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Encyclopædia Universalis http://www.universalis-edu.com/imprim_CL.php?nref=P152531 1 of 17 13/05/08 22:09 REMBRANDT Sommaire Prise de vue Un artisan et un « marchand » hollandais du siècle d'or Motifs, styles et techniques : un expérimentateur infatigable La fable et la Bible : un narrateur non conformiste Observation et animation : Rembrandt portraitiste Rembrandt au miroir changeant des siècles Bibliographie Les auteurs Martine VASSELIN, ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence Trois questions suscitées par l'œuvre de Rembrandt n'ont cessé de hanter les auteurs et ont donné lieu à des réponses très divergentes. La première concerne les rapports entre la personnalité de l'artiste et le contenu affectif de ses œuvres. Elle s'est posée inévitablement à propos d'un peintre qui a su donner une telle impression d'authenticité humaine à ses portraits comme à ses scènes religieuses qu'il intéresse, ainsi que le remarquait Kenneth Clark, même les gens les plus indifférents d'ordinaire à la peinture. Si l'on veut échapper au cercle méthodologique de bien des auteurs qui ont prolongé la vision romantique du XIX e siècle, lisant les œuvres comme des confessions involontaires du peintre, et les regarder sans a priori, force est en effet de constater un hiatus, une disjonction entre la vie et les œuvres. Les plus sereines et équilibrées furent peintes peu après le décès de son épouse Saskia, et c'est après sa faillite, lorsqu'on voudrait y trouver du découragement, que les œuvres les plus fortes et les plus spectaculaires virent le jour, dans les années tardives de sa vie, jusqu'à cet ultime Autoportrait en Démocrite au musée de Cologne, où le vieillard, seul survivant de sa famille, se tourne vers le spectateur en se riant de tout. L'artiste qui inventa des

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REMBRANDT

Sommaire

Prise de vue

Un artisan et un « marchand » hollandais du siècle d'or

Motifs, styles et techniques : un expérimentateur infatigable

La fable et la Bible : un narrateur non conformiste

Observation et animation : Rembrandt portraitiste

Rembrandt au miroir changeant des siècles

Bibliographie

Les auteurs

Martine VASSELIN, ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres,maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes àl'université de Provence

Trois questions suscitées par l'œuvre de Rembrandt n'ont cessé de hanter lesauteurs et ont donné lieu à des réponses très divergentes. La première concerne lesrapports entre la personnalité de l'artiste et le contenu affectif de ses œuvres. Elles'est posée inévitablement à propos d'un peintre qui a su donner une telle impressiond'authenticité humaine à ses portraits comme à ses scènes religieuses qu'il intéresse,ainsi que le remarquait Kenneth Clark, même les gens les plus indifférents d'ordinaire àla peinture. Si l'on veut échapper au cercle méthodologique de bien des auteurs qui ontprolongé la vision romantique du XIXe siècle, lisant les œuvres comme des confessionsinvolontaires du peintre, et les regarder sans a priori, force est en effet de constaterun hiatus, une disjonction entre la vie et les œuvres. Les plus sereines et équilibréesfurent peintes peu après le décès de son épouse Saskia, et c'est après sa faillite,lorsqu'on voudrait y trouver du découragement, que les œuvres les plus fortes et lesplus spectaculaires virent le jour, dans les années tardives de sa vie, jusqu'à cet ultimeAutoportrait en Démocrite au musée de Cologne, où le vieillard, seul survivant de safamille, se tourne vers le spectateur en se riant de tout. L'artiste qui inventa des

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images si fortement chargées d'amour des humbles et des faibles est aussi l'hommequi fit impitoyablement enfermer dans la maison de correction de Gouda son anciennemaîtresse, gouvernante de son fils Titus, Geertje Dircx. Et celui qui a suscité tantd'expositions et de publications sur le thème « Rembrandt et la Bible » semble avoir étépour le moins indifférent à la croyance calviniste de sa famille et n'a pas daignécomparaître devant le conseil ecclésiastique lui reprochant son concubinage avecHendrickje Stoffels.

On rencontre un autre ordre de difficultés lorsqu'il s'agit de situer Rembrandt dansson époque et son milieu. Face aux innombrables petits maîtres hollandais spécialisésdans le portrait, la nature morte, le paysage ou la scène de genre, on l'a souventprésenté comme une exception, un homme qui, au détriment de toute logiqueéconomique, s'obstinait à vouloir être un peintre universel, un peintre d'histoire.Svetlana Alpers l'exclut d'abord de ses réflexions dans L'Art de dépeindre. La peinturehollandaise au XVIIe siècle (1983, rééd. 1990), comme étranger aux recherchesdescriptives, menées en toute minutie et rigueur scientifique, qui lui semblent être lefondement de l'art de ses contemporains : « Il contestait leur confiance en la visibilité,c'est-à-dire l'idée que le monde et ses textes étaient connus par les yeux [privilègequ'il accorde au sens de l'ouïe]. Dans un nombre extraordinaire d'œuvres, il étudiel'interaction entre l'orateur et l'auditeur. » Dans sa monographie sur Rembrandt(1988), elle revient sur cette position de marginal pour en faire un entrepreneur mûpar l'amour du gain et de la spéculation sur un marché libre, une incarnation del'aspiration individualiste à la liberté, caractères qu'il partage avec l'élite commerçanted'Amsterdam, métropole cosmopolite et tolérante, ville aux immenses entrepôtsabritant les denrées rapportées des pays lointains par la plus grande flottecommerciale d'Europe. Les recherches récentes montrent que Rembrandt ne fut pasun isolé dans sa volonté de traiter divers genres de peinture, et que les tons sombreset les surfaces rugueuses de ses peintures, s'ils parurent de plus en plus archaïques àmesure que le goût évoluait vers une peinture claire, lisse, empreinte d'un décorumclassique international, continuèrent toutefois de trouver des admirateurs chez unpetit nombre de peintres et de collectionneurs.

Deux Philosophes en conversation, RembrandtRembrandt (1606-1669), Deux Philosophes en conversation, 1628. Huile sur

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bois,72,5 cm X 60 cm. National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie.

Crédit :The Bridgeman Art Library

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Enfin, la question qui ne cesse de tarauder les spécialistes est celle de l'authenticitédes centaines de peintures, dessins et gravures qui ont été attribués au maître depuisle XVIIIe siècle. Question d'autant plus délicate que le premier catalogue de l'œuvrepeint ne parut qu'en 1836 et que les documents anciens, peu nombreux pour unartiste aussi actif et célèbre de son vivant, ne sont pas sans incertitudes dans bien descas. À la différence de ce qui arrive pour d'autres peintres dont l'œuvre s'accroît dedécouvertes, le corpus de Rembrandt ne cesse de se restreindre, et les suspicions desspécialistes empêchent le public de jouir en confiance de la beauté propre destableaux. Les fausses signatures, l'abondance des copies et pastiches que pratiquèrentdes collaborateurs doués et encouragés à cela par le maître, qui vendait lui-mêmeleurs œuvres sous son nom, la persistance de son empreinte sur certains d'entre euxdes années même après leur passage dans son atelier compliquent les données. Si lesimitations postérieures au XVIIe siècle paraissent avoir été depuis longtemps expurgéesdes catalogues de Rembrandt (les supports des peintures examinées par le RembrandtResearch Project depuis 1968 semblent presque tous contemporains du peintre), lesarguments pour départager les œuvres autographes de celles qui ont été produitesdans le cercle du maître restent le plus souvent les convictions intimes, difficilementformulables, des connaisseurs.

Un artisan et un « marchand » hollandais du siècle d'or

Rembrandt Harmenszoon van Rijn naquit à Leyde, le 15 juillet 1606, huitième enfantd'un meunier broyant le malt pour les brasseries de cette ville laborieuse et peuplée,renommée pour son industrie drapière employant alors près de deux mille ouvriers.Après quatre années passées à la petite école et sept à l'École latine, il estimmatriculé en 1620 à l'université dont Guillaume d'Orange avait doté la ville, enrécompense de sa résistance courageuse aux Espagnols, lors du siège de 1573-1574.Mais, abandonnant rapidement ces études, il entre pour trois ans dans l'atelier deJacob Isaacz van Swanenburgh et complète cette formation en 1624 chez PieterLastman à Amsterdam, tous deux peintres d'histoire catholiques ayant fait de longsséjours en Italie. À partir de 1625, Rembrandt s'installe comme peintre indépendantdans la maison paternelle de la Weddesteeg à Leyde, fréquentant assidûment un jeunepeintre virtuose Jan Lievens. Tous deux traitent des thèmes religieux, Rembrandt dansde petits formats, Lievens par des figures grandeur nature cadrées à mi-corps à lamanière des caravagesques d'Utrecht. Ils peignent des têtes d'expression, ou tronjes,d'après des modèles de vieillards ridés, et expérimentent la technique de l'eau-forte.

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Rembrandt forme ses premiers élèves, Gerrit Dou, qui deviendra le spécialisterecherché des scènes de genre miniaturisées, exécutées avec beaucoup de délicatesseet de fini, et Isaac Jouderville, qui produisit têtes et portraits à la manière de sonmaître. La visite de Constantijn Huygens, secrétaire du stathouder Frédéric Henrid'Orange-Nassau, vaut à Rembrandt et Lievens des éloges pleins de perspicacité et lacommande d'œuvres pour la cour de La Haye. Dans l'inventaire du palais àNoordeynde, en 1632, sont cités des tableaux qu'on peut identifier, commeL'Enlèvement de Proserpine et la Minerve dans son étude (tous deux à laGemäldegalerie, Berlin), la Présentation de Jésus au Temple du Mauritshuis à La Haye,et le portrait de l'épouse du stathouder Amalia van Solms du musée Jacquemart-Andréà Paris. La commande d'une série de la Vie du Christ suivit, dont Rembrandt livrerasept tableaux de 1633 à 1646, payés 600 florins pièce. Entre 1631 et 1634,Rembrandt se déplace à La Haye, à Rotterdam et Amsterdam pour des commandes deportraits. En 1631, il investit 1 000 florins dans l'affaire de Hendrick Uylenburgh,marchand d'art à Amsterdam, où il se fixe, devenant citoyen de la ville et membre dela guilde de Saint-Luc en 1634 ; la même année, il épouse Saskia Uylenburgh, nièce deson associé. Ce dernier le loge, lui fournit des commandes de tableaux et édite sesgravures.

La décennie suivante est marquée par le succès de Rembrandt, qui déménageplusieurs fois jusqu'à acquérir, en 1639, une riche maison dans SintAnthonisbreestraat, l'actuel musée Rembrandt, dont il sera chassé en 1658 n'ayant purégler entièrement les 13 000 florins qu'elle coûtait. Il peint les bourgeoisd'Amsterdam, négociants, prédicateurs, médecins ; il achète sans compter aux ventesaux enchères tableaux, dessins, estampes, armes anciennes et exotiques, statues etbustes antiques, instruments de musique, coquillages, étoffes et vêtements orientauxdont il pare certains de ses modèles. Il dirige un atelier, accueillant pour leur donner uncomplément de formation de nombreux jeunes peintres qui dessinent sous sa conduiteet imitent ses portraits de couples, ses figures de bergers ou d'Orientaux, exécutentdes peintures d'après ses gravures, comme Le Bon Samaritain de Govaert Flinck(Wallace Collection, Londres), ou d'après des prototypes modifiés, comme le Sacrificed'Isaac, qui est peut-être de Ferdinand Bol (Alte Pinakothek, Munich, version révisée decelui de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg). Après avoir donné le jour à trois enfants dontseul Titus vivra, Saskia meurt en 1642, à la suite d'une longue maladie, et Rembrandtdéfend âprement son patrimoine contre les revendications de sa belle-famille ;d'autres procès l'opposèrent à Geertje Dircx, première nourrice de Titus. Rembrandtsemble avoir découragé les demandes de portraits, peut-être moins par son styled'exécution énergique et contrasté que par une certaine désinvolture à l'égard de saclientèle bourgeoise. Le peintre hollandais Arnold Houbraken, élève indirect deRembrandt, rapporte en 1718 des anecdotes sur les séances de pose trop longuesexigées des modèles, les suppléments de rémunération extorqués, les délais delivraison insupportables et le manque de ressemblance ou de soin apporté aux toilesdont certains se plaignirent. Malgré le produit de la vente de ses estampes, dont ilmultipliait les états, peut-être moins dans un souci esthétique de perfection que pour

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susciter de nouveaux achats chez les amateurs épris de raretés, et dont il rachetaitparfois lui-même les épreuves pour faire monter les prix (selon le témoignage deFilippo Baldinucci en 1686), les spéculations de Rembrandt marchand d'art furent trophasardeuses. Faisant face à ses dettes par des billets à ordre échangeables contre desœuvres qu'il promettait de peindre ou de graver, il dut cependant se présenter devantla Desolate Boedelskammer, Chambre des débiteurs insolvables, pour procéder à lacessio bonorum. Ces magistrats dressèrent donc en 1656 l'inventaire des biens dupeintre, qui révèle un stock important de peintures de Brouwer, Lievens, Pynas,Seghers, Lastman, ainsi que des tableaux italiens, dont un Giorgione et un PalmaVecchio possédés en commun avec un autre marchand. La collection de Rembrandtcomportait aussi un ensemble impressionnant de portefeuilles d'estampes des plusgrands maîtres italiens, allemands, flamands ou néerlandais des XVIe et XVIIe sièclesqui lui servirent fréquemment de sources pour l'iconographie (scènes bibliques deMarteen van Heemskerck) ou la composition (Raphaël, Titien...). Ses biens furentvendus à l'encan en 1657-1658, pour des sommes faibles. S'étant transféré dans lequartier plus artisanal du Jordaan, Rembrandt se déclara l'employé d'un commerced'art tenu par Hendrickje Stoffels, sa compagne, et par Titus, ce qui lui permitd'échapper aux poursuites des créanciers insatisfaits. Par cet intermédiaire, il reçutencore des commandes de portraits ou de figures historiques ainsi que la visite dugrand-duc de Toscane Cosimo III de Médicis, qui lui demanda un autoportrait. Onconserve plusieurs noms d'élèves pour les années 1642-1660 : Constantijn vanRenesse (quelques dessins conservés portent des corrections du maître), CarelFabritius, Jan Victors, Willem Drost (qui tira d'un dessin du maître conservé au Louvrela Vision de Daniel de la Gemäldegalerie de Berlin), Nicolaes Maes, Samuel vanHoogstraten, tous artistes qui adoptèrent la construction du tableau par la couleur, lamatière épaisse, les jeux d'ombre complexes de Rembrandt. Mais on ne peut plus citerpour les années 1660 que celui d'Aert de Gelder qui pratiqua jusque vers 1720 unepeinture au coloris riche, étalée au couteau, dédaigneuse des règles de composition.Après la disparition de Hendrickje en 1662, puis celle de Titus, qui était devenu luiaussi peintre, en 1668, quelques mois après son mariage, Rembrandt mourut le4 octobre 1669 et fut enterré dans une tombe inconnue de la Westerkerk.

Motifs, styles et techniques : un expérimentateurinfatigable En 1666, l'abbé-collectionneur Michel de Marolles vend à Louis XIV ses deux centvingt-quatre eaux-fortes de Rembrandt, qu'il venait de recenser dans un ouvrage, et,en 1751, c'est le marchand parisien Gersaint qui en fournit aux amateurs un cataloguecritique. De 1626 à 1660 environ, Rembrandt a produit quelque deux centquatre-vingt-dix estampes jugées aujourd'hui autographes, pour lesquelles un tiers descuivres sont conservés, sur les sujets les plus divers et d'une façon autonome etparallèle à son œuvre peint. Après les premiers essais leydois, souvent qualifiés de

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« griffonis » : autoportraits expressifs jusqu'à la caricature, tronjes, gueux à la manièrede Jacques Callot, sujets religieux, les années 1630 voient l'apparition de planchesayant exigé un travail considérable par leur fini, leur rendu des textures et desmoindres caprices de la lumière : la Descente de croix de 1633 reproduisant le tableaupeint pour le stathouder, l'Annonce aux bergers (1634), l'Ecce Homo de 1636. Lespaysages apparaissent dans les années 1640 (vues de chaumières et de bouquetsd'arbres essentiellement), tandis que les nus féminins réalistes, les portraits (pasteurs,rabbins, commerçants, artistes et magistrats), les sujets bibliques souvent récurrentss'étalent au long de sa carrière. Dans les années 1650, les planches ont le mêmecaractère d'ébauches que ses toiles : fortement charpentées mais parsemées de trousd'ombre oblitérant des motifs préalablement tracés, de violentes stries, de figuressommairement esquissées, sans modelé, où éclate le blanc du papier. Cette libertésuggestive est particulièrement réussie dans le Saint Jérôme dans un paysage italien(vers 1654). Rembrandt a utilisé des plaques de cuivre minces, plus faciles à martelerpour opérer des changements, un vernis mou mêlé de cire, opacifié de blanc, pour ydessiner sa composition sans effort, un mordant lent pour mieux contrôler les effets depleins et de déliés, des encres grises ou noires pour suggérer l'atmosphère, des papiersde types divers, plus ou moins absorbants, pour varier les contrastes de valeur : blancluisant, gris moucheté, jaunâtre (papier japonais), voire du vélin pour des impressionsde luxe. Ses eaux-fortes furent assez tôt complétées par un travail au burin et, surtoutdans les années 1650, à la pointe sèche, au tracé irrégulier en raison des barbeslaissées sur les bords de la taille. Les différences entre les états successifs d'unemême composition sont souvent spectaculaires, comme pour Les Trois Croix de 1653ou Le Christ présenté au peuple de 1655.

La Fuite en Égypte, RembrandtLa Fuite en Égypte, Rembrandt, 1654. Eau-forte. Don Walter Hussey Pallant

House Chichester, Grande-Bretagne.

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Les Trois Croix par RembrandtLes Trois Croix par Rembrandt. Eau-forte. British Museum, Londres.

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En tant que dessinateur, Rembrandt a fait preuve également d'une grandefécondité, même s'il ne fut pas le dessinateur acharné que Bode voyait en lui et qu'ontend à restituer à ses élèves de nombreuses feuilles attribuées autrefois par analogie.Les dessins de Rembrandt ne sont que très rarement des études préparatoires pour sespeintures ou ses gravures ; lorsqu'ils s'en rapprochent, ils se présentent souventcomme des variantes ou des alternatives. Le dessin est pour lui un exercice :d'observation, comme pour ses paysages au lavis d'encre ou une série de Lions,gravés plus tard par Bernard Picart ; de notation rapide, comme pour les centtrente-cinq esquisses de femmes et d'enfants que possédait son ami le peintremariniste Jan Van de Cappelle, aujourd'hui dispersées ; de copie, comme l'ensemble dedessins reprenant des miniatures mogholes (vingt retrouvés) ; de mise en scène,comme pour la centaine de scènes de la Passion du Christ esquissées dans les années1650-1655. Dans son atelier, Rembrandt participa lui-même aux exercices qu'ilproposait à ses élèves : dessins d'académies d'hommes ou de femmes, dessinsd'invention sur une histoire biblique lue, peut-être mimée par les élèves-acteursimprovisés, s'il faut faire remonter à Rembrandt la pratique que son élève Samuel vanHoogstraten évoque à propos de son propre atelier. En dehors des modèles pour lagravure, exécutés à la sanguine ou à la pierre noire (pour la facilité d'en prendre descontre-épreuves sur un papier humidifié), la technique de prédilection de Rembrandtétait le dessin à la plume (quelquefois au roseau) et à l'encre brune. Pour corrigercertains passages, il les recouvrait de gouache blanche. Étant donné que ses élèvesont imité sa technique graphique et ses motifs, les critères pour départager les dessinsdu maître sont la qualité expressive des figures, concentrée en quelques traits, labrièveté et l'énergie avec laquelle il définit leurs lignes de force, sans décrire détails etsuperficies, l'intelligence dans la structuration de la composition et sa mise en espace,et la variété des signes graphiques en fonction de la nature des éléments figurés.

« Et j'ai remarqué que, dans ses débuts, il a employé beaucoup plus de patience

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pour exécuter ses œuvres que plus tard », écrit Houbraken en 1718, opposant lamanière fine, les glacis lisses et les tons fondus de nombreux tableaux de 1628 jusquevers 1645 aux taches de couleurs juxtaposées, aux épais empâtements raboteux et aurendu approximatif des contours et des plans qui se multiplient dans ses peinturesaprès cette date. Durant la période leydoise, Rembrandt utilise des panneaux de boisde chêne pour ses œuvres qui sont de petit format ; à Amsterdam, il emploiera de plusen plus fréquemment la toile de lin pour support. Les compositions sont exécutées sansreport de carton, sous forme d'une ébauche monochrome au pinceau qui lui sert deguide pour mettre en couleur les diverses zones les unes après les autres, encommençant souvent par les fonds, plus minces et moins opaques. Les examens auxrayons X, généralisés ces dernières années, révèlent de nombreux repentirs, de beauxpassages obscurcis pour donner plus de relief à d'autres, témoignage d'une libertécréative revendiquée tout au long de la genèse picturale ; on comprend dans cesconditions pourquoi on ne trouve pas de tableaux à plusieurs mains, où il déléguerait àun élève tout ou partie de l'exécution comme le pratiquait Rubens. Après deux années(1625-1627) au cours desquelles Rembrandt produit des œuvres à la palette aussivariée que les textures des objets traduites mimétiquement (Allégorie musicale,Rijksmuseum, Amsterdam), il évolue vers une peinture quasi monochrome, subtileharmonie de bruns et de gris dont les nuances lumineuses servent à suggérer l'espaceet à immerger les figures dans cette atmosphère saturée de reflets et de pénombresmouvantes (Saint Paul en méditation, 1629, Germanisches Nationalmuseum,Nuremberg). « Il y a peu de lumière dans ses œuvres, sauf à l'endroit où il voulaitconcentrer l'intérêt ; ailleurs, il regroupait avec grand art lumières et ombres avec desreflets bien mesurés et des passages de la lumière à l'ombre d'une grande habileté ;son coloris était ardent, et tout révélait un jugement profond », écrit Joachim vonSandrart en 1675. Cette suprême « intelligence du clair-obscur », pour reprendrel'expression de Roger de Piles à son propos (1699), exploité tour à tour pour sespossibilités dramatiques, psychologiques, spatiales ou plastiques se révèlemagistralement dans les scènes de la Vie du Christ pour le stathouder (AltePinakothek, Munich), où la lumière intense semble rayonner de son corpspathétiquement environné de ténèbres.

Le Bœuf écorché, RembrandtREMBRANDT, Le Bœuf écorché, bois. Musée du Louvre, Paris.

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Crédit :Scala

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Une des particularités de la technique picturale de Rembrandt est précisément saversatilité, son absence d'habitudes et de règles, les contrastes internes à une mêmeœuvre. Houbraken relevait cette disparité entre des détails « exécutés avec le plusgrand soin tandis que le reste semble peint avec un pinceau de peintre en bâtiment,sans le moindre égard pour le dessin. Mais il ne pouvait s'empêcher de procéder ainsi,et il se justifiait en disant qu'un tableau est terminé lorsque le peintre y a réalisé sonintention ». Mais les œuvres des décennies 1650 et 1660 n'ont pas nécessairementété réalisées plus rapidement, avec moins de réflexion ; c'est la transposition desformes du réel, plus visionnaire, radicale et apparemment arbitraire qui rend le travailplus difficile à juger. Dans une peinture qui se refuse à toute confrontation avec le« modèle » de la nature et affirme sa réalité concrète par son épaisseur même et sesenchaînements quasi autonomes de teintes flamboyantes et terreuses, le dernier motrevient à l'artiste ; le portrait de famille du musée de Brunswick en est un exemplefrappant.

La fable et la Bible : un narrateur non conformiste

Ce qui fait la grandeur de Rembrandt peintre d'histoire n'est ni l'originalité de sesthèmes bibliques ou de leurs particularités iconographiques qui sont tous empruntés àdes devanciers nordiques, peintres ou graveurs, parmi lesquels son maître Lastman, nimême l'abondance de ses peintures religieuses (Lastman en a peint davantage), maisleur force de conviction et leur capacité à émouvoir. Dans l'une des sept lettres de luique nous avons conservées, adressées à Constantijn Huygens, Rembrandt indique qu'ila recherché longuement, en élaborant les tableaux pour le stathouder, « l'émotion laplus grande et la plus naturelle possible ». Rembrandt n'a peut-être jamais lu la Bibleentière, mais est revenu fréquemment sur les mêmes scènes et sur des personnagesfavoris (David, Salomon, Samson, Tobie), proposant de nouvelles mises en scène. Ilplace, à ses débuts, des personnages de petite échelle dans un espace solennel,comme les édifices caverneux de la Résurrection de Lazare (vers 1630, Los AngelesCounty Museum) ou du Prophète Jérémie (1630, Rijksmuseum, Amsterdam, auxmultiples figurines fuyant à l'arrière-plan). Plus tard, il supprimera ces référencesspatiales, réduisant le tableau à l'affleurement de personnages monumentaux : Moïsebrandissant les tables de la Loi (1659, Gemäldegalerie, Berlin), Saint Matthieu et l'ange(1661, Louvre). Les histoires peintes par Rembrandt semblent solliciter l'œil et l'esprit,qui cherchent à déchiffrer - comme les personnages dans le Festin de Balthasar, lescaractères mystérieux apparus sur la paroi (vers 1635, National Gallery, Londres) -des visages dissimulant la haine : David jouant de la harpe devant Saül (vers 1629,

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Städelsches Kunstinstitut, Francfort). Mais aussi l'ouïe : Saint Pierre et saint Paul enconversation (1628, National Gallery of Victoria, Melbourne) ou le toucher : la maind'Aristote contemplant le buste d'Homère, peint pour Antonio Ruffo, gentilhomme deMessine en 1653 (Metropolitan Museum, New York), Jacob bénissant les fils de Joseph(1656, Gemäldegalerie, Kassel). Ces figures bibliques sont peut-être à interpréter, à lalumière des recherches sur l'imaginaire des contemporains de Rembrandt qu'exposeSimon Schama dans L'Embarras de richesses. La culture hollandaise au siècle d'or(Gallimard, 1990), moins pour leur sens religieux premier que comme des référencesanalogiques prestigieuses à des personnages et à des événements de l'histoire récentedes Pays-Bas du Nord. Dans les tableaux de Rembrandt qui traitent de l'histoired'Esther, il faudrait voir, comme dans quatre tragédies néerlandaises écrites entre1618 et 1659 portant sur ce thème, en Aman le duc d'Albe, incarnation de laméchanceté calculée d'un conseiller assoiffé de sang, et en Mardochée Guillaumed'Orange, l'innocent patriote et héros. Les sujets dans lesquels Rembrandt se montrele plus nettement hostile aux conventions rhétoriques de l'art italien ou du baroquerubénien sont assurément les thèmes mythologiques. Le choix de sujets violents ouscabreux, le refus des transpositions antiquisantes (le chantier naval à l'arrière-plan deL'Enlèvement d'Europe, vers 1633, coll. part.), de l'ennoblissement allégorique desfables (L'Enlèvement de Ganymède, bébé pleurant et pissant d'effroi, 1635,Gemäldegalerie, Dresde), de l'idéalisation des corps (Diane au bain, au ventre flasque,eau-forte, vers 1631), ou d'une gestuelle esthétique mais sans vraisemblance(L'Enlèvement de Proserpine, qui griffe sauvagement le visage de Pluton, 1631,Gemäldegalerie, Berlin) font la saveur incongrue de ses essais dans ce domaine. Mais laquestion la plus délicate pour interpréter le sens de mainte œuvre de Rembrandt estl'imprécision volontaire, la suppression des indices permettant de déterminer le sujetet le genre exact de l'œuvre. La Fiancée juive (Rijksmuseum, Amsterdam) peut illustrerce phénomène fréquent. Elle a été lue comme un portrait déguisé (interprétationparticularisante et affective qui a prévalu au XIXe siècle), Isaac et Rébecca épiés parAbimélech (interprétation historicisante qui prévaut aujourd'hui) ou une allégorie del'amour conjugal (interprétation universalisante, souvent peu vraisemblable).

Observation et animation : Rembrandt portraitiste Aucun portrait de commande n'étant connu pour la période leydoise, les premiersportraits réalisés à Amsterdam paraissent d'autant plus surprenants par leur maîtriseet leur nouveauté. Nicolaes Ruts, négociant en fourrures avec la Russie, dresse sonimposante silhouette vêtue d'une riche pelisse derrière le dossier d'une chaise (1631,Frick Collection, New York) ; Marten Looten, autre marchand, tient une lettrereconnaissante de Rembrandt, et sa main droite ramenée contre sa poitrine sembleprotester de la réciprocité de cette amitié (1632, Los Angeles County Museum). Mêmegeste dans le portrait du Révérend Johannes Wtenbogaert, prédicateur remontrant,commandé par le marchand Abraham Recht, protecteur des remontrants (1633, coll.part., Angleterre) ou dans ceux du prédicateur anglican Johannes Elison et de son

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épouse (1634, Museum of Fine Arts, Boston), peints à la demande de leur fils. Desmodèles non identifiés écrivent, taillent leur plume, se lèvent de leur chaise, froissentleurs gants, serrent un éventail. Selon la somme convenue, le cadrage : tête placéedans un ovale pour Haesje van Cleyburgh (1634, Rijksmuseum, Amsterdam), les bustessertis dans des encadrements de fenêtres pour Nicolaes van Bambeeck et Agatha Bas(1641, séparés entre les musées royaux de Bruxelles et Buckingham Palace), àmi-corps pour le poète Jan Krul (1633, Gemäldegalerie, Kassel), en pied pour l'Hommedevant une porte, négligemment accoudé (1639, Schloss Wilhelmshöhe, Kassel). Lesdoubles portraits sont l'occasion de mises en scène vivantes, saisissant en une attitudecaractéristique la profession des modèles : Le Constructeur de navires Jan Rijcksen sedétourne du plan qu'il trace, son épouse se penche pour lui remettre une lettre (1633,Buckingham Palace) ; Le Prédicateur mennonite Cornelis Anslo commente de la voix etde la main l'Écriture à son épouse qui l'écoute docilement (1641, Gemäldegalerie,Berlin). Dans les portraits tardifs, les poses se font plus statiques, mais c'est la touchequi s'émancipe et leur confère la palpitation de la vie : Jan Six, impatient etmécontent, joue nerveusement avec ses gants, le manteau sur l'épaule (1654,Fondation Six, Amsterdam), le Porte-drapeau (1654, Metropolitan Museum, New York)semble las malgré la fierté de la pose et l'éclat de son écharpe brodée et de sonpanache de plume, Jacob Trip et Margaretha de Geer, riches marchands de canons,sont traités comme des vieillards nobles de tragédie, dignement assis, dans desvêtements passéistes (1661, National Gallery, Londres).

Les œuvres les plus célèbres de Rembrandt sont ses portraits de groupe. La Leçond'anatomie du Dr Nicolaes Tulp (1632, Mauristhuis, La Haye) réunit autour dupraelector anatomiae de la guilde des chirurgiens d'Amsterdam sept de ses confrèresqui semblent assister avec une vive curiosité à une démonstration portant sur lesmuscles du bras. De La Leçon d'anatomie du Dr Joan Deyman (1656, Rijksmuseum,Amsterdam), on ne conserve plus qu'un fragment montrant le cadavre évidé et scalpéen raccourci, avec une brutalité horrible que la précédente évitait élégamment. Lasortie de la compagnie de tireurs du capitaine Frans Banning Cocq et du lieutenantWillem van Ruytenburgh, plus connue sous le nom de Ronde de nuit (1642,Rijksmuseum, Amsterdam) est aussi un portrait collectif pour lequel chaque modèlepaya 100 florins ; mais l'ajout de personnages de fantaisie, le mouvement d'irruptionen avant de la compagnie, contrarié par le désordre des attitudes individuelles, joints àl'importance d'un clair-obscur théâtral et instable et à l'irrégularité de la matièrepicturale en font une œuvre déconcertante qui rompt avec la tradition des images demilices civiques de Frans Hals ou d'autres devanciers moins doués de Rembrandt. LesSyndics des drapiers (1662, Rijksmuseum, Amsterdam) donne aussi l'illusion d'undialogue animé, entre les contrôleurs de la qualité des étoffes, et les contrastes desteintes et des valeurs lumineuses suggèrent également avec efficacité l'espace où ilsse tiennent.

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La Leçon d'anatomie du Dr Nicolaes Tulp, RembrandtREMBRANDT, La Leçon d'anatomie du Dr Nicolaes Tulp, huile sur toile.

Mauritshuis, La Haye.

Crédit :Scala

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La Ronde de nuit (La Compagnie du capitaine Frans Banning Cocq), RembrandtRembrandt, La Ronde de nuit (La Compagnie du capitaine Frans Banning

Cocq). 1642. Huile sur toile. 359 cm X 438 cm. Rijkmuseum, Amsterdam.

Crédit :Istituto Geografico De Agostini

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Les Syndics des drapiers, RembrandtRembrandt (1606-1669), Les Syndics des drapiers, 1662. Huile sur toile. H.

1,91 m ; L. 2,79 m. Rijksmuseum, Amsterdam.

Crédit :

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Rembrandt a fréquemment représenté ses proches. S'il faut revenir sur l'idée queles vieilles femmes lisant la Bible (celle qui est dite en prophétesse Anne auRijksmuseum d'Amsterdam, 1631, par exemple) et les têtes de vieillards pensifs ont euses parents pour modèles, un certain nombre de tableaux peuvent être identifiés avecson épouse Saskia, sa compagne Hendrickje ou son fils Titus, les comparaisons entredes visages peints sous des jours, des angles et des costumes divers, à différentesépoques, restant toujours délicates. Comme pour ses autoportraits, Rembrandt n'a pashésité à en vendre, ainsi le portrait de Saskia de profil, en riche costume (SchlossWilhelmshöhe, Kassel) de 1633, retouché ensuite sans doute pour être vendu à JanSix, délicat exercice à la Holbein. Saskia a posé pour son époux un voile sur les cheveux(1633, Rijksmuseum, Amsterdam), riant (1633, Gemäldegalerie, Kassel), en Flore, sonvisage et sa gorge, les broderies de sa robe, la couronne et la gerbe de fleurs et lebâton pastoral entortillé de plantes brillant délicatement contre un paysage nocturne(1634, Ermitage, SaintPétersbourg, et 1635, National Gallery, Londres). Hendrickje futpeut-être le modèle de la Bethsabée au bain du Louvre (1654), de la Jeune Femme sebaignant dans un ruisseau (1654, National Gallery, Londres), de la Flore duMetropolitan Museum de New York (1655) ou de la Femme à la fenêtre (1656,Gemäldegalerie, Berlin) ; toutes ces femmes ont en commun la douceur des yeuxsombres, la grâce nonchalante des poses, la plénitude de la chair d'une femme mûreet sont traitées dans une chaude lumière, un tonalisme dérivé de Titien, une pâtenourrie largement étalée. Titus est montré en écolier rêvant à son pupitre (1655,musée Boymans, Rotterdam), en page de la Renaissance (vers 1657, WallaceCollection, Londres), en moinillon (1660, Rijksmuseum, Amsterdam). Même si l'on tientcompte des récentes désattributions, Rembrandt a peint la série d'autoportraits la plusétendue de l'histoire de la peinture occidentale, soit une soixantaine de peintures et degravures, les deux séries entretenant des relations étroites. Dès 1628, il se peint àcontre-jour, les mèches blondes ébouriffées grattées avec le manche du pinceau(Rijksmuseum, Amsterdam). Déguisé en patriote dans l'Autoportrait au hausse-col(1629, Mauritshuis, La Haye), en bourgeois dans l'Autoportrait au chapeau mou(1632, Art Gallery, Glasgow), en gentilhomme de la Renaissance dans les deuxAutoportrait à la chaîne d'or, en ovale, du Louvre (1633 et 1634) ou celui de laNational Gallery de Londres, inspiré du portrait dit de l'Arioste par Titien (1640), enapôtre Paul (1661, Rijksmuseum, Amsterdam). Il se cadre souvent au plus près,surtout dans les images de la maturité et de la vieillesse, et regarde sans complaisanceson visage alourdi et son gros nez. Mais il ne s'est montré que quatre fois,tardivement, avec les instruments du peintre, palette et appuie-main : Frick Collection,New York (1658), Louvre (1660), Kenwood House, Londres (1665) et Wallraf-RichartzMuseum, Cologne (1669).

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Rembrandt au sabre flamboyant, RembrandtRembrandt, Rembrandt au sabre flamboyant. 1634. Eau-forte et burin. 12,4

cm x 10,8 cm. Département des estampes et de la photographie, Bibliothèquenationale de France, Paris.

Crédit :Bibliothèque nationale de France, Paris

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Autoportrait, RembrandtRembrandt (1606-1669), Autoportrait, vers 1661-1662. Kenwood House,

Londres.

Crédit :The Bridgeman Art Library

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Rembrandt au miroir changeant des siècles

Vers la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, les critiques émettent de sérieuses réservessur Rembrandt. Sur la toile de fond de la théorie classique de l'art, attachée à la

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hiérarchie des genres, au décorum et à la recherche d'un beau idéal, obtenu par undessin parfait, à l'école des antiques, il ne pouvait faire figure que d'ignorant, demaladroit, de fourvoyé ou d'obstiné, et son talent de coloriste apparaît comme gâchéau service de sujets vils et de personnages laids : telle est la position de Houbraken oude Gersaint. André Félibien (Entretiens, 1679) et Gersaint opposent à la manière« léchée » de ses contemporains la « singularité » de ses « grands coups de pinceau »,de ses « couleurs fort épaisses », remarquant que ses portraits font un fort effet, derelief et de vérité, « lorsqu'on les regarde d'une distance proportionnée ». Ses gravures« piquantes », « source inépuisable d'intelligence du clair-obscur, partie dans laquelle ilest si difficile de réussir », connaissent le même succès que ses portraits et têtes decaractère, et circulent sur le marché de l'art européen. Cette dispersion, sansdocuments ni descriptions précises, a pesé lourd sur la connaissance ultérieure del'œuvre de Rembrandt. Au XIXe siècle, si un Ruskin n'a pas assez de mépris : « lavulgarité, la bassesse ou l'impiété s'exprimeront toujours dans l'art par le moyen dubrun et du gris comme chez Rembrandt », le romantisme avec son enthousiasme pourles individualités hors des normes a entraîné une réhabilitation de la vision singulière dumaître. Le marchand d'art anglais John Smith édite en 1836 le premier catalogued'ensemble de son œuvre peint, comportant environ six cent quarante numéros. Cecorpus s'enflera jusqu'à un millier de peintures, à la fin du siècle. Rembrandt fut tour àtour enrôlé comme champion du protestantisme, de la liberté républicaine, duchristianisme populaire, du patriotisme hollandais. W. Martin écrit en 1936 :« Rembrandt reflète essentiellement ce que notre peuple a de meilleur : de profondesconvictions religieuses, une conscience et un esprit de liberté, un besoin d'agirinsatiable et indomptable. » Le XXe siècle a opéré un patient travail de discriminationraisonnée des œuvres, accompagné d'une exploration et publication systématique desdocuments d'archives concernant le peintre, sa famille et sa clientèle. Parallèlement,la méthode iconologique examinait les thèmes et leur sens précis dans le milieu oùvécut Rembrandt, tandis que les études sur ses élèves offraient des alternativesd'attribution aux œuvres rejetées. L'examen scientifique des œuvres et leurminutieuse description matérielle par le Rembrandt Research Project (« Nous nousméfions profondément de l'évocation poétique des qualités rembranesques »), leurconfrontation systématique des points de vue de divers experts ont pour but d'établircollégialement un corpus (en cours de publication) reflétant un large consensus étayépar des informations objectives et des comparaisons techniques et stylistiques.

Ecrit par Martine VASSELIN

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