément la formation professionnelle aux métiers
de demain.
De nombreux pans de notre système juridique devront être réétudiés, qu’il s’agisse du droit des
contrats, des règles de responsabilité, des droits liés à la détention de données, de l’établissement de
normes internationales. Ces évolutions juridiques et fiscales ne pourront pas être réalisées au niveau
national, car les enjeux sont mondiaux. Il est plus que jamais nécessaire à l’Union Européenne de se
ressouder pour affronter unie ces défis.
Nous connaitrons probablement une période de turbulences économiques, juridiques et sociales, à
l’issue de laquelle nous parviendrons peut-être à un modèle social dans lequel seule une partie de la
population aura un travail. Il sera nécessaire alors d’assurer à tous un revenu universel ; si la France
et l’Allemagne continuent à créer de la richesse, ce sera possible. Comme l’indiquait JM Keynes en
1930 dans ses prédictions pour le futur à l’attention de ses petits-enfants49 : « d’ici une centaine
d’années, l’homme se libèrera de la contrainte économique, ce sera perturbant, car depuis des siècles,
le travail fait partie inhérente de nos vies et est devenu souvent notre raison d’être, mais c’est une
47 Jörn BOUSSELMI, Directeur général, Chambre franco-allemande de Commerce et d’industrie. 48 Proposition faite par Emmanuel MULLER, chercheur au Fraunhofer Institut et à l’Université de Strasbourg. 49 « Economic Possibilities for our Grandchildren » 1930, John Maynard KEYNES
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bonne nouvelle ». Keynes pensait qu’il faudrait une longue période intérimaire pendant laquelle les
gens travailleraient peut-être 3h par jour pour s’habituer à un mode vie différent non fondé sur la
nécessité de travailler. Nous sommes entrés dans cette époque qui représente un risque car le
changement est très rapide et nos équilibres instables, tout autant qu’une opportunité, car nous
serons libres d’organiser nos vies différemment.
Luc Julien-Saint-Amand
Conseiller du commerce extérieur de la France Avocat associé, Valoris Avocats