Rencontre avec François Place

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FRANÇOIS PLACE par Sophie TARDY-JOUBERT Photographie : Christophe Gruner des pour la jeunesse A d’autres l’esbroufe et les effets de manche : François Place est un homme dis- cret, qui se raconte en pointillé, entre deux silences. De son enfance dans un HLM en Touraine entre une mère institutrice et un père artiste peintre, au BTS de l’école Etienne et les débuts chez Gallimard, il re- monte le fil de sa vie, répondant aux ques- tions avec application. Grand amateur de livres depuis toujours, il s’attarde sur l’étape clé : la bibliothèque familiale, grâce à la- quelle il découvre, gamin, le monde en mots et en images. Il y a Tintin et Jules Verne, mais aussi Gustave Doré ou un très beau livre d’estampes japonaises de son père, qu’il regarde pendant des heures. « Les images et les textes rendent ce qu’on leur donne. Plus on les regarde, plus elles nous donnent ». François Place est un rêveur, un contemplatif, adepte d’une certaine lenteur pour faire les choses, les ressentir. Il est bien là, face à vous, un sourire léger aux lèvres, posé, poli, un peu ailleurs pour- tant. Souvent, l’oeil divague, le mot fait défaut. On le sent prêt à s’évader dans l’un de ses mondes intérieurs. Ressemble-t- il à ceux qu’il raconte dans ses livres ? De- puis vingt ans, l’auteur-illustrateur ne cesse d’inventer des pays imaginaires. « Gamin, j’adorais l’idée de partir. Mais il y a les gens qui pratiquent et ceux qui rêvent. Et j’aimais bien voyager dans les images ». A l’heure du tourisme de masse, du voyage vite fait-mal fait ; celui qui a commencé sa carrière en illustrant des récits d’explora- tions et de grandes découvertes confesse à peine quelques séjours au Japon, en tant qu’auteur invité à des festivals. « Les vrais voyageurs partent pour l’aventure, pour perdre leurs repères temporels. Ça, je ne l’ai jamais fait. En revanche, je lis beaucoup de récits de voyages, je vois des cartographies pour nourrir mon travail d’illustrateur ». Il aime les vieilles mappemondes, dans lesquelles le fantastique le dispute au réel. Elles lui inspireront L’Atlas des géographes d’Orbae, un recueil en trois tomes sur vingt-six pays imaginaires, que l’on dé- couvre par des contes ou des légendes. Les Derniers Géants, qu’il considère comme son livre charnière, fête ses vingt ans cette année. Surtout, ne pas se fier à la finesse du trait et à la douceur des aquarelles. L’ouvrage, sous un apparent classicisme, est étonnamment fort et per- cutant. Les géants y sont en danger, me- nacés d’extinction par l’activité humaine. Dans leur univers fantastique, c’est en fait les problèmes bien réels de notre monde à nous que François Place transpose. «J’ai écrit ce livre au moment où l’on commen- çait à parler de la globalisation et de ses méfaits. J’ai imaginé un explorateur du www.deslivrespourlajeunesse.fr le site des éditeurs jeunesse du Syndicat national de l’édition

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FRANÇOIS PLACEpar Sophie TARDY-JOUBERTPhotographie : Christophe Gruner

despour la jeunesse

A d’autres l’esbroufe et les effets de manche : François Place est un homme dis-cret, qui se raconte en pointillé, entre deux silences. De son enfance dans un HLM en Touraine entre une mère institutrice et un père artiste peintre, au BTS de l’école Etienne et les débuts chez Gallimard, il re-monte le fil de sa vie, répondant aux ques-tions avec application. Grand amateur de livres depuis toujours, il s’attarde sur l’étape clé : la bibliothèque familiale, grâce à la-quelle il découvre, gamin, le monde en mots et en images. Il y a Tintin et Jules Verne, mais aussi Gustave Doré ou un très beau livre d’estampes japonaises de son père, qu’il regarde pendant des heures. « Les images et les textes rendent ce qu’on leur donne. Plus on les regarde, plus elles nous donnent ». François Place est un rêveur, un contemplatif, adepte d’une certaine lenteur pour faire les choses, les ressentir.

Il est bien là, face à vous, un sourire léger aux lèvres, posé, poli, un peu ailleurs pour-tant. Souvent, l’oeil divague, le mot fait défaut. On le sent prêt à s’évader dans l’un de ses mondes intérieurs. Ressemble-t-il à ceux qu’il raconte dans ses livres ? De-puis vingt ans, l’auteur-illustrateur ne cesse d’inventer des pays imaginaires. « Gamin, j’adorais l’idée de partir. Mais il y a les gens qui pratiquent et ceux qui rêvent. Et j’aimais bien voyager dans les images ». A l’heure du tourisme de masse, du voyage vite fait-mal fait ; celui qui a commencé sa carrière en illustrant des récits d’explora-tions et de grandes découvertes confesse

à peine quelques séjours au Japon, en tant qu’auteur invité à des festivals. « Les vrais voyageurs partent pour l’aventure, pour perdre leurs repères temporels. Ça, je ne l’ai jamais fait. En revanche, je lis beaucoup de récits de voyages, je vois des cartographies pour nourrir mon travail d’illustrateur ». Il aime les vieilles mappemondes, dans lesquelles le fantastique le dispute au réel. Elles lui inspireront L’Atlas des géographes d’Orbae, un recueil en trois tomes sur vingt-six pays imaginaires, que l’on dé-couvre par des contes ou des légendes.

Les Derniers Géants, qu’il considère comme son livre charnière, fête ses vingt ans cette année. Surtout, ne pas se fier à la finesse du trait et à la douceur des aquarelles. L’ouvrage, sous un apparent classicisme, est étonnamment fort et per-cutant. Les géants y sont en danger, me-nacés d’extinction par l’activité humaine. Dans leur univers fantastique, c’est en fait les problèmes bien réels de notre monde à nous que François Place transpose. « J’ai écrit ce livre au moment où l’on commen-çait à parler de la globalisation et de ses méfaits. J’ai imaginé un explorateur du

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dix-neuvième siècle qui entraîne la destruc-tion du pays des géants seulement pour en avoir parlé ». Traduit dans de nombreuses langues, le livre, « pourtant dur pour les enfants », continue à vivre et à se vendre.

François Place se balade aussi dans les ba-tailles maritimes du dix-septième siècle - La Fille des batailles, 2007 -, dans le Japon du peintre Hokusai - Le Vieux Fou de dessin, 2001 -, dans l’Afghanistan contemporain- Le Sourire de la montagne, 2013. L’agi-lité de son dessin semble lui ouvrir toutes les portes. Il ne s’en gargarise pas, au contraire. « J’admire plutôt les gens qui ont un style très personnel, reconnaissable, qui peut tout embrasser. Comme Sempé, par exemple. » En 2010, il sort un premier ro-man, La Douane Volante, unanimement sa-lué par la critique. Un texte fantastique et ini-tiatique, sans aucune illustration, qui plonge le lecteur au c?ur des légendes bretonnes. A la veille de la première guerre mondiale, le jeune héros, Gwen, suit l’Ankou, le mes-sager de la mort, vers un pays imaginaire, dont les paysages ressemblent à celles des grandes peintures hollandaises. « J’avais rêvé devant des tableaux de Van Goyen, de Rembrandt. Je voulais m’y promener, y inviter mon lecteur. Quand j’y réfléchis, il y a toujours des peintures sous mes mots. Tout commence par une image ».

Quelques dates clés

1957 Naissance

1985 Repéré par Gallimard qui lui confie l’illustration d’une série documentaire sur les grandes découvertes.

1992 Parution de l’album Les Derniers Géants aux éditions Casterman.

1996-2000 Parution des trois tomes de L’Atlas imaginaire des géographes d’Or-bae aux éditions Casterman.

2010 Parution de La Douane Volante, son premier roman, chez Gallimard Jeunesse. Il sera distingué par la revue Lire.

2015 François Place illustre l’affiche des petits champions de la lecture, grand jeu national de lecture à voix haute pour tous les enfants de CM2.

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