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Reflets de la cité – J. P. Chalet (1987)

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Rap… lapla

Au contraire de toute idée reçue, la dictature est le régime des faibles. Car la crainte chronique, quasi obsessionnelle, de perdre le pouvoir par la contestation, entraîne par essence un combat sans merci pour tenter de ruiner irrémédiablement toute idée subversive capable de détruire, par le raisonnement, les fondements factices et les aberrations du totalitarisme. Il importe dès lors, outre la répression et le climat de peur qui fige les esprits, de toujours maîtriser la moindre information, et donc l’éducation, afin de dominer un bon peuple d’esclaves entièrement soumis aux consignes d’état, illustrant en cela la phrase de Jacquart : « Un peuple qui réfléchit est un peuple dangereux. » (cf : « L’Intelligence, c’est quoi »)

Il n’est pas un régime, dans toute notre histoire et jusqu’à aujourd’hui, qui s’y prit ou s’y prend de façon différente, depuis les dictatures à l’alibi mystique jusqu’aux pires tyrannies du défunt XXème siècle, tant je repense encore aux quelques jours passés en ancienne RDA, où les fresques murales chargées de propagande martelaient sans répit dans chacune des rues les images et slogans d’un pouvoir effrayant, qui exhibait sa force par une omniprésence de soldats redoutés, de policiers véreux.

S’il est vrai qu’aujourd’hui le monde occidental semble en avoir fini avec les potentats, c’est à dire des images connues, identifiables, les a-t-il remplacé, dans son matérialisme aux idéaux exsangues, par un dieu pernicieux, sournois et implacable, étalon absolu de toute réussite : l’argent. Ainsi incite-t-on tous les jeunes enfants, non à vivre leur rêve pour se réaliser, mais bien à obéir aux règles de l’école pour espérer un jour trouver à se caser. Ainsi massacre-t-on un tableau de Vermeer pour donner à des pots agroalimentaires la piteuse illusion de l’authenticité. Ainsi n’accorde-t-on plus le moindre intérêt aux valeurs intrinsèques des hommes ou des objets puisque ce qui compte est de faire des sous avec n’importe qui, avec n’importe quoi, en jetant au panier tout ce qui a servi, qui est passé de mode et ne rapporte plus.

Qu’importe dans ce cas les Mozart, les Vinci, les Proust et les Ronsard s’ils ne sont pas vendables dans l’immédiateté ou s’il n’est pas possible d’en pouvoir exploiter au moins un élément de façon lucrative : il suffira alors d’un matraquage en règle sur toutes les radios et les télévisons pour que la propagande réussisse à ferrer les carpes et brochets qu’on aura pris grand soin de bien conditionner : « La publicité, c’est l’art de vendre aux gens des choses inutiles avec de l’argent qu’ils n’ont pas. » (cf : « Mr Blandings builds his dream house » H. C. Potter – 1948). Car dans ce laminoir où le talent, l’incompétence, les gens honnêtes et les escrocs apparaissent ensemble sans plus de distinction, se laisse-t-on berner par d’habiles vendeurs qui connaissent par

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cœur l’art de manipuler et tirent tous les fils telles des araignées qui laissent peu de chance à leurs proies convoitées. Encore leur faudra-t-il imposer une norme, celle qui fait « tendance », qui fait « in », qui fait mode, à laquelle se pliera une population qui n’a d’autre souci que de garder sa place au milieu du troupeau, sous peine de sarcasmes, de rejet, d’exclusion. Et on dit « liberté »…

I – le rap : origine et évolution C’est donc dans cet esprit que fut récupérée une habitude festive née d’une

animation d’un jeune jamaïcain, Clive Campbell, dit « Kool Herc », fasciné par les sounds systems toujours aussi en vogue dans les caraïbes et par les disques de James Brown.

Animant une soirée pour l'anniversaire de sa soeur dans la cave de son immeuble du Bronx (New York), il eut idée d'utiliser deux platines afin de pouvoir enchaîner sans pause les morceaux et de faire durer les breaks, ces passages rythmiques dans lesquels disparaît toute forme de musique au seul bénéfice de la pulsation, c’est à dire du tempo nu. Le succès immédiat qui fit venir en masse les danseurs qui pouvaient ainsi donner libre cours à leurs improvisations, l'amena à convier des « célébrités » de chaque quartier afin de « chauffer » la salle en tant qu' « ambianceur » de ces « blocks parties ».

Peu à peu, celles-ci mirent en rimes les messages qu’elles voulaient faire passer, profitant des rivalités naissantes au fil des soirées entre chaque ambianceur, ce qui donna lieu à des joutes verbales qui déchaînaient les foules. Ainsi naquirent les premiers MC, les Maîtres de Cérémonie, les premiers rappers et, par là même, toute la culture Hip-Hop qui se répandra rapidement dans New-York.

Si les textes des années 75-82 racontent essentiellement des anecdotes ou tournent autour de rimes matérialistes, vantardes et festives (« J'ai des chaînes en or, de l'argent et des filles à la pelle »), ils ne contiennent encore aucune profondeur, même si progressivement s’installent les «routines» (textes où les ambianceurs s'interpellent mutuellement) qui firent le tour de New-York et des quelques soirées hip-hop réunissant de vrais passionnés.

Ce n’est donc qu’à partir des années de Reaganisme (1981) que des rappers vont pour la première fois s'engager socialement et faire une description sans fioritures de leur environnement délabré, où les affrontements entre bandes, les meurtres, les junkies qui jonchent les trottoirs, la folie qui guette tous les laissés pour compte de la société et les rapports avec la police, leur permettent de dresser le tableau d'un ghetto en voie de tiers-mondialisation, d’où la tendance dominante du drame et du récit urbain, voire de l'autodéfense par les armes face à la suprématie oppressante des Blancs et l’apologie de l’image paramilitaire Black Panther.

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Ainsi naît à cette époque et seulement à cette époque, contrairement à la croyance populaire, une vague hautement politisée et engagée, reprise par la Côte Ouest dans un premier temps, puis plus tard par toute l’Europe et dont la France deviendra l’une des plus ardentes représentantes. On comprend ici en quoi cette nouvelle orientation représenta une manne aussi extravagante qu’inespérée, tant elle touchait une importante population jusque là rejetée qu’il était facile de fanatiser par la mise en valeur de quelques uns de ses représentants, donc de son identité. Et si les commerçants sautèrent sur l’occasion pour s’offrir un trésor aux sources inépuisables, tant la primarité du matériau de base assurait à elle seule l’adhésion d’un gigantesque public laissé dans l’ignorance, les politiques devinèrent très vite l’intérêt d’une telle démarche tant elle masquait d’un coup leurs incompétences à gérer un drame de société qu’ils s’étaient occulté et qui les confortait dans un laxisme délibéré par peur d’ouvrir cette boîte de Pandore qu’ils redoutaient tant.

Quant à l’évolution sonore, outre l’utilisation de la table de mixage qui permettra d’enchaîner les morceaux sans coupures, elle bénéficiera d’une part de l’utilisation du scratch, bruit obtenu par le frottement du diamant sur un disque vinyle, d’autre part de l’avènement du sampler vers 1984, appareil permettant d'emprunter des échantillons sonores à des disques existants pour les incorporer dans de nouvelles réalisations en les transformant quelque peu. II - Analyse 1 – On comprend dès lors que par essence, le rap ne s’est construit qu’à partir des éléments musicaux les plus simplistes possibles, compte tenu de ses origines purement festives, au delà de toute préoccupation artistique:

- utilisation primaire d’une base binaire limitant les syllabes à 2 ou 4 par temps - cellule rythmique de soutien unique s’appuyant essentiellement sur la seule pulsation - répétition systématique suivant le principe de boucle (le fameux « copié-collé ») - absence de tout élément mélodique - cellule de basse limitée à quelques notes autour d’une seule tonique - suppression de l’harmonie. - absence de toute création par la reprise d’éléments inventés par d’autres - disparition des nuances au profit d’un bruit uniforme et continu - impossibilité de la moindre évolution au cours de la pièce par le principe de répétition.

Nous sommes donc à l’opposé même de toute préoccupation d’ordre esthétique, - ce qui somme toute est légitime puisque ce n’était pas le but - , c’est à dire hors de la construction d’un langage, ne serait-ce que primitif, qui ne peut s’élaborer et acquérir son sens qu’à partir de la maîtrise minimum de son vocabulaire, de sa grammaire et de sa syntaxe, dans une évolution organique. Que chacun cherche un support pour s’amuser ou exprimer des idées est en soi tout à

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fait louable, respectable, voire admirable compte tenu du courage et de l’engagement que cela peut impliquer, mais qu’on ose imposer, pour des raisons bassement commerciales ou politiques, l’idée qu’une telle pratique appartient à la musique au même titre que Mozart , Miles Davis ou Michaël Jackson en profitant d’une inculture générale subie, touche au scandale, voire au dégoût. C’est appeler écrivain celui qui ignore l’alphabet, cuisinier celui qui n’ouvre que des conserves et médecin le vendeur de tisanes. 2 – Le flot ininterrompu de paroles égrènées dans une uniformité consternante constitue sans aucun doute le point le plus dramatique, tant il va à l’encontre de l’essence même de la parole. L’ignorance de la prosodie (correspondance entre le rythme parlé et le rythme musical) n’en est qu’un élément. Car c’est surtout dans le non-respect du son de la langue, de son rythme, de son aspect mélodique, de ses inflexions, de ses nuances fondamentales à l’expression, de sa respiration, c’est à dire de sa matière même, que vient cette impression abrutissante d’être enfermé dans un tunnel et de ne pouvoir s’en libérer qu’une fois la sortie franchie, outre l’incompréhension quasi permanente que cela donne au texte. Les italiens ont sublimé la mélodie de leur langue en créant l’opéra, Debussy le premier fit chanter le français en en transcendant son exacte amplitude (« Pelléas et Mélisande »), Wagner puis Schönberg ont offert à l’allemand sa puissance expressive et sa douceur poétique, la comédie musicale et le jazz donnèrent à l’anglais la rondeur, la souplesse et le swing, tous dans le respect le plus profond de la langue d’origine. Que dire alors de ce massacre permanent qui ne tient aucun compte de la matière sonore, réduisant sa richesse au seul jeu d’assonances, d’allitérations et de rimes.

On pourra rétorquer que le but premier est de faire passer un message, d’haranguer les foules, d’exprimer son malaise, sa révolte et sa haine - ce qui, comme nous l’avons vu, est venu assez tard -, tout en utilisant la pulsation comme prétexte à faire « bouger » des masses et à les exciter. Nous sommes bien d’accord. Mais qu’on évite alors, voire qu’on s’interdise de parler de musique, même au plus bas niveau, quand l’utilisation d’une métrique uniforme qui ancre ses appuis sur le battement inepte de la seule pulsation, va à l’encontre même de tout mouvement du corps, réduit de cette façon aux soubresauts cycliques de pantins mécaniques aux gestes programmés. Jamais, à notre connaissance, quelconque civilisation , des plus traditionnelles aux plus évoluées, ne fut à ce point tombée si bas dans la caricature de la soi-disant danse, puisque tout mouvement ne peut naître que du déséquilibre, c’est à dire de tout ce qui tombe ailleurs que sur la pulsation, à savoir contretemps et syncope: il y a ici une négation de tout swing, donc de tout mouvement, au profit d’un piétinement statique profondément lourd qui fait honte au génie africain dans toutes ses expressions.

Quant à l’argument défendant la sincérité du texte, il touche plus au romantisme et à l’ignorance d’un public manipulé qu’à la réalité : c’est ignorer la façon dont travaillent les maisons de disques et les producteurs de spectacle que seul le gain intéresse. La récupération quasi immédiate du rap par les circuits

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marchands qui virent là le moyen idéal de s'aliéner toute une partie de population qui leur échappait, donc de faire d’énormes profits, condamna très vite toute forme d’authenticité. C'est donc dès le départ que le rap est mort, puisque condamné à reprendre à perpétuité le même matériau, les mêmes thèmes dans un même style sous les diktats des directeurs artistiques omnipotents, parfois même anciens rappeurs reconvertis dans l’édition. Dès lors, l'important n'est surtout pas de faire vrai, sincère ou original mais de vendre, quoi qu’il arrive, en suivant des règles parfaitement établies: l'industrie, quelle qu'elle soit, n'a jamais fait ménage avec la poésie et les valeurs de l’homme. 3 – Le simple fait d'utiliser une réalité pour se limiter à sa plus ou moins parfaite restitution, est l'inverse même de toute démarche artistique, le propre de l’artiste, - et le minimum qu’on puisse en exiger - , consistant à transformer n’importe quel prétexte en rêve dans un imaginaire singulier: c’est à partir de là qu’on peut parler de « création ». Toute autre démarche s’apparente alors au jeu, à la sociologie, à la politique, ou parfois hélas (souvent…) à l’incapacité - ou la volonté, à des fins mercantiles tant chacun peut se reconnaître et donc se sentir concerner - , de quitter la trivialité de la vie ordinaire, ce qu'on constate aujourd'hui dans tous les domaines (le cinéma par exemple). 4 – Pourtant avons-nous vu fleurir quantités de thèses gratifiantes et d’analyses bien pensantes cherchant par tous les moyens, dans un intellectualisme tout à fait déplacé et bien à la française, à faire l’apologie d’une expression aussi pauvre dans son matériau que consternante dans sa réalisation. La faiblesse de vouloir justifier, voire glorifier n’importe quoi en s’interdisant tout jugement de valeur, politiquement tellement incorrect, ne fait que valider, par démagogie, - bien dans l’esprit gauche-caviar - , inconséquence, incompétence, ou même lâcheté, la prise de pouvoir des masters sur la culture populaire. Plutôt que de se battre pour tenter d’offrir à la population les moyens d’accéder à la connaissance, à la réflexion, à l’enrichissement intellectuel et sensitif, les auteurs de ces propos , tels des fossoyeurs, ne font que condamner un public asservi à croupir dans la médiocrité qu’on lui impose, de laquelle il ne pourra sortir, déjà parce qu’il n’en a pas conscience, le laissant en pâture à des commerçants sans scrupule. Rechercher par exemple des racines esthétiques, techniques ou historiques dans le jazz ou rattacher ce courant aux conteurs et diseurs du début XXème siècle dont on connaît les talents de comédiens et de faiseurs de rêve, revient à vouloir faire entrer un cube dans un cylindre, touche à l'aberration, voire la malhonnêteté: c’est vouloir s’obstiner à parler de cuisine à propos des MacDo. On peut dès lors s’inquiéter des possibilités qu’auront plus tard des générations entières de pouvoir échapper à cet abrutissement sonore pour un jour s’émouvoir de musiques authentiques, sincères et soignées, quels qu’en soient les origines, le langage ainsi que les moyens. 5 – Enfin, peut-on s’indigner de toute référence au jazz.

D’abord parce que celui-ci correspond à l’expression la plus authentique du

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drame de l’esclavage, soit sous forme de révolte et de souffrance (blues), soit comme moyen de se donner du courage pour rejoindre le travail (WorkSongs), soit comme seul espoir d’atteindre par la mort une vie meilleure, d’où l’importance et l’intensité de la ferveur religieuse (Gospel, Negro-spirituels). Seule arme possible pour pouvoir résister à l’oppression des blancs en ressentant par le chœur l’existence d’une force collective, il restera pendant des décennies l’apanage de ceux qui l’habitèrent de l’âme africaine, hors de tout intérêt de la part d’une population possédante, aussi méprisante qu’indifférente.

Ensuite parce que la tentative de récupération par les blancs, – qui en comprirent très vite, dès l’émancipation, l’intérêt autant commercial que politique –, avec la singerie Dixieland, (orchestre de blancs travestis en noirs recopiant les formules du New Orleans, tel l’ « Original Dixieland Jazz Band » qui réalisa le premier enregistrement en 1917), puis la présentation du « Chanteur de jazz » (1927), premier film parlant dans lequel Al Jolson est maquillé en noir, dont le succès spectaculaire apporta au cinéma hollywoodien une porte de sortie à la crise qu’il traversait, – Warner, le studio le plus mal en point, avait joué son va-tout avec ce procédé qui stockait le son sur des disques séparés –, n’eut en fait qu’une incidence limitée, tant le jazz reste encore aujourd’hui, par sa richesse, sa diversité et sa complexité, à l’abri des plus grands circuits commerciaux.

Enfin parce que le besoin d’être meilleur que le voisin, de briller par des performances singulières, d’affirmer sa personnalité et la volonté d’accéder à une classe sociale supérieure pour sortir de la misère et atteindre ainsi culture, reconnaissance et aisance matérielle, vont conduire, telles des locomotives, certains musiciens dont les parents en ont acquis les moyens (« Duke » - le duc - Ellington, « Count » - le comte - Basie) à se lancer dans l’étude d’un langage savant et la maîtrise de leur instrument. C’est cette démarche essentielle, à l’inverse de celle des rappeurs qui la plupart du temps restent enfermer dans l’autarcie, qui donnera au jazz sa place de seule révolution musicale du XXème siècle, avec une influence permanente sur tous les autres courants. En effet, que serait devenu, sans cette évolution, le blues, sinon probablement un phénomène ethnique particulier inscrit dans le temps et sans grand intérêt musical, compte tenu de la primarité de son matériau, qu'on aurait vite oublié.

III - Conclusion Entendons nous bien. Que des personnes aient l’envie d’accéder à la

musique, d’exprimer de fortes convictions, de se réunir dans l’espoir de créer un mouvement ou de tenter d’améliorer la société par un engagement aussi sincère que passionné, c’est à dire de façon générale de faire, est par essence tout à fait louable et ne mérite que respect, encouragement, voire admiration. Que d’autres trouvent dans ces réalisations les moyens d’accéder au plaisir, à l’enrichissement ou à leur propre rêve l’est tout autant, même si on peut s’interroger sur la possibilité qu’on leur laisse de réellement choisir plutôt que de subir, d’obéir ou de se résigner.

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Par contre, ce qui demeurera toujours insupportable est d’une part l’usurpation révoltante qui consiste à leurrer un public en profitant de ses ignorances pour lui imposer n’importe quoi, d’autre part le laminage permanent qui interdit toute lucidité dans l’échelle des valeurs, abaissant les esprits les plus grands en rang des incapables, enfin l’abrutissement qui laisse peu de chance à la masse soumise pour pouvoir parvenir à se désintoxiquer et espérer un jour accéder aux chefs d’œuvre pour découvrir le beau, le vrai, le pur et l’authentique.

Que le rap existe, qu’il continue à exister, n’a en réalité aucune importance tant qu’on sait ce qu’il est et qu’il reste à sa place. Mais qu’on l’érige au rang d’expression artistique et musicale à part entière, voire qu’on le glorifie est aussi scandaleux qu’insultant vis-à-vis de tous ceux qui se battent pour défendre la grandeur, l’honneur et le génie de l’homme : c’est une question d’honnêteté et surtout de respect, tant vis-à-vis des gens, de l’art en général, que des artistes eux-mêmes.

Restent que des musiciens, des vrais, ont parfois réussi à s’emparer d’un matériau piteux à priori sans intérêt pour lui donner la densité, la puissance expressive et le soin nécessaires à la réalisation d’un objet artistique. Un groupe tel « Die Fantastischen Vier » à l’humour et au swing toujours présents ou l’excellent Abd Al Malik dont l’habitation, le talent de comédien, la volonté de s’entourer des meilleurs musiciens et la qualité des arrangements ont révélé la noblesse et la sincérité, prouvent une nouvelle fois que ce qui compte n’est pas ce qu’on prend, mais ce qu’on fait de ce qu’on prend, pour peu qu’on s’investisse avec travail, exigence et passion. Et voilà qui renvoie à ce mot de Mozart: « Amour, amour, amour, voilà l’âme du génie ».