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REFLEXIONS DE THEOLOGIE DOGMATIQUE IV - FILIATION ADOPTIVE ET VERTUS THEOLOGALES SUMMARIUM Cet article fait suite à ceux qui ont été publiés en cette revue sous le titre commun de Réflexions de théologie dogmatique. Le premier por- tait sur l’Union hypostatique (XV - 1964, pp. 37-80), le second sur la Maternité divine (XV - 1964, pp. 293-307) et le troisième sur notre Filiation adoptive (XVI - 1965, pp. 71-117). Ces pages sur les vertus théologales constituent le dernier chaînon de cette série dont l’ensemble est destiné à devenir, si Dieu le veut, un texte plus étoffé formant un seul volume. Nous affirmons avec la doctrine traditionnelle qu’il peut y avoir une foi vraie morte ou informe et une foi vraie vivante (11-11, 4, 4), une espérance morte ou informe et une espérance vivante (II-TI, 17, 8), tandis que la charité, elle, n’est pas ou est vivante (II-II, 23, 1 et 7), mais nous voyons dans la foi et l’espérance vivantes ainsi que dans la charité des participations surnaturelles de l'intelligence et de la volonté à trois des quatre relations intra-trinitaires: Filiation, Spiration active et Spiration passive l. P lan I. - V ue d 'ensemble II. - C ertitude et L iberté de la foi surnaturelle : 1. La certitude objective de la foi est accessible à la raison humaine. - 2. L’acte de foi salutaire est le fruit de la grâce et d’un libre vouloir. - 3. Certitude et liberté: Croire et bien croire, La foi des démons, Foi vraie et morte, Foi vraie et vivante. - 4. Conclusion. i On peut se reporter à deux de nos articles parus dans les Etudes Carmé- litaines: La recherche de la personne, vol. d’avril 1936, pp. 125-171 (notamment les pp. 158-171) et Certitude et surnaturalité de la foi, vol. d’avril 1937 (intitulé Foi et « mystiques » humaines), pp. 157-188. [Sigles respectifs: Recherche et Fol]. Ce sont avant tout des difficultés de santé qui on retardé la présente ré- daction, mais mieux vaut tard que jamais... Le mieux étant aussi l’ennemi du bien, je me suis décidé à publier ce texte sans avoir pu lui donner toute l’ampleur souhaitable. Du moins trouvera-t-on là l’essentiel des perspectives auxquelles je n’ai cessé de m’attacher toujours davantage depuis plus de trente-six ans, dès avant 1936. Ephemerides Carmeliticae 23 (1972/1) 3-82

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REFLEXIONS DE THEOLOGIE DOGMATIQUE

IV - FILIATION ADOPTIVE ET VERTUS THEOLOGALES

SU M M AR IUM

Cet article fait suite à ceux qui ont été publiés en cette revue sous le titre commun de Réflexions de théologie dogmatique. Le premier por­tait sur l ’Union hypostatique (XV - 1964, pp. 37-80), le second sur la M aternité divine (XV - 1964, pp. 293-307) et le troisième sur notre Filia tion adoptive (XVI - 1965, pp. 71-117). Ces pages sur les vertus théologales constituent le dernier chaînon de cette série dont l’ensemble est destiné à devenir, si Dieu le veut, un texte plus étoffé formant un seul volume.

Nous affirmons avec la doctrine traditionnelle qu’il peut y avoir une foi vraie morte ou informe et une foi vraie vivante (11-11, 4, 4), une espérance morte ou informe et une espérance vivante (II-TI, 17, 8), tandis que la charité, elle, n’est pas ou est vivante (II-II, 23, 1 et 7), mais nous voyons dans la foi et l ’espérance vivantes ainsi que dans la charité des participations surnaturelles de l'intelligence et de la volonté à trois des quatre relations intra-trinitaires: Filiation, Spiration active et Spiration passive l .

P l a n

I. - V u e d 'e n s e m b l e

II. - C e r t it u d e et L ib e r t é de l a f o i s u r n a t u r e l l e : 1. La certitude objective de la foi est accessible à la raison humaine. - 2. L ’acte de foi salutaire est le fruit de la grâce et d ’un libre vouloir. - 3. Certitude et liberté: Croire et bien croire, La foi des démons, Foi vraie et morte, Foi vraie et vivante. - 4. Conclusion.

i On peut se reporter à deux de nos articles parus dans les Etudes Carmé- litaines: La recherche de la personne, vol. d’avril 1936, pp. 125-171 (notamment les pp. 158-171) et Certitude et surnaturalité de la foi, vol. d’avril 1937 (intitulé Foi et « mystiques » humaines), pp. 157-188. [Sigles respectif s: Recherche et Fol].

Ce sont avant tout des difficultés de santé qui on retardé la présente ré­daction, mais mieux vaut tard que jamais... Le mieux étant aussi l’ennemi du bien, je me suis décidé à publier ce texte sans avoir pu lui donner toute l ’ampleur souhaitable. Du moins trouvera-t-on là l’essentiel des perspectives auxquelles je n’ai cessé de m’attacher toujours davantage depuis plus de trente-six ans, dès avant 1936.

Ephemerides Carmeliticae 23 (1972/1) 3-82

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III. - S u r n a t u r a l it é de l a f o i : 1. L'examen critique d ’un pseudo-conflit. -2. Foi vraie, foi vivante: Thèse, Argumentation, Textes de saint Tho­mas d'Aquin, Le Concile de Trente, En relisant l ’Écriture, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux.

IV. - T r in it é , v e r t u s t h é o l o g a l e s : 1. Vertus théologales: Doctrine d e la foi, Vie théologale, Vie trinitaire. 2. Réalisme ontologique de la foi vive. - 3. Espérance et charité: Spirare, spiravi, Espérance, Chanté. -4. Doctrine de saint Jean de la Croix.

C o n c l u s io n .

I. - VUE D’ENSEMBLE

1. - I l n’est pas question de résumer à proprement parler les deux articles précités des Ephemerides Carmeliticae portant sur l ’Union hypostatique et sur notre Filiation adoptive car ils sont déjà très denses. Nous voudrions seulement en dégager les traits essentiels, pour faire ressortir comment ils engagent ce qui suivra, car il s’agit d'une synthèse organique.

2. - Que la notion de personne soit primordiale dans la révé­lation chrétienne, c’est l ’évidence même: Dieu vit en Trois Per­sonnes, le Verbe incarné est une seule Personne subsistante en deux natures, Marie est Mère de la Personne du Verbe en sa nature humaine, notre vie d'union à Dieu est une vie personnelle qui nous saisit au plus intime de nous-mêmes, c'est un com­merce d'amour, de personne à personne, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et l ’exercice fraternel de la charité chrétienne n’est pas une vague philantropie visant l ’Homme, être abstrait qui n’existera jamais, car c’est Jésus-Christ Lui-même que nous devons aimer en la personne du plus humble de nos frères.

Parmi les traités dogmatiques traditionnels on compte bien d’abord et avant tout le de Deo Uno et Trino et le de Verbo in- carnato, mais la théologie spéculative scolastique a-t-elle suffi­samment étudié le mystère de la grâce en fonction du mystère de l ’union hypostatique et le mystère des vertus théologales en fonction de celui de la vie trinitaire? Nous ne le pensons pas.

Exégète et patrologue saint Thomas est de tout point admi­rable. C’est le saint Thomas des Sentences sur le beau et inson­dable mystère de l ’inhabitation de la Trinité en nous par la

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grâce2, c’est le saint Thomas des commentaires Super Epistolas S. Pauli, c’est le saint Thomas qui se découvre ou qui affleure en tant de passages de ses oeuvres. Mais en tant que spéculatif et scolastique, saint Thomas rend-il suffisamment compte des af­firmations positives de l'exégète et du patrologue en matière de grâce et de vie théologale? Nous ne le pensons pas.

Que s’est-il donc passé?

3. - Au sujet des missions divines l ’Aquinate a très heureuse­ment formulé le principe fondamental que voici: « Divinam Per- sonam esse novo modo in aliquo vel ab aliquo haberi tempora- liter, non est propter mutationem divinae Personae, sed propter mutationem creaturae, sicut et Deus temporaliter dicitur Domi- nus propter mutationem creaturae » (I, 43, 2, ad 2m). Il s’agit bien de la mission d’une Personne divine et le Docteur précise que cette mission invisible requiert le don de la grâce sancti­fiante. Il y insiste en ces termes:

« Sic igitur nullus alius efïectus potest esse ratio quod divina Per- sona sit novo modo in rationali creatura, nisi gratia gratum fa- ciens » (art. 3).« In ipso dono gratiae gratum facientis Spiritus Sanctus habetur, et inhabitat hominem » (ib id ).« Per donum gratiae gratum facientis perficitur creatura rationalis ad hoc quod libéré non solum ipso dono creato utatur, sed et ipsa divina Persona fruatur » (ad lm).« Gratia gratum faciens dfeponit animam ad habendam divinam Per- sonam » (ad 2m).

Doctrine excellente à laquelle on ne peut que souscrire: elle commande de soi une théologie de la grâce créée conçue en fonction de la Personne divine. Mais l'on reste déçu par le défaut d’application de ce principe d’or là où il devrait pourtant jouer, et cela par deux fois, de manière essentielle. La crux de la théo­logie de la grâce créée en saint Thomas est, en effet, celle-ci:1) là où d’évidence, et en plénitude, la grâce d’union divine est une relation vivante et hypostatique (personnelle) au Verbe de Dieu dans le mystère de l ’Incarnation, saint Thomas en nie l ’exi­stence comme grâce créée substantielle, distincte du Verbe de Dieu et de la nature assumée, et, — 2) là où d’évidence la grâce d’union divine existe comme grâce créée, saint Thomas la spé­cifie non par le Verbe comme tel, mais par la nature divine com ­

2 Voir R obertus a S. Teresia a Ie s u I nfante , o . c . d., De inhabitatione SS. Tri­nitatis - Doctrina S. Thomae in scripto super Sententiis, Facultas Theologicao. c. d., Romae, 1961, XL-328.

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mune aux Trois Personnes. Nous avons traité ex-professo ces deux points dans les articles précités des Ephemerides C ar meliticae.

4. - On sait que depuis des siècles les commentateurs tho­mistes les plus fidèles n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la pensée du Docteur Angélique au sujet de la subsistence, con­stitutif formel de la personnalité, et pour qui a reçu du ciel une lueur métaphysique voisine de quelque lumière le désaccord n’est pas mince car il ne s’agit pas moins que de ceci: la subsis­tence est-elle de l'ordre de l ’exister ou de l'ordre de l ’essence? Pour qui voit d’évidence que la distinction réelle de l ’essence et de l ’existence s’impose en tout être créé, un abîme sépare donc ces deux courants d’interprétation.

Capréolus exprime mieux la position historique de saint Thomas, mais les disciples de Cajetan ne manquent pas de bon­nes raisons pour s’orienter vers la thèse dite du mode substantiel. Nous écartons, telles que, l ’une et l ’autre solution, et nous esti­mons que le « mode » de Cajetan doit être intégré dans la syn­thèse de l ’acte et de la puissance. Ce n’est pas le nier, mais le dépasser dans la ligne d’un développement homogène, en fonc-, tion des principes de base de la métaphysique de l ’acte et de la puissance.

Si saint Thomas ne pouvait logiquement admettre, pensons- nous, aucune grâce substantielle créée d’union hypostatique, c’est parce qu’il identifiait adéquatement nature et essence sub­stantielle (ce point ne fait de doute pour aucun commentateur). Il ne reconnaît donc pas, — et c'est pourtant notre thèse, — que le sujet créé est constitué de deux co-principes substantiels, relatifs et complémentaires, à savoir la nature, comme acte, et la subsistence (constitutif formel de la personnalité) comme puis­sance, principe d'individuation substantielle. Or, cette thèse est la seule à permettre de pouvoir logiquement affirmer le réa­lisme ontologique d'une grâce d’union, créée, substantielle. Pourquoi?

La raison en est que cette grâce créée d'union pourra, dès lors, sans contradiction métaphysique, être conçue comme co- principe substantiel de la nature humaine assumée par le Verbe, — co-principe surnaturel de l ’ordre de la subsistence référant cette nature au Verbe et en réalisant ainsi l'assomption3.

3 Nous l’avons écrit en 1936, au point de vue métaphysique, voici l’évidence de base: « A priori le surnaturel ontologique ne peut se dérouler que sur le

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Il appert d’évidence que l ’identification stricte et adéquate nature-essence ne laisse logiquement place qu'à une grâce sur­naturelle non essentielle ou « accidentelle » qui ne peut donc aucunement rendre compte de l ’union hypostatique substantielle. Cela n’avait pas échappé à saint Thomas ( I I I , 2, art. 6 et 10 notamment).

Là, disions-nous, où d’évidence et en plénitude, la grâce d’union divine est une relation vivante et hypostatique au Verbe de Dieu, saint Thomas en nie l ’existence comme grâce créée: nous venons d’en esquisser le pourquoi. Renvoyons pour plus ample explication à Union hypostatique.

5. - Postérieurement à nos articles de 1964-1965, le P. Galot a publié un livre très suggestif intitulé La personne du Christ, recherche ontologique, Éd. Duculot-Lethielleux, 1969, pp. 123. L ’auteur ne donne aucune référence à nos textes. Nous nous ren­controns pour autant qu'il veut scruter le mystère de l'Incarna­tion à la lumière de celui de la Trinité et de la notion de relation, mais ses excellentes intuitions manquent cependant d’une ana­lyse ontologique un peu poussée.

plan de la subsistence, car l ’existence réalise ce qu’on lui donne, elle ne spé­cifie pas; la nature est formellement de l ’ordre de l ’actualité, du plan de l’abso­lu: poussée à l’infini, elle est encore naturelle et en tant qu’absolue elle ne sau­rait sortir de soi que par une participation qui la réalise sur un plan toujoursabsolu et infiniment inférieur, lui aussi clos sur lui-même. Dans ses degrés li­mités comme dans sa plénitude infinie, la nature est toujours un absolu, elle est toujours naturelle. La subsistence reste donc seule à pouvoir se prêter à une analogie ontologique surnaturelle, et précisément parce qu’elle est for­mellement relative; comme telle elle ne dit pas potentialité ni acte terminant une potentialité. Si dans la créature elle dit en fait potentialité, c’est en raison de son rôle négatif de limitation, ce n’est pas d'elle-même, et de plus, elle de­meure intentionnellement relative » (Recherche, 139).

Et voici l ’application théologique: « [...] La relativité de subsistence con-naturelle à l’humanité du Christ fait place à une relativité de subsistence se terminant non pas à une existence limitée mais à l’hypostase du Verbe. L ’in- tentionnalité sera non plus existentielle mais bien proprement subsistentielle. Cette humanité subsiste de par la subsistence même du Verbe. Il manque à cette relation ontologiquement surnaturelle de se terminer à un acte limité d'existence pour être une personnalité créée. Il lui manque aussi d’être identique à l’acte pur pour être une personnalité divine. Mais elle a tout ce qu’il faut pour justifier l’union hypostatique d’une nature créée à la personnalité du Verbe. Faisant que la nature humaine qu’elle imprègne et qu’elle imbibe soit orientée au Verbe au point de subsister en Lui, et, précisément parce qu’elle est inten- tionnalité ontologique de la subsistence même du Verbe (tout comme analo­giquement, sur le plan incréé, avec un épanouissement infini, chaque Per­sonne divine est la pure intentionnalité de l’Autre), cette relation réalise l ’union hypostatique, point sur lequel insiste vigoureusement le magistère ecclésiasti­que » (art. cit., 150).

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Quand il écrit qu’il est nécessaire « de faire droit à l ’origi­nalité beaucoup plus foncière de la personne » (qui ne peut pas être seulement « un aspect de la nature » ) « et d'affirmer entre elle et la nature concrète une distinction réelle profonde en même temps d'ailleurs qu’une unité très intime » (17), l ’auteur parle comme un thomiste de la meilleure observance et il a plei­nement raison, mais il se trouve alors, pensons-nous, en contra­diction avec lui-même lorsqu’il écarte tout ensemble les expli­cations classiques du double type Capréolus et Cajetan (17-26, 75). Rappelons que notre thèse est non pas la négation mais le développement de celle de Cajetan.

Logiquement, le P. Galot ne peut donc plus que choisir entre l ’explication scotiste ou le renoncement à toute investiga­tion ontologique.

De fait, l'À. critique fort justement la position scotiste de Galtier (15-17), et c’est fort bien, mais il ne présente ensuite aucune thèse ontologique constructive, malgré le sous-titre de son livre qui en donnait l'espérance. Telle est la carence de son effort.

Il a pleinement raison d’affirmer que « l'être relationnel di­vin du Fils de Dieu personnalise une nature humaine » (77), que « son être relationnel divin ne le rend pas moins homme » (76), que « l ’être relationnel divin du Fils de Dieu, en étant introduit directement dans la communauté humaine comme un de ses membres, la relie directement à Dieu » (77) et qu’ainsi « l ’être relationnel divin [...] noue des relations nouvelles avec les êtres relationnels humains » (ib idem ), — tout cela est, certes, excel­lent, mais encore faut-il bien voir, — et pouvoir en rendre compte, — que l ’être relationnel du Verbe comme tel (Filiation éternelle, — AD Patrem ) est réellement distinct de l ’être rela­tionnel créé, substantiel, surnaturel, de la nature humaine as­sumée, et que l ’union hypostatique est ainsi réalisée dans et par le mystère d’une grâce d’union, créée, substantielle.

6. - La grâce créée substantielle d'union hypostatique con­duit logiquement et aisément à voir en notre grâce sanctifiante, par analogie propre, une grâce de participation à la Filiation du Verbe, grâce de participation intra-trinitaire, mais si, par contre, la grâce d'union hypostatique n’est pas une réalité créée hypo­statique, n’est pas une grâce créée, — et c’est la position de saint Thomas, — il est logique que notre grâce de filiation adoptive n’ait pas le privilège d’être envisagée en fonction du Verbe comme tel. Elle sera considérée « naturellement », c'est-à-dire

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comme une participation de la « nature » divine en tant que commune au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Elle ne sera plus une grâce « personnelle », de par le terme qui la spécifie et c’est ce qui sera lourd de conséquences.

Saint Thomas l ’affirme explicitement, Dieu se donne, certes, lui-même par le don de la grâce sanctifiante:

« [...] Alia autem dilectio est specialis secundum quam [Deus] trahit creaturam rationalem supra conditionem naturae ad participatio- nem divini boni et [...] secundum hanc dilectionem vult Deus simpli­citer creaturae bonum aeternum quod est ipse; sic igitur per hoc quod dicitur homo gratiam Dei habere, significatur quiddam super- naturale in homine a Deo proveniens » (I-II, 110, 1, C.).« Aliquod habitúale donum a Deo animae infunditur » (art. 2, c.).

« Ipsa participado divinae bonitatis quae est gratia [...] est [...] nobilior quam natura animae, in quantum est expressio vel parti­cipado divinae bonitatis » (art. 2, ad 2m).Par la grâce sanctifiante gratum faciens « ipse homo Deo coniungi- tur » (q. 111. 1. c.).

Mais il n’y a dans ces textes, on le voit, aucune perspective formellement trinitaire. Nous ne sommes, en bonne logique, F ilii in F ilio que par appropriation. Renvoyons à Filiation adop­tive.

7. - De cette conception de notre grâce sanctifiante, il ne pouvait donc rien sortir de « trinitaire » pour l ’analyse spécu­lative des vertus théologales et, de fait, il n’en est rien sorti.

Il est suggestif de rappeler ici l'enseignement de la I-II sur les vertus théologales.

Les vertus théologales se réfèrent à Dieu:

« V irtutes theologicae [...] habent Deum pro obiecto in quantum per eas recte ordinamur in Deum [...] » (I-II, 62, 1, c.).« Quodammodo fit homo particeps divinae naturae » (art. cit., ad lm ). « Obiectum autem theologicarum virtutum est ipse Deus qui est ultimus rerum finis prout nostrae rationis congnitionem excedit » (art. 2. c.).

Les trois vertus théologales sont fonction de l ’intelligence et de la volonté:

« Quantum ad intellectum adduntur homini quaedam principia super- naturalia quae divino lumine capiuntur: et haec sunt credibilia, de quibus est fides » (art. 3, c.).« Quantum ad appetitum duo pertinent: scilicet m otus in finem, et

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10 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

conform atio ad finem per amorem; et sic oportet quod in appetitu humano duae virtutes theologicae ponantur, scilicet spes et charitas » (art. 3. ad 3m).

Dans la II- II les trois vertus théologales sont spéculative­ment étudiées en fonction des attributs divins de Vérité, de Puis­sance secourable ( De-us auxilians) et d'Amour.

Où sont donc les Trois Personnes, si ce n’est, en bonne lo­gique, que par appropriation seulement? On aura dès lors les analogies suivantes: Foi-Vérité-Verbe, Espérance-Secours-Père, Charité-Amour-Esprit-Saint. Serrant de près l ’Écriture, saint Tho­mas affirme souvent que l ’Esprit-Saint nous est donné par la charité, mais ce qui fait question c'est une recherche d’explica­tion spéculative de cette affirmation au titre du constitutif intrin­sèque de la charité en tant que vertu théologale, à l'unisson de la foi et de l ’espérance vives.

8. - La raison formelle de l ’objet de la foi n’est autre que la Vérité première (I I- II , 1, 1, c.). Au cours de cette question 1, Relative à l ’objet de la foi, il est bien fait mention de la Trinité dans les articles de la foi, le premier étant celui de l ’unité de la divinité, le second celui de la Trinité des Personnes divines, mais il n’est rien dit d’un rapport théologal intra-trinitaire avec la Personne du Verbe comme tel (rapport dont nous pensons qu'il constitue la richesse intrinsèque et constitutive de la fo i vive).

9. - L ’espérance est fondamentalement traitée dans la ques­tion 17 de la II- II. Sa raison formelle est relative au secours divin:

« In quantum ergo speramus aliquid ut possible nobis per divinum auxilium, spes nostra attin-git ad ipsum Deum, cuius auxilio innititur: et ideo patet quod spes est virtus, cum faciat actum hominis bonum et debitam regulam attingentem » (art. 1, c.).

L ’espérance est une vertu théologale au double point de vue de la cause efficiente et de la cause finale: Dieu en est, en effet, l ’alpha ( « [Deus] attingit sicut primam causam efficien- tem » ) et l ’oméga ( « [...] et sicut ultimam causam hnalem »), — art. 5. Ces perspectives font donc formellement abstraction de la vie intra-trinitaire. On pourrait encore définir ainsi l ’espé­rance même si la Trinité ne nous avait pas été révélée.

10. - La charité est traitée à partir de la question 23. Cette vertu est plus parfaite que la foi et l ’espérance:

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 11

« Fides autem et spes attingunt quidem Deum secundum quod ex ipso provenit nobis vel cognitio veri, vel adeptio boni: sed charitas attingit ipsum Deum ut in ipso sistat, non ut ex eo aliquid nobis proveniat; et ideo charitas est excellentior fide et spe, et per con- sequens omnibus aliis virtutibus » (art. 6, c.).

En ces questions 23-33 qui traitent de la charité et de ses effets intérieurs et extérieurs, cette vertu est bien présentée comme la plus grande de toutes et la forme ou perfection des autres (qu. 23, art. 6 et 8), sans laquelle il n’y a pas de vraie vertu ( ibid ., art. 7). Mais elle n’est pas présentée comme une participation à la spiration du Saint-Esprit. Saint Thomas traite excellemment de la charité, amitié divine, mais c'est encore dans une perspective qui fait formellement abstraction de la vie tri- nitaire.

D'où le malaise souvent dénoncé, résultant de la distance qui sépare de l ’Écriture et des mystiques la spéculation théolo­gique concernant nos rapports avec les Personnes divines.

11. - Il est symptomatique de constater que pour sortir de l ’impasse, un esprit aussi averti que le P. Gardeil, thomiste che­vronné, se soit tourné vers les dons du Saint-Esprit et se soit cru obligé de recourir à l ’usage supra-intentionnel du don de sa­gesse pour rendre compte du réalisme trinitaire des mystiques 4.

La docilité aux inspirations de l ’Esprit-Saint est le secret du progrès dans la voie de la sanctification et on ne saurait mini­miser cette doctrine spirituelle. D’un point de vue descriptif et existentiel l ’enseignement de saint Thomas sur les dons du Saint-

4 Voir Recherche, 161, une longue note consacrée à l ’ouvrage du P. G ardeil, La structure de l ’âme et l ’expérience mystique, 2 vol., Gabalda, 1927. « [...] Con­cluons donc, écrivait le P. G ardeil, que les Dons du Saint-Esprit eux-mêmes, quelle que soit la pénétration qu’ils mettent au service de la foi et de la charité, ne peuvent faire tomber le mur qui nous sépare de Dieu, encore qu’ils nous donnent un vif sentiment de la présence de Celui qui se tient en quelque sorte à l ’aboutissement de la foi, derrière le mur de la foi... Non! Rien ne peut pré­valoir contre la loi qui exige que notre vie spirituelle soit une vie intentionnelle: peregrinamur a Domino, II Cor., 5, 6 » (op. cit., vol. II, 160-161).

Aujourd’hui, comme en 1936, nous pensons que « mis de côté le concept de subsistence et les applications auxquelles il donne lieu, la position du P. Gar­deil semble d’une impeccable logique (exception faite de l ’usage supra-inten­tionnel du don de sagesse dont il a lui-même senti la grave difficulté) » (note citée, 162). Notre vie intérieure est bien, en effet, supra-intentionnelle, en ce sens qu’elle se développe en dehors et bien au delà des notions conceptuelles, mais l'usage supra-intentionnel de l’un des dons du Saint-Esprit, fût-il celui de sagesse, n’est qu’une solution artificielle, un deux ex machina, et qui, de plus, ne rend pas raison de l’intimité trinitaire.

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12 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

Esprit est donc d’une importance primordiale, mais, cela dit et maintenu, nous oserons avancer qu'au plan de la spéculation la théologie des dons paraît devoir demeurer longtemps encore à un stade rudimentaire et qu’elle ne peut pas nous être ici d'un grand secours pour la raison fondamentale que les dons sont au service des vertus théologales, et non pas inversement. Si les vertus théologales n'arrivent pas à franchir « le mur qui nous sépare de Dieu » (P. Gardeil, déjà cité), les dons n’y arri­veront certainement pas car le don du Saint-Esprit ne doit ni ne peut être conçu comme l'analogue d’une super-vertu théologale.

Saint Thomas l ’a justement affirmé: les dons sont là pour nous rendre dociles aux inspirations divines. « Istae perfectiones vocantur dona, non solum quia infunduntur a Deo, sed quia se- cundum ea homo disponitur ut efficiatur prompte mobilis ab inspiratione divina » (I-II, 68, 1, c . )5.

Le rapport des dons aux vertus est étudié et résumé de ma­nière précise dans la I-II, q. 68, art. 8. En bref, les vertus théolo­gales « quibus mens humana Deo coniungitur » sont supérieu­res aux dons: « sicut virtutes intellectuales praeferuntur virtu- tibus moralibus et régulant eas, ita virtutes theologicae praefe­runtur donis Spiritus Sancti et régulant ea ». Mais les dons sont supérieurs aux vertus intellectuelles et aux vertus morales « quia dona perficiunt vires animae in comparatione ad Spiritum Sanc- tum moventem » {art. cit.).

Le Saint-Esprit nous est donné avec et par la charité {Rom., 5, 5) et, tous connexes, en la charité, les dons du Saint-Esprit nous sont donc donnés avec elle, « ita scilicet quod qui chari- tatem habet omnia dona Spiritus Sancti habet, quorum nullum sine charitate haberi potest » (I-II. 68, 5).

12. - Notre point de vue est à la fois traditionnel et nova­teur: traditionnel car nous nous référons au Magistère, à l ’Écri­ture, aux grands mystiques et aux principes métaphysiques les

5 « Similiter autem donum, prout distinguitur a virtute infusa, potest dici id quod datur a Deo in ordine ad motionem ipsius, quia scilicet facit hominem bene sequentem suos instinctus » (ad 3m).

« In ordine ad finem ultimum supernaturalem, ad quem ratio movet se­cundum quod est aliqualiter et imperfecte informata per virtutes theologicas, non sufficit ipsa motio rationis, nisi desuper adsit instinctus et motio Spiritus Sancti » (art. 2, c.).

La précision qui suit est importante:« Dona excedunt communem perfectionem virtutum, non quantum ad genus

operum, eo modo quo consilia praecedunt praecepta, sed quantum ad modum operandi, secundum quod movetur homo ab altiori principio » (ad lm).

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plus fondamentaux de saint Thomas d'Aquin, — novateur car nous ne sommes pas sans dépasser telle ou telle des assertions du Docteur commun, au plan spéculatif, et cela, pensons-nous, in eodem sensu eademque sententia, pour une harmonie plus profonde des deux aspects complémentaires, spéculatif et po­sitif, de la théologie dogmatique et spirituelle de la grâce sancti­fiante et des vertus théologales, à la lumière du mystère de la Trinité qui nous a été révélé non seulement pour que nous y croyions mais encore et surtout pour que nous en vivions.

Nos perspectives sont les suivantes: fo i vive, espérance vive et charité théologales nous donnent de participer, à l ’obscur mais de manière très réelle, à la vie intime de Dieu, dans sa double procession de Sagesse et d’Amour. Telle est la richesse de notre héritage de frères de Jésus-Christ, Verbe de Dieu, — fils adoptifs de son Père, — dans l'unité du Saint-Esprit.

Tel est le lot de tous ceux qui vivent en grâce avec Dieu, dans la rectitude de leur conscience, fût-ce dans l'ignorance in­vincible des merveilles divines auxquelles il leur est donné de participer.

II. - CERTITUDE ET LIBERTÉ DE LA FOI SURNATURELLE 6

13. - Rappelons de manière succincte comment nous croyons devoir résoudre le problème de l'analyse de l'acte de fo i et cela dans le but de bien donner à entendre que les nouveautés que nous proposons n'ont rien de révolutionnaire et que notre thèse sur la fo i vive ne porte aucune atteinte aux exigences du Magis­

& Outre l’ouvrage classique de Roger A ubert, sur le problème de l ’acte de foi, que nous citerons ci-dessous, mentionnons les publications suivantes re­latives aux vertus théologales, dans la ligne traditionnelle, à des niveaux dif­férents:

Henricus V ignon , s . j., De virtutibus et donis vitae supernaturalis, vol. I, Pars I, De virtutibus supernaturalibus in genere, — Pars II, De virtutibus theo- logicis in genere, — Pars III, De virtute fidei, P. U. G., Romae, 1948-1953.

Ph. D elhaye, Rencontre de Dieu et de l ’Homme, vol. I, Vertus théologales en général, Desclée, Tournai, 1956, pp. 160.

Ph. D elhaye et J. B oulangé, Rencontre de Dieu et de l'Homme, vol. III, Espé­rance et vie chrétienne, Desclée, Tournai, 1958, pp. 317.

Henry B ars, Trois vertus-clefs: foi, espérance, charité, Fayard, coll. Je sais-Je crois, Paris, 1960, pp. 120 — Introduction à la foi, Beauchesne, Paris, 1963, pp. 197. — Marche de l'espérance, Cerf, Paris, 1963, pp. 175.

P. D uroux, o . p., La psychologie de la fo i chez saint Thomas d’Aquin, Desclée,

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14 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

tère concernant la foi vraie. On verra aussi comment le débat classique entre thomistes et scotistes relatif au motif de l'acte de foi peut et doit se résoudre comme un pseudo-conflit qui tire justement son origine de l'affirmation d’un unique habitus de foi, tant pour la fo i vraie ( vera) que pour la fo i vivante (v iva), ce que nul ne conteste être la pensée de saint Thomas.

Or, cette critique des deux camps opposés nous mènera au coeur du problème.

1. - L a c e r titu d e objective de l a fo i

EST ACCESSIBLE À LA RAISON HUM AINE

14. - Le Magistère est formel sur ce point:

« 5. Quoad has quaestiones varias ratio fidem praecedit debetque ad eam nos conducere » (D. Rahner, 1626 contre Beautain, au sujet des miracles opérés par le Christ et de sa résurrection).« 3. Rationis usus fidem praecedit et ad eam hominem ope revela- tionis et gratiae conducit » (D. Rahner, 1651, contre Bonnetty).« Neque solum fides et ratio inter se dissidere numquam possunt sed opem quoque sibi mutuam ferunt, cum recta ratio' fidei funda­menta demonstret » ( Vatican I, Constitution dogmatique « Dei Fi- lius » sur la foi catholique, chap. 4, F o i et raison, - D. Sch., 3019).

C’est « un lieu commun de l ’enseignement patristique » que de rapprocher la fo i divine de la foi humaine, c’est-à-dire du « fait indispensable de s’en rapporter à autrui sur quantité de choses qu’on ne peut vérifier soi-même » 7. « Tu ne crois pas à la ré­surrection des morts, écrit saint Théophile d’Antioche, ... igno­res-tu que la foi marche avant toutes choses?... Quel malade pour­ra guérir, s’il ne se confie pas d’abord à un médecin? Quel art, quelle science pourra-t-on apprendre... si l ’on ne croit pas à un

Tournai, 1963, pp. 238.Juan A lfaro, s . j., Supernaturalitas fidei juxta S. Thomam, in Gregorianum

44 [1963] fasc. 3 et 4. — Fides, spes, caritas, Adnotationes in Tractatum De Vir- tutibus Theologicis, P. U. G., Roma, ed. nova (ad usum privatum auditorum), 1964, pp. 650.

J.-H. N icolas, o . p., Les profondeurs de la grâce, Beauchesne, Paris, 1969, pp. 570.

Joseph de Sainte -M arie, O. C. D., L ’enseignement de saint Thomas sur la fo i dans ses commentaires sur le nouveau Testament, in Doctor Communis, XXIII(1970) 6-39 et L'acte de fo i: décision, adhésion et assentiment, per. cit., XXIV(1971) 278-324.

7 Dictionnaire de Théologie catholique (D. T. C.), art. Foi, par le P. H arent,S. J„ col. 110.

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maître?... Et tu ne veux pas te fier à la parole de Dieu qui t'a donné tant de gages? » 8.

Le syllogisme traditionnel que voici n’a donc rien perdu de sa force apologétique pour qui reconnaît la saine objectivité de la raison humaine:

Dieu existe et ne peut ni se tromper ni nous tromper.Or, Dieu a parlé.Nous devons donc nous en remettre à sa parole.

M ajeure : « Eadem sancta Mater Ecclesia tenet et docet, Deum re- rum omnium principium et finem, naturali humanae rationis lumine e rebus creatis certo cognosci posse » (Vatican I, - D. Sch., 3004).« [...] Ecclesia crédit et confitetur, unum esse Deum verum et vi- vum [...] intellectu ac voluntate omnique perfectione inflnitum » (Vatican I, - D. Sch., 1782).

M ineure : Vatican I, Constitution De fide catholica, chap. 2, De reve- latione, chap. 3, De fide, chap. 4, De fide et ratione, D. Sch., 3004-3020. avec les canons correspondants9.

Conclusion: « Itaque humana ratio ex splendissimis hisce aeque ac firmissimis argumentis olare aperteque cognoscens, Deum eiusdem fidei auctorem exsistere, ulterius progredi nequit, sed quavis diffi- •cultate ac dubitatione penitus abiecta atque remota, omne eidem fidei obsequium praebeat oportet, cum pro certo habeat, a Deo tra-

8 Ibidem; cf. R ouët de Journel, Enchiridion Patristicum , n. 661, n. 2143, etc...9 II va de soi que, pour saint Thomas, vivante ou morte (c’est-à-dire avec

ou sans charité théologale) la foi vraie implique l’évidence de raisons de croire, à l’encontre du fidéisme:

« Ea quae subsunt fidei [...] considerari possunt [...] in generali, scilicet sub communi ratione credibilis: et sic sunt visa ab eo qui credit: non enim crederet, nisi videret ea esse credenda, vel propter evidentiam signorum, vel propter aliquid huiusmodi » (II-II, 1, 4, 2m).

« Ille qui credit habet sufficiens inductivum ad credendum; inducitur enim auctoritate divinae doctrinae miraculis confirmata, et, quod plus est, interiori instinctu Dei invitantis » (q. 2, 9, 3m).

« Credere in Christum est per se bonum et necessarium ad salutem, sed vo­luntas non fertur in hoc, nisi secundum quod a ratione proponitur; unde si a ratione proponatur ut malum, voluntas feretur in hoc ut malum; non quia illud sit malum secundum se, sed quia est malum per accidens ex apprehensione rationis » (I-II, q. 19, a. 5, c.).

Voir encore question 2, l’article 10, Utrum ratio inductiva ad ea quae sunt fidei, minuat meritum fidei.

Voir notre article Le discernement du miracle au X lI Iè et au XXè siècle, in Ephemerides Carmeliticae, XII [1961] 356-400. Les progrès de la science n’em­pêchent en rien de discerner le miracle. On oublie trop souvent que saint Tho­mas croyait aux démons et à la permission qu’ils peuvent avoir d’opérer des prodiges qui peuvent nous induire en erreur (cela vaut encore aujourd’hui). D’où la nécessité d’une réflexion judicieuse.

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ditum esse, quidquid fides ipsa hominibus credendum et agendum proponit » (Pie IX, encyclique Qui pluribus, 1846, D. Sch., 2780).

« On peut conclure que l'obligation de croire est reconnais­sable à la lumière de la raison naturelle, puisque le concile du Vatican la prouve par un argument purement philosophique...: l ’homme dépend tout entier de Dieu comme de son créateur e t 1 seigneur, et la raison créée est absolument subordonnée à la vérité incréée; nous sommes donc obligés, si Dieu révèle, à lui rendre par la fo i l ’hommage total de notre intelligence et de notre volonté » 10.

2. - L 'acte de f o i s a lu t a ir e

EST LE FRUIT DE LA GRÂCE ET D 'UN LIBRE VOULOIR

15. - Le Magistère est également formel sur ce point.Se reporter à Vatican I, D. Sch., 3010, où ceci est précisé:

« Licet autem fidei assensus nequaquam sit motus animi caecus: nemo tarnen ' evangelicae praedicationi consentire ’ potest, sicut oportet ad salutem consequendam, ’ absque illuminatione et inspi- ratione Spiritus Sancii, qui dat omnibus suavitatem in consentiendo et credendo veritati ’ [Conc. Araus.]. Quare fides ipsa in se, etiamsi per caritatem non operetur [cf. Gai., 5, 6], donum Dei est, et actus eius est opus ad salutem pertinens, quo homo liberam praestat ipsi Deo oboedientiam gratiae eius, cui resistere posset, consentiendo et cooperando» (D. Sch., 3010).

Cette doctrine est solennellement promulguée dans le ca­non 5 de ce chapitre (D. Sch., 3035).

Le Concile d’Orange s’exprimait ainsi:

« Si quis per naturae vigorem bonum aliquid, quod ad salutem per- tinet vitae aeternae, cogitare, ut expedit, aut eligere, sive salutari, id est evangelicae praedicationi consentire posse confirmât absque il­luminatione et inspiratione Spiritus Sancii, qui dat omnibus suavi­tatem in consentiendo et credendo veritati, haeretico fallitur spiritu, non intelligens vocem Dei in Evangelio dicentis: 'S in e me n ih il po- testis facere ’ [Io., 15, 5] » (D. Sch., 377).

Le I Concile du Vatican a donc repris le même enseigne­ment. — C’est bien « per naturae vigorem » que les démons ad­

10 D. T. C., art. cit., c. 190; cf. D. Sch., 3008.

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mettent les vérités de la fo i (et il n'est pas exclu que leur soit assimilé là un homme révolté contre Dieu dans le péché de l ’esprit), mais il ne s’agit plus, dès lors, c'est évident, d’un acte de fo i salutaire.

Le I I Concile du Vatican y insiste à son tour:

« Caput est ex praecipuis doctrina® eathclieae, in verbo Dei con­tentura et a Patribus constanter praedicatum, hominem debere Deo voluntarle responderé credendo; invitum proinde neminem esse co- gendum ad amplectandam fidem. Etenim actus fidei ipsa natura vo- luntarius est, cum homo, a Christo Salvatore redemptus et in adop- tionem filiorum per Iesum Christum vocatus, Deo Sese revelanti adhaerere non possit, nisi Patre eum trahente rationabile liberumque Deo praestiterit fidei obsequium » ( D ignitatis humanae, n. 10).

Comment harmoniser dès lors la certitude et la liberté de l'acte de foi?

3. - Ce r t it u d e e t l ib e r té

Croire et bien croire

16. - Qui dit certitude dit nécessité et qui dit liberté exclut pour autant la nécessité. C'est ce qui fait problème.

On connaît le labyrinthe des solutions proposées pour ré­soudre l'apparente antinomie. D’aucunes côtoient le fidéisme au détriment de la certitude, d’autres tendraient à tout réduire aux seuls facteurs intellectuels. Pour cerner de près le juste milieu, il faut nettement affirmer que la fo i est nécessitée dans la ligne de Y intelligence tandis qu'elle demeure libre dans celle du vou­lo ir salutaire, et ne pas craindre de proclamer que ces deux exi­gences s’épanouissent harmonieusement. L ’assentiment de foi chrétienne ne doit pas être dit libre en raison de l'insuffisance des raisons de croire, mais ces raisons de croire (motifs de cré­dibilité) ne portent cependant pas la moindre atteinte à la li­berté méritoire de notre assentiment.

17. - Il faut distinguer deux aspects essentiels et complémen­taires de l ’acte de foi: CROIRE et B IEN CROIRE (c.-à-d. dans les dispositions morales voulues).

1) CROIRE implique à son tour deux aspects complémen­taires: COMMENT SAVOIR que Dieu a parlé, et s’il a parlé, POURQUOI LE CROIRE. On aura remarqué qu’il y a un com ­

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ment et un pourquoi, et que le premier porte sur voir, savoir (fo i scientifique), — le second sur croire (fo i d’autorité).

a) Ce comment exige l'examen des motifs de crédibilité inscrits dans l ’histoire du salut qui culmine en Jesus-Christ, — sa Personne, son message doctrinal, ses miracles, dont sa Ré­surrection et celui de son Église avec la dynastie pontificale ro­maine.

b ) Pourquoi dois-je croire? Parce que Dieu, verax, ne peut ni se tromper ni me tromper.

2) B IEN CROIRE, c'est croire pour l ’amour de la vérité en se donnant à Dieu de tout son coeur. Pour celui qui ne croit pas encore, cette bonne disposition foncière se traduit par la recherche sincère de la vérité. Elle pourra s’exprimer dans une prière hypothétique telle que celle-ci: si vous êtes Dieu, Jésus, donnez-moi de le croire. Celui qui cherche la vérité sur le Christ, de tout son coeur, de toute son âme et de tout son pouvoir ( Deut., 6, 5) a déjà rencontré le Christ de manière vivante et sa­lutaire, — même s’il demeure encore dans le doute spéculatif n.

18. - Un texte de saint Thomas éclaire bien le problème: ce qui est fait avec amour peut être aussi fait sans amour.

« Opus meritorium a non meritorio non distat in quid agere, sed in qualiter agere: nihil enim est quod unus homo meritorie agat, et ex caritate, quod alius non possit absque merito agere vel velle. Et ideo hoc quod homo non potest sine gratia agere meritoria, nihil derogat perfectae libertati: quia homo dicitur esse liberi arbitrii secundum quod potest agere hoc vel illud, non secundum quod po­test ¡sic vel sic agere » {De Veritate, 24, 1, ad 2m).

La fo i des démons

19. - Les démons croient, mais ils croient mal:

« Quod autem voluntas moveat intellectum ad assentiendum potest contingere ex duobus: uno modo ex ordine voluntatis ad bonum, et sic credere est actus laudabilis; alio modo quia intellectus con- vincitur ad hoc quod iudicet esse credendum his quae dicuntur, licet non convincatur per evidentiam rei [...] Dicendum est ergo, quod in fidelibus Christi laudatur fides secundum primum modum: et secun­dum hoc non est in daemonibus, sed solum secundo modo: vident

w Voir notre Dieu de colère ou Dieu d’amour? Desclée de Brouwer, Paris, 1964, Préliminaires apologétiques, pp. 58-66. - « Du point de vue de la connais-

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réflexio ns de théologie dogm atique - i v 19

enim multa manifesta indicia, ex quibus percipiunt doctrinam Ec- clesiae a Deo esse; quamvis ipsi res ipsas, quas Ecclesia docet, non videant; puta Deum esse trinum et unum, et alia huiusmodi » (II-II, q. 5, a. 2, c .)12.

La foi du démon est une fo i exclusivement « scientifique » et « technique », peut-on dire, qui méconnait positivement toute soumission librement acceptée et même tout respect à l'égard de l ’autorité divine. C’est la fo i de l'esprit révolté qui n'a pas pour autant perdu sa lucidité.

Foi vraie et morte

20. - Le chrétien qui a perdu la grâce et la charité parce qu’il a offensé Dieu de manière subjectivement grave, mais qui n’a pas pour autant péché contre la fo i et accepte encore comme un bien, avec respect, l ’autorité de Dieu qui ne peut l ’induire en erreur, possède encore la foi vraie, don de Dieu.

Le I Concile du Vatican est très clair sur ce point capital:

« Fides ipsa in se, etiamsi per caritatem non operetur, donum Dei est et actus edus est opus ad salutem pertinens, quo homo liberam praestat ipsi Deo obedientiam gratiae eius, cui resistere posset, con- sentiendo et cooperando» (D. Sch., 3010).

Telle était bien déjà la doctrine explicite de saint Thomas. On pourra se reporter à II-II, q. 6, a. 2, Utrum ficLes inform is sit donum Dei. La réponse est affirmative.

« Datur aliquando homini a Deo, quod credat; non tamen datur ei charitatis donum; sicut etiam aliquibus absque charitate datur do­num prophetiae, vel aliquid simile » (ibid., ad 3m).« Fides quae est donum gratiae inclinât hominem ad credendum

sance intégrale de la Vérité, il est essentiel de professer la foi catholique ro­maine. Du point de vue du salut éternel personnel, il est essentiel de mourir en état de grâce, en étant ainsi au moins in voto, sinon in re, membre de l’Église, Corps mystique du Christ, sans laquelle il n’est point de salut possible » (62).

12 « Daemonum tides est quodammodo coacta ex signorum evidentia ; et ideo non pertinet ad laudem voluntatis ipsorum, quod credunt » (ibid., ad lm).

« [...] Fides, quae est in daemonibus, non est donum gratiae; sed magis coguntur ad credendum ex perspicacitate naturalis intellectus » (ibid., ad 2m).

« Hoc ipsum daemonibus displicet quod signa fidei sunt tam evidentia, ut per ea credere compellantur ; et ideo in nullo malitia eorum minuitur per hoc quoi credunt » (ibid., ad 3m).

« Etsi aliquando aliquod bonum faciat [daemon], non tamen bene facit; sicut dum veritatem dicit ut decipiat; et dum non voluntarie credit et confitetur, sed rerum evidentia coactus » (I, 64, 2, ad 5m).

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20 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

secundum aliquem affectum boni, etiamsi sit informis » (II-II, q. 5,a. 2, ad 2m).« Pertinet ad laudem voluntatis ipsorum quod credunt » (ib id , ad lm ).

21. - On peut évidemment se poser la question de savoir si la foi morte est encore une vertu. Saint Thomas y répond de manière parfaite lorsqu’il se demande Utrum sine charitate pos- sit esse aliqua virtus (I I- II , 23, 7, c. et ad lm ). A tout prendre, simpliciter, nulla vera virtus potest esse sine charitate (c .) quia deest débita ordinatio ad ultimum finem (lm ), sed si accipiatur virtus, secundum quod est in ordine ad aliquem finem particu- larem, sic potest aliqua virtus dici sine charitate, in quantum ordinatur ad aliquod particulare bonum (c.). Tel est le cas de celui qui a encore la fo i et l'espérance, mais sans la charité:

«Actus alicuius charitate carentis potest esse duplex: unus quidem secundum hoc quod charitate caret [...]; alius autem potest esse actus charitate carentis non secundum id quod charitate caret, sed secundum quod habet aliquod aliud donum Dei, vel fidem, vel spem vel etiam naturae bonum, quod non totum per peccatum tollitur [...]; et secundum hoc sine charitate potest quidem esse aliquis actus bo­nus ex suo genere, non tamen perfecte bonus, quia deest débita ordi- natio ad ultimum finem » (lm ).

On se reportera également au De Veritate, qu. 14, art. 6, où Saint Thomas se demande Utrum fdes inform is sit virtus et où il affirme: « Id quod hdes ex caritate recipit est sibi accidentale secundum genus naturae, sed essentiale prout refertur ad genus moris, et ideo per hoc ponitur in genere virtutis » (ad lm ). Cette distinction, tout à la fois audacieuse et capitale, doit être évi­demment retenue et nullement minimisée.

Foi vraie et vivante

22. - On doit dire du sujet qui croit, mais en état de péché mortel, qu'il met sa fo i en un état violent, « contre nature », car croire c’est reconnaître l ’autorité de Dieu, ce qui implique lo­giquement, de toute évidence, qu’on doit l'accepter en s’y sou­mettant pleinement. Croire est l ’acte du sujet, de la personne, croire est un acte deux fois personnel: au titre de celui qui croit, comme au titre du Dieu (personnel, tri-personnel) auquel il croit, croire implique donc moralement le don de soi à Dieu 13.

>3 je a n M ouroux a b ien m is en relief la Structure personnelle de la foi. Voir l ’article p aru sous ce titre in Recherches de sciences religieuses, janvier-février

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 21

La fo i vraie et vivante, telle est la fo i logique, la fo i vécue de celui qui se soumet avec amour au joug de la Vérité divine, telle est la foi du sujet en état de grâce. Sa fo i a valeur de mérite pour la vie éternelle. C'est l ’état pacifique de celui qui vit sa foi comme elle doit l ’être, à proportion de sa fidélité aux inspi­rations divines.

Quelques textes de saint Thomas éclairent cette perspective.

« Aliquid potest iudicari gratuitum d uplic iter: uno modo ex parte ipsius operis, quia scilicet homo ad id non obligatur; alio m odo ex parte operands, quia scilicet libera volúntate hoc facit: opus autem redditur virtuosum et laudabile, et meritorium, praecipue secundum quod ex volúntate procedit; et ideo quamvis obedire sit debitum, si prompta volúntate aliquis obediat, non propter hoc minuitur eius meritum, maxime apud Deum, qui non solum exteriora opera, ve- rum etiam interiorem voluntatem videt » (II-II, 104, 1, 3m).« Quaecumque alia virtutum opera ex hoc meritoria sunt apud Deum, quod hunt ut o’bediatur voluntad divinae; nam si quis etiam mar­tyrium sustineret, vel omnia sua pauperibus erogaret, nisi haec or- dinaret ad impletionem divinae voluntatis, quod directe ad obedien- tiam pertinet, meritoria esse non possent; sieut nec si fieret sine charitate, quae sine obedientia esse non potest » ( IM I , 104, 3, c.).

Le Christ ne pouvait évidemment pas avoir la fo i et à l ’objec­tion qui se présente ainsi: « le Christ n'a pas enseigné les vertus qu’il n ’a pas eues [...], or il est « le chef de notre fo i » (H ebr., 12, 2, traduction de la Bible de Jérusalem), il a donc eu la foi au maximum ( maxime) », saint Thomas répond très judicieuse­ment:

« Meritum fidei consistit in hoc quod homo ex obedientia Dei as- sentit illis quae non videt [...] Obedientiam autem ad Deum plenis- sime habuit Christus, secundum illud Philip. 2: Factus est obediens usque ad m ortem ; et sic nihil ad meritum pertinens docuit, quod ipse excellentius non impleret » (III , q. 7, a. 3, ad 2m).

Le mérite de la foi est dans l ’obéissance.

4. - Co n c lu s io n

23. - On peut résumer ainsi les situations de fait.

1. - 'Foi « scientifique » de l’esprit révolté qui hait Dieu: les anges déchus, — éventuellement les hommes qui commettent eux aussi le péché de l’esprit contre la vérité qu’ils reconnaissent.

1939, et Je crois en toi. Structure personnelle de la foi, Éd. du Cerf, Paris, 2è éd. 1954, pp. 120 [1], Cette perspective est essentielle à notre thèse.

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22 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

2. - Foi vraie {in vo to ) mais morte de quiconque ne professant pas la foi catholique recherche sincèrement la vérité, tout en n’étant pas en état de grâce aux yeux de Dieu, car il n’agit pas conformément aux exigences de sa conscience, et cela en matière qu’il reconnaît grave.3. - !Foi vraie (explicite) mais morte du catholique convaincu, qui est en état de péché mortel, mais qui n’a pas péché contre la foi.4. - Foi vivante du nouveau-né baptisé qui n’en a pas conscience.5. - Foi vraie ( in vo to ) et vivante de quiconque est en état de grâce aux yeux de Dieu et recherche de tout coeur la vérité, sans professer la foi catholique14.6. - Foi vraie (explicite) et vivante du catholique en état de grâce.

24. - Il n’est pas hors de propos de souligner ici la simplicité de la démarche de la foi, que trop de théologiens ont malheureu­sement embrouillée comme à plaisir, pour ainsi dire. Nous souscrivons pour notre part, aux affirmations suivantes qui met­tent de la clarté dans le débat:

« Qu’il puisse y avoir une fo i purement naturelle à la parole de Dieu, tous les théologiens l ’admettent, et le bon sens le dit » (Bainvel, La fo i et l ’acte de foi, Lethielleux, Paris, 1921, 3è éd., p. 43). - « Une théorie de la fo i n’est pas fragile » pour ne pas reposer sur « la distinction » à établir entre « fo i naturelle et foi surnaturelle » (op. cit., p. 143).

Est-ce à dire que la surnaturalité de la fo i ne soit pas à considérer? Evidemment non, mais elle ne détruit pas le fonc­tionnement naturel de l ’intelligence. Il importe et suffit de la bien entendre.

25. - L ’analogie de la fo i (Léon X III, D. Sch., 3283, — Pie XII, D. Sch., 3826) nous invite à ne pas cloisonner les questions théo­logiques. La problématique des rapports de la nature et de la surnature est évidemment foncière et centrale. Nous en avons longuement traité à propos de la fin dernière et du péché de

14 Les athées eux-mêmes ne doivent pas être exclus a priori de cette per­spective. Se reporter à Lumen Gentium, n. 16 et à notre Dialogue avec le mar­xisme? « Ecclesiam suam » et Vatican II , Éd. du Cèdre, Paris, 1966, La conscience athée, 38-42 avec renvoi à I-II, 89, 6. « Athée ou non, quiconque n’est pas débile mental du point de vue moral, sera éternellement heureux ou malheureux » (42). — Voir aussi Dieu de colère..., déjà cité, 63-64. L ’athée « spéculatif » n’est pas a priori un athée « pratique ».

Nos frères chrétiens séparés sont en communion de foi avec nous quant àcertaines vérités, ■— qui plus, qui moins (voir Lumen gentium, n. 8; Unitatis redintegratio, nn. 3, 15, 22, 23. — etc.).

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l ’Ange1S. Pour éviter là d’inextricables confusions, il est avant tout nécessaire de saisir ce qu’ont si justement noté les Sal­manticenses:

« [...] Deus clare visus, sive ut est Trinus et Unus, sive ut est Unus et prima causa, est obieetum supernaturale et superexcedens, ac improportionatum respectu creaturae intellectualis [...] » 16.

Cette évidence fondamentale nous donne de pouvoir clai­rement distinguer le sur-naturel « de l'Acte pur », c.-à-d. tout ce qui ressortit à la connaissance naturelle, spéculative et morale de la sur-nature divine, infiniment au-dessus de toute nature, créée et créable, et le surnaturel « théologal », c.-à-d. tout ce qui, révélé et révélable, concerne au double point de vue spéculatif- conceptuel et vital-existentiel, le mystère trinitaire et sa parti­cipation de grâce 17.

Dieu, quant à nous, ne peut donc pas ne pas être sur-naturel, sa nature étant infiniment au-dessus de toute nature créée ou créable. Ainsi l'autorité divine est-elle donc toujours et par dé­finition une autorité sur-naturelle. La Trinité est Dieu et ne peut donc pas avoir plus d’autorité que Dieu.

« L ’autorité de Dieu, même naturellement connue, est en soi la même que si elle était surnaturellement saisie: il n’y a qu’une auto­rité divine, toujours infinie de valeur [...] Dieu est vrai, Dieu est tout- puissamt et ce ’ tout ’ n’exclut rien. Qu'il me dise ce qu’il voudra, je le croirai » (Fo i, 174)18.

>5 Voir Du péché de Satan et de la destinée de l ’esprit d’après saint Thomas d’Aquin, in Etudes Carmélitaines, vol. Satan, mai 1948, notamment pp. 76-79, — Réflexions sur le péché de l ’Ange [I ], in Ephemerides Carmeliticae, 8 [1957], notamment 69-72. Ce dernier article et les deux suivants consacrés au même sujet (Eph. Carm., 8 [1957] 315-375 et 9 [1958] 338-390 ont été reproduits in-extenso dans Le Pèche de l ’Ange, peccabilité, nature et surnature (en collaboration avec Charles Journet et Jacques M a r it a in ), Beauchesne, Paris, 1961, p. 245.

18 Cursus theologicus, tract. II, disp. I, dub. IV, 61, Éd. Palmé, t. 3, p. 111.U Sur cette distinction capitale habituellement méconnue, voir notamment

Le Péché de l ’Ange, p. 64, note (1), pp. 114-117 et aussi 155, 156-158, 225-226. Elle nous paraît jouer de manière essentielle dans l’analyse de l’acte de foi pour y éviter de faux problèmes.

18 Au sujet de « l ’explication proposée [par plusieurs théologiens dont le P. G arrigou-Lagrange] et qui distingue entre l’autorité de Dieu auteur de la na­ture ou de l’ordre de la grâce, écrit R. A ubert, on ne peut qu’approuver le P. Philippe de la Trinité, par exemple, quand il objecte ’ il n’y a qu’UNE autorité divine, toujours infinie de valeur ’ » (Le problème de l ’acte de foi, données tra­ditionnelles et résultats des controverses récentes, Warny, Louvain, 1958, 3è éd., p. 450). — Pour la thèse du P. G.-L. voir son ouvrage Le sens du mystère et le clair-obscur intellectuel, — Naturel et Surnaturel, Desclée de Brouwer, Paris,

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24 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

En bref, de même que l ’homme a le désir naturel, inefficace, inexigeant, de la vision béatifique, de même lui est-il naturel de pouvoir saisir la valeur irrécusable de l'autorité sur-naturelle de Dieu qui ne peut ni se tromper ni le tromper. Dieu est l ’unique auteur des ordres complémentaires de la nature et de la grâce et il n’y a pas à distinguer là l ’autorité de Dieu auteur de la nature de l ’autorité de Dieu auteur de la grâce: il s’agit de la seule et même autorité, qui ne peut pas ne pas être, quant à nous, « sur-naturelle ». Mais ce point essentiel étant admis et retenu, l ’on n’a pas terminé, pour autant, d’analyser la surnatu- ralité de l'acte de foi, car celle-ci ressortit avant tout au surna­turel « théologal ».

1934, chap. V, La surnaturalité de la foi, pp. 254-286.La réaction du P. Garrigou-Lagrange à mon article de 1937 fut très négative.

Il écrivit à mon Provincial, qui était alors le P. Louis de la Trinité (son ancien élève à l ’Angelicum, le futur amiral Georges Thierry d'Argenlieu) que le jeune auteur de ces pages devrait retourner apprendre sa théologie et cesser d’écrire dans ce sens, sous peine de risquer un index représentant en l’occurrence une condamnation d’importance. Le P. Louis m’était personnellement très favorable, mais, homme d’expérience, il me tint à peu près ce langage: soyons prudents, l 'index vous ferait un grand tort et vous suivrait toute votre vie; or, vous êtes jeune, écrivez donc sur d’autres thèmes et l’on verra dans quelques années... C’était sagesse. ■— La guerre éclata en 1939 et devait me donner d’autres préoc­cupations.

L'incident fut clos de la manière suivante. On décida d’accepter de publier une lettre adressée par le P. G.-L. au P. Bruno, directeur des Études Carméli- taines (vol. d’octobre 1937, pp. 17-18), lettre à laquelle je ne répondrais pas.

On peut lire dans le mot d'introduction du P. Bruno que cette publication fut faite « d’accord avec le P. Philippe de la Trinité ». Je n’entendais pas capituler et n’aurais pas accepté cette expression si un écrivain de qualité ne nous avait donné l’assurance, au P. Bruno et à moi, que d’accord n’était pas en accord, - d ’accord marquant seulement l’acceptation du fait de la publication, tandis qu’en eût marqué mon ralliement aux thèses du P. G.-L.

Au cher P. G.-L. qui m’était sympathique (je l’avais rencontré à Rome avant 1931), je garde une très vive reconnaissance car il reste, en compagnie de Gilson, Le Rohellec, Marin-Sola et Maritain, l’un des auteurs de ce siècle qui ont le plus profondément marqué ma formation philosophique et theôlogique. J’avais particulièrement apprécié son ouvrage Le sens commun, la philosophie de l ’être et les formules dogmatiques, (Nouvelle librairie nationale, Paris, 3è éd., 1922, pp. 391) qui fut en son temps pour moi une « révélation ».

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I I I . - SURNATURALITÉ DE LA FOI

1. - L ’e x a m e n c r it iq u e d 'u n p s e u d o -c o n f l it

26. - Le I Concile du Vatican définit la foi en ces termes:

« Hanc vero fidem quae humanae salutis initium est, Ecclesia catho- lica profitetur virtutem esse supernaturalem, qua, Dei aspirante et adiuvante gnatia, ab eo revelata vera esse oredimus, non propter intrinsecam rerum veritatem naturali rationis lumine perspectam, sed propter auctoritatem ipsius Dei revelantis, qui nec falli nec fallere potest. ' Est enim fides, testante Apostolo, sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium ’ [Hebr., 11 1] » (D . Sch., 3008).

Voici le canon correspondant:

« Si quis dixerit, rationem humanam ita independentem esse, ut fides ei a Deo imperari non possit: anathema sit » (D. Sch., 3032).

27. - Comme on le sait, un grand débat divise les théologiens au sujet de l'autorité de Dieu, motif proprement surnaturel de l'acte de foi théologale. D’un côté les thomistes et les suaréziens, de l ’autre les scotistes et les molinistes. Nous en avons donc traité en Foi, pp. 168-179.

Pour le rappeler brièvement, les premiers affirment, les seconds nient que l ’acte de foi théologale ait « un objet et un motif proprement surnaturels et, partant, essentiellement inac­cessibles à la lumière de la raison et à l ’énergie de la volonté aidées seulement d'une grâce actuelle » (art. cit., 168).

Que la foi vraie nous donne de connaître conceptuellement des vérités substantiellement surnaturelles et que la fo i vive soit elle-même une réalité substantiellement surnaturelle, nous ne le mettons pas en doute un seul instant19. Cela dit et main-

15 Pour la distinction du surnaturel modal et du surnaturel substantiel, voir Garrigou-Lagrange, Le sens du mystère, déjà cité, chap. IV, Deux formes très différentes du surnaturel: le miracle et la grâce, pp. 234-253.

«. Par surnaturel, l ’Église entend non seulement la réalisation proprement miraculeuse d’un phénomène physique ou spirituel (réalisation irréductible et supérieure à l’invention scientifique), mais encore un ordre ontologique, supra-sensible et supra-intelligible, dépassant dans son être même les forces, les exigences, les virtualités de toute créature dont l’activité n’aurait pas été mystérieusement surélevée. Perfectionnement qui n’était pas nécessaire: il au­rait pu ne pas être donné » (Foi, 167).

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tenu, voici, croyons-nous, les points faibles des deux courants qui s'opposent:

« Les thomistes sont portés à méconnaître les possibilités de la raison et de la grâce actuelle sur le terrain des faits; ils établissent une distinction assez artificielle, entre l'autorité di­vine reconnue par la raison comme digne de toute créance et la voix du Père, vocem Patris, témoignage surnaturel que saisiraient seulement les croyants fidèles à la grâce; sur le plan psycholo­gique, leurs conclusions semblent bien près de fausser l ’équilibre rationnel d’un ensemble déjà complexe et délicat, sous peine d'être simplement inutiles, pour ne pas dire inexistantes » {art. cit., 175).

Voici comment s’exprimait le P. Lacordaire dans la chaire de Notre-Dame de Paris:

« Ce qui se passe en nous quand nous croyons est un phénomène de lumière intime et surhumaine. Je ne dis pas que les choses exté­rieures n’agissent pas sur nous comme motifs rationnels de certi­tude, mais l’acte même de cette certitude suprême dont je parle, nous affecte directement comme phénomène lumineux; je dis plus, comme un phénomène translumineux... S ’il en était autrement comment voulez-vous qu’il y eût proportion entre notre adhésion, qui serait naturelle et rationnelle, et un objet qui surpasse la nature et la raison? » 20.

Mais le Père Bainvel l ’a écrit fort justement:

« Dire qu’il y a dans la foi surnaturelle, en tant même que foi, un élément inexplicable; faire consister cet élément en ce que dans la foi surnaturelle, il faut non seulement croire l’objet révélé, mais encore croire l’autorité qui révèle - et cela en tant qu’elle est motif de foi - recourir à je ne sais quelle vue obscure d’un Dieu parlant dans la nuée, c’est à tout le moins confondre des choses qu’il faudrait soigneusement distinguer: c’est par cette confusion rendre impos­sible toute théorie psychologique de la foi; et c’est, je le crois, don­ner au regard d’un incroyant et peut-être de quelques catholiques, à l ’acte fondamental de notre religion, les apparences d ’un faux mys­ticisme... » (op. cit., '145446).

Quant aux scotistes et aux molinistes, observons ceci: « Les scotistes ne sont-ils pas amenés à nier ou à énerver le principe de la spécification par l ’objet, ce qui est grave, et ne risquent-ils pas d’anéantir la surnaturalité de la fo i qu'ils voudraient pour­tant sauvegarder? » {Foi, 175).

20 17è Conférence de Notre-Dame, 1843, De la certitude supra-rationnelle ou mystique produite dans l’esprit par la doctrine catholique, éd. de Gigord, 1912, t. II, p. 326.

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C’est évidemment extrêmement grave, car le principe de la spécification par l ’objet n'est qu’une application obvie de l ’évi­dence fondamentale de la métaphysique de l'acte et de la puis­sance, potentia est AD actum.

28. - D'où la question: « Faut-il sacrifier les exigences de la métaphysique ou celles de la psychologie? Faut-il choisir? » ( ibid .). Nous ne le pensons pas.

Il faut sauvegarder sans aucun doute le principe métaphy­sique de la spécification par l ’objet, mais il faut également res­pecter le jeu psychologique de nos facultés, car la grâce ne détruit pas la nature: elle l ’élève et l'ennoblit.

« A tout prendre la position thomiste et suarézienne pré­sente un hiatus assez sensible entre les principes et la conclu­sion effective. Le point de départ philosophique en est évident et nous ne songeons pas un instant à le mettre en doute, la portée du débat est exactement soulignée: c’est le réalisme on­tologique de l ’ordre surnaturel qui est en jeu, mais la réalisation semble bien pâle! Est-on plus avancé dans un camp que dans l ’autre sur la richesse ontologique de la foi surnaturelle? [...] Le surnaturel préconisé n’est-il pas une pénombre bien mysté­rieuse, un double inutile, un plaquage assez artificiel? » (art. cit., 175-176).

Il importe de le remarquer: les camps qui s'opposent ont une faiblesse commune: « Un signe caractéristique de la défi­cience des camps opposés, c’est que le débat porte trop sur la seule révélation des mystères surnaturels, comme si cette pré­sentation intellectuelle ne se distinguait pas du don effectif des richesses qu'elle nous dévoile, bref comme si la fo i n'était qu’une vérité et non une vérité et une vie. Dieu ne se contente pas de nous révéler qu’il y a trois Personnes en Lui, que la grâce est déiforme et qu’elle a pour fruit les vertus théologales, il ne s’en tient pas là. Il nous assure que cette grâce et ces vertus nous ont été données; nous pouvons vivre en compagnie des Person­nes divines et du seul point de vue de la foi, n'est-ce pas bien autre chose que d’élaborer des concepts analogiques et d’affirmer leur connexion? Si l ’apologétique de l ’immanence s'engage sur une voie qui l'apparente au subjectivisme et qui ne lui permet pas toujours de sauvegarder les exigences de la crédibilité, du moins souligne-t-elle heureusement qu'il ne faut pas réduire la foi à un conceptualisme surnaturel » (art. cit., 176)21.

a Sur « la prémisse de foi » dans le raisonnement théologique, on peut voir M ar in -Sola, L ’évolution homogène du dogme catholique, Éd. St-Paul, Fribourg,

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29. - Poussons plus avant notre critique: il s’agit d'un pseu­do-conflit. « Voici la cause profonde du malentendu: tous admet­tent que l ’objet de la fo i théologale est inclus dans le jugement lui-même (les uns affirmant, les autres niant, après examen, la surnaturalité de cet objet); or, sans aucun doute cette affirma­tion n'est pas évidente par elle-même et il est aisé de démontrer positivement qu’elle n ’est qu’un postulat gratuit.

« Trois propositions incompatibles résument le débat:« I o La fo i théologale a un objet substantiellement surnatu­

rel et inaccessible à la raison naturelle.« 2° L ’objet de la fo i théologale est inclus dans le jugement

de foi.« 3° Le jugement de foi salutaire est accessible à la raison

et à la volonté simplement aidées de la grâce actuelle » (art. cit., 176).

Il s’agit bien, en effet, de propositions incompatibles.« L ’affirmation des deux premières propositions implique

la négation de la troisième: dans la mesure où il inclut un objet inaccessible, le jugement n’est pas accessible. L ’affirmation des deux dernières implique la négation de la première: dans la me­sure où l ’objet est accessible, il n'est pas substantiellement sur­naturel.

« Il est clair que si l'on admet la deuxième proposition, il faut choisir entre la première et la troisième et c’est une alter­native inéluctable parce que le même objet ne peut pas être à la fois substantiellement surnaturel et surnaturel d'une manière purement modale. Deux modalités pourraient être compatibles, seulement le surnaturel substantiel n'est pas une modalité.

« Mais la deuxième proposition doit être rejetée car elle se trouve évincée par le simple jeu des autres qui s'imposent ri­goureusement, l'une au nom du principe de la spécification par l ’objet, l ’autre comme un fait justifié par une analyse ration­nelle » (177).

Comment dès lors résoudre le problème?« Il faut partir de ce qu’il y a d’inattaquable et d'indépen­

dant dans les deux camps pour poser le problème: l ’objet de la fo i surnaturelle se doit d’être inaccessible à la raison naturelle; le jugement de foi surnaturelle est accessible à la raison natu-

tome I, 1924. n. 113, pp. 159-160 et n. 114, pp. 161-163. - Voir également Section V,L ’évolution dogmatique par voie affective ou expérimentale, nn. 216-220, pp. 353- 372, et Section VI, Autres observations sur la voie affective, nn. 220 1-8. Ces pages font bien ressortir que la vie n’est pas d’ordre conceptuel.

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relie et à la bonne volonté aidées de la grâce actuelle; en termes techniques il y a d’un côté du surnaturel substantiel, de l'autre du surnaturel modal; objet ou terme de fo i théologale, jugement de foi, voilà bien deux réalités parfaitement distinctes, l ’une n'est pas l ’autre. Cette conclusion négative s'impose rigoureu­sement. L ’objet propre de la fo i transcende le jugement et lui est irréductible » (177).

Chacun des deux camps défend une vérité inaliénable.Qu’on nous entende bien: il n’est question ni de minimiser

ni de relativiser en un sens moderniste la valeur parfaitement objective de la visée intentionnelle des concepts analogiques qui nous permettent grâce au jugement de fo i (impliquant la valeur des motifs de crédibilité, miracles inclus) d’exprimer par voie notionnelle les mystères les plus profonds, encore que ce soit de manière toujours inadéquate à la plénitude des réalités crues et visées. Il est seulement question de souligner ceci qui est l ’évidence même: la richesse effective de l ’inhabitation divine n’est pas de l ’ordre des concepts.

« ' Quelle difficulté y a-t-il à distinguer dans le fait de la révélation un aspect extérieur accessible à la raison et un autre intime, accessible seulement à la lumière intérieure de la foi? ' 72. Aucune, mais il convient alors, au nom même de la logique, de rechercher le réalisme surnaturel de l ’objet de la fo i ailleurs que dans un jugement: le jugement contient seulement des no­tions accessibles à la lumière naturelle de l'intelligence et leur connexion repose sur l ’autorité de Dieu (manifestée par des signes accessibles à la simple raison). C'est du surnaturel modal et, il faut y insister, le surnaturel substantiel n ’est pas une se­conde modalité, c’est une réalité ontologique d'un autre ordre. On ne saurait se contenter de distinguer ici l ’acte psycholo­gique du terme qu'il atteint par visée intentionnelle, car l'inten- tionnalité est essentielle au jugement et cette distinction joue déjà dans l'ordre naturel. L ’objet visé, la Trinité par exemple, est en soi substantiellement surnaturel, mais il n'est pas atteint d’une manière substantiellement surnaturelle dans le jugement à forme humaine » (177-178).

Répétons-le encore: « Toute la difficulté vient de ce qu’on a limité a priori la réalité de l ’objet surnaturel aux cadres du jugement. On s’engage dans une double impasse en supposant le problème à moitié résolu. Puisqu’il est question pour les tho­

22 G.-L., Le sens du mystère, p. 275.

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mistes de rechercher où se trouve l'objet de la fo i dont l ’exi­stence leur est à bon droit certaine, pourquoi poser un postulat inévident qui enserre ce terme en des liens manifestement trop étroits et trop humains? Puisqu'il s'agit pour les scotistes de sauvegarder avant tout les exigences d'un fait, pourquoi s’inter- dire de recourir au principe de la spécification qui pourrait jouer sur un plan d ifférent?» (178)23.

30. - En ce débat, les uns et les autres défendent de bonnes vérités, mais il les défendent mal. L ’erreur qui leur est commune peut être ainsi formulée, nous l'avons dit: « L ’objet de la fo i théologale est inclus dans le jugement de fo i ». I l est, certes, bien vrai que ce jugement atteint l'objet de la fo i par visée in­tentionnelle, mais cet objet n’est pas pour autant inclus dans ce jugement, car saint Thomas l'écrit très justement: « actus autem credentis non terminatur ad enuntiabile, sed ad rem: non enim formamus enuntiabilia, nisi ut per ea de rebus cogni- tionem habeamus, sicut in scientia, ita et in fide » (I I- II , 1, 2, ad 2m). Dieu-Trinité n’est pas inclus dans mon jugement de foi. Ce jugement est vérité, mais vérité notionnelle, non vérité vécue, il n'est pas vie d’union divine: sans cesser d’être vraie, la fo i peut être morte. « Le juste vit de fo i » {Gai., 3, 11), oui, mais de fo i vraie et vivante.

Le P. Bainvel avait très heureusement rappelé qu'à la suite de saint Paul et de saint Thomas, il faut voir dans l ’acte de fo i « une initiation à la vision béatifique » 24 et soulignait fort heu­reusement qu’il fallait orienter dans ce sens la recherche de la solution. Or, la vision béatifique transcende évidemment l ’ordre des concepts: « Dicere Deum per similitudinem videri est dicere divinam essentiam non videri, quod est erroneum » (I, 12, 2). Il en est de même de la foi vécue, de la foi vivante, en tant que foi. C'est là que réside l ’essentiel. I l incombe donc à la théologie spéculative de valoriser la foi dans sa ligne spécifique intellec­tuelle, par delà les concepts.

31. - Étant admis que l ’autorité divine n'est, comme telle, ni naturelle ni surnaturelle (théologale) mais sur-naturelle, au

23 On trouvera in Foi, 178, une note critique sur les positions respectives du P. R ousselot, s . j., du P. G ardeil, o . p., et du Cardinal B illot, s. j., note dont nous pensons encore qu’elle illustre et confirme notre point de vue. Le système de la double crédibilité du P. G ardeil nous paraît typique de ce que peut être une explication théologique artificielle.

24 La foi..., déjà cité, p. 161.

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niveau de l'acte pur, il n ’y a aucune difficulté particulière à re­connaître que le jugement de fo i soit accessible à la raison, sans pour autant infirmer le principe de la spécification par l'objet, et il n'y a plus aucune nécessité de voir dans le ju­gement de foi, au nom de ce principe, un mystère spécifiquement théologal, qui relèverait alors logiquement de notre état de grâce.

Scotistes et thomistes peuvent donc conserver pacifique­ment les vérités qu'ils défendent, sans avoir pour autant à se heurter: jugement de foi, accessible..., principe de la spécifica­tion, intangible...

Mais le problème le plus profond de l ’analyse de la fo i n’est alors qu'esquivé car ce problème théologique ne concerne pas le jugement de foi (la vérité de la foi), mais la vie de la fo i (la foi vivante en tant que fo i vécue). La vie surnaturelle ne peut pas être l ’apanage de la seule volonté: l ’intelligence y a sa part, et c’est une part essentielle. C’est là que nous nous opposons aux thomistes et aux scotistes sur l ’affirmation qui leur est commune (l'ob jet de la fo i est inclus dans le jugement de fo i) et qui de­vrait logiquement les porter, pensons-nous, à identifier la pos­session de la vérité sur la fo i dans les jugements de fo i avec la communion à Dieu, vivante, personnelle et intellectuelle de l ’ordre théologal effectivement donné, — en bref, à bloquer la vérité et la vie de la foi, ce qui ne peut pas être. Une fo i vivante, saisie de Dieu obscure et vitale, ne peut être incluse dans un jugement d’ordre notionnel: elle relève d’un autre ordre, au sens pascalien du terme.

2. - Foi v r a ie - f o i v iv a n te

Thèse

32. - I l faut en arriver à nier l ’identité d’un seul et même habitus intellectuel pour la fo i vraie et pour la fo i vivante dans la ligne même de la foi vivante. I l s’agit là, certes, d’une thèse délicate à formuler car elle fait craquer certains cadres tradi­tionnels et d’une thèse d’autant plus discutable qu'elle dépasse l ’enseignement de saint Thomas d'Aquin et, sauf erreur, de tous les théologiens scolastiques. Nous la tenons néanmoins pour vraie et essaierons de nous en exprimer le moins mal possible en présentant d’abord notre argumentation, en discutant cer­

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32 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

tains textes de saint Thomas d’Aquin, et en montrant que, si nouvelle soit-elle, cette doctrine ne contredit en rien le concile de Trente, bien au contraire. Puis nous relirons l ’Écriture25.

Afin d’éviter tout malentendu, précisons clairement ceci: nous ne rejetons pas la thèse de saint Thomas sur l ’identité de l ’habitus fo i vraie — fo i vive, telle qu’il la présente, au niveau de la fo i vraie conceptuelle ou notionnelle (c ’est-à-dire de la foi vraie qui s’exprime en notions conceptuelles): cette thèse nous la retenons positivement et intégralement, mais elle doit, pen­sons-nous, être complétée de la manière suivante: la fo i vive im­plique, en outre, l ’habitus d'une fo i vive ab intrínseco, en tant que foi, dans la ligne même de l'intelligence, — habitus distinct « quoad genus naturae » de celui de la fo i vraie conceptuelle, in­formée ou non par la charité, habitus qui est à la lumière de gloire ce que le gland est au chêne. La fo i vraie et vive recouvre donc ainsi deux habitus harmonieusement complémentaires: ce­lui de la fo i vraie conceptuelle, et celui de la fo i vive transcen­dant l ’ordre des concepts. En se plaçant au point de vue du constitutif intrinsèque ( genus naturae) de ces deux habitus, la charité est accidentelle par rapport au premier dont elle est séparable (comme l ’enseigne saint Thomas), tandis qu’elle est essentielle au second (dont nous pensons qu’il s’impose): la charité en est, en effet, absolument inséparable, encore qu’elle en soit distincte.

Telle est la doctrine personnelle que nous voudrions ex­poser.

25 Dans Le problème de l ’acte de foi, déjà cité, au chapitre VI, Tour d'horizon contemporain, article V , Varia, R. A u bErt expose de manière très objective pp. 637-640 notre article Foi (voir aussi pp. 86 et 450). Il voit en cet essai de jeu­nesse « quelques pages originales » et le classe parmi « diverses études récentes, qui ne se rattachent, immédiatement, à aucun des courants analysés jusqu’à présent » (623). Les prudentes réserves de l'A. ne nous ont en rien découragé, bien au contraire. A ses yeux notre thèse implique une « dichotomie radicale » qui représente quant à « la solution des difficultés du problème de l’acte de foi » « une capitulation à laquelle on ne pourrait se résoudre que si aucune autre solution ne se révélait possible » (639). Or, c'est bien ce que nous pensons, sauf à faire quelque réserve sur l’expression de « dichotomie radicale », car il est impensable et impossible qu’un sujet possède la foi vivante s’il n’est pas, sinon en possession, du moins en recherche sincère de la vérité et aussi de sa mise en oeuvre dans sa vie morale (Rom., 2, 12-16). L’A. ajoute d’ailleurs: « On retien­dra cependant la question, très nettement posée, de savoir si la foi morte est vraiment de même nature que la foi vive et s’il n’y aurait pas entre les deux une distinction spécifique. Il faut en effet prendre en considération l’objection formulée contre la thèse thomiste: ’ Il semble impossible que l’âme en état de péché mortel jouisse d'un don substantiellement surnaturel en relation avec la vision béatifique ’ (p. 186). Le problème mériterait un examen approfondi » (639-640).

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Argumentation.

33. - De manière positive et constructive le lignes de force de notre argumentation théologique peuvent être esquissées de la manière que voici, en fonction des thèses exposées en Union hypostatique et en Filiation adoptive.

1) « Pour expliquer la vie surnaturelle de la fo i par son objet, il faut dépasser le plan notionnel des concepts et de l ’ac­tivité du jugement, mais demeurer dans la ligne de l'intelligence car la fo i est une vertu intellectuelle; il faut aller jusqu’à la saisie ontologique et immédiate de Dieu tel qu’il est en soi. Cette conclusion s’impose rigoureusement. Pour obtenir un terme sub­stantiellement surnaturel il faut remonter jusqu'à la Vérité sub­sistante: elle seule est infiniment transcendante en raison de l ’identité réelle de l ’essence et de l ’existence qui la caractérise, tandis que tout objet intelligible dont la nature n’est pas l ’exis­tence demeure accessible à l'esprit qui lui est proportionné. Pour saisir ce terme autrement que par analogie, l ’intelligence doit donc entrer en relation directe avec lui, et cette relation réalise un assentiment foncièrement surnaturel dont l ’assenti­ment obscur du jugement de fo i n'est qu'une faible image » (Foi, 179-180).

2) Atteindre Dieu en soi, c'est atteindre Dieu Trinité.

« Dieu le Père, c’est Dieu tout entier, mais à Sa manière. Dieu le Fils, c’est encore Dieu tout entier, le même Dieu — il n’y a qu’un Dieu — ‘ mais à Sa manière. Dieu le Saint-Esprit, c’est encore Dieu tout entier, le même Dieu, mais à Sa manière. La Divinité est unique et réalisée en trois Personnes. N ec m inora tur in singülis, nec augetur in tribus. Vie naturelle et vie surnaturelle ne sont pas en Dieu, du point de vue de Dieu, deux vies réellement distinctes. Il n’y a en Dieu qu’une seule vie, et c’est la vie des trois Personnes. Ce sont les Personnes qui dominent, qui priment; si l ’on peut ainsi s’exprimer, elles ne sont pas pour la nature, mais la nature est bien pour Elles. Elles sont d’ailleurs l’une en l’autre au sein même de cette nature infiniment parfaite et réellement identique à chacune d’elles » (Re­cherche, 146).

On se reportera là aux articles où saint Thomas se demande Utrum divinae naturae conveniat assumere ( I I I , 3, 2) et Utrum natura possit assumere abstracta personalitate (art. 3). Cet en­seignement est des plus précieux et peut être ainsi résumé: Dieu étant et vivant en Trois Personnes, nous pourrions, dans l'igno­rance de ce mystère, croire que Dieu assume, comme Dieu, une

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nature humaine, mais il est impossible en réalité que ce soit Dieu qui assume « abstracta personalitate » car Dieu n’est Dieu que dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Si Dieu assume une nature, c’est donc l ’une des personnes divines qui le fa it26.

Or, cela vaut aussi de notre grâce d’adoption, participation ontologique de la Filiation du Verbe, ad Patrem. C’est toute la thèse exposée en Filiation adoptive et c’est là que nous nous séparons de saint Thomas qui affirme ici le contraire:

« Assumptio quae fit per gratiam adoptionis, terminatur ad quamdam participationem divinae naturae secundum quamdam assimilatio- nem ad bonitatem illius [attribut divin commun aux Trois], secun­dum illud 2 Petr. 1: Ut divinae consortes naturae, etc., et ideo huius- modi assumptio communis est tribus personis ex parte principii, et ex parte termini: sed assumptio, quae est per gratiam unionis, est communis ex parte principii, non autem ex parte termini, ut dictum est » (III, 3, art. 4, ad 3m).

Nous affirmons au contraire que notre grâce d’adoption est participation de la nature divine non abstracta personalitate Filii, c.-à-d. de la nature divine prout in Filio. Nous sommes donc vraiment F ilii in F ilio et non appropriate comme le vou­drait I I I , 3, 5, ad 2m.

3) Il relève donc pour nous de l ’évidence que les vertus théologales vivantes doivent être des participations d’intelli­gence et de volonté à la vie intra-trinitaire et cela en vertu du principe operari sequitur esse. En d’autres termes, les vertus sont fonction de la grâce. Une grâce, participation de la Fi­liation du Verbe, appelle donc des vertus théologales s’épa­nouissant au niveau des relations intra-trinitaires. C’est ainsi, et ainsi seulement, que notre vie d’union à Dieu relèvera d’un réalisme vital, ontologique, substantiellement surnaturel et vraiment trinitaire.

4) Si la charité théologale nous donne vraiment le Saint- Esprit, — et elle nous le donne, — la fo i vivante se doit de nous donner le Verbe de Dieu, à l ’obscur, mais réellement, sinon il y aurait comme un décalage inexplicable entre la vie de foi et la

26 L ’on peut voir encore l ’article 4, Utrum una persona possit sine alia na- turam creatam assumere (saint Thomas le dit clairement: « id quod pertinet ad rationem termini, convenit ita uni personae, quod non alii ») et l'article 5, Utrum quaelibet persona divina potuerit humanam naturam assumere (la ré­ponse est affirmative).

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vie d’amour. Au plan du surnaturel substantiel, le sujet serait en relation avec Dieu ontologiquement par la volonté, mais en serait privé dans l ’intelligence, ce qui constituerait une anomalie. A l ’instar de la charité par rapport au Saint-Esprit, la fo i vivante est donc un don substantiellement surnaturel, de l ’ordre de l ’intelligence, par manière de participation à la procession de Sagesse, bien au delà de l'ordre des concepts.

5) A l ’instar de la lumière de gloire, don créé, qui renforce et dynamise l ’intelligence, sans être un concept, car tout con­cept ferait écran entre Dieu et nous, le don ineffable de la foi substantiellement surnaturelle, relation vivante au Verbe de Dieu, se définit comme semence, comme exigence, de la lumière de gloire. C’est pourquoi, s’il meurt, le nouveau-né baptisé jouit sans délai de la plénitude de Dieu.

« D ’après de nombreux Pères et Docteurs... de l’Église » la foi et la vision béatifique ont « une relation intime... une continuité esssen- tielle. Clément d'Alexandrie définit la foi m e anticipation (TiqôXrj^iç), et comme il cite immédiatement la définition célèbre (H eb ., XI), on peut conclure qu’il entend une anticipation de l’éternelle contem­plation de Dieu que nous espérons... Saint Augustin citant la deu­xième épître aux Corinthiens (P e r jïdem enim ambulamus et non per speciem ), explique ainsi le mot species: 'Cette pleine vision qui est le souverain bonheur ’ et il ajoute: ' Vous me demandiez quels sont le premier et le dernier terme, les voici: inchoari fide, perfici specie '... Saint Pierre Ghrysologue compare la foi à la fleur et la future vision au fruit; le fruit est le développement de la fleur, mais il met fin à la fleur. Saint Bernard définit la foi 'un avant-goût de la vérité non encore mise au grand jour'. Saint Thomas, employant le même mot: Fides praelibatio quaedam est illius cognitionis quae in fu.tu.ro beatos faciet » (DTC. art. cit., c. 363). Bref, « qui. pourra dire l’ineffable perfection de cette vertu?... Elle est... du même ordre que la vision béatifique» (DTC., art. cit., c. 368) 21.

6) Cette fo i vivante est comme le substrat ontologique de l 'oraison contemplative qui, sous la motion des dons du Saint- Esprit, par delà le sentiment, n’est pas affaire de la seule vo­lonté, in caritate, mais aussi, et d’abord en un sens, de l'intelli­gence, in fide. Le contemplatif rencontre le tout de Dieu dans le rien des créatures. Ce sont de très nombreux passages de saint Jean de la Croix qu’il faudrait là retranscrire. Les amis du saint les connaissent bien. Ils sont relatifs à la connaissance de Dieu

n Voir A lfaro, Supernaturalitas fidei... déjà cité, pp. 776-779.

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amoureuse, générale et confuse et relatifs à la fo i seule moyen d’union divine. C'est un aspect foncier de sa doctrine spirituelle28.

34. - La foi vraie demeure, comme telle, dans ses propres perspectives, une richesse surnaturelle inappréciable pour la­quelle nous devons être prêts à donner notre vie.

« Multifariam multisque xnodis olim Deus loquens patribus in pro- phetis, novissime diebus istis locutus est nobis in iFilio, quem con­stituât heredem universorum, per quem fecit et saecula » (H ebr., 1, 1). « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Iesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in coelestibus in Christo, sicut elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu eius in caritate. Qui praedestinavit nos in adoptionem filiorum per Iesum Christum in ipsum, secundum pro- positum voluntatis suae. In laudem gloriae gratiae suae, in qua gratificavit nos in dilecto Filio suo » { E ph ., 1, 3-6).

Sans la foi vraie, nous serions dans l ’ignorance des richesses de la fo i vivante, et c’est tout dire de sa noblesse au plan de l'in­telligence, mais un abîme sépare l ’une de l'autre car s’il peut y avoir fo i vraie sans charité, il n'y a jamais charité sans fo i vi­vante: « Fides quae per caritatem operatur » (Gai., 5, 6).

« Si linguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non ha- beam, factus sum velut aes sonans, aut cymbalum tinniens. Et si ha- buero prophetiam, et noverim mysteria omnia et omnem scientiam; et si habuero omnem fidem, ita ut montes transferam, caritatem autem non habuero, nihii sum » (1 Cor., 13, 1-2).

La fo i vraie, fo i d'autorité sur-naturelle, est spécifiée tant par le motif d’autorité d'où elle procède ( Deus verax) que par les vérités d’ordre substantiellement surnaturel qu’elle atteint au plan de l ’intentionnalité intellectuelle. Ainsi sommes-nous certains de croire à la Trinité, par amour et par respect de l ’autorité divine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais la fo i vraie n’est pas, en soi, comme telle, un don de vie substantiellement surnaturelle.

35. - Revenons aux objections, selon nous décisives, que nous soulevons contre la thèse classique de l ’unique habitus intellectuel de fo i morte ou vivante.

28 Citons parmi les derniers ouvrages sanjuanistes Federico R u i z -Salvador, o. c. d., Introducción a San Juan de la Cruz, B. A. C., Madrid, 1968', pp. 684.

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1) Cette thèse « inclut la curieuse anomalie d’une vertu substantiellement surnaturelle qui, infusée en même temps que la grâce sanctifiante, devrait semble-t-il disparaître avec elle et pourtant demeure sans elle, puisque seul le péché d’infidélité, et non pas tout péché mortel, nous prive de la fo i vraie, de la foi intentionnelle » (Foi, 186, note 2. - Foi intentionnelle équivaut ici à fo i conceptuelle).

2) « Il semble impossible que l ’âme en état de péché mortel jouisse d’un don substantiellement surnaturel en relation intime avec la vision béatifique (don qu’il faudrait inversement refuser, en bonne logique, à l'infidèle en état de grâce) » (ibidem ).

Il est certain que l ’infidèle qui meurt en état de grâce avec une foi im plicite jouira de la vision béatifique, tandis que la possession de la fo i vraie explicite ne suffit pas à préserver de la damnation le théologien qui meurt en état de péché mortel. La thèse de l ’unique habitus foi vraie - foi vive implique donc que la foi n'est alors jamais, comme telle, en tant que foi, un don substantiellement surnaturel29.

Textes de saint Thomas.

36. - Sans chercher à être exhaustif, passons à l'examen de quelques textes capitaux de saint Thomas d’Aquin et d’abord à l ’article de la Somme où le Docteur se demande Utrum fides in- form is possit fieri formata vel e converso (I I- II , 4, 4).

La réponse est nettement formulée:

« Fides form ata et informis non sunt diversi habitus » {art. cit., c.). « Ld quod facit fidem esse formatami vel vivam non est de essentia fidei » (ad 2m).« Per hoc quod fides form ata fit informis, non mutatur ipsa fides, sed mutatur subiectum fidei quod est anima; quod quandoque qui- dem habet fidem sine charitate, quandoque autem cum charitate » (ad 4m).

29 Au sujet de quelques objections que l’on peut nous faire, voir Foi, 187, note 3. ,

Quand nous disons que « le jugement de foi surnaturelle est surnaturel dans son mode et non dans sa substance », nous n’excluons pas, bien sûr, qu’il vise objectivement des réalités substantiellement surnaturelles, mais il n’est lui-même, en soi, une réalité substantiellement surnaturelle, ni dans l’assentiment psycho­logique qui le constitue (ita est, credo), ni dans les concepts qu’il utilise: Un, Trine, — Personne, Nature, etc. {art. cit., 170). Croire comme il se doit, en la Trinité, dans la ligne de la fides vera, n’est pas vivre ipso facto de la vie trimtaire.

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On ne saurait être plus clair.Dans le corps de l'article l ’Aquinate rejette à juste titre

la thèse de ceux qui tiennent que la foi morte est supprimée par la foi vive car la grâce ne peut pas venir exclure un don de Dieu (à savoir la fo i vraie morte, en tant que fo i vraie).

Il rejette aussi la thèse de la coexistence des habitus de foi vera formata et vera informis, car, et c’est fort juste, Yhabitus de la foi vera inform is serait alors otiosus, il ne servirait de rien.

La chose est évidente pour deux habitus intellectuels uni­voques, visant la vérité révélée par le moyen des concepts (et c ’est à quoi pense saint Thomas), mais c’est justement ce que nous mettons en question pour répondre par la négative, car la fides viva intellectualis ne joue pas, selons nous, au plan des concepts. Elle est supra-conceptuelle, supra-notionnelle, elle n’est ni la fides vera, ni la charitas, mais elle surélève et ennoblit l ’in­telligence, de manière vitale et surnaturelle, comme la grâce sanctifiante le fait analogiquement pour le sujet vivant de la vie divine, et comme la charité le fait pour la volonté.

Estimant donc logiquement, de son point de vue, que l ’ha- bitus intellectuel de fo i morte serait un doublet inutile, otiosus, de l ’habitus de fo i vivante, saint Thomas peut ainsi résumer sa position:

M ajeure: « Cum autem fides sit perfectio intellectus, illud per se ad fidem pertinet quod pertinet ad intellectum: quod autem pertinet ad voluntatem, non per se pertinet ad fidem; ita quod per hoc fidei habitus possit diversificari ».

M ineure: « Distinctio autem fidei formatae et informis est secundum id quod pertinet ad voluntatem, id est secundum charitatem, non autem secundum illud quod pertinet ad intellectum ».

Conclusion: « Unde fides formata et informis non sunt diversi habi­tus » (art. cit., c.).

Ad maiorem. - Cette majeure est l'évidence même. La fo i se réfère essentiellement, per se, à l ’intelligence, elle est per­fection de l ’intelligence.

Ad minorem. - C'est précisément ce que nous mettons en question. Que la fo i vive soit toujours accompagnée de la charité, cela est hors de discussion, mais la question que nous posons est celle de savoir si la fo i viva est intrinsèquement distincte de la foi vera, tout en étant, l'une et l ’autre, « perfectio intellectus », « per se pertinens ad intellectum », Tune au plan conceptuel, l ’autre au plan d'une union mystérieuse au Verbe de Dieu, obs­

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cure, oui, mais réelle et vivante, réalisant ainsi dans la nuit ce que la lumière de gloire réalisera dans la lumière.

Nous pensons que s’impose là une réponse affirmative.

37. - Des Sentences à la Somme théologique, la pensée du Docteur n’a pas varié sur ce point capital.

« n. 244. - Si ergo actus üdei form atae et in form is considerentur se- cundum speciem naturae, sic sunt idem specie, quia speciem natu- ralem habet actus ex obiecto proprio.« Si autem considerentur secundum esse m oris, tune differunt secun- dum com pletum et incom pletum in eadem specie; sicut actus quo quis facit iusta non ut iustus, et qui facit iusta ut iustus.

« n. 245. - E t s im ilite r fides form ata et in form is in specie naturae sunt penitus idem; sed in specie m oris differunt, non quasi in diversis speciebus existentes. sed sicut perfectum et imperfectum in eadem specie, sicut dispositio et habitus virtutis » (S crip tu m super lib. I I I Sententiarum. dist. XXXII, quaest. III, art. 1, solutio III, Ed. Lethiel- leux, Paris, 1933, pp. 745-746).

Saint Thomas iunior exprime donc déjà très clairement son intuition fondamentale concernant la foi: autre en est la species naturae (croire) autre en est la species moris (bien croire sous l ’impulsion de l'amour de charité) et cette distinction est évidemment à retenir au plan de la fo i vraie, même si l ’on pense que la species naturae de la fo i vive transcende celle de la foi vraie.

38. - Arrêtons-nous maintenant à la question disputée De Veritate, q. 14, art. 7, Utrum sit idem habitus fidei inform is et formatae.

Au corps de l ’article, saint Thomas expose d’abord, pour les écarter, les deux thèses que voici:

\) P r e m i è r e t h è s e . L ’habitus de fo i informe ne devient jamais formatas (fo i vivante), car il disparaît à l'arrivée de la grâce sanctifiante et de l'habitus de la fides formata.

Mais saint Thomas remarque à juste titre que cela ne peut pas être pour les deux raisons suivantes:

a) Rien n’est chassé que par son contraire, si donc la fides formata chassait la fides informis, cela signifierait que le ca­ractère d ’inform is serait essentiel à la fides informis. Celle-ci serait donc alors per essentiam suam malus habitus. Or cela ne peut pas être car même informis, la foi, comme foi, est encore

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un don de Dieu. Il n’y a donc aucune raison pour que la fides inform is soit chassée par la fides formata, en tant que fides vera, — ce que nous admettons parfaitement.

b) Lorsque quelqu’un pèche mortellement, il perd la grâce de la fides formata, mais il a encore la fides informis. Or, il n’est pas probable que la perte de la fides formata puisse entraîner le don de la fides informis, car le sujet se serait alors disposé à recevoir un don de Dieu du fait même de son péché.

Ce serait une inchoérence.

2) S e c o n d e t h è s e . D’autres disent qu’à l ’arrivée de la charité, non to llitu r habitus, sed tantum actus fidei informis.

Mais cela non plus ne peut pas être admis pour les trois raisons suivantes:

a) L'habitus de la fides inform is demeurerait otiosus.

b) L'acte de fo i inform is n'est pas essentiellement contraire à l ’acte de la fo i formata, du point de vue de la foi. I l ne peut donc pas être empêché par lui.

c) Les deux habitus n’ont pas à coexister avec leurs actes respectifs, car la fides formata peut faire tous les actes de la fides informis.

Pour autant que fides inform is et fides formata sont envi­sagées toutes les deux au seul plan conceptuel, ces raisons sont évidemment convaincantes.

Voici la conclusion de saint Thomas:

« E t ideo dicendum cum aliis, quod fides informis manet adveniente caritate, et ipsamet formatur, et sic sola informitas tollitur ».

C’est très clair et c’est très vrai au sens où l ’entend saint Thomas.

Suit alors une explication qui repose sur la distinction qui peut être établie entre les habitus soit du point de vue de leur objet, — et ils diffèrent alors essentiellement (la vue diffère de l ’ouïe), — soit du point de vue de leur mode d'action, — et ils différent alors comme le plus parfait et le moins parfait (une vue meilleure l'emporte sur une vue moins bonne). L ’applica­tion qui en est faite est la suivante:

« Fides autem formata et informis non differunt in obiecto, sed so- lum in modo agendi. Fides autem formata perfecta volúntate as­sentii primae veritati; fides autem informis imperfecta volúntate. Unde fides formata et informis non distinguuntur sicut duo diversi

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habitus, sed sicut habitus perfectus et imperfectus. Unde cum idem habitus qui prius fuit imperfectus, possit fieri perfectus, ipse habitus fidei informis fit formatus ».

39. - Cette distinction entre fo i morte et fo i vivante est évi­demment valable au double plan dogmatique et moral en fonc­tion de la charité théologale et il n’est pas inutile d'y insister à la lumière d’autres textes de saint Thomas en cette même ques­tion De Veritate, pour bien montrer que notre thèse personnelle sur la fides viva ne porte pas la moindre atteinte à cet enseigne­ment: au plan vécu, la fides vera conceptuelle n’est pas la même pour autant qu’elle est ou qu’elle n’est pas informée, c’est-à-dire animée du dedans par la charité théologale, mais en quel sens? Saint Thomas s'en exprime avec une parfaite clarté de la ma­nière déjà indiquée.

Il y a dans la foi un élément de connaissance et un élément de volonté, celui-ci étant comme formel par rapport à celui-là:

« Cum igitus fides sit in intellectu secundum quod est motus et imperatus a volúntate, id quod est ex parte cognitionis est quasi materiale in ipsa; sed ex parte voluntatis accipienda est ipsius for- matio. Et ideo cum caritas sit perfectio voluntatis, a caritate fides informatur » (D e Veritate, qu. 14, art. 5. c.).

La charité n'entre pas dans l ’essence de la fo i mais elle donne à la foi sa perfection:

« Non dicitur esse forma fidei caritas per modum quo forma est pars essentiae, sic enim contra fidem dividi non pos set; sed in quantum aliquam perfectionem fides a caritate consequitur » ( ibid ., ad lm).« Id quod est perfectionis in fide a caritate deducitur; ita quod caritas habeat illud essentialiter, fides vero et ceterae virtutes, participative » {ibid.., ad 3m).

Cette perfection atteint non seulement l ’acte mais l ’habitus de foi:

« Cum caritas est in volúntate, eius perfectio aliquo modo redundat in intellectum: et sic caritas non solum actum fidei, sed ipsam fidem informât » (ibid., ad 9m).

Il s’agit donc d’une véritable in form ation : la fo i n’est vertu vera et perfecta que par la charité. Cette information anime la fo i du dedans, si l ’on peut ainsi exprimer. Saint Thomas écrit donc:

« Id quod ex caritate in fide relinquitur, est fidei intrinsecum, et

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hoc quomodo est fidei accidentale vel substantiale, infra dicetur » ( ib id ., ad 4m).

Voici la précision annoncée qui recouvre la distinction déjà citée (qu. 14, art. 7, in fine) entre l ’objet et le modus agendi:

« Id quod fides ex caritate recipit, est sibi accidentale secundum ge- nus naturae, sed essentiale prout refertur ad genus moris; et ideoper hoc ponitur in genere virtutis » {ibid., art. 6, ad lm)..

On se rappellera aussi ce que saint Thomas avait écrit pré­cédemment dans le même sens:

« Fides non est in intellectu nisi secundum quod imperatur a volún­tate, ut ex dictis patet. Unde, quamvis illud quod est ex parte vo- luntatis possit dici accidentale intellectui, est tamen essentiale fidei » (ibid., art. 3, ad 10m).

La Somme théologique ne dira pas autre chose:

« Fides formata et informis non différant specie, sicut in diversis speciebus existentes: différant autem sicut perfectum et imperfectum in eadem specie; unde fides informis cum sit imperfecta, non per- tingit ad perfectam rationem virtutis » (II-II, 4, 5, ad 3m).

Saint Thomas professe donc bien l ’identité de l ’habitus in­tellectuel de la foi vraie vivante ou morte, et nous en demeurons parfaitement d’accord au plan de la fides vera conceptuelle, mais il ne connaît aucun habitus spécifique de fides viva, d’ordre in­tellectuel, à la fois distinct et inséparable de la charité, et c’est notre pierre d’achoppement.

40. - Répétons-le pour éviter toute confusion: telle que nous la présentons, la fides viva ne porte aucune atteinte à la fides viva d’ordre moral, telle que l ’analyse saint Thomas: elle est d’un ordre qui la transcende, mais demeure avec elle en par­faite harmonie.

Autre chose est pour le sujet qui croit d’assentir à des énon­cés de foi, au nom de l ’autorité divine, sans charité théologale, — autre chose est d’y assentir avec charité théologale et alors de participer en outre, dans la ligne même de l ’intelligence, de manière obscure et vitale, à la seconde relation intratrinitaire, le « generari » du Verbe, Splendeur du Père. Cette fo i vive ne diffère pas seulement par la charité de la foi conceptuelle: elle la transcende infiniment car elle dérive de la grâce sanctifiante

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in ipso intellectu, et ne peut dériver que d’elle. Elle est insépa­rable de la charité, mais elle n'est pas la charité.

41. - Les grâces de lumière qui leur sont nécessaires ne sont, certes, jamais refusées à ceux que Dieu veut efficacement con­duire à l ’aperception des convergences d’indices probants qui font voir qu'il faut croire en Jésus-Christ et à son Église (que ce soit ou non de manière miraculeuse, — se reporter à l ’hi­stoire des grands convertis) et des grâces de bonne volonté aimante sont toujours données à ceux qui posent un acte de fo i salutaire (fût-ce sans être adéquatement membres in re de l ’Église du Christ, car nul ne sera condamné pour son ignorance invincible).

Mais la lumière requise pour la profession de fo i catholique, peut demeurer sans la charité. « I l y a une illumination du Saint- Esprit affirmée par le concile d'Orange (D. R., 180, - D. Sch., 377) et le concile du Vatican (D. R., 1791, - D. Sch., 3010) et se peut-il que cette illumination reste sans effet formel dans l ’intelligence du fidèle? » (G.L., Le sens du mystère, 268). Évidemment non, car cette illumination donne bien de voir qu’il faut croire, et bien croire. Mais elle n’est pas pour autant ni lumière de gloire, ni foi vivante (lumière obscure de contemplation).

Le Concile de Trente

42. - Le Concile de Trente oppose la richesse ontologique de la vie surnaturelle au courant de pensée nominaliste et luthérien. Rappelons quelques textes des chapitres 7, 8 et 15 du Décret sur la justification, du point de vue qui est ici le nôtre.

« [lustificatio] non est sola peecatorum remissio, sed et sanctificatio et renovatio interioris hominis per voluntariam susceptionem gratiae et donorum, unde homo ex iniusto fit iustus et ex inimico amicus, ut sit 'heres secundum spem vitae aeternae ’ (T it., 3, 7 )» (D. Sch., 1528). « Quamquam enim nemo posssit esse iustus, nisi cui merita passio- nis Domini nostri Iesu Christi communicantur, id tamen in hac impii iustificatione fit, dum eiusdem sanctissimae passionis merito ’ per Spiritum Sanctum caritas Dei diffunditur in cordibus ’ {Rom ., 5, 5) eorum qui iustificantur, atque ipsis inhaeret (can. 11). Unde in ipsa iustificatione cum remissione peecatorum haec omnia simul infusa accipit per Iesum Christum, cui inseritur: fidem, spem et caritatem » (D. Sch., 1530).

Le texte dit explicitement, on l ’aura remarqué, que, par la

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grâce, nous sommes insérés en Jésus-Christ. Or, Jésus est le Verbe fait chair: telle est donc bien notre grâce de fils adoptifs du Père en son Fils, en son Verbe.

Mais ici les horizons s'entr'ouvrent plus largement encore:

« Nam fides, nisi ad eam spes accédai et caritas, ñeque unit per- fecte cum Christo, neque conporis eius vivum membrum efficit. Qua ratione verissime dicitur ' fidem sine operibus mortuam ' (lac., 2, 17 sqq.) et otiosam esse (can. 19) et ’ in Christo Jesu neque circum- cisionem aliquid valere, neque praeputium, sed fidem quae per ca- ritatem operatur ’ (Gai., 5, 6; 6 ,15)» (D. Sch., 1531 ) 30.

Il convient de le souligner: c’est le terme de fo i qui remplit la fonction de sujet des verbes unit et efficit: c'est la foi (v i­vante) qui nous unit parfaitement au Christ et nous rend mem­bres vivants de son Corps mystique:

« Hanc fidem ante baptismi sacramentum ex Apostolorum traditione catechumeni ab Ecclesia petunt, cum petunt fidem vitam aeternam praestantem (Rit. Rom., Ordo baptismi, n. 1 sq.), quam sine spe

30 Les textes suivants concernant la justification par la foi sont extraits de Co n c il iu m T r id e n t in u m , Societas Goerresiana, Tomus XII, Herder, Friburgi Brisgoviae, 1930. Les théologiens cités y soulignent à leur manière, la distinction foi vraie — foi vivante.

« Non enfin fides pro adhesione tantum rebus credendis nos iustificare po- test, quia mortua esse potest et obicem propter peccatum habet ad gratiam, sed cum homo peccatorum displicentiam habet credendo cum hac mysteriis ut supra. Hec fides secundum Augustinum [...] amorem includit et bonitatem, qua iustificamur. Aliud est autem fides propria et gratia, ut Augustinus habet [...] Prima pertinet ad intellectum, secunda ad affectum; prima vero fides, qua iustificamur, utrumque complectitur (92. Christoforus P a t a v in u s , De iusti- ficatione, III, vol. cit., p. 606, lignes 15-22).

« Dico quod hominem iustificari per fidem aliud non est quam fide impe- trare charitatem, qua iuste vivat » (94. Hieronymi Seripandi, De iustificatione meditata commentatio, Pars sexta, Questio V, vol. cit., p. 630, lignes 25-26).

« ïustificatio fidei nunquam est nec esse potest sine iustificatione charita- tis » (du même auteur, questio VI, ibidem, lignes 30-31).

« 15. Qui dixerit, fidem re esse idem cum caritate vel saltem sine ea esse non posse, anathema sit » (100. Doctrina iustificationis conscripta ad Alfonso Salm erone, II, p. 661, lignes 23-24).

« Quamvis concurrant fides, spes, caritas, debes tamen ilia per se distin- guere, et mox constabit, caritatem esse, quae iustificat etiam sine fide in Christo viatore et beatis, non autem fidem quae in daemonibus et sceleratis christianis inveniri potest. Ergo Deus magis respicit caritatem, quae inter tria est maior » (117. Alphonsus Salm eron , Ex epistola B. Pauli Apostoli ad Romanos [...] I, n. 2, p. 729, lignes 11-14).

« Ilia fides (sine caritate) non potest dici neque viva nec mortua proprie; viva non est, quia caritate caret [...] Est tamen semianimata vel semiviva, quia procedit ex auxilio speciali Dei et aliqualis dilectionis motu, estque ut embryon vivens vitam sensitivam et aptum recipere vitam realem, quam infundit Deus [...] » (du même auteur, ibidem, n. 5, p. 730, lignes 43-49).

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et caritate M es praestare non potest » (D. Sch., 1531).« [. . . ] Per fidem ideo iustificari dicamur, quia 'M e s est humanae salutis initium’ {S. Fulgentius, De fide, ad Petrum, n. 1), fundamen- tum et radix omnis iustificationis, ’ sine qua impossibile est placere D eo ’ (He.br., 11, 6 et ad filiorum eius consortium pervenire» (D. Sch., 1532).

Mais il faut bien distinguer la vérité de la vie de la foi. A preuve, ce qui suivra:

Cap. 15. « Quolibet peccato m orta li am itti gratiam sed non fidem ». « [... ] Asserendum est, non modo infidelitate (can. 27), per quam et ipsa M es amittitur, sed etiam quocumque alio mortali peccato, quamvis non amittatur fides (can. 28), acceptam iustificationis gra­tiam amitti» (D. Sch., 1544).

On remarquera la précision du canon 28:

« Si quis dixerit amissa per peccatum gratia simul et fidem semper amitti, aut fidem quae remanet, non esse veram fidem, licet non sit viva, aut eum, qui fidem sine caritate habet, non esse Christianum:A. S. » (D. Sch., 1578).

Le Concile distingue donc clairement et certainement la vérité et la vie de la foi, — la fo i vraie non vivante et la fo i vraie vivante. Faisant évidemment abstraction de notre thèse affirmant un habitus de foi viva ab intrinseco, dans la ligne même de l ’intel­ligence, le texte conciliaire ne dit rien pourtant qui s'y oppose, et il y a plus: tel qu’il est rédigé, le texte s'entend mieux, à la lettre, dans notre perspective, que dans celle classique, que nous dépas­sons, car, nous l'avons déjà souligné, c ’est la fo i vivante qui nous unit parfaitement au Christ et qui nous rend membres vivants de son Corps mystique. Nous l ’entendons ainsi au sens le plus fort: la foi, en tant que foi, dès lors qu'elle est viva. La fo i vive n ’est jamais donnée sans la charité, mais, accompagnée de la charité, c’est bien la fo i viva, en tant que foi, qui, par et dans l'intelli­gence, nous vivifie en Jésus-Christ. Cette lecture possible du Concile de Trente donne le maximum de poids à ses affirmations littérales concernant la foi, sans porter pour autant préjudice à la charité. Et, inversement, nous ne pouvons nous empêcher de penser que le texte du Concile en est réduit à une significa­tion par trop minime si, à la lettre, la fo i qui unit au Christ et rend membres vivants de son Corps mystique est la même, en tant que foi, quoad genus naturae, qu’on soit ou non en état de grâce. En bonne logique, ce serait alors, à tout prendre, la seule charité (et non pas aussi la fo i) qui nous vivifierait surnaturel-

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lement. Or, le Concile dit plus. Telle qu’elle est formulée, sa doctrine dépasse de beaucoup, pensons-nous, très objectivement, l'enseignement commun des théologiens d’alors et d’aujourd'hui. Il ne s’agit pas de prôner une fo i qui vivifierait sans la charité, mais de retenir que le sujet surnaturellement vivifié vit aussi de foi en son intelligence et non pas seulement de charité en sa volonté.

Cette valorisation de la fo i ne va en rien dans le sens de la fides fiducialis rejetée par le magistère de l ’Église, mais elle met justement en relief le rôle essentiel et spécifique de la vertu théologale de l ’intelligence dans l'oeuvre de notre justification.

Dans le Concile Vatican I I on relèvera notamment les textes que voici:

« Nam labores apostolici ad id ordinantur ut omnes, per fidem et Baptismum filii Dei facti, in unum conveniant, in medio Ecclesiae Deum laudent, Sacrificium participent et cenam dominicain man- ducent » ( Sacrosanctum Concilium , n. 10)« Unusquisque vero secundum propria dona et munera per viam fidei vivae, quae spem excitât et per caritatem operatur, incunctanter incedere debet» (Lum en gentium, n. 41).

En relisant l ’Écriture.

43. - La méditation de l'Écriture nous confirme dans cette interprétation du concile de Trente. La foi n’y est certes pas minimisée: elle y est vérité, bien sûr, mais elle y est vie aussi et plus encore. La thèse d’une fo i vive transcendant la foi vraie conceptuelle et morte, non seulement au double titre de l'espé­rance vive et de la charité qui l ’animent et l'informent, mais aussi en tant que foi, dans la ligne même de l ’intelligence, permet donc de reconnaître au texte sacré un sens obvie, plus profond, littéralement exact.

Ayant pu tirer profit d’études exégétiques récentes et sans avoir, par ailleurs, la moindre préoccupation de justifier aucune thèse de théologie spéculative, le P. André de Bovis l ’a très justement noté dans l ’article Foi du Dictionnaire de Spiritualité: « Croire ce n’est pas seulement aborder Jésus de Nazareth et discerner le Fils de Dieu, c’est aussi entrer en communion avec lui. Sans doute, les écrivains sacrés qui le disent pensent à la fo i animée par la charité, quae per caritatem operatur ( Gai. 5, 6), mais il est remarquable qu’ils aient nommé la foi comme le moyen ou comme l'acte de l ’union, puisque, en même temps,

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ils savent fort bien distinguer la fo i et la charité. C’est ainsi que saint Jean écrit: ’ Qui confesse le Fils, possède aussi le P ère ’ (1 Jean, 2, 2 3 )» (art. cit., col. 546).

44. - Saint Jean s’exprime ainsi:

« Qui crédit in Filium habet vitam aeternam)» (Jo., 3, 36).« Si quis sitit, veniat ad me ( ngos /je) et bibat. Qui crédit in me ( êlç èuk ), sicut dicit Scriptura, flumina de ventre eius fluent aquae vivae. Hoc autem dixit de Spiritu, quem accepturi erant credentes in eum » (Jo., 7, 37-39).

Peut-on parler plus clairement de la relativité ( ttggç, eiç) de la grâce et de la fo i à leur terme ( pe ), la Personne du Verbe, c’est-à-dire de notre insertion par la fo i dans la vie trinitaire, insertion couronnée par le don du Saint-Esprit dans la charité?

Saint Jean écrit encore:

« Quod vidimus et audivimus annuntiamus vobis, ut et vos societatem habeatis nobiscum et societas nostra sit cum Pâtre et cum Filio eius Jesu Christo » (1 Jo., 1, 3).

La Bible de Jérusalem traduit ainsi: « Quant à notre com­munion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ ». Or, se peut-il vraiment qu’une telle communion vivante, surnaturelle soit effectivement réalisée au plan de nos facultés par notre seule volonté et non aussi et d'abord en un sens par notre intelligence dans l'obscurité de la foi?

45. - Présentant la fo i comme démarche unitive, le P. de Bovis se réfère à saint Paul mais surtout à saint Jean et il écrit dans l ’article déjà cité:

« 1°. La foi est une démarche unitive, - Paul en a conscience et il affirme que la foi est une voie d’accès à Dieu (R om ., 5, 1; cf. Eph., 3, 11-12).« Davantage, la foi fait du Christ l'habitant de l’âme chrétienne (Eph., 3, 16-17). Par lui-même, le langage du quatrième Evangile, ’ demeurer dans ma parole ’, ’ me recevoir ’. ’ venir vers moi ’ (Jean, 1, 12, 40; 6, 37, 44-45; 5, 43), suggère une rencontre intime avec le Christ de la foi. En outre, dans la première épître, le verbe ’ connaître ’ prend chez Jean le sens d ’une connaissance pénétrante, personnelle, unissante. Elle contient un moment mystique (1 Jean, 2, 20, 27; 4, 7; 5,20; of. iM.-E. Boismard, La connaissance de D ieu dans l'alliance nouvelle d'après la le le ttre de saint Jean, dans Revue Biblique, t. 56, 1949, p. 365-391. Un exemple suffira: ’Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en D ieu’ (1 Jean, 4, 15; of. 2, 23).

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« Or, il est frappant que les termes employés ici pour désigner l ’union par la foi sont ceux-là mêmes que le Christ prend dans l'Evangile pour désigner l’union eucharistique et que Jean utilise à son tour pour désigner l ’union par la charité (Jean, 6, 56; 1 Jean, 4, 12-16). De plu-s, l ’épître se clôt en affirmant de nouveau l'union au Fils de Dieu par la foi, -reprenant ainsi le thème amorcé dès le début (1 Jean, 5, 20; cf. 1, 3). Croire, c'est donc selon -saint Jean, donner un a-ssenti- ti-m-ent par lequel s’établit une véritable communion avec Dieu » (art. cit., col. 546-547).

46. - Nombreux sont les textes de saint Paul qui revêtent un sens littéralement plus vrai, plus réaliste, si l ’on reconnaît quoad genus naturae à la fo i vive, vertu théologale de l'intelli­gence, une dignité intrinsèque analogue à celle de la charité, vertu théologale de la volonté.

47. - Objectera-t-on a limine: c’est impossible, car l ’Apôtre le dit lui-même: « Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec, maior autem horum est caritas » (1 Cor., 13, 13)? La ré­ponse est obvie:

a) Les vertus théologales sont destinées à croître jusqu’à ce que chacun de nous arrive à sa propre plénitude « secundum mensuram donationis Christi » (Eph., 4, 7), « in virum perfec- tum, in mensuram aetatis plenitudinis Christi » ( ibid., 13). Or, si la charité est la seule à conserver au ciel, encore et pour tou­jours, son beau nom de charité, c'est qu’elle n’implique comme telle, en elle-même, aucune imperfection, demeurant don de de soi, tandis que la fo i et l ’espérance cesseront d’être saisie obscure et mouvement vers... pour devenir lumière de gloire et repos en Dieu.

b) Le « maior autem est caritas » se vérifie aussi ici-bas du fait que sans la charité aucune vertu n’est jamais telle simpli- citer, de manière parfaite, car, sans la charité, aucune vertu n ’a de valeur méritoire pour la vie éternelle.

Or, dans notre thèse ces vérités traditionnelles sont pleine­ment sauvegardées: l 'habitus de fo i vive que nous préconisons ne peut jamais être donné sans la charité. Valoriser la fo i par rapport à l'enseignement scolaire traditionnel n'est donc en rien l ’égaler à la charité de manière univoque. Celle-ci demeure mo­ralement la mesure de notre mérite et dogmatiquement la seule vertu théologale qui ne changera pas essentiellement. Il faut relire ici 1 Cor., 13, 1-13. « Cum autem venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est » (v. 10). Ces paroles ne pas­seront pas.

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48. - Relisons saint Paul dans les perspectives d’une fo i vive vivifiant comme telle notre intelligence, de manière surnatu­relle, un contact obscur mais réel, vital, avec le Verbe de Dieu. Saint Paul ne prend-il pas alors un relief plus saisissant?

49. - Textes de l'épître aux Romains:

« Iustitia en im Dei in eo revelatur ex fide in fidem, sicut scriptum est:’ Iustus autem ex fide vivit » {Rom ., 1, 17).

On lisait déjà dans l'Ancien Testament:

« Sponsabo te mihi in fide » {Osée, 2, 20).« Iustus autem in fide sua vivet » (Hab., 2, 4).

Saint Paul écrit encore:

« Arbitramur enfin iustificari hominem per fidem sine operibus le­gis » {Rom., 3, 28).« Ei vero qui non operatur, credenti autem in eum qui iustificat im- pium, reputatur fides eius ad iustitiam secundum propositum gra- tiae Dei » {Rom ., 4, 5). ,« Iustificati ergo ex fide, pacem habeamus ad Deum per Dominum nostrum Iesum Christum, per quem et habemus accessum per fidem in gratiam istam, in qua stamus et gloriamur in spe gloriae filio- rum Dei » {Rom., 5, 1-2).

La fo i vive est certes inséparable de la confiance et del ’amour, mais en tant que fo i vive, elle présente elle aussi une dimension substantiellement surnaturelle qui en fait une vertu théologale intrinsèquement justifiante.

50. - Textes de l ’épître aux Galates:

« Scientes autem quod non iustificatur homo ex operibus legis, nisi per fidem Iesu Christi, et nos in Cristo Iesu credimus, ut iustificemur ex fide Christi, et non ex operibus legis, propter quod ex operibus legis non iustificabitur omnis caro » {Gai., 2, 16).« Vivo autem, iam non ego: vivit vero in me Christus. Quod autem nunc vivo in carne, in fide vivo Filii Dei, qui dilexit me, et tradidit semetipsum pro me » (Gal., 2, 20).« Cognoscite ergo quia qui ex fide sunt, ii sunt filii Abrahae. Providens autem Scriptura quia ex fide iustificat gentes Deus, praenuntiavit Abrahae: Quia benedicentur in te omnes gentes. Igitur qui ex fide sunt, benedicentur cum fideli Abraham » {Gal., 3, 7-9).« Quoniam autem in lege nemo iustificatur apud Deum, manifestum est, quia iustus ex fide vivit» (Gal., 3, 11).« Itaque lex paedagogus nos ter fuit in Christo, ut ex fide iustificemur.

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50 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

At ubi venit fides, iam non sumus sub paedagogo. Omnes enim filii Dei estis per fidem, quae est in Christo lesu » (Gai., 3, 24-26).« Nam in Christo lesu neque circumcisio aliquid valet neque praepu- tium, sed fides, quae per caritatem operatur» (G a i, 5, 6).

Ce dernier texte affirme directement que c’est la fo i qui agit par la charité. Ne le serre-t-on pas de plus près, ne le respec- te-t-on pas davantage en reconnaissant que la foi, comme telle, est, elle aussi, justifiante lorsqu’elle agit par la charité, — et comment la fo i pourrait-elle agir par la charité si elle ne justifiait pas? Elles doivent être du même ordre.

51. - Textes de l ’épître aux Ephésiens:

« Gratia enim estis salvati per fidem, et hoc non ex vobis: Dei enim donum est » ( Eph ., 2, 8).« Christum habitare per fidem in cordibus vestris in cantate radicati et fundati » (Eph., 3, 17).

Bien qu'elle soit vertu de l ’intelligence, la fo i vivifiante n'est pas sans rapport avec le coeur, avec la volonté, avec la charité et cela à double titre: a) la fo i vraie conceptuelle ne cesse d’être morte que lorsqu’elle est animée et informée par la charité, —b) telle que nous l'entendons, la foi vive ab intrinseco est insé­parable de la charité.

Tout se tient harmonieusement et l'état de grâce ennoblit et surélève de manière complémentaire l ’une et l ’autre de nos facultés spirituelles. La théologie communément reçue a le grand tort de ne voir dans la foi vive que la fo i vraie vivifiée par la charité dont elle est séparable sans considérer en outre sa ri­chesse substantiellement surnaturelle, intrinsèque, vitale, propre et spécifique, dans la ligne même de l ’intelligence.

52. - Épître aux Hébreux:

« Iustus autem meus ex fide vivit » (H ebr., 10, 38).« Est autem fides sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium » (H eb., 11, 1).

La Bible de Jérusalem traduit ainsi: « Or la foi est la ga­rantie des biens que l ’on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas », et on lit là en note:

«Var.: ’ la foi assurance des choses espérées (le ciel), conviction des choses non désirées (l’enfer) '.

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 51

« Aux Hébreux, découragés par les persécutions, l’auteur souligne que la foi est tout orientée vers l'avenir et ne s’attache qu’à l ’invisible. Ce v. est devenu une définition théologique de la foi, possession an­ticipée et assurée des réalités célestes [...].

Quel sens donner à substantia dans cette définition de la foi? « Le mot grec vjiôoraocç a trois sens bien établis, écrit le P. Prat: fondement, conviction ferme, réalité. Abstraction faite du contexte, chacun de ces trois sens peut entrer fort bien dans la définition de la foi ». — « [La fo i] est la réalité des choses que nous espérons, en tant qu'elle est une prise de possession anti­cipée des biens à venir [...] ». L ’auteur conclut: « Le dernier sens — celui de réalité nous paraît préférable [...] La fo i est donc non seulement un gage mais aussi un acompte des biens espérés » 31.

« En résumé, écrit le P. Spicq, la foi est d ’abord une garantie des réalités célestes que l’on espère; non seulement elle nous les rend indubitables, mais elle les envisage comme dues de plein droit; elle est en elle-même, une assurance objective de leur jouissance défini­tive. Par suite, la foi « prise de possession anticipée de ces biens célestes (cf. Prat), est un commencement réel de la vie divine avec garantie de durée, de pérennité [...] On rejoint ici les théologies jo- hannique, sur la vie éternelle déjà commencée ici-bas ,et paulinienne sur les arrhes et les prémices de la résurrection et du salut (I I Cor., 1, 22, - 5, 5; Eph., 1, 14) » ( L 'É p ître aux Hébreux, com m entaire, vol. II, Gabalda, Paris, 1953, p. 338).

31 La théologie de saint Paul, par F. Prat, présentée par Jean D aniélo u , vol. I, Beauchesne, Paris, 1961, pp. 461462.

« Quand l’objet de la foi est indiqué, écrit le P. Prat, — à part certaines locutions exceptionnelles comme ’ foi en l’Évangile, foi en la vérité ’ — c’est tou­jours Dieu ou le Christ [...] L ’ensemble des théologiens et des exégètes, tant protestants que catholiques [...] continuent à voir dans ’ la foi du Christ ' la foi dont le Christ est l’objet de la part des fidèles. Il n’y a pas d'expression plus adéquate de la foi justifiante de Paul » (op. cit., vol. II, Beauchesne, Paris, lOème éd., 1925, p. 286).

Le P. Prat écrit encore: « En parcourant les lettres de saint Paul, avant toute analyse de détail, on est frappé de ce fait qu’il associe constam­ment à l’acte de foi la justice et la justification de l’homme » et il cite là Rom., 3, 22; 9, 30; Philip., 3, 9; Rom. 4, 11-13; 3, 28; 3, 30; Gai., 2, 16; 3, 8; 3, 24; 3, 26; 4, 5, puis il ajoute: «S i nous examinons de près ces formules, nous verrons que la foi n’est pas une simple condition essentielle, dont la pré­sence est requise on ne sait trop pourquoi, mais qu’elle exerce une véritable causalité de l’ordre moral. A parler exactement, ce n’est pas la foi qui justifie, c'est Dieu qui justifie par la foi; car la foi n’est ni cause efficiente principale, ni cause formelle, mais seulement cause instrumentale de notre justification » (op. cit., pp. 295-296).

Oui, la foi vivante n’est pas qu’une simple condition essentielle car elle exerce un véritable rôle d’instrument, et celui-ci est plus que d’ordre moral: il est aussi d’ordre ontologique.

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52 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

Cette possession anticipée des réalités célestes, c’est-à-dire de Dieu, caractérise bien, en effet, la richesse de la fo i vivante. La réalité, objet de la foi, est le Christ en personne, le Verbe de Dieu, et la foi vive nous donne de le posséder intellectuellement. En définissant la foi substantia, argumentum, — réalité (posses­sion), preuve, — l ’auteur inspiré en exprime clairement les deux aspects fondamentaux, ceux de vie et de vérité. Nous traduisons: foi vive ab intrinseco, fo i vraie conceptuelle.

53. - Dans l ’article déjà cité, se référant surtout à saint Paul, le P. de Bovis présente aussi la fo i comme une démarche trans­formante:

« Saint Paul, écrit-il, explique et exprime le -fait -dans le langage de la justification. Par la foi, l’homme est rendu juste de la justice qui vient de Dieu et que lui dispense l’Esprit {Gai., 3, 15; 3, 24-27; Rom., 5, 1-2; 8, 1-13). L ’épître aux Hébreux, en définissant la foi comme 'la substance des choses que nous espérons ’, la présente comme la ga­rantie-anticipation des biens surnaturels et implique par conséquent une certaine transformation avec Dieu.« L ’idée que la foi assimile à la vie de Dieu affleure immédiatement dans le quatrième évangile. A plusieurs reprises, celui-ci affirme que -posséder la foi, c’est -posséder la vie étemel-l-e. L ’affirmation est par­fois au futur, mais elle est aussi au présent (Jean, 3, 36; 6, 40, 47; 20, 31; comparer -avec 17, 3; 1 Jean, 5 ,10-12). Ainsi, -dans le Nouveau Tes­tament, s-e prolonge et -s’amplifie l ’écho de -l’An-cien Testament, qui annonçait que le salut et la vie résident dans la foi.« Pour ces raisons, -la foi ne peut être considérée comme un simple événement de la vie théologique de l’homme. Elle est une conversion au sens ontologique, et c’est un sens que l’Ancien Testament n’avait pas présenté. Le nouveau Testament, au contraire, le souligne. Dans la foi, est accordée la -présence éclairante de -Dieu (2 Cor., 4, 6). C'est un esprit nouveau qui est infusé à l’homme, ce n’est rien moins que Ti-ntelligence du Christ (1 Cor., 2, 16; comparer Phil.. 2, 5), c’est un savoir compris sous -l’action -de l'Esprit-Saint lui-même (1 Jean, 2, 20; cf. 2, 27; cf. I. de la Potteri-e, L ’onction du chrétien par la foi, in Bi- blica, t. 40, 1959, p. 12-69, et Les deux modes de la connaissance dans le 4è Évangile, ibidem, p. 709-725)» (col. 5 4 7 ) 32.

Retenons encore ces affirmations de l ’auteur auxquelles nous donnons leur sens le plus fort: La foi « est à la racine des vertus théologales d’espérance et de charité », « elle est au principe de

32 Voir aussi M. E. B oismard , La foi selon saint Paul, in Lumière et vie, XXII, 1955, pp. 65-90. — L. Cerfaux, Le chrétien dans la théologie paulinienne (Lectio divina 33), Cerf, Paris, 1962.

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la vie mystique et elle est à la base de toute expérience chré­tienne » (col. 601). « La fo i est la source de la prière chrétienne. C'est grâce à la fo i que l ’âme peut s’élever vers Dieu et demeurer en sa présence ». « D’autre part, la prière achève la fo i » (col. 602).

On peut donc reconnaître la réalité d'une fo i vivante et justifiante sans porter pour autant la moindre atteinte ni à la noblesse de la charité théologale ni à la doctrine de saint Jacques sur les oeuvres: « Sic et fides, si non habeat opéra, mortua est in semetipsa » ( J a c 2, 17). Dieu nous unit à lui dans l ’obscurité de la foi vive et nous appelle alors à la contemplation silen­cieuse, actualisant ainsi, autant que possible en ce monde, l'a­moureuse soumission de notre intelligence au Christ, selon le voeu de l ’Apôtre: « In captivitatem redigentes omnem intellec- tum in obsequium Christi » (2 Cor., 10, 5).

Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux

54. - Notre recherche théologique se place de manière obvie dans la mouvance thérésienne. Le votum de notre Faculté de théologie, rédigé en faveur du Doctorat de sainte Thérèse d’Avila à l ’intention de la Congrégation Pro causis Sanctorum, repré­sente une somme thérésienne de grand p r ix33.

En conclusion, le texte de la Ratio theologica résume les points les plus saillants du magistère thérésien: doctrine du Corps mystique, vie du Christ en nous par la grâce ( « testificari et do- cere veritatem mysterii Christi in vita singulorum membrorum Mystici Corporis eius, ut aperte pateat sanctitatem nostram ré­véra esse ipsam sanctitatem et vitam Christi intus nobis infu- sam »), transcendance de la spiritualité chrétienne sur toute philosophie humaine, insertion de notre vie intérieure dans l ’hi­stoire du salut, — l ’oraison colloque d'amitié avec Dieu, notre Père.

Le texte met aussi en relief l'opportunité providentielle du charisme thérésien au temps de la Réforme, faisant pièce alors aux déformations luthériennes en matière d’expérience religieuse et de justification, car il manifestait en sa profondeur l'origina­

33 Nous l’avons présenté de manière succincte dans La Pensée Catholique,n. 129 [1970] 49-50. Il est ainsi divisé; I. Ratio historica (4-51). — II. Ratio litur- gica (52-63). — III. Ratio theologica (63-94). — IV. Ratio ex « actualitate » Sanctae Teresiae (94-111).

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54 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

lité de la vie d'union au Christ-Jésus, dans l ’âme régénérée par la grâce, à l ’encontre des déviations de Martin Luther:

« cuius vero gravissimus error constitit in negatione ’ interioris iusti- tiae ’ caeterarumque realitatum quibus iustus intrinsecus regenera- tur, his realitatibus interioribus substituendo externam imputationem meritorum et iustitiae Christi, quibus peccata et miseria homini intrinseca, miserentissime operirentur. Quo pacto, veritas vitae inte­rioris, originalitas sanctitatis christianae et ipsa theologia spiritualis penitus pessundabantur » ( V otum cité, Ratio theologica, numéro 5 ) ’4.

Telle qu’elle est présentée par Luther, la justification par la fo i est d’évidence une déformation tout imprégnée de philo­sophie nominaliste qui bouleverse l ’économie chrétienne. La doc­trine catholique doit être maintenue claire et ferme contre le Réformateur35, mais il n’en est pas moins évident que, demeu­rant irrecevable, la solution luthérienne nous presse de réfléchir au nom de l ’Écriture sur la nécessité de revaloriser la foi, comme fo i justifiante, par rapport à l ’enseignement commun de la théo­logie scolastique. Bien loin de nous porter à la négation de la justification intrinsèque, cette réflexion nous conduit à lui don­ner plus de densité encore en affirmant dans l ’intelligence la réa­lité d’une fides viva, ontologique, vitale, semence de la vision béatifique, et cette revalorisation de la foi, vertu théologale de l ’intelligence, réalisée dans la ligne spécifique de celle-ci, ne porte pas la moindre atteinte à la doctrine catholique traditionnelle de la confiance en Dieu, du mérite et des oeuvres. Elle en con­serve de tout point le parfait équilibre, tel qu’il a été admirable­ment exposé et vécu par sainte Thérèse de l ’Enfant-Jésus, doc­teur par excellence de la foi-confiance en l'Amour miséricordieux par delà vertus, oeuvres et mérites 36.

Exhortant les Carmélites à l ’amour de Dieu sainte Thérèse d’Avila leur écrivait: « Cet amour, mes filles, ne doit pas être

w Saint Thomas l’écrivait déjà au XHIè siècle: « Per hoc autem excluditur opinio quorumdam dicentium quod gratia Dei nihil in homine ponit: sicut nihil in aliquo ponitur ex hoc quod dicitur gratiam regis habere, sed solum in rege diligente. Patet ergo eos fuisse deceptos ex hoc quod non attenderunt differen- tiam inter dilectionem divinam et humanam. Divina enim dilectio est causa- tiva boni quod in aliquo diligit: non semper autem humana » (Contra Gentiles, III, cap. 150).

35 Parmi les ouvrages récents, citons Charier B oyer, s. j., Luther, sa doctrine, Presses de l’Université Grégorienne, Rome, 1970, 238 pages.

36 La Sainte conclut ainsi son manuscrit C: « Ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde, a préservé mon âme du péché mortel que je m’élève à Lui par la confiance et l’amour ».

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un produit de notre imagination; il faut le prouver par les oeu­vres. Ne croyez pas néanmoins que le Seigneur ait besoin de nos oeuvres; il se contente de trouver en nous la volonté ferme de les accomplir » ( Château, Troisièmes demeures, chap. I, éd. Gré­goire, Ed. du Seuil, Paris, 1949, p. 851), — pensée que sainte Thérèse de l ’E.-J. a reprise à son tour avec force et concision: « [Jésus] n’a point besoin de nos oeuvres, mais seulement de notre amour » (Manuscrit B, fol. 1, v°, 1. 14).

IV. - TR IN ITÉ , VERTUS THÉOLOGALES

1. - V e r t u s th éo lo gales

Doctrine de la fo i

55. - Le Catechismus catholicus édité par le Cardinal Gas- parri présente ainsi la doctrine de la fo i catholique sur les ver­tus théologales:

« Virtus theologica est virtus cuius obiectum immediatum est Deus ut finis supernaturalis, hominemque ad eum directe ordinai ».« Virtutes theologicae sunt très: fides, spes, caritas ».« Virtutes theologicae acquiri nequeunt per actus mere naturales, quia sunt natura sua supernaturales, ideoque solus Deus eas infun- dit una cum gratia sanctificante ».« Virtutes theologicae in homine infunduntur in ipsa iustificatione cum remissione peccatorum acquisita vel per Baptismi sacramentum vel per actum contritionis cum voto sacramenti ».« Virtutes theologicae sunt omnino necessariae ad salutem, quia recta ordinatio tum intellectus turn voluntatis in finem supernaturalem sine ipsis haberi nequit ».« Inter virtutes theologicas virtus excellentissima est caritas, quae est legis perfectio, et ne in coelo quidem excidit » 37.

37 Typis polyglottis vaticanis, lia editio, 1933, pp. 240-241, réponses aux ques­tions 508-513. Le texte donne des références aux documents du magistère.

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56 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

Vie théologale, vie trin ita ire38.

56. - La surnaturalité des vertus théologales est essentielle­ment trinitaire. Il faut partir de ceci: Dieu vit en trois Personnes, la divinité est pleinement épanouie dans le Père, pleinement épanouie dans le Fils, pleinement épanouie dans l'Esprit-Saint. Il n’y a pas un atome de la divinité qui ne soit et du Père et du Fils et du Saint-Esprit; chacune des trois Personnes n’est pas un tiers de la divinité, mais la divinité tout entière. Etre or­donné à Dieu comme terme surnaturel est donc être ordonné, de toute évidence, aux trois Personnes divines.

« Realis distinctio inter relationes divinas non est nisi in ratione op- •positionis relativae » (I, 30, 2).Il y a en Dieu très res relativae et una res absoluta (voir I, 28, 3) et cela ne fait pas quatre res car il n’y a pas un atome de la res ab­soluta qui ne soit réellement identique à chacune des trois Person­nes, bien que ces dernières soient réellement distinctes entre elles. « Tantus est Pater quanta tota Trinitas » (I, 30, 1, 4m).« Tota perfectio divinae naturae est in qualibet personarum » (I, 42, 4, 3m).

En d'autres termes, l ’ordre substantiellement surnaturel im­plique relativité à la nature divine pour autant qu’elle est réa­lisée dans les Personnes divines, car la nature divine est ontolo­giquement immanente à chacune d’entre elles. Pour participer à la Sagesse et à l ’Amour divin de manière substantiellement sur­naturelle, il faut donc participer à la vie trinitaire. Toute autre considération ne serait pas substantiellement surnaturelle quant au terme qu’il s’agit d’atteindre. L ’activité des vertus théologales sera relative au cycle trinitaire, — ou elle ne sera pas39.

38 On peut se reporter aux articles suivants:Trinité (mission et habitation des personnes de la) in DTC, de A. M ic h e l ,

col. 1830-1855.Grâce in Catholicisme, spécialement: II. Les Pères Grecs, de L. L igier , s. j.,

col. 141-147, — et III, Saint Augustin, 1. Divinisation, — 2. Présence trinitaire, du même auteur, col. 147-149.

Grâce, in Dictionnaire de spiritualité, notamment II. Le mystère de la filia­tion adoptive de Charles B aumgartner , col. 708-726.

Inhabitation, in Dictionnaire de spiritualité, de Roberto M oretti, col. 1735-1757.39 Toutes les oeuvres ad extra sont communes aux trois Personnes divines

au titre de la causalité créatrice et conservatrice efficiente, mais il ne s’ensuit pas que dans l’ordre surnaturel l’effet produit ne se réfère pas exclusivement à telle Personne déterminée (seul le Verbe s’est incarné) ou, analogiquement, à tel acte notionnel et non à tel autre. Autre est, en effet, la ligne de la causalité efficiente extrinsèque (a quo), autre celle de l’effet produit considéré dans sa relation surnaturelle intrinsèque (ad quod). Rien ne s’oppose donc à ce que nous participions à la vie trinitaire en un sens propre et non pas seulement par appropriation. — Voir Filiation adoptive, nn. 29-34, pp. 97-102 et n. 39, p. 106.

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 57

57. - Analysons de plus près notre participation de connais­sance et d'amour au cycle trinitaire.

a) La vie intime de Dieu est essentiellement constituée par une procession intellectuelle et par une procession d’amour car l ’activité immanente se ramène essentiellement à l ’intelligence et à la volonté (I, 27, 5). Les trois Personnes s’expliquent en fonction de ces deux processions et des quatre relations qui les constituent: « Relationes reales in Deo non possunt accipi nisi secundum actiones secundum quas est processio in Deo ad in- tra » (I, 28, 4).

b ) La foi est de l ’ordre de l ’intelligence, l ’espérance et la charité sont de l'ordre de la volonté. Il est donc logique d’appa- renter la foi à la première procession (per modum intellectus) et l'espérance et la charité à la seconde procession (per modum amoris).

c) Il y a une seule vertu, la foi, pour la procession qui im­plique deux Personnes. Il y a deux vertus, espérance et charité, pour la procession qui implique une nouvelle et troisième Per­sonne. Il est donc logique d’affirmer que ce ne sont pas les Per­sonnes divines comme telles qui spécifient les vertus théologa­les, bien qu’il y ait le nombre trois de part et d'autre, car il devrait y avoir en ce cas deux vertus de l'ordre de l ’intelligence pour une seule vertu de l ’ordre de la volonté, ce qui n'est pas. Or, c’est logique car les Personnes sont, comme telles, de l'ordre de l'être et non de celui de l ’agir immanent dont relève la parti­cipation des vertus théologales qui ne font de nous, dans l ’ordre de l ’union hypostatique, ni des Pères, ni des Fils, ni des Esprits- Saints. Il n’y a donc pas trois vertus théologales parce qu'il y a trois Personnes en D ieu40.

d) Les vertus théologales surélèvent notre intelligence et notre volonté en leur donnant de participer aux actes notionnels, c’est-à-dire aux relations divines exprimées par manière d’opé­ration immanente aux points de vue corrélatifs de principe et de terme réellement distincts entre eux (voir I, 41), soit pour la fo i generare-generari (procession per modum intellectus) et

40 Cela, contrairement à ce que nous écrivions en 1936 au sujet de ces vertus: « [...] et s’il y en a trois, c’est parce qu’elles atteindront Dieu lui-même en et par la Trinité de ses Personnes: bref, il y aurait trois vertus théologales parce qu’il y a trois Personnes en Dieu » (Recherche, 159), — perspective modifiée dès avant 1944 dans le sens que nous allons exposer.

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58 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

pour l ’espérance et la charité spirare-spirari (procession per mo­dum amoris).

En conclusion les vertus théologales étant spécifiées par Dieu ut vivit in se trinus, il y a lieu d'en conclure que la distinction réelle des vertus théologales entre elles ne peut être fondée en dernière analyse objective que sur la distinction réelle d’actes notionnels. On ne peut en effet atteindre Dieu ut est in se, sur le plan de l ’opération immanente, sans participer aux actes no­tionnels, mais il y aura lieu de voir pourquoi il n’y a pas quatre vertus théologales, bien qu’il y ait quatre actes notionnels, c'est-à-dire de manière plus précise pourquoi il n'y a qu’une seule vertu théologale, celle de la foi, pour le generare-generari de la procession per modum intellectus, tandis qu’il y en a bien deux, l ’espérance et la charité, pour le spirare-spirari de la pro­cession per modum amoris.

58. - Au titre de notre grâce d’adoption nous agissons radi­calement comme des fils et non pas comme des pères et nous sommes donc mis en contact avec l ’activité trinitaire immanente par le generari, acte notionnel du Verbe, Fils de Dieu. Personne ne va au Père si ce n’est par le Fils (Jean, 14, 6) et « nul ne con­naît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Mat., 11, 27).

59. - Le Verbe étant la splendeur et le miroir du Père (Hebr., 1, 3; Col., 1, 15), imago Patris (Somm e théologique I, 35), qui voit le Fils voit le Père (Jean, 14, 9). Notre vision béatifique sera celle du Verbe et c'est en Lui que nous verrons le Père.

60. - Il est donc logique que la foi vive s’apparente et se réfère directement au generari intellectuel et sapiential, et par lui au generare.

2. - R é a l is m e ontologique de l a fo i v iv e

61. - Réfléchissons encore au réalisme vital d’une assimila­tion-participation obscure de l ’intelligence créée à l ’Intelligence divine en la Sagesse du Verbe, splendeur du Père.

Question: une saisie du Verbe de Dieu, intellectuelle et im­médiate, peut-elle être obscure? Ne serait-elle pas contradictoi-

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 59

re? N'implique-t-elle pas nécessairement vision sous peine de ne pas être?

Il ne peut être démontré que la foi vive ainsi conçue soit positivement possible, puisqu’elle rentre dans l'ordre substantiellement surnaturel qui, par définition, demeure essentiellement mystérieux, mais si l ’on tient compte des remarques suivantes peut-on montrer qu’elle im­plique contradiction? Nous ne le pensons pas.

A. - La présence de D ieu n’im plique pas v is ib ilité de D ieu par nous.Il est gratuit d’affirmer que si l’on possède Dieu, on doit le voir car il est certain que Dieu est présent à la création et qu’on ne le voit pas; que Dieu est présent à l ’âme de manière infiniment plus pro­fonde par la grâce sanctifiante, et qu’on ne le voit pas; qu’il y a des degrés de présence dans la grâce sanctifiante, et qu’on ne les voit pas. Jésus était Dieu, et cela ne se voyait pas. Le corps, le sang, l ’âme et la divinité du Christ sont réellement présents sous les espèces eucharistiques et cela ne se voit pas. La notion de présence divine est donc distincte de la notion de vision de Dieu par la créature. Pas de difficulté a priori à ce qu’il y ait d ’autres présences sans vision.

B. - L ’assentiment dans le jugem ent de foi.

1. - Il est important de rappeler que dans tout jugement humain de fo i il y a un assentiment in tellectuel qui est un acte véritable de l ’esprit et qui pourtant est privé de la vision qui normalement l’accompa­gnerait et en serait la cause s’il s’agissait d’un jugement directement évident. Il est donc donné un cas intellectuel de l’ordre naturel dans lequel on rencontre un acte obscur de l’intelligence. Cet acte obscur est une saisie de la vérité affirmée qui dépasse pourtant la vision que l’on en a.Il y a donc séparabilité entre l’assentiment à une vérité et la cause connaturelle de cet assentiment, à savoir la vision directe de la vérité. L ’intelligence n’est satisfaite que si elle voit directement ce à quoi elle donne son assentiment: la perfection est dans l’assenti­ment causé par la vision. Il n’en reste pas moins que l ’intelligence peut assentir sans voir, c’est-à-dire posséder une vérité dans l’ob­scurité.

2. - En transposant ces données psychologiques sur le plan intrinsè­quement surnaturel, on obtient ceci: l'intelligence est en contact avec Dieu ut est in se, unie à Lui très réellement, soit dans l’obscurité (foi vive, analogue à l ’assensus sine visione) soit dans la lumière (vision béatifique, analogue à l ’assensus cum visione). La foi vive est la semence, la préparation, la première étape de la vision béatifique.- Il pourra y avoir divers degrés d’intensité de part et d’autre.

3. - Analogie de la foi vive et de la lumière de gloire:a) ressemblance: de part et d ’autre, le terme possédé est Dieu ut est in se, dans son Verbe,b ) différence: la foi vive est intrinsèquement obscure, la lumière de gloire est resplendissante.

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60 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

62. - La réalisation d'une présence surnaturelle au niveau de nos facultés ne peut être donnée qu'au titre de l ’intelligence.

Au plan intellectuel et spirituel le sujet aime, désire, se réjouit, par la volonté, mais il ne peut appréhender, tenir et posséder que par l ’intelligence. C’est le sens profond de l ’adage nihil volïtum quin praecognitum. Une charité substantiellement surnaturelle sans une foi du même ordre, serait aussi impossible que le bonheur de la vision béatifique sans la lumière de gloire car c’est par l ’intelligence qu’est possédé ce qui est aimé par la volonté.

Ou bien il y a une foi vive substantiellement surnaturelle, qui réalise une possession réelle de Dieu ut est in se — ou bien il n’y a pas d’ordre substantiellement surnaturel du point de vue de l ’opération de connaissance et d’amour, sur terre, dans les membres du Corps mystique car la volonté comme telle ne réalise pas de présence.

63. - Il y a beaucoup à prendre, de notre point de vue, dans l’ouvrage du P. Pierre Rousselot, s. j., L'intellectualisme de saint Thomas, qui demeure d ’actualité41. Nous nous arrêterons notam­ment aux points suivants.

a) L ’intelligence est la faculté de l ’être.Pour bien saisir cette vérité fondamentale il ne faut pas se

laisser hypnotiser par l'intelligence humaine en tant qu’humaine. Le P. Rousselot l ’a fortement rappelé: « Nous sommes les der­niers, les infimes dans l ’ordre intellectuel [...] Toute la noëtique de S. Thomas n’est que le développement de cette idée première [...] Qu'on oublie cette capitale restriction, qu’on lise S. Thomas en supposant implicitement l ’identité de l ’intelligence humaine et de l ’intelligence ut sic, tout le système devient, du coup, en­fantin et contradictoire » (53-54). — Pour se faire « une idée cor­recte » de l ’intelligence « il faut comprendre que son rôle est de capter des êtres, non de fabriquer des concepts ou d’ajuster des énoncés » (Introduction, XI).

4' Nous nous référons à sa troisième édition présentée par le P. Léonce de Grandmaison, Beauchesne, Paris, 1936, pp. XLIII, XVIII et 261.

Rappelons que, se trouvant au repos à Bar-le-Duc, le 13 octobre 1914, le sergent Rousselot y eut alors connaissance des XXIV thèses thomistes publiées par la Congrégation des Études et qu'il nota: « Cette lecture m’a fait grand plaisir. Il n’y a rien là qui ne soit, à mon humble avis, essentiel dans la doctrine de saint Thomas, et je crois toutes ces thèses vraies. Certains, sans doute, pourront en abuser par des interprétations étroites, mais de quoi n’abuse-t-on pas? » (Notice sur Pierre Rousselot, op. cit., XXXIII). On ne saurait donc douter du thomisme foncier de l’auteur.

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 61

C’est évidemment capital.

« [...] L ’intelligence est de soi analogue, non seulement aux yeux des êtres corporels mais, si l’on peut dire, aux organes de préhension, mains, pattes, tentacules: facultas apprehensiva » 24.Pour S. Thomas « Yintellection en soi [est] essentiellement captatrice d’être, et non fabrication d'énoncés » (XVII).« Les êtres sont avant les lois: c’est l'intellectualisme qui l’exige » (24). L ’ordre moral est fonction de Tordre ontologique.« L ’idolâtrie de l ’énonciable est donc le suicide de l ’intellectualisme, loin d ’être son naturel aboutissement » (25).

S’il en est ainsi, — et il en est ainsi, — pourrait-il se faire que l ’élévation surnaturelle de notre intelligence, comme telle, dans et par la foi, ne dépassât pas le plan des concepts? Ou, en d'autres termes, que la fo i vive ne recouvrît exclusivement que l ’habitus demeurant identiquement celui de la fo i morte quoad genus naturae?

b ) Plus l ’intuition intellectuelle est profonde, plus elle est vie et moins elle est abstraite.

L'auteur affirme justement au sujet des Anges, sujets tout spirituels: « Il y a des êtres à la fois substantiels et intelligibles dont la vision est identique à la possession, quae videre est ha- bere » (23). Les créatures angéliques illustrent donc à merveille les principes fondamentaux que voici:

« L'immanence s’approfondissant, ¡’abstraction diminue » (13).« L ’immanence et la prise de l’autre croissent de pair dans l'être in­telligent » (16).« Loin d’être en raison inverse, l’extension et la compréhension, dans l ’idée intuitive, croissent de pa ir» (17-18)42.

Il est bon de souligner là que, par analogie, l ’affirmation d’une connaissance surnaturelle de fo i vive, générale et con­fuse, emplissant l ’intelligence de toute la plénitude de Dieu (d ’après Eph., 3, 19) n’a rien a priori de contradictoire: Dieu capte l'intelligence à l ’obscur et c'est pour elle la plus profonde des connaissances, par delà les concepts, — connaissance, bien évidemment, inséparable de l'amour. « La vie surnaturelle ne peut être qu’une conquête plus plénière de la réalité » (X V III).

c) Saint Thomas est « intellectualiste » et non « volonta­riste ».

42 L’auteur renvoie en ce sens, p. 19, à Contra Gentiles, livre I, chap. 44, n. 5; livre II, chap. 47, n. 4, — chap. 98, aux Sentences, d. 27, q. 1, a. 4 et à la Somme, I, q. 26, a. 2, etc.

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62 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

Au sujet du rapport intelligence-volonté, le P. Rousselot le note très justement: « Le nerf de la théorie thomiste est la con­ception de l'intelligence comme faculté qui tient, opposée à la volonté, faculté qui tend [...] Tendance avant l'acquisition du bien, plaisir après, ce sont pour S. Thomas les deux formes de la volonté et de son acte caractéristique, l ’am our» (4 1 )43. D’où l ’heureuse formulation qui dit tout en sa concision: « La force et la noblesse de l ’intelligence consistent en ce qu’elle est une faculté prenante. L ’intellection qui saisit l ’être en soi est l ’ac­tion par excellence; elle s’impose dès lors comme règle, raison d'être et fin de l ’appétit » (53).

Pourquoi en irait-il autrement dans le couple fo i vive et charité, au plan surnaturel?

« Sans même parler des réactions de la connaissance sur l ’amour, que l'intuition béatifique dilatera incomparablement [ ici en n ote : « Caritas enim viatoris non potest adaequari caritati comprehensoris aliter enim aliquis aiRcitur ad praesentia, et aliter ad absentia », de Verit., 29, 3, 5m], - l'obéissance, oeuvre propre de l ’amour, ne pourra tendre qu'à l ’intellection. L'acte de s’unir, dans tous les sens, sera connaître » (51).

Les deux conciles du Vatican ont bien mis en relief cette obéissance de l ’intelligence et de la volonté dans la foi:

« Deo revelanti praestanda est oboeditio fidei (cf. Rom., 16, 26; cf. Rom. 1, 5; 2 Cor. 10, 5-6), qua homo se totum libéré Deo committit ’ plénum revelanti Deo intellectus et voluntatis obsequium ’ prae- stando (Conc. Vat. I, Const. dogm. de fide catholica, D ei Filius, cap. 3; Denz. 1789 [3008]) et voluntarie revelationi ab Eo datae assentien- do » (Constitutio dogmatica Dei Verbum , n. 5).

d) La vision béatifique n’est pas « [à ] considérer comme une violente sortie hors de l'intelligence », écrit l ’auteur, mais « la possibilité que nous en avons définit l ’intelligence même. Celle-ci n ’est faculté de l ’être en général que parce qu’elle est faculté de l ’E tre infini » (38). Nous en convenons parfaitement, en explicitant les choses de la manière que voici en accord avec

___________ i

« L’auteur cite longuement I-II, 3, 4 (42-43) où l’on peut lire ceci qui est capital: Consecutio autem finis non consistit in ipso actu voluntatis. L'auteur cite encore I, 81, 1, — I-II, 35, 5, et Contra Gentiles, II, 55, n. 11.

Citons encore ceci: « En prenant comme principe la valeur suprême de l ’acte intellectuel, nous avons conscience d'avoir mis au centre ce qui était central pour S. Thomas » (XVI). — L’intellection est « l’action vitale par excellence, l'action la plus foncière et la plus intense des êtres intelligents » (7).

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hauteur (p. 38, note 2): si l'intelligence est directement quoad, nos, la faculté de l ’être, et donc en conséquence la faculté de l ’Etre infini, c’est parce qu’elle est d’abord, quoad se, de ma­nière radicale, en son fond le plus intime, faculté de l ’Etre infini. I l est donc vrai de l ’affirmer: « La promesse de la vision intuitive [...] couronne de la façon la plus triomphante l ’intellectualisme tel que ES. Thomas] le concevait» (188)44.

« On est plus profond en concluant la vision béatifique, ou l ’existence de Dieu, de la nature de l’intelligence, que de l ’analyse des ’ aspira­tions ’ du vouloir » (47, note 4).Au ciel, «D ieu nous voudra ses participations possédantes» (51).

Or, tel que nous l'entendons, l ’habitus spécifique de la fo i vive est évidemment, au sens fort du terme, le prélude de la vision béatifique: Dieu nous rend donc déjà « ses participations possédantes » dans la ligne même de l'intelligence.

e) Nous ne rencontrons pas notre thèse dans le P. Rousselot, mais celui-ci n’est pas sans parler de la fo i d'une manière fort suggestive. Citons deux textes particulièrement symptomatiques qui vise directement celle-ci.

« [La foi], écrit-il, est une proposition intellectuelle de ce qui est en­core l’inintelligible. Elle est ’ plantée’ ( ’ p la n ta tu r’ - de Malo, q. 5, a. 3) parmi nos concepts, et sa raison d’être est une prise de l’Etre extra-conceptuelle » (190-191).

Voilà bien mise en relief la disproportion d’une fo i exclusi­vement conceptuelle par rapport à son objet, à son terme, à sa raison d’être, et s'il est permis de parler par image, n'y a-t-il pas là un « creux », un « vide », un « fossé », qui demande à être comblé? A parler en rigueur de termes, est-il en effet logi­que qu’une foi conceptuelle, ait pour raison d’être une prise extra-conceptuelle? Nous entendons bien que l ’auteur pense ici d'abord à la vision béatifique. Or, deux adages sont à retenir: la nature ne fait pas de sauts, — la grâce ne détruit pas la nature. Est-il donc harmonieux que dans la ligne même de l ’intelligence,

+* Le P. Rousselot n’enseigne aucunement pour autant l’exigence de la vision béatifique. Sa lecture de saint Thomas est exactement la nôtre: « S. Thomas accepte parfois de se mettre en présence de l’hypothèse où l’homme eût été laissé à sa nature, sans qu’il plût à Dieu de l'appeler à la communication de sa conscience divine. La béatitude alors n’eût pas été surnaturelle, mais elle eût pourtant été intellectuelle » et « n’eût été complète que dans la vie immor­telle » (173).

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du point de vue surnaturel, le sujet passe d’une connaissance exclu­sivement conceptuelle à la splendeur éblouissante de la lumière de gloire, sans connaître 1’« étape » intermédiaire de la fo i viva, ab intrinseco, susceptible de s’épanouir en contemplation?

Le second texte visant la fo i que nous voudrions citer pour conclure est celui-ci:

« Ainsi la vie de la fo i a deux faces: considérée comme pré­formation, comme prodrome de la vision, elle est l ’aube du triomphe surnaturel de l ’intellectualisme; considérée comme con­naissance actuelle, elle réduit la vie de l'esprit presque au mini­mum d’intellectualité qu’elle peut com porter» (192).

Nous pensons que l ’auteur exprime ainsi fort bien la doc­trine des deux habitus complémentaires qui constituent la foi vive, telle que nous les avons présentés: fides viva ab intrinseco, — fides vera, conceptuelle (éventuellement morte). Telles sont bien les deux faces de la vie de la foi.

Or, c’est au titre du premier de ces habitus que la foi vive fonde et soutient, de manière réelle et vitale, l ’oraison contem­plative, « préformation », « prodrome », « aube » de la vision béatifique. « Entre toutes les opérations, écrit le P. Rousselot, c’est la contemplation qui joint le mieux à Dieu: il faut donc la préférer à l ’action extérieure. C’est elle qui est la vie intense, étant la plus intime application au meilleur objet; la perfection sur terre consiste en ceci: ut mens actu feratur in Deum. On voit combien naturellement le « mysticisme » vient couronner 1'« in­tellectualisme », dont il est le développement et le fruit » (196). D'où cette formule lapidaire: « L ’intellectualisme fut pour [S. Thomas] vie intense, et le mysticisme, intellectualisme intégral » (223). Mens actu fertur in Deum 45.

64. - Sans prétendre trouver dans la Somme contre les Gen­tils (livre III , chap. 147, 150, 151, 152 et 153) la thèse que nous défendons, nous pensons néanmoins pouvoir en dégager les pierres d’attente.

L'intelligence et la volonté sont considérées de pair:

« Sub Deo autem, qui est primus intellectus et volens, ordinantur omnes intellectus et voluntates sicut instrumenta sub principali agente. Oportet igitur quod eorum operationes efficaciam non ha-

45 L’auteur rapporte en conclusion de son livre le mot de saint Thomas au frère Réginald: « Tout ce que j ’ai écrit me paraît comme de la paille » et le commente ainsi: « On peut, sans paradoxe aucun, voir encore dans ces paroles une exacte formule de son intellectualisme » (229).

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béant respectu ultimae perfectionis, quae est adeptio finalis bea- titudinis, nisi per virtutem divinam. Indiget igitur rationalis natura divino auxilio ad consequendum ultimum finem » (cap. 147).

Notre activité doit être proportionnée de manière efficace à l'obtention de notre fin dernière:

« Oportet igitur, ad hoc quod homo perducatur ad ultimum finem per proprias operationes, quod superaddatur ei aliqua forma, ex qua eius operationes efficaciam aliquam accipiant promerendi ultimum finem » (cap. 150).

La grâce sanctifiante nous donne d’aimer Dieu:

« Ex praemissis autem manifestum fit quod per auxilium gratiae di- vinae gratum facientis hoc homo consequitur quod Deum diligat [...] Igitur ex gratia gratum faciente hoc in homine sequitur quod Deum diligat» (cap. 151).

C’est alors que nous arrivons à cette affirmation capitale:

« Ex hoc autem quod divina gratia caritatem in nobis causât (cap. praec.) necessarium est quod etiam in nobis tides per gratiam cau- setur » (cap. 152).

L ’élévation surnaturelle de la volonté requiert, en effet, celle aussi de l ’intelligence Or, la fo i causée par la grâce n’est pas la foi morte, mais la fo i vivante, et c’est la conclusion sui­vante de saint Thomas qui nous paraît impliquer logiquement l ’affirmation d’une foi viva ab intrinseco, fruit de la grâce sanc­tifiante:

« [...] Concludi potest quod necessarium fuit fidem esse divinae gratiae efiectum in nobis. Hinc est quod Apostolus dicit, ad Ephesios, 2, 8: ’ Gratia salvati estìs per fidem. E t hoc non ex vobis: Dei enìm donum est ’ » (ib id . ) 47.

46 Saint T hom as y revient clairement: « Motus enim quo per gratiam in ultimum finem dirigimur, est voluntarius, non violentus, ut supra (cap. 148) ostensum est. Voluntarius autem motus in aliquid esse non potest nisi sit co- gnitum. Oportet igitur quod per gratiam in nobis cognitio ultimi finis praesti- tuatur ad hoc quod voluntarie dirigamur in ipsum. Haec autem cognitio non potest esse secundum apertam visionem in statu isto, ut supra (cap. 48, 52) ostensum est. Oportet igitur quod sit cognitio per fidem » (ibid.).

47 Peut-il s’agir là d’une foi qui ne recouvre exclusivement, comme foi, qu'un seul et même habitus, le sujet étant ou non en état de grâce? C’est sûrement la pensée de saint Thomas, à preuve encore ce texte-ci: « Tertio considerandum est quod idem numéro habitus fidei, qui sine charitate erat informis, adveniente charitate fit virtus, quia cum charitas sit extra essentiam fidei, per eius adven-

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66 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

65. - Saint Thomas écrit lumineusement au sujet de notre béatitude éternelle:

« Beatitudo orig ina liter et substantialiter consistit in actu intellectus; form a liter autem et com pletive in actu voluntatis, quia impossibile est ipsum actum voluntatis esse ultimum finem voluntatis » (Quodl. VIII, qu. 9, art. 1, c.).

Saint Thomas s’en explique ainsi davantage:

« Finis autem nostri desiderii Deus est; unde actus quo ei primo coniungimur, est orig ina liter et substantialiter nostra beatitudo.« Primo autem Deo coniungimur per actum intellectus; et ideo ipsa Dei visio, quae est actus intellectus, est substantialiter et orig ina liter nostra beatitudo.« Sed quia haec operatio perfectissima est, et convenientissimum obiectum; ideo consequitur maxima delectatio, quae quidem décorât operationem ipsam et perficit earn, sicut pulchritudo iuventutem, ut dicitur X Ethic, [cap. IV ], Unde ipsa delectatio quae voluntatis est, est fo rm a lite r complens beatitudinem. Et ita beatitudinis ultimae origo est in visione, com plem entum autem in fruitione » (ib id .).

Or, la fo i vive ontologique étant à la charité du viator ce que la lumière de gloire est à la charité du comprehensor, nous dirons que par elle notre intelligence est insérée originaliter et substantialiter dans le cycle trinitaire de connaissance et d’amour.

Il demeure donc parfaitement vrai d’affirmer avec saint Thomas que la charité est accidentelle à la fo i vraie concep­tuelle « quoad genus naturae », ne lui étant essentielle que « quoad speciem moris » lorsqu’elle l'informe et la vivifie, mais elle est essentielle à la foi vive, semence de lumière de gloire, non seulement « quoad speciem moris » mais encore « quoad genus naturae », en ce sens que, certes, réellement distinctes, l ’une et l ’autre demeurent cependant ici-bas absolument insépa­rables, tout comme le seront au ciel lumière de gloire et charité, et cela parce que les processions du Fils et du Saint-Esprit sont également distinctes et inséparables au sein de la Trinité.

En transposant le texte de saint Thomas, nous pourrons

turn et recessum non mutatur substantia eius » (Ad Romanos, cap. I, lect. VI, Ed. Cai-Marietti, Roma, 1953, p. 21, n. 107). Mais cette position ne nous paraît pas être dans la logique de la conclusion précitée de la Somme contre les Gen­tils, car l’habitus de foi produit, comme tel, par la grâce sanctifiante doit en être inséparable, ce qui est le cas de la foi viva ab intrinseco, mais non pas de la foi vraie conceptuelle car celle-ci peut être morte.

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affirmer de ¡ ’habitus de fo i viva ab intrinseco: « se habet sub- stantialiter et originaliter ad caritatem », et de la charité: « est formaliter complens beatitudinem nostram » dès maintenant déjà, pour autant que faire se peut:

« Fructus autem Spiritus est: caritas, gaudium, pax, patientia, be- nignitas, bonitas, longanimitas, mansuetudo, fides, modestia, conti- nentia, castitas. Adversus huiusmodi non est lex » (Gai., 5, 22-23).

3. - E spérance e t c h a r ité

Spirare - spirari

66. - La procession per modum amoris comporte deux actes notionnels corrélatifs, le spirare et le spirari.

67. - Le spirare est commun au Père et au Fils, il est l ’amour qu’ils ont l ’un pour l ’autre: le Père ne peut pas ne pas aimer son Fils et le Fils ne peut pas ne pas aimer son Père. Ils sont ainsi un dans l ’amour et bien qu’il soit la troisième relation subsistante de la Trinité, le spirare n ’en constitue pas pour au­tant la troisième Personne car il n’a rien qui le distingue ni du Père ni du Fils in oppositione relativa48. Il n ’y a qu’un seul spirator pour deux spirantes car le Père et le Fils s’aiment l ’un l ’autre d’un seul et même amour (spiratio activa) qui est l ’uni­que origine de la procession d’amour4Ç.

I l faut y insister: le Père et le Fils s’aiment Eux-mêmes et d’Eux-mêmes. Le Père ne peut pas ne pas aimer son Fils de tout son être de Père, de même que le Fils ne peut pas ne pas

« « Hae très personae sunt unus Deus, et non tres dii [...] omniaque sunt unum, ubi non obviât relationis oppositio » (Conc. Flor., D. Sch., 1330).

49 « Si attendatur virtus spirativa, Spiritus Sanctus procedit a Patre et Filio, in quantum sunt unum in virtute spirativa [...] Si vero considerentur supposita spirationis, sic Spiritus Sanctus procedit a Patre et Filio, ut sunt plures » (I, 36, 4, lm). Voir là dans le même sens ad 4m, ad 5m et ad 6m. — Rappelant la position de ceux qui affirment deux spiratores à cause de la di­stinction des personnes, et deux spirantes parce que les actes se réfèrent aux personnes (supposita), saint Thomas conclut: « Sed videtur melius dicendum quod, quia spirans adjectivum est, spirator vero substantivum, possum dicere quod Pater et Filius sunt duo spirantes propter pluritatem suppositorum, non autem duo spiratores propter unicam spirationem. Nam adjectiva nomina ha- bent numerum secundum supposita, substantiva vero a seipsis secundum for­mant significatami » (ad 7m).

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68 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

aimer le Père de tout son être de Fils. La procession de Sagesse est ainsi comme embrasée d’une relation d'amour (le spirare) qui en est inséparable.

68. - Origine de la procession d’amour, le spirare se distingue réellement du spirari, quatrième et dernière relation qui lui est corrélative et qui constitue la troisième Personne, — l ’Amour, comme l ’a si bien dénommée saint Augustin. Sans pour autant l ’engendrer, le Père et le Fils sont ainsi l'origine de la Personne qui peut, Seule, les aimer tous deux, ne faisant qu’Un, du seul amour dont Ils sont dignes: celui d’une Personne divine. Telle est la béatitude trinitaire à laquelle nous sommes invités à par­ticiper en fils adoptifs du Père50.

69. - Les deux actes notionnels qui constituent la procession d’amour, le spirare et le spirari, spécifient les deux vertus théo­logales qui se réfèrent à cette procession: l ’espérance et la cha­rité.

L ’espérance théologale nous donne d’atteindre le Père et le Fils en tant qu'ils s’aiment et sont la Source d’où jaillit l ’Esprit d'Amour: participant ainsi au spirare Spiritum Sanctum, c ’est par Eux, avec Eux et en Eux, que nous aimons le Saint-Esprit.

La charité théologale nous donne de participer au spirari qui est l'acte naturel de l ’Esprit d’Amour, et d ’aimer ainsi le Père et le Fils par, avec et en Celui qui les aime infiniment.

70. - Seuls, le Père et le Fils peuvent nous conférer la no­blesse de fils adoptifs participant au generari soit dans l ’obscu­rité de la foi vivante, soit dans la splendeur de la vision du Verbe et en Lui de celle du Père ( Jo., 14, 9). Seuls donc peuvent-ils nous donner en conséquence d’aimer l ’Esprit-Saint de l'amour qui est l'origine de sa procession. Ainsi, mais ainsi seulement,

50 C’est bien à tort que l’on serait tenté de voir l’échange d'amour divin le plus foncier en celui de Dieu et de l’Homo assumptus. (Voir nos articles Dieu de colère ou Dieu d’amour in Études Carmélitaines, vol. Amour et violence, 1946 (p. 123, Note sur le thomisme et le scotisme), — Du Coeur du Christ à l ’Esprit d'Amour, in Études Carmélitaines, vol. Le Coeur, 1950, pp. 379-389 et A propos de la conscience du Christ..., in Ephemerides Carmeliticae 11 [1960] 3-52). Il ne faut pas oublier que, bien compris, le Christo-centrisme est Verbo-centrisme, au niveau trinitaire. C’est dans les perspectives de l'humaine volonté de Jésus embrasée de charité par la spiration de l’Esprit d’Amour que s’éclaire le plus profondément le culte de son Coeur. « C'est un culte théologal, c’est un culte trinitaire » (art. cit. in Ét. Carm., 1950, 385).

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 69

sommes-nous à même de pouvoir participer au spirari dans la charité qui marque, elle, le couronnement et l'épanouissement de notre vie trinitaire.

Espérance

71. - Qu’il soit bien entendu que nous n’entendons modifier en rien la théologie morale traditionnelle de l ’espérance théolo­gale. Saint Thomas en a admirablement écrit dans la II-II, qu. 17-22 et on ne saurait trop y revenir. Il est le docteur spéculativo- pratique de l ’enseignement rendu accessible aux plus humbles, et héroïquement vécu par sainte Thérèse de l'E.-J.S1.

Ce que nous avançons, nous le proposons par manière d’ad­dition, ou mieux, d’évolution que nous pensons homogène et donc valable dans les perspectives d’une théologie spéculative trinitaire.

72. - Ce qui a été dit du rapport de la fo i vraie à la fo i vivenous permet de résumer facilement, par analogie, notre dogma­tique de l ’espérance.

a) L'espérance peut être soit morte, soit vivante. Au niveau conceptuel et psychologique son objet formel demeure toujours le même: Deus auxilians, mais il y a ou non espérance vivante et vertu au sens plénier du terme selon qu'il y a ou non infor­mation par la charité. La spes viva est liée d’évidence à la cha­rité, et cela de manière indissoluble. Dans la mesure même où l ’on se confie vraiment et pleinement, de tout coeur, on ne peut le faire qu’en aimant: la confiance est une forme de l'amouret quand on ne possède pas encore pleinement ce qu’on aime,la confiance prend le nom d'espérance.

si Tout se passe comme si la Sainte avait lu et médité la Somme théologique et pourtant il n'en est rien, mais, sous l’inspiration du Saint-Esprit dans la fidélité au Magistère de l’Eglise, la méditation de l’Écriture suffit à rendre compte de cette consonance admirable dans la ligne de prédestinations excep­tionnelles.

Signalons entre autres ouvrages récents La Speranza, impegno di Dio, im­pegno dell’uomo, AA. VV., Coll. « Fiamma viva », Pontificio Istituto di Spiritua­lità, Ed. del Teresianum, Roma, 1972, p. 205.

Vaut d’être encore particulièrement recommandé Louis L iagre, c . s. sp., Retraite avec Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, Ed. Annales de Ste Thérèse de Lisieux, réédition de 1953, 125 pages, et d’un point de vue qui est trop souvent laissé dans l’ombre rappelons notre opuscule La doctrine de Sainte Thérèse de l ’Enfant-Jésus sur le purgatoire, Ed. de la Librairie du Carmel, 27, rue Madame, Paris (VI), 1950, 46 pages.

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70 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

b) Au titre de leur constitutif intrinsèque, « quoad genus naturae » l ’habitus de fo i viva ab intrinseco (participation du generari) et celui d’espérance viva ab intrinseco (participation du spirare) ont ceci de commun qu’ils sont l ’un et l ’autre réel­lement distincts de la charité (participation du spirari), mais ceci de différent que la fides viva demeure de l ’ordre de l ’intel­ligence tandis que la spes viva est, elle aussi, comme la charité, de l ’ordre de la volonté, encore que ce soit à un titre différent puisque l ’une et l'autre se réfèrent respectivement aux deux actes notionnels de la procession d’amour en la Trinité.

c) Au plan de l'analyse intellectuelle, l ’habitus trinitaire de la spes viva est à celui de l ’espérance « conceptuelle », vivante ou non, — ce que celui de la fides viva ab intrinseco est à celui de la fo i vraie « conceptuelle », vivante ou non. I l y a, de ce point de vue, parfaite similitude. Foi et espérance « mortes » ne sont que « conceptuelles ».

d) Lorsque le sujet entre en possession de la vision béati- fique, l'espérance, comme telle, disparaît. Voyons-le d’abord au plan « conceptuel ». Le P. Le T illy l'a fort bien noté: « Si déjà l ’amour se prête beaucoup moins à l'analyse que la connaissance, l ’intelligence ayant sur elle-même des évidences et des intuitions plus directes que sur le sentiment, et le langage humain étant plutôt intellectuel qu’affectif, l ’espérance exagère encore la dif­ficulté des analyses et de leur expression par suite de son ca­ractère d’extrême mobilité: elle est par nature une tendance, qui n’a d’autre réalité que d’être un mouvement vers la recherche d’un bien dont la possession fera disparaître la tendance à la poursuivre » 52. Cela s’applique donc à la vertu d’espérance. Dans la réciprocité de l ’amour inter-personnel la confiance en l ’amour de l ’autre est, de part et d’autre, une composante, une garantie, de l'amour. Les époux s’aiment ainsi dans la confiance récipro­que sans laquelle il n'y aurait pas de véritable amour. La con­fiance-attente est une espérance, la confiance-possession est le repos terminal, — l'une et l ’autre étant amour.

e) Lorsque le sujet entre en possession de la vision béati- fique, l ’habitus trinitaire de la spes viva connaît aussi sa muta­tion: il cesse de pouvoir être dénommé espérance, car nous cessons alors « d’attendre », caractéristique essentielle de l ’espé­

52 Préface à l ’Espérance, éd. bilingue de la Somme théologique, Revue des Jeunes, Desclée, Paris-Tournai, 1925, pp. 5-6.

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 71

rance, et car nous cessons aussi de croître en amour, mais l ’ha- bitus ne cesse pas pour autant d’être participation du spirare, en quoi consistait déjà le constitutif le plus profond de l ’espé­rance théologale: cette participation revêt même une chaleur toute nouvelle, en raison même de la vision béatihque, comme saint Thomas l ’explique fort bien pour la charité, ainsi que nous le rappellerons ci-dessous (n. 75, b). C’est le repos, la pos­session glorieuse. C’est parce que l ’élu est ainsi associé au spi­rare dans la plénitude du degré de sa prédestination qu'il peut en conséquence aimer le Père et le Fils dans la charité de l'Esprit-Saint selon cette même plénitude ( spirari).

En bref, selon notre optique, disparaît de l ’espérance, au soir de cette vie, tout ce qui en disparaissait dans la théologie traditionnelle, tandis qu'en demeure, dans la plénitude de la fin possédée, ce que nous croyons pouvoir et devoir en affirmer de nouveau au plan trinitaire, à la lumière de la révélation con­cernant notre filiation adoptive et la procession d’amour.

73. - L'épître aux Hébreux ne nous donne-t-elle pas la clef de la vertu d'espérance? L'auteur inspiré écrit en effet:

« [...] confugimus ad tenendam propositam spem, quam sicut an- choram habemus animae tutam ac firmam, et incedentem usque ad interiora velaminis. Ubi praeoursor pro nobis introivit üesus, secun- dum ordinem Melchisedech pontifex factus in aeternum » (H eb., 6. 18-20).

Or, quel est le sanctuaire où Jésus est entré pour nous comme précurseur? Saint Jean est très clair à ce propos. Sans pour autant Le quitter (Jo., 14, 10), le Fils est venu du Père et est retourné au Père: ce sanctuaire est le sein du Père:

« Deum nemo vidit unquam: unigenitus Filius qui est in sinu Patris, ipse enarravit » (Jo., 1, 18).« Exivi a Pâtre et veni in mundum; iterum relinquo mundum et vado ad Patrem » (Jo., 16, 28).« Ego in eis, et tu in me: ut sint consummati in unum: et cognoscat mundus, quia tu me misisti, et dilexisti eos, sicut et me dilexisti. Pater, quos dedisti mihi, volo ut ubi sum ego, et illi sint mecum, ut videant claritatem meam, quam dedisti mihi: quia dilexisti me ante constitutionem m undi» (Jo., 17, 23-24).

Et voici les versets qui nous livrent le secret d’amour de la vertu d'espérance au niveaau trinitaire:

« [...] Dilexisti eos sicut et me dilexisti » (Jo., 17, 23).

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72 PHILIPPE DE LA TRINITÉ

« [...] Ut dilectio, qua dilexisti me, in ipsis sit et ego in ipsis » (Jo., 17, 26).« Ut omnes unum sint, sicut tu, Pater, 'in me et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint» (Jo., 17, 21).

Le Père nous aime parce que nous aimons son Fils: « Ipse Pater amat vos, quia vos me amastis » (Jo., 16, 27) et ce mystère d’amour tire son origine de la bienveillance du Père: « Nemo potest venire ad me nisi Pater qui misit me traxerit eum » (Jo., 6, 44).

L ’espérance théologale ne pouvait donc être mieux com­parée qu’à l ’ancre nous rattachant solidement au commun amour du Père et du Fils, in sinu Patris, sanctuaire de la Trinité. Notre espérance théologale est le don spécifique du Père et du Fils, reposant sur l ’Un et l ’Autre.

Charité

74. - Notre amour pour Dieu est une réponse à son amour. Le disciple bien-aimé l ’a écrit:

« In hoc est cari tas, non quasi nos dilexerimus Deum, sed quoniam ipse prior dilexit nos, et misit Filium suum propitiationem pro pec- catis nostris » (1 Jo., 4, 10).« Nos ergo diligamus Deum, quoniam Deus prior dilexit nos » (ibid., 4, 19).

Saint Thomas a bien traduit ces vérités en langage spé­culatif:

« Gratia enim gratum faciens est in homine divinae dilectionis ef- fectus. Proprius autem divinae dilectionis effectus in homine esse videtur quod Deum diligat. Hoc enim est praeoipuum in intentione diligentis, ut a dilecto reametur: ad hoc enim praecipue studium diligentis tendit, ut ad sui amorem dilectum attrahat; et nisi hoc ac- cidat, oportet dilectionem dissolvi » {Summa Contra Gentiles, III, 151).

Ce qui concerne la charité théologale en sa profondeur tri- nitaire a déjà été dit: à la participation du spirare correspond celle du spirari, acte notionnel de l ’Esprit d’Amour, — le Père et le Fils ont toutes les initiatives à notre égard et nous donnent en conséquence de pouvoir Les aimer tous deux par, avec et dans l ’Esprit Saint.

Le Christ-Jésus l ’a Lui-même très clairement affirmé:

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RÉFLEXIONS DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE - IV 73

« Et ego rogabo Patrem et alium Paraclitum dabit vobis, ut maneat vobiscum in aetemum, Spiritum veritatis, quem mundus non potest accipere, quia non videt eum, nec scit eum: vos autem cognoscetis eum, quia apud vos manebit, et in vobis erit » (Jo., 14, 16-17).

Saint Paul met explicitement nos coeurs en rapport avec le Saint-Esprit par la charité: « Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis » {Rom., 5, 5).

75. - La théologie de l ’exercice de la charité n’est plus à faire: amour de Dieu (v ie de prière, - liturgie, contemplation) et amour du prochain. Tous les saints l ’ont vécue53.

Arrêtons-nous à quelques points.

a) A la différence de la fo i et de l'espérance, il ne saurait y avoir de charité théologale morte (I I- II , 24, 12, c. et 4m). On peut, certes, faire des actes de bonté en état de péché mortel, mais c’est alors sans mérite aucun pour l'accroissement du Corps du Christ, car c’est sans charité: « Si distribuero in cibos pauperum omnes facultates meas [...], caritatem autem non ha- buero, nihil sum » (1 Cor., 13, 3).

Vivifiées par la charité, les bonnes oeuvres visibles et tan­gibles en sont cependant l ’aspect humain et doivent témoigner de notre fo i vivante et de la vérité de notre amour pour Dieu:

« Nam in Christo Iesu neque circumoisio aliquid valet neque prae- putium, sed fides, quae per caritatem operatur » (Gai., 5, 6).« Per caritatem Spiritus servite invicem » (ib id ., 13).« Si autem frater et soror nudi sint, et indigeant victu quotidiano,

53 Mentionnons entre autres Gérard G il l e m a n , s. j., Le primat de la charité en théologie morale, Muséum lessianum, section théologique, n. 50, Desclée de Brouwer, Paris, 1952, p. VIII-341, A. R oyo-M ar in , Teología de la perfección cri­stiana, B. A. C., Madrid, 1955 p. XL-903 et du même auteur Teología de la caridad,B. A. C., Madrid, 1960, p. XII-686. Voir aussi La carità, dinamismo di comunione nella Chiesa, AA. VV. Coll. « Fiamma viva », Pontificio Istituto di Spiritualité, Ed. del Teresianum, Roma, 1971, 189 pages.

Les pages que sainte Thérèse de l’E.-J. a consacrées à la pratique de l’amour fraternel comptent, d’évidence, parmi les plus belles de l’anthologie chrétienne sur ce sujet. — Les vertus théologales se tiennent de manière indissoluble et on ne peut, certes, exceller en une sans exceller en les autres, mais avec éven­tuellement l’une ou l’autre dominante psychologique et sous cet angle-là « je pressens comme une affinité particulière entre la foi et saint Jean de la Croix (todo, nada, le tout et le rien) l’espérance et sainte Thérèse de l’Enfant- Jésus (confiance en l’amour miséricordieux), et la charité et sainte Thérèse de Jésus: Dédit ei Dominus latitudinem cor dis quasi arenam quae est in lit tore maris. Contemplative et fondatrice de nombreux monastères, son coeur était brûlant de charité théologale, amour de Dieu et des âmes » (Le doctorat de sainte Thérèse d’Avila, in La Pensée Catholique, n. 129, 1970, p. 48).

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dicat autem aliquis ex vobis illis: Ite in pace, calefacimini et saturamini, non dederitis autem eis quae necessaria sunt corpori, quid proderit? Sic et fides, si non habeat opera, mortua est in semetipsa » {lac., 2, 15-17).

b) Nous sommes sur la terre pour croître en charité et, comme l ’écrit saint Jean de la Croix: « A la fin du jour, c’est sur l ’amour qu’on vous examinera. Apprenez donc à aimer Dieu comme il désire l'être et laissez là ce que vous êtes » 54. La cha­rité du ciel demeure fixée pour toujours au degré de celle que possédait le sujet au moment de sa mort.

Passée du chemin au terme, cette vertu théologale conserve encore son beau nom de charité car celui-ci n'implique aucune imperfection, mais, cela dit, la charité connaît elle aussi, en un sens, sa métamorphose à cause de la vision béatifique: son état n’est plus celui de la terre, sa splendeur en est tout autre. Au ciel, analogiquement, notre corps ressuscité sera essentiellement corps, mais dans un état de transfiguration glorieuse que nous ne pouvons guère imaginer (1 Cor., 15, 35-49).

« [...] Quantumcumque enim cognitio cognoscentis Deum per simi- litudinem proficiat, nunquam potest adaequari cognitioni eomprehen- soris qui videi Deum per essentiam.« Et similiter caritas viatoris non potest adaequari caritati compre- hensoris: aliter enim aliquis affici tur ad praesentia, et aliter ad ab- sentia » {de Ventate, 29, 3, 5m).On relira ici avec fruit I-II, 67, 6, Utrum remaneat charitas post hanc vitam in gloria. - « Charitas autem est amor, de cuius ratione non est aliqua imperfectio: potest enim esse habiti, et non habiti, et visi, et non visi; unde charitas non evacuatur per gloriae perfectio- nem, sed eadem numero manet » (c.). « Imperfectio charitatis [in hac vita] per accidens se habet ad ipsam [...] unde, evacuata imper- fectione charitatis, non evacuatur ipsa charitas» (lm ). - «Charitas viae per augmentum non potest pervenire ad aequalitatem charitatis patriae, propter differentiam quae est ex parte causae: visio enim est quaedam causa arnoris [...]: Deus autem quanto perfectius cogno- scitur, tanto perfectius amatur » (3m).

La charité du ciel ne peut pas ne pas être participation « sentie » au bonheur de Dieu « dont la joie ( gaudium ) est infi­nie » (II- II , 28, 3), ce qui n ’est évident pas le cas sur la terre. « Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit quae praeparavit Deus iis qui diligunt ilium » (1 Cor., 2, 9).

54 Maxime 80, p. 983 du volume Jean de la Croix, oeuvres complètes, version Cyprien-Lucien, Desclée de Brouwer, Paris, 4ème éd., 1967, p. XVI-1245. — Ceux qui vont en purgatoire n’y croissent plus dans l’amour.

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4. - D o c tr in e de s a in t Jean de l a Cro ix

76. - Un livre pourrait être écrit pour montrer comment la doctrine du Docteur mystique illustre et fonde à la fois les thèses de théologie spéculative que nous avons tenté d’exposer. Ce n'est évidemment pas par hasard car il va de soi que les textes du Saint n'ont pas été étrangers à leur élaboration.

Nous nous contenterons ici de quelque citations55.

77. - La fo i vivante. - L'illustration conceptuelle des vérités de la foi est fort peu de chose en comparaison de la lumière de l ’obscurité de la foi, — comme le plus vil métal par rapport à l ’or fin:

« Et quoiqu’il communique à l’âme quelque lumière en cette illu­stration de vérités, néanmoins, elle est aussi différente - quant àla qualité - de celle qui est en foi, sans entendre clairement, qu’il y en a à dire de l’or fin au plus vil métal; et quant à la quantité, il y a autant à dire que d ’une goutte d’eau à toute la mer. Parce qu’en l’une on lui communique la sagesse d’une ou deux ou trois vérités, etc., et en l’autre, toute la Sagesse de Dieu généralement, qui est le Fils de Dieu qui se communique à l ’âme en foi » (M ontée, livre II, 29, 239).

Les énoncés conceptuels sont à la vie de foi comme des la­melles d’argent comparées à l'or qu’elles recouvrent:

« Les propositions et les articles que nous propose la foi, elle les ap­pelle m iro ir de tes eaux argentées. Or, pour l’intelligence de ceci et des autres vers, il faut remarquer que la foi est comparée à l’argent

55 Nous donnons le texte de la version C yprien -Lu c ie n . éd. citée - Les In ­troductions du P. Lucien que contient ce beau volume demeurent d’un très grand prix. Signalons La comunione con Dio secondo San Giovanni délia Croce, AA. VV., Coll. « Fiamma viva », Ed. del Teresianum, Roma, 1968, p. 236.

Il y aurait également à rapporter ici tant de textes splendides de sainte Thérèse d’Avila que ses amis connaissent bien. Rappelons M arie-E ugène de I ’E n - fant-Jésu s , Je veux voir Dieu, Éd. du Castelet, Tarascon, 3ème éd., 1963, p. 1150 et Santa Teresa maestra d’orazione, AA. W ., Coll. «Fiamma viva», Éd. del Te­resianum, 1963, p. 276, ainsi qu’Emmanuel R enault , Sainte Thérèse d’Avila et l ’expérience mystique, Coll. Maîtres spirituels, Ed. du Seuil, Paris, 1970, p. 190.

Le P. R ousselot affirme de « la contemplation obscure infuse, proprement mystique » qu’elle a trouvé « ses docteurs classiques dans les grands saints du Carmel » (op. cit., 197, note 1). — «Ce n’est pas précisément comme avant-goût du Ciel que la contemplation est bonne et désidérable, c’est comme préparation au Ciel, écrit-il, et pour la mettre ici-bas au premier rang, il a fallu ce prin­cipe réflexe qu’entre tous les moyens qui rendent capables d'une fin, il n’en est point en soi de plus efficace que celui qui est l’image de cette fin même » (199).

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en les propositions qu’elles nous enseigne, et que les vérités et la substance qu’elle contient en soi sont comparées à l’or; parce que cette même substance que nous croyons maintenant, vêtue et cou­verte avec l’argent de la 'foi, nous devons la voir et en jouir à dé­couvert en l’autre vie, l’or de la foi étant désormais à nu » (Cantique, XII, vers 2, 577).

On n'oubliera pas la comparaison des vases des soldats de Gédéon: « Tous les soldats avaient des lumières dans les mains et ne les voyaient pas, parce qu'elles étaient cachées dans les ténèbres des vases, lesquels étant rompus, la lumière parut aussitôt.

« De même la foi, qui est figurée par ces vases, contient en soi la lumière divine; laquelle foi étant achevée et cassée par la rupture et fin de cette vie mortelle, à l ’instant paraîtra la gloire et la lumière de la divinité qu’elle contenait en soi » (M ontée, II, 9, l'50).

La foi est le principe et le fondement des autres vertus:

« Et pour acquérir la grâce et l ’union de l’Aimé, l ’âme ne peut pren­dre de meilleure tunique et chemise intérieure, pour fondement et principe des autres vêtements de vertus, que cette blancheur de foi, parce que sans elle, comme dit l'Apôtre, il est im possible de pla ire à D ieu; et avec elle, il est impossible de ne pas lui plaire, puisque lui-même dit par un prophète: « Je t’épouserai en fo i » [Os 2, 20], comme qui dirait: Si tu veux, ô âme, t’unir avec moi et m'épouser, tu dois venir intérieurement revêtue de fo i» (N u it, livre II, 21, 481).

Le Saint va prouver « que la fo i est le moyen le plus proche et le plus proportionné à l ’entendement, afin que l ’âme puisse parvenir à l ’union d’amour d ivin:

« Nous déduisons de ce qui a été dit, qu’afin que l'entendement soit disposé à cette union divine, il faut qu’il demeure net et vide de tout ce qui peut tomber dans le sens, et dénué et désoccupé de tout ce qu’il peut lui-même clairement entendre; de sorte qu’il demeure intimement en repos et accoisé, établi en la foi, laquelle seule est le plus proche et le proportionné moyen d’unir l'âme à Dieu [...].« Et ainsi, par ce seul moyen Dieu se manifeste à l ’âme en lumière divine, qui surpasse tout entendement. C ’est pourquoi, tant plus l ’âme a de foi, tant plus elle est unie à Dieu » (M ontée, livre II, 9, 149).

Plus l ’âme a de foi, plus elle est unie à Dieu en charité:

« Et parce que l’entendement ne peut trouver un plus grand recueil­lement qu’en la foi, le Saint Esprit ne l’illuminera pas en autre chose davantage qu’en foi. Parce que, tant plus l ’âme est pure et éminente en foi, tant plus elle a la charité de Dieu infuse; et tant plus elle a

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de charité, tant plus il l'éclaire et lui communique les dons du Saint Esprit, parce que la charité est la cause et le moyen par où ils se communiquent à elle » ( Montée , livre II, 29, 239).

L'âme appelle la fo i fontaine;

«E t elle l’appelle fontaine parce que d ’elle découlent à l’âme les eaux de tous les biens spirituels. D ’où vient que Notre Seigneur par­lant à la Samaritaine, appela la foi du nom de fontaine, disant qu’en ceux qui croiraient en lui il se ferait une fontaine dont l ’eau ira it saillant jusqu’à la vie éternelle [Jn 4, 14] ; et cette eau est l ’E sprit que les croyants devaient recevoir en leur foi [Jn 7, 38-39] » (Cantique, XII, vers 2, 576-577).

La foi est ici-bas l ’analogue de la lumière de gloire au ciel:

« Parce que c’est là que tend et s’adresse ma plume - qui est à la divine conjonction et union de l’âme avec la substance divine - ce qui sera quand nous traiterons de l'intelligence mystique et con­fuse et obscure, que nous remettons au lieu où nous dirons comment, moyennant cette notice amoureuse et obscure, Dieu s’unit avec l’âme en un degré sublime et divin; parce qu’en quelque manière, cette notice obscure amoureuse, qui est la foi, sert en cette vie pour l’union divine, comme la lumière de gloire sert en l’autre de moyen pour la claire vision de D ieu» {M ontée, liv re II, 24, 221).« C’est un grand contentement et une grande satisfaction pour l ’âme de voir qu’elle donne à Dieu plus qu’elle n’est en soi et plus qu’elle ne vaut, avec la même lum ière et la même chaleur divines que Dieu lui donne; ce qui se fait en l'autre vie par le moyen de la lumière de gloire, et en celle-ci par le moyen de la foi très illuminée. C'est de cette façon que les profondes cavernes du sens donnent chaleur et lum ière tout ensemble à leur Bien-Aimé, avec des excellences étranges. Elle dit tout ensemble, parce que la communication du Père et du Fils et du Saint Esprit est faite ensemble à l ’âme, et qu’ils sont lu­mière et feu d’amour en elle » ( Vive Flam m e d ’amour, (III, vers 6, 801).

78. - L ’espérance. - « Sur cette chemise [blanche] de la foi, l ’âme aussitôt met la seconde couleur, qui est un pourpoint vert

«p a r lequel est signifiée (comme nous l ’avons dit) la vertu d'espé­rance avec laquelle l’âme premièrement se délivre et se défend du second ennemi, qui est le monde. Parce que cette verdure de vive espérance en Dieu donne à l’âme une telle vivacité, animosité et élèvement aux choses de la vie éternelle, qu’en comparaison de ce qu’elle espère là, tout le monde — comme il est en effet - lui semble sec, flétri, mort et de nulle valeur» {N u it, livre II, 21, 482).« Pour cela, cette livrée de vert (parce qu’elle regarde toujours Dieu et ne met les yeux en autre chose et ne se contente que de lui seul) est si agréable à l ’Aimé, qu’il est vrai de dire que l'âme obtient au­tant de lui qu'elle espère de lui » ( ib id., 483).

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79. - La charité.

O flamme vive d'amour Qui navres avec tendresse De mon âme le centre le plus profond...

« Cette flamme d'am our est l’Esprit de son Époux, qui n'est autre que le Saint Esprit, lequel l ’âme sent désormais en soi non seule­ment comme un feu qui la tient consommée et transformée en suave amour, mais aussi comme un feu qui, en outre, brûle en elle et jette flamme, ainsi que j ’ai dit; et chaque fois que cette flamme flamboie, elle baigne l'âme en gloire et la rafraîchit avec la trempe d'une vie divine. Et telle est l ’opération du Saint Esprit en l’âme transformée en amour » (V iv e Flamme, I, vers 1, 719-720).« En cette flamme, les actes de la volonté ravie et absorbée en la flamme du Saint Esprit s’unissent et montent, comme l ’ange qui montait à Dieu dans la flamme du sacrifice de Manué [Jg 13, 20], Et ainsi, en cet état l ’âme ne peut exercer d'actes. C’est le Saint Esprit qui les fait tous et y meut l’âme » ( ib id., 720).

80. - Vie théologale, vie trin ita ireS6. « L ’âme éprise de l ’amour du Verbe Fils de Dieu son Époux,

désirant de s’unir à lui par une vision claire et essentielle, pro­pose ses angoisses d’amour » ( Cantique, I, vers 1, 537).

« O Verbe, mon Époux, montrez-moi le lieu où vous êtes caché; en quoi elle lui demande la manifestation de sa divine essence, parce que le lieu où est caché le Fils de Dieu est (comme le dit saint Jean [1, 18]) le sein du Père, qui est l ’essence divine, laquelle est éloignée et cachée aux yeux des mortels et à tout entendement; ce qu’Isaïe a voulu dire par ces paroles: Véritablem ent vous êtes un D ieu caché [Is 45, 15] » (ib id .).

L ’âme désire la vision béatifique qui, seule, pourra la combler:

« C ’est ce que l ’Épouse a voulu dire en les Cantiques, lorsque, dé­sirant l'union et le jonction de la divinité du Verbe son Époux, elle la demanda au Père disant: Ind ica m ih i ubi pascas, ubi cubes in m e­ndie ( [;C t 1, 6], ce qui signifie: Enseigriez-moi où vous paissez et où vous reposez sur le midi. Parce que lui demander où il paissait, c’était le prier qu’il lui montrât l ’essence du Verbe divin, parce que le Père ne se glorifie ni se repaît en autre chose qu’en le Verbe son Fils uni­

56 L’une des plus grandes gloires du Carmel est Soeur E lisabeth de la T r in it é , Souvenirs, Ed. Saint-Paul, Paris, 1956, pp. XLIII-427 et Réflexions et pensées sous forme de retraite, Carmel de Dijon, 1968, pp. 84. — Mentionnons l’article du P. P h il ip o n , Elisabeth de la Trinité, dans le Dictionnaire de Spiritualité, tome IV, col. 590-594.

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que; et en le priant de lui montrer où il se couchait au midi, c’était lui demander la même chose, car le Père ne repose et n’est contenu en autre lieu qu’en son Fils, dans lequel il se repose, lui communi­quant toute son essence au midi, qui est en l'éternité où il l ’engendre toujours » (ibid., 538-539).

Il faut relire là en entier le commentaire du Docteur sur la XXXIX strophe du Cantique. Soulignons seulement les affir­mations décisives que voici;

« [Le Saint Esprit], par une manière d’aspirer par cette sienne aspiration divine, élève hautement l’âme et l ’informe afin qu’elle aspire en Dieu la même aspiration d’amour que le Père aspire au Fils et le Fils au Père, qui est le Saint Esprit même, lequel ils aspi­rent en elle ladite transformation. Car ce ne serait pas une véritable transformation, si l ’âme ne s’unissait et ne se transformait aussi au Saint Esprit, comme aux deux autres Personnes divines (bien que non pas en un degré manifeste et évident, à cause de la bassesse et de la condition de cette v ie )» (vers 1, 680).« L'âme unie et transformée en Dieu aspire en Dieu à Dieu la même aspiration divine que Dieu, étant en elle, aspire en soi-même à elle - ce que saint Paul, selon que je le comprends, a voulu signifier lorsqu’il dit: Quoniam autem estis filii Dei, m isit Deus Sp iritum F ilii sui in corda vestra clam antem : Abba, Pater, [Ga 4, 6], c’est à savoir: Or, pour autant que vous êtes enfants de Dieu, D ieu a envoyé l ’E sprit de son Fils en vos coeurs, criant au Père en sa prière, ce qui arrive en les personnes parfaites de la manière susdite» (ib id ., 680-681).« Et il n’y a pas de quoi s’émerveiller que l’âme puisse une chose si haute, car supposé que Dieu lui fasse cette grâce que d’arriver à être déiforme et unie en la très sainte Trinité, en quoi elle devient Dieu par participation, pourquoi est-il incroyable qu’elle opère son oeuvre d’entendement, de connaissance et d’amour en la Trinité, conjointement avec la Trinité, comme la Trinité même, toutefois par une manière participée, Dieu opérant cela en elle?» (ibid., 681).« [...] Ce qui est pour l ’âme participer à Dieu en opérant en lui et en sa compagnie l'oeuvre de la sainte Trinité, en la façon que nous avons dite, à cause de l’union substantielle entre l’âme et Dieu » (ibid., 682).

La Vive Flamme d’amour redonne le même enseignement:

« Et comme en ce présent que l’âme fait à Dieu, elle lui donne le Saint Esprit comme une chose sienne et avec une volontaire remise, ann qu’il s’aime en lui ainsi qu’il le mérite, elle reçoit un contente­ment et une jouissance inestimables, parce qu’elle voit qu’elle donne à Dieu une chose qui est à elle en propriété et qui ■toutefois est pro­portionnée à l’être infini de Dieu [...]« Et ainsi, il se fait entre Dieu et l ’âme un amour réciproque qui s’établit en conformité d'union et de don de mariage, en lequel tous deux assemblés possèdent les biens l’un de l ’autre, qui consistent en la divine essence, chacun d'eux les possédant librement, à cause du don volontaire qu’ils en ont fait l’un à l’autre, disant l'un à l'autre

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ce que le Fils de Dieu disait à son Père en saint Jean [17, 10]: Omnia mea tua sunt, et tua mea sunt, et clarificatus sum in eis » (Strophe 3, vers 5 et 6, 800-801).

Le Chanoine Catherinet l ’a justement écrit: « Ce que les âmes de fo i possèdent réellement mais inconsciemment et sans jouissance, ce que les Saints au ciel contemplent en pleine clarté béatifiante, les âmes mystiques l ’entrevoient et le savourent dans une anticipation qui est encore la fo i obscure, mais que percent déjà quelques rayons lumineux et chauds de l ’aurore du plein jour qui approche » 57.

81. - I l est, pour nous, bien évident que la théologie spécu­lative traditionnelle des vertus théologales doit être dépassée pour pouvoir nous permettre de reconnaître la portée dogmati­que des affirmations les plus audacieuses de saint Jean de la Croix, Docteur de l ’Église. Ses écrits ne relèvent pas seulement d’un genre littéraire poëtico-mystique: ils ont aussi valeur spé­culative et surpassent ainsi, à leur manière, l ’enseignement doc­trinal de saint Thomas d'Aquin en ce qui concerne notre parti­cipation de grâce à la vie trinitaire.

82. - C’est dans la vie d'oraison que saint Jean de la Croix a puisé son savoir. Qu’il soit un éminent praticien de la contem­plation, c’est bien sûr, et Jacques Mari tain a publié sous ce titre une fort belle étude58, mais nous ne faisons pas nôtre cepen­dant, sans réserve aucune, le parallèle qu'il établit entre « le

57 Chronique de théologie ascétique et mystique, § II, — Autour de saint Jean de la Croix, in L ’Ami du Clergé, 12 mai 1932, p. 298: « Ce que la foi révèle à tous les chrétiens, ce que la théologie cherche à expliquer aux doctes, le Docteur mystique l’a expérimenté dans sa propre vie spirituelle » (299). « Les formules de S. Jean de la Croix se trouvent pleinement justifiées si on les applique à l’âme du Verbe incarné. Mais du même coup elles apparaissent également justi­fiées, toutes proportions gardées, si on les applique aux âmes saintes » (298).

Du même auteur: La Sainte Trinité et notre filiation adoptive in La Vie Spi­rituelle 39 [1934] n. 176, pp. 113-128. « Nous participons dans le Fils au mouvement d'amour envers le Père par lequel le Fils concourt à produire le Saint-Esprit » (art. cit., 125, souligné par l ’A. qui cite ensuite le Cantique Spirituel, strophe 39 et renvoie à la Vive Flamme, strophe 3, vers 5 et 6).

Se reporter à Dom Germain L eblond, o . s . b.. Fils de Lumière, préface du R. P. Louis B ouyer de l’Oratoire, Presses monastiques, Abbaye Ste-Marie de La Pierre-qui-Vire, 1961, chap. III, Rôle du don de sagesse, pp. 167-197 et à Federico R u i z -Salvador, o. c . d.. Introducción a San Juan de la Cruz, déjà cité, Cap. 22. — En el mas profundo centro, 2. - Convivencia trinitaria, pp. 645-650 et 3. - Momen­tos culminantes, pp. 650-656.

s Études Carmélitaines, vol. d’avril 1931, pp. 62-109.

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Docteur de la Lumière et le Docteur de la Nuit » (art. cit., 62) de la manière que voici:

« A côté de ce savoir communicable, qui a lieu par les idées, il y a, écrit l’auteur, un autre savoir, qui porte sur le concret comme tel et qui a lieu par voie expérimentale: un savoir incommunicable [...] Lorsqu’un tel savoir porte sur Dieu, c’est la contemplation infuse [...] » (62-63).« Saint Jean de la Croix est le grand Docteur de ce suprême savoir incommunicable, comme saint Thomas d’Aquin est le grand Docteur du suprême savoir communicable » (63).

La grandeur et la gloire de saint Jean de la Croix tiennent en réalité, très objectivement, à l ’un comme à l'autre de ces deux savoirs suprêmes.

Jacques Maritain écrit encore: « Cette science pratique de la contemplation est celle où Jean de la Croix est maître » (69). Il y est maître, certes, mais son magistère transcende ce savoir pratique59.

C o n c l u s io n

83. - L ’excellent article documentaire, consacré par le P. Ro­berto Moretti à l ’Inhabitation dans le Dictionnaire de Spiritua­lité débute ainsi et c’est fort juste: « Étant donné que la voca­

59 J. M aritain y insiste. « Nous savons maintenant, et c’est ce que je vou’ais avant tout préciser, nous savons situer exactement l’un par rapport à l’autre saint Jean de la Croix et saint Thomas d’Aquin. Saint Thomas, disions-nous plus haut, est le Docteur par excellence de la théologie dogmatique et moraie, il est en particulier le Docteur par excellence de la science spéculative pratique de la contemplation et de l’union à Dieu. Saint Jean de la Croix est le Docteur par excellence de la science pratiquement pratique de la contemplation et de l’union à Dieu. L’un explique et fait voir, l’autre guide et conduit; l’un projette sur l’être toutes les lumières intelligibles, l’autre même la liberté à travers toutes les nuits du dépouillement; par sa mission enseignante l’un est un démonstrateur, l’autre un praticien de la Sagesse. C’est à ce point de vue de la science pratique qu’il faut se placer pour comprendre l’enseignement de saint Jean de la Croix » (72).

Les « lexiques conceptuels » des deux Docteurs ne sont pas les mêmes, poursuit l ’A. « L'intelligence passe d’un vocabulaire conceptuel à l'autre, comme elle passe du latin au chinois ou à l’arabe. Mais elle ne saurait appliquer à l’un la syntaxe de l’autre, elle ne saurait juger de la valeur ontologique d’une formule mystique ou d’un énoncé pratiquement pratique qu'en tenant compte des modifications qu’il leur faut subir lorsqu’ils sont traduits dans le registre ontologique » (83). — Qu’ü leur faut subir? Parfois, et très souvent même, oui, mais ce n’est pas toujours le cas, et cela notamment en ce qui ressortit à l’épa­nouissement de notre filiation adoptive au niveau trinitaire.

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tion de l ’homme, c'est la communion avec Dieu (Vatican II, Constitution Gaudium et spes, n. 19) et que cette communion se réalise surtout dans la ’ koinonia ’ avec les divines Personnes (1 Jean 1, 3), aucun autre aspect du mystère chrétien ne touche de plus près la perfection spirituelle que l'inhabitation » 60.

L ’auteur souligne que la problématique théologique de l ’in- habitation est fort complexe (col. 1745) et fait ainsi le point de la question quant aux vérités communément admises par les théologiens:

« Les nombreuses opinions divergentes des théologiens pourraient faire croire que l ’ensemble de la question demeure incertain et discuté. Il n’en est rien. Les vérités essentielles de la théologie et de la vie spirituelles sont de ’ possession tranquille ’. Il suffit d ’en énu­mérer quelques-unes: le fa it de l ’inhabitation; le fait que les trois Personnes habitent l’âme; que les trois Personnes elles-mêmes sont présentes, et pas seulement des dons sanctifiants; la connexion né­cessaire et efficace entre la grâce et l'inhabitation; l’importance de la connaissance et de l'am our, au moins au niveau des ’ habitus ’; la nécessité d ’une action, - qui est commune aux trois Personnes -, pour réaliser la présence; la distinction profonde entre l ’inhabitation et la présence com m une, dite ’ d’immensité’ » ‘(col. 1747).

L ’auteur expose ensuite les « principales opinions des théo­logiens » (col. 1747-1752) avant d’en arriver aux « points fonda­mentaux de la doctrine de saint Thomas » (col. 1752-1755).

Cette présentation très objective nous confirme dans la con­viction de l'insuffisance non moins objective, pensons-nous, des solutions analysées. Pour sortir de l ’impasse, il est nécessaire de reconnaître très clairement que notre filiation adoptive est une participation ontologique de la Filiation du Verbe, ne se référant pas à Lui par simple appropriation, et d’affirmer réso­lument qu'en conséquence les trois vertus théologales sont, en leur profondeur intime, des participations vitales aux trois actes notionnels, generari, spirare et spirari, de la Trinité.

P h il ip p e de l a T r in it é , o.c .d .

® L’exposé se divise en trois parties: I. Sources bibliques. — II. Réflexion théologique. — III. Expérience mystique (col. 1735-1767).

Le texte de la section III (col. 1757-1767) est de Guy M. B ertrand et traite de sainte Thérèse d’Avila et de Marie de l’Incarnation, ursuline.