Rencontre avec Antoine Guilloppé

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ANTOINE GUILLOPPE par Sophie Tardy-Joubert Photographie : Christophe Gruner des pour la jeunesse C’est un grand mec sympa qui vous met tout de suite à l’aise. Regard franc, poi- gnée de main chaleureuse et discours sans chichi. Dès la première rencontre, on oublierait presque qu’Antoine Guil- loppé est l’un des dessinateurs phares de la littérature jeunesse, l’un des plus reconnus de sa génération. Son prin- cipal fait d’armes ? Avoir remis le noir et blanc au goût du jour dans la littéra- ture pour enfants. C’était en 2004, avec l’album Loup Noir, récit en images de la rencontre d’un petit garçon et d’un loup qui se révèlera plus affectueux que méchant. Un pari audacieux, qui a lancé sa carrière. « Avant ça, j’allais à la pêche aux projets, ce n’était pas agréable. Quelque chose n’allait pas. Je me suis rappelé que ce que j’aimais le plus, c’était le noir et blanc. Presque personne n’en faisait en jeunesse ». Le dessinateur se souvient à l’époque avoir peiné à trouver un éditeur. Aujourd’hui, l’album, qui fête ses dix ans, s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires. Depuis, Guilloppé a imposé son style. Du noir et blanc le plus souvent, des intrigues jouant sur les peurs enfantines, des images graphiques inspirées du cinéma, mêlant close-up, contreplongées, et effets de sur- prise comme le cliffhanger. « J’utilise les codes de la peur, mais souvent pour les dé- tourner. Comme lorsque le loup devient un animal salvateur, par exemple. L’idée n’est pas d’effrayer les enfants, plutôt de les aider à les maîtriser leurs peurs, et de les amener en douceur à développer leur sens critique. J’essaie de leur dire de ne pas croire tout ce qu’on leur dit, que les choses ne sont pas forcément ce qu’elles semblent être». Féru de cinéma et de bande dessinée, An- toine Guilloppé avoue avoir découvert la littérature jeunesse sur un malentendu. Lorsqu’il sort de l’école de dessin Emile Cohl de Lyon, il a même de « vieilles idées » sur les livres pour enfants. « Pour moi, c’était Babar et Bécassine, point ». La découverte du travail de certains illustra- teurs, comme Olivier Douzou, changera son point de vue. « Ses personnages gra- phiques et stylisés étaient bien loin du dessin réaliste. J’ai réalisé qu’il y avait en littérature jeunesse un espace pour le travail d’interprétation. Cela m’a ouvert des horizons.» Antoine Guilloppé fait en- viron trois livres par an, le plus souvent comme auteur et dessinateur, parfois comme simple illustrateur. « J’aime tra- vailler avec des auteurs qui ont les mots www.deslivrespourlajeunesse.fr le site des éditeurs jeunesse du Syndicat national de l’édition

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ANTOINE GUILLOPPEpar Sophie Tardy-Joubert

Photographie : Christophe Gruner

despour la jeunesse

C’est un grand mec sympa qui vous met tout de suite à l’aise. Regard franc, poi-gnée de main chaleureuse et discours sans chichi. Dès la première rencontre, on oublierait presque qu’Antoine Guil-loppé est l’un des dessinateurs phares de la littérature jeunesse, l’un des plus reconnus de sa génération. Son prin-cipal fait d’armes ? Avoir remis le noir et blanc au goût du jour dans la littéra-ture pour enfants. C’était en 2004, avec l’album Loup Noir, récit en images de la rencontre d’un petit garçon et d’un loup qui se révèlera plus affectueux que méchant. Un pari audacieux, qui a lancé sa carrière. « Avant ça, j’allais à la pêche aux projets, ce n’était pas agréable. Quelque chose n’allait pas. Je me suis rappelé que ce que j’aimais le plus, c’était le noir et blanc. Presque personne n’en faisait en jeunesse ». Le dessinateur se souvient à l’époque avoir peiné à trouver un éditeur. Aujourd’hui, l’album, qui fête ses dix ans, s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires. Depuis, Guilloppé a imposé son style. Du noir et blanc le plus souvent, des intrigues jouant sur les peurs enfantines, des images graphiques inspirées du cinéma, mêlant close-up, contreplongées, et effets de sur-prise comme le cliffhanger. « J’utilise les codes de la peur, mais souvent pour les dé-tourner. Comme lorsque le loup devient un animal salvateur, par exemple. L’idée n’est pas d’effrayer les enfants, plutôt de les aider à les maîtriser leurs peurs, et de les amener en douceur à développer leur sens critique. J’essaie de leur dire de ne pas croire tout

ce qu’on leur dit, que les choses ne sont pas forcément ce qu’elles semblent être».

Féru de cinéma et de bande dessinée, An-toine Guilloppé avoue avoir découvert la littérature jeunesse sur un malentendu. Lorsqu’il sort de l’école de dessin Emile Cohl de Lyon, il a même de « vieilles idées » sur les livres pour enfants. « Pour moi, c’était Babar et Bécassine, point ». La découverte du travail de certains illustra-teurs, comme Olivier Douzou, changera son point de vue. « Ses personnages gra-phiques et stylisés étaient bien loin du dessin réaliste. J’ai réalisé qu’il y avait en littérature jeunesse un espace pour le travail d’interprétation. Cela m’a ouvert des horizons.» Antoine Guilloppé fait en-viron trois livres par an, le plus souvent comme auteur et dessinateur, parfois comme simple illustrateur. « J’aime tra-vailler avec des auteurs qui ont les mots

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que je ne saurais trouver, une poésie qui me fait défaut. Mais j’ai besoin d’adhérer au propos, de pouvoir le reprendre à mon compte. Pour défendre un projet et le por-ter, j’ai besoin d’y croire complètement ».

En 2009, l’illustrateur enrichit son dessin d’une technique très particulière : la dé-coupe au laser. Avec ce « super jouet », les dessins sont découpés avec une grande précision. Dans les albums Ma jungle, Pleine Lune ou Little Man, les pages, lorsqu’on les tourne, se superposent et créent d’autres images. « J’avais cette idée depuis longtemps, j’attendais avec impa-tience le jour où l’on pourrait découper les pages comme ça. Le résultat est bluffant.»

Aujourd’hui comblé par son métier d’au-teur-illustrateur jeunesse, Antoine Guillop-pé parle de ses livres avec l’humilité d’un artisan, insistant sur l’effort et l’apprentis-sage. Il croit peu au don, à l’inné, beau-coup au travail. Et surtout, à la sincérité. « Il m’est arrivé d’illustrer des livres pour de mauvaises maisons, et ils n’ont jamais mar-ché. Les gens doivent le sentir. Mes livres qui fonctionnent sont ceux que j’aime le plus ». Le noir et blanc peut être lumineux.

Quelques dates clés

1971 Naissance à Chambéry

1998 Parution de Georges et Rose aux éditions Autrement Jeunesse

De 1998 à 2005 Illustrateur de toutes les couvertures de la collection Roman aux éditions Thierry Magnier

2004 Parution de Loup Noir aux éditons Casterman

2004 Création du personnage d’Akiko avec Akiko la curieuse aux éditons Phi-lippe Picquier. Cette série compte 5 albums

2010 Création de l’album Pleine lune aux éditions Gautier-Languereau

Octobre 2014 Sortie de Little Man aux éditions Gautier-Languereau et de L’Ours et la lune aux éditions de L’Élan vert. Cette sortie est accompagnée d’une version numérique

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