RÉFUGIÉ ou migrant?

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POURQUOI CETTE QUESTION COMPTE N U M É R O 1 4 8 V O L U M E 4 2 0 0 7

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POURQUOICETTE QUESTION

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É D I T O R I A L

L a question est dépourvue de pertinence

au moment où a été prise la photo qui apparaît encouverture de ce magazine. Quelle que soit l’identité decet homme, il mérite d’être secouru — et c’est précisémentce que s’efforcent de faire ces garde-côtes, après que le

bateau qui le transportait, bondé de candidats à l’immigration, aitchaviré au large des côtes méridionales de l’Espagne, causant lamort par noyade de plusieurs passagers, dont au moins deuxfemmes enceintes.

Mais, une fois en sécurité sur la rive, la question de savoir s’il estun réfugié ou un migrant pourrait bien ressurgir rapidement.

En tant que réfugié fuyant les persécutionsou un conflit armé, cet homme aurait droit à la«protection internationale» dans un paysd’asile — dans le cas présent, probablementl’Espagne. Mais si les motifs de sondéplacement étaient d’ordre financier — mieuxgagner sa vie —, alors il entrerait dans lacatégorie des migrants économiques et seraitprobablement renvoyé dans son pays.

Ce jugement, beaucoup de pays à travers lemonde le portent chaque jour sur des casindividuels en nombre variable.

Parfois, la décision est relativement simple àprendre, parfois elle s’avère très difficile.Plusieurs pays génèrent de nombreux migrantséconomiques et quelques rares réfugiés. Mais ilsen produisent quand même quelques-uns, et ilincombe aux juges statuant en matière d’asilede les identifier. Certains requérants d’asilesans papiers sont des réfugiés, alors que d’autresrequérants se déplaçant avec des titres devoyage en règle n’en font absolument paspartie. Il y a des gens capables de raconter avec conviction unehistoire inventée de toutes pièces, et d’autres racontant mal unehistoire vraie, voire pas du tout (car elle est trop douloureuse oupersonnelle).

Et il existe une zone intermédiaire: celle des individus quiquittent un pays où les persécutions et les discriminationsconstituent des faits avérés, et où la situation économique estdésastreuse. Ces gens partent-ils parce qu’ils ont de véritablesraisons d’aller chercher refuge ailleurs ou pour des motifséconomiques — ou ces deux raisons fusionnent-elles, au point de lesrendre, comme dans de nombreux cas, presque indissociables?

Et qu’en est-il des personnes qui partent pour des raisons liéesau fait qu’elles sont des réfugiés, mais qui continuent ensuite à sedéplacer pour des motifs d’ordre économique (formant ce que l’onappelle les «mouvements secondaires») ? La poursuite de leurdéplacement peut être justifiée, ou pas, selon ce qui se trouve entre

leur pays d’origine et celui où elles déposent finalement leursdemandes d’asile.

Bien entendu, les mouvements de populations ne sont pasnouveaux. Les migrations humaines, pour des motifs divers, ontexisté à toutes les époques. Et si nous remontions suffisammentloin dans l’histoire de nos ancêtres, nous découvririons que, tous,nous venons d’un autre lieu.

Les migrations volontaires —économiques ou autres — nedevraient pas être nécessairement perçues comme néfastes,comme c’est malheureusement souvent le cas. Les migrantscomblent souvent un manque de main d’œuvre, plutôt qu’ils ne

prennent les emplois d’autres travailleurs.Ils constituent pourtant le bouc émissaireidéal pour expliquer les maux de la société,et leur contribution est fréquemmentcachée, ou ignorée.

Les questions connexes de la migrationet de l’asile n’ont sans doute jamais étéautant débattues (et confondues)qu’aujourd’hui. Cela provient peut-être del’augmentation du nombre de personnesqui se déplacent ; ou du fait que la planète,ou certains pays, ont l’impression d’êtresurpeuplés; ou pour tout un tas d’autresraisons, réelles ou imaginaires.

Alors que nous avançons dans le XXe

siècle, la situation risque de se compliquerencore, avec davantage de personnescontraintes, d’une manière ou d’une autre(à cause de guerres, de changementsclimatiques ou économiques), de quitterleurs racines et leur foyer.

Plus de 200 millions de personnesvivraient déjà en dehors de leur pays d’origine. Peu d’entre ellessont des réfugiés. Pourtant, il est toujours aussi important deprendre la peine de les détecter.

Affaiblir les systèmes permettant d’identifier les réfugiés etd’empêcher qu’ils ne soient renvoyés chez eux reviendrait, danscertains cas, à couper la corde qu’utilisent les garde-côtes encouverture de ce magazine. Cela devrait être inconcevable, et çal’est, en effet, lorsque l’on considère les demandeurs d’asile et lesréfugiés comme des êtres humains.

Mais lorsqu’ils sont réduits à de simples données statistiques etévoqués en des termes péjoratifs (en parlant de «marée», de«vagues», de «flots ininterrompus» et en recourant à d’autresmétaphores marines dont l’utilisation n’est pas sans ironie, vu lenombre de migrants et de réfugiés potentiels qui meurent en senoyant), il devient brusquement beaucoup plus facile de les rejeteret de les ignorer.

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Un homme repêché en Méditerranée.Migrant ou réfugié ? Il est trop tôt pour ledire.

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RédacteurRupert Colville

Édition françaiseCécile Pouilly

Ont contribuéAngel Suárez, Anja Klug, FrancescaFontanini, Giulia Laganà, Ligimat Perez,Nazli Zaki et le personnel de l’UNHCR dansle monde.

Secrétariat de rédactionManuela Raffoni

IconographieSuzy Hopper, Anne Kellner

DesignVincent Winter Associés, Paris

ProductionFrançoise Jaccoud

DistributionJohn O’Connor, Frédéric Tissot

Gravure photosAloha Scan, Genève

Cartes géographiquesUnité de cartographie de l’UNHCR

Documents historiquesArchives de l’UNHCR

RÉFUGIÉS est publié par le Service del’information et des relations avec les médias duHaut Commissariat des Nations Unies pour lesréfugiés. Les opinions exprimées par les auteursne sont pas nécessairement partagées parl’UNHCR. La terminologie et les cartes utiliséesn’impliquent en aucune façon une quelconqueprise de position ou de reconnaissance de la partde l’UNHCR quant au statut juridique d’unterritoire ou de ses autorités.

RÉFUGIÉS se réserve le droit d’apporter desmodifications à tous les articles avantpublication. Les photographies avec la mention«UNHCR» peuvent être librement reproduites, àcondition d’en mentionner la source (l’UNHCRet le photographe). Les photographies aveccopyright © n’appartiennent pas à l’UNHCR etne peuvent être reproduites sans l’autorisation del’agence créditée.

Les versions française et anglaise sontimprimées en Italie par AMILCARE PIZZIS.p.A., Milan.

Tirage : 121 000 exemplaires en anglais, arabe,espagnol, français et italien.

ISSN 0252-791 X

Photo de couverture :Des garde-côtes portent secours à unmigrant, ou à un réfugié, au large des côtesméridionales de l’Espagne.© REUTERS/A. MERES/ESP•2002

Dos de couverture :Certains migrants sont grièvement blessés,ou même tués, alors qu’ils tentent detraverser les frontières.© SERGIO CARO/MAR•2005

UNHCRCase postale 25001211 Genève 2, Suisse

www.unhcr.fr

4Les États ont de plus en plus de mal à faire la différenceentre réfugiés et migrants.

12 P I R E Q U E D E S R E Q U I N SLa cruauté des trafiquants opérant entre la Somalie et leYémen est sans limite.

15 L E D I L E M M E D U M A L AW IBeaucoup de réfugiés et de migrants ne restent quebrièvement sur place et poursuivent leur route en directionde l’Afrique du Sud.

16 L A G R A N D E B L E U ELes politiques de lutte contre l’immigration, conjuguées àl’irresponsabilité des passeurs et à de froids calculséconomiques pourraient mettre en danger des vies en mer.

22 É N I G M E S D E S C A R A Ï B E SChaque année, des milliers de personnes originaires de larégion — et d’ailleurs — tentent de gagner les États-Unis parles Caraïbes.

23 L A M I G R A T I O N V E R S L E N O R DLa route vers les États-Unis via le Mexique est jalonnée dedangers pour les réfugiés comme pour les migrants.

25 C O N T R Ô L E V S P R O T E C T I O NAu sein de l’UE, un changement très net a été opéré, lapriorité ne portant plus sur la protection des réfugiés maissur l’arrêt des migrations irrégulières.

29 D É R O U T É S S U R N A U R ULa différence de traitement accordé aux personnes enfonction de leur mode d’arrivée est devenue un élémentcentral de la politique d’asile australienne.

31 L A T O L É R A N C E S U F F I T - E L L E ?Seuls quelques pays asiatiques ont établi des systèmes d’asileofficiels.

E N C O U V E R T U R E

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4Les migrants et lesréfugiés empruntent lesmêmes routes, prennent

les mêmes risques.

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22Protéger les réfugiésdans les Caraïbes estun défi.

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25Il est difficile pour les réfugiés de trouverla sécurité à cause des

contrôles d’ immigration.

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PA R J E F F C R I S P

e 13 septembre, des garde-frontières polonais, entrain de faire leur ronde dans la zone monta-gneuse proche de la frontière avec l’Ukraine, ontdécouvert une femme tchétchène. Bouleversée,

le visage émacié, elle tenait dans ses bras un petit garçonde deux ans. Elle a supplié les garde-frontières d’alleravec elle chercher ses trois filles, restées en arrière pen-dant qu’elle était partie chercher des secours. Quelquesheures plus tard, vers minuit, ils ont retrouvé les corpsdes trois fillettes, âgées de 13, 10 et 6 ans, blotties les unes

DISTINCTLES ÉTATS ONT DE PLUS EN PLUS DE DIFFICULT

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contre les autres et recouvertes de feuilles de fougère. Vêtues d’habitsd’été, les petites étaient mortes d’hypothermie, après avoir passé qua-tre jours à errer dans les montagnes, désorientées.

Pendant qu’elle recevait des soins à l’hôpital, leur mère, KamisaJamaldinova, a dit aux enquêteurs polonais qu’elle avait payé 2 000

dollars à des passeurs basés à Moscou, pour qu’elle et sa famille puis-sent se rendre en Autriche. Mais une fois arrivés à la frontière, leurguide leur a simplement indiqué la direction de la Pologne et les aabandonnés à leur sort — alors que les températures chutaient auxalentours de zéro degré dans les montagnes de Bieszczady.

Dans denombreux payscomme lesÉtats-Unis, dansles ports de laMéditerranéeet dans le nordde la France, lessystèmesd’imageriethermique etpar rayons Xsont désormaisutilisés.

ION vitaleÉS À DISTINGUER LES RÉFUGIÉS DES MIGRANTS

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dre de l’ampleur. Quelles sont les forces à l’origine decette évolution ? Qui sont ces personnes qui se dépla-cent ? Et comment sont-elles affectées par leur voyage?

Les gens se déplacent pour de multiples raisons.Quelquefois, ils fuient les persécutions, les violations desdroits humains ou les conflits armés dans leur pays;selon le droit international, ils peuvent donc être consi-dérés comme des réfugiés.

Plus souvent, il s’agit de migrants qui tententd’échapper aux difficultés et aux aléas de la vie dans despays en développement, caractérisés par des économiesfaibles, un fort taux de chômage, une compétition crois-sante pour des ressources rares et par une mauvaise ges-tion gouvernementale.

Les réfugiés et les migrants voyagent souvent côte àcôte, empruntent les mêmes itinéraires, utilisent lesmêmes modes de transport et ont recours aux servicesdes mêmes trafiquants d’êtres humains pour tenter d’at-teindre les mêmes pays de destination. Ils forment ainsice que l’on appelle des «mouvements migratoiresmixtes».

DES FACTEURS SOCIO-ÉCONOMIQUESCOMPLEXES

Généralement —mais pas toujours — ces

mouvements impliquent des gens qui voyagent de pays pauvres, en proie à l’instabilité, vers des pays plus

Partout à travers le monde, des personnes entre-prennent des voyages longs, périlleux et clandestinssemblables à celui de la famille Jamaldinova. En Asie,par exemple, des membres de la communauté rohingyatentent de passer du Myanmar à la Thaïlande, puis enMalaisie et en Indonésie. Des habitants des pays d’Amé-rique centrale partent en direction du nord, d’abord versle Mexique, puis — s’ils y arrivent — vers les États-Uniset le Canada.

Des Somaliens et des Éthiopiens traversent le golfed’Aden pour rejoindre le Yémen et les États du Golfe,tandis que des ressortissants d’Afrique centrale et del’Est se rendent en Afrique du Sud. Ces dernièresannées, il y a eu aussi un mouvement de plus en plusimportant de personnes qui se déplacent depuis, ou à tra-vers, l’Afrique de l’Ouest vers l’avant-poste le plus méri-dional de l’Espagne, les îles Canaries ; ils se rendentégalement vers l’Union européenne via l’Afrique duNord et la Méditerranée. D’autres pénètrent dans l’UEpar voie terrestre, par le sud-est, en traversant des payscomme la Turquie et les États des Balkans.

DES MOTIVATIONS VARIÉESComme le montrent ces exemples, le phéno-

mène de la «migration irrégulière», dans le cadre delaquelle des gens se déplacent d’un pays et d’un conti-nent à l’autre sans passeport ni visa, est en train de pren-

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Ils avaient un rêve — celui de fuir la misère etla répression politique, et de partir à laconquête d’un nouvel El Dorado à l’autrebout du monde. Parmi eux, pas plusd’Africains, d’Arabes, d’Asiatiques que deLatino-Américains, mais des Européensdésespérés, appauvris par la crise économiquesurvenue après la fin de la guerre civileespagnole (1936-1939).

«Si vous preniez un petit déjeuner, vousn’aviez pas de souper», s’était souvenu JoséAbreu lors d’une interview accordée auxréalisateurs d’un documentaire espagnol*, «la seule issue que [l’on] entrevoyait, c’étaitd’émigrer.» José, décédé en 2006, et son frèreSebastian étaient partis près de cinquante ansauparavant, aux côtés de 169 autres person -nes, à bord du Telémaco, un vieux bateaud’une capacité de 20 passagers. Entamée le 9août 1950, leur traversée de l’Atlantiquedevait durer trente-six interminables jours.

Entre 1946 et 1958, quelque 180 000Espagnols, principalement originaires deGalicie et des îles Canaries, émigrèrent ainsi au

Venezuela, un pays souvent évoqué comme la«8e île » (La Octava Isla) par les habitants del’archipel, en raison de l’ importantecommunauté canarienne qui y réside encoreaujourd’hui. Le Venezuela était loin d’êtrel’unique destination de ces exilés : pour laseule année de 1950, quelque 60 000Espagnols partirent pour l’Argentine et desmilliers d’autres gagnèrent divers pays de larégion.

Interrogé par l’UNHCR dans sa maison auVenezuela, Fernando Medina Valladolid aaccepté d’évoquer le départ de ces embarca -tions, rebaptisées par les insulaires buquesfantasmas (bateaux fantômes), car ellesquittaient les îles pour ne jamais revenir : «Lesgens s’embrassaient et pleuraient… certainssautaient à l’eau pour suivre le bateau à la nage,puis revenaient vers la rive.» Entre 1948 et 1955,les chercheurs ont dénombré pas moins de 130 bateaux ayant quitté clandestinementl’archipel.

Fernando avait huit ans quand il a pris lechemin de l’exil avec sa mère et ses neuf

Des migrantsirréguliers originairesdes îles Canaries àbord du Telémaco,lors de leur voyageépique vers leVenezuela en 1950.

La ROUE tourne…

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frères et sœurs : «Soudain, j’ai réalisé que lebateau était en train de quitter le rivage etque mon grand-père, qui était comme un pèrepour moi, ne venait pas avec nous. C’étaitcomme si je recevais un coup.»

Comme les clandestins désespérésd’aujourd’hui, prêts à tout pour quitterl’Afrique de l’Ouest et rejoindre l’autre rivede la Méditerranée, ils avaient souventéconomisé pendant des mois pour payer leurvoyage, ou celui d’un proche. «Les habitantsdes îles Canaries construisaient de grandsbateaux en bois ; ils travaillaient dans unhangar jour et nuit, pendant trois ou quatremois, pour finir le bateau», s’est souvenuFernando Medina Valladolid.

La traversée de l’Atlantique était alorsréputée pour sa difficulté. Carlos Medina pritlui aussi part à l’épopée du Telémaco : «Audébut, ça se passait bien; on jouait de laguitare… on se baignait, mais après une dizainede jours, les réserves d’essence ont étéépuisées et les ennuis ont commencé.»

Le Telémaco ne disposait pratiquementd’aucun instrument de navigation et sonéquipage n’avait jamais entrepris de voyage silong et si périlleux. C’est une sorte de miraclequ’aucun des passagers n’ait péri lors de la traversée. Ils ont notamment essuyé uneterrible tempête, avec des vagues de 15 mètres, qui a sévèrement endommagé lesréserves en vivres et le bateau, qui acommencé à dériver.

Nombre d’entre eux avaient perdu toutespoir, surtout après avoir croisé la route d’unbateau portant pavillon espagnol qui refusade les prendre à son bord. Finalement ils n’ontdû leur salut qu’à la charité d’hommes et defemmes à la peau sombre — plus sombrequ’ ils n’en avaient encore jamais vue. Arrivésen Martinique, ils ont été recueillis, hébergéset soignés. Ce souvenir a profondémentmarqué Sebastian Abreu : «Ils nous ont invités[à partager] tout ce qu’ ils possédaient. Ilsnous ont très bien traités… les gens de couleurmieux que les Blancs.»

Lui-même était cuisinier à bord duTelémaco. Lorsque le bateau est finalementarrivé au Venezuela, il a été emprisonné, avecle reste de l’équipage, pour infraction à lalégislation sur l’ immigration. Les autrespassagers ont été emmenés sur une île servantnormalement à garder le bétail en quaran -taine. Après un mois, ils ont été transférés surle continent, où ils ont été hébergés dans uncentre d’accueil jusqu’à recevoir des papiersen règle. Beaucoup ont ensuite travaillé dans des fermes, coupant des cannes à sucrepour un salaire de misère.

Quand Sebastian Abreu, qui est rentrédans les îles Canaries, assiste à l’odysséeactuelle des immigrants venus d’Afrique, il nepeut s’empêcher d’y voir un écho à sonpropre vécu, et d’éprouver une profondeempathie pour ces déracinés qui partagent lerêve si simple qui fut jadis le sien : «Ils nedemandent rien, dit-il, ils veulent seulementune vie meilleure.»

Cécile Pouilly

* Extrait d’un documentaire espagnol sur l’émigration des Canariens vers l’Amérique latine, «El ruido del mar», disponible sur Internet à l’adresse suivante : http ://elruidodelmar.blogspot.com

IL Y A CINQUANTE ANS, DES EUROPÉENS EMBARQUAIENTPOUR L’AMÉRIQUE LATINE…

LES GRANDES ROUTES DE LA « MIGRATION MIXTE »

prospères et plus sûrs. Cependant (contrairement à ceque pense l’opinion publique dans les pays industriali-sés), les mouvements mixtes constituent un phénomènemondial, touchant des pays d’arrivée situés aussi biendans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord. Parexemple, alors qu’un petit nombre de ressortissants

d’Afrique de l’Ouest se déplacent vers l’Europe, unequantité bien plus importante migre au sein de leur pro-pre région, profitant du traité de la CEDEAO (Com-munauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest),qui permet la libre circulation des personnes dans lesÉtats d’Afrique occidentale.

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L’idée selon laquelle les migrations mixtes vont sansdoute continuer à augmenter fait l’objet d’un largeconsensus. Selon les experts de la migration, le mondeest caractérisé par des injustices toujours plus criantesen termes de développement et de démocratie. Alors quel’on assiste à une diminution et à un vieillissement despopulations dans certaines régions du monde, dans d’au-tres les tendances démographiques sont à la hausse, avecune population jeune qui a peu ou aucune perspectived’emploi. Les progrès réalisés dans les secteurs de lacommunication et des transports poussent davantage depersonnes à chercher une vie meilleure au-delà desfrontières de leur communauté, de leur pays et de leurcontinent.

LES PLUS PAUVRES NE BOUGENT PASEn général, les plus démunis et les plus

miséreux ne prennent pas part aux mouvementsmixtes. Ces voyages, effectués de façon irrégulière et surde longues distances, peuvent se révéler coûteux, parti-culièrement si ces personnes (comme c’est souvent lecas) doivent acheter de faux documents de voyage etpayer des passeurs pour contourner les contrôles auxfrontières, que les États renforcent de plus en plus.

Parfois, les familles et les communautés vendentleurs biens et se cotisent, afin qu’un ou deux de leursmembres puissent partir à l’étranger et tenter d’y fairefortune. Dans d’autres cas, des personnes — surtout desfemmes et des enfants — sont transférées d’un pays àl’autre par des trafiquants professionnels, dans le but deles exploiter sexuellement ou sous d’autres formes.

Au cours de leur voyage, les personnes prenant partà ces mouvements mixtes — qu’il s’agisse de réfugiés, demigrants, et qu’elles soient victimes de trafics ou non —font face aux mêmes risques et aux mêmes violations deleurs droits humains. Parmi ceux-ci figurent la déten-tion et l’emprisonnement dans des conditions inaccep-tables, les abus physiques, le harcèlement raciste, les vols,l’extorsion et la misère.

Ceux qui voyagent par bateau s’exposent au risqued’être interceptés, abandonnés ou jetés par-dessus bord,tandis que ceux qui se déplacent par voie terrestre peu-vent être renvoyés ou transférés vers des endroits isoléset dangereux. Les personnes en mouvement qui égarentou détruisent leurs documents d’identité risquent de neplus pouvoir prouver leur nationalité, de devenir effec-tivement des apatrides et de rencontrer de grandes dif-ficultés pour rentrer chez elles.

La question des mouvements migratoires mixtessoulève une vaste gamme de problèmes humanitaireset liés aux droits de l’homme, mais l’intérêt que lui portel’agence des Nations Unies pour les réfugiés est assezspécifique.

PROTÉGER LES RÉFUGIÉS«Beaucoup d’États ont adopté des mesures

ayant pour but d’interdire à certains groupes de ressor-tissants étrangers de pénétrer sur leur territoire et d’yrester», a déclaré la Haut Commissaire assistante del’UNHCR, Erika Feller. «Ces mesures sont souventappliquées de manière indiscriminée et rendent très dif-ficile, sinon impossible, l’entrée des réfugiés dans un

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Ces migrantspotentiels ont étéarrêtés dans ledésert du Sahara etattendent unedécision sur leursort.

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pays où ils pourraient trouver la sécurité et le soutiendont ils ont besoin, et auxquels ils ont droit en vertu dudroit international.»

Erika Feller a ajouté que l’UNHCR s’employait toutparticulièrement à éviter les situations où des réfugiéssont arrêtés pendant leur voyage, sans avoir la moindreopportunité de demander l’asile, ni de bénéficier d’uneassistance juridique ou sociale et, «pire encore, sont ren-voyés vers un pays où ils peuvent courir des risques.Pour un réfugié, être forcé à rentrer chez lui peut litté-ralement être une question de vie ou de mort.»

Il n’existe pas de réponses simples à ces problèmes.Les États jouissent du droit souverain de contrôler leursfrontières. Il est aisé de comprendre qu’ils s’inquiètentde voir arriver des gens dont les voyages sont organiséspar des réseaux de passeurs. De plus, il est difficile poureux d’ ignorer les préoccupations de leurs proprescitoyens, dont certains (à tort ou à raison) craignent quel’arrivée de migrants et de réfugiés n’ait des répercus-sions négatives sur leur société et leur économie.

Tout en tenant pleinement compte de ces inquié-tudes, Erika Feller a indiqué que l’UNHCR œuvrait enpartenariat avec les gouvernements et d’autres organi-sations pour que la tendance vers une gestion plus sévèredes mouvements migratoires ne remette pas en cause ledroit à l’asile (voir l’encart ci-dessous).

ÉLARGIR NOTRE HORIZONUn aspect particulièrement important est

celui des «pays de transit», où dans le passé les réfugiésn’avaient que peu ou pas de perspective de trouver asile,pour la simple raison que, dans le pays en question, lesystème d’asile national était inadapté, ou inexistant.

L’UNHCR travaille actuellement à la fois avec laCEDEAO et avec les pays d’Afrique occidentale demanière individuelle, pour rendre la région plus sûrepour les réfugiés, réduisant ainsi le nombre de gens quipensent devoir continuer à se déplacer vers le nord pourtrouver la sécurité et des conditions de vie acceptables.Il faudra du temps pour que de tels efforts portent leurs

L’agence des Nations Unies pour lesréfugiés a formulé un «Plan d’Action en 10Points», dont le but est d’amoindrircertaines difficultés rencontrées dans ledomaine de la protection du fait desmouvements mixtes de migrants et deréfugiés à l’échelle de la planète. Le planoffre un cadre que les États, l’UNHCR et lesautres organisations impliquées dans lesquestions de la migration et de l’asilepeuvent utiliser pour mettre au point desstratégies d’ensemble pour les situationsde migration mixte.

«Le Plan d’Action en 10 Points n’ imposepas une action identique ou semblable àadopter en toutes circonstances»,explique Erika Feller, la Haut Commissaireassistante de l’UNHCR chargée de laprotection. «Il permet plutôt d’ identifierles problèmes principaux et les objectifsautour desquels une stratégie globale deprotection des réfugiés peut être articulée,tout en reconnaissant que les activités del’UNHCR et d’autres intervenants devrontêtre façonnées de manière à s’adapter aux

situations spécifiques. Les mouvementsmixtes sont si complexes et changeantsque tout système destiné à les gérer doitêtre extrêmement flexible.»

Le plan ne se contente pas de traiterdes problèmes usuels, tels que lesconditions d’accueil, mais introduit aussides idées novatrices. Celles-ci incluentnotamment un «mécanismed’identification et d’orientation», quipermettrait d’éclairer, à un stadepréliminaire, les circonstances et lesmotivations du voyage d’un nouvelarrivant et faciliterait l’orientation des casindividuels vers le mécanisme de réponsele plus pertinent. «Ce que nousenvisageons par là, c’est une sorte destatut officiel de protection des réfugiéspour ceux qui en ont besoin, ajoute ErikaFeller, mais aussi le rapatriement, oud’autres options légales de migration, pourceux qui n’en ont pas besoin.»

Le plan aborde aussi l’épineusequestion des «mouvements secondaires»(lorsque les réfugiés poursuivent leurs

déplacements de pays en pays). Il proposel’établissement de procédures d’asiledifférenciées pouvant être utilisées pourévaluer les cas en fonction de leur degréde complexité. «Dans certaines situations,la procédure devrait être rationalisée etrapide, explique Erika Feller, alors que dansd’autres, nous devrions opérer avecprudence afin d’éviter des erreursdangereuses. Le fond du problème reste lemême : les personnes craignant avec raisond’être persécutées, et celles fuyant laguerre ou la violence généralisée,devraient pouvoir trouver asile dans unautre pays. Mais les moyens destinés às’assurer que nous identifions toutes cespersonnes devraient être étroitement liéset s’ insérer dans un système plus cohérent.Ce serait au bénéfice de tous, en premierlieu des réfugiés eux-mêmes.»

Pour une analyse détaillée du «Pland’Action en 10 Points», consultez notre siteInternet www.unhcr.fr

LES MOUVEMENTS MIXTES CONSTITUENT UN PHÉNOMÈNE MONDIAL, TOUCHANT DES PAYS D’ARRIVÉE DES HÉMISPHÈRES NORD ET SUD.

Le « Plan d’Action en 10 Points »

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Des progrès sont également en cours dans certainspays d’Afrique du Nord, qui se trouvent le long desroutes empruntées par les flux migratoires mixtes allantdu Moyen-Orient et de l’Afrique sub-saharienne versl’Europe. En février 2007, par exemple, l’UNHCR asigné un accord avec une organisation non gouverne-mentale locale libyenne, International Organization forPeace, Care and Relief, ce qui a permis de réaliser une

fruits, mais la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ontdésormais non seulement signé des accords internatio-naux, comme la Convention de 1951 relative au statutdes réfugiés et la Convention de 1969 de l’OUA, maisont aussi adopté des législations nationales sur les réfu-giés. Ils ont, par ailleurs, mis en œuvre des programmesde formation pour leurs fonctionnaires et, dans certainscas, favorisent l’intégration locale des réfugiés.

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DES PROGRÈS SONT EN COURS DANS CERTAINS PAYSD’AFRIQUE DU NORD, QUI SE TROUVENT LE LONG DES ROUTESEMPRUNTÉES PAR LES FLUX MIGRATOIRES MIXTES.

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Un groupe depersonnes arrive surune plage en Europe,sous hautesurveillance.

Le groupe de 58 migrants venait d’êtretransporté jusqu’au port de l’île italiennede Lampedusa par un bateau des garde-côtes. Après cinq jours de voyage, au coursdesquels deux passagères avaient péri, ilsétaient épuisés, mais soulagés d’avoir étésauvés. Beaucoup semblaient heureux,presque impatients, de pouvoir parler deleur terrible odyssée.

Seule une jeune Érythréenne du nomd’Eden (nom fictif ) restait à l’écart etgardait le silence, le regard perdu dans levague et empreint de tristesse.

Ce n’est qu’au deuxième jour qu’Edencommença, peu à peu, à se soulager de sonfardeau, en parlant à une employée del’UNHCR dans le centre d’accueil de l’île.Elle avait décidé de quitter l’Erythrée car,disait-elle, elle «ne voulait pas être unsoldat le reste de [son] existence » — en

d’autres mots, elle avait déserté l’arméeérythréenne. Elle avait alors pris la routevers le nord, pour arriver dans un paysd’Afrique du nord, où elle avait étéarrêtée.

«Aucun mot ne peut décrire ce qu’a éténotre vie en prison», dit Eden en évoquantles dix mois qu’elle avait passés endétention pour être entrée sans papier nivisa. «Ils nous gardaient enfermées 24heures sur 24. Il y avait 70 femmes dansune pièce de 30 mètres carrés. On nousdonnait à manger une fois par jour — du rizet de l’eau potable salée — et parfois lesgardes nous jetaient un morceau de pain.»

Les larmes coulaient le long de sonvisage. «J’aurais pu supporter un teltraitement, mais le vrai cauchemarcommençait à la tombée du jour, dit-elle.Nous risquions à tout moment d’être

choisies et violées par les gardes… Je mehaïssais de mener une telle existence etd’être incapable de trouver une solution.»

Malheureusement le jour de sa sortiede prison ne fut pas celui de sa libération.«Une partie d’entre nous a été remise aupropriétaire d’une ferme, dit-elle. Nousavons été vendus pour environ 50 dollarschacun, comme des animaux.» Ils furentalors forcés de travailler dans la ferme dumatin au soir, sans rémunération. «Il pouvait faire ce qu’ il voulait de nous,surtout des femmes», dit-elle d’une voixfaible et monocorde. Ce n’est que lorsqueleurs familles envoyèrent de l’argent aupropriétaire terrien qu’ ils furent enfinlibérés.

«Je suis déjà morte, dit-elle, personnene me rendra ma vie.»

Laura Boldrini

Le calvaire d’une FEMME

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PA R A S T R I D VA N G E N D E R E N S T O RT

Assise devant sa tente vide dansle camp de réfugiés de Kharaz,au Yémen, Aysha s’efforce decontinuer à vivre. Elle tientdans ses bras deux petits

enfants, mais le souvenir de son fils de troisans la hante.

«Il était malade et pleurait beaucoup»,dit-elle, dix jours après avoir fait la traverséedu golfe d’Aden vers le Yémen. «Les passeursn’aimaient pas ça. Ils l’ont attrapé — je les aisuppliés de ne pas le faire. Puis ils l’ont jetépar dessus bord.

«Je l’ai vu disparaître dans les eauxprofondes et sombres.»

Aysha fait partie des dizaines de milliers de Somaliens et d’Éthiopiens qui, chaqueannée, risquent leur vie en traversant le golfed’Aden, en quête de sécurité ou d’une viemeilleure. «Lorsqu’ il m’a semblé que nousn’étions plus en sécurité en Somalie, quandles combattants ont commencé à attaquertoute la nuit, j’ai décidé de partir», dit-elle.

La famille a voyagé de Mogadiscio jusqu’àBossasso, au Puntland, dans le nord de laSomalie. Après avoir passé sept jours chez desproches, puis trois autres avec les trafiquants,

ils sont partis juste avant la tombée de la nuitdepuis une plage, avec 115 autres personnesentassées à bord d’une frêle embarcation.

«Je ne savais pas de quel bois étaient faitsles trafiquants, dit-elle. Maintenant, je le sais.Ce ne sont pas des êtres humains ; ce sont desanimaux.»

Les gangs qui opèrent sur la bande de meranarchique qui sépare la Somalie et le Yémensont réputés pour être systématiquementviolents. De janvier à novembre 2007, plus de26000 personnes — pour la plupart desSomaliens et des Éthiopiens — ont versé,chacun, de 50 à 150 dollars pour entreprendrece périple. Au cours de cette même période,pas moins de 1030 personnes ont péri oudisparu, soit presque le double que le chiffretotal pour l’année 2006.

Beaucoup sont morts dans descirconstances atroces : poignardés et battuspar les passeurs ; noyés après avoir étéabandonnés en mer, trop loin de la côteyéménite, ou asphyxiés par le trop grandnombre de passagers serrés dans la cale d’unbateau. D’autres ont été «plus chanceux» : ilsont été «seulement» violés, volés, battus oubrûlés par le moteur d’un bateau. Mais ils ontsurvécu.

En 2007, les deux tiers de ceux qui ont

réussi à atteindre le Yémen en vie ontdemandé de l’aide et plusieurs milliersd’entre eux ont choisi de vivre dans un campde réfugiés géré par l’UNHCR, non loind’Aden. D’autres ont tenté de gagnerpéniblement leur vie par leurs propresmoyens, dans les villes du Yémen ou commegardiens de troupeaux dans les collines.D’autres encore sont partis dans les États duGolfe pour y travailler comme domes tiques,laveurs de voiture — ou tout autre emploi leurpermet tant de gagner quelque argent et d’enenvoyer au pays. Lorsque leur permis derésidence arrive à expira tion, certains tententde partir ailleurs, au Moyen-Orient, ou plus aunord, vers l’Europe.

Les déplacements de populations sontloin d’être un phénomène nouveau dans laCorne de l’Afrique — une région qui alargement eu sa part de misère, de famine etd’ instabilité politique. Cependant, au coursdes dernières décennies, le Yémen est devenuun pont encore plus important entre la Corneet les riches États du Golfe.

L’ immense majorité des personnes quicirculent sont des Somaliens qui ont fuil’alternance, ces vingt-et-une dernièresannées, de périodes d’ instabilité extrême etde conflit ouvert dans leur pays, dont la

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Une plage au Yémen : quelques personnesexténuées, ayant survécu à la dangereuse traverséedepuis la Somalie, attendent les secours.

Pire que des

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13R É F U G I É S

avancée dans de nombreux domaines, dont l’accès etl’assistance aux demandeurs d’asile, ainsi que leur enre-gistrement dans les centres de rétention administrative,et une aide juridique et pratique en cas de rapatriementvolontaire. La Libye a également commencé à jouer unrôle plus actif dans l’interception des embarcations endétresse dans la Méditerranée.

Suite à la signature, en juillet 2007, d’un accord decoopération officielle avec le gouvernement, la présencede l’UNHCR au Maroc est désormais établie sur unebase plus solide. La capacité opérationnelle de l’agencedevrait en sortir renforcée, ainsi que sa capacité d’inter-venir en coopération avec les autres agences présentessur place et travaillant dans le domaine de l’asile et de lamigration. Plus à l’ouest, en Mauritanie, une législation

nationale sur l’asile est en vigueur depuis 2005, et lesstructures nécessaires pour la mettre en œuvre sont entrain d’être établies.

PROPOSER DES ALTERNATIVESLa protection des réfugiés pourrait être

facilitée par des initiatives visant à réduire le nombre demigrants irréguliers, qui déposent des demandes d’asilesans fondement car ils n’ont pas d’autre moyen légald’entrer ou de résider dans un autre pays. Les migrantspotentiels doivent être mieux informés des consé-quences des mouvements irréguliers, ainsi que desopportunités nouvelles permettant une migration sûreet légale, comme dans le cas des regroupements fami-liaux et des programmes de travail saisonnier.

Cette carte de la Corne del’Afrique a été dessinée sur le murd’un vieux fort, près de la frontièreentre le Kenya et la Somalie. On ydistingue la route vers le Yémen(«Arabia»).

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dernière série de combats entre les insurgéssomaliens et le Gouvernement fédéral detransition, soutenu par les Éthiopiens.

Le Yémen, qui fait partie des pays les pluspauvres de la planète, est aussi le seul de lapéninsule arabe à avoir accédé à laConvention des Nations Unies de 1951 relativeaux réfugiés. Pendant des années, ce pays agardé ses portes ouvertes et offert le statutde réfugié prima facie à tous les Somaliensparvenus à traverser le golfe d’Aden (cettegénérosité venant partiellement du fait queparfois, par le passé, c’est la Somalie qui aoffert un refuge sûr aux Yéménites.)

Fin 2006, 95000 réfugiés vivaient auYémen, dont 95 pour cent étaient somaliens(les autres groupes, comme les Éthiopiens, nereçoivent pas automatiquement le statut deréfugié). Leur nombre ne cesse d’augmenter,en dépit des efforts entrepris sur les deuxrives du golfe d’Aden pour mettre en gardeles candidats au départ contre le danger derecourir aux trafiquants.

Confronté à cette pression croissante, leYémen a demandé à la communautéinternationale davantage de soutien pourgérer l’afflux mixte et ininterrompu demigrants et de réfugiés sur son sol. De fait, l’anpassé, l’UNHCR et ses partenaires ont

amplifié leurs efforts au Yémen dans le cadred’une opération de 7 millions de dollars, enrenforçant leur présence sur le terrain et enmettant à disposition davantage depersonnel, d’assistance, de matérield’hébergement pour les réfugiés et deprogrammes de formation à destination desgarde-côtes et d’autres fonctionnaires.

Côté somalien, des projets d’ informationet d’assistance ont été lancés afin de tenterde décourager les gens de remettre leur vie

entre les mains des trafiquants, à moins qu’ ilssoient dans la nécessité absolue d’agir de lasorte.

Mais, jusqu’à ce que la Somalie trouve,dans une certaine mesure, une paix durable etune stabilité économique, ses ressortissantsdésespérés continueront sans doute àembarquer, quels que soient les risquesencourus. Comme le dit Aysha : «Je devaispartir. J’ai perdu mon enfant dans la mer. Maisde quel autre choix est-ce que je disposais ?»

LES GANGS QUI OPÈRENT SUR LA BANDE DE MER ANARCHIQUEQUI SÉPARE LA SOMALIE ET LE YÉMEN SONT RÉPUTÉS POURÊTRE SYSTÉMATIQUEMENT VIOLENTS.

REQUINS

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Une dernière question qui doit être réglée est celle de la capacité limitée (et parfois l’absence de volonté) de certains États de traiter de manière efficace les problèmes liés aux flux migratoires mixtes et à la

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protection des réfugiés dans les régions d’origine, detransit et de destination.

D’un côté, les pays de transit et de destination doi-vent être encouragés à développer les politiques, lespratiques et les institutions nécessaires pour accueillirles requérants d’asile sur leurs territoires, examinerleurs demandes et fournir des solutions à l’intentionde ceux qui remplissent les critères pour obtenir lestatut de réfugié.

De l’autre, il est nécessaire d’agir pour que des personnes comme Kamisa Jamaldinova et ses quatreenfants puissent vivre une vie paisible et prospèredans leur pays, en évitant ainsi qu’elles n’entrepren-nent des voyages difficiles, dangereux et parfois mortels pour atteindre des pays qui semblent offrir un avenir meilleur. Comme l’a déclaré la Commissionmondiale sur les migrations internationales,«femmes, hommes et enfants devraient pouvoir réa-liser leur potentiel, subvenir à leurs besoins, exercerleurs droits et satisfaire leurs aspirations dans leurspays d’origine, et donc migrer par choix et non parnécessité». �

DES OPPORTUNITÉS NOUVELLES SONT NÉCESSAIRES POURPERMETTRE UNE MIGRATION SÛRE ET LÉGALE.

C’est au début des années 80 queles gouvernements ontcommencé à tenter de contrôler

plus strictement les moyens de transport,en instaurant des amendes dissuasivescontre les compagnies aériennes ou detransport acheminant des migrants«irréguliers». Elles sont aussi obligées decouvrir les coûts liés à la détention et auretour de ces personnes vers leur paysd’origine.

Le personnel aérien chargé del’embarquement des passagers et lepersonnel de cabine se sont, de ce fait,pratiquement transformés en fonctionnairesde l’ immigration, et les chauffeurs decamions doivent inspecter leurs véhiculesavec autant de vigilance qu’un officier de lapolice de l’air et des frontières. Mais,comme le remarque la Fédérationinternationale des ouvriers du transport,«les travailleurs des transports ne sont pasformés au travail d’ immigration, et nedevraient pas avoir à assumer laresponsabilité de maintenir l’ordre auxfrontières.»

C’est surtout la suite qui préoccupe les défenseurs des réfugiés. Beaucoupd’États industrialisés ont introduit desprocédures d’asile accélérées aux frontièresafin de statuer sur une demande d’asileavant que la personne concernée ne soitautorisée à entrer officiellement dans lepays. Ceci peut être particulièrementdangereux dans les aéroports où, si desmesures de sauvegarde adéquates n’existentpas, un réfugié peut très facilement êtrepoussé dans le prochain avion à destinationde son pays d’origine, avant que quiconquen’ait même été informé de ce qui est entrain de se passer.

Le manque d’accès à une assistancejuridique appropriée est un autre problèmefréquemment rencontré, ainsi que le laps de temps insuffisant accordé pour la préparation d’une requête d’asile ou les restrictions du droit d’appel. Il arriveaussi que les décisions concernant lesrequêtes d’asile ne soient pas prises par les autorités compétentes.

Les conditions dans lesquelles sont rete -nus les individus dans les aéroports — parfois

pendant des mois, voire des années —s’apparentent à celles prévalant dans lesprisons et posent problème. Par ailleurs, lesbesoins spécifiques des enfants non accom -pagnés et des autres personnes vulnérablesne sont pas suffisamment pris en compte.

Toutefois, certains pays ont adopté desmesures de sauvegarde dans leursprocédures aéroportuaires. En Autriche, parexemple, toute personne désirant demanderl’asile dans l’aéroport a accès à uneassistance juridique. Les cas les pluscomplexes sont autorisés à entrer dans lepays et sont examinés dans le cadre de laprocédure d’asile normale. Et les dossiers dela petite minorité de cas soumis à laprocédure aéroportuaire accélérée sontautomatiquement envoyés à l’UNHCR pourêtre passés en revue, s’ il a été établi qu’ ilsétaient «manifestement infondés». Sil’UNHCR est en désaccord avec cettedécision, le dossier est à nouveau examinéselon la procédure normale et le requérantautorisé à entrer dans le pays pendant cettepériode.

Rupert Colville

Des avions, des CAMIONS et des trains

Ce petit garçon a reçu du nougat des gendarmes turcs quisurveillent un groupe de personnes, interpellé alors qu’il sedirigeait vers la Grèce.

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Le DILEMME du MalawiPA R JAC K R E D D E N

L orsque, le 24 octobre dernier,l’équipe de l’UNHCR a achevé lespréparatifs pour le transfert desderniers résidents du camp deréfugiés de Luwani, 127 Somaliens

et Éthiopiens figuraient parmi les réfugiéset demandeurs d’asile qui devaient quitterle centre d’accueil le lendemain matin etprendre place à bord de camions àdestination d’un camp situé plus au nord,près de la capitale du Malawi.

Mais c’est sans aucun de ces 127 jeunesgens que le convoi de 32 véhicules s’est misen marche à l’aube. Une disparition sanssurprise pour le Gouvernement du Malawiqui a ordonné la fermeture du camp suite àdes plaintes répétées. D’après celles-ci, lesdemandeurs d’asile originaires de la Cornede l’Afrique ne feraient qu’utiliser Luwanicomme une étape pour se reposer avant derepartir en direction de l’Afrique du Sud.

«Il s’agit d’une situation très difficile»,explique Kelvin Sentala, l’assistant deprotection de l’UNHCR sur le terrainchargé du convoi. «Nous avons des réfugiéset des migrants économiques qui viennentici — mais, bien souvent, les deux groupespréfèrent poursuivre leur route.»

DESCENDRE PLUS AU SUDDe nombreux pays dans le monde sont

confrontés à un dilemme similaire, maiscelui-ci est particulièrement aigu auMalawi. Des alternatives existent, plus ausud, comme les pistes rocailleuses de labrousse mozambicaine, mais le Malawidispose de la meilleure route pour atteindrele but final de nombreux voyageurs: lemoteur économique du continent, l’Afriquedu Sud. De ce fait, nombre de personnesvenues de pays en proie à des troubles,comme la République démocratique duCongo et le Soudan, empruntent cette voie.

Généralement, ils ne séjournent quebrièvement au Malawi, suffisammenttoutefois pour recevoir des rationsalimentaires et d’autres biens, comme descouvertures, avant de poursuivre leurpériple. En raison du nombre si réduit

d’Éthiopiens et de Somaliens restant surplace après leur arrivée, l’UNHCR a, cesdeux dernières années, limité les possibilitésde revendre les rations alimentaires, endistribuant des quantités plus petiteschaque semaine, au lieu de quantitésmensuelles plus importantes.

En l’espace d’un mois, la plupart desSomaliens et des Éthiopiens partent pour lesud et entrent au Mozambique. Certains sedirigent ensuite vers l’ouest, pour rejoindrele Zimbabwe, puis vers le sud, en directionde l’Afrique du Sud. Une autre optionconsiste à se déplacer plus au sud duMozambique, pour entrer directement enAfrique du Sud.

«Nous suspectons l’existence d’unréseau qui prend sa source en Éthiopie et en

Somalie et se poursuit jusqu’en Afrique duSud. Ils semblent avoir des gens danschaque pays, tout le long du chemin», expli -que Sarah Thokozani Nayeja, conseillèrejuridique auprès du bureau de la commis -sion pour les réfugiés du Malawi. «C’estdifficile. Si rien ne change en Éthiopie et enSomalie, rien ne changera [ici]. Les causesexistent toujours; c’est un vrai problème.»

L’Afrique du Sud n’est pas seulement unpôle d’attraction en raison de son économie.À la différence de nombreux autres paystraversés, du nord au sud, par la routemigratoire, le Gouvernement sud-africainn’insiste pas pour que les réfugiés viventdans des camps. En outre, il accorde auxréfugiés et aux demandeurs d’asile le droitde travailler et de vivre où ils le souhaitent.

«À bien des égards», indique SandaKimbimbi, délégué régional de l’UNHCR,

«l’Afrique du Sud est un pays modèle enmatière d’asile.»

LA COMPOSANTE RÉFUGIÉELe désir de gagner sa vie correcte-ment vaut pour les réfugiés comme pour lesmigrants économiques, et le fait que tant deSomaliens et d’Éthiopiens ne restent pas auMalawi, ou dans les autres pays par lesquelsils transitent, ne devrait nullementremettre en cause la validité de leur requêtepour obtenir le statut de réfu gié. Beaucoupentreprennent leur voyage pour des raisonsliées au fait d’être des réfugiés et ce, mêmes’ils le poursuivent ensuite pour des motifséconomiques. Les Somaliens, notamment,ne sont jamais à court d’histoiresterrifiantes, après des années de guerre surune terre marquée par l’absence d’ungouverne ment central en état defonctionner normalement.

«Alors qu’il était brièvement parti àKismayo [Somalie] pour chercher dutravail, sa famille a été assassinée par un clanfamilial rival», relate un rapport del’UNHCR après l’interview d’un jeunerequérant d’asile somalien. «Son père a ététorturé et tué ; sa mère violée puis brûléevive. Deux de ses frères et sœurs ont aussiété assassinés, et l’un de ses frèreshorriblement torturé. Il a déclaré que,lorsqu’il était arrivé chez lui, tout le villageavait été pillé et leurs biens détruits.»

Selon le Gouvernement du Malawi, aucours des neuf premiers mois de 2007, plusde 3000 requérants d’asile ont traversé safrontière nord avec la Tanzanie. La grandemajorité venait d’Éthiopie et de Somalie. Ennovembre, la plupart avaient déjà pris laroute vers le sud.

L’afflux continu de réfugiés et demigrants en Afrique du Sud, rejoint par lescentaines de milliers de Zimbabwéensfaisant des va-et-vient tous les ans, est undéfi pour l’UNHCR et les États de la région.Le volume des demandes risque decongestionner les mécanismes d’asile sud-africains, où un retard de plus de 134000dossiers d’asile issus de nombreux paysdifférents restaient en attente d’unedécision à l’automne 2007. �

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LES DIFFICULTÉS D’ UN PAYS DE TRANSIT

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Une embarcationsurchargée dans le sud dela mer Méditerranée.

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À l’échelle mondiale, les

migrants qui voyagent parmer sont relativement peunombreux. Pourtant,l’image la plus familière de

la migration est probablement celled’hommes, de femmes et d’enfants serrésles uns contre les autres, qui bravent lesmers sur de petites embarcations,impropres à la navigation, pour échapper àla pauvreté, au conflit ou à la persécution.

Desta est l’une de ces migrants. Aprèsun voyage éprouvant à travers le désert duSahara, l’expérience vécue par cetteÉthiopienne de 29 ans lors de sa traversée dela Méditerranée est semblable à celle demilliers d’autres qui tentent chaque annéed’entrer en Europe: «Nous étions 60, dont 11femmes et cinq enfants. Le bateau était troppetit. Nous ne pouvions pas bouger. Nousn’avions pas de nourriture, pas d’eau… Nousavions un Thuraya [téléphone par satellite],nous avons donc appelé à l’aide — mais nousne savions pas où nous nous trouvions. Letroisième jour, deux femmes sont mortes.Les gens pleuraient et paniquaient. Nouspensions que nous allions tous mourir. C’estalors que nous avons vu un bateau.» Elle aété sauvée et débarquée sur l’île italienne deLampedusa, comme beaucoup d’autres:pour les dix premiers mois de 2007, ils ontété 11800 migrants et réfugiés à achever làleur parcours.

Beaucoup d’autres ont moins de chance.

MOURIRPOUR UNE VIE MEILLEURE

Chaque année dans le monde, des

milliers de désespérés à la recherche d’uneprotection ou d’une vie nouvelle se noient,en Méditerranée, dans l’Atlantique, l’océanIndien, la mer des Caraïbes ou dans d’autresmers et sur d’autres voies d’eau, fauted’embarcation solide. Bien que l’on s’efforcede recenser les décès, on ne connaîtra jamaisla véritable ampleur de cette tragédie dedimension mondiale car de nombreuxbateaux coulent sans laisser de traces.

«Il y a des enfants parmi ces personnesen danger et nous avons malheureusementdû récupérer les corps d’un certain nombred’entre eux. Cela nous a profondémentmarqués», explique le commandantMichele Niosi des garde-côtes italiens. «Les

enfants sont le symbole du renouveau mais,dans ces conditions, on a le sentiment d’unedéfaite plutôt que d’un renouveau.»

Si, à titre individuel, les officiers de lamarine et les garde-côtes traitent souventles personnes qu’ils secourent avecsympathie, les gouvernements onttendance à considérer le phénomène desboat people sous l’angle de la sûreténationale. Ils ont même parfois déclaré l’étatd’urgence pour faire face à ce qu’ils

perçoivent comme une invasion. Or, les«envahisseurs» non seulement ne sont pasarmés, mais arrivent, bien souvent, à moitiémorts de faim, malades et sans ressources.Certains responsables nationaux et locauxsont même allés jusqu’à suggérer de tirersur ces bateaux à balles réelles.

INTERCEPTION EN MERSans recourir à des mesures aussi

radicales, certains pays ont envoyé des

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navires de guerre pour faire rebrousserchemin à des bateaux soupçonnés detransporter des migrants ou des deman -deurs d’asile, pratique connue sous le nomd’interception en mer.

Étant donné le piteux état de bonnombre d’embarcations transportant des

candidats à l’immigration, les navires de lamarine ou des garde-côtes qui sillonnent lahaute mer à leur recherche sauvent sansnul doute de nombreuses vies. Néanmoins,la pratique de l’interception est très contro -versée pour diverses raisons, notamment lesrisques qu’elle présente. On sait, par

exemple, que pour éviter d’être repérés, lesboat people choisissent des itinérairestoujours plus longs et plus dangereux.

L’autre sujet de préoccupation majeurtient au fait que certaines des personnes quis’embarquent ainsi pour de périlleusestraversées sont des réfugiés. Le pourcentage

CHAQUE ANNÉE, DES MILLIERS DE DÉSESPÉRÉS À LA RECHERCHE D’UNEPROTECTION OU D’UNE VIE NOUVELLE SE NOIENT FAUTE D’EMBARCATION SOLIDE.

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varie d’un bateau à l’autre ou d’un itinéraireà l’autre. «C’est pourquoi», explique ErikaFeller, Haut Commissaire assistante desNations Unies pour les réfugiés,«l’UNHCR s’intéresse à des questionsmaritimes telles que l’interception, larecherche et le sauvetage, le débarquement,le trafic d’êtres humains et les passagersclandestins. Notre position n’a pas changé :l’interception peut être nécessaire à lasauvegarde de vies humaines et à la protec -tion des frontières, mais elle doit être assor -tie de garanties qui permettent à n’importequel réfugié à bord de demander l’asile.»

L’interception en mer, que ce soit dansles eaux territoriales ou internationales,n’est pas un phénomène nouveau. Pendant

les années 70, les boat people du Viet Nam etdu Cambodge étaient systématiquementappréhendés et remorqués vers la mer parles pays de la région, et des milliers deVietnamiens ont sans doute péri en meraprès avoir été ainsi «refoulés».

À l’autre bout de la terre, dans la mer desCaraïbes, les garde-côtes américainsinterceptent depuis des années des bateauxtransportant des migrants et desdemandeurs d’asile de Cuba et d’Haïti.

«Nous avons exprimé la crainte que cettepolitique n’ait pour effet de restreindrel’accès aux procédures d’asile, en particulierpour les Haïtiens, a déclaré Erika Feller. Aufinal, cette logique pourrait amener àrenvoyer de force des réfugiés dans un

endroit où leur vie ou leur liberté estmenacée.»

INTERVENTIONS EUROPÉENNESPlusieurs pays d’Europe ont aussi

intercepté en Méditerranée des bateauxsoupçonnés de transporter des migrantsnon invités. Depuis la création de l’Agenceeuropéenne pour la gestion de lacoopération opérationnelle aux frontièresextérieures des États membres de l’Unioneuropéenne (ou «Frontex»), une séried’opérations d’interception très médiatiséesont été menées conjointement par diversÉtats membres de l’UE tant enMéditerranée que dans l’Atlantique.

Une de ces opérations, baptisée «Héra

Une baigneuse réconforte l’une des 46 personnes épuisées et déshydratées dont le bateau a échoué sur une plage touristique desîles Canaries.

L’INTERCEPTION PEUT ÊTRE NÉCESSAIRE À LA SAUVEGARDE DE VIES HUMAINES ET À LA PROTECTION DES FRONTIÈRES, MAIS ELLE DOIT ÊTRE ASSORTIE DEGARANTIES QUI PERMETTENT AUX RÉFUGIÉS DE DEMANDER L’ASILE.‘‘

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Déroutement mortelLe 29 avril 2006, des pêcheurs ont

découvert un petit bateau blanc, aumoteur rouillé, qui dérivait sur la mer

des Caraïbes, au large de la Barbade. À son bord,une sinistre cargaison : les dépouilles de 11hommes, momifiées par le soleil et les embrunssalés. Ils étaient probablement morts depuis desjours. L’un d’eux, Diao Souncar Dieme, avait laisséun mot pour sa famille restée au Sénégal.

Les autres, sans doute aussi originaires dumême pays, n’avaient toujours pas été identifiésle jour de leur enterrement, en janvier 2007 à laBarbarde, lors d’une cérémonie œcuménique,suivant les rites musulman et catholique.

Les enquêteurs pensent que leur bateau aquitté les îles du Cap-Vert, au largede l’Afrique de l’Ouest, le soir deNoël 2006, avec 50 passagers àson bord. Ils ont sans douteemprunté l’ itinéraire long pourrejoindre les îles espagnolesdes Canaries, mais leurbateau a subi des avaries eta été emporté par lescourants qui traversentl’Atlantique. Desrapports suggèrentqu’ il a peut-être étéremorqué pendant unmoment, mais que la corde de

remorquage a ensuite été coupée. Les corps desautres passagers ont probablement été jetés par-dessus bord ou emportés par les eaux.

Des embarcations de tailles et de formesdiverses sont utilisées pour gagner les îlesCanaries. Toutefois, jusqu’à fin 2005, la plupartdes migrants utilisaient des bateaux plus petits :des pirogues au départ de l’Afrique de l’Ouest,ou des pateras transportant jusqu’à 20 personnesdepuis le Maroc ou le territoire du Saharaoccidental, d’où dix à douze heures de naviga -tion suffisent pour atteindre les îles Canaries.

Au cours des deux dernières années, lescayucos, barques de taille plus importante quipeuvent accueillir jusqu’à 150 personnes, sontdevenus la règle. Afin d’éviter d’être repérés, ilsempruntent des itinéraires indirects, plus longs,

qui partent de différents pays comme leSénégal, la Gambie, la Guinée, la

Sierra Leone et le Ghana.De ce fait, le voyage

jusqu’aux îles Canaries peutdésormais prendre jusqu’à

25 jours, et comporte desrisques beaucoup plus élevés,

comme en témoigne le destintragique des passagers de ce

bateau sans nom qui a dérivépendant 4000 kilomètres avant

d’arriver à la Barbade.

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2007», a conduit des navires de la marineitalienne et espagnole et des avions de cesmêmes pays à patrouiller au large des côtesde la Mauritanie, du Sénégal et du Cap-Vertet à intercepter des migrants en situationirrégulière qui tentaient de parvenir enbateau jusqu’aux îles espagnoles desCanaries.

Selon le Ministère espagnol del’intérieur, l’intensification des opérationsd’interception, une meilleure collaborationavec les pays de départ et des campagnesdestinées à informer les voyageurs enpuissance des risques qu’ils encourent ontpermis de ramener le nombre des arrivéesaux Canaries de 32000 en 2006 à 9500 pourles dix premiers mois de l’année 2007.

Le nombre des arrivées en Italie — sur lapéninsule et les îles — où s’est déployéel’«Opération Nautilus», coordonnée parFrontex, a aussi légèrement baissé, passantde 22000 en 2006 à 19000 au cours des dixpremiers mois de 2007.

En revanche, le nombre de migrants etde réfugiés arrivant par bateau de Turquiedans les îles grecques de Samos, Chios etLesbos a doublé entre 2006 et fin octobre2007, passant de 3500 à 7000 — peut-être enpartie parce que c’est l’une des principalesroutes maritimes empruntées par lesIraquiens.

DES TRAFIQUANTS SANS PITIÉLa lutte contre les entrées

clandestines et le trafic d’êtres humains estl’une des principales raisons invoquées parles gouvernements pour justifier lesinterceptions en mer. Il ne fait guère dedoute que la plupart des traverséesmaritimes clandestines sont le fait depasseurs dont certains sont, de touteévidence, liés au crime internationalorganisé. Certains d’entre eux sont despersonnages sans pitié qui souvent volent,battent et même assassinent leurs clients.

En mars 2005, par exemple, 15 migrantschinois ont été contraints par des «têtes deserpent» (des passeurs) de sauter par-dessusbord à quelque 30 kilomètres des côtes deSicile. Seuls deux femmes et quatre hommesont survécu. L’autopsie de l’un des corps amis en évidence des fractures et une sévèrecontusion cérébrale, apparemment infligéesavant que la victime ne soit jetée à la mer.

Le personnel de l’UNHCR au Yémen

signale fréquemment des cas de boat peoplebattus, assassinés ou jetés par-dessus bord etattaqués par des requins dans le golfed’Aden, où les trafiquants sontparticulièrement cruels (voir en page 12).

Cependant, la répression contre lespasseurs, si importante soit-elle, ne risquepas seulement de réduire la migrationclandestine, mais aussi de fermer la seuleporte qui reste encore ouverte aux réfugiéset qui leur permet d’échapper à lapersécution ou au conflit. «Je ne peux pasretourner en Iraq, j’y serais torturé et tué», aexpliqué Omar. De nationalité iraquienne, ila payé 1600 dollars aux passeurs pour qu’ilsle transportent de Libye en Italie en août2007. «Je travaillais en Libye mais moncontrat a pris fin. J’avais peur qu’ils me

renvoient en Iraq… aucun [autre] paysn’accepterait de me donner un visa. Quepouvais-je faire? Je n’avais pas d’autrechoix.» Omar a été par la suite reconnucomme réfugié par les autorités italiennes.

LE GARDIEN DE MON FRÈREDepuis des siècles, le sauvetage en

mer est régi par un code non écrit, qui s’estmême appliqué à l’ennemi en temps deguerre.

«À mesure que l’on avançait dansl’histoire et que grossissaient les annales desconflits humains, il ne restait plus àl’humanité qu’un ennemi commun aveclequel elle pouvait se considérer en guerre:c’était la violence et la colère de la mer et deses éléments», écrit Clayton Evans, auteur

DEPUIS DES SIÈCLES, LE SAUVETAGE EN MER EST RÉGI PAR UN CODE NONÉCRIT, QUI S’EST MÊME APPLIQUÉ À L’ENNEMI EN TEMPS DE GUERRE.

«J’aimerais envoyer

de l’argent à mafamille à Bassada.

Je vous en prie,pardonnez-moi.Adieu. Ma vie setermine ici, surcette grande mer

marocaine…»Extrait d’une note découverte sur la

dépouille de Diao Souncar Dieme.

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d’un livre sur l’histoire dusauvetage en mer. «Dans lemonde entier, un lien s’étaittissé entre les navigateurs etles voyageurs des mers: face àla mort en mer, chacun étaitle gardien de son frère.»

L’impératif moral dusecours en mer lorsqued’autres êtres humains sonten péril a été finalementencadré par le droit inter -national, en particulier par laConvention internationale de1974 sur la sauvegarde de lavie humaine en mer (SOLAS) et par laConvention internationale de 1979 sur larecherche et le sauvetage maritimes (SAR).

De nombreux migrants et réfugiés endétresse sont encore sauvés, non pas par dessauveteurs professionnels mais par despêcheurs qui passent par là, des yachts deplaisance, des cargos, des paquebots etmême par d’autres boat people.

José Durán, skipper du Francisco yCatalina, un chalutier espagnol, a sauvé 51personnes — dont 10 femmes et un enfant dedeux ans — qui étaient à bord d’un dinghy enMéditerranée. C’est un bel exemple de la

solidarité qui lie les êtres humains en mer.Le Francisco y Catalina a été immobilisépendant une semaine au large de Maltependant que les pays de la régionargumentaient pour savoir où devaientdébarquer les personnes qu’il avait sauvées.

«Et si c’était à refaire?», lui a-t-ondemandé, compte tenu des querellesjuridiques et des pertes financièresoccasionnées. «Je referais exactement la

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Passagers clandestinsàsituations désespérées,

solutions désespérées :s’ immiscer clandestinement à

bord d’un bateau, d’un camion ou d’unavion est parfois le seul moyen dontdisposent certains pour échapper à laguerre ou aux persécutions.

Comme dans le cas d’autres formesde migrations irrégulières, réfugiés etmigrants se retrouvent fréquemment surle même bateau, au sens littéral du terme.

Indépendamment des raisons qui lespoussent à voyager illégalement, lesclandestins qui se cachent dans les calesdes navires prennent des risquesconsidérables, comme de mourir parasphyxie ou par choc thermique.Souvent, les membres de l’équipagen’apprécient guère leur présence, car lescompagnies de navigation ayant amenédes migrants sans papiers s’exposent à desévères amendes, à des coûts de

rapatriement élevés et à des délaisadministratifs.

Bien que la législation maritimeinternationale stipule que les passagersclandestins doivent être traités avechumanité, la peur de perdre leur emploiou leur prime peut parfois transformerles marins en meurtriers : «Dans quelquescas horribles, les clandestins trouvés àbord de bateaux ont été jetés par-dessusbord, car les capitaines de ces navires oules compagnies de navigation auraientreçu une amende s’ ils étaient arrivés auport avec un clandestin à bord», expliqueDavid Cockroft, Secrétaire général de laFédération internationale des ouvriers dutransport, lors d’une interview à unerevue de commerce.

En janvier 2006, une cour sud-africaine a auditionné le capitaine del’African Kalahari, qui avait ordonné àdeux de ses équipiers de forcer quatre

clandestins tanzaniens et deux Kényans àsauter en mer, au large du port de Durban.Deux d’entre eux, Omar Kemu et AmirJesh, ne savaient pas nager ; ils se sontnoyés presque instantanément. Lorsquel’un des corps a été récupéré, il avait étéen partie dévoré par les requins.

Chaque année, les médias du mondeentier diffusent des informationssimilaires, évoquant des clandestins tuéspar balle, jetés par-dessus bord ou battusà mort. Dans certains cas, les membres del’équipage ont dénoncé leurs supérieursauprès des autorités. Dans d’autres, lesclandestins ont survécu et ont puraconter leur histoire.

Les poursuites judiciaires sontpourtant bien trop rares, les preuves deces crimes sombrant au fond des océans,tout comme les raisons pour lesquellesces clandestins étaient si désespérés dequitter leurs pays d’origine.

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Un épisode honteux : 27personnes ont été sauvéespar la marine italienneaprès avoir passé trois joursaccrochées à une caged’élevage de thons.

Un officier des garde-côtes italiensvérifie l’état de santé d’un hommeramené à terre après un sauvetage en mer.

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même chose», a répondu ce pêcheur du portde Santa Pola, près d’Alicante. «Aucundoute là-dessus. Nous nous sommes mis àleur place. Si j’étais dans leur situation, je nevoudrais pas qu’un autre bateau passe sansme venir en aide. Je me dirais: “Bon Dieu ! Jevais mourir !”»

LE SAUVETAGE, TROP CHER ?Mais, comme le montre la

mésaventure du Francisco y Catalina, lesmarins qui accomplissent leur devoir etsauvent des vies en mer rencontrent de plusen plus de problèmes car les États refusentde laisser débarquer les migrants et lesréfugiés. De tels incidents risquent decompromettre sérieusement la traditionhumanitaire du sauvetage en mer, vieille deplusieurs siècles, ce qui ne manque pasd’alarmer les compagnies de navigation.

À l’automne 2007, sept pêcheurstunisiens, accusés de complicité d’immi -

gration clandestine, sont passés en justice en Sicile. Leur procès a suscité uneinquiétude considérable chez ceux quicroient que les 44 personnes (dont 11femmes et deux enfants) retrouvées sur leur bateau sont les rescapés d’un fragiledinghy en caoutchouc et ont eu la vie sauvegrâce à eux. S’ils sont reconnus coupables,les pêcheurs risquent entre un et 15 ansd’emprisonnement.

«Les commandants de bord qui sauventdes personnes en détresse ne devraient pas être pénalisés par un surcroît dedépenses», déclare John Lyras, Président duComité des politiques de la Chambreinternationale de la marine marchande. «Ils devraient être autorisés à les débarquerdès que possible.»

En juillet 2006, des amendements ontété apportés aux Conventions de 1974 et1979. Ils obligent les États à coopérer et àcoordonner leur action afin que les

personnes sauvées puissent débarquer auplus vite en lieu sûr. Cependant, plusieursgrands États maritimes n’ont pas encoreratifié ces amendements.

Les pressions financières l’emportentparfois sur les principes humanitaires. Enmai 2007, par exemple, un groupe de 27Africains a été secouru par la marineitalienne après avoir passé trois jours et troisnuits accrochés à des cages à thons tirés parun bateau de pêche maltais, le Budafel. Lecapitaine a déclaré aux médias qu’il refusaitde dérouter son navire pour débarquer ceshommes parce qu’il avait peur de perdre saprécieuse cargaison de thons.

De tels incidents font craindre que despolitiques hostiles à l’immigration,conjuguées à l’irresponsabilité des passeurset à la froideur des calculs commerciauxn’annoncent la disparition d’une noblepratique qui est presque aussi vieille quel’humanité. �

LES COMMANDANTS DE BORD QUI SAUVENT DES PERSONNES EN DÉTRESSE NEDEVRAIENT PAS ÊTRE PÉNALISÉS PAR UN SURCROÎT DE DÉPENSES.»‘‘

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L E S A M É R I Q U E S i

ÉNIGMES des CaraïbesPA R G R A I N N E O’ H A R A

L’UNHCR n’a pas de présence

permanente aux Caraïbes. Unepetite équipe itinérante opérantdepuis Washington, Miami etCaracas s’évertue à cerner

les problèmes des réfugiés qui se déplacentdans la région, et à y répondre.

Fournir une protection efficace auxréfugiés pris dans les flux migratoiresmixtes qui traversent les Caraïbes est undéfi. Plus de 25 nations insulaires indépen -dantes et territoires d’outre-mer dépen -dants sont dispersés tout le long des 2300kilomètres de mer qui séparent les Baha mas,au large de la Floride, de Trinité-et-Tobago,un territoire proche du Venezuela.

Les Caraïbes ont leur lot de passeurs quimonnaient leurs services aux migrants enleur faisant miroiter une vie meilleure enAmérique du Nord. Nombre d’îles reculéesaux eaux bleu azur — celles-là même qui fontrêver les touristes — attirent aussi des

opportunistes sansfoi ni loi, prêts à tout pourgagner rapidement del’argent, et ce quel que soit le coût humain.

Quoi de plus facile que de laisser un Sri-Lankais crédule sur une plage de Sainte-Lucie en lui faisant croire qu’il n’est plusqu’à quelques mètres du Canada? Ou dedire à une Iraquienne qu’elle est déjà arrivéeen Floride? Des semaines peuvent s’écouleravant que les migrants et les réfu giésdésorientés ne comprennent où ils setrouvent, et lorsque enfin ils le découvrent,ils n’ont plus guère de recours, les passeursétant presque toujours payés d’avance. S’ilsne se retrouvent pas à la dérive sur unbateau avarié sans eau ni nourriture, c’estdéjà une bonne chose.

TRAGÉDIES PASSÉES SOUS SILENCEChaque année, des milliers de

personnes entreprennent la traversée versle nord, en direction des États-Unis, sui vantdes itinéraires en mer tortueux, quis’entrecroisent parfois. Pendant les pério desde tensions régionales, leur nom bre aparfois atteint les dizaines de mil liers. Lesstatistiques des garde-côtes amé ricains surles personnes interceptées et renvoyéesdonnent quelques indications sur l’échellede ce flux, mais elles ne racontent qu’unepetite partie de l’histoire.

Personne ne tient de compte précis dunombre de personnes qui meurent enraison des mauvaises conditions météorolo -giques, des requins ou d’autres incidentssurvenus lors de leur voyage. Plus de 60personnes ont péri lors d’un seul incident enmai 2007, lorsqu’un sloop haïtien bondé,qui tentait de rejoindre les Îles Turques etCaïques, a chaviré, jetant ses passagers dansune mer agitée au beau milieu de la nuit.

En termes numériques, ce sont lesDomini cains, les Cubains et les Haïtiens quidominent invariablement les mouvementsmigratoires vers le nord. Mais la diversitéincroyable des itinéraires, des points detran sit et des nationalités impliquéesmettent en éviden ce une situationbeaucoup plus complexe.

KALÉIDOSCOPE MIGRATOIREL’échelle des déplacements vers les

différents territoires des Caraïbes — et entreeux — est considérable. Les Cubains et lesHaïtiens transitent par les Bahamas (laplupart avec l’intention déclarée d’aller auxÉtats-Unis). Les Cubains utili sent aussi lesÎles Caïmanes comme un marchepied avantde continuer leur interminable périple versle Honduras et d’autres endroits d’Améri -que centrale, avant de poursuivre vers lenord pour entreprendre la longue mar cheen direction de la frontière américano-mexicaine. Les Haïtiens se dirigent, quant àeux, vers les Îles Turques et Caïques et desdestinations plus méridio nales — dont lesdépartements français d’outre-mer deMartinique et de Guadeloupe — qui sont vuscomme une porte d’entrée vers l’Europe.

De plus, le nombre de personnesarrivant d’autres continents semble être en

hausse. Trinidad est un point de transit pourles Africains de l’Ouest, suivant un voyagelong et compliqué qui comprend souventune première étape au Cap-Vert, et s’achèvelorsque ses participants épuisés débarquentenfin sur les rives sud-américaines. Les Sri-Lankais apparaissent dans divers endroitsdes Petites Antilles; des Éthiopiens ontdemandé l’asile à Haïti, et des Iraquiens ontété vus en train de transiter par la région endirection, semble-t-il, de plusieurs destina -tions en Amérique du Nord et du Sud.

Quoique le nombre de personnes qui nesoient pas originaires des Caraïbes reste fai -ble, la présence de certains individus ayantdes besoins de protection très spécifi quesajoute une dimension supplémentaire à unesituation déjà complexe. Bien que pra tique -ment tous les États de la région aient signéla Convention onusienne de 1951 sur lesréfugiés, les systèmes nationaux d’asile sonten fait, dans leur quasi-totalité, inefficaces.

La quantité d’arrivées met sous pressionles capacités locales d’accueil sur des îles plusaccoutumées à répondre aux besoins d’hôtesaux porte-monnaie bien garnis qu’à ceuxd’immigrants déshydratés, rejetés sur leurscôtes par les intempéries. Face à ce phéno -mène, les États de la région tendent à réagirde manière ponctuelle et imprévisi ble.

Les réfugiés ont autant de chance d’êtreinterceptés, détenus, pris pour des migrantséconomiques et rapidement renvoyés chezeux, que d’accéder à l’un des systèmesnationaux d’asile. Et, même pour les rarespersonnes bénéficiant d’une procédured’asile, les taux de reconnaissance sontuniformément bas.

DE GÉNÉREUX PARTENAIRESDans de pareilles circonstances,

même la fourniture d’une protection mini -male nécessite des partenariats effica ces. Dece fait, l’UNHCR a pris la déci sion inhabi -tuelle de mettre en place un réseau de char -gés de liaison honorai res, qui accomplis sentle travail essentiel de protec tion sur unebase volontaire dans dix endroits clefs àtravers l’ensemble des Caraïbes.

Issus d’horizons très divers, cesbénévoles dévoués et enthousiastes — dontun maître de conférences à l’université enJamaïque et le chef d’un centre d’assistance

É TAT S-U N I S D’ A M É R I Q U E

M E X I Q U E

GUAT E M A L A

E L SA LVA D O R

H O N DU R AS

V E N E Z U E L A

Mer des Caraïbes

Page 23: RÉFUGIÉ ou migrant?

juridique aux Bahamas —comblent certaines lacunesauxquelles l’UNHCRn’aurait jamais pu répondreau regard des ressourcesdisponibles. Les accords departenariats établis avecplusieurs ONG en Républi -que dominicaine, à Haïti, enJamaïque et à Trinité-et-Tobago constituent une autrepièce essentielle du «puzzle protection» quis’étend désormais à toutes les Caraïbes.

Un séminaire récent sur les flux migra -toires mixtes, organisé par l’UNHCR etl’Organisation Internationale pour les

Migrations dans les Îles Caïmanes, a permisd’établir une plateforme d’échanges pourles États des Caraïbes, dont le besoin sefaisait grandement sentir. Ils ont ainsi pupartager diverses idées sur la manière de

renforcer leur réponsecommune aux phénomènesmigratoires, aux questions deprotection et au problème dela traite.

Les défis qui se posentdans les Caraïbes dans ledomaine de la protection sontcertes une gageure, mais ils nesont pas insurmon tables.L’établissement d’un système

prévisible qui fournirait une protectionfiable aux réfugiés est tout à fait à portée demain des États des Caraïbes qui ont, aprèstout, l’habitude de s’occuper d’un flotconstant de visiteurs venus d’ailleurs. �

R É F U G I É S 23

LA ROUTE QUI MÈNE DU MEXIQUE AUX ÉTATS-UNIS EST JALONNÉE DE DANGERS, POUR LES RÉFUGIÉS COMME POUR LES MIGRANTS

La grande MIGRATION vers le nord

PA R M A R I A N A E C H A N D I , M A R I O N

H O F F M A N N E T RU P E RT C O LV I L L E

O n estime que 500 000

migrants en situationirrégulière traversentchaque année lafrontière mexicaine. La

plupart d’entre eux sont des ressortissantsd’Amérique centrale qui tentent derejoindre les États-Unis ou, dans unemoindre mesure, le Canada. Selon lesstatistiques de l’Institut national demigration du Mexique, entre janvier etseptembre 2007, quelque 45000 migrantssans papiers ont été détenus dans plusieurscentres de rétention administrative àtravers le pays. Il semblerait cependant quebeaucoup de migrants réussissent àtraverser le Mexique sans être repérés, et lesgarde-frontières américains finissentsouvent par en arrêter plus de 1000 par jour.

Des contrôles plus sévères des migra tionspar le Mexique et les États-Unis, ainsiqu’une série de catastrophes naturelles qui

ont touché le Mexique méri dional et lesÉtats d’Amérique centrale ont eu un fortimpact sur les routes de la migration. Depuisque l’ouragan Stan a détruit 300 kilomètresde voies ferrées en 2005, la plupart desmigrants doivent parcourir plusieurscentaines de kilomètres à pied à travers lesfrontières d’El Salvador, du Honduras et duGuatemala pour pouvoir rejoindre la villed’Arriaga, dans la province mexicaine duChiapas, où ils sautent sur des trains demarchandises en direction du nord.

À la frontière méridionale même, ilsemble exister au moins trois routes terres -tres principales pour rentrer au Mexique, àtravers les villes guatémaltèques de ElNaranjo, la Mesilla ou Tecún Uman. Désor -mais, certains migrants utilisent aussi desembarcations pour partir des ports de la côtepacifique du Guatemala, dans le but d’éviterles contrôles aux frontières terrestres.

Bien que la majorité des migrants soientdes hommes, on dénombre égalementbeaucoup de femmes et d’enfants le long deces routes dangereuses, où chaque année

des centaines de personnes — sinon desmilliers — perdent la vie.

À la frontière des États-Unis unique -ment, du 1er janvier au 30 septembre 2007,au moins 400 personnes ont péri, la plupartde soif, de chaleur ou d’épuisement dans ledésert de l’Arizona. D’autres ont perdu lavie dans des accidents de voiture ou de train,ou se sont noyées dans le grand fleuve (queles Américains appellent Rio Grande et lesMexicains Rio Bravo) qui s’étend sur plus dela moitié des 3200 kilomètres de frontière.

FEMMES EN DANGERIls sont sans doute beaucoup plus

nombreux à mourir ou à tomber dans lespièges de gangs criminels bien avantd’approcher les États-Unis. Les femmessont particulièrement vulnérables auxrisques d’agressions sexuelles ou de prosti -tution forcée sur de longues durées. En fait,selon une sénatrice mexicaine, Maria ElenaOrantes, près de 80% des femmes migran -tes se rendant du sud vers le nord finissentpar être impliquées, d’une manière ou

‘‘JE ME SUIS CACHÉ DANS LA SALLE DES MACHINES D’UN PAQUEBOT, EN PENSANT QUE JE ME DIRIGEAIS VERS L’EUROPE. ET LORSQUE JE SUIS DESCENDU, ILS M’ONT DIT QUE J’ÉTAIS AU GUATEMALA.»

Ces Cubains transportent un bien de valeur à travers les détroitsde Floride.

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d’une autre, dans le commerce du sexe, etchaque année, des dizaines de milliers sontforcées à se prostituer dans la zonefrontalière entre le Guatemala et leMexique.

Personne ne remet pas en cause le faitque la grande majorité des gens se rendantainsi vers l’Amérique du Nord se déplacepour des motifs économiques. Et la questionde savoir si ces migrations sont, au final, unebonne ou une mauvaise chose pour leséconomies de leurs pays d’origine, duMexique ou des États-Unis est un débat sansfin. Mais, parmi ces gens, il y en a toujours —si ce n’est pas le cas aujourd’hui, alors hierou demain — qui sont des réfugiés. Etlorsque leur pourcentage est faible, il estsouvent plus difficile de les identifier.

Le nombre de demandes d’asile déposéesau Mexique est infime par rapport à celuides personnes qui traversent le pays — peut-être un sur mille, bien que certains deman -deront plus tard l’asile aux États-Unis.

En 2003, l’UNHCR a ouvert un petitbureau à Tapachula, une ville proche de lafrontière guatémaltèque, dans l’État duChiapas. Depuis lors, près de 600 personnesy ont déposé une demande d’asile auprèsdes autorités mexicaines. Entre janvier etoctobre 2007, 154 personnes ont demandél’asile à Tapachula, dont 12% de Somaliens,11% de Bangladais, 10% d’Érythréens et 8%de Colombiens et Éthiopiens.

VENUS DE LOINCertains des demandeurs d’asile

qui ne sont pas latino-américains arriventau Mexique pour des raisons singulières. UnSri-Lankais de 31 ans, par exemple, raconteavoir fui les Tigres tamouls. Après unpremier trajet jusqu’aux Maldives à bord

d’un bateau de pêche, il s’est embarquéclandestinement sur un navire plus grand.«Je me suis caché dans la salle des machinesd’un paquebot, en pensant que je medirigeais vers l’Europe», a-t-il raconté auxemployés de l’UNHCR au Mexique, «etlorsque je suis descendu du bateau, ils m’ontdit que j’étais au Guatemala.»

De là, il a rejoint les milliers de migrantsclandestins d’Amérique centrale se rendantvers le nord, jusqu’à son arrivée àTapachula, où une ONG partenaire del’UNHCR lui a conseillé de demanderl’asile aux autorités mexicaines.

Un autre demandeur d’asile, un jeunehomme de 26 ans originaire du Darfour, auSoudan, est arrivé de façon tout aussiaventureuse. «Je me suis d’abord rendu enÉthiopie, puis en Somalie et en Égypte, d’oùj’ai embarqué pour Panama, dit-il. Une fois àPanama, j’ai rencontré des Africains quim’ont dit que pour demander l’asile, il fallaitque je me rende au Mexique.»

À la différence de ses camarades devoyage, il dit qu’il est heureux de s’arrêterau Mexique, où il tente (avec difficulté)d’obtenir un emploi d’enseignant d’anglais.«Ils m’ont gardé en détention provisoire aucentre de rétention pour migrants, où j’aifait la connaissance d’autres Soudanais,d’Érythréens et d’Éthiopiens, se souvient-il.Ils m’ont dit qu’ils allaient aux États-Unis.»

LA PROGRESSION DES GANGSL’un des phénomènes les plus

curieux de cette région concerne lespersonnes qui fuient ce que l’on appelle les«maras», ces gangs de rue extrêmementviolents présents dans toute l’Amériquecentrale et aussi dans le sud du Mexique. Lemot «maras» vient du nom d’une espèce de

fourmis carnivores, particulièrementféroces. Ces gangs comptent en leur sein desenfants d’une dizaine d’années à peine.

La plupart des demandes d’asiledéposées auprès des autorités mexicainesproviennent de jeunes ou de famillesoriginaires du Honduras, d’El Salvador etdu Guatemala, qui prétendent êtrepersécutés par ces bandes. Certaines per -son nes ont peur d’être recrutées de force parles maras, d’autres craignent des représaillescar elles ont été les témoins de crimes.

En 2007, l’Institut national de migrationdu Mexique a promulgué une réglementa -tion interne (élaborée avec l’assistance del’UNHCR). Celle-ci vise à faciliter l’octroidu statut humanitaire aux demandeursd’asile qui ne rempliraient pas les critèrespour l’obtention du statut de réfugié — selonla Convention de 1951 relative au statut desréfugiés ou selon la Déclaration de Cartha -gè ne, un instrument juridique régio nalessen tiel pour la protection des réfugiés —mais qui pourraient de toute évidence avoirbesoin d’une autre forme de protection. Deplus, l’UNHCR, l’UNICEF et d’autresagences essaient de mettre en place unsystème pour aider les enfants non accom -pa gnés tout particulièrement vulné ra bles,qui seraient bloqués dans cette régionfrontalière agitée.

Pendant ce temps, la grande migrationvers le nord continue, avec ses tragédies, sespeines muettes et ses victimes qui, pour uneraison ou pour une autre, tombent le longdu chemin. �

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Des migrants pleins d’espoir sefraient un chemin dans le désert ausud de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

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E U R O P E i

DANS CERTAINS PAYS INDUSTRIALISÉS, LA DÉTENTION EST MAINTENANTADMISE COMME UN MOYEN DE CONTRÔLER L’ IMMIGRATION.”

Contrôle versus PROTECTION:LES RÉFUGIÉS, LES MIGRANTS ET L’ UNION EUROPÉENNE

PA R J U D I T H KU M I N

E n 1999, les États de

l’Union européenne (UE) sesont mis d’accord pour établirun «système européencommun d’asile», fondé sur

une «application complète et inclusive» dela Convention de 1951 relative au statut desréfugiés. La première phase a été consacréeau développement de standards minimumscommuns pour assurer un traitementcohérent des demandeurs d’asile et desréfugiés dans l’ensemble de l’Unioneuropéenne. Depuis que cette phase a étéachevée, à la mi-2004, le travail destiné àdévelopper un système commun d’asiles’est poursuivi. Toutefois, un changementtrès net a été opéré, la priorité ne portantplus sur la protection des réfugiés mais surl’arrêt des migrations irrégulières.

Au cours de la première phase, l’Unioneuropéenne a adopté des directives légalespour traiter des dimensions les pluscruciales de ce système, notamment lamanière dont les procédures d’asiledevraient être menées, et le niveauminimal d’assistance à accorder auxrequérants d’asile. Elle a égalementdonné son consentement à deux autresinstruments juridiques — connus sousle nom de règlements Dublin II etEurodac — qui établissent quel est l’Étateuropéen responsable de traiter telle ou telledemande d’asile.

DES STANDARDS DIFFÉRENTSAlors que l’Union européenne

traverse la deuxième phased’harmonisation (destinée essentiellementà mettre en œuvre les nouvelles lois et àcombler tout fossé existant), un besoinévident a vu le jour, celui de réduire lesécarts entre les pratiques des divers Étatseuropéens.

En novembre 2007, l’UNHCR a publiéune étude sur la mise en œuvre de la

directive Qualification. Cet élément clef dela législation adoptée au cours de lapremière phase détermine en effet qui adroit à une protection au sein de l’Unioneuropéenne. L’étude passe en revue 1488décisions en matière d’asile prises dans cinqpays de l’UE. Elle confirme que desdifférences importantes existent toujourssur une variété de problèmes. Il en résulteque les réfugiés sont reconnus comme telsdans un pays et pas dans un autre. Lerapport a établi des «disparités flagrantes»dans les taux de reconnaissance dedemandeurs d’asile issus de plusieurs payscomme l’Iraq, la Somalieet le Sri Lanka. Pourun demandeurd’asile

iraquien, lachance de

recevoir uneprotection au sein de l’UE

va de 75 % en Suède à zéro en Slovaquie et enGrèce (voir l’encart en page 28).

Les défenseurs des réfugiés sont aussi deplus en plus préoccupés par la manière dontles efforts destinés à contrôler lesmigrations affectent les personnes en quêtede protection. Les contrôles aux frontièresétant progressivement abolis au sein del’UE, celle-ci se concentre désormais sur lerenforcement du contrôle de ses frontièresextérieures. En 2006, l’UE a adopté unepolitique commune, nommée «codefrontières Schengen». Cette politiquecomprend une disposition générale

stipulant qu’elle ne porte pas préjudice auxdroits des réfugiés et des autres personnesdemandant une protection internationale,en particulier au non refoulement (unélément fondamental du droit internationalqui interdit aux États de renvoyer de forceles réfugiés vers une situationpotentiellement dangereuse dans leurpropre pays).

Et pourtant, le personnel chargé desurveiller les frontières extérieures trèsactives de l’UE n’est pas toujours conscientque les réfugiés doivent avoir la possibilitéde demander asile.

TACTIQUES DE DIVERSIONLes efforts accrus pour

décourager ou détourner lespersonnes avant qu’ellesn’atteignent les frontièresextérieures de l’UE sont la sourcede préoccupations croissantes,notamment depuis que l’Agence

européenne pour la gestion de lacoopération opérationnelle aux

frontières extérieures des Étatsmembres de l’Union européenne (aussiappelée «Frontex») a commencé àfonctionner à la mi-2005, avec un mandatélargi comprenant la coordination desefforts conjoints des États pour surveiller lesfrontières extérieures de l’UE.

Les opérations multinationales enMéditerranée et dans l’Atlantique pourintercepter les bateaux de migrants sedirigeant vers les rives méridionales del’Europe en sont l’élément le plus visible.Les opérations de Frontex visent àempêcher ces embarcations d’entrer dansles eaux de l’UE et, si possible, à les renvoyervers leurs points de départ en Afrique duNord ou de l’Ouest.

Ce qu’il a pu advenir de ceux qui, parmieux, auraient pu être des réfugiés resteindéterminé à ce jour. L’UNHCR tented’établir une relation avec Frontex, avecpour objectif d’aider l’agence européenne à

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garantir qu’aucun réfugié ne soit renvoyéinvolontairement vers un endroit où ilpourrait être en danger.

Une autre priorité de l’UE dans soncombat contre l’immigration irrégulière aété la signature d’accords de réadmission,notamment avec des pays situés à l’est et ausud des frontières de l’UE. En 2002, àSéville, un Conseil européen (une réunionbiannuelle des chefs de gouvernements del’UE) a proposé que des clauses deréadmission obligatoire soient intégréesdans tout accord futur de coopération,association ou équivalent entre l’UE et despays n’appartenant pas à l’UE. Il a aussi

accordé un mandat large à la Commissioneuropéenne, pour qu’elle négocie desaccords de réadmission avec des paysparticuliers.

La compatibilité entre cette politiqueoffensive de réadmission et les normesinternationales de protection des réfugiésreste préoccupante. Bien que les accordscomprennent une disposition généralerappelant les obligations des États en vertude la Convention de 1951 sur les réfugiés, lessignataires des accords de réadmission ontjusqu’à présent omis d’introduire desmesures plus précises afin d’assurer lasauvegarde de la protection.

DES RISQUES AVÉRÉSIl existe un risque réel que les

requérants d’asile dont les demandes n’ontpas été traitées sur le fond au sein de l’UEsoient transférés, en vertu d’accords avecdes pays qui ne disposent pas de procéduresd’asile justes et efficaces. En effet, desexemples illustrant des situationssemblables survenues dans le cadre de cesaccords bilatéraux sont régulièrementrecueillis : le docteur Katrine Camilleri, uneavocate qui travaille pour le Jesuit RefugeeService et s’occupe notamment du suivi descentres de rétention à Malte, a décrit un cassemblable aux membres de l’organe

À l’automne 2005, des centaines de candidats à l’ immigration désespérés (et quelques réfugiés) ont été arrêtés, alors qu’ils tentaient de rejoindrel’Europe via les enclaves espagnoles situées enAfrique du Nord.

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Morts en tentant de rejoindre l’EuropeCas documentés, recueillis sur une période de trois semaines, de personnes décédées alors qu’elles tentaient de gagner l’Europe.

DATE MORTS N O M O R I G I N E C A U S E D U D É C É S

17-9-06 13 Sans nom inconnue noyés ; 1 corps retrouvé, 12 portés disparus après le naufrage à 185 km au sud-ouest de Malte

16-9-06 1 Sans nom (homme) Afrique sub-saharienne corps retrouvé dans un bateau avec 56 survivants arrivés à Los Cristianos, dans les îles Canaries (Espagne)

12-9-06 250 Sans nom inconnue disparus ; un bateau, livré à la merci des flots, a envoyé un SOS près de Lampedusa, en Italie

10-9-06 2 Sans nom kurde morts dans un champ de mines après être entrés dans la zone de Vyssas, dans l’Evros (frontière entre la Turquie et la Grèce)

9-9-06 17 Sans nom Somalie morts de faim ; jetés par dessus bord depuis un bateau qui dérivait en chemin vers l’Italie depuis la Libye

5-9-06 2 Sans nom inconnue noyés ; corps retrouvés sur la plage de Torretta Granitola, près de Mazara del Vallo, en Italie

3-9-06 1 Sans nom (homme) Algérie clandestin ; tombé dans un champ à Vinantes (France) depuis le train d’atterrissage d’un avion venu d’Afrique du Nord

3-9-06 1 Janvier Makiadi Congo suicide ; pendu sous un pont après que sa demande d’asile ait été rejetée (Royaume-Uni) ; aussi appelé Paul Kiese

3-9-06 1 Sans nom Maghreb retrouvé près de Los Ancones, en Espagne; corps jeté par-dessus bord par un bateau, échoué à Lanzarote

2-9-06 8 Sans nom Erythrée/Somalie morts de faim et de soif; corps jetés par-dessus bord pendant le voyage vers l’Italie

1-9-06 1 Sans nom (homme) Pakistan noyé ; le bateau a percuté des rochers près d’Hania (Grèce), après avoir quitté l’Égypte en direction de l’Italie

1-9-06 3 Sans nom Afrique sub-saharienne morts après avoir été secourus au large d’El Hierro, dans les îles Canaries (Espagne), après que leur bateau ait coulé

1-9-06 7 Sans nom inconnue supposés noyés; disparus après que le bateau ait coulé près des côtes de la Crète (Grèce)

30-8-06 10 Sans nom inconnue morts dans le bateau avec 13 survivants à bord; corps jetés par-dessus bord pendant la traversée vers l’Italie

29-8-06 132 Sans nom Afrique sub-saharienne noyés ; 84 corps retrouvés, 48 disparus, naufrage au large de la Mauritanie

28-8-06 1 Sans nom (homme) Mali mort de déshydratation après avoir été abandonné dans le désert du Sahara

directeur de l’UNHCR à Genève, un jouraprès avoir reçu la prestigieuse distinctionNansen 2007 pour les réfugiés, en raison desservices exceptionnels qu’elle a rendus à lacause des réfugiés.

Elle se souvenait des mots d’unrequérant d’asile somalien décrivant ce quilui était arrivé après qu’il ait été remis parun pays de l’UE aux autorités d’un pays parlequel il avait précédemment transité :«Quand nous avons atterri… nous avons été placés en détention dans l’aéroportpendant plusieurs jours, puis on nous abandé les yeux, mis dans une camionnetteet emmenés dans un autre lieu… Noussommes restés dans cet endroit sept jours.Ces jours ont été les pires de toute ma vie.J’ai été longuement interrogé et torturé,frappé sur les tibias et électrocuté. Ils ontattaché mes jambes et placé un morceau debois derrière mes genoux, puis ils m’ontsuspendu tête en bas. Ensuite, ils m’ontfrappé sur la plante des pieds. Parfois j’étaisbattu si durement que j’urinais du sang.»

Il a été condamné, tout comme les autrespersonnes déportées avec lui, à neuf moisd’emprisonnement, qu’il a passés dans desconditions effroyables avec 50 détenus parcellule. À la fin de sa peine, il a été mis dansune jeep avec d’autres gens et conduit dansle désert. Trois jours plus tard, ils ont étéforcés à sortir du véhicule au milieu dudésert et informés qu’ils étaient à lafrontière. Sur les six personnes du groupe,

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Source : UNITED — www.unitedagainstracism.org. En mars 2007, ce réseau d’ONG avait réuni des informations documentées sur la mort, depuis 1993, de 8855 candidats à l’immigration et deréfugiés qui se dirigeaient vers l’Europe ou s’y trouvaient déjà. L’utilisation d’un extrait de cette liste ne signifie pas que l’UNHCR certifie l’ensemble des détails qu’elle contient.

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seuls deux, dont la personneinterrogée par le docteurCamilleri, ont survécu.

VISION RESTREINTEAucune disposition de

suivi pour les cas dedemandeurs d’asile réadmisn’existe ni n’est envisagée parl’UE ou ses États membres,bien que le risque de détentionirrégulière après réadmissionsoit réel, comme dans le casmentionné ci-dessus. Et pas seulement enAfrique du Nord. Sur la frange orientale del’UE par exemple, l’Albanie, l’Ukraine et laRussie sont massivement engagées dans laconstruction de centres de rétention pourimmigrants, souvent avec un importantsoutien financier de l’UE.

La longueur des périodes de détentionest aussi caractéristique de certains États de

l’UE, comme Malte et la Grèce: «Danscertains pays industrialisés, la détention estmaintenant admise comme un moyen decontrôler l’immigration, indique Katrine

Camilleri. Parfois, il sembleque le droit fondamental à laliberté individuelle soit prisà l’envers; il existemaintenant une sorte deprésupposé, qui ne peut pasêtre remis en question etselon lequel la détention estla seule option possible.»

De fait, même si desefforts révolutionnaires sepoursuivent pour établir unsystème com mun de grande

qualité pour les personnes qui parviennentà atteindre l’Union euro péenne et à déposerune demande d’asile, il est possible que lespolitiques de l’UE pour contrôler lesmigrations placent de nom breux réfugiés etd’autres personnes vulnérables dans unesituation floue, poten tiellementdangereuse, en termes de protec tion dansles pays voisins de l’Union. �

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En raison de sa localisationgéographique, la Grèce a toujours étél’une des principales portes d’entrée

vers l’Europe pour les personnes venant duMoyen-Orient ou de plus loin, par terre, air oumer. Parmi les derniers arrivants figure unnombre significatif de personnes ayant fui despays déchirés par la guerre, comme la Somalieet l’Afghanistan. Au cours du premier trimestre2007, environ 3500 Iraquiens ont déposé unedemande d’asile en Grèce, ce qui constitue lechiffre le plus élevé de tous les paysindustrialisés après la Suède.

De manière générale, le nombre de migrantset de requérants d’asile ayant entrepris detraverser par bateau depuis la Turquie afortement augmenté en 2007. De ce fait, lescentres de rétention installés sur les îles deSamos, Chios et Lesbos ont connu de gravesproblèmes de surpopulation.

L’agence des Nations Unies pour les réfugiésa, de manière répétée, fait part de sapréoccupation face aux mauvaises conditionsdans lesquelles sont détenus les migrants et lesdemandeurs d’asile en Grèce. En octobre 2007,l’UNHCR a demandé la fermeture immédiated’un centre de rétention spécifique, qui setrouve sur l’île de Samos, en raison desconditions de surpopulation et d’hygiènedéplorables sur place. En juillet dernier, unrapport du Parlement européen avait déjà décritce centre comme «sordide, déplorable,

inhumain et inacceptable » et considéré d’unœil critique plusieurs autres aspects du systèmed’asile de ce pays.

Les personnes qui entrent de manièreirrégulière en Grèce sont confrontées àd’ importantes difficultés pour accéder auxprocédures d’asile. Parmi ces problèmesfigurent le manque d’ information sur leursdroits et les procédures d’asile, le manqued’interprètes professionnels et une aidejuridique insuffisante.

Néanmoins, un nouveau guide du Ministèrede l’ intérieur sur les procédures d’asile enGrèce, publié en six langues, devrait permettred’améliorer cette situation.

Depuis des années, l’UNHCR exprime sapréoccupation en raison du nombreextraordinairement bas de réfugiés reconnus enGrèce, par rapport aux autres pays de l’UE (letaux général de reconnaissance tourne autourde un pour cent).

Une étude sur la mise en œuvre de ladirective Qualification de l’Union européennemenée dans cinq pays de l’UE, publiée parl’agence pour les réfugiés en novembre 2007,semble confirmer l’existence de problèmesgraves dans les procédures d’asile de ce pays.

Cette étude a examiné 305 décisions depremière instance, sélectionnées de manièrealéatoire, et portant sur des demandesdéposées par des requérants du Soudan, d’Iraq,d’Afghanistan, de Somalie et du Sri Lanka. Les

305 décisions étaient négatives. L’étude amontré qu’aucune d’entre elles ne faisaitréférence à des faits, ni ne contenait deraisonnement juridique. Alors que toutedemande d’asile devrait être évaluée selon sesmérites propres, l’ensemble des décisionspassées en revue contenait un paragraphestandard, avec des informations identiques.

Du fait de ces défaillances, l’étude a déclaré :«La recherche n’a pas été en mesure dediscerner de pratique juridique en Grèce.»

Quelques semaines auparavant, en octobre2007, un autre rapport avait été rendu public parl’Association des avocats grecs pour la défensedes droits des réfugiés et des migrants et parl’ONG allemande Pro Asyl, d’après lequel lesgarde-côtes grecs renverraient les boat people.«Ils tentent de bloquer leurs bateaux et de lesforcer à sortir des eaux territoriales grecques,indiquait le rapport. Indépendamment du faitqu’ ils survivent ou pas, les passagers sont rejetéssur les rives d’îles inhabitées ou abandonnés àleur sort en pleine mer.» Selon ce mêmerapport, il y aurait eu des cas sérieux de mauvaistraitements infligés à des migrants en Grèce,ainsi que des cas de retours forcés de personnes,qui pourraient être des réfugiés, vers la frontièreterrestre avec la Turquie (un problème quel’UNHCR a soulevé à diverses occasions). LeGouvernement grec a ordonné qu’une enquêtesoit ouverte pour vérifier ces allégations.

William Spindler

Études grecques

Un jeune Roumain arrêté par la police des frontières hongroise attend dans la zone de rétention d’un aéroport,avant d’être expulsé.

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Ces personnes font partie dupremier groupe de demandeursd’asile à avoir été déposé par lamarine australienne sur l’île de

Nauru, dans le Pacifique, enseptembre 2001.

A S I E i

DÉROUTÉS sur NauruPA R A R I A N E RU M M E RY

E n août 2001, les autorités

australiennes refusèrent delaisser débarquer sur l’îleChristmas 433 demandeursd’asile, principalement

d’origine afghane, qui venaient d’êtresecourus par un cargo norvégien, le MVTampa, alors que le bateau de pêcheindonésien à bord duquel ils se trouvaientétait en train de couler. La Nouvelle-Zélande accepta 131 Afghans directementdepuis le bateau, et le reste fut transféréjusqu’à l’État insulaire de Nauru, dans lePacifique, marquant ainsi le début de ce quel’on a appelé «la solution Pacifique».

Zerghona Jawadi faisait partie des 1600requérants d’asile à être emmenés à Nauruou sur l’île de Manus, suite à l’incident duTampa.

Zerghona, son mari Hadi et leur fils dedix ans Mustafa, avaient, dans un premiertemps, rejoint l’Iran pour s’échapperd’Afghanistan, alors sous le contrôle desTaliban, car la famille avait fait l’objet demenaces. Puis ils avaient poursuivi leurpériple jusqu’à l’Australie, via un itinéraireconnu passant par la Malaisie et l’Indonésie.

Après huit jours en mer, le petit bateaude pêche qui les transportait, ainsiqu’environ 160 autres demandeurs d’asile,commença à couler, près d’Ashmore Reef,au large des rives nord-est de l’Australie.C’était le 8 novembre 2001, soit deux joursavant les élections fédérales. Le SumberLestari — identifié par les autoritésaustraliennes comme «véhicule suspectéd’entrer illégalement (SIEV) numéro 10»—prit feu. Sur le point d’être asphyxiés par lafumée, Zerghona, Hadi et Mustafasautèrent dans l’eau, pour être finalementsecourus par un bateau de la marineaustralienne.

Deux femmes périrent lors de cetincident. Les survivants furent emmenés

jusqu’à Ashmore Reef pendant deux jours,puis sur l’île Christmas pendant deux mois,avant d’être finalement transférés à Nauru.

LES EXPLICATIONS DU MINISTREZerghona se souvient très bien

de la visite, peu après son arrivée à Nauru,du Ministre australien de l’immigration de l’époque, Philip Ruddock, qui parlabrièvement avec le groupe, principalementcomposé de demandeurs d’asile afghans etiraquiens.

«Je me rappelle, j’étais debout, près delui, dit Zerghona. Vous n’êtes pas desréfugiés parce que vous n’êtes pas entrés par la porte, vous êtes entrés par la fenêtre,a-t-il dit. Vous n’êtes pas les bienvenus enAustralie.»

Mais la métaphore employée par leministre échappa à Zerghona et à beaucoupd’autres. Elle ne comprit pas non pluspourquoi le fait qu’elle soit parvenue àréunir, avec sa famille, un peu d’argent pourpayer leur passage et qu’ils aient séjournéun moment en Iran, remettait en cause lalégitimité de sa demande d’asile.

«Nous avons vendu notre maison etnotre magasin en Afghanistan parce quenous ne pouvions plus rester là-bas. Nousavions des problèmes; il nous fallait partir»,

explique-t-elle. Ils ont séjourné six mois enIran. Mais, sans pièce d’identité ni statutofficiel, ils ont rencontré de nombreuxobstacles et se sentaient très vulnérables.«C’était dur : mon fils ne pouvait pas aller àl’école, et mon mari a été emmené, alorsqu’il se trouvait dans la rue. Il a dû donnerde l’argent deux fois.»

DÉCOURAGERLES ENTRÉES IRRÉGULIÈRES

La différence de traitement accordé

aux personnes en fonction de leur moded’arrivée est devenue un élément central dela politique d’asile australienne.

À partir de la politique de détentionobligatoire des «arrivants non autorisés»mise en place par le Gouvernementtravailliste en 1992, la coalitiongouvernementale Howard a approfondi ladifférence de traitement entre lesrequérants d’asile arrivant avec des visas etceux sans visa. Les visas de protectiontemporaire, les procédures offshore et lesdélais très longs dans les centre offshorepour les réfugiés reconnus sont tousdevenus les éléments d’un régime spécialréservé aux personnes rentrant «par lafenêtre», et non «par la porte».

Ce traitement différencié a, de longue

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R É F U G I É S30‘‘NOUS DEVONS OBSERVER LA NATURE ET LE CARACTÈRE DES PERSONNES QUISE DÉPLACENT EFFECTIVEMENT, PLUTÔT QUE DE FAIRE DES HYPOTHÈSESGÉNÉRALES SUR LES MIGRATIONS IRRÉGULIÈRES.»

date, été source de préoccupation pourl’UNHCR, pour les avocats, les ONG et lesdéfenseurs des demandeurs d’asile — entreautres parce qu’il va à l’encontre des princi -pes de protection et des droits de l’homme.

Question : si cette série de mesures vise àdécourager les migrants économiquespotentiels, cette logique résiste-t-elle encores’il s’avère que la plupart des personnesaffectées par celles-ci sont d’authentiquesréfugiés?

Au fil du temps, le taux de reconnaissan -ce des demandeurs d’asile arrivant sans visaen Australie reste invariablement supérieurà celui des requérants avec un visa.

En Australie, les mots onshore et offshoreapparaissent constamment dans le débatpublic, alors qu’ils sont peu utilisés ailleurs.Les demandes d’asile onshore sont effectuéespar des personnes qui ont atteint le conti -nent australien, souvent par voie aérienne eten possession d’un visa valide. Certainespersonnes arrivant par bateau évitent lespatrouilles des douanes et entrent sur lecontinent, mais la plupart arrivent sur desterritoires éloignés comme Ashmore Reefou l’île Christmas (ou sont interceptés enmer) et sont déroutés vers le système off -shore — ce qui implique qu’ils sont transférésvers les centres de réception controversésbasés à Nauru et sur l’île de Manus.

Le délégué régional de l’UNHCR àCanberra, Richard Towle, note qu’enpratique le système australien semblepénaliser les demandeurs d’asileauthentiques, via le système offshore.

«En Europe, il existe des flux plusimportants de personnes se déplaçantclandestinement pour des motifs trèsdivers. Au sein de ces flux, la part desréfugiés et le taux de reconnaissance sontrelativement bas, dit-il. Mais les statistiquesdémontrent que les soi-disant “voyageursirréguliers” au sein de la région australo-asiatique sont, en fait, pour l’essentiel desréfugiés.»

D’après le département de l’immigra -tion et de la citoyenneté, les chiffres onshoreindiquent que, de juillet 1999 à juin 2007, surles 11266 demandeurs d’asile arrivés enAustralie sans visa valide (et donc automati -quement détenus), 87% ont été reconnus

comme étant des réfugiés. Au contraire,pendant la même période, seuls 15 % des49573 arrivants «légaux» qui ont demandél’asile ont obtenu le statut de réfugié.

DES STANDARDS DIFFÉRENTSL’UNHCR s’inquiète tout

particulièrement du nombre restreint demesures de sauvegarde procédurales misesen place pour les personnes qui sont traitéesoffshore: ces demandeurs d’asile, à ladifférence de ceux qui sont traités sur lecontinent australien, ne disposent pas d’unaccès facilité à l’assistance juridique, à unexamen pleinement indépendant de lavalidité de leur demande, ou aux coursaustraliennes. De ce fait, ils encourent unrisque supérieur d’être renvoyés par erreuret contre leur gré vers une situationdangereuse dans leur pays.

Richard Towle reconnaît la légitimité dusouci qu’ont les États de contrôler leursfrontières, mais il rappelle que les besoins deprotection devraient rester au cœur detoutes les politiques relatives au traitementdes réfugiés à la fois onshore and offshore.

«Nous avons besoin d’observer la natureet le caractère des personnes qui sedéplacent effectivement, plutôt que de fairedes hypothèses générales sur les migrationsirrégulières», ajoute Richard Towle.

« Actuellement, dans la région AsiePacifique, la question est moins de savoir sices “personnes se déplaçant au sein demouvements secondaires” ont besoin deprotection, mais quel est le pays le mieuxplacé pour la leur fournir, ajoute-t-il. Trèspeu de pays par lesquels passent les réfugiésen route vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont signé la Convention sur lesréfugiés, alors qu’en Europe c’est le cas depresque tous les pays.»

Après deux ans et demi à Nauru,Zerghona Jawadi et sa famille ontfinalement été reconnus comme réfugiés etemmenés jusqu’à la capitale australienne,Canberra, en juillet 2004. Hadi travaillecomme peintre en bâtiment et Mustafa, quiest aujourd’hui âgé de 16 ans, a de bonsrésultats scolaires. Les choses semblents’arranger pour la famille Jawadi. Zerghonaa été la première des «dames afghanes de

Nauru» à obtenir le permis de conduire et àtravailler dans un magasin de Canberra. Elleespère reprendre des études d’infirmiè re,dès que son plus jeune enfant, Hedayat — quifait partie des quelque 20 bébés à être nés àNauru — commencera l’école.

UNE QUESTION D’ÉTHIQUELe gouvernement insiste sur le fait

que la baisse du nombre d’arrivées parbateau démontre que la procédure offshoreparvient à décourager les immigrantsirréguliers potentiels et les passeurs.

Pour d’autres, comme le professeur del’Université Nationale AustralienneWilliam Maley, établir un lien entre despolitiques et des résultats observés est«semé d’embûches».

«Des influences multiples s’exercent, quipeuvent modifier la façon dont les gensdécident de migrer, ou de se déplacer d’unpays ou d’une zone à un(e) autre», expliqueWilliam Maley, avant d’ajouter que leschangements politiques survenus au seindes pays d’origine pourraient bien avoirdavantage d’influence sur les arrivées parbateau que les politiques gouvernementalesdestinées à les décourager.

D’après le droit international, lespersonnes qui pénètrent sur le sol australiensans visa afin de demander asile n’ontcommis aucun délit, explique WilliamMaley. Pour lui, il existe aussi uneimportante «question morale sur lalégitimité de… ne pas traiter correctementun groupe potentiellement innocent, dansle but de décourager les autres». �

En novembre 2007, sept requérants d’asileoriginaires du Myanmar attendaienttoujours qu’une décision soit prise sur leursort, après plus d’une année passée àNauru. Et 74 réfugiés reconnus, sur ungroupe de 82 Sri-Lankais envoyés à Nauruen mars 2007, se trouvaient encore surcette île, le Gouvernement australiencherchant toujours un pays disposé à lesaccueillir. Le parti travailliste,nouvellement élu, a promis de mettre finaux procédures offshore sur Nauru et l’îlede Manus.

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PA R YA N T E I S M A I L

A min et Hashim, deuxdemi-frères de 16 ans,avaient enduré quinze joursde dur labeur sans rémuné -ration —ni pratiquement de

repos et de nourriture — à bord d’un petitbateau de pêche dans le golfe du Bengale.

«Le pêcheur nous a dit que nous luiavions été vendus pour rembourser nosdettes à l’agent des passeurs, se souvientAmin. Nous étions au milieu de la mer — iln’y avait personne pour nous aider.» Lesdeux jeunes réfugiés rohingya de confessionmusulmane pensaient avoir payé untrafiquant pour qu’il les aide à fuir leMyanmar et à gagner la Malaisie. En réalité,ils avaient été vendus en vue d’effectuer dutravail forcé en Thaïlande.

Une nuit, dans un geste de désespoir, lesdeux garçons sautèrent dans la mer.

«Nous avons nagé pendant des heures, sesouvient Amin. Quand nous avonsfinalement rejoint la rive, le ciel était rose etle jour se levait.» Ils ont voyagé à pied, secachant le jour et traversant furtivement lacampagne thaïlandaise la nuit, jusqu’à cequ’ils arrivent à la frontière malaisienne.

INTERDICTION DE PARTIRAmin et Hashim ont fui leur village,dans l’État de Rakhine, au nord duMyanmar, après avoir appris qu’ils étaientrecherchés en raison d’un voyage qu’ilsavaient précédemment entrepris pourtrouver du travail au Bangladesh (lesRohingya sont apatrides et ne peuvent doncpas obtenir les papiers nécessaires pourtravailler légalement hors de l’État deRakhine — encore moins pour quitter lepays).

Craignant le pire, la famille des deuxjeunes gens avait versé 1000 dollars — uneénorme somme pour une famillerohingya — à un agent pour qu’il lesintroduisent clandestinement dans lacapitale malaisienne, Kuala Lumpur, oùvivent plusieurs de leurs proches.

L’histoire d’Amin et Hashim estmonnaie courante ici. Depuis des décennies,des voyages similaires organisés pour desraisons similaires ont lieu. Le Myanmar est

le pays d’Asie du sud-est qui produit le plusde réfugiés — soit 203000 réfugiésenregistrés dans les pays voisins au début2007 (leur nombre réel pourrait avoisinerles 400000 personnes). Parmi eux, 31000individus sont arrivés en Malaisie ces dixdernières années pour y trouver refuge.

Au sein même de l’Asie, lesmouvements migratoires et lesmouvements de réfugiés s’entrecroisentfréquemment. Certains pays, comme leMyanmar, impo sant des mesures strictes de contrôle des sorties, les réfugiés n’ontsouvent pas d’autre choix que de prendrepart à des mouvements illégaux pour se mettre en sécurité ou rejoindre desmembres de leur famille ; ils sont souventcontraints d’utili ser les mêmes méthodes et d’emprunter les mêmes itinéraires que les migrants.

De ce fait, les réfugiés en Asie — commeailleurs — sont stigmatisés, et perçus commedes personnes qui tentent de détourner laloi. De plus, leur dépendance vis-à-vis dumonde cauchemardesque des trafiquantsaccroît la vulnérabilité des réfugiés et desmigrants aux risques d’abus — comme dansle cas d’Amin et Hashim, dont le marchéconclu pour obtenir un passage clandestins’est transformé en un trafic de travail nonrénuméré. S’il s’était agi d’adolescentes,leur sort aurait pu être bien pire encore.

Peu de pays asiatiques ont signé lesinstruments internationaux relatifs auxréfugiés, et la plupart ne disposent pas nonplus d’un système d’asile officiellement

établi. Il existe une traditiond’accueil informelle desréfugiés dans la majorité despays asiatiques, mais latolérance ne suffit pas, à elleseule, à fournir aux réfugiésla sécurité dont ils ontbesoin.

ACCUEIL MIXTELe pays connu pour

accueillir le plus grandnombre de réfugiésoriginaires du Myanmar est

la Thaïlande, où quelque 140000 d’entreeux vivent dans neuf camps, le long de lafrontière entre les deux pays. Sur ce total,128500 (principalement d’ethnies Karen etKarenni) sont enregistrés comme réfugiés,le reste attendant qu’une décision soit prisesur leur statut par les Conseils d’admissionprovinciaux de Thaïlande.

Au Bangladesh, plus de 27000 réfugiésrohingya musulmans vivent dans deuxcamps gérés par l’UNHCR — auxquelss’ajoutent près de 200000 autres Rohingyaqui ne sont pas officiellement enregistréscomme réfugiés et vivent au sein de lapopulation locale.

Certaines communautés de réfugiés duMyanmar sont installées en Malaisie — oùelles vivent en milieu urbain, plutôt quedans des camps — depuis près de vingt ans.Mais leur statut, qui en fait techniquementdes personnes en situation irrégulière, rendleur vie difficile, et les expose au risqued’être arrêtées pour infraction à lalégislation sur l’immigration, etnotamment pour «entrée illégale».

Les mesures restrictives introduites pardivers pays pour réduire les migrationsirrégulières empêchent souvent les réfugiésde pouvoir trouver la sécurité — commel’illustre bien le cas d’Amin et Hashim,immédiatement interpellés par les autoritésmalaisiennes et emmenés dans un centre derétention administrative. Après plusieurssemaines, la fortune leur a finalementsouri : l’UNHCR est intervenu en leurfaveur et ils ont été libérés. Mais beaucoupd’autres, en Asie et ailleurs dans le monde,n’auront peut-être pas leur chance.Combien ? Nous ne le saurons jamais. �

LA SITUATION DES RÉFUGIÉS EN ASIE

La TOLÉRANCE peut-elle suffire ?

Trois mères avec leurs bébés. Ellesviennent d’être libérées d’un centre derétention pour immigrés en Malaisie.

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