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    paratre en 2005 in : Revue DYALANG (Revue du laboratoire Dynamiques Sociolangagires) sous ladirection de R. Honvault,Lorthographe en questions, Rouen: Publications de l'Universit de Rouen

    Mehmet-Ali AKINCI

    DYALANG, UMR CNRS 6065 Universit de Rouen

    LA REFORME DE LECRITURE TURQUE

    La rforme de lcriture a eu lieu en Turquie en 1928. Lalphabet arabe qui tait en usagedepuis plus de mille ans a t abandonn au profit dun alphabet latin-turc. Cette rformeconstitue dans lhistoire des langues un vnement de grande envergure. Comme toutvnement important, il peut tre analys selon diffrentes points de vue : linguistique,culturel et ducatif. Il peut galement tre abord d'un point de vue conomique, sociologique

    et politique. Dans cet article nous allons aborder cette rforme sous ses aspects historique etpolitique (pourquoi en sommes-nous arrivs une telle rforme ?), linguistique (comments'est- elle concrtement ralise ?) et sociologique (quelles ont t les consquences pour lepeuple turc ?).

    Le changement de lcriture tait lune des composantes principales de la rforme de lalangue de la jeune Rpublique turque au dbut des annes 1920. Sous lEmpire ottoman, lesTurcs constituaient lun des nombreux groupes linguistiques et ethniques, et la langueofficielle de lEmpire tait le turc ottoman, un mlange d'arabe, de persan et de turc. Tout aulong de cet empire, les intellectuels ont emprunt non seulement des mots l'arabe et aupersan mais galement des expressions figes ainsi que les structures syntaxiques de ceslangues et les ont incorpores au turc. Cette langue, qui na t crite et parle que par l'lite

    ottomane, tait presque totalement incomprhensible du reste de la population turque vivantdans les limites de l'empire. Pendant ce temps, le turc est rest la langue des pauvres et desillettrs1. La contestation du turc ottoman, mlange de trois langues (arabe, persan et turc),sest manifeste pendant la priode appele Tanzimat2 dans la deuxime moiti du XIXesicle par des intellectuels modernistes. Ceux-ci critiquaient surtout son alphabet parce que lalangue crite ne correspondait pas exactement aux sons du turc (une graphie arabe pouvaitnoter plusieurs sons la fois). Par consquent, on tait oblig de recourir une combinaisonde signes pour rendre les sons du turc.

    Avec la proclamation de la Rpublique de Turquie en 1923, lune des priorits nationalesde son fondateur, Mustafa Kemal Atatrk (1881-1938) fut la rforme de la langue turque.Selon Doancay-Aktuna (2000 : 232), le but de la rforme de la langue tait de dvelopper

    le vernaculaire turc3 en une langue standard nationalise qui serait le vhicule de lamodernisation et un moyen de lunification nationale . Pour cela, il fallait dune part purifierla langue turque de tous les emprunts aussi bien lexicaux que grammaticaux et dautre part

    Je voudrais remercier M. Aleddin ZCAN, Doctorant en Histoire et Civilisation lUniversit Sorbonne ParisIV, de mavoir clair sur certains faits historiques.On parle mme dune situation de diglossie dveloppe sous lEmpire ottoman avec le turc ottoman que lonpeut appeler varit haute , utilise par la justice, ladministration et la littrature de la cour ainsi que lesdirigeants, et le turc du peuple varit faible , rserve au peuple et sa littrature. A travers les sicles, unegrande fissure sest ainsi cre entre le vernaculaire des classes suprieures de la socit ottomane et celui de lamasse populaire.

    Cette priode a commenc en 1839, sest termine le 19 dcembre 1876, et correspond aux rgnes des SultansAbdlmecit, Abdlaziz et Murat IV.Celui du peuple.

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    changer son criture. Avec le remplacement de lcriture arabe par une criture latine turque,Atatrk visait sparer la Turquie des racines islamiques et faciliter la communicationquotidienne avec le monde occidental (Lewis, 1999 : 27). La rforme a commenc en mai1928, et grce une adhsion nationale cette cause, dfendue corps et me par Atatrk et sescompagnons, lcriture arabe remplace par lalphabet latin-turc ds novembre 1928, rendu

    obligatoire partir du 1er

    janvier 1929, tait oublie en lespace de quelques annes.

    Les diffrents systmes dcriture utiliss par les Turcs

    Le destin des langues turques illustre bien le caractre alatoire de la relation qui unitcritures et langues puisque, au fil de leurs migrations d'est en ouest, les Turcs adoptrentdiffrentes critures. Les premiers Turcs4 qui ont dvelopp un systme dcriture sont lesGktrk (552-745) qui vivaient sur les terres actuelles de la Mongolie. Ce systme dcriture 5qui leur tait propre suffisait pour transcrire leur langue (lktar, 1973 : 15). Lesdescendants directs, les Turcs Ougours (745 -970), abandonnent cette criture et dveloppent

    une criture inspire de lalphabet sogdien. Ils ont galement recours dautres typesdalphabets selon leurs besoins conomiques, sociaux et politiques (par exemple brahmi,mani, tibtain et chinois). Une fois convertis lIslam, les Ougours ont chang dalphabet etont adopt lalphabet arabe. Ce fut de mme en 960, pour les Turcs Karakhanides qui ontabandonn lalphabet ougour quils utilisaient pour adopter lalphabet arabe. Subissantlabsence des voyelles et la conservation des seules consonnes, les dialectes turcs de cettepriode ont normment souffert de linsuffisance des caractres arabes.

    Les systmes dcriture utiliss en turc ancien

    Les alphabets utiliss par les Turcs pour transcrire leur langue peuvent tre diviss endeux principaux groupes : ceux dorigine smitique et ceux dorigine hindi6 (cf. Rna-Tas,1998 : 127). Les systmes dcriture dorigine smitique qui ont t utiliss pour crire le turcsont le runique, le sogdien, le sogdien rform ou lougour, le manichen et lcriture arabe.

    Le systme dcriture runiformedu turc de lEst sappelle galement le runique. Il a tmontr que ce systme dcriture, dorigine smitique, sest dvelopp en quatre phases etque des pictogrammes avaient t ajouts lors de la dernire phase. Des textes turcs critsavec cette criture runiforme ont t trouvs dans la rgion de Ienisse.

    Lcriture sogdienneappartient au groupe aramaque des systmes dcritures smitiques.Les premiers spcimens sont danciennes lettres sogdiennes dates de 312 -313 aprs J.C.Parmi les varits dcriture, le type de Samarkand est devenu dominant. Plus tard, autour de

    500 aprs J.C. une variante calligraphique s'est dveloppe au Turkestan. tant donn quecette criture tait trs utilise pour rdiger les textes bouddhistes ainsi que dautres textessacrs, un type plus cursif a volu, dont la forme finale tait fixe autour du milieu du VIIesicle. Alors que, dans cette varit, les lettres navaient aucune forme rcurrente normalise

    Les Turcs se sont forms en fait au I er millnaire avant notre re dans la taga sibrienne orientale et lespremiers se nommer Turcs sont les Tou-kiue (Tou-kiueest la transcription chinoise de Trkou de Trk) (cf.Roux, 2000). Lalphabet Gktrk tait trs riche, il possdait 38 lettres dont 4 voyelles, 25 consonnes, 5 doubles consonneset 4 diphtongues. En revanche, il ne distinguait pas le odu uet le du . De plus lusage des consonnes taitparfois alatoire : par exemple la lettre y pouvait tre lue ay, ya, y, y et comme a, e, , i (imir,

    1992 : 2). Dans la mesure o cette criture sest limite lAsie centrale, nous ne dveloppons pas ici linfluence descritures dorigine hindi. Cf.Rna-Tas (1998), pour une tude dtaille.

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    et que les ligatures taient frquentes, quelques lettres sont devenues indiscernables dautres.Lcriture sogdienne scrivait de droite gauche. Autour de 600 aprs J.C., et certainementsous l'influence du chinois, une varit verticale de ce systme est apparue dans laquelle lalecture des lignes se faisait de gauche droite.

    Trs tt, les Turcs se sont donc servi de la langue et de lcriture sogdiennes. Les textes

    en sogdien contiennent de nombreux noms propres, titres et mme noms communs turcs.tant donn que le bouddhisme est venu la premire fois aux Turcs par lintermdiaire desmoines sogdiens, il est normal que, dans les dbuts, lcriture sogdienne ait t utilise sansaucune modification. Plus tard, lorthographe des textes a t revue et une forme standardise,rforme et adapte de lcriture sogdienne sest dveloppe progressivement : il a abouti cequon a appel lcriture sogdienne rforme ou lougour. Dans son usage quotidiencependant, de nombreuses formes sogdiennes sont restes inchanges. La dernire version delcriture ougoure a t adopte par les Mongols au XIIe sicle et la fin de la dynastie desYuan, au XIVe sicle, puis lorthographe mongole a de nouveau influenc le systme ougour.La raison du succs de cette criture vient du fait quelle notait les voyelles, essentielles pourla comprhension des diverses langues altaques (o la racine a une voyelle stable), et qu'elle

    pouvait rendre compte des consonnes. Elle comportait 18 lettres. Avec des combinaisons de 2ou 3 lettres et lajout de point(s) en dessous ou au-dessus, elle pouvait rendre 23 sonsdiffrents. Cependant, comme larabe, elle tait pauvre en voyelles et nen possdait que 3.

    Les textes manichens taient dabord crits en aramen, en syriaque et en persan moyen.Aprs la mort de Mani, le fondateur du manichisme, ses adhrents se sont rfugis dans largion des Sogdiens, o la religion commenait fleurir. Lcriture manichenne utilise parles sogdiens manichens dans les textes religieux tait une varit originale qui avait tadapte la langue sogdienne. Elle a t galement utilise par les Tokhariens et les Turcs.Bien que les Ougours aient officiellement adopt le manichisme autour 762 aprs J.C., destextes turcs crits en criture manichenne, trouvs dans les rgions de Tourfan et deDunhuang, ne semblent pas avoir t crits avant les IXe et XIe sicles. Dans ces textes, lesvoyelles, une exception prs, taient rendues de la mme manire que dans le systmed'criture de lougour sogdien.

    Lalphabet ougour des Turcs a t remplac par lalphabet arabe parce que celui-ci taitlalphabet du livre saint, le Coran, et selon les lois islamiques, ce dernier devrait toujours tretudi et rcit dans sa langue dorigine. partir du VIIIe sicle sont apparus des noms et destournures en caractres arabes chez certains auteurs, et ds le XIe sicle, lcriture arabe taitsystmatiquement utilise pour les textes turcs. Au fil du temps, un systme dcriture arabeavec une convention orthographique commune sest dvelopp avec quelques variantes.

    Lcriture arabe du turc ottoman

    travers le temps, lusage et lorthographe de lcriture arabe ont subi plusieursrformes. Sa beaut intrinsque mise de ct, il tait difficile de se prononcer en faveur del'alphabet arabe comme moyen de transcription du turc. Toutes les lettres, y compris lalif,larrt glottal arabe, sont des consonnes et certaines nexistaient pas en turc ; et linversecertaines autres comme la graphie kpouvait reprsenter les sons [g], [k], [n] et [y] du turc7.Ainsi avec cette orthographe ottomane, on pouvait interprter kwklpar gnl lme et dkzou dkyzpar deniz la mer . En arabe, il existe deux sortes de [t], trois types de [h], quatre de[z], trois de [s] et deux de [k], alors quen turc chacune de ces consonnes ne se prononce quedune seule faon. En revanche, larabe ne possde que trois voyelles : [a], [i] et [u], qui ne

    En fait le son [n] indiqu par le k arabe tait lorigine le //, prononc comme dans parking, dans lestranscriptions de vieux textes il tait habituellement not par n.

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    sont indiques dans lcriture que par un unique signe dit lalif. Ainsi, devant un texte turcrdig avec lalphabet arabe, le lecteur restait souvent perplexe. Par exemple, quand on faitsuivre dans lcriture arabe le [g] par un [l], cela ne peut correspondre en arabe qu troisprononciations : gal, gil ou goul, tandis quen turc, le lecteur devait, dans ce cas prcis,deviner sil sagissait de gal, gel, gil, gl, gol, gl ougul. De plus, chacune des lettres arabes

    scrit diffremment selon quelle est employe au dbut, au milieu ou la fin du mot. Lesenfants des campagnes qui ne pouvaient frquenter lcole quun an ou deux ans navaient pasle temps dapprendre cet alphabet. Ils retenaient plutt par cur quelques versets du Coran.Avec l'addition de diacritiques au-dessus ou au-dessous des lettres, les trois voyelles [a], [i] et[u] pouvaient tre indiques, alors que le turc avait besoin den distinguer huit. En outre, leslettres arabes, alif , waw et ya taient utilises en arabe et en persan pour noterrespectivement les voyelles longues , et. En turc, elles taient respectivement utilisespour indiquer les paires de voyelles a/e, o/, /u et i/ay/ey. linitiale [a] ou [e] taientindiqus par alif (que lon peut noter avec le signe ), [a] en mdiane ou en finale par alif galement, et cest encore alif qui notait le [e] et le [h] : ainsi un mot commekaynana belle-mre tait crit qynn, yaparsa s'il faisait comme yprsh, etc.

    Chaque fois, plusieurs lectures quivoques taient possibles. Ainsi wlw dans un texteottoman pouvait tre lu ulu grand , l dcids , evli maris ou encore avlu cour (cf. Lewis, 1999 pour dautres exemples). Dans tous ces cas, seuls le contexte et uneconnaissance importante des vocabulaires turc, persan et arabe pouvaient les distinguer dansleur lecture. Souvent, des problmes surgissaient galement dans les textes ottomans parceque les auteurs et les imprimeurs ne faisaient pas toujours attention aux divisions des mots.Afin de faciliter lcriture et la lecture, quelques modifications ont t apportes lalphabetarabe en 1900. Par exemple, pour diffrencier les voyelles , o, et udu turc, toutes notespar la seule consonne waw de lalphabet arabe, on a ajout sur cette lettre des diacritiquestels quun, deux ou trois points en les dnommant diffremment.

    La culture et la langue littraire arabes stant infiltres en turc par le canal des livresreligieux, les intellectuels ottomans avaient naturellement adopt son alphabet.

    Lvolution historique et politique de la rforme

    Ainsi donc, pendant presque un millnaire, les Turcs avaient crit avec des caractres quine correspondaient pas aux spcificits de leur langue. Compar larabe, le turc est plusriche en voyelles et possde moins de consonnes. Ds 1072, Mahmud de Kagar dfendait larichesse et la supriorit de la langue turque par rapport larabe8. Du XIe au XIVe sicles, onavait, plus dune fois, envisag de rformer cet alphabet dit turc, mais compos

    essentiellement de caractres arabes et partiellement de caractres persans. Mais loppositionmene par des islamistes conservateurs, qui soutenaient que cela quivaudrait abandonnerlcriture sacre du Coran, constituait un obstacle insurmontable dans un tat dirig par unSultan qui tait aussi le Calife.

    Les priodes Tanzimat et Mutlakiyet (1839-1908)

    Au milieu du XIXe sicle, sous la priode appele Tanzimat, les intellectuels d'avant-garde de l'Empire ottoman commenaient critiquer l'alphabet arabe qui posait des problmesmajeurs pour l'alphabtisation et son usage dans la vie. L'ide qu'il fallait soit l'amliorer afin

    Louvrage intitul Divan-u Lgatit Trk de Mahmud de Kagar a t publi en 1972 dans un numro spcialde la revue Trk dili(n 253).

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    qu'il corresponde mieux aux sons du turc, soit le remplacer totalement par une criture baselatine, primait chez les intellectuels. Parmi eux, ceux qui optaient pour son remplacement puret simple par un alphabet latin taient majoritaires.

    Le premier intellectuel avoir abord le problme de lalphabet sous lEmpire ottomanfut Antepli Mnif Pacha (ministre ottoman de lInstruction Publique, 1830-1910). Lors dune

    allocution prononce le 11 mai 1862 devant la Socit scientifique ottomane (Cemiyet-iIlmiyye-i Osmaniye), quil avait fonde lui-mme, il avait soulign linsuffisance delalphabet arabe pour transcrire les sons du turc. Il proposait deux solutions possibles : lapremire tait dcrire et dimprimer en utilisant les trois diacritiques hrits de larabe et cinqnouvellement conus selon les exigences de la phonologie du turc. La deuxime solution, qu'ilprfrait, tait de cesser de joindre les lettres, dcrire ou dimprimer les lettres sparment,avec les diacritiques ncessaires sur la ligne plutt quau-dessus ou en dessous. Cette derniresolution devait faciliter selon lui lcriture et la lecture. Il donnait lexemple de lalphabetlatin qui permet un enfant dcrire et de lire correctement sa langue ds 7 ans.

    Une seconde entreprise de modification des lettres arabes est venue du pote etscientifique politique azri Mirza Feth-Ali (Ahundzade, 1812-1878). En 1863, Istanbul, il a

    propos l'addition de nouvelles lettres pour noter les voyelles turques. Il a t reu trsfavorablement par le Grand Vizir Fuat Pacha qui a transmis sa proposition la Socitscientifique ottomane pour approbation. Mme si les scientifiques de cette institution ontapprouv les mrites dune telle proposition, ils y taient dfavorables, avec pour seuls motifsles grandes difficults videntes de son excution ( mcerred icrasinda derkr olan mskilt-iazme ) et lventuel oubli des travaux islamiques dantan ( eski sar-i Islmiyeninnisyanini da meddi olacagindan ) (lktar, 1973 : 18-19). De retour chez lui sans succs,Feth-Ali a abandonn totalement lalphabet arabe et sest concentr sur les lettres latines. Ilenvoya son nouveau projet au Grand Vizir. Cette nouvelle tentative fut galement vaine.

    De nombreuses coles se sont ouvertes sous cette priode et beaucoup de professeurspensaient quil tait ncessaire de ne pas enseigner les versets du Coran l'enfant turc, maisquil fallait plutt lui donner une ducation moderne, avec une criture qui pouvait lui faciliterla tche. Ainsi, on a commenc voquer l'ide d'un nouveau systme dcriture bas sur lelatin pour l'ducation.

    Cest galement cette priode que le journalisme sest dvelopp sous lEmpireottoman. La rdaction d'un journal quotidien exigeait des techniques appropriesd'impression. Il a t montr que l'utilisation de certaines lettres arabes ralentissait lesoprations d'impression. Les intellectuels et les journalistes ont essay de faire face cesdifficults techniques en effectuant eux-mmes quelques modifications sur les lettres arabes.Par ailleurs, les journaux, qui constituaient un moyen dinformation gnrale et depropagation des ides politiques auprs des masses, se devaient dutiliser une langue

    comprhensible pour le peuple ; cest pourquoi un dbat fut lanc sur la simplification de lalangue afin de rduire la distance entre le turc ottoman crit et le turc du peuple.Dans le mme temps, l'alphabet latin devenait un systme universel d'criture, synonyme

    de modernit face au systme d'criture arabe. L'Empire ottoman, qui tait en contact avec lespays d'Europe occidentale, tait oblig dutiliser, dans une certaine mesure, l'alphabet latindans ses correspondances, pour les courriers et les tlgrammes. Le tlgramme est dailleursarriv Istanbul en 1855, et seul l'alphabet latin tait utilisable pour les messages.

    Ainsi, pendant presque 70 ans, avant la rforme de lalphabet, les caractres latins taientdj utiliss par des ministres de l'Empire. Avant les rformes, Atatrk lui-mme utilisait lescaractres latins pour orthographier les sons turcs dans ses correspondances. Tandis qu'il taitattach militaire Sofia, peu avant la premire Guerre mondiale, Atatrk a correspondu en

    turc avec son amie dIstanbul, Madame Corinne, en crivant phontiquement le turc

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    partir du systme de lorthographe franaise. Nous prsentons ci-dessous une partie d'unelettre date du 13 mai 1914, suivie du mme passage en orthographe moderne.

    Dunya inssanlar idjin bir dari imtihandir. Imtihan idilne inssanin hre ual moudlakapke rnouvafike djvabe vermessi mumqune olmaya bilire. Fkate duchunmlidir quiheuquurne djvablarin hiti oumoumiyssindne hassil olan mouhassalaya gueur virilir.

    Dnya insanlar iin bir dar-i imtihandir. mtihan edilen insann her suale mutlaka pekmuvafk cevap vermesi mmkn olmayabilir. Fakat dnmelidir ki, hkm, cevaplarnheyet-i umumiyesinden hasl olan muhassalaya gre verilir9.

    Dans ce contexte, les Albanais musulmans de l'Empire ottoman ont t les premiers opter pour l'alphabet latin. Le lexicographe emseddin Sami et son frre Abdl Bey ont conuun alphabet compos de trente-six lettres latines et grecques qui transcrivait parfaitement leurlangue maternelle, lalbanais, langue que l'alphabet arabe ne pouvait traduire au mme titreque le turc. Cet alphabet tait appel A-be-ya daprs les appellations de ses trois premireslettres. Le 29 janvier 1910, Hseyin Cahit (Yaln), rdacteur d'un journal connu,recommanda leur initiative en dclarant que les Turcs feraient bien de la suivre. Voyant quecette dcision engendrait des divisions chez les intellectuels, et le dbat grandissant, certains

    passrent de la thorie la pratique avec des essais dadaptation de l'alphabet latin10. Pourparer cela, d'autres proposrent des bauches de modifications de l'alphabet arabe afin demieux l'adapter la langue turque. Mais toutes ces tentatives demeureront vaines jusqu' laproclamation de la jeune Rpublique qui apportera une solution radicale au problme del'criture en Turquie.

    La reproduction de la page suivante reprsente les paroles de lhymne national turc -intitul Marche dIndpendance - rdig en 1926, deux ans avant la rforme, en caractresarabes mais galement en caractres latins partir du systme orthographique du franais.

    La priode rpublicaine

    La priode prcdant la proclamation de la Rpublique a vu augmenter le nombredintellectuels propageant la ncessit de passer lalphabet latin. Ces derniers faisaientpreuve de courage car dune part ctait sopposer la pense que les lettres arabes taientenvoyes par Dieu, qucrire et lire avec ces lettres tait une ncessit religieuse, et dautrepart, si les lettres latines taient acceptes, ctait bouleverser la science et la cultureislamiques et couper les liens avec le pass. Entre 1924 et 1927, le sort de lcriture acontinu animer le dbat sans aucune consquence ; la seule ide partage par une majorittait que lcriture arabe tait la principale cause de lanalphabtisme.

    Une fois devenu Prsident de la Rpublique et proccup par des rformes conomiqueset politiques plus urgentes, Atatrk laissa de ct pendant cinq ans le problme de l'criture.

    Lorsquil se fut convaincu que lopinion tait suffisamment prpare et aprs avoir renouvelet instaur les nouvelles lois turques conformment celles du systme judiciaire europen, ilconsacra toute son nergie et toute l'anne 1928 faire passer la rforme. La jeuneRpublique vota lusage obligatoire de la numrotation internationale le 1erjuin 1928.

    Pour les tres humains, la terre est un lieu d'examen. Il se peut que chaque tre humain ne puisse absolumentpas donner une rponse trs approprie chaque question. Mais il se doit de penser que le verdict est donnselon le rsultat obtenu aux rponses de l'ensemble (notre traduction).

    Lors de cette priode, dautres alphabets dvelopps par des scientifiques de langues minoritaires de lEmpireottoman ont galement vu le jour. On peut citer notamment lalphabet Adike-Techerkesse dAhmet Cvid ouencore lalphabet kurde Kirmani de Halil Hayal.

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    Ensuite, Atatrk constitua une commission linguistique (Dil encmeni) afin derflchir la faon et la faisabilit d'appliquer les lettres latines notre langue 11. Cettecommission tait divise en deux groupes : le premier avait en charge la rforme de lcritureet le second la rforme lexicale et grammaticale (Levend, 1972 : 400 -401). Ds sa cration, lacommission a tudi les alphabets de plusieurs langues telles le franais, lallemand, langlais,litalien et le hongrois. La premire runion a eu lieu le 26 juin 1928, sous la direction

    A sa cration, la commission tait compose de 9 personnes, dont 3 taient dputs, 3 hauts responsables auMinistre de lducation et 3 spcialistes de la langue. Vu lintensit de leur tche, 5 autres membres lesrejoignirent par la suite (imir, 1992 : 88).

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    dAtatrk. Ds le mois daout 1928, la commission publia un rapport de 41 pages sur lenouvel alphabet.

    Aprs avoir attendu donc plus de cinq ans, pens, rflchi et fait le calcul de la mise enplace dans le temps de la rforme, Atatrk annonce, pendant la fte quil avait organise pourson parti, la nuit du 10 aout 1928 Istanbul, l'adoption d'un nouvel alphabet turc pour mieux

    exprimer la langue. Il explique les dtails de limportance de lalphabet latin et prononcenotamment ces phrases qui resteront clbres : Camarades, notre belle langue, riche etharmonieuse, montrera sa valeur grce au nouvel alphabet turc. Nous sommes obligs de nousaffranchir de ce cercle de fer qui entourait notre tte depuis des sicles. Nous ne voulons plusde ces signes incomprhensibles. Nous voulons comprendre notre langue. Avec le nouvelalphabet, nous arriverons la comprendre dune faon parfaite, jen suis sr. Soyez-le aussi.Citoyens, apprenez vite les nouveaux caractres turcs. Enseignez-les au villageois, au ptre,au portefaix, au batelier et toutes les couches de la nation. Songez quil est honteux pour unenation davoir dans son sein 10 % seulement de personnes sachant lire et crire et 90 %dillettrs. Beaucoup de progrs ont t raliss. Cependant la chose que nous devons faireaujourdhui, et qui nest certes pas la dernire, est comme je lai dit, ncessaire. Sachez que

    cest un devoir national et patriotique. Dans un an ou deux ans au plus tard, tout le corpssocial turc apprendra le nouvel alphabet. Notre nation prouvera que son criture et sonintelligence sont au niveau de celles du monde civilis (lktar, 1973 : 64).

    Cette annonce faite, Atatrk passe l'action, d'abord Istanbul en convainquant lesdputs et les intellectuels, puis il sillonne tout le pays pour enseigner la nouvelle criture.Dans chacun de ses dplacements, il n'hsite pas prendre la craie et jouer l'instituteurdevant des foules acquises sa cause. Le 1ernovembre 192812, l'Assemble nationale acceptele nouvel alphabet, mais cette date la moiti du chemin tait dj parcourue, puisque sansattendre la nouvelle loi, la nouvelle criture s'tait rpandue dans tout le pays travers les

    journaux, l'administration et les coles. L'usage de la nouvelle criture a t rendu obligatoirele 1erdcembre 1928 pour la presse et le 1erjanvier 1929 pour les administrations de l'tat. Enl'espace de deux mois, la Turquie a fait peau neuve, un voyageur revenu trois mois plus tardpouvait se sentir perdu : l'criture arabe appartenait au pass. Sur la photo de la page suivante,prise Istanbul en dcembre 1928, nous pouvons observer un magasin de fournituresscolaires qui expose le nouvel alphabet. Le nom du magasin est bien traduit en caractresnouveaux, mais on peut voir que le propritaire na pas encore eu le temps denleverlancienne pancarte.

    Atatrk a bien saisi limportance de lducation dans la refonte de la nation turque et aassign aux enseignants, comme leur premier devoir, dlever les nouvelles gnrations detelle sorte quelles dfendent et lvent, tout prix, la Rpublique. Il faut chercher lesprit desrvolutions dAtatrk dans la situation sociopolitique de ltat ottoman. En ralit, lobjectif

    dAtatrk tait de crer un nouvel tat, une nouvelle nation, une nouvelle patrie et un nouvelalphabet.L'objectif suivant tait d'tendre cette criture un plus grand nombre. Ainsi voient le

    jour, le 19 janvier 1929, les coles du peuple (Millet mektepleri) qui ont pour mission, travers tout le pays, d'apprendre lire et crire toutes les couches de la population. Dansl'euphorie de la nouvelle criture, devenue un honneur national, deux-millions et demi depersonnes sont scolarises dans ces coles et la moiti ont pu apprendre lire et crire. En1927, le nombre de personnes sachant lire et crire avec l'ancienne criture tait de 1.100.000.En comptabilisant tous les types d'coles (les coles du peuple et toutes les autres), enl'espace de cinq ans, trois-millions de personnes ont appris lire et crire.

    Une loi compose de 11 articles est vote la Grande Assemble le 1ernovembre 1928 et est publie dans leJournal Officieldu 3 novembre, officialisant ladoption de lusage du nouvel alphabet latin-turc.

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    Personne n'avait prdit un tel succs en si peu de temps. Les plus optimistes de la rformeeux-mmes n'avaient pu imaginer possible le remplacement d'une criture en usage depuisplus de 1000 ans par une autre en quelques mois seulement13. L'alphabet latin-turc tant leseul enseign dans les coles partir de l'automne 1929, la connaissance de la vieille criturea disparu graduellement : rares sont aujourd'hui les Turcs de moins de 80 ans qui peuvent lireun livre crit avant 1929. Par ailleurs, partir de septembre 1929, larabe et le persancessrent dtre enseigns dans les coles comme langue trangre. Il ne faut cependant pasoublier lnorme travail de la commission linguistique qui a publi de nombreux ouvrages surle sujet et a continu ses recherches au-del de la rforme mme de 1928.

    Les membres de la commission linguistique avaient prdit entre cinq et quinze ans pour le remplacement totalde lalphabet et avaient mme propos lusage mixte des deux alphabets pendant une priode, ce quavait refusAtatrk, argant que cela nuirait au succs du nouvel alphabet.

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    Chez les autres peuples turcs

    Ce n'est pas seulement en Turquie que la rforme de l'criture a eu lieu. Certainspeuples turcs du Caucase ont d'ailleurs prcd la rforme turque. Ce sont les Yakoutes suivis

    des Azris, qui des 1922, crent un comit du nouvel alphabet turc, l'quivalent de l'institutturc. La mme anne, le nouvel alphabet est adopt et rentre en vigueur dans la presse et dansles coles comme criture d'enseignement. D'autres peuples turcs commencent faire demme. Mais afin d'viter l'clatement et la division entre les peuples turcs, on cre en 1926 Bakou (la capitale de lAzerbadjan) un comit central qui a pour mission d'unifier lesdiffrents alphabets base latine utiliss par les Turcs. Ce comit propose en 1927 le nouvelalphabet turc unifi . Cet alphabet commun est accept d'emble par certains peuples et dansles annes 1930 par d'autres comme les Ouzbeks ou les Turkmnes. Cependant, aprs unedcision gouvernementale, tous ces pays ont d remplacer leur systme par lcriturecyrillique impose par le rgime communiste russe, et la plupart des textes crits en caractreslatins ont t effacs. Dans les annes 1990, plusieurs de ces Rpubliques turques telles que

    lAzerbadjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Turkmnistan et lOuzbkistan ont dveloppdes projets pour adopter de nouveau, aprs presque un sicle, le systme dcriture latine etont appliqu ces projets depuis.

    Le nouvel alphabet turc-latin

    La Commission d'alphabet a rejet en principe l'ide d'un alphabet translittr afin dene pas perptuer des prononciations rappelant larabe et le persan. Elle a voulu adopter laprononciation du parler dIstanbul. Le principe de la nouvelle graphie en usage depuis la finde 1928 est purement phonographique (cest--dire que toute lettre correspond toujours unson), et l'alphabet est lui-mme presque parfaitement phonologique. Il ny a pas degroupement de lettres, consonnes ou voyelles. Chaque lettre correspond un seul son. Ci-dessous est prsent le nouvel alphabet tel que prsent en 1928 par la commissionlinguistique. Nous pouvons observer sur la reproduction de la page suivante, qui est en faitcelle dune affiche envoye dans toute la Turquie, que les explications sont encore encaractres arabes.

    La rforme parait avoir t influence par lusage allemand pour les voyelles / , parlusage du roumain pour et jet semble tre une innovation pour c(dans Djibouti ) / (dans Tchad ) ainsi que / i etg / .Les consonnes de l'alphabet latin ont t presque toutesretenues avec la valeur qu'elles ont dans la plupart des langues europennes occidentales. Les

    lettres q, x et w sont abandonnes. Les plus longues discussions ont eu lieu propos de lamanire de noter les consonnes vlaires [k] et [g] et la liquide [l] devant les voyellespostrieures. La palatalisation se produit automatiquement devant les voyelles antrieurescomme dans iki deux ou gelmek venir . Il ny a pas dexemple de ce type pour les motsautochtones, mais en revanche cest le cas pour des emprunts larabe et au persan commedans le prnom orthographi en turc moderne Kzm / kyz?m/. La proposition de laCommission dans son rapport, dit en aout 1928, tait dajouter un h aprs la consonne,comme dans le mot portugais velho /velyu/ vieux ; ainsi le mot signifiant commis,secrtaire devait scrire khatipalors que le turc moderne lcrit ktip. Une autre proposition

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    tait dutiliser un qpour montrer que le caractre palatalis du k. Les membres ont prfr ladernire alternative14.

    Dans l'ensemble, cet alphabet turc-latin est lun des plus parfaits parmi les systmesdcriture qui puissent exister. Il rend lapprentissage de la lecture trs facile, puisquel'orthographe est compltement phonologique, la norme tant la prononciation du parlerurbain des grandes villes et plus particulirement dIstanbul. Le fait que le systme dcriturereflte exactement la phonologie de ce qui est entendu constamment la radio et latlvision facilite l'unification linguistique et la ralisation des prononciations canoniques ,et notamment ds le dbut de la scolarisation. La langue crite tant base par principe sur unelangue parle, la diffrence entre lcrit et loral est minime.

    Les raisons du succs de cette rforme

    Les raisons du succs de la rforme de la langue turque peuvent sexpliquer par lacorrlation de plusieurs facteurs, rsums par Doanay-Aktuna (2000 : 242) :

    Les raisons linguistiques

    Le remplacement de lcriture arabe par une criture latine tait facile parce que le tauxdalphabtisation en langue arabe tait faible, mais aussi parce que les lettres latines ontmieux servi la correspondance avec les sons turcs et plus particulirement dans latranscription des voyelles. La langue turque avait en grande partie perdu sa morphologieproductive. Le turc dAnatolie tait une langue vivante parle par la majorit du peuple. Ilavait peu chang avec le temps et il y avait trs peu ou pas de diffrence entre les dialectesrgionaux part quelques variations d'accent. L'analphabtisme d'Anatolie avait donc aid

    Cest Atatrk lui-mme qui eut le dernier mot ce propos. Lorsquon lui demanda son avis, voyant que sonprnom (Kemal) crit avec la lettre qntait pas beau ses yeux compar la graphie k, il choisit le k.

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    prserver le vernaculaire turc. Selon les termes de Heyd (1954 : 109 cit par Doanay-Aktuna, 2000 : 242), la ncessit urgente dune ducation populaire a fait de lasimplification de la langue une ncessit imprative et, en mme temps, a donn auxrformateurs une occasion unique, mais brve, de changer la composition de son vocabulaireavant que cela soit devenu la proprit de toute la nation . D'ailleurs, bien que la plupart du

    temps de tradition orale, cette langue a galement eu une grande tradition littraire. Celle-ci at prise alors comme nouvelle norme, dautant plus facilement que le pass littraire delottoman tait suspect en raison de l'influence arabe que les nouveaux dirigeants souhaitaientliminer.

    Les raisons sociopolitiques

    Lpoque tait idale pour effectuer des changements sociaux drastiques. Le peuple turctait prt pour un nouveau dmarrage aprs l'effondrement de l'Empire ottoman et la Guerred'indpendance (1918-1922). Il y avait la volont dune transition d'un empire multilingue un tat-nation monolingue ; une langue turque authentique tait indispensable pour

    fonctionner comme moyen de communication, de source d'unification et de symbole de lanouvelle nation. La littrature classique ottomane turque tait en persan, et dans un moindredegr en arabe, ce n'tait donc pas un bon modle idologique pour une langue turquemodernise et la nouvelle nation turque.

    Les influences personnelles

    Les efforts et les attitudes personnels des dirigeants tels Atatrk et son successeur Inn qui ont non seulement particip aux efforts de la rforme de la langue mais galement agien tant que modles et ont encourag la solidarit et la participation du peuple devraientgalement tre pris en compte dans le succs de la rforme. L'norme prestige et le charismed'Atatrk, son enthousiasme et son nergie, son attachement au peuple, l'ducation, lamodernisation et loccidentalisation rapide du pays, ainsi que son influence sur le peuple etle respect de ce dernier pour ce grand chef dtat ont facilit lacceptation des rformes .

    Enfin, il faut souligner lenthousiasme des membres de la commission linguistique15, qui,investis dans la purification et la modernisation de la langue, ont galement pris des mesurespour faire participer le peuple dans l'authentification de la langue en sollicitant son aide afinde suggrer des quivalents turcs aux mots trangers (cf. Bazin, 1983). Ceci a activementimpliqu la nation dans le processus de rforme de la langue, et de ce fait a facilit les effortsd'application.

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    La commission linguistique (Dil encmeni) cre par Atatrk en 1928 devient en 1932 la Socit d'tude de laLangue Turque (Trk Dili Tetkik Cemiyeti), qui deviendra dans les annes suivantes lInstitut de la LangueTurque (Trk Dil Kurumu, TDK), qui existe encore de nos jours.

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    La seule cause incontestable de la rforme de lcriture tait linadquation de latranscription des sons turcs et les difficults que cela engendre pour lapprentissage de lalecture. Mais il en existait dautres. Lcriture latine allait de pair avec lidologie sculariste de la jeune Rpublique turque. Ctait la premire tape pour couper lanouvelle nation de son pass ottoman et islamique, tant donn que cela tait considr

    comme la principale cause de son sous-dveloppement.La rforme a profondment influenc le dveloppement de la langue turquecontemporaine et a atteint la plupart de ses principaux objectifs. La rforme de lcriture acaus le dclin de l'acculturation panislamique au profit d'un nationalisme culturel. Elle afacilit les contacts linguistiques et culturels avec loccident. Les gnrations sont formes la langue crite conformment aux nouvelles doctrines, et la version du turc standard quellesapprennent est celle du turc pur (z trke), qui, dans les coles, joue le rle de lastandardisation de la langue au niveau national, standardisation tout fait comparable cellede lcole franaise sous la 3me Rpublique. La lecture immdiate des mots, mme ignors,et la suppression des difficults inextricables de l'orthographe ottomane ont facilitl'limination massive de l'analphabtisme de la population. Le taux d'analphabtisme est

    tomb de 80 % en 1923 30 % en 1980 et 18 % en 1998.Il convient de noter que le succs de la rforme linguistique turque est expliqu en mme

    temps par l'usage de mthodes autoritaires, dans le sens o elle fut impose, et par l'appuitacite assur aux projets de changements de la population16. Il a galement russi parce que lesconditions linguistiques taient idales en Turquie : d'une part, il y avait relativement peu dediffrences entre les dialectes d'Anatolie, et d'autre part il y avait une forte migration l'intrieur du pays vers les grandes villes et en particulier vers Istanbul, dont le parler a tchoisi comme modle pour la langue standard (Knig, 1987). Dans la mesure o, cettepoque, seule 20 % de la population tait lettre, la rsistance nest venue que de quelquesfanatiques religieux et d'une fraction passiste de l'lite.

    Parmi toutes les rformes promulgues par Atatrk dans le but doccidentaliser laRpublique turque, les rformes de l'alphabet et de la langue sont probablement celles au vude la situation considre aujourdhui, presque 70 ans aprs que les rformes ont t lances qui peuvent tre caractrises comme les plus russies (Brendemoen, 1998 : 242).

    On peut se demander quelles solutions seront apportes au problme que pose l'invasiondu vocabulaire occidental et, par la mme occasion, lintroduction de nouvelles lettresnexistant pas en turc, comme le xet le w. Lusage, de plus en plus frquent de ces lettres, ycompris pour des mots turcs, laisse pour le moment lInstitut de la Langue Turque spectatricedu phnomne sans quelle se prononce vritablement sur le sujet.

    Dans cet article, nous avons uniquement trait de la rforme de lalphabet et lavonssciemment spar de la rforme de la langue, alors que les deux rformes sont intimement

    lies et ralises dans le mme tat desprit. Habituellement, la rforme de lcriture estprsente comme la composante la plus importante de la rforme de la langue. Mais, il ne fautsurtout pas oublier galement les autres composantes qui taient la purification lexicale etla cration dune nouvelle grammaire. Ces dernires ont fait lobjet dune tude dtaillepublie dans un article commun, cf.Akin & Akinci, 2002.

    Nous avons en Turquie une gestion extrmement rigoureuse de la planification linguistique, et quelque soit

    le modernisme de Mustafa Kemal, quelque soit aussi lappel la population qui fut lance (), ses mthodes degouvernement taient extrmement autoritaires : seul un pouvoir fort peut imprimer sur la langue une marque la fois aussi profonde et aussi rapide (Calvet, 1999 : 192).

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