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Altérité et rapports à l’espace des populations « noires » regards croisés entre l’Europe et les Amériques C. auDEBErT, E. CuNiN, o. HoFFMaNN, CH. poirET a prise en compte du temps long et la mise en contexte planétaire de processus sociaux localisés offrent d’intéressantes clés de compréhension de la genèse des catégories qui en arrivent à désigner, dans le quotidien comme dans les analyses, certains groupes ou ensembles de population. C’est particulièrement le cas des populations catégorisées comme « noires » dans les Amé- riques et dans les pays du Nord, dont la présence est histo- riquement liée aux grands mouvements de l’esclavisation, de migrations forcées et des mobilités de travail. Elles permet- tent notamment de questionner le lien entre histoire de l’es- clavage, actualisation de rapports sociaux appréhendés comme hégémoniques et racialisation des populations afro- descendantes dans l’espace atlantique. La mise en dialogue de divers contextes stato-natio- naux et locaux dans la Caraïbe, en Amérique latine, en Amérique du Nord et dans les (ex-) métropoles euro- péennes est susceptible de mettre en lumière la diversité des logiques d’altérisation. Les processus d’ethnicisation des espaces locaux ne sont pas étrangers au renouveau de ces catégories. Si, historiquement, les processus sociaux de subordination et de marginalisation ont été sanction- nés dans l’espace par des dispositifs d’enfermement, les plus marquants étant la plantation sucrière et le ghetto urbain (Wacquant, 1997), le territoire est aujourd’hui à nouveau convoqué par les sociétés et leurs institutions, L 173

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Altérité et rapports à l’espacedes populations «noires»

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genèse des catégories qui en arrivent à désigner, dans lequotidien comme dans les analyses, certains groupes ouensembles de population. C’est particulièrement le cas despopulations catégorisées comme «noires» dans les Amé-riques et dans les pays du Nord, dont la présence est histo-riquement liée aux grands mouvements de l’esclavisation, demigrations forcées et des mobilités de travail. Elles permet-tent notamment de questionner le lien entre histoire de l’es-clavage, actualisation de rapports sociaux appréhendéscomme hégémoniques et racialisation des populations afro-descendantes dans l’espace atlantique.

La mise en dialogue de divers contextes stato-natio-naux et locaux dans la Caraïbe, en Amérique latine, enAmérique du Nord et dans les (ex-) métropoles euro-péennes est susceptible de mettre en lumière la diversitédes logiques d’altérisation. Les processus d’ethnicisationdes espaces locaux ne sont pas étrangers au renouveau deces catégories. Si, historiquement, les processus sociauxde subordination et de marginalisation ont été sanction-nés dans l’espace par des dispositifs d’enfermement, lesplus marquants étant la plantation sucrière et le ghettourbain (Wacquant, 1997), le territoire est aujourd’hui ànouveau convoqué par les sociétés et leurs institutions,

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mais selon de nouvelles modalités et àd’autres fins.

La fluidité des identités globalisées, lespasserelles observées localement entre lesdynamiques culturelles et politiques qui lesactivent et l’instrumentalisation du territoirepar le politique à des fins de racialisation oud’ethnicisation des populations nous rappel-lent que les identités et les territoires restentavant tout des productions sociales. Le cadrede notre analyse, centrée sur les processusd’identification – plutôt que sur les identitésen tant que telles – nous conduit à ques-tionner les acteurs opérant à différenteséchelles (globale, locale), les dynamiquessociales dont ils sont porteurs et le rôleconjoint des logiques culturelles, politiqueset spatiales dans ces dynamiques.

Dans cette optique, la racialisation despopulations noires doit être d’abord replacéedans le cadre de mécanismes socio-histo-riques, en partie à l’origine de représenta-tions durables de l’«autre» et de rapportssociaux inégalitaires. Cette prise en comptedu temps long permettra de mieux appré-hender ensuite les dimensions sociales etpolitiques contemporaines de la productionspatiale des « identités noires», par le jeuconjoint des dynamiques de globalisation etde l’influence des contextes stato-natio-naux. Enfin, nous tenterons de nuancer – ouau moins d’affiner – ces catégorisations glo-balisantes par la mise en exergue des mul-tiples niveaux d’identification depopulations catégorisées a priori commenoires, en Europe et dans les Amériques, etpar l’analyse de la compétition et de la com-plémentarité entre ces niveaux que révèlentles processus de territorialisation.

La raCiaLisaTioNDEs popuLaTioNs NoirEs :MéCaNisMEs soCio-HisToriquEs,rEprésENTaTioNsET rapporTs soCiauxaCTuaLisés

Genèse planétaire et contextessocio-historiques d’émergencede la catégorie «Noir»

La reconnaissance et la colonisationeuropéennes des Amériques et de l’Afriqueet la genèse consécutive d’un système spa-tial atlantique au cours de l’époque modernevia la circulation des individus, des biens etdes idées, constituent le cadre historique del’émergence, de la consolidation et de la dif-fusion de catégories visant à racialiser lespopulations et à produire une altéritédurable. Au contact des Européens, les popu-lations au Sud du Sahara ont été progressi-vement construites comme homogènes(«noires», «africaines») en dépit de leurgrande diversité culturelle et sociale. Latraite transatlantique et l’esclavage des Afri-cains et de leurs descendants dans les Amé-riques sont apparus comme des élémentscontextuels majeurs de la pérennisation deces catégories et de leur généralisation pla-nétaire.

Un nouveau sens est donné à des caté-gories remontant au moins à l’antiquité(esclave, libre, affranchi, notamment), enleur conférant une dimension raciale (noir,nègre, mulâtre, quarteron, octeron, etc.).Dans les sociétés esclavagistes des Amé-riques, l’apparence physique a été essentiali-sée et l’identité a été biologisée à des fins dedomination et de hiérarchisation sociale, aupoint que le critère racial ait été convoquépour conserver une distinction entre libres et

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affranchis (« libres de couleur») et qu’une législation ait étémise en place contre les unions mixtes dans divers contextescoloniaux dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle (Rogers,1999).

Quoique les réalités de terrain aient été plus nuancées etaient beaucoup varié en fonction des contextes locaux et del’application réelle des dispositifs législatifs, Bonniol analysela relation entre esclavage colonial et préjugé de couleur surla base de l’articulation entre les segmentations sociale, juri-dique et raciale (maîtres blancs libres/travailleurs esclavesnoirs). La manière dont le recours à la nature pour maintenirles hiérarchies a pesé sur la gestion sociale de la transmis-sion des traits biologiques rend en partie compte de lapérennisation du préjugé de couleur jusqu’à nos jours (Bon-niol, 1992). La naturalisation des rapports sociaux a joué lerôle d’un «masque justificateur», qui autorise l’imposition declassements présentés comme allant de soi (Guillaumin,1992).

Au cours du XIXe siècle, les acteurs coloniaux de premierplan que sont les administrateurs, les militaires, les mission-naires ou les intellectuels européens en Afrique et dans lesAmériques ont participé à la construction d’un savoir sur lescolonisés qui s’accompagne de la fixation de catégories sou-vent définies en termes raciaux1. Comme le souligne Cottias,cette vision construisant les fondements idéologiques desrégimes politiques des puissances coloniales européennes duXIXe siècle tend à instaurer une représentation à portée uni-verselle, qui associe progrès, civilisation et infériorité desesclaves et des descendants d’esclaves (Cottias, 2003). L’ins-cription héréditaire du lien entre catégorisation raciale etposition sociale apparait comme une tentative de réponse àcette contradiction entre l’idéologie égalitaire, portée par lamodernité, et les hiérarchies sociales, érigées en systèmesdans les colonies.

La reprise du discours dominant par les populations encontexte colonial et post-colonial a revêtu de multiplesformes, de l’intériorisation du préjugé de couleur (Fanon,1952) à l’inversion du stigmate à des fins d’affirmation iden-titaire et de reconnaissance sociale, aux États-Unis (Geiss,1974) comme en Amérique latine (Guimarães, 2002). Le cou-rant de la négritude dans les colonies françaises et les mou-vements «nationalistes» noirs aux États-Unis et dans laCaraïbe anglophone ont conféré une dimension globalisée àl’auto-construction d’une identité noire. De même, l’instru-

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1. Dans le contexte d’expansion colo-niale du début du XXe siècle, la substi-tution d’une vision ethniciste despopulations africaines (en termes detribus et d’ethnies) à leur racisationantérieure confirme l’essentialisationdes identités davantage qu’elle ne laremet en cause, en favorisant l’élabo-ration de représentations dévalori-santes.

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mentalisation des historiographies africainespar les nouvelles élites dans le cadre d’uneévolution des enjeux de pouvoir, après lesindépendances, a participé d’une autremanière à la création de référents panafri-cains par l’invention d’une histoire «noire»(Thioub, 2002; Diouf, 2000). De manièregénérale, quoique revêtant d’autres formeset une autre signification que celles décritesprécédemment, cette réappropriation descatégories identitaires a elle aussi contribuéà l’entretien dans le temps d’une logiqueracialisante.

Actualisation d’un ordreracialisé et logiquesd’exclusion

L’actualisation des représentations col-lectives induites par l’ordre social racialisé del’époque coloniale est souvent convoquéepour rendre compte des formes contempo-raines de discrimination raciale. Celles-ci sesont notamment manifestées sous la formed’une marginalisation politique et sociale,plus ou moins marquée et durable, despopulations catégorisées comme noires. Larecherche nord-américaine a fait figure depionnière sur cette question dans uncontexte de lutte pour les droits civiques, enliant l’intégration problématique des popu-lations noires aux États-Unis aux lourdescontraintes sociétales pesant sur elles, et àleur accès inégal aux ressources politiques,économiques, sociales et spatiales (Frazier,1962).

L’exclusion politique, de même que lemaintien aux marges de la «communautéimaginée» (Anderson, 1983) des populationsnoires, ont pris divers contours. La législationségrégationniste en vigueur dans les Étatsdu sud des États-Unis jusqu’aux années1960, limitant l’accès des Noirs aux res-

sources publiques et rendant problématiqueleur accès aux droits civiques et au pouvoirpolitique, a constitué une forme extrêmed’exclusion. Par contraste, les sociétéslatino-américaines étaient à l’époque per-çues par la recherche nord-américainecomme des « paradis raciaux » (Pierson,1967), avant que n’y soit mise en lumière lasubtilité des mécanismes d’exclusion poli-tique et sociale entre intégration et discrimi-nation (Skidmore, 1993; Winant, 1992). EnFrance, l’intégration problématique de l’his-toire de l’esclavage colonial à l’historiogra-phie nationale du XIXe siècle à nos jours, etl’assimilation de cette histoire à du commu-nautarisme, portent à s’interroger sur lesimplicites raciaux de l’universalisme «à lafrançaise» (Cottias, 2007).

La hiérarchisation socio-raciale prend denos jours le visage d’une minorisation socio-économique des populations ainsi catégori-sées. Les statistiques2, lorsqu’elles existentsur le sujet, montrent que les Noirs restentgénéralement positionnés au bas de l’échellequel que soit le contexte national considéré,dans les Amériques comme dans lesanciennes métropoles coloniales euro-péennes. Aux États-Unis, le chômage tou-chait ainsi deux fois plus les Noirs (11,5 %)que la majorité blanche (4,6 %) selon lerecensement de 2000, et les écarts de pau-vreté se déclinent dans des proportions com-parables, s’échelonnant du simple au double.Le recensement de 2001 au Canada met enexergue un taux de pauvreté des famillesnoires trois fois plus élevé (30 %) que celuides familles des catégories blanches d’as-cendance anglo-saxonne (11 %) ou française(8 %).

Les populations noires des sociétéslatino-américaines et de certaines sociétéscaribéennes vivent également des expé-riences d’infériorisation et de discrimination,avec pour corollaire une amélioration plus

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problématique des conditions d’accès à des emplois et deslogements de meilleure qualité et à un statut social plusfavorable. Il n’existe cependant que peu de données permet-tant de mesurer les écarts de manière systématique àl’échelle macro-sociale. Le revenu médian des populationscatégorisées comme blanches à Puerto Rico était, parexemple, supérieur de 15 % à celui des catégories noires en1999, même si les écarts de pauvreté (53 % des «Noirs»contre 47 % des «Blancs») montrent une segmentationsocio-raciale moins apparente que dans les contextes nord-américains observés précédemment3.

Dans les ex-métropoles coloniales européennes, l’an-cienneté de l’immigration et du processus d’insertion despopulations noires issues des anciennes colonies ne sem-blent pas atténuer ces différentiels. En France, plus du quartdes jeunes originaires des départements d’outre-mer nés enmétropole restaient frappés par le chômage, contre un jeunemétropolitain sur six en 1999 (Marie, 2002). Outre-Manche,le recensement de 2004 a mis en lumière un écart de tauxde chômage de 1 à 3 entre les black British (12,5 %) et lamajorité blanche, y compris chez les générations nées surplace.

Doit-on pour autant considérer la genèse des identifica-tions noires comme le produit du seul rapport entre escla-vage et racialisation, et de ses incidences sur les processusde hiérarchisation et d’exclusion? Au-delà des héritages his-toriques, quelle place accorder à la circulation des idées etdes biens dans ces constructions identitaires?

La « CuLTurE NoirE »,uN proDuiT DE La GLoBaLisaTioN ?

Il convient de replacer les représentations et pratiquessociales en partie héritées de l’histoire coloniale dans leurcontexte international et national, afin de mieux appréhen-der leur signification sociale et de se prémunir contre toutedérive essentialiste. L’analyse des conditions locales de pro-duction d’identifications afrodescendantes ne peut se fairesans une remise en contexte plus globale, où la probléma-tique de l’ethnicité se relit en miroir des circulations trans-continentales des idées et des signes culturels (Cunin,2006a).

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2. Ces statistiques sont au passagel’un des produits les plus aboutis deces logiques de catégorisation et sontelles-mêmes les fruits des construc-tions politiques de l’altérité dans cha-cun des contextes nationaux.3. U.S. Census Bureau, CPH 2000.

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De l’identité héritéeà l’identité globalisée:vers un changement de paradigme?

Les travaux sur les «cultures noires» desAmériques du milieu et de la deuxième moi-tié du XXe siècle ont posé les questions del’héritage, de la continuité et de la survi-vance de traits africains. La discussion fon-datrice entre Herskovits et Frazier renvoie àl’« impossible intégration» des individus noirsen Amérique du Nord, en termes de conti-nuité ou de rupture fondamentale entre cul-tures d’origine (« africaine ») et sociétéaméricaine. Le premier insiste sur les phéno-mènes d’acculturation, en mettant enexergue la continuité culturelle et socialeentre Afrique et Amériques noires via une«réinterprétation», tout en restant sensibleaux mutations culturelles déclinées sous desformes variées à travers le Nouveau monde(Herskovits, 1941). Le second met en avantl’anomie inhérente à ces sociétés «déstruc-turées» par l’esclavage (Frazier, 1962). Bas-tide renouvelle les termes de ce débat en yintroduisant l’idée d’un continuum entresociétés où l’héritage africain est reproduiten étant réagencé, et sociétés où il a étéeffacé et, surtout, d’une nécessaire contex-tualisation des catégories d’analyse (Bastide,2000).

Notre optique, qui dépasse la réflexionen termes de continuité, s’intéresse au pre-mier chef à l’articulation entre logiques glo-bales et dynamiques locales dans laproduction des identités. Nous essayons decomprendre comment ces «cultures noires»se construisent et se reconstruisent dans lecadre de l’espace atlantique, dans uncontexte de globalisation des identités et, enmême temps, de productions locales de réfé-rences identitaires afrodescendantes.

Dans l’optique d’une vision critique del’opposition entre « identité noire fine» (poli-tique) et « identité noire épaisse» (culturelle)(Shelby, 2005; Ndiaye, 2008), nous tentonsaussi de saisir à quel point ces pratiques cul-turelles sont traversées par des logiquespolitiques et économiques. En effet, l’expé-rience politique du racisme est aussi cultu-relle, au sens où elle est spécifique à chaquecontexte socio-historique et à chaque popu-lation ethnicisée au sein de chaque contexte.De même, il est légitime de se demander si la«question noire» en France aurait pu émer-ger indépendamment du contexte cultureldes débats sur la mémoire de l’esclavage etde la problématique sociale portée par lesbanlieues.

La globalisation actuelle de la «culturenoire» se fonde sur au moins cinq éléments:des images familières et exotiques, véhicu-lées en particulier par les acteurs du tou-risme international et les réseauxinformationnels globalisés (plages et hôtelsparadisiaques, traits culturels perçus commehérités de l’Afrique, ambiance festive avecnotamment le carnaval, etc.) ; le statut depopulations historiquement dominées etsocialement marginalisées; le rôle d’agencesinternationales comme l’UNESCO et denotions comme celles de «patrimoine cultu-rel mondial», de «diversité» appliquées à deshéritages culturels localisés; l’importance dela logique de commercialisation et de circu-lation des pratiques et signes culturels afro-descendants; la consommation planétairede ces signes ethniques (Cunin, 2006a et b).

Il ne s’agit donc pas tant de reprendre ledébat classique sur la permanence ou la dis-parition de la «culture noire» que de s’inter-roger sur le fait que certaines pratiques,qualifiées de «cultures noires», émergent iciou là-bas. Dans ce cadre, il n’est pas anodinde s’interroger sur les acteurs qui la quali-fient de «noire» et sur ceux qui résistent à

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cette catégorisation, sur ceux qui la produi-sent et la véhiculent, et sur les formes souslesquelles elle est véhiculée.

Des logiques ambivalentesde production de l’altéritédans un contexte globalisé

Trois vecteurs principaux, liés entre eux,permettent de faire le lien entre différentslieux et différents acteurs, favorisant ainsi lacirculation des signes, des produits, des per-sonnes: les logiques de marché, de patrimo-nialisation et de mise en tourisme. Lafocalisation sur les logiques de marché, toutd’abord, amène à passer d’une analyse clas-sique en termes de production, à une analyseen termes de consommation. «Black Ameri-can youth are far from being marginalizedwithin a massive global black culture indus-try that uses their images to sell a wide arrayof products. Moreover, black American youthalso constitute a consumer market of theirown» (Hill Collins, 2006).

Une analyse s’intéressant à la prise encharge de musiques locales par les circuitscommerciaux globalisés est susceptible demontrer la mise en relation de différentscontextes culturels et les influences réci-proques entre ces contextes, ainsi que lamise en exergue de la fonction de métro-poles du Nord (New York, Paris, Londres),accueillant les maisons de production etmaîtrisant les réseaux commerciaux. Onpeut, par exemple, se demander comment lachampeta, musique noire des quartierspauvres de Carthagène, a piraté le soukoussdes deux Congo avant de devenir une«musique du monde» en Europe. On peut demême s’interroger sur le rôle stratégique de

Paris, et de ses multiples lieux de rencontreentre Africains et Antillais, dans la diffusionet le remarquable succès du zouk en Afriquedans les années 1980 et 1990. Que dire durôle des communautés jamaïcaines de NewYork et Londres dans la genèse du hip hopnoir états-unien et du dance hall jamaïcain,et de leurs interactions réciproques dès lesannées 1980, accompagnant leur diffusionplanétaire? 4

Ensuite, la patrimonialisation – qu’elleprenne la forme de la diversité culturelle, dufolklore pluriethnique, des musiques dumonde, de la mémoire de l’esclavage ou desfêtes populaires – confère une dimensionuniverselle aux signes culturels afrodescen-dants. Elle se décline à différentes échelles etrésulte de politiques culturelles d’organisa-tions nationales et locales, comme parexemple le Proceso de Comunidades Negrasen Colombie, et internationales commel’UNESCO (Cunin, 2006b). Cela se traduitentre autres par la mise en monuments delieux de mémoire (Gorée au Sénégal, Ouidahau Bénin) et par la patrimonialisation imma-térielle (Palenque de San Basilio en Colom-bie, peuple garifuna), en passant par lanormalisation (jazz) voire la sacralisation(reggae) de musiques, parfois érigées en«musiques du monde». Enfin, le tourismeparticipe activement à cette globalisationculturelle, lorsque par exemple les tracesmatérielles de l’esclavage sont différemmentréinterprétées. Les murailles de Carthagènesont ainsi devenues «Patrimoine mondial del’UNESCO» sans que soit fait référence àl’esclavage.

Ce faisant, cette globalisation apparaîtcomme fondamentalement sélective puis-qu’elle privilégie les traits culturels qu’elleconsidère commercialisables et patrimonia-

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4. Encore aujourd’hui, le débat est vif chez les populations noires de Grande-Bretagne, des États-Unis ou de la Caraïbe poursavoir qui, du Noir états-unien Afrika Bambaata ou du Jamaïcain Linton Kwesi Johnson, est le véritable père du hip hop !

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lisables au détriment des autres. Un articlede Télérama5 présente ainsi la punta rock,musique populaire, et le peuple garifuna duBélize en référence à l’Afrique, en passantsous silence la dimension créole de cettemusique et les origines certes africaines,mais aussi précolombiennes, des Garifunas.

Dans la même logique, la racialisationdes populations concernées s’opère enétroite relation avec des dynamiques contra-dictoires de production de l’altérité, entredistanciation et rapprochement, infériorisa-tion et valorisation, où la réappropriation detraits de la culture de l’autre symbolique-ment recherchés n’empêche pas la disquali-fication et la discrimination. La reprise decodes culturels des jeunes Antillais par laculture populaire urbaine anglaise (Hebdige,2008) s’est ainsi opérée dans un contexte detensions interethniques croissantes, ponc-tuées occasionnellement par des émeutes.

Dans le bassin caribéen, nombre de lieuxtouristiques sont présentés comme exo-tiques, colorés, animés et pleins de vitalité,et en même temps comme dangereux etchaotiques. Sous l’impulsion d’opérateurs,notamment nord-américains, fonctionnantsur la base de ces perceptions ambivalentes,les modalités de la globalisation touristiquedans la Caraïbe s’incarnent localement dansdes aménagements de l’espace marqués pardes logiques ségrégatives (infrastructures decroisière, aménagements des centres-villes,hôtels all inclusive) (Audebert, 2009).

La proDuCTioN spaTiaLEDEs « iDENTiTés NoirEs » :LoGiquEs soCiaLEs ETCoNTExTEs poLiTiquEsLoCaux

La globalisation des identités afrodes-cendantes dont il est question ici ne s’af-

franchit pas des contingences locales, maissemble au contraire prendre forme dans unemultiplicité de contextes qu’elle met en dia-logue et dont elle se nourrit. Les représenta-tions et pratiques évoquées en préambuledoivent être analysées en tenant compte descadres sociaux et des enjeux politico-cultu-rels de la (re) construction de ces catégories,et de l’instrumentalisation du territoire dansce processus. Il s’agit, en effet, de com-prendre comment une origine posée comme«commune» est resignifiée de façon diffé-rente dans le présent, selon les espaces et lestemporalités nationaux et régionaux.

Enjeux politiques dela catégorie «Noir» etethnicisation des territoires:un effet de contexte?

La catégorie «Noir» ou «Afrodescen-dant» ne peut être appréhendée indépen-damment des processus historiquesgénéraux d’esclavage, de marginalisation etde colonisation auxquels elle se réfère. Ellene saurait non plus être isolée des logiquessociales et territoriales dans lesquelles elles’insère localement. Vingt ans après que lalutte pour les droits civiques a porté sesfruits aux États-Unis, l’Amérique latine aadopté dans les années 1980-90 des poli-tiques multiculturelles destinées notammentaux populations «noires» ou «afrodescen-dantes». Ces politiques réclamaient ainsileur intégration à la communauté nationaleet ont favorisé l’émergence d’un espace eth-nique transnational, tout en affirmant unedifférence liée au passé esclavagiste entreles sociétés nord-américaines et latino -américaines.

Dans le même temps, l’héritage de l’es-clavage a été perçu avec une certaine dis-tance dans les anciennes puissances

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coloniales européennes, distance liée au fait que sa pratiquea été circonscrite aux colonies. Mais les migrations contem-poraines et l’emprise croissante des catégories ethniquesdans les techniques de mobilisation collective (Constant,2000) ont dessiné un nouveau contexte favorable au déve-loppement de ces questions. Alors que la pluralité culturellea progressivement été reconnue et intégrée par les institu-tions britanniques – même si celle-ci fait, depuis quelquesannées, l’objet d’interrogations sur ses effets en termes d’in-tégration nationale, la France a vu apparaître, dans lesannées 1990, une mise en cause de son modèle d’intégrationrépublicaine, accompagnée de l’émergence du discours del’ethnicité s’exprimant notamment par la formulation d’une«question noire» et des mobilisations autour de la mémoirede l’esclavage et de la colonisation (Giraud, 2005; Vergès,2006; Blanchard et al., 2005).

L’un des axes d’études les plus riches et les plus nova-teurs porte ainsi sur l’apparition d’un mouvement social noir,sur l’introduction de politiques fondées sur la reconnais-sance de spécificités et sur l’idée de droits particuliers attri-bués à certaines catégories de population, en fonction deleurs identités ethniques ou raciales. Les dynamiquessociales et les changements politiques récents liés au multi-culturalisme et à la définition de la citoyenneté interrogentles modèles nationaux de reconnaissance de la diversité eth-nique (Wade, 1997; Guimarães, 2002), les processus deségrégation et d’inclusion/exclusion (Barbary et Urrea, 2004;Telles, 2004), l’émergence de nouveaux acteurs sociaux etleurs relations à l’État (Escobar, Pedrosa, 1996; Pardo, 2001),la mise en place de politiques raciales et ethniques (Han-chard, 1999; Maio et Santo, 2005).

Dans ce cadre, il nous semble fécond de prendre encompte la multiplicité des réponses qui sont apportées auxdiverses formes du racisme contemporain dans différentscontextes socio-historiques, à partir d’une analyse des pro-cessus de territorialisation. L’espace ethnicisé a-t-il la mêmesignification d’un contexte à l’autre? Repose-t-il sur desdynamiques socio-historiques comparables (marges natio-nales, enclaves, ghettos urbains, banlieues)? En particulier,au-delà de la diversité d’expression de ces dynamiques, com-ment le territoire a-t-il été instrumentalisé dans ce passaged’une assignation identitaire stigmatisante à la reconnais-sance des identités plurielles (et vice versa)?

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5. «Le réveil des Garifuna», Télérama,16 avril 2008.

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Les espaces ethnicisés dansles Amériques: entrecontraintes et émancipation

En considérant les identifications«noires» comme des processus en recompo-sition permanente et les espaces comme desproduits sociaux fortement investis d’unedimension politique, nous nous appuyonsci-après sur trois exemples latino-améri-cains, ainsi que sur les cas états-unien etfrançais de relation entre identification etespace, pour montrer que, loin d’être essen-tielles et intrinsèquement territorialisées,les identités sont instrumentalisées sur leplan politique.

Historiquement, la racialisation des rap-ports sociaux aux États-Unis a contribué àproduire, figer et essentialiser une altérité enpartie à l’origine de processus de discrimina-tion, de minorisation et de relégationdurables à l’encontre des Noirs (Wacquant,1997). Ces dynamiques se sont traduites,dans les territoires urbains, par les logiquességrégatives du ghetto, voire de l’hyper-ghetto (Massey, Denton, 1993). En réponse,la catégorisation ethno-raciale créée dans lamouvance des droits civiques a repris lesschèmes anciens en les subvertissant. Elle anotamment conféré une nouvelle visibilitéaux populations noires racialisées, en leurfournissant le cadre institutionnel de leurintégration politique via la législation sur ledroit de vote des années 1960.

L’innovation réside dans l’accession aupouvoir de représentants de la communauténoire à l’aide de la constitution de territoiresélectoraux ethniques (redistricting). Il s’agitde faire correspondre les circonscriptionsélectorales à la géographie résidentielle despopulations minoritaires afin d’assurer unereprésentation équitable de la minorité noire(Audebert, 2008).

L’expérience des Noirs états-uniensmontre que la ségrégation spatiale, combi-née à l’institutionnalisation des catégoriesraciales, a joué en faveur de leur ascensionpolitique. Elle a mis en lumière le lien entreconcentration résidentielle et représentationélectorale. Les villes accueillant les quartiersnoirs parmi les plus importants et les plusségrégués du pays sont aussi les premières àavoir élu des maires noirs : Gary en 1967,Détroit et Atlanta en 1973, Washington en1975.

À deux décennies d’intervalle, cetteexpérience originelle de prise en charge ins-titutionnelle d’une identification noire à desfins de reconnaissance politique, avec poursupport le territoire, est reproduite en Amé-rique latine. Elle se décline néanmoins selondes formes différentes et revêt des significa-tions sociales variées. L’exemple mexicainmontre ainsi que les représentations collec-tives et politiques tendent à naturaliser lespopulations noires, associées aux terreschaudes (terres basses et côtières du Guer-rero et du Oaxaca), tout en formulant uneinterprétation culturelle de cette présence«résiduelle» d’origine africaine. Cette visionsyncrétique, qui amalgame nature et culture,passe sous silence les logiques géo-histo-riques de cette présence, qu’il s’agisse del’origine migratoire cubaine de ces popula-tions arrivées au XIXe siècle, ou de leur distri-bution spatiale non aléatoire le long desfleuves, et à proximité des centres urbains etdes ranchos ganaderos.

En Colombie, dans le cadre de la révisionde la Constitution et de la mise en place depolitiques publiques multiculturelles, desdroits ont été attribués, dans le domainefoncier et dans ceux de l’éducation et de lasanté, à des populations sur la base de leuridentification comme «noires» et leur locali-sation géographique. La reconnaissance offi-cielle de territoires collectifs des

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communautés noires riveraines du Pacifique,au début des années 1990, révèle une inter-prétation politique de l’accès aux droits sousune forme spatialisée. Cette associationentre identification et territorialisation placeà l’arrière-plan les fondements historiquesde la géographie régionale des populationsnoires colombiennes: ceux de la construc-tion d’une nation excluante, où le Pacifiqueet la Caraïbe ont été marginalisées et tenuesà distance de l’intérieur andin.

L’association traditionnelle Noirs-esclaves-plantation au Brésil a, dans unpremier temps, servi une représentation dela nation érigée en modèle de «démocratieraciale », dans laquelle l’articulation entresituations de domination et de coexistencequotidienne sous-tendait l’idée d’unesociété racialement harmonieuse (Freyre,1997). Puis, à partir des années 1980, l’as-sociation entre espace et identité a étéreprise en subvertissant les termes del’équation, à des fins d’émancipation. Avecla reconnaissance de la forte discriminationet du racisme institutionnel vis-à-vis deNoirs en proie à un exode rural massif et àune ségrégation persistante, des droits ter-ritoriaux ont été accordés. L’action affirma-tive en milieu éducatif s’est déployée,notamment dans les enclaves héritées del’époque du marronnage (Quilombos). Defacteur de réclusion, l’espace est devenuémancipateur.

La racisation commefondement dela stigmatisation dansle contexte postcolonialfrançais

Les quatre contextes américains évoquésont pour dénominateur commun la pratiquepassée de l’esclavage sur leur sol, et une

empreinte durable de cet héritage historiquedans les rapports sociaux et les territoires.L’espace racialisé est convoqué pour expli-quer le passé et justifier le contemporain. Laterritorialisation est synonyme d’émancipa-tion, ou au moins de reconnaissance. Il en vadifféremment dans le contexte français, oùla montée en puissance du recours auregistre racial va de pair avec une stigmati-sation des populations minoritaires en géné-ral, et noires en particulier.

Les processus de catégorisation ethnici-sants et racisants peuvent être analyséscomme révélateurs de l’évolution des rap-ports interethniques dans la France contem-poraine, en les replaçant dans le contextedes changements de référentiel des poli-tiques publiques et privées. Depuis la fin desannées 1950, le relatif discrédit du racismebiologisant, après la chute du nazisme,cumulé aux indépendances africaines et à ladépartementalisation des vieilles colonies,avait contribué à ce que les catégories eth-niques (Antillais, Africains) deviennent plusacceptables dans les discours publics que lacatégorie «Noirs». Et c’est sur cette base ques’étaient constituées de nombreuses asso-ciations locales territorialisées au cours desdernières décennies.

Mais depuis la fin des années 1990, dansun contexte de remise en question des dis-cours officiels sur l’« intégration» et d’émer-gence des thématiques de la lutte contre lesdiscriminations, puis de promotion de l’éga-lité des chances et de la diversité, on assisteà une évolution de ce statu quo, qui se mani-feste par un double phénomène: une mon-tée en puissance des mobilisations pour lesdroits des «peuples noirs» à l’échelle natio-nale; un recours de plus en plus ouvert auregistre de la « race» dans les discourspublics. Dans les deux cas, la mémoire de latraite et de l’esclavage a joué un rôle impor-tant dans ces évolutions.

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Ce changement de registre catégorielsoulève l’hypothèse du passage d’une ethni-cisation à une racisation des populationsdésignées comme noires, se traduisant parune transformation de leur mode de traite-ment qui reflète l’évolution des référentielspolitiques. L’ethnicisation, en se référant àde la culture, de l’acquis, et donc à quelquechose qui peut être modifié, est fonction-nelle dans le cadre des politiques d’intégra-tion caractérisées par des injonctions àl’assimilation. La racisation, parce qu’elle estfondée en nature, n’appelle pas l’assimila-tion mais la contention et le confinement.Elle est fonctionnelle dans le cadre des poli-tiques sécuritaires, mais aussi dans la miseen scène des politiques patronales de la«diversité». Et, de même que ces différentsréférentiels se cumulent et se combinent, lesprocessus de racisation et d’ethnicisationcoexistent (Poiret, 2010).

La légitimité croissante de l’usage de lacatégorie «Noirs» dans l’espace public estdévoilée par la constitution des «Noirs» enproblèmes politiques et sociaux, à travers ladouble thématique du communautarisme etde la dangerosité6 ; et par un changement delocuteurs depuis 2004 avec la prise encharge du débat par les intellectuels. À ladifférence des exemples américains quenous avons abordés, le territoire n’est pasofficiellement investi d’une dimension insti-tutionnelle à des fins de catégorisation eth-nique ou raciale des populations dans lecontexte républicain français. Il n’en est paspour autant absent, et joue même un rôlemajeur dans les perceptions et les discoursqui, dans un contexte sécuritaire, amalga-ment populations «à problèmes» (issues del’immigration, descendantes d’esclaves ouconstruites comme telles) et quartiers «diffi-ciles» (quartiers populaires). Les «banlieues»,mais aussi les espaces centraux parisienspratiqués par des groupes de jeunes d’origine

antillaise ou africaine (Gare du Nord, Châte-let-les-Halles), sont convoqués dans lesreprésentations d’acteurs politiques etmédiatiques produisant des effets de racisa-tion – souvent synonymes de stigmatisation– des populations «noires».

au-DELà DEs LoGiquEs DEraCiaLisaTioN : DEs NiVEauxD’iDENTiFiCaTioN MuLTipLEs

Des registres identitairesmultiples

L’analyse des catégories identificatoiresdes populations afrodescendantes de laCaraïbe doit être replacée dans le contextedes modalités de l’insertion de la Caraïbedans les réseaux de la mondialisation, et enparticulier dans le cadre des relations asy-métriques entre le bassin caribéen et lesÉtats-Unis. Les occupations militaires répé-tées et prolongées, l’importation massive deproduits nord-américains de consommationcourante dans le cadre d’accords internatio-naux bilatéraux, les émigrants de retour duNord ainsi que l’implantation sous toutes sesformes du tourisme international dans laCaraïbe se sont accompagnés de la diffusiondes modes de vie et des valeurs culturellesétats-uniens dans la région.

Des marqueurs identitaires majeurs telsque les pratiques culinaires, les modes vesti-mentaires et la création artistique (musique,danse) s’en sont trouvés remarquablementtransformés. Cette tendance a connu unnouveau saut qualitatif avec la progressiondes chaînes états-uniennes câblées et parsatellite, qui se sont parfois substituées defait aux chaînes locales, comme à Saint-Martin. Les images véhiculées via les films,les émissions grand public et les chaînes

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d’information ont profondément influencé la vision dumonde extérieur des Antillais, partiellement réévaluée auprisme de l’évolution des relations entre les États-Unis et lereste du monde. Mais ces images ont surtout participé à l’in-tégration progressive par les Antillais des schèmes de caté-gorisation raciale et ethnique opératoires aux États-Unis etdans d’autres pays du Nord.

Dans ce processus, la force des dynamiques migratoireset les incidences de la nature même des contextes de migra-tion nord-américains et européens ne sont pas à sous-esti-mer. C’est en effet dans ces espaces métropolitainscosmopolites et segmentés, au contact d’autres populationslocales ou migrantes racisées, que les Afrodescendants de laCaraïbe ont pris conscience de ce que signifiait être Noir surle plan social et politique. En même temps, c’est aussi làqu’ils ont pris conscience de ce qui les singularisait desautres populations catégorisées comme noires (Audebert,2006). Les registres d’identification raciaux se déclinent dif-féremment en fonction des contextes nationaux d’installa-tion, et expriment la manière dont se construisent lesrelations entre minorités et majorité. Ils expriment aussi lesspécificités historiques de leur genèse.

Être Africain-Américain aux États-Unis, c’est parexemple à la fois revendiquer une filiation avec l’Afrique, sepositionner en tant que descendant d’esclave et héritier derelations interraciales problématiques porteuses de domina-tion et de marginalisation. Être Noir en France, c’est trans-cender les particularités de l’origine géographique –antillo-guyanaise, africaine, réunionnaise ou néo-calédo-nienne – pour se situer dans l’histoire coloniale et post-colo-niale française, et dans la représentation de ses effets sur laconstruction de l’altérité et du «vivre ensemble». Être blackBritish, c’est, outre se prêter au jeu des catégories du recen-sement, opérer un retournement du stigmate et mettre enavant son identité racialisée, à des fins de reconnaissanced’une citoyenneté pleine et entière dans la société britan-nique.

À un autre niveau, la migration en tant que telle parti-cipe à la construction des identités ethniques, par le jeuconjoint des relations de proximité-distance entre migrantset non-migrants et des dynamiques transnationales alimen-tant les solidarités, liées à l’origine nationale et insulaire. Lespopulations afrodescendantes à New York sont au moinsautant sinon davantage noires-étatsuniennes, caribéennes

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6. Cette accusation développéeautour de la mémoire de la traite etde l’esclavage débute en 1998 avec lacommémoration du 150e anniversairede l’abolition de l’esclavage et cul-mine avec la crise des banlieues en2005 (Poiret, 2010).

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ou africaines subsahariennes qu’elles sontnoires. Les migrants antillais et africains sedistinguent d’ailleurs souvent des Noirsétats-uniens dans leurs stratégies d’ascen-sion sociale et de représentation politiquelocale.

Les populations migrantes de Paris res-tent antillaises, réunionnaises ou africainesavant d’être noires. Et, de même que lesCaribéens de Paris sont Martiniquais, Gua-deloupéens ou Haïtiens avant d’êtreAntillais, les Africains peuvent s’identifier,selon les circonstances, comme Ivoiriens,Sénégalais ou Congolais plutôt que commeSubsahariens. Les tensions entre Antillais etAfricains sont en partie redevables desconditions de la migration et de processusd’insertion socioprofessionnelle distincts –citoyens français largement positionnésdans le secteur public d’un côté, étrangersinsérés dans les emplois mal payés des ser-vices et de l’industrie de l’autre.

La catégorie «Noirs» est loin de désignerun groupe homogène en France et l’on peutconstater que des stratégies de distinction,notamment entre originaires des Antilles etd’Afrique, se poursuivent. Les manifestationsmilitantes de la commémoration du cent-soixantième anniversaire de la seconde abo-lition, en mai 2008, à Paris, en ont donnéune bonne illustration: dans un même cor-tège, le Conseil Représentatif des Associa-tions Noires de France (CRAN), dirigé par unFrançais d’origine africaine, défilait contreles préjugés et pour la diversité, tandis que,se tenant à bonne distance, les associationsantillaises Génération Consciente et Tro-pique FM manifestaient en hommage auxancêtres réduits en esclavage et à leur lutte.Cet éclatement des acteurs engagés dansdes actions commémoratives illustre bien lesdivergences quant au sens et aux enjeuxattachés à l’usage de cette mémoire commearme politique, et l’hétérogénéité du groupe

désigné par la catégorie «Noirs» dans lecontexte français.

Enfin, les processus identificatoires deces populations sont traversés par d’autreslogiques plus fines, liées aux constructionsethniques des pays d’origine et à leur iden-tité linguistique, comme en témoigne lecroisement des identités ethniques et géo-graphiques des Caribéens de Grande-Bre-tagne (Afro-Caribéens, Indo-Caribéens). Laligne de partage linguistique apparaît trèsprésente dans les contextes nord-améri-cains. Au Canada, les Caribéens anglophones(Jamaïcains surtout) n’entretiennent quepeu de relations avec les Caribéens créolo-phones et francophones venus d’Haïti. AuxÉtats-Unis, la solidarité pancaribéenne n’ajamais véritablement pris forme entre desLatino-Caribéens se définissant comme his-paniques, et des Caribéens anglophones etcréolophones reprenant à leur compte lacatégorie West Indian qu’il faut comprendrecomme le groupe des non Hispanic Carib-bean.

De même, l’allégeance aux communau-tés historiques et linguistiques des Africainsde Paris, de Londres ou de Washington(Soninké, Bambara, Wolof, Haoussa, etc.)prend souvent davantage de sens dans la viequotidienne et dans le maintien des réseauxcommunautaires que l’identité racialisée ounationale.

La ville globale,un laboratoire de l’interactionentre populations noiresethnicisées

Les villes globales d’Europe occidentaleet d’Amérique du Nord apparaissent commeles meilleurs laboratoires pour l’observationdes relations entre différents groupes depopulations catégorisées comme noires.

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Ces centres urbains mettent en effet en co-présence lespopulations noires les plus diverses, locales et migrantes.La rencontre de populations noires venues de divers hori-zons permet d’observer les modalités de l’interaction, c’est-à-dire à la fois de l’articulation et de la compétition entreces différents groupes incarnant différents niveaux d’iden-tification. Il est évidemment impossible de passer ici enrevue l’ensemble des situations de ces villes globales. Nousnous focaliserons donc sur les métropoles qui concentrentles populations afrodescendantes les plus diverses et cos-mopolites : celles situées sur la côte atlantique des États-Unis.

Les populations noires y ont des revenus inférieurs d’unbon tiers (34000 $) à celui des populations blanches. Pourautant, les positions socio-économiques des différentsgroupes ethno-culturels qui composent cette catégorie noiresont loin d’être homogènes: les Antillais et Africains ont desrevenus supérieurs de 20 % à ceux des Noirs états-uniens, etle taux de chômage des Africains est deux fois inférieur àcelui de ces derniers (Deane, Logan, 2002). Celui des Latino-Américains s’auto-identifiant comme noirs est en positionintermédiaire entre Noirs locaux, d’un côté, et Noirs de laCaraïbe et d’Afrique de l’autre. À l’évidence, en dépit de per-ceptions collectives considérant les populations noirescomme un tout homogène ayant pour effet de les racialiser,les groupes concernés présentent une hétérogénéité d’expé-riences et de situations sociales.

La théorie de l’assimilation segmentée défend l’idéed’une large installation d’immigrants noirs dans des quar-tiers où vivent une majorité de Noirs états-uniens (Massey etDenton, 1993). Les nouveaux venus d’Afrique et de laCaraïbe reproduiraient donc le schéma traditionnel de ségré-gation raciale, en cohabitant avec la minorité noire déjà surplace et en ne s’installant pas dans les quartiers blancs. Si ceschéma semble en apparence valide à l’échelle des métro-poles, avec des secteurs résidentiels noirs et blancs encorebien distincts, à une échelle plus fine – celle des quartiersnoirs en question – la situation semble beaucoup moinstranchée. Les indices de ségrégation des Antillais et Africainsvis-à-vis des Noirs états-uniens restent élevés, respective-ment de 42 et 59 (Deane, Logan, 2002)7. Les Africains ontd’ailleurs une probabilité deux fois plus élevée de cohabiteravec des Blancs qu’avec des Noirs aux États-Unis, et ilsvivent dans des quartiers dont les caractéristiques socio-

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7. Cela veut dire statistiquement qu’ilfaudrait que 42 % des Antillais et59 % des Africains changent de quar-tier pour que la répartition spatialedes deux groupes respectifs soit com-parable à celle des Noirs états-uniens.

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économiques des habitants sont compa-rables à celles des quartiers à majoritéblanche.

Ces métropoles internationales, au pre-mier rang desquelles New York et Miami,s’avèrent être des terrains d’affrontementmajeurs entre groupes noirs ethnicisés sur lemarché du travail et dans l’arène politique.Les migrants antillais entrent notamment enconcurrence directe avec les Noirs états-uniens dans le secteur des services peurémunérés (entretien, restauration, sécurité,taxis, services à la personne), générant occa-sionnellement des tensions. Sur le plan poli-tique, l’expérience partagée de formes dediscrimination et de problèmes sociaux com-parables, et celle d’un vote très majoritaire-ment démocrate, n’empêchent pasl’ethnicisation des stratégies électorales(Audebert, 2006). En effet, certaines préoc-cupations politiques antillaises n’intéressentque peu les leaders de la communauté noirelocale: la mise en place d’une politiquemigratoire plus favorable à leurs compa-triotes, l’influence sur le gouvernementfédéral pour peser sur la politique vis-à-visdu pays d’origine et la défense des intérêtsspécifiques de la communauté dans lasociété d’installation8.

CoNCLusioN

La naturalisation des rapports sociaux etla biologisation des identités, comme formede légitimation de processus de dominationet de hiérarchisation sociale en contextecolonial, ont pesé durablement sur le destindes populations afrodescendantes et sur lemaintien dans le temps de logiques raciali-santes. Les contingences historiques ne doi-vent cependant pas faire oublier le rôle de lamobilité contemporaine des idées et desproduits dans les processus identificatoires

analysés. Au-delà des héritages historiques,quelle place accorder à la mondialisationdans ces constructions identitaires inno-vantes? L’analyse des conditions locales deproduction des identifications afrodescen-dantes ne peut se faire sans une remise encontexte plus globale, où l’ethnicité sembles’inscrire dans un espace transnational decirculation des catégories d’appartenance etde consommation globalisée de signes cul-turels. La véritable nouveauté réside peut-être ici dans une approche croisant lestransmissions culturelles sur le temps longavec les dynamiques de circulation dans l’es-pace à l’échelle planétaire.

Un regard croisé entre l’Europe et lesAmériques nous apprend aussi que cetteapproche globale ne disqualifie pas pourautant les territoires, qui offrent uneéchelle privilégiée pour l’observation et lacompréhension de la manière dont s’articu-lent globalisation des identités et identifi-cations locales. Le passage éventuel del’enfermement à la reconnaissance, de lastigmatisaton à la valorisation, se fait àtravers l’action concomitante de forcespolitiques et économiques qui nous invitentà la plus grande prudence vis-à-vis desschèmes de pensée binaires, opposantnotamment fondements culturels et poli-tiques des identités noires.

Nos deux programmes de recherchemontrent que les dynamiques sociales d’eth-nicisation et de reconnaissance culturelle,sociale et politique des populations afrodes-cendantes ne sont ni la consécration éman-cipatrice des mobilisations de cespopulations – puisque l’institutionnalisationde la différence culturelle ne remet pas encause la persistance de la hiérarchisationsocio-raciale et de la discrimination –, ni lesupposé danger communautariste quimenacerait de fragmentation les démocra-ties occidentales. En dépit de sa performati-

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vité politique bien réelle, ce processus politique n’est nilinéaire, ni inéluctable.

Chacun des contextes analysés (territorialisation éman-cipatrice, naturalisation transformée en dérive culturelle,localisation légitimatrice de droits, territorialisation stigma-tisante) révèle qu’il n’y a pas de relation «naturelle» entreidentification et espace, que le territoire est un produit his-torique susceptible de reconstructions contemporaines etqu’il est source à la fois de contrainte et d’émancipation. Laracialisation des identités ne doit d’ailleurs pas masquer lamultiplicité des référents identitaires dont disposent lespopulations catégorisées comme noires, qui varient làencore en fonction des contextes et des situations. L’articu-lation permanente entre références identitaires afrodescen-dantes et stato-nationales est mise en lumière par lamanière dont les mobilisations des populations «noires»questionnent les fondements idéologiques des constructionsétatiques, sans pour autant remettre en cause les identifica-tions à la nation.

Pour être bien comprise, la dimension raciale des identi-fications des populations afrodescendantes doit être repla-cée dans le contexte politique et socio-historique qui aprésidé à sa construction. Surtout, l’expérience sociale etspatiale des populations noires des Amériques porte à appré-hender leurs processus identificatoires comme des va-et-vient permanents entre logiques de racialisation et logiquesd’ethnicisation, exprimant le jeu conjoint de forces poli-tiques, culturelles et économiques qui se nourrissent plusqu’elles ne s’opposent. C’est notamment ce qu’expriment lesexpériences de co-présence des populations afrodescen-dantes dans les villes globales. �

Cédric auDEBErT, Elisabeth CuNiN,odile HoFFMaNN, Christian poirET

CÉDRIC AUDEBERT, docteur en géographie de l’université desAntilles et de la Guyane (2003) et chargé de recherche au CNRSdepuis 2005, est directeur adjoint de l’unité mixte de rechercheMigrations Internationales Espaces et Sociétés (MIGRINTER). Iltravaille sur la territorialisation des migrations caribéennes, àpartir d’un questionnement sur leur contexte géopolitique,géoéconomique et historique, et sur leurs incidences sociales etspatiales dans les métropoles d’installation aux États-Unis et enEurope. Il est membre co-fondateur du CIRESC (CNRS). Il a co-fondé et dirigé la revue de laboratoire en ligne e-migrinter dejanvier 2007 à janvier 2013. Il a récemment publié La diasporahaïtienne : Territoires migratoires et réseaux transnationaux(Presses Universitaires de Rennes, 2012), et Migration in A Glo-

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8. Ces jeux de distinctions politiquespeuvent se retrouver à front renversédans le contexte français, où les orga-nisations antillaises ne partagentgénéralement pas les préoccupationsde leurs homologues africainesconcernant les questions de politiquemigratoire et de politique internatio-nale.

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balised World : New Research Issues andProspects (Amsterdam University Press,2010).

ELISABETH CUNIN, docteur en sociologie del’Université de Toulouse-Le Mirail (2000),chargée de recherche à l’Institut de Recherchepour le Développement (IRD), est actuellementrattachée à l’Unité de Recherche Migrations etSociété (URMIS) à l’Université Nice SophiaAntipolis. Ses thèmes de travail portent sur lesdynamiques de métissage et la constructiondes catégories ethnico-raciales dans le cas despopulations afro-descendantes en Colombie,au Mexique et au Belize. Elle a coordonné leprogramme ANR-AIRD Afrodesc «Afrodescen-dants et esclavages: domination, identifica-tion et héritages dans les Amériques (XVe-XXIe

siècles)» (http://www.ird.fr/afrodesc) et parti-cipé au programme européen EURESCL. Elleest membre du bureau du Centre Internationalde Recherche sur les Esclavages, CIRESC. Der-nier ouvrage paru: Elisabeth Cunin (coord.),Mestizaje, diferencia y nación. «Lo negro» enAmérica Central y el Caribe. México, INAH-UNAM-CEMCA-IRD, Colección Africanía,2010.

ODILE HOFFMANN, docteur en géographie del’Université de Bordeaux-III (1983), directricede recherche à l’IRD, est actuellement ratta-chée à l’URMIS, dont elle est Directriceadjointe, à l’Université Paris 7-Denis Diderot.Ses thèmes de travail portent sur les dyna-miques agraires et les identifications ethnico-raciales dans le cas des populationsafro-descendantes en Colombie, au Mexiqueet au Belize. Elle a coordonné plusieurs pro-grammes internationaux, publié des ouvragesen français et en espagnol, dirigé des thèses,et participe à des Comités de rédaction.www.odilehoffmann.com

CHRISTIAN POIRET est maître de conférences(HDR) en sociologie à l’Université Paris-7-Denis Diderot, chercheur à l’URMIS et direc-teur de la spécialité de Master Migrations etRelations Interethniques. Ses recherches deterrain ont porté notamment sur les migra-tions d’Afrique subsaharienne en France, sur leracisme et les discriminations subis par lespopulations ethnicisées ou racisées dans lessituations de travail et de péri-travail, sur laproduction et l’usage institutionnels des caté-gories de l’altérité et sur l’articulation des dif-férents rapports sociaux de domination (de

classe, de sexes, interethniques). Il travailleactuellement sur l’émergence de la catégorie«Noir» en France et sur le vécu des discrimi-nations. Parmi ses publications récentes, «Lesprocessus d’ethnicisation et de raci(ali)sationdans la France contemporaine : Africains,Ultramarins et ‘Noirs’», Revue Européenne desMigrations Internationales, Vol 27, n°1/2011,107-127; «Comment devient-on «Noire»? Lesprocessus de minorisation comme violence»,in AbouNdiaye & Dan Ferrand-Bechmann, dir.,Violences et société — Regards sociologiques,Desclée De Brouwer, 2010, p. 195-214.

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Audebert C., Cunin Elisabeth, Hoffmann Odile, Poiret C. (2013)

Altérité et rapports à l'espace des populations "noires" : regards

croisés entre l'Europe et les Amériques

In : Friedman S. (coord.) Jardins.

Diasporas, (21), 173-192. ISBN 978-2-8107-0240-4